Angio-Frontière Le pied neurovasculaire : aspects cliniques et neurologique J.M. Mussini* ied complexe, le “pied neuroPpluritissulaires vasculaire” intrique des lésions causées conjointe- ment par une neuropathie périphérique et une ischémie d’origine artérielle. L’ischémie artérielle lèse le nerf par infarctus tronculaires, ou infarcissements hémorragiques sous-périneuraux, et entraîne une dégénérescence des terminaisons nerveuses. La polyneuropathie périphérique fragilise le tronc nerveux ; elle peut parfois déclencher une réaction spastique sympathique qui accroît l’ischémie tissulaire. L’intervention d’un facteur neurologique se juge devant l’anesthésie d’une plaie manifestement vasculaire et la localisation des plaies aux points d’appui avec durillon. L’électrophysiologie affine l’examen clinique, mais d’autres examens doivent le compléter. L’atteinte nerveuse associée à l’atteinte vasculaire constitue un facteur pronostique aggravant, avec une contradiction de base entre la mobilisation du membre nécessitée par l’artériopathie et l’immobilité imposée par la composante neurologique. * Nantes. Le pied neuro-vasculaire associe toutes les conséquences des lésions, fonctionnelles ou non, d’une neuropathie périphérique et d’une ischémie d’origine artérielle. C’est la base même du “pied diabétique” complexe. Toute lésion artérielle sévère retentissant sur l’innervation sensitivo-motrice et végétative du pied, l’inverse étant également vrai – toute neuropathie sévère pouvant diminuer la vascularisation distale –, il en résulte un tableau relativement univoque quelle que soit l’étiologie, où il est toujours très difficile de déceler quelle atteinte, vasculaire ou neurologique, est primaire et prédominante. Physiopathologie De l’artère vers le nerf L’artériopathie a des conséquences directes sur le nerf périphérique. Il s’agit souvent de lésions d’infarctus tronculaire, résultant d’une ischémie directe, dans les occlusions thrombotiques distales ou semi-distales sans reperméabilisation, d’embolies calcaires ou cholestéroliques. Le nerf est irrigué par les vasa nervorum constitués en un réseau anastomotique particulièrement dense qui explique qu’une occlusion unique extrêmement distale ne peut avoir de conséquence majeure, alors que les occlusions multiples distales, comme les réalisent les angéites nécrosantes ou des pluies d’emboles de cholestérol, ou encore une ischémie plus proximale et étendue sur l’ensemble d’un lit dépendant d’un tronc vasculaire unique (occlusion thrombotique ou embolique d’une artère iliaque), vont pouvoir déclencher des lésions ischémiques des fascicules nerveux. Il peut y avoir également infarcissement hémorragique sous-périneural lors de la revascularisation chirurgicale d’un membre ischémié. Le phénomène peut être favorisé par l’utilisation des anticoagulants ou des thrombolytiques, mais il se produit également spontanément en l’absence de tout trouble de la 57 coagulation. Ces phénomènes, souvent négligés, rentrent problablement en ligne de compte dans un grand nombre de neuropathies séquellaires d’ischémie aiguë maintenant rapidement et correctement revascularisée. Au total, on peut affirmer (7) que les altérations anatomiques sont la conséquence de l’addition d’épisodes ischémiques aigus suivis de reperfusion et d’une hypoxie chronique des troncs nerveux. Enfin, notamment chez l’artéritique chronique, l’ischémie tissulaire cutanée ou sous-cutanée entraîne une dégénérescence des terminaisons nerveuses, à ce niveau essentiellement sensitive, en même temps que la sclérose ischémique du derme va étouffer petit à petit les systèmes spécialisés de réception sensorielle. À ces altérations progressives, résultat d’une ischémie chronique, peuvent se surajouter des complications aiguës, lésions nécrotiques musculaires et syndromes de loge, qui compliquent la situation locale (2). Du nerf vers l’artère En cas d’atteinte nerveuse, il peut exister une réaction spastique, dépendant du système sympathique, qui accroît l’ischémie tissulaire. Elle est mal explorée, mais les expériences pratiques de chacun concernant l’évolution des symptômes neurologiques après réchauffement du membre, ou par extrapolation avec les phénomènes vasculaires de type Raynaud que l’on voit dans les canaux carpiens, montrent l’importance de ce phénomène. En effet, les grandes fibres myélinisées de la conduction proprioceptive consciente ou inconsciente sont les premières à souffrir de l’ischémie ; les petites fibres myélinisées de la sensibilité thermoalgique et les fibres non myélinisées du contingent sympathique sont très relativement épargnées dans un premier temps. Leurs afférences physiologiques Angio-Frontière se trouvent “amplifiées” par la perte du contrôle des grandes fibres déjà détruites (“théorie de La Porte”), en même temps que l’ischémie tissulaire distale accroît l’hyperexcitabilité de ces fibres par la production de substances algogènes irritantes. Aux conséquences éventuelles et directes d’une interruption du flux sanguin plus ou moins importante se surajoutent des pathologies nerveuses périphériques propres, comme la neuropathie diabétique dégénérative ou la polyneuropathie toxique éthylique, qui, en fragilisant les troncs nerveux, prédisposent aux symptômes distaux. Les troubles trophiques Leur développement fait ressortir comme élément dominant l’insensibilité (8). Le développement de la neuropathie périphérique s’accompagne d’une dégénérescence des fibres sensitives, dégénérescence axonale qui prive véritablement les tissus des récepteurs spécialisés participant à l’alerte nociceptive aussi bien qu’à la régulation proprioceptive, dégénérescence schwannienne de la gaine de myéline, qui ralentit puis interrompt la transmission de l’influx nerveux dans des régions qui possèdent encore des récepteurs sensitifs. L’analgésie ainsi produite, tant cutanée que sous-cutanée, y compris osseuse, a pour corollaire la perte de la protection sensorielle. À partir de cet instant disparaissent les mouvements infimes mais constants qui permettent de régler en permanence les forces d’appui sur la semelle plantaire et sur les orteils pour les protéger. Il apparaît des zones d’hyperappui avec attrition tissulaire sur lesquelles se développe un durillon par hyperkératose ; ce phénomène mécanique initial de protection deviendra secondairement un facteur d’agression et de camouflage des lésions sousjacentes. L’hyperpression se transmet jusqu’à la charpente osseuse qui, ellemême privée de ses efférences et afférences nerveuses, modifie le métabolisme ostéoblastique et ostéoclastique. Act. Méd. Int. - Angiologie (15) n° 4, avril 1999 Ces phénomènes sont exagérés par l’immobilité relative du pied. Cette immobilité trouve son origine également dans la désafférentation sensorielle. La perte de la sensibilité viscérale inconsciente amenée par les grandes fibres myélinisées issues des organes tendineux de Golgi, des mécano-récepteurs divers, des fuseaux neuro-musculaires, entraîne une disparition des mouvements réflexes d’adaptation posturale fine au niveau des pieds. D’autre part, le développement, même modeste, d’une dénervation musculaire va contribuer à cette immobilisation podale, aggravant les hyperappuis pathologiques. Enfin, la dénervation autant que l’ischémie tissulaire vont entraîner des rétractions musculaires avec apparition de griffes des orteils, secondaires au déséquilibre induit entre les muscles antérieurs et supérieurs – extenseurs –, par rapport aux muscles postérieurs et inférieurs – fléchisseurs –, plus toniques. L’apparition de nouvelles zones d’appui est donc conditionnée par ces facteurs et la répétition des microtraumatismes, l’apparition possible d’infections, d’infarctus osseux... entraînent rapidement un bouleversement architectural global au niveau du pied. La composante végétative, si elle est importante sur le plan du pronostic vital, notamment cardiovasculaire, où existe une corrélation entre les tests de dénervation cardiaque et le risque de mortalité chez le diabétique présentant une dysautonomie, si elle joue un grand rôle dans l’inconfort du patient (hypotension orthostatique, impuissance, troubles du transit...), n’a qu’un rôle mineur et secondaire par rapport à la composante sensitive dans la genèse des troubles trophiques. Il n’y a jamais de troubles neurotrophiques lorsque existe seule une neuropathie végétative. Aucune corrélation n’est donc possible entre l’importance clinique de la neuropathie périphérique dégénérative et l’existence ou le développement ultérieur de troubles trophiques. Dans tous les cas, enfin, l’ischémie tis- 58 sulaire majore la neuropathie périphérique d’une part, sensibilise les différentes structures organiques à la nécrose d’autre part, et fait donc le lit de la surinfection. Clinique Devant certaines modifications trophiques de l’extrémité podale chez un patient souffrant à l’évidence de lésions vasculaires, des traits sémiologiques précis doivent faire évoquer l’intervention d’un facteur neurologique (6). • Une douleur artérielle est “nette”, constrictive et térébrante dans l’ischémie aiguë, à type de crampes au cours de l’ischémie chronique. Par contre, des phénomènes dysesthésiants et paresthésiants, avec hyperesthésie de contact ou anesthésie à certaines sensations, la présence de picotements, de sensations vaguement prurigineuses, de phénomènes associant impressions brûlantes et réfrigérantes, relèvent d’une composante neurologique, de même que des douleurs névritiques en éclair, lorsqu’il n’existe pas d’amputation avec névrome. À l’inverse, l’absence de toute douleur de plaies profondes est quasi pathognomonique d’une anesthésie neurologique. Une plaie vasculaire doit être sensible ; sinon, il s’agit très vraisemblablement d’un mal perforant pur ou mixte avec une forte composante neurologique. • Le mal perforant est une lésion sur un point d’appui. L’existence de durillons sur ces points d’appui, qu’ils soient physiologiques sur un pied sans déformation particulière en podoscopie, ou acquis sur des pieds remaniés, doit faire rechercher des signes de polyneuropathie périphérique. • Cette recherche clinique porte donc principalement sur la sensibilité. On recherchera la sensation à la piqûre dans les régions périunguéales, généralement libres de toute hyperkératose et très sensibles, au creux de la voûte plantaire, dans les régions rétro-malléolaires ou sur le dos du pied. La sensibilité thermique (chaleur) est facilement explorable et très sensible. Sur un pied enraidi, on préférera apprécier la sensation vibratoire avec un diapason neurologique à 128 Hz à celle du sens arthrostatique ou arthrocinétique. La répartition inhomogène, “en patchwork”, des troubles sensitifs et leur prédominance unilatérale sont fréquentes lorsque l’origine de la neuropathie est purement ischémique. Le développement d’esthésiomètres spécifiques (tactile discriminatif, thermique, vibratoire...) et automatiques, théoriquement intéressant autant dans le dépistage que dans le suivi évolutif d’une neuropathie, est limité par le coût prohibitif des appareillages, tous dissemblables et non corrélables, et par la longueur des examens qui en résulte. Nombre des neuropathies périphériques en cause sont axonales et sensitives, et seuls les achilléens sont diminués ou abolis. À l’inverse, si des lésions musculaires ischémiques ont eu lieu antérieurement, si des traumatismes ont endommagé les tendons, les réflexes peuvent s’abolir sans qu’il y ait de neuropathie. Quant à la motricité, elle n’est pas toujours évidente à apprécier à partir du moment où on ne peut pas mettre le patient en appui sur le pied incriminé. Il faut donner toute sa valeur au relief des muscles intrinsèques des pieds, notamment du pédieux, bien visible, en demandant au patient de relever ses orteils, ou sur les muscles propres du gros orteil, bien visualisés lors de la flexion de ces mêmes orteils. Deux tableaux particuliers sont parfois rencontrés : la paralysie tronculaire vraie du SPE et le syndrome du nerf tibial antérieur. L’aspect le plus typique du pied neurovasculaire est sans conteste celui représenté par le pied diabétique (1) Au cours de cette neuropathie, le pied peut prendre plusieurs aspects : pied simple neurologique sensitivo-moteur ou pied complexe avec troubles trophiques. • Parmi les pieds simples, on retiendra le pied paralytique, responsable, par exemple, d’un steppage par paralysie de l’extension des orteils autant que du pied. En réalité, la composante sensitive est généralement prédominante. Engourdissements, impression de marcher sur du coton, de sentir une semelle anormale s’interposer entre le pied et le sol ou entre le pied et la chaussure sont les sensations le plus fréquemment décrites alors que les douleurs sont plus rares, généralement tardives, à l’exception du syndrome des pieds brûlants, subjectivement analogue à l’acrocholose. Objectivement, la perte de la sensibilité nociceptive à la température est la première à apparaître, avec une diminution de la sensibilité discriminative. Secondairement apparaissent des troubles de la sensibilité à la piqûre proprement dite, avec une perte de la sensibilité de protection. La sensibilité au diapason est rapidement perturbée elle aussi, le niveau s’élevant progressivement des orteils jusqu’au tarse postérieur pour gagner le fût tibial au fur et à mesure de l’évolution. La composante végétative est marquée au niveau distal par des troubles de la sudation, hyperhydrose précédant pendant de longues années l’anhydrose définitive, et la dépilation. L’ischémie tissulaire entraînant les mêmes troubles cutanés et phanériens que l’atteinte sympathique, il sera donc impossible de les différencier cliniquement en l’absence d’autres critères de dysautonomie, d’où l’intérêt d’une confrontation entre neurologue et angiologue. Il est alors possible de faire la part du vasospasme fonctionnel par dysrégulation sympathique et de démontrer l’atonie lésionnelle vasculaire. • C’est petit à petit que se développeront les complications indirectes, “du second degré”, que sont les troubles trophiques (10). Typiquement, il s’agit de durillons aux points d’appui, totalement insensibles, analgésiques, même si le pied peut être décrit comme douloureux, ce qui est une caractéristique 59 fondamentale de leur origine neurologique. Peu à peu, spontanément ou sous l’effet de microtraumatismes, des lésions phlycténulaires indolores apparaissent, traduisant la nécrose analgésique sous-cutanée. Puis, souvent à l’occasion d’un soin mal fait, d’une écorchure, le mal perforant plantaire apparaît, caractéristique car totalement insensible, atone, avec des bords hyperkératosiques et siégeant toujours au niveau des zones de conflit du pied avec la chaussure ou sur les points d’appui. Relativement chaud, rarement vraiment hypervascularisé du fait de la microangiopathie sous-jacente qui s’oppose à l’effet direct de la sympatholyse neuropathique, il a pour caractéristique de ne pas comporter typiquement l’élément froid et nécrotique de l’ischémie artéritique. En réalité, la mixité fréquente des atteintes, compliquée de surinfections cellulitiques, voire ostéitiques plus tardives, vient quelque peu bouleverser cette belle description initiale. Autres aspects suivant l’étiologie Le pied artéritique revascularisé, spontanément ou chirurgicalement, représente un autre modèle d’atteinte mixte, avec une neuropathie souvent douloureuse et hétérogène. Il peut parfaitement être unilatéral, à l’inverse du précédent. On peut en rapprocher les altérations distales, conséquences de certains gros traumatismes délabrants de la cuisse. Dans la littérature, il est fréquemment décrit des anomalies au cours des vascularites. La réalité est bien différente : les pieds mixtes sont exceptionnels. La polyarthrite rhumatoïde doit être exclue, car elle constitue un terrain tout à fait particulier où les manifestations vasculaires sont finalement au second plan par rapport aux lésions rhumatismales, et, éventuellement, aux complications neurologiques, notamment aux syndromes canalaires... Certaines associations deviennent plus fréquentes à partir d’un certain âge (artérite et canal lombaire étroit, artérite et neuropathie périphérique congénitale Angio-Frontière avec pied creux...), ce qui peut donner lieu à la constitution de tableaux trompeurs sur le plan étiologique, mais pratiquement toujours identiques dans leur présentation sémiologique. La coexistence de lésions vasculaires et d’une neuropathie ne signifie pas que cette dernière est forcément d’origine ischémique. Explorations La podoscopie apparaît comme essentielle pour détecter les zones d’hyperappui en station debout, et complète l’examen clinique. Statique, elle est, en pratique, largement suffisante sans qu’il soit besoin de recourir à des méthodes dynamiques plus sophistiquées, qui retrouvent leur intérêt dans le cadre d’études scientifiques, ou de rééducation avec remise à la marche après amputation. Des radiographies simples effectuées dans des conditions orthogonales, si possible avec des clichés de profil en appui, objectivent le retentissement ostéo-articulaire de la neuropathie périphérique (aspect floconneux et déminéralisé, catapultage articulaire, lyse en sucre mouillé des extrémités des métacarpiens et des phalangettes...) comme les surinfections ostéitiques secondaires à des maux perforants plantaires négligés, et, incidemment, détectent les calcifications vasculaires. L’électro-neuro-myographie constitue le complément spécifique de l’examen neurologique dont il est l’affinement. Ce n’est pas à lui de dire s’il existe ou non une neuropathie périphérique ; c’est à la clinique de le faire. En aucun cas l’examen électrophysiologique ne sera conçu comme étiologique, mais il définira la “nature” de la neuropathie périphérique, chiffrant de manière semi-quantitative l’importance de la dégénérescence, et donc du pronostic à moyen terme, par la mesure des vitesses de conduction nerveuse motrice. La conservation d’une valeur supérieure à environ 80 % de la norme pour l’âge et pour le sexe fait parler de neuropathie axonale. Un abaissement beaucoup plus important de la vitesse de conduction Act. Méd. Int. - Angiologie (15) n° 4, avril 1999 nerveuse permettra de parler de neuropathie démyélinisante. L’onde F mesure indirectement sur tous les troncs nerveux explorables la conduction proximale, précocement perturbée. Les vitesses de conduction nerveuse sensitive donnent des renseignements plus difficiles à apprécier car leur mesure est beaucoup plus dépendante des conditions techniques que les premières et parce qu’elles sont rapidement modifiées quelles que soient les modalités d’atteinte du nerf. Elles s’abaissent dans une neuropathie axonale plus tardivement que dans une forme démyélinisante. Finalement, le degré de modification de ces vitesses traduit l’importance de la neuropathie périphérique sensitive, tandis que l’abolition de toute mesure possible du potentiel sensitif est gage de gravité car signe d’une dégénérescence axonale définitive. L’électromyogramme renseigne sur le degré d’innervation musculaire plus que sur la souffrance ischémique, encore que cette dernière puisse se traduire par un aspect myogène chronique et une sclérose à l’insertion de l’aiguille. Les problèmes techniques sont nombreux. Il paraît très difficile de réchauffer en profondeur les troncs nerveux d’un membre ischémié, ce qui abaisse la conduction nerveuse. Les troubles trophiques avec hyperkératose et l’hypersudation modifient l’impédance et la résistance cutanées, induisant des artefacts de stimulation, modifiant amplitudes et vitesses ; les nécroses et les plaies interdisent toute pose d’électrodes et donc le recueil des valeurs. Le degré d’urgence des décisions à prendre s’accorde souvent mal avec les délais de l’électromyographie. La scintigraphie osseuse au Pertechnate est un examen déjà ancien dont l’intérêt, dans le pronostic à relativement court ou moyen terme des maux perforants plantaires et dans le dépistage des hyperappuis à très fort risque d’ulcération, a été démontré (5). L’hyperappui indolore retentit non seulement sur les tissus mous mais également sur l’ossature sous-jacente. Il en résulte un remodelage ostéoblas- 60 tique et ostéoclastique avec intervention d’autres phénomènes, eux-mêmes liés à la dénervation osseuse, dont on n’oubliera pas le rôle trophique. L’apparition d’une zone d’hyperactivité à la scintigraphie est étroitement corrélée au risque d’apparition d’un mal perforant plantaire en regard. Cette technique peut donc aider à la prise en charge thérapeutique, notamment lors de la décision de mise en décharge par une semelle orthopédique, en montrant les zones les plus menacées à décharger, et celles dépourvues, au contraire, d’hyperfixation, sur lesquelles peut porter le surcroît d’appui. L’exploration du système autonome sympathique est limitée cliniquement. On recherchera systématiquement des signes de diffusion, comme les troubles sphinctériens, la diarrhée motrice, les crises d’hypersalivation ou l’aréflectivité pupillaire. On appréciera plutôt la trophicité globale du membre inférieur, la pilosité, tout en sachant que l’ischémie tissulaire entraîne exactement les mêmes troubles cutanés et phanériens que l’atteinte du système sympathique, et qu’il sera donc impossible, cliniquement, de les différencier. Des techniques d’études électrophysiologiques cherchent à identifier et quantifier cette composante végétative mais restent décevantes en pratique courante. Très diverses, elles ne s’adressent chacune qu’à une seule composante somatique de la réactivité végétative. Elles sont toutes plus ou moins globales et indirectes, mesurant plutôt des réponses physiologiques viscérales que des potentiels neurophysiologiques, très complexes et extrêmement longues à mettre en œuvre, et beaucoup ne sont pas toujours parfaitement reproductibles d’une équipe à l’autre. Elles sont donc rarement réalisables dans leur ensemble en pratique courante (5). • Études des variations de la fréquence cardiaque, utilisant la mesure de l’intervalle R-R lors de la respiration spontanée, lors de la respiration profonde lente, lors de la respiration bloquée et de la manœuvre de Vasalva, lors du passage en orthostatisme et d’un tilt-test. • Études de la motricité digestive, par les différentes techniques connues, qu’il s’agisse des manométries étagées, notamment œsophagiennes ou rectales. • Bilans urodynamiques et mesures de la fonction érectile, largement répandus maintenant. • Études des réflexes pupillaires, aidées par un pupillomètre à réflexion laser. • Mesures des variations de la résistance cutanée sous l’effet des variations du tonus sympathique encore appelé réflexe cutané sympathique. Conséquences thérapeutiques L’intervention neurologique dans le traitement du pied neuro-vasculaire est relativement restreinte. Le neurologue peut, néanmoins, souligner certaines règles qui découlent des mécanismes physiopathologiques. L’atteinte nerveuse associée à l’atteinte vasculaire constitue un facteur pronostique aggravant. La perte de la neurotrophicité s’ajoute à l’ischémie pour favoriser l’apparition des ulcérations, des nécroses tissulaires et des remodelages osseux. Bien plus, la neuropathie va majorer l’ischémie et donc étendre la zone à risque. Les conséquences neurologiques périphériques de l’artériopathie survenant sur un tronc nerveux déjà pathologique sont généralement irréversibles. Ainsi, l’équipe médico-chirurgicale de Boston a montré que la revascularisation – c’est-à-dire la levée de l’hypoxie –, n’améliore pas de façon significative la neuropathie périphérique chez le sujet diabétique (11). Il existe une contradiction de base entre la mobilisation du membre nécessitée par l’artériopathie et l’immobilité requise par la plaie à médiation neurologique. En effet, cette dernière est le seul moyen de permettre la réparation des lésions neurotrophiques, avec la suppression de l’appui sur les zones plantaires et des conflits de chaussures sur les autres régions. Or, nous savons que nous aggravons le phénomène ischémique. Il faut donc trouver un compromis où la décharge du membre inférieur pathologique soit compatible avec la poursuite d’une activité musculaire permettant l’entretien du débit sanguin. Chaque situation doit donc s’apprécier cas par cas, en relativisant le degré d’oxygénation tissulaire par rapport à celui de la dénervation et en appréciant les possibilités et les risques liés à l’immobilisation même partielle. Chez le diabétique, les soins locaux, notamment d’antisepsie, sont indispensables ainsi que la surveillance des plaies du fait des risques infectieux et vasculaires. Il est donc nécessaire de recourir à des techniques d’immobilisation permettant une surveillance soigneuse comme des bottes en néofrakt et des orthèses largement ouvertes. Une fois la cicatrisation obtenue, qu’il y ait eu ou non amputation pour des raisons vasculaires plus qu’infectieuses, la prise en charge orthésique est nécessaire de manière à éviter les hyperappuis générateurs de mal perforant. Tout cela amène à conclure sur l’importance des mesures préventives, tant les conséquences trophiques du pied neuro-vasculaire peuvent se révéler catastrophiques pour les malades. Chez le diabétique, le volet préventif est théoriquement représenté par la “prévention” médicale de la neuropathie périphérique dégénérative diabétique, qui actuellement n’a pas de traitement (4). Les tentatives de traitement de ces neuropathies périphériques par les inhibiteurs de l’aldol-réductase se sont révélées des échecs cliniques. Tant que son mécanisme n’est pas intimement compris, tant que le diabète ne sera traité que par substitution, il semble impossible de résoudre ce problème. Certes, l’équilibre diabétique le plus parfait (optimisation glycémique, passage à l’insulinothérapie de certains sujets jusqu’alors non insulinodépendants) réduit indiscutablement l’incidence de la neuropathie diabétique, mais il ne la fait pas régresser (3). Tout le monde a l’expérience de patients présentant un diabète apparemment parfaitement équilibré dans le temps, un profil psychologique parfait, des soins locaux excellents, mais qui finissent par développer une neuropathie au bout de plusieurs dizaines d’années. 61 Chez l’artéritique, la prévention de l’ischémie prolongée par les moyens médicamenteux, rééducatifs et chirurgicaux, la détection des embolies de cholestérol (2) pour en limiter la diffusion et les conséquences... sont les meilleurs garants pour éviter l’apparition de complications neurologiques. Références bibliographiques 1. Aboukrat P. : Le pied des neuropathies diabétiques. In : Le Pied neurologique de l’adulte. Hérisson C. et Simon L. Eds, Masson, Paris 1996. 2. Bendixen B.H., Younger D.S., Hair L.S. et coll. : Cholesterol emboly neuropathy. Neurology, 1992, 42 : 428-30. 3. Biessels G.J., Stevens E.J., Mahmood S.J. et coll. : Insulin partially reverses deficits in peripheral nerve blood flow and conduction in experimental diabetes. Journal of the Neurological Sciences, 1996, 140 : 12-20. 4. Julien J., Vital C. : Neuropathies métaboliques et endocriniennes : diabète. In : Neuropathies Périphériques. Bouche P. et Vallat J.M. Eds, Doin, Paris, 1992. 5. Mc Dougall G., Mc Leodam : Autonomic neuropathy, I. clinical features, investigation, pathophysiology, and treatment. Journal of the Neurological Sciences, 1996, 137 : 79-88. 6. Mussini J.M. : Le pied neuro-vasculaire. In : Le Pied vasculaire. D. Eveno, D. Chomard, B. Planchon et M.A. Pistorius Eds, Frison-Roche, Paris, 1998. 7. Nukada H., Van Rij A.M., Packer S.G., McMorran P.D. : Pathology of acute and chronic ischaemic neuropathy in atherosclerotic peripheral vascular disease. Brain, 1996, 119 : 1449-60. 8. Pages M. : Troubles neurotrophiques du pied au cours des polyneuropathies. In : Le Pied neurologique de l’adulte. Hérisson C. et Simon L. Eds, Masson, Paris, 1996. 9. Planchon B., Mussini J.M., Barrière H. : Neuroacropathie alcoolique (syndrome de Bureau-Barrière). Études complémentaires et définition de l’état préacropathique. Revue de l’alcoolisme, 1983, 29 : 13-8. 10. Said G. : Diabetic neuropathy : an update. Journal of Neurology, 1996, 243 : 431-40. 11. Veves A., Donaghue V.M., Sarnow M.R. et coll. : The impact of reversal of hypoxia by revascularization on the peripheral nerve function of diabetic patients. Diabetologia, 1996, 39 : 344-8.