La « maison du blanc » : la place du dispensaire dans les stratégies

Sylvie Fainzang
La « maison du blanc » : la place du dispensaire dans les
stratégies thérapeutiques des Bisa du Burkina.
In: Sciences sociales et santé. Volume 3, n°3-4, 1985. pp. 105-128.
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Fainzang Sylvie. La « maison du blanc » : la place du dispensaire dans les stratégies thérapeutiques des Bisa du Burkina. In:
Sciences sociales et santé. Volume 3, n°3-4, 1985. pp. 105-128.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/sosan_0294-0337_1985_num_3_3_1015
Abstract
Sylvie Fainzang: The place of the dispensary in the Bisa's therapeutic strategies (Burkina).
Drawing from the example of the Bisa (Burkina Faso, ex Upper Volta) the author examines the impact of
Western medicine on local representations of illness and on therapeutic strategies. She tries to show
how the presence of a Western medical institution such as the local dispensary is integrated in the local
Systems dealing with illness. Far from bringing about a decisive break, biomedical activities are
integrated or even dissolved in a local System of strategies grounded upon a coherent System of
représentations.
Resumen
Sylvie Fainzang : La « casa del blanco » : el sitio del dispensario en las estrategias terapéuticas de los
Bisa del Burkina.
Apoyándose en el ejemplo de una sociedad del oeste de Africa, los Bisa del Burkina (ex-Alta-Volta), el
autor, atenta a los procesos intelectuales que rigen las conductas observables en materia de recursos
terapéuticos, se interroga sobre el impacto de la medicina occidental en las representaciones locales
en lo que se relaciona a la enfermedad y las estrategias vinculadas a su aparición. Particularmente,
intenta poner de realce que la presencia de una institución particípe del sistema médico occidental,
como lo es el dispensario, puede tener insercio en el conjunto de las instituciones que toman a cargo la
enfermedad en terreno rural : en efecto, lejos de introducir una ruptura decisiva con éstas, la práctica
bio-médica es integrada, si no es absorta por la lógica local de las estrategias terapéuticas, estrategias
basadas en un sistema cohérente de representaciones de la enfermedad.
Résumé
Sylvie Fainzang : La « maison du blanc » : la place du dispensaire dans les stratégies thérapeutiques
des Bisa du Burkina.
S'appuyant sur l'exemple d'une société ouest-africaine, les Bisa du Burkina (ex-Haute-Volta), l'auteur,
attentive aux processus intellectuels qui régissent les conduites observables en matière de recours
thérapeutiques, s'interroge sur l'impact de la médecine occidentale sur les représentations locales
relatives à la maladie et les stratégies liées à son apparition. Elle tente de montrer en particulier que la
présence d'une institution relevant du système médical occidental, comme le dispensaire, trouve à
s'insérer dans l'ensemble des institutions qui prennent en charge la maladie en milieu rural : en effet,
loin d'introduire une rupture décisive avec celles-ci, la pratique biomédicale est intégrée, voire absorbée
par la logique locale des stratégies thérapeutiques, elles- mêmes fondées sur un système cohérent de
représentations de la maladie.
Sciences
Sociales
et
Santé
vol.
III
3-4
novembre
1985
LA
«MAISON
DU
BLANC»
:
LA
PLACE
DU
DISPENSAIRE
DANS
LES
STRATÉGIES
THÉRAPEUTIQUES
DES
BISA
DU
BURKINA
Sylvie
Fainzang*
Toute
société
élabore,
pour
faire
face
à
la
maladie,
un
système
des
moyens
destinés
à
l'enrayer.
Sont
ainsi
mises
en
place
un
certain
nombre
d'instances
dont
la
vocation
expli
cite
est
de résoudre
le
problème
posé
par
son
apparition.
Lorsque
la
maladie
survient,
il
faut
non
seulement
tout
mett
re
en œuvre
pour
la
faire
disparaître,
mais
aussi comprend
re
pourquoi
elle
est
apparue.
Cette
nécessité
répond
à
une
double
exigence,
d'ordre
intellectuel
et
fonctionnel
;
il
s'agit
de
rendre
l'événement
intelligible,
de
lui
donner une
raison
d'être
et
une
cohérence
par
rapport
au
reste
du
monde,
pour
en
définitive
s'en
rendre
maître.
L'attention
portée
à
ces
mécanismes
de
résorption
et
d'explication
de
l'événement-maladie
s'avère
constituer
un
objet
privilégié
de
l'anthropologie
sociale,
dans
la
mesure
cette
discipline
s'assigne pour
tâche
d'embrasser
l'ensemble
des
mécanismes
sociaux
et
des
systèmes
cognitifs
d'une
société
pour
en
mettre
au
jour
la cohérence
et
la
spécificité.
Comme
le
fait
remarquer
Marc
Auge,
«
...nombre
d'ethno
logues,
qui
n'avaient
pas
la maladie,
ou
la
médecine,
pour
objet
premier
de
leur
recherche,
ont
constaté
qu'ils
ne
pou
vaient
pas
observer
et
essayer
de comprendre
la
vie
sociale,
politique
ou
religieuse
des
sociétés
qu'ils
étudiaient
sans
prendre
en
considération
leur
système
nosologique
tel
qu'il
s'exprime
dans l'élaboration
du
diagnostic
ou
la
prescrip
tion
thérapeutique,
les
institutions
qui
les
mettent
en
œuvre,
les
différents
agents
de
cette
mise
en œuvre,
bref
la
dimens
ion
sociale
de
la
maladie,
telle
qu'elle
se
donne à
voir
non
seulement
dans l'appareil
institutionnel
et
le
fonctionnement
*
Sylvie
Fainzang,
anthropologue,
chargée
de
cours
à
l'université
Paris
VIII,
2
rue
de
la
Liberté,
93526
Saint-Denis.
106
SYLVIE
FAINZANG
rituel
de
la
société,
mais
aussi
dans
les
modèles
intellectuels
d'interprétation
du
réel
dont
cet
appareil
et
ce
fonctionne
ment
sont
tout
à
la
fois
le
support
et
l'une
des
expressions
»
([3],
p.
10).
Les
faits
relatifs
à
la
maladie
ne
constituent
en
aucune
façon,
il
est
vrai
-
au
moins
pour
ce
qui
concerne
les
sociétés
traditionnelles-,
un
champ
autonome,
isolable
des
autres
niveaux
de
la
vie
sociale,
ainsi
que
l'ont
suggéré
de
nom
breux
auteurs
(notamment
Evans-Pritchard
[6])
et
comme
l'a
rappelé
Nicole
Sindzingre
([19],
pp.
9-10,
21).
En
effet,
l'apparition
de
la
maladie
suscite toute
une
série
d'interroga
tions
et
d'interprétations
qui
s'articulent
largement
avec
les
représentations
du
monde
en
général,
et
engendrent
des
conduites
en
étroite
cohérence
avec
ces
représentations.
Aussi
bien,
l'étude
de
ces
conduites
et
des
représentations
qui
les
sous-tendent doit-elle
informer
la
connaissance
que
nous
avons
de ces
sociétés.
Sur
toile
de
fond
d'une
étude
de
type
monographique
sur
la
société
bisa,
nous
avons
ainsi
mené
des
investigations
plus
pointues
sur
les
données
afférentes
à
la maladie,
tant
auprès
des «
malades
»
que
des
personnes
de
leur
entourage,
des
guérisseurs
et
des
devins
(1).
Un
point
en
particulier
a
retenu
notre
attention,
c'est
la
coexistence
d'institutions
relevant
de
systèmes
médicaux
étrangers
l'un
à
l'autre.
La
société
bisa
traditionnelle
dispose
en
effet
de
deux
instances
distinctes
dont
l'intervention
est
requise
en
cas
d'apparition
de
la
maladie
:
celle
des
guérisseurs
et
celle
des
devins,
les
uns
concernés
essentiellement
par
les
effets
du
mal,
et
dont
le
rôle
est
de
s'attacher
à
les
éradiquer,
les
autres ayant
qualité
pour
en
découvrir
l'origine.
Il
existe
donc,
entre
ces
deux
instances,
une
sorte
de
division du
travail
thérapeuti
que
en étroite
cohérence
avec
la
perception
de
l'événement-
maladie
qu'il
s'agit
d'une
part
de
résorber,
d'autre
part
de
comprendre,
voire
de
déchiffrer,
sans
que
ces
deux
registres
interfèrent
nécessairement.
Or,
on
note
également,
dans
certains
villages,
la
pré
sence
d'un
dispensaire
rural
qui assure
les
soins
relevant
de
la
médecine
occidentale.
La
question
se
pose
alors
de
savoir
comment
cette
institution
nouvelle
coexiste
avec
les
institu
tions
qui
prennent
traditionnellement
en
charge
la
maladie
(1)
Nous
avons
notamment
suivi
des
«malades»
dans
leurs
différents
parcours,
afin
d'en
cerner
la
logique
et
d'observer
les
diverses
décisions
ou
hésitations
qui
les
ont
jalonnés.
LA
«MAISON
DU
BLANC»
107
d'une
part,
comment elle
est
perçue
et
comment
elle
s'arti
cule
avec
les
représentations
locales
de
la
maladie
d'autre
part.
Autrement
dit,
le
dispensaire
marque-t-il
une
rupture
décisive
avec
le
registre
de
l'interprétation
du
mal
et
des
soins
traditionnels
?
Et
si
tel
est
le
cas,
à
quel
niveau
se situe
cette
rupture?
Comment
s'opère
sa
confrontation
avec
la
logique
du
travail
thérapeutique
mise
en
œuvre
par
la
société
bisa
et
comment
les
sujets
intègrent-ils,
au
plan
intellectuel,
leur
recours
à
cette
nouvelle
institution?
Cecf
revient
à
poser
le
problème
des
choix
thérapeuti
ques
offerts
à
des
sujets
placés
en
situation
de
pluralisme
médical
pour
tenter
de comprendre
la
logique
des
conduites
face
à
cette
alternative
(2).
Peut-être
les résultats
que
nous
présentons
ici
pourront-ils
intéresser
les
adeptes
d'une
anthropologie
finalisée (servie
notamment
par
les
travaux
de
C.
Aies
et
J.
Chiappino
[2]),
tant
il
est
vrai,
comme
le
sou
ligne
J.-P.
Dozon,
que
les
sciences
humaines
sont
«
de
plus
en
plus sollicitées
pour
fournir
aux
développeurs
le
savoir
qui
leur
manque,
ou
plutôt
des
types
de
connaissances
qui
soient
tels
que
leurs
objectifs
pratiques
puissent
se
moduler
en
fonction
des
réalités
locales
»
([5],
p.
38).
Toutefois,
notre
optique
reste
celle
de
l'anthropologie
sociale qui
tend
à
ra
ssembler
les
différents
domaines
de
la
vie
sociale
pour
attein
dre
la
connaissance
d'une
société
et
de
son
fonctionnement,
et
à
cerner
les systèmes
de
pensée
qui la
caractérisent.
Dans
ces
conditions,
nous
interroger
sur
la
place
qu'occupe
le
dispensaire
rural
dans
le
cadre
des
divers
recours
thérapeuti
ques
revient
pour
nous
à
affiner
notre
connaissance
des
modalités
et
des
logiques
qui
régissent,
dans
la
société bisa,
la
gestion
pratique
et
intellectuelle
de
la
maladie
en
tant
qu'événement.
Compte
tenu
de
la
connaissance
préliminaire
que
nous
avions
de
cette
société,
notre
hypothèse
était
que
l'introduc
tion
du dispensaire
rural ne
devait
pas
fondamentalement
modifier
la
logique
des
recours
thérapeutiques,
et
que
son
utilisation devait
pouvoir
se
comprendre
à
l'aune d'un
dis
positif
dualiste
mis
en
place
par
la
société
les
spécialistes
(2)
Cette
question
s'articule
aux
recherches
déjà
entreprises
par
certains
auteurs,
encore
minoritaires,
sur
le
pluralisme
médical
et
notamment
sur
les
connections
éventuelles
entre
dispositifs
traditionnels
et
système
bio
médical
(voir
à
ce
sujet
Sindzingre
[19],
[21]).
En
particulier,
elle
s'inscrit
dans la problématique
des
«
itinéraires
»
thérapeutiques,
formalisée
par
Marc
Auge
([3],
[4]),
à
l'intérieur
de
laquelle
elle
se
focalise
sur
les
motifs
des
recours
préférentiels
à
l'une
ou
à
l'autre
instance.
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