Urgence psychiatrique
C. Boiteux
M. Clostre
C. Querel
T. Gallarda Résumé. L’intérêt, la réflexion et le développement des urgences psychiatriques coïncident avec la
modification des différentes politiques de santé en matière d’hospitalisation psychiatrique classique, et avec
l’essor des urgences médicochirurgicales. Du fait de cette évolution et de l’augmentation des demandes de
soins en urgence, les psychiatres ont dû définir le concept d’urgence psychiatrique et, par extension, le
concept de crise. L’urgence psychiatrique comporte ainsi un aspect d’urgence des pathologies psychiatriques
avérées, et un aspect de crise sans pathologie psychiatrique d’emblée repérable. Les modalités d’accueil et les
dispositifs nécessaires à cet accueil se sont développés en lien avec cette conceptualisation. Les particularités
de prise en charge, les situations cliniques et les traitements sont définis précisément et font l’objet pour
certains de conférences de consensus, notamment la crise suicidaire, qui est au centre des demandes de soins
psychiatriques en urgence tant par le nombre que par le risque de récidive et le risque vital encourus.
©2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Mots-clés : Urgence psychiatrique ; Situations de crise ; Dispositif d’accueil de l’urgence psychiatrique
Introduction
L’urgence psychiatrique n’a longtemps été représentée que par
l’hospitalisation du patient, sous contrainte, à l’hôpital
psychiatrique, se résumant à un aspect médicolégal de l’histoire de
la maladie du patient
[28]
. L’évolution des soins psychiatriques tant
sur le plan de la chimiothérapie que sur le plan des dispositifs de
prise en charge, et l’évolution de la politique en santé mentale, ont
modifié cet abord. Dans le même temps, la demande de soins
psychiatriques en urgence n’a fait que s’accroître. Ces deux
mouvements conjoints ont obligé les psychiatres à définir l’urgence
psychiatrique et à se préoccuper de sa prise en charge
[4, 8, 18]
.
L’organisation de l’urgence psychiatrique repose sur la mise en place
de différents dispositifs d’accueil et sur une prise en charge
spécifique. Les grands cadres cliniques de cette pratique sont repérés
et peuvent donc être déclinés ainsi que les particularités de leurs
soins, certains font l’objet de conférences de consensus.
Définition de l’urgence psychiatrique
La psychiatrie s’illustre comme un domaine médical à part, en ce
qui concerne l’idée d’urgence. En effet, comme le souligne De
Clercq, l’urgence psychiatrique ne se résume pas aux seules
urgences de la psychiatrie, à savoir les moments de décompensation
de maladies psychiatriques repérées comme telles
[13]
. Depuis la
proposition de la Commission des maladies mentales en 1991, la
communauté psychiatrique définit l’urgence psychiatrique comme
une demande dont la réponse ne peut être différée. Ilyaurgence à
partir du moment où quelqu’un se pose la question, qu’il s’agisse
du patient, de l’entourage ou du médecin : elle nécessite une réponse
rapide et adéquate de l’équipe soignante, afin d’atténuer le caractère
aigu de la souffrance psychiatrique
[19, 36]
.
L’urgence psychiatrique se répartit ainsi en deux groupes :
les urgences psychiatriques pures ou vraies
[11]
ou la psychiatrie
en urgence
[13]
. Nous retrouvons dans ce cadre les caractéristiques
de toute urgence de spécialité médicale ;
les urgences psychiatriques dans lesquelles le symptôme est
d’apparence psychiatrique et la situation définie comme une crise à
laquelle le psychiatre va devoir répondre. Le concept de crise
[11]
apparaît là comme le second volet de l’abord des urgences
psychiatriques. Le cadre de l’urgence de spécialité est ici dépassé.
L’urgence, nécessitant une prise en charge mixte, psychiatrique et
médicale ou chirurgicale, nécessite un dispositif d’urgence
pluridisciplinaire, mais elle s’analyse d’un point de vue
psychiatrique comme entrant dans l’un des deux cadres
précédemment cités.
PSYCHIATRIE EN URGENCE
Les urgences psychiatriques vraies ou psychiatrie en urgence sont
estimées à 30 % de l’ensemble des demandes de soins psychiatriques
en urgence
[13, 15]
. La psychiatrie en urgence désigne les
décompensations de pathologies psychiatriques telles que les
psychoses, les troubles de l’humeur, les troubles de la personnalité
et les perversions
[29]
.
Lorsqu’une pathologie psychiatrique a déjà été diagnostiquée
auparavant, les antécédents du patient sont retrouvés soit
directement auprès du patient, soit auprès de son entourage, des
équipes des urgences ou des équipes psychiatriques. Ces
antécédents et les symptômes d’entrée dans la phase d’acuité
mettent le clinicien sur la voie du diagnostic d’épisode aigu d’une
pathologie psychiatrique. Il faut alors tenir compte du processus de
soins dans lequel le patient est engagé ou en rupture, afin de
maintenir ou rétablir une continuité et une cohérence assurant par
là même une réponse adéquate dans le cadre du dispositif
d’urgence.
C. Boiteux (Psychiatre, praticien hospitalier, coordonnateur pour le secteur 75G16 du SAU)
Adresse e-mail: [email protected]
Centre hospitalier Sainte Anne, service du Dr Gorog, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, France.
M. Clostre (Psychiatre, assistant spécialiste)
Centre hospitalier Sainte Anne, service du Dr Gorog, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, France.
Service des professeurs Loo et Olie, centre hospitalier Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, France.
C. Querel (Psychiatre, assistant spécialiste)
Centre hospitalier Sainte Anne, service du Dr Gorog, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, France.
T. Gallarda (Psychiatre, praticien hospitalier)
Service des professeurs Loo et Olie, centre hospitalier Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, France.
Encyclopédie Médico-Chirurgicale 37-678-A-10
(2004)
37-678-A-10
S’il s’agit de la première décompensation d’une pathologie
psychiatrique, le clinicien explore les antécédents familiaux,
l’anamnèse du trouble présenté, et recherche les éléments cliniques
en faveur d’une pathologie psychiatrique. Il doit alors orienter le
patient mais aussi son entourage dans le dispositif de soins
psychiatriques en place, et ce en fonction de la clinique et des
éléments de gravité de l’épisode aigu.
Par ailleurs, sont retrouvées dans ce cadre certaines urgences mixtes
comme la confusion mentale, affection somatique à masque
psychiatrique, la tentative de suicide du patient mélancolique
nécessitant une prise en charge médicale et psychiatrique, etc.
Enfin, il est important de souligner l’aspect parfois calme de ces
urgences, engageant le plus souvent le pronostic vital du patient au
regard d’autres urgences psychiatriques renvoyant à des situations
de crise plus bruyantes. Il s’agit de ne pas méconnaître ces situations
et de les orienter le plus adéquatement possible dans le dispositif de
soins psychiatriques en place.
URGENCES PSYCHIATRIQUES,
LES SITUATIONS DE CRISE
L’urgence ressentie, l’urgence subjective, représente 70 % des cas
d’intervention psychiatrique en urgence
[13, 15]
. Il ne s’agit plus ou
pas encore de maladies psychiatriques diagnostiquées et évolutives.
Cette particularité de l’urgence psychiatrique au sein de la discipline
médicale est à l’origine du développement du concept de crise. Le
psychiatre est, dans ce cadre, confronté à une situation clinique
marquée par l’instabilité
[11]
, et il ne peut que très difficilement porter
un diagnostic sûr et définitif. Cette situation de crise répond aux
critères suivants
[13]
:
demande urgente et pressante ;
demande adressée à des personnes ou structures identifiées
comme étant à même d’y répondre : médecins, thérapeutes,
travailleurs sociaux, structures d’aide psychologique ou sociale, etc. ;
demande portant sur des besoins psychiatriques, psychologiques
ou sociaux ;
demande pouvant être exprimée directement par le sujet mais
aussi par la famille, l’entourage, le médecin, le travailleur social ou
les services de police ;
demande exigeant une réponse immédiate de la part de celui à
qui la demande s’adresse.
À cette définition des urgences psychiatriques, se surajoutent
quelques particularités symptomatiques. Le symptôme dont va se
plaindre le sujet est le plus souvent somatique, cette plainte va être
considérée comme fonctionnelle par les urgentistes médecins ou
chirurgiens, et correspondre dans plus de 80 % des cas à un réel
problème d’urgence psychiatrique
[16]
. L’expression symptomatique
est caractérisée par le paroxysme, l’excès, l’explosion, elle se situe
dans le champ de l’acte et non du dire. Elle est bruyante et
mobilisatrice tant pour les familles que pour les relais sociaux ou
médicaux traditionnels : police, pompiers, SAMU, etc. Ce caractère
dramatique et explosif ne tolère pas une réponse différée et
demande le plus souvent une mobilisation de la famille dans la
tentative de réponse.
À l’émergence de ces urgences psychiatriques nombreuses sont liés
des facteurs favorisants qui ont pour point commun l’évolution
sociale récente et actuelle : la fragilité des cellules familiales, la
déliquescence des liens sociaux, l’intolérance à la différence,
l’absence d’interlocuteur médical investi de confiance
[14]
,
l’augmentation de la violence et la précarité
[11]
. La politique de santé
mentale évolue conjointement à cette évolution sociale : la fermeture
de lits dans les services de psychiatrie de secteur peut être à l’origine
de tension pour certains malades mentaux, et l’encombrement des
structures de consultations entrave ces unités dans la mise en place
d’un accueil de l’urgence. La réponse à ces urgences psychiatriques
est un enjeu pour les protagonistes de la santé mentale
d’aujourd’hui.
Organisation spécifique
de l’urgence psychiatrique
DISPOSITIFS D’ACCUEIL DE L’URGENCE
PSYCHIATRIQUE
En considérant l’urgence psychiatrique définie par les deux axes
présentés précédemment, il est aisé de saisir que les acteurs amenés
à intervenir sur le terrain de cette urgence particulière sont
multiples. Il s’agit de professionnels ou structures spécialisées, mais
aussi de professionnels ou structures non psychiatriques.
Médecins généralistes
Qu’il soit médecin de famille ou de proximité, le médecin généraliste
peut être le premier interlocuteur médical interpellé ou intervenant
dans le déroulement de l’urgence psychiatrique. Tout d’abord, les
symptômes psychiques et les troubles psychiatriques représentent
une part importante de la consultation de médecine générale. Une
étude réalisée à Paris
[24]
a relevé que 11 % des patients consultant
en médecine générale ont une plainte portant sur un problème
psychologique. Toujours dans cette même étude, parmi les patients
consultant en médecine générale et ayant pu faire l’objet d’un
entretien psychiatrique à visée diagnostique, 30 % présentaient des
troubles psychiatriques : une dépression (13,7 %), un trouble anxieux
(12 %), une neurasthénie (9 %), un alcoolisme grave ou une
dépendance alcoolique (10 %). Ces chiffres reflètent combien le
médecin généraliste est pris dans le dispositif de soins
psychiatriques. Il est un relais qui permet d’adresser le patient aux
médecins spécialistes dans le cadre de l’urgence psychiatrique, que
cela soit vers l’hôpital général ou vers le dispositif spécifique
psychiatrique
[5]
.
En médecine générale, l’urgence psychiatrique présente le plus
souvent les caractéristiques de la situation de crise. L’enjeu est donc
d’inscrire les médecins généralistes dans le dispositif spécialisé
spécifique de cette urgence particulière, afin de rompre leur
isolement et de permettre une évaluation précise et psychiatrique
de la situation qui ne renvoie pas toujours à une nécessité
d’hospitalisation en unité psychiatrique
[13]
. Pour répondre à cet
enjeu, il est nécessaire de réfléchir en termes de réseau de soins et
de rendre celui-ci lisible par tous et facile d’accès.
SAMU
L’intervention des Services d’aide médicale urgente (SAMU) dans le
champ de l’urgence psychiatrique est avant tout centrée sur la prise
en charge des urgences de la psychiatrie évidentes telles que la
tentative de suicide, le délire aigu
[13]
, mais elle se cantonne de moins
en moins à cet axe de l’urgence psychiatrique. En effet, ces services
sont repérés par la population comme étant un accès rapide, efficace
et sûr à des soins médicaux. Ils représentent l’interlocuteur ultime
reconnu comme le plus à même de répondre à la demande au moins
sur le plan de l’orientation dans le système de soins qui demeure
complexe
[7]
. Au-delà de l’organisation de la prise en charge
médicopsychologique des catastrophes ou événements à fort
retentissement psychologique, les équipes de SAMU développent
des réponses spécialisées face à l’augmentation des appels en
rapport avec l’urgence psychiatrique. Elles ont recours aux
psychiatres de l’unité de prise en charge médicopsychologique des
catastrophes : ces derniers, intervenant dans un réseau mêlant
hôpital général et psychiatrique, régulent ces appels et permettent
une première réponse sous forme d’orientation. Là encore apparaît
la nécessité d’une réflexion sur l’organisation en réseau dans laquelle
les SAMU doivent s’inscrire afin de faciliter la réponse et
l’orientation de l’urgence psychiatrique.
Hôpitaux généraux
L’urgence médicochirurgicale s’est développée en relation avec la
croissance économique et la demande pressante de soins immédiats
induite par les progrès techniques de la médecine
[28]
. Sa pratique
37-678-A-10 Urgence psychiatrique Psychiatrie
2
est donc repérée comme une offre de soins immédiate, efficace et
capable d’arrêter rapidement tout processus renvoyant à la
souffrance et à l’insupportable. Cette idée de soulagement rapide de
la souffrance, l’accessibilité de ces services et la précarité sociale ou
des liens sociaux font du service des urgences de l’hôpital général
un lieu de soins de plus en plus visité. Pour exemple, en 1998, en
France, neuf millions de personnes ont consulté dans un service
d’urgence, soit une personne sur sept
[35]
;10à30%deces
consultations nécessitaient un abord psychiatrique
[36]
.
De ce fait, il a été nécessaire de mettre en place une véritable
organisation hiérarchisée des urgences générales, organisation au
sein de laquelle la prise en charge de l’urgence psychiatrique est
reconnue comme un élément indispensable
[20]
. Le décret du 9 mai
1995 définit l’organisation du plateau technique et les moyens en
personnels médicaux et paramédicaux des services accueillant toute
urgence à l’hôpital général. La présence d’un dispositif psychiatrique
se décline de la manière suivante
[23]
:
pour les services d’accueil et de traitement de l’urgence ou SAU,
la présence d’un psychiatre est requise 24 heures sur 24, ainsi que
celle d’un infirmier ayant acquis une expérience professionnelle dans
un service de psychiatrie ;
pour les autres structures comme les unités de proximité d’accueil,
de traitement et d’orientation des urgences ou UP, l’équipe médicale
doit pouvoir faire venir un psychiatre à tout moment. La présence
d’un infirmier psychiatrique ayant acquis une expérience dans un
service psychiatrique est là encore nécessaire.
Les hôpitaux généraux accueillant un SAU ou une UP doivent être
liés par une convention avec les hôpitaux de secteur psychiatrique
concernés par la population accueillie aux urgences. Cette
convention a pour objectif de définir les modalités d’intervention et
d’articulation entre l’accueil de l’urgence psychiatrique à l’hôpital
général et la psychiatrie de secteur.
Deux types de structure prenant en charge l’urgence psychiatrique à
l’hôpital général se sont développées dans ce cadre :
l’unité d’accueil des urgences psychiatriques située à proximité
des urgences médicochirurgicales, mais sans y être implantée tant
en ce qui concerne l’unité de lieu qu’en ce qui concerne l’unité
administrative. Cette unité fonctionne comme une unité d’urgence
psychiatrique autonome 24 heures sur 24 avec une équipe médicale
et paramédicale complète. Le recours aux médecins somaticiens est
facilité par sa localisation ;
l’unité fonctionnelle psychiatrique intégrée au service des
urgences médicochirurgicales tant au niveau du lieu que de l’unité
administrative. Un psychiatre senior et un infirmier accueillent et
assurent la prise en charge de l’urgence psychiatrique en très étroite
collaboration avec l’équipe médicochirurgicale.
Le partenariat entre urgentistes somaticiens et psychiatres permet
au dépistage de cette urgence de s’effectuer sans encombre : suite à
une orientation vers l’équipe psychiatrique par le médecin
somaticien, peu de patients sont identifiés comme « sans
caractéristique d’urgence psychiatrique » ou sans diagnostic, et peu
ne sont pas orientés dans le système de soins en aval de l’urgence
psychiatrique
[35]
. Le recours à l’équipe psychiatrique correspond, par
ordre de fréquence décroissante, à une évaluation des troubles
suivants : conduites suicidaires, états anxieux, idées dépressives,
idées délirantes et états d’agitation
[23]
.
Certaines de ces unités disposent, au sein même de l’hôpital général,
d’unité d’hospitalisation de courte durée pouvant être individualisée
comme telle ou mêlée au service d’hospitalisation courte dit service
porte médicochirurgical. Ces unités permettent une évaluation à
distance de la crise et une adaptation plus précise de l’orientation
du patient dans le réseau de soins psychiatriques. Dans ce cadre, il
est observé que près d’un quart des patients est orienté vers des
unités d’hospitalisation spécialisée, alors que plus de la moitié décrit
une amélioration de son état psychique et psychiatrique au cours de
cette hospitalisation brève
[23]
, amélioration qui permet une
orientation sur une structure de soins psychiatriques ambulatoires.
Ce dispositif d’accueil des urgences à l’hôpital général apparaît
comme très précieux dans l’arsenal des soins psychiatriques.
Cependant, son exercice nécessite des liens forts entre équipes,
qu’elles soient médicochirurgicales ou psychiatriques. La question
du temps nécessaire au traitement de cette urgence particulière est
souvent soulevée par les urgentistes somaticiens : celui de l’urgence
psychiatrique s’avère plus long que celui d’une urgence
médicochirurgicale, ce qui pose un problème de codification
quantitative mais aussi qualitative des soins psychiatriques en
urgence. Enfin, le champ d’intervention du psychiatre s’avère très
vaste aux urgences de l’hôpital général, puisqu’il faut faire face à
des situations moins psychiatriques que dues aux orientations de la
société actuelle comme la médicalisation et surtout la
psychiatrisation de l’urgence sociale
[6]
.
Structures spécialisées en psychiatrie publique
Il s’agit souvent d’un second circuit de l’urgence psychiatrique
articulé aux circuits précédemment décrits selon les réseaux ou
partenariats formels ou informels existant localement. Il s’agit de la
réponse mise en place par les équipes de l’hôpital psychiatrique
proprement dit, les équipes de secteur psychiatrique.
Équipes psychiatriques mobiles
La création de telles équipes dans quelques pays européens,
notamment en France, est le résultat d’une réflexion portée
conjointement sur l’urgence psychiatrique et les solutions
d’alternative à l’hospitalisation, sans idée de se substituer à
l’hospitalisation classique qui doit garder sa place quand l’indication
est clairement posée. En France, un service mobile d’urgence
psychiatrique accessible 24 heures sur 24 a vu le jour en 1994, après
une longue réflexion et élaboration en réponse avant tout aux
difficultés rencontrées face à l’institutionnalisation et à la nécessité
politique de mise en place d’autres systèmes de soins
[21]
. Il s’agit de
l’équipe rapide d’intervention de crise dite ERIC. Cette unité
intervient sur un large bassin de population, soit 300 000 habitants.
Son organisation est très précisément définie
[21, 31]
. L’accès au service
est réservé aux professionnels et les appels du public sont régulés
par le SAMU. Ainsi, le système est associé à un réseau primaire de
soins, il peut filtrer les urgences somatiques nécessitant un transfert
à l’hôpital général, ainsi que les demandes purement sociales ou
relevant de l’ordre public. L’équipe est composée de psychiatres,
d’un psychologue, d’infirmiers et d’un cadre infirmier et enfin d’une
secrétaire. Les interventions sont effectuées par un binôme :
psychiatre et infirmier ou psychiatre et psychologue. Suite à un
appel signalant une urgence psychiatrique, le principe d’ERIC est
de proposer soit une intervention de son équipe au domicile du sujet
concerné en présence de sa famille ou de ses proches, soit une
consultation en urgence dans les locaux de l’unité mobile, entretien
auquel sont conviés le sujet, sa famille ou ses proches. L’approche
du trouble ou de la crise se fait selon une orientation systémique. À
l’issue de ce premier contact, une prise en charge est proposée
[21]
au
patient et à son entourage :
35 % des patients sont hospitalisés dont 10 % en hospitalisation
librement consentie, 7 % en hospitalisation sous contrainte et 18 %
en lit porte pour 48 heures d’observation et de soins ;
59 % restent au domicile et bénéficient de soins de posturgence
dans 76 % des cas, ces soins étant assurés par l’équipe ERIC elle-
même pour une durée moyenne de 14 jours, mais pouvant s’étendre
à 1 mois. Au décours, un suivi psychiatrique en service public ou en
libéral peut être organisé ;
3 % rejettent l’intervention proposée.
Cette expérience originale montre la pertinence de la prise en charge
de l’urgence psychiatrique intégrée à un réseau de soins : l’accès aux
soins est facilité, le traitement ambulatoire est rendu possible par
une organisation d’aval coordonnée à l’équipe d’urgence, et
l’impasse n’est pas faite sur la dimension d’hospitalisation si celle-ci
relève d’une indication définie au préalable d’un point de vue
psychiatrique mais aussi définie avec le patient et son entourage.
Psychiatrie Urgence psychiatrique 37-678-A-10
3
L’équipe ERIC est une des voies dans laquelle les équipes
psychiatriques peuvent s’engager pour répondre aux exigences
conjointes et pressantes de prises en charge de l’urgence
psychiatrique et de la désinstitutionnalisation.
Il existe aussi des tours de garde organisés par des psychiatres
libéraux se déplaçant à domicile. L’appel du patient ou de son
entourage est réceptionné, fait l’objet d’une régulation, puis un
psychiatre se rend à domicile, sur les lieux mêmes de la crise. Ce
dispositif s’articule nécessairement avec les structures prenant en
charge l’urgence psychiatrique, mais aussi les structures classiques
de soin spécialisé.
Centres d’accueil et de crise
Ici encore, la création de ces centres est le résultat de la réflexion des
équipes de psychiatrie face à la nécessité éthique et la pression
politique et sociale de désinstitutionnalisation. Leur mise en place a
été motivée avant tout par le projet d’une réponse plus efficace et
dynamique à la demande d’hospitalisation
[1]
. Le domaine
d’application de tels centres est l’intervention de crise, ils ont une
fonction d’alternative à l’hospitalisation : les objectifs de prévention,
d’accueil, d’intervention en urgence et de traitement intensif, hors
hospitalisation traditionnelle, sont liés, de par ce dispositif, à la
continuité des soins nécessaire au patient et à son entourage et à la
mission de psychiatrie publique. Une équipe à Genève a ainsi mis
en place une expérience novatrice
[2]
sous la direction d’Andréoli. Il
s’agissait de créer une structure véritablement alternative à
l’hospitalisation, alliant thérapeutiques psychiatriques de type
résidentiel ou occupationnel. Le dispositif de prise en charge de la
crise se nomme Centre de thérapie brève ou CTB, et regroupe des
professionnels de santé formés à la prise en charge de la crise :
psychiatres, psychanalystes et infirmiers psychiatriques. Cette
équipe se veut disponible et mobile. Elle s’est dotée de locaux dont
l’infrastructure est souple : une pièce peut être bureau d’entretien,
chambre ou lieu de traitement spécialisé selon le moment et le
besoin de l’équipe. Le CTB a pour objectif de prendre en charge les
patients sollicitant massivement les équipes de soins, selon des
modalités cliniques aussi bien médicales que sociales ou
psychothérapeutiques. La prise en charge proposée est donc
polyvalente, elle est singulière à chaque patient, ses buts sont établis
précisément et font l’objet d’une réflexion menée par l’ensemble des
intervenants du CTB. Elle se limite à 2 mois et nécessite une
articulation avec les soins psychiatriques d’aval.
Des centres d’accueil et de crise ont vu le jour à la suite de cette
expérience d’Andréoli et de son équipe, que ce soit au Canada, en
France ou en Suisse. La plupart n’ont pas opté pour une solution de
soins de crise en ambulatoire quasi exclusifs, et ont choisi l’option
du centre de crise avec hébergement pour une durée limitée. Dans
le cadre d’un fonctionnement 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et d’un
accès facilité par une implantation hors les murs de l’hôpital
psychiatrique, les centres d’accueil et de crise interviennent donc
idéalement dans le dispositif de l’urgence. Ils peuvent l’accueillir,
l’évaluer sans trop de contraintes de temps, porter un diagnostic de
la situation ou du trouble en cause, mettre en place une stratégie
thérapeutique qui peut comprendre une hospitalisation brève sur
place avec un relais ultérieur sur d’autres structures. Ils permettent
d’éviter de multiplier les hospitalisations classiques, représentant
une des structures alternatives à l’hospitalisation.
Il est là encore important de noter l’indispensable inscription d’une
telle unité dans le réseau des soins de l’urgence psychiatrique. En
effet, pour être une réponse à l’urgence, ces centres se doivent de ne
pas être centrés sur leur fonctionnement propre et de s’inscrire dans
le projet général de politique des soins.
Unités d’accueil et d’orientation
Ces unités répondent à une demande de soins s’inscrivant dans le
circuit psychiatrique spécifique. Il s’agit d’unités de filtrage
secondaire de l’urgence psychiatrique situées dans l’enceinte des
hôpitaux psychiatriques ; néanmoins tous n’en sont pas dotés. Les
patients reçus dans ces unités sont souvent déjà connus des équipes
spécialisées. Ces sujets ou leurs familles connaissent l’organisation
de l’accueil de l’urgence psychiatrique et s’adressent directement à
la structure pouvant répondre au plus vite à leur demande, souvent
demande d’hospitalisation. Ces unités reçoivent aussi les patients
adressés par d’autres acteurs de santé qui, connaissant les
antécédents de prise en charge du sujet, s’adressent alors à la
structure identifiée comme pouvant répondre spécifiquement à
l’urgence présentée.
Il existe deux structures spécifiques à Paris
[23]
: le Centre
psychiatrique d’orientation et d’accueil ou CPOA et l’Infirmerie
psychiatrique de la Préfecture de Police de Paris ou IPPP. Le CPOA
est une unité située au sein du centre hospitalier Sainte-Anne
assurant les missions d’accueil, d’examen psychiatrique et
d’orientation. Le fonctionnement de cette unité permet pour tout
patient l’accès à une structure de soins spécialisés, en favorisant la
dynamique de continuité des soins quand ceux-ci existent ou ont
existé antérieurement mais sont l’objet d’une rupture. Le CPOA
centralise de nombreuses informations concernant les soins des
patients reçus, et les met à disposition des différentes structures
parisiennes de soins psychiatriques grâce à une permanence
téléphonique. Il assure par ailleurs des fonctions d’unité
d’hospitalisation brève pour adolescents et jeunes adultes. L’IPPP
est un service interne à la Préfecture de Police spécifique à Paris et
son fonctionnement répond aux articles de loi statuant sur
l’hospitalisation sous contrainte en cas de mise en danger d’autrui
ou de l’ordre public. Cette structure possède 22 lits d’hospitalisation
brève puisqu’elle ne peut excéder 48 heures. Les sujets sont amenés
par la police, l’admission est demandée par le commissaire après
avis médical dans des situations de troubles du comportement
mettant en danger le sujet et autrui, ou dans des situations
médicolégales. Les patients sont alors mis en observation avant
d’être orientés à 40 % en hospitalisation d’office, à 17 % en
hospitalisation à la demande d’un tiers et à 40 % en hospitalisation
libre ou sortie définitive.
L’urgence psychiatrique reconnue comme une réelle entité est
complexe dans son expression et les intervenants sollicités par elle
sont nombreux et proposent de ce fait de multiples réponses. Ces
dispositifs variés sont précieux quant à la qualité des réponses qui
peuvent être données, mais cette qualité n’existe et est optimisée
uniquement lorsque chaque dispositif est intégré au système global,
que des liens, des associations, des partenariats se créent et sont
opérationnels entre les différents acteurs de cette urgence
psychiatrique formant un réseau de soins opérationnel.
PRISE EN CHARGE DE L’URGENCE PSYCHIATRIQUE
La prise en charge de l’urgence psychiatrique ne se limite pas à une
simple consultation aboutissant à un diagnostic approximatif et à
une orientation en consultation ou en hospitalisation du patient
[13]
.
Si tel est le cas, la prise en charge de l’urgence risque de recourir
plus que nécessaire à l’hospitalisation ou d’adresser en consultation
sans résultat dans 90 % des cas, le concept d’urgence psychiatrique
n’est pas respecté, la prise en charge est désarticulée du dispositif
de soins en place, inopérante.
Préparation de l’entretien psychiatrique
Il s’agit de collecter le maximum d’informations concernant le
patient et son arrivée en urgence. C’est un temps nécessaire à la
compréhension de l’urgence qui fait participer différents acteurs
quand ils sont représentés : médecin adresseur, famille ou proches
accompagnant le patient, équipe médicale des urgences, équipe
psychiatrique, équipe infirmière, travailleurs sociaux et patient. Ce
recueil d’informations permet de saisir qui est à l’origine de la
demande de soins en urgence, quel est le symptôme ou la situation
d’appel, quels sont les résultats de l’examen du médecin adresseur
ou du somaticien des urgences, quelles sont les premières
observations de l’équipe infirmière concernant le patient et son
entourage. Il permet de préciser auprès d’une équipe psychiatrique,
si elle est en place, quels sont les antécédents du patient ainsi que le
dispositif de soins en cours ou non.
37-678-A-10 Urgence psychiatrique Psychiatrie
4
Analyse de la demande
Dans le cadre particulier de l’urgence psychiatrique, il s’avère
important de s’intéresser à quatre axes ne relevant pas uniquement
du symptôme et du diagnostic du trouble éventuel
[37]
. Ces axes
correspondent à l’analyse de la demande formulée par le patient et
son entourage. Ainsi, devront être explorés le choix du lieu de
consultation en urgence, les protagonistes de cette urgence, le
symptôme présenté et son sens pour les protagonistes, enfin,
l’arrivée dans la structure prenant en charge l’urgence.
Résultat de l’entretien psychiatrique
L’examen psychiatrique, qui va demander un temps de résolution
important et qui va impliquer de nombreux protagonistes,
permet
[34]
:
une évaluation clinique et une ébauche diagnostique ;
une prise de décision thérapeutique et une orientation dans le
dispositif de soins psychiatriques d’aval ;
une dédramatisation de la situation.
L’entretien est thérapeutique puisque le patient peut exprimer ses
affects, dire sa demande et être ainsi apaisé de l’angoisse. L’examen
psychiatrique, ce contact en urgence, joue un rôle prépondérant dans
l’investissement des soins proposés ultérieurement.
Intervention de crise
Certaines équipes, fortes de leur expérience de l’urgence
psychiatrique, ont mis en place un dispositif permettant
l’intervention de crise à partir du constat suivant
[15]
: la majorité des
situations de crise ne peuvent pas être abordées en un seul entretien
et l’envoi en consultation aboutit dans seulement 10 % des cas.
Ces équipes assurent une série d’entretiens sur les lieux mêmes de
la première consultation d’urgence. Il s’agit de la phase d’interaction
de crise
[2]
. Les interventions définies dans ce cadre sont les
suivantes :
le premier entretien regroupant le patient et sa famille, le
psychiatre et le médecin somaticien précise la demande et la
situation du patient et de sa famille à l’égard de l’entretien
psychiatrique ;
un à plusieurs entretiens individuels avec le patient ;
un à plusieurs entretiens avec la famille ou l’entourage ;
un hébergement de 24 à 48 heures maximum en lit de crise pour
le patient ;
une prescription d’un traitement psychotrope ayant pour but
l’apaisement des troubles comportementaux, de l’angoisse et des
troubles du sommeil.
Il s’agit de créer une alliance entre l’équipe psychiatrique, le patient
et sa famille, et de permettre au patient et à son entourage de
s’investir comme sujets de leur histoire, capables de choix dont celui
de poursuivre le travail engagé lors de la crise sous d’autres formes
et dans d’autres lieux. L’intervention de crise s’effectue sur quelques
jours à 6 semaines. L’articulation est nécessaire avec les structures
de soins situées en amont et en aval de l’urgence psychiatrique.
Hospitalisation
Les troubles relevant de la psychiatrie en urgence peuvent nécessiter
une hospitalisation en milieu spécialisé. La décision doit être rapide
devant la dangerosité du tableau clinique pour la santé du patient.
L’intervention de crise n’est pas indiquée dans ce cas. Ces troubles
peuvent demander une mesure d’hospitalisation sous contrainte ou
internement afin de protéger le patient contre lui-même.
Toute situation psychiatrique où le patient court un risque vital ou
représente un danger pour autrui et toute situation nécessitant un
traitement requérant une surveillance médicale et infirmière de
façon soutenue doivent faire prendre la décision d’hospitaliser le
patient en milieu psychiatrique.
Certaines urgences dites mixtes telles que la confusion ou le
delirium tremens nécessitent quant à elles une hospitalisation en
urgence en service médical.
Situations cliniques d’urgence
psychiatrique
Les symptômes et les situations de crise qui amènent les patients à
rencontrer le psychiatre ou l’équipe psychiatrique en urgence sont
déclinés ici. Selon les particularités déjà définies de l’urgence
psychiatrique, il ne s’agit pas d’emblée de pathologies
psychiatriques évidentes et diagnostiquées comme telles.
CRISE SUICIDAIRE
Données générales sur la crise suicidaire
La crise suicidaire est définie
[12]
comme une crise psychique dont le
risque majeur est le suicide du sujet. Cette crise correspond à un
moment d’échappement au cours duquel les moyens de défense de
l’individu sont insuffisants, rendant ce dernier vulnérable, en
situation de souffrance et de rupture, ce qui peut le mener au geste
suicidaire. La crise suicidaire est un état réversible et temporaire,
non classé nosographiquement ; la tentative de suicide est une des
manifestations possibles de cette crise. La sémiologie varie d’un sujet
à l’autre, en fonction des pathologies associées, des facteurs de
risques et des conditions d’observation.
Les études épidémiologiques en France
[34]
notent un taux de
12 000 suicides par an soit 20 pour 100 000 habitants, chiffre qui
serait sous-estimé de 20 %, et 150 000 passages à l’acte suicidaire,
chiffre qui serait sous-estimé de 30 %. Les gestes suicidaires sont
dans 30 à 50 % des cas des récidives et ils donneront lieu dans 1 à
3 % des cas à un suicide dans l’année qui suit. La conduite suicidaire
correspond à 36 % des demandes d’avis psychiatriques dans les
services d’urgence, ce qui la place en première ligne des demandes
d’évaluation psychiatrique.
Évaluation de la crise suicidaire
L’évaluation de la crise suicidaire doit tenir compte des aspects
plurifactoriels de cette crise, elle doit faire partie intégrante d’une
appréciation globale du sujet et du contexte psychopathologique
dans lequel il se situe. Il s’agit de rechercher les facteurs de risque,
les événements de vie et les facteurs de protection en jeu.
Les facteurs de risque se déclinent en trois catégories (Tableau 1) :
les facteurs primaires interagissent entre eux, ils ont une valeur
d’alerte importante au niveau individuel et sont influencés par les
traitements ;
les facteurs secondaires peuvent être observés dans l’ensemble de
la population, ils sont faiblement modifiés par la prise en charge et
n’ont qu’une faible valeur prédictive en l’absence de facteurs de
risque primaire ;
les facteurs tertiaires peuvent être modifiés et n’ont de valeur
qu’en association aux facteurs de risques primaires et secondaires.
Les suicidants présentent quatre fois plus d’événements de vie dans
les 6 derniers mois que la population générale, et 1,5 fois plus que
Tableau 1. Facteurs de risque de la crise suicidaire
Facteurs primaires Facteurs secondaires Facteurs tertiaires
Troubles psychiatriques Pertes parentales précoces Sexe masculin
Antécédents personnels et
familiaux de suicide Isolement social Grand âge ou jeune âge
Chômage Période de vulnérabilité
Communication d’une
intention suicidaire ou
impulsivité
Difficultés financières et
professionnelles
Événements de vie négatifs
Psychiatrie Urgence psychiatrique 37-678-A-10
5
1 / 12 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !