Le pied neurovasculaire : aspects cliniques et neurologique

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Angio-Frontière
Le pied neurovasculaire :
aspects cliniques
et neurologique
J.M. Mussini*
ied complexe, le “pied neuroPpluritissulaires
vasculaire” intrique des lésions
causées conjointe-
ment par une neuropathie périphérique et une ischémie
d’origine artérielle. L’ischémie
artérielle lèse le nerf par infarctus
tronculaires, ou infarcissements
hémorragiques sous-périneuraux,
et entraîne une dégénérescence
des terminaisons nerveuses. La
polyneuropathie périphérique
fragilise le tronc nerveux ; elle
peut parfois déclencher une réaction spastique sympathique qui
accroît l’ischémie tissulaire.
L’intervention d’un facteur neurologique se juge devant l’anesthésie d’une plaie manifestement
vasculaire et la localisation des
plaies aux points d’appui avec
durillon. L’électrophysiologie affine l’examen clinique, mais
d’autres examens doivent le compléter. L’atteinte nerveuse associée
à l’atteinte vasculaire constitue un
facteur pronostique aggravant,
avec une contradiction de base
entre la mobilisation du membre
nécessitée par l’artériopathie et
l’immobilité imposée par la composante neurologique.
* Nantes.
Le pied neuro-vasculaire associe toutes
les conséquences des lésions, fonctionnelles ou non, d’une neuropathie périphérique et d’une ischémie d’origine
artérielle. C’est la base même du “pied
diabétique” complexe. Toute lésion
artérielle sévère retentissant sur l’innervation sensitivo-motrice et végétative
du pied, l’inverse étant également vrai –
toute neuropathie sévère pouvant diminuer la vascularisation distale –, il en
résulte un tableau relativement univoque quelle que soit l’étiologie, où il
est toujours très difficile de déceler
quelle atteinte, vasculaire ou neurologique, est primaire et prédominante.
Physiopathologie
De l’artère vers le nerf
L’artériopathie a des conséquences
directes sur le nerf périphérique. Il
s’agit souvent de lésions d’infarctus
tronculaire, résultant d’une ischémie
directe, dans les occlusions thrombotiques distales ou semi-distales sans
reperméabilisation, d’embolies calcaires ou cholestéroliques. Le nerf est
irrigué par les vasa nervorum constitués
en un réseau anastomotique particulièrement dense qui explique qu’une
occlusion unique extrêmement distale
ne peut avoir de conséquence majeure,
alors que les occlusions multiples distales, comme les réalisent les angéites
nécrosantes ou des pluies d’emboles de
cholestérol, ou encore une ischémie
plus proximale et étendue sur l’ensemble
d’un lit dépendant d’un tronc vasculaire
unique (occlusion thrombotique ou
embolique d’une artère iliaque), vont
pouvoir déclencher des lésions ischémiques des fascicules nerveux.
Il peut y avoir également infarcissement hémorragique sous-périneural
lors de la revascularisation chirurgicale
d’un membre ischémié. Le phénomène
peut être favorisé par l’utilisation des
anticoagulants ou des thrombolytiques,
mais il se produit également spontanément en l’absence de tout trouble de la
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coagulation. Ces phénomènes, souvent
négligés, rentrent problablement en ligne
de compte dans un grand nombre de neuropathies séquellaires d’ischémie aiguë
maintenant rapidement et correctement
revascularisée.
Au total, on peut affirmer (7) que les
altérations anatomiques sont la conséquence de l’addition d’épisodes ischémiques aigus suivis de reperfusion et
d’une hypoxie chronique des troncs
nerveux.
Enfin, notamment chez l’artéritique
chronique, l’ischémie tissulaire cutanée
ou sous-cutanée entraîne une dégénérescence des terminaisons nerveuses, à
ce niveau essentiellement sensitive, en
même temps que la sclérose ischémique du derme va étouffer petit à petit
les systèmes spécialisés de réception
sensorielle.
À ces altérations progressives, résultat
d’une ischémie chronique, peuvent se
surajouter des complications aiguës,
lésions nécrotiques musculaires et syndromes de loge, qui compliquent la
situation locale (2).
Du nerf vers l’artère
En cas d’atteinte nerveuse, il peut exister une réaction spastique, dépendant
du système sympathique, qui accroît
l’ischémie tissulaire. Elle est mal
explorée, mais les expériences pratiques de chacun concernant l’évolution
des symptômes neurologiques après
réchauffement du membre, ou par
extrapolation avec les phénomènes vasculaires de type Raynaud que l’on voit
dans les canaux carpiens, montrent
l’importance de ce phénomène. En
effet, les grandes fibres myélinisées de
la conduction proprioceptive consciente
ou inconsciente sont les premières à
souffrir de l’ischémie ; les petites fibres
myélinisées de la sensibilité thermoalgique et les fibres non myélinisées du
contingent sympathique sont très relativement épargnées dans un premier
temps. Leurs afférences physiologiques
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se trouvent “amplifiées” par la perte du
contrôle des grandes fibres déjà
détruites (“théorie de La Porte”), en
même temps que l’ischémie tissulaire
distale accroît l’hyperexcitabilité de ces
fibres par la production de substances
algogènes irritantes.
Aux conséquences éventuelles et
directes d’une interruption du flux sanguin plus ou moins importante se surajoutent des pathologies nerveuses
périphériques propres, comme la neuropathie diabétique dégénérative ou la
polyneuropathie toxique éthylique, qui,
en fragilisant les troncs nerveux, prédisposent aux symptômes distaux.
Les troubles trophiques
Leur développement fait ressortir
comme élément dominant l’insensibilité
(8). Le développement de la neuropathie périphérique s’accompagne d’une
dégénérescence des fibres sensitives,
dégénérescence axonale qui prive véritablement les tissus des récepteurs spécialisés participant à l’alerte nociceptive
aussi bien qu’à la régulation proprioceptive, dégénérescence schwannienne de la
gaine de myéline, qui ralentit puis interrompt la transmission de l’influx nerveux dans des régions qui possèdent
encore des récepteurs sensitifs.
L’analgésie ainsi produite, tant cutanée
que sous-cutanée, y compris osseuse, a
pour corollaire la perte de la protection
sensorielle. À partir de cet instant disparaissent les mouvements infimes
mais constants qui permettent de régler
en permanence les forces d’appui sur la
semelle plantaire et sur les orteils pour
les protéger. Il apparaît des zones d’hyperappui avec attrition tissulaire sur lesquelles se développe un durillon par
hyperkératose ; ce phénomène mécanique initial de protection deviendra
secondairement un facteur d’agression
et de camouflage des lésions sousjacentes. L’hyperpression se transmet
jusqu’à la charpente osseuse qui, ellemême privée de ses efférences et afférences nerveuses, modifie le métabolisme ostéoblastique et ostéoclastique.
Act. Méd. Int. - Angiologie (15) n° 4, avril 1999
Ces phénomènes sont exagérés par
l’immobilité relative du pied. Cette
immobilité trouve son origine également dans la désafférentation sensorielle.
La perte de la sensibilité viscérale
inconsciente amenée par les grandes
fibres myélinisées issues des organes
tendineux de Golgi, des mécano-récepteurs divers, des fuseaux neuro-musculaires, entraîne une disparition des mouvements réflexes d’adaptation posturale
fine au niveau des pieds. D’autre part, le
développement, même modeste, d’une
dénervation musculaire va contribuer à
cette immobilisation podale, aggravant
les hyperappuis pathologiques.
Enfin, la dénervation autant que l’ischémie tissulaire vont entraîner des
rétractions musculaires avec apparition
de griffes des orteils, secondaires au
déséquilibre induit entre les muscles
antérieurs et supérieurs – extenseurs –,
par rapport aux muscles postérieurs et
inférieurs – fléchisseurs –, plus toniques.
L’apparition de nouvelles zones d’appui
est donc conditionnée par ces facteurs et
la répétition des microtraumatismes,
l’apparition possible d’infections, d’infarctus osseux... entraînent rapidement
un bouleversement architectural global
au niveau du pied.
La composante végétative, si elle est
importante sur le plan du pronostic
vital, notamment cardiovasculaire, où
existe une corrélation entre les tests de
dénervation cardiaque et le risque de
mortalité chez le diabétique présentant
une dysautonomie, si elle joue un grand
rôle dans l’inconfort du patient (hypotension orthostatique, impuissance,
troubles du transit...), n’a qu’un rôle
mineur et secondaire par rapport à la
composante sensitive dans la genèse
des troubles trophiques. Il n’y a jamais
de troubles neurotrophiques lorsque
existe seule une neuropathie végétative.
Aucune corrélation n’est donc possible
entre l’importance clinique de la neuropathie périphérique dégénérative et
l’existence ou le développement ultérieur de troubles trophiques.
Dans tous les cas, enfin, l’ischémie tis-
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sulaire majore la neuropathie périphérique d’une part, sensibilise les différentes structures organiques à la nécrose
d’autre part, et fait donc le lit de la surinfection.
Clinique
Devant certaines modifications trophiques de l’extrémité podale chez un
patient souffrant à l’évidence de lésions
vasculaires, des traits sémiologiques
précis doivent faire évoquer l’intervention d’un facteur neurologique (6).
• Une douleur artérielle est “nette”,
constrictive et térébrante dans l’ischémie aiguë, à type de crampes au cours
de l’ischémie chronique. Par contre,
des phénomènes dysesthésiants et
paresthésiants, avec hyperesthésie de
contact ou anesthésie à certaines sensations, la présence de picotements,
de sensations vaguement prurigineuses, de phénomènes associant
impressions brûlantes et réfrigérantes,
relèvent d’une composante neurologique, de même que des douleurs
névritiques en éclair, lorsqu’il n’existe
pas d’amputation avec névrome.
À l’inverse, l’absence de toute douleur
de plaies profondes est quasi pathognomonique d’une anesthésie neurologique. Une plaie vasculaire doit être
sensible ; sinon, il s’agit très vraisemblablement d’un mal perforant pur
ou mixte avec une forte composante
neurologique.
• Le mal perforant est une lésion sur un
point d’appui. L’existence de durillons
sur ces points d’appui, qu’ils soient
physiologiques sur un pied sans déformation particulière en podoscopie, ou
acquis sur des pieds remaniés, doit faire
rechercher des signes de polyneuropathie périphérique.
• Cette recherche clinique porte donc
principalement sur la sensibilité. On
recherchera la sensation à la piqûre
dans les régions périunguéales,
généralement libres de toute hyperkératose et très sensibles, au creux
de la voûte plantaire, dans les régions
rétro-malléolaires ou sur le dos du pied.
La sensibilité thermique (chaleur) est
facilement explorable et très sensible.
Sur un pied enraidi, on préférera apprécier la sensation vibratoire avec un diapason neurologique à 128 Hz à celle du
sens arthrostatique ou arthrocinétique.
La répartition inhomogène, “en patchwork”, des troubles sensitifs et leur prédominance unilatérale sont fréquentes
lorsque l’origine de la neuropathie est
purement ischémique. Le développement d’esthésiomètres spécifiques (tactile
discriminatif, thermique, vibratoire...)
et automatiques, théoriquement intéressant autant dans le dépistage que dans
le suivi évolutif d’une neuropathie, est
limité par le coût prohibitif des appareillages, tous dissemblables et non corrélables, et par la longueur des examens
qui en résulte.
Nombre des neuropathies périphériques
en cause sont axonales et sensitives, et
seuls les achilléens sont diminués ou
abolis. À l’inverse, si des lésions musculaires ischémiques ont eu lieu antérieurement, si des traumatismes ont endommagé les tendons, les réflexes peuvent
s’abolir sans qu’il y ait de neuropathie.
Quant à la motricité, elle n’est pas toujours évidente à apprécier à partir du
moment où on ne peut pas mettre le
patient en appui sur le pied incriminé. Il
faut donner toute sa valeur au relief des
muscles intrinsèques des pieds, notamment du pédieux, bien visible, en
demandant au patient de relever ses
orteils, ou sur les muscles propres du
gros orteil, bien visualisés lors de la
flexion de ces mêmes orteils. Deux
tableaux particuliers sont parfois rencontrés : la paralysie tronculaire vraie
du SPE et le syndrome du nerf tibial
antérieur.
L’aspect le plus typique du pied neurovasculaire est sans conteste celui représenté par le pied diabétique (1)
Au cours de cette neuropathie, le pied
peut prendre plusieurs aspects : pied
simple neurologique sensitivo-moteur
ou pied complexe avec troubles trophiques.
• Parmi les pieds simples, on retiendra
le pied paralytique, responsable, par
exemple, d’un steppage par paralysie de
l’extension des orteils autant que du
pied. En réalité, la composante sensitive
est généralement prédominante. Engourdissements, impression de marcher
sur du coton, de sentir une semelle
anormale s’interposer entre le pied et le
sol ou entre le pied et la chaussure sont
les sensations le plus fréquemment
décrites alors que les douleurs sont plus
rares, généralement tardives, à l’exception du syndrome des pieds brûlants,
subjectivement analogue à l’acrocholose.
Objectivement, la perte de la sensibilité
nociceptive à la température est la première à apparaître, avec une diminution
de la sensibilité discriminative. Secondairement apparaissent des troubles de
la sensibilité à la piqûre proprement
dite, avec une perte de la sensibilité de
protection. La sensibilité au diapason
est rapidement perturbée elle aussi, le
niveau s’élevant progressivement des
orteils jusqu’au tarse postérieur pour
gagner le fût tibial au fur et à mesure de
l’évolution.
La composante végétative est marquée
au niveau distal par des troubles de la
sudation, hyperhydrose précédant pendant de longues années l’anhydrose
définitive, et la dépilation. L’ischémie
tissulaire entraînant les mêmes troubles
cutanés et phanériens que l’atteinte
sympathique, il sera donc impossible de
les différencier cliniquement en l’absence d’autres critères de dysautonomie, d’où l’intérêt d’une confrontation
entre neurologue et angiologue. Il est
alors possible de faire la part du vasospasme fonctionnel par dysrégulation
sympathique et de démontrer l’atonie
lésionnelle vasculaire.
• C’est petit à petit que se développeront les complications indirectes, “du
second degré”, que sont les troubles
trophiques (10). Typiquement, il s’agit
de durillons aux points d’appui, totalement insensibles, analgésiques, même
si le pied peut être décrit comme douloureux, ce qui est une caractéristique
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fondamentale de leur origine neurologique. Peu à peu, spontanément ou sous
l’effet de microtraumatismes, des
lésions phlycténulaires indolores apparaissent, traduisant la nécrose analgésique sous-cutanée. Puis, souvent à
l’occasion d’un soin mal fait, d’une
écorchure, le mal perforant plantaire
apparaît, caractéristique car totalement
insensible, atone, avec des bords hyperkératosiques et siégeant toujours au
niveau des zones de conflit du pied avec
la chaussure ou sur les points d’appui.
Relativement chaud, rarement vraiment
hypervascularisé du fait de la microangiopathie sous-jacente qui s’oppose à
l’effet direct de la sympatholyse neuropathique, il a pour caractéristique de ne
pas comporter typiquement l’élément
froid et nécrotique de l’ischémie artéritique. En réalité, la mixité fréquente des
atteintes, compliquée de surinfections
cellulitiques, voire ostéitiques plus tardives, vient quelque peu bouleverser
cette belle description initiale.
Autres aspects suivant l’étiologie
Le pied artéritique revascularisé, spontanément ou chirurgicalement, représente
un autre modèle d’atteinte mixte, avec
une neuropathie souvent douloureuse et
hétérogène. Il peut parfaitement être unilatéral, à l’inverse du précédent. On peut
en rapprocher les altérations distales,
conséquences de certains gros traumatismes délabrants de la cuisse.
Dans la littérature, il est fréquemment
décrit des anomalies au cours des vascularites. La réalité est bien différente :
les pieds mixtes sont exceptionnels. La
polyarthrite rhumatoïde doit être
exclue, car elle constitue un terrain tout
à fait particulier où les manifestations
vasculaires sont finalement au second
plan par rapport aux lésions rhumatismales, et, éventuellement, aux complications neurologiques, notamment aux
syndromes canalaires...
Certaines associations deviennent plus
fréquentes à partir d’un certain âge
(artérite et canal lombaire étroit, artérite
et neuropathie périphérique congénitale
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avec pied creux...), ce qui peut donner
lieu à la constitution de tableaux trompeurs sur le plan étiologique, mais pratiquement toujours identiques dans leur
présentation sémiologique. La coexistence de lésions vasculaires et d’une neuropathie ne signifie pas que cette dernière
est forcément d’origine ischémique.
Explorations
La podoscopie apparaît comme essentielle
pour détecter les zones d’hyperappui en
station debout, et complète l’examen clinique. Statique, elle est, en pratique, largement suffisante sans qu’il soit besoin
de recourir à des méthodes dynamiques
plus sophistiquées, qui retrouvent leur
intérêt dans le cadre d’études scientifiques, ou de rééducation avec remise à la
marche après amputation.
Des radiographies simples effectuées dans
des conditions orthogonales, si possible
avec des clichés de profil en appui, objectivent le retentissement ostéo-articulaire
de la neuropathie périphérique (aspect floconneux et déminéralisé, catapultage articulaire, lyse en sucre mouillé des
extrémités des métacarpiens et des phalangettes...) comme les surinfections
ostéitiques secondaires à des maux perforants plantaires négligés, et, incidemment,
détectent les calcifications vasculaires.
L’électro-neuro-myographie constitue
le complément spécifique de l’examen
neurologique dont il est l’affinement.
Ce n’est pas à lui de dire s’il existe ou
non une neuropathie périphérique ;
c’est à la clinique de le faire. En aucun
cas l’examen électrophysiologique ne
sera conçu comme étiologique, mais il
définira la “nature” de la neuropathie
périphérique, chiffrant de manière
semi-quantitative l’importance de la
dégénérescence, et donc du pronostic à
moyen terme, par la mesure des vitesses
de conduction nerveuse motrice. La
conservation d’une valeur supérieure à
environ 80 % de la norme pour l’âge et
pour le sexe fait parler de neuropathie
axonale. Un abaissement beaucoup plus
important de la vitesse de conduction
Act. Méd. Int. - Angiologie (15) n° 4, avril 1999
nerveuse permettra de parler de neuropathie démyélinisante. L’onde F mesure
indirectement sur tous les troncs nerveux
explorables la conduction proximale,
précocement perturbée.
Les vitesses de conduction nerveuse sensitive donnent des renseignements plus
difficiles à apprécier car leur mesure est
beaucoup plus dépendante des conditions techniques que les premières et
parce qu’elles sont rapidement modifiées
quelles que soient les modalités d’atteinte
du nerf. Elles s’abaissent dans une neuropathie axonale plus tardivement que dans
une forme démyélinisante. Finalement,
le degré de modification de ces vitesses
traduit l’importance de la neuropathie
périphérique sensitive, tandis que l’abolition de toute mesure possible du potentiel
sensitif est gage de gravité car signe
d’une dégénérescence axonale définitive.
L’électromyogramme renseigne sur le
degré d’innervation musculaire plus
que sur la souffrance ischémique, encore que cette dernière puisse se traduire
par un aspect myogène chronique et une
sclérose à l’insertion de l’aiguille.
Les problèmes techniques sont nombreux. Il paraît très difficile de réchauffer en profondeur les troncs nerveux
d’un membre ischémié, ce qui abaisse
la conduction nerveuse. Les troubles
trophiques avec hyperkératose et l’hypersudation modifient l’impédance et
la résistance cutanées, induisant des
artefacts de stimulation, modifiant
amplitudes et vitesses ; les nécroses et
les plaies interdisent toute pose d’électrodes et donc le recueil des valeurs. Le
degré d’urgence des décisions à
prendre s’accorde souvent mal avec les
délais de l’électromyographie.
La scintigraphie osseuse au Pertechnate
est un examen déjà ancien dont l’intérêt,
dans le pronostic à relativement court ou
moyen terme des maux perforants plantaires et dans le dépistage des hyperappuis
à très fort risque d’ulcération, a été
démontré (5). L’hyperappui indolore
retentit non seulement sur les tissus mous
mais également sur l’ossature sous-jacente. Il en résulte un remodelage ostéoblas-
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tique et ostéoclastique avec intervention
d’autres phénomènes, eux-mêmes liés à la
dénervation osseuse, dont on n’oubliera
pas le rôle trophique. L’apparition d’une
zone d’hyperactivité à la scintigraphie est
étroitement corrélée au risque d’apparition d’un mal perforant plantaire en
regard.
Cette technique peut donc aider à la
prise en charge thérapeutique, notamment lors de la décision de mise en
décharge par une semelle orthopédique,
en montrant les zones les plus menacées
à décharger, et celles dépourvues, au
contraire, d’hyperfixation, sur lesquelles peut porter le surcroît d’appui.
L’exploration du système autonome sympathique est limitée cliniquement. On
recherchera systématiquement des signes
de diffusion, comme les troubles sphinctériens, la diarrhée motrice, les crises d’hypersalivation ou l’aréflectivité pupillaire.
On appréciera plutôt la trophicité globale
du membre inférieur, la pilosité, tout en
sachant que l’ischémie tissulaire entraîne
exactement les mêmes troubles cutanés et
phanériens que l’atteinte du système sympathique, et qu’il sera donc impossible,
cliniquement, de les différencier.
Des techniques d’études électrophysiologiques cherchent à identifier et quantifier
cette composante végétative mais restent
décevantes en pratique courante. Très
diverses, elles ne s’adressent chacune qu’à
une seule composante somatique de la
réactivité végétative. Elles sont toutes plus
ou moins globales et indirectes, mesurant
plutôt des réponses physiologiques viscérales que des potentiels neurophysiologiques, très complexes et extrêmement
longues à mettre en œuvre, et beaucoup ne
sont pas toujours parfaitement reproductibles d’une équipe à l’autre. Elles sont
donc rarement réalisables dans leur
ensemble en pratique courante (5).
• Études des variations de la fréquence
cardiaque, utilisant la mesure de l’intervalle R-R lors de la respiration spontanée, lors de la respiration profonde lente,
lors de la respiration bloquée et de la
manœuvre de Vasalva, lors du passage en
orthostatisme et d’un tilt-test.
• Études de la motricité digestive, par
les différentes techniques connues,
qu’il s’agisse des manométries étagées,
notamment œsophagiennes ou rectales.
• Bilans urodynamiques et mesures de
la fonction érectile, largement répandus
maintenant.
• Études des réflexes pupillaires, aidées
par un pupillomètre à réflexion laser.
• Mesures des variations de la résistance
cutanée sous l’effet des variations du
tonus sympathique encore appelé
réflexe cutané sympathique.
Conséquences thérapeutiques
L’intervention neurologique dans le
traitement du pied neuro-vasculaire est
relativement restreinte. Le neurologue
peut, néanmoins, souligner certaines
règles qui découlent des mécanismes
physiopathologiques.
L’atteinte nerveuse associée à l’atteinte
vasculaire constitue un facteur pronostique
aggravant. La perte de la neurotrophicité
s’ajoute à l’ischémie pour favoriser l’apparition des ulcérations, des nécroses tissulaires et des remodelages osseux. Bien
plus, la neuropathie va majorer l’ischémie
et donc étendre la zone à risque.
Les conséquences neurologiques périphériques de l’artériopathie survenant sur un
tronc nerveux déjà pathologique sont
généralement irréversibles. Ainsi, l’équipe médico-chirurgicale de Boston a montré que la revascularisation – c’est-à-dire
la levée de l’hypoxie –, n’améliore pas de
façon significative la neuropathie périphérique chez le sujet diabétique (11).
Il existe une contradiction de base entre
la mobilisation du membre nécessitée par
l’artériopathie et l’immobilité requise par
la plaie à médiation neurologique. En
effet, cette dernière est le seul moyen de
permettre la réparation des lésions neurotrophiques, avec la suppression de l’appui sur les zones plantaires et des conflits
de chaussures sur les autres régions. Or,
nous savons que nous aggravons le phénomène ischémique. Il faut donc trouver
un compromis où la décharge du
membre inférieur pathologique soit compatible avec la poursuite d’une activité
musculaire permettant l’entretien du
débit sanguin.
Chaque situation doit donc s’apprécier
cas par cas, en relativisant le degré d’oxygénation tissulaire par rapport à celui de
la dénervation et en appréciant les possibilités et les risques liés à l’immobilisation même partielle. Chez le diabétique,
les soins locaux, notamment d’antisepsie,
sont indispensables ainsi que la surveillance des plaies du fait des risques
infectieux et vasculaires. Il est donc
nécessaire de recourir à des techniques
d’immobilisation permettant une surveillance soigneuse comme des bottes en
néofrakt et des orthèses largement
ouvertes. Une fois la cicatrisation obtenue, qu’il y ait eu ou non amputation pour
des raisons vasculaires plus qu’infectieuses, la prise en charge orthésique est
nécessaire de manière à éviter les hyperappuis générateurs de mal perforant.
Tout cela amène à conclure sur l’importance des mesures préventives, tant les
conséquences trophiques du pied
neuro-vasculaire peuvent se révéler
catastrophiques pour les malades.
Chez le diabétique, le volet préventif est
théoriquement représenté par la “prévention” médicale de la neuropathie périphérique dégénérative diabétique, qui actuellement n’a pas de traitement (4). Les
tentatives de traitement de ces neuropathies périphériques par les inhibiteurs de
l’aldol-réductase se sont révélées des
échecs cliniques. Tant que son mécanisme
n’est pas intimement compris, tant que le
diabète ne sera traité que par substitution,
il semble impossible de résoudre ce problème. Certes, l’équilibre diabétique le
plus parfait (optimisation glycémique, passage à l’insulinothérapie de certains sujets
jusqu’alors non insulinodépendants) réduit
indiscutablement l’incidence de la neuropathie diabétique, mais il ne la fait pas
régresser (3). Tout le monde a l’expérience
de patients présentant un diabète apparemment parfaitement équilibré dans le temps,
un profil psychologique parfait, des soins
locaux excellents, mais qui finissent par
développer une neuropathie au bout de
plusieurs dizaines d’années.
61
Chez l’artéritique, la prévention de l’ischémie prolongée par les moyens médicamenteux, rééducatifs et chirurgicaux,
la détection des embolies de cholestérol
(2) pour en limiter la diffusion et les
conséquences... sont les meilleurs
garants pour éviter l’apparition de complications neurologiques.
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