1
EPREUVE FINALE DU DIPLOME D'ETUDES SPECIALES EN
ANESTHESIOLOGIE
Cas clinique soumis au Docteur KONE Amadou
Une jeune de 35 ans souffrant de la maladie de Von Hippel-Lindau est prévue
pour un phéochromocytome droit sous cœlioscopie.
Elle a déjà été opérée d'un phéochromocytome gauche il y a 10 ans.
Elle souffre de crises d'épilepsie (R/Dépakine) et présente 3 hémangiomes
cérébelleux. Elle est porteuse d'un drain ventriculopéritonéal suite à un
hématome cérébelleux.
T.A. la veille : 18/12 FC. 110/min.
Prise en charge périopératoire
2
REPONSE
La maladie de Von Hippel-Lindau (VHL) est un syndrome rare et
complexe. Il fait partie du groupe des phacomatoses ectoblastiques dont les
cellules dérivent de l'ectoderme de la crête neurale embryologique. Ce
syndrome est constitué de tumeurs angiomateuses : hémangioblastomes
cérébelleux (maladie de Lindau), angiomatoses rétiniennes (maladie de Von
Hippel). En outre, des tumeurs cystiques (pancréas, reins), des carcinomes
et/ou des cystadénomes épididymaux peuvent compléter ce tableau. Enfin,
VHL s'associe aux phéochromocytomes (phéo) dans 5 % des cas.
Les tumeurs angiomateuses du système nerveux central peuvent se
manifester en comprimant le cerveau, entraînant des crises d'épilepsie ou/et
un syndrome tumoral. Mais elles peuvent être hémorragiques de façon
primitive ou sous l'effet d'un accès hypertensif. Cet accès hypertensif peut
être provoqué par un phéo.
Le phéo est une tumeur sécrétante constituée de cellules du tissu
chromaphine. Elle est très riche en catécholamines : Adrénaline (Adré),
Noradrénaline (Nadré) et/ou Dopamine (Dopa). Elle est localisée sur la
médullosurrénale (90 %) uni ou bilatérale mais peut être ectopique intra-
abdominale (rate, vessie, chaîne sympathique para-aortique...) et/ou
intrathoracique (chaîne sympathique, oreillette droite...) voire cervicale.
Cliniquement, le patient porteur de phéo présente une hypertension
artérielle (HTA) permanente avec ou sans paroxysme. Cette HTA est
accompagnée de palpitations, de céphalées, vertiges et crises sudorales.
Des crises d’hypotension artérielle orthostatique peuvent émailler l’évolution
de la maladie. Les autres signes sont la manifestation directe de
l'hypersécrétion de catécholamines. Ainsi, on en retrouve des signes au
niveau du bilan biologique (hypovolémie avec augmentation d'hématocrite et
d'hémoglobine, hyperglycémie).
Le diagnostic complet est :
- biologique : catécholamines urinaires (dérivés Meta et Normeta-
néphriques) et sanguines
- radiologique : CT scanner (avec ou sans adjonction de Methyl Iodo Benzyl
Guanidine) et IRMN.
3
Les pathologies intriquées que présente cette patiente vont conditionner sa
mise au point préopératoire (préop) mais aussi la technique de prise en
charge opératoire.
La mise au point préop débutera par une visite anesthésique. Lors de celle-
ci, quelques points devront être éclaircis :
1/ La revue du dossier médical
a. La patiente présente 3 hémangiomes cérébelleux. Il est très important de
connaître le rythme de suivi de ces tumeurs. Sont-elles stables dans leurs
évolutions clinique, radiographique, angiographique ? De quand date le
dernier contrôle ?
b. Les crises d'épilepsie sont-elles contrôlées par la Dépakine ?
L'association épilepsie et atteinte cérébelleuse laisse supposer une
atteinte cérébrale.
c. Le drain ventriculo-péritonéal est-il toujours perméable ?
d. Le phéo gauche (il y a 10 ans) était-il unique ? La localisation était-elle
surrénalienne ? La patiente était-elle hypertendue depuis lors ? Avait-elle
un traitement hypertenseur ?
e. Quelles sont les données concernant ce phéo droit (dimension, poids
estimé, localisation secondaire, type et taux de sécrétion) ?
2/ L'examen clinique
En fonction des réponses fournies par la patiente et celles trouvées dans le
dossier, cette consultation anesthésique doit permettre de faire le point de
l'état clinique actuel de la patiente, tant cardiovasculaire (signes de
coronaropathie évolutive, insuffisance cardiaque) que neurologique (signes
neurologiques déficitaires, crise d'épilepsie).
3/ Les examens complémentaires
A la fin de cette première entrevue, il est nécessaire de faire :
a. un ECG de repos
b. un bilan biologique usuel avec taux d'hémoglobine, hématocrite,
plaquettes et coagulation sanguine, groupe sanguin, Rhésus et cross
match, ionogramme sanguin avec magnésémie et calcémie, fonction
rénale (urée et créatinine sanguine)
c. un dosage de la Dépakinémie, Cortisolémie et Glycémie
d. une consultation cardiologique pour une mise au point et traitement de
HTA
e. une consultation neurologique pour évaluer l'état neurologique et
l'équilibre du traitement antiépileptique
f. un bilan phosphocalcique, thyroïdien, un dosage de Rénine, seront
demandés dans la recherche d'une polyadénomatose.
4
Enfin, une information sur le risque anesthésique du phéo sera donnée à la
patiente. Un plan anesthésique (en fonction des différents résultats des
examens et consultations) sera expliqué à la patiente afin qu'elle adhère au
projet.
Plusieurs des problèmes posés par cette patiente ont des implications
anesthésiques importantes :
1/ L'HTA du phéo est l'une des formes chirurgicalement curables d'HTA
(0,1 %). Mais elle nécessite d'être mise sous traitement médical efficace
avant toute chirurgie. Une HTA contrôlée présente statistiquement moins de
risque de complications cardiaques et cérébrales périopératoires. Le
traitement se base en grande partie sur des données physiopathologiques.
Rappelons que le relargage des catécholamines dans la circulation sanguine
et leur recapture par les terminaisons nerveuses présynaptiques nécessite
l'action du calcium. En outre, l'action des catécholamines sur les organes
cibles est une action alpha et bêta adrénergique. Cette action est
principalement vasculaire (vasoconstriction périphérique) et cardiaque
(chronotrope, dromotrope, inotrope positive). Notons aussi que les actions
bronchodilatatrices, hyperglycémiantes existent et sont non négligeables.
Enfin, ces actions (surtout alpha) surexposent notre patiente aux risques
cérébral (hémorragique), cardiaque (coronarien, arythmogène). Certaines
médications peuvent majorer ces risques : sympathomimétiques, opiacés,
bêtabloquants, amphétamines. Il en est de même pour certaines situations
tels un traumatisme, une émotion, une intervention chirurgicale (même
minime), un effort physique, certains aliments à base de tyramine. La
majoration de tous ces risques passe par le biais de l'HTA souvent
paroxystique.
Le traitement anti-HTA sera une étape importante dans la préparation
préop de la patiente. Il devra s'attacher à contrôler l'effet alpha-adrénergique
avant le bêta car ce premier contrôle alpha induit une mortalité périopératoire
moindre. D'autres facteurs de risques de complications périopératoires sont à
noter : taille de la tumeur (supérieure à 6cm dans un des axes), taux de
catécholamine, durée de l'anesthésie (après 4 heures).
Le blocage alpha se fait de façon usuelle par l'intermédiaire de la
Phentolamine (Régitine) : alpha 1- et alpha 2-. Le traitement sera débuté une
semaine avant l'opération et en hospitalisation, avec des doses progressives
et par voie intraveineuse. Seule la forme parentérale de la Phentolamine
existe. L'obtention d'une tension artérielle (T.A.) correcte sans hypotension
sera exigée comme critère d'efficacité, mais très souvent au prix d'une
tachycardie réflexe.
Parallèlement, un blocage bêta-adrénergique est nécessaire. Le choix
est vaste : les bêtabloquants en l'absence de contre-indications sont une
excellente alternative. De plus, ils entraînent une bradycardie qui permet de
contrôler la tachycardie réflexe de la Phentolamine. La place des calciums
bloqueurs est de plus en plus prépondérante. Cela s'explique par leur grande
5
efficacité pour un minimum d'effets secondaires et de contre-indications, mais
aussi par leur action physiopathologique. En plus, plusieurs études ont
montré leur efficacité périopératoire dans la chirurgie du phéo. Ces mêmes
études (même si elles comportaient un petit nombre de patients) semblent
montrer moins d'hypotension artérielle postopératoire quand elles associent
alpha bloqueurs et calcium bloqueur dans la prise en charge. Très souvent,
une bi ou trithérapie préopératoire peut être nécessaire pour contrôler l'HTA.
Chez cette patiente, l'option choisie sera l'association Phentolamine
(débutée une semaine avant l'opération et en hospitalisation) et Calcium
bloqueur (débutée 2 à 3 jours avant l’intervention). Les bêtabloquants
pouvant perturber et/ou masquer la bonne interprétation de l'équilibre
glycémique seront un troisième choix dans la préparation.
2/ Cette seconde surrénalectomie (en supposant qu'une dizaine
d'années plus tôt, le phéo droit était surrénalien) plongera la patiente dans un
état d'insuffisance surrénalienne postopératoire définitive. La patiente doit en
être prévenue et le plan anesthésique doit comporter un volet de substitution
en glucocorticoïdes. Ceci implique aussi un risque accru d'hypotension
artérielle dès l'ablation de la tumeur. Cette hypotension artérielle doit être
traitée énergiquement et ce par des catécholamines (ex. : infusion de Nadré)
si nécessaire (inefficacité du remplissage vasculaire et de bolus d'alpha
agoniste).
3/ La technique chirurgicale cœlioscopique préconisée dans ce cas
présente de nombreux avantages connus. Mais dans le phéo, les moments
particulièrement critiques pendant la laparoscopie sont le pneumopéritoine et
la manipulation de la tumeur (importantes décharges catécholaminergiques).
Cependant il est montré dans la littérature que le risque périopératoire est
accru si le taux de catécholamines est important et si le temps anesthésique
est long (cas de la cœlioscopie où la manipulation est plus longue que la
laparotomie). D'autre part, après une première intervention chirurgicale
abdominale, le risque d'adhérences est important et complique la technique
cœlioscopique, rallongeant le temps anesthésique. Ne faut-il pas réévaluer la
technique chirurgicale ?
4/ Les tumeurs vasculaires cérébelleuses ne sont pas une contre-
indication à l'anesthésie surtout si elles font la preuve d'une bonne stabilité.
Un bon contrôle de l'HTA devrait minimiser le risque hémorragique. Si
malheureusement un à-coup d'HTA devait entraîner une hémorragie, le risque
d'une hypertension intracrânienne serait amoindri par le drain
ventriculopéritonéal (autre nécessité de sa bonne perméabilité). Le risque
épileptique s'il n'y a pas d'hémorragie périopératoire dépend essentiellement
du bon index thérapeutique de la Dépakine. Dans l'hypothèse d'une
éventuelle hémorragie, il peut être judicieux d'adjoindre une dose de charge
en Phénytoine (300 à 500 mg en IV) après induction. Cela peut permettre
aussi de "traiter préventivement" un éventuel trouble du rythme ventriculaire
engendré par un à-coup HTA.
1 / 10 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !