Paroles d’Usagers André Joisin – Association UNAFAM1 1. INTRODUCTION Lorsque j’ai été sollicité par le CNRD pour m’exprimer sur la douleur induite par les soins chez les patients adultes psychotiques, j’ai longtemps hésité avant de donner ma réponse tant je craignais que la passion ne l’emporte sur la raison. Je me suis tout d’abord posé la question : la douleur induite par les soins, mais de quels soins s’agit-il ? Des soins en intra ou en extrahospitalier ? De la douleur induite par les soins ou par l’absence de soins ? La situation du patient en psychiatrie est très différente de celle d’un patient en MCO2, en raison de la nature et de la complexité de la pathologie, du comportement du malade face à la douleur physique, du repliement sur lui même, et aussi de sa stigmatisation, du rejet par son environnement, de l’isolement et… des clivages psychiatres-généralistes. Pour tenter d’étayer mes propos, je me suis rapproché des patients, des familles, des somaticiens, des psychiatres et des soignants des secteurs nord-est parisiens, afin de recueillir leurs témoignages. Nous verrons plus loin que, dans les faits, sur le terrain, notamment en extrahospitalier, le quotidien du patient psychotique est loin d’être idyllique malgré les dispositions préconisées. 2. LE CONTEXTE EN SECTEUR PSYCHIATRIQUE DU 1/4 NORD-EST DE PARIS Arrondissements concernés : 9e, 10e, 18e, 19e et 20e Population desservie : 735 362 habitants soit 1/3 de la population parisienne Croissance démographique parisienne : + 4,2 % de 2004 à 2011 Croissance de la population desservie par les secteurs psychiatriques de référence, entre 1982 et 2011 : 9,30 % contre 2,6 en moyenne sur Paris Plus de 2/3 des patients n’ont pas de « médecin traitant » en sortie d’hôpital. 60 % d’entre eux ne se sentent pas malades, 18 % n’ont pas les moyens de payer, 18 % ne connaissent pas de médecin généraliste. Population sous-médicalisée, en difficulté et vulnérable. 40 à 45% des patients sont sans logement 1 2 Union Nationale des Amis et Familles de malades psychiques Médecine Chirurgie Obstétrique Population nettement défavorisée par rapport à l’indice de développement humain. En 2011, on relevait : 188 130 pathologies mentales contre 193 027 en 2009 22 088 pathologies somatiques contre 11 862 en 2009 3. LES PATIENTS RELEVANT DU DISPOSITIF AMBULATOIRE Quelle que soit la douleur de leur proche, les familles la partagent au quotidien, 7/7j, 24/24h. La souffrance du patient est aussi la leur, qu’il soit à leur charge ou autonome. Elles ne sont guère habituées à séquencer la douleur, qu’elle soit physique, psychique ou morale. C’est avant tout un drame vécu en boucle. Que peut faire le législateur contre la douleur induite par le non-soin, la stigmatisation, l’humiliation, le rejet de l’entourage, les railleries, la maltraitance et dans les cas extrêmes, le refus de soins de certains professionnels de santé à la limite de la non assistance à personne en danger ? Ces propos peuvent choquer, paraître excessifs. Quelques exemples s’imposent : « Dans le hall d’accueil d’un organisme public de tutelle majeure, une jeune femme attend son tour pour rencontrer sa curatrice. Soudain, elle émet des gémissements puis se traîne au sol avec des cris de douleur, les mains sur l’abdomen. Le personnel, visiblement agacé par ce remue-ménage, appelle le responsable du centre. Ce dernier accompagné d’un collègue observe la scène en ricanant, caché derrière une porte entrebâillée. Il a fallu l’intervention musclée d’un témoin pour que le vigile daigne appeler les pompiers». « Une autre fois, un patient, probablement absorbé par ses chimères, se fait renversé par un motard en traversant la chaussée. Bien que spectaculaire, cette collision ne provoque, apparemment, aucune blessure. La victime gisant au sol, consciente, ne réagit pas, ne se plaint pas. Les secours la transportent aux urgences les plus proches. La mère alertée la rejoint deux heures plus tard et apprend que son transfert a été programmé vers l’unité de soins psychiatriques de son secteur. Aucun soin ne lui a été prodigué entre temps. A son arrivée en psychiatrie, on constate une plaie profonde au mollet sur une longueur de quinze centimètres». Un autre témoignage : « Une patiente polyhandicapée, souffrant d’une fracture du bras et d’une plaie au cuir chevelu (à la suite d’une chute en unité de soins) est accompagnée par un infirmier de secteur, vers une première clinique chirurgicale de proximité qui, face à une patiente psychotique, refuse la prise en charge. Il en sera de même avec la seconde clinique. La troisième, enfin, accepte de s’en occuper». Dès qu’un patient est identifié ou étiqueté psychotique, il est souvent accueilli avec une certaine appréhension, y compris par des professionnels de santé. La douleur induite par les médicaments Lorsqu’on interroge les patients sur la nature des douleurs induites par les médicaments, en extrahospitaliers, les réponses sont souvent les mêmes : prise de poids, céphalées lors d’un changement de traitement, contractures musculaires, douleurs articulaires, problèmes bucco-dentaires dus aux psychotropes, problèmes gynécologiques ….. Ces problèmes font partie de leurs préoccupations quotidiennes. A noter que les problèmes sexuels sont rarement avoués par les patients. Le suivi somatique Ainsi que nous le mentionnions précédemment, l’absence de médecin traitant, le manque d’accompagnement, la méconnaissance de l’existence ou du mode de fonctionnement des SAVS (Services d’Accompagnement à la Vie Sociale), l’insuffisance de visites à domicile, les délais de rendez-vous trop longs avec les spécialistes, les problèmes d’attente en cabinet de consultation font que, bien souvent, le patient abandonne. Des pathologies, bénignes à l’origine, finissent par atteindre des proportions préoccupantes. 4. LA SITUATION EN INTRAHOSPITALIER A contrario, en milieu hospitalier, nous avons noté une réelle prise de conscience des professionnels de santé et une sensible amélioration en matière de prise charge globale de la douleur. La reconnaissance du soulagement de la souffrance comme droit fondamental par la Loi du 4 mars 2002 et l’insertion de la traçabilité de l'évaluation de la douleur en Pratique Exigible Prioritaire (PEP12a), dans la procédure de certification V 2010, ont très certainement contribué à accélérer le processus. Les recommandations H.A.S3. – procédure de certification V 2010 Trois des 4 axes du programme national de lutte contre la douleur sont en principe actés pour l’ensemble des établissements psychiatriques parisiens : - l’amélioration de la prise en charge des douleurs des populations les plus vulnérables, - l’amélioration de la formation pratique initiale et continue des professionnels de santé, - la structuration de la filière de soins de la douleur, en particulier les douleurs chroniques dites rebelles. Les méthodes non médicamenteuses et préventives Les protocoles sont mis à la disposition des équipes. Un seul axe tarde à se concrétiser dans les services de patients adultes communicants. Je veux parler de l’utilisation des méthodes non pharmaceutiques et préventives pour une prise en charge de qualité telles que : La kinésithérapie, les techniques de relaxation, la sophrologie… Néanmoins, des points sensibles, et non des moindres, subsistent dans la majorité des hôpitaux psychiatriques. La douleur induite par la contention et l’isolement thérapeutique Les causes de dysfonctionnements sont multiples • Il existe d’importantes disparités en matière de recours à la contention physique et à l’isolement, d’un établissement à l’autre et entre les différents services d’un même établissement. • Les recommandations de l’HAS sur ce sujet concernent principalement les personnes âgées. • En psychiatrie, il n’existe pas de procédure type pour les adultes communicants. • Le manque de temps, le manque de moyens matériels et humains. • Les pratiques abusives, les solutions de facilité ou à titre « punitif ». • Les désaccords au sein des équipes. • L’absence de chevauchement d’horaires entre deux équipes. Pas de passation de consigne. 3 Haute Autorité de Santé • L’insuffisance de personnel le week-end. Un personnel intérimaire peu motivé ou peu compétent. Les conséquences • Contention non maîtrisée : desserrement des liens, chocs contre des objets fixes, déboîtement d'épaule, fractures,… • Liens trop serrés : thromboses, phlébites, abrasions, ecchymoses,.. • Incontinence. Le signalement des dysfonctionnements aux conséquences parfois dramatiques, reste toujours très discret, voire inexistant. De plus, l’absence de RMM (revue de mortalité-morbidité) pour les situations les plus graves prive la Cellule qualité de possibilité d’analyses systémiques lui permettant de répondre aux critères de certification en matière de gestion du risque. La douleur induite par les médicaments En intrahospitalier, nous retrouvons les mêmes effets indésirables qu’en ambulatoire auxquels viennent s'ajouter : • Le surdosage de médicaments • Les erreurs de médicaments : - Erreurs de prescription - Erreurs liées à la dispensation et au stockage - Erreurs liées à l’administration de médicaments Selon une enquête nationale sur les évènements indésirables graves liés aux soins observés dans les établissements de santé : - 60 000 à 130 000 EIG4/an sont en lien avec des médicaments - 15 000 à 60 000 EIG liés aux médicaments sont considérés comme évitables Mais la prise en charge de la douleur induite ne se traite pas essentiellement par la chimie ou à coup de protocoles. C’est aussi du bon sens, de l’attention, de l’écoute, de la sensibilité, de l’empathie. La perception d’une douleur n’est pas du tout la même en fonction de l’ethnie, de l’histoire 4 Evénement Indésirables Graves personnelle et familiale du patient. L’excellent film « Le corps en tête – Douleur et santé mentale » réalisé en collaboration avec le Docteur SARAVANE5 en témoigne. 5. QUELQUES PROPOSITIONS D’AXES D’AMELIORATION En ambulatoire • Développer des structures de psychiatrie de liaison ville-hôpital • Construire des outils de formation adaptés aux besoins des généralistes prenant en charge des patients psychotiques • Mettre en place une organisation permettant aux patients de bénéficier de prestations d’accès aux soins, prises en charge par un réseau ou ses partenaires des hôpitaux généraux (bilan, soins dentaires,…). En intra hospitalier • Une réflexion éthique sur la gestion des mesures de restriction de liberté, au niveau de l’ensemble des établissements parisiens. • Plus de visibilité sur le nombre et la durée des procédures d’isolement et de contention. • Préconiser, pour la psychiatrie, dans le cadre de la procédure de certification, la mise en place d’une procédure de revue de mortalité-morbidité, pour tout évènement indésirable grave. • La mise en place d’une coordination entre la cellule de Gestion des risques et la CRUQPC6 notamment à l’issue du traitement et de l’analyse des évènements indésirables graves. • Instaurer et développer une éducation thérapeutique des patients ciblée sur la iatrogénie des neuroleptiques, la prévention des facteurs à risques spécifiques identifiés en psychiatrie et la prévention et la prise en charge des co-morbidités. 6. CONCLUSION Les plaintes et réclamations des familles ne sont que la résultante d’une souffrance partagée au quotidien avec ceux qui leur sont chers. Elles peuvent paraître quelques fois démesurées, virulentes, voire non fondées mais elles ne sont que la manifestation de leur profonde douleur. 5 Dr Djéa SARAVANE, Président de l’ANPSSSM (Association Nationale pour la Promotion des Soins Somatiques en Santé Mentale), EPS Ville-Evrard, www.anpsssm.com 6 Commission des Relations avec les Usagers et de la Qualité de la Prise en Charge C’est pourquoi je tiens à rendre hommage à l’ensemble des professionnels de santé et, tout particulièrement au personnel des équipes soignantes, ces femmes et ces hommes dont le mérite est insuffisamment reconnu. Ils sont les confidents des personnes vulnérables, en perte d’identité, paupérisées, rejetées par la société. Ils sont à l’écoute de leurs souffrances, de leurs craintes, de leurs angoisses, de leur désespoir. Bien que témoins de drames, tant en intra qu’en ambulatoire, le respect du secret médical les contraint à la discrétion. Ils travaillent dans des conditions parfois difficiles, faisant preuve d’une grande modestie et, pour certains, d’abnégation au détriment de leur vie privée. Il y a quelques années, en discutant à bâtons rompus avec une cadre supérieure de santé d’un établissement public parisien, j’appris qu’elle souffrait de douleurs lombaires aiguës, suite à un accident de travail, conséquence d’une situation de violence provoquée par un patient en crise. Je lui fis remarqué qu’à sa place, j’aurai peut-être déjà demandé à changer d’affectation. Sa réponse fut spontanée : « Mais je les aime mes patients. Ils sont comme mes enfants, il faut avant tout les écouter. Ils ont besoin de beaucoup d’affection. Ils sont en souffrance permanente». Comme dans toute profession, on note parfois quelques dérives pouvant être dues, à la fatigue, à la démotivation, au « ras le bol », à des tensions au sein des services qui, du fait que les malades ne sont pas des produits de consommation mais des êtres humaines, prennent une toute autre dimension. Le système de santé mentale français n’est pas parfait mais les compétences existent. Il peut être sensiblement amélioré. Il s’agit avant tout d’une volonté politique. Si je devais m’adresser aux membres de la tutelle hospitalière, je leurs dirais : « Mesdames et Messieurs les décideurs, de temps à autre, prenez le temps d’écouter ces femmes et ces hommes qui, malgré des conditions de travail de plus en plus contraignantes, réalisent des prouesses. Donnez leur plus de moyens et vous verrez qu’ils sont capables de faire des miracles ». Au nom des usagers que je représente, je vous adresse, à toutes et à tous, un GRAND MERCI.