ECH NGES ® N°9 - Mai 2014 EN DERMATOLOGIE ial c é p S unologie Imm Service de Dermatologie - Hôpital d’Instruction des Armées - Toulon Pr Jean-Jacques Morand - Chef de service de Dermatologie, Professeur agrégé du Val-de-Grâce La mission duale du Service de Santé des Armées (SSA) Les médecins militaires reçoivent une formation médicale classique à l’Université et dans les CHU mais bénéficient aussi d’un enseignement spécifique ou de stages complémentaires (médecine de catastrophe, formation NBC nucléaire- bactériologiquechimique, préparation aux missions extérieures, etc…) qui leur permettent de répondre à leur double mission : soutenir les forces armées (en métropole et en opérations extérieures = OPEX) et participer à la politique de santé publique. Placés sous l’autorité du Ministre de la Défense, les 9 HIA(1) de France outre leur mission prioritaire de soutien sanitaire des forces armées, dispensent ainsi des soins aux assurés sociaux civils. « Ce rôle de santé publique est renforcé chez nous car nous sommes le seul service de dermatologie du Var. Près de 80 % des patients vus en consultation et près de 90 % des patients hospitalisés sont civils » précise le Pr Jean-Jacques Morand. Le premier service de dermatologie militaire en terme d’activité Le service propose plusieurs types de consultation : tout-venant ou dédiée aux militaires ou plus ciblée, adressée par nos correspondants régionaux (dermatologues, médecins généralistes et spécialistes, militaires ou civils). Parmi les grands axes de recrutement du service, la cancérologie a une place prédominante et représente 25% de l’activité globale (mélanome, carcinome, lymphome, sarcome). « L’incidence du mélanome est actuellement en augmentation avec probablement un biais de sélection lié à l’importante population des retraités venant du Nord ou de l’Est de la France aimant le soleil. Des militaires souvent à phototype clair et photo-exposés dans l’enfance sont également touchés ». Le deuxième axe concerne les troubles trophiques (ulcères de jambes, maux perforants plantaires des diabétiques) pour lesquels la médecine hyperbare est proposée. L’activité du service en dermatologie infectieuse est également importante. Il s’agit d’infections cosmopolites (pyodermites, dermohypodermites, fasciites nécrosantes, viroses, mycoses et IST) et d’infections tropicales chez les voyageurs et les militaires en OPEX (arboviroses, , parasitoses, mycoses exotiques). « Le dermatologue est une sentinelle des épidémies. Par le biais de la peau, nous dépistons des affections potentiellement épidémiques voire des maladies émergentes (poxviroses, mycobactéries environnementales) ». Puis viennent les dermatoses inflammatoires chroniques (psoriasis, eczéma, urticaire, dermatoses bulleuses, maladies autoimmunes) pour lesquelles le dermatologue a un rôle fondamentalement interniste. Enfin, les urgences représentent une part non négligeable de l’activité du service avec notamment les toxidermies et les dermatoses bulleuses graves prises en charge en collaboration avec le centre des Brûlés. Une forte implication dans la recherche clinique et la formation Les axes de recherche et de publications du service sont multiples : dermatologie tropicale et sur peau noire (rédaction en chef de la revue Médecine et santé tropicales), télémédecine/téléconsultation, médecine hyberbare en dermatologie, techniques chirurgicales en collaboration avec le centre des Brûlés, ou encore participation à des études sur le psoriasis. « De plus, nous participons à la formation des internes militaires (initiation à la dermatologie), des médecins et des infirmiers de marine (téléconsultation dermatologique) et des dermatologues civils du Var (FMC) » explique le Pr Morand qui fait partie du CEDEF (Collège des Enseignants de Dermatologie en France). Le soutien de la Force d’Action Navale (FAN) par le biais de la télémédecine Si les consultations pour un motif cutanéomuqueux représentent 10 % des cas en France, elles atteignent 25 % sous les tropiques. « Le service a une grande expérience de la télémédecine pour aider à distance les médecins et infirmiers embarqués. Nous proposons également des consultations de dépistage délocalisées à bord des bâtiments de la marine ou au sein des régiments» conclut le Pr Morand qui est aussi télé-consultant pour Médecins Sans Frontières. La télémédecine et la santé en mer sont abordées dans le supplément d’Echanges en Dermatologie associé à ce numéro. (1) 9 hôpitaux d’instruction des armées en France : HIA du Val-de-Grâce à Paris, HIA Percy à Clamart, HIA Bégin à SaintMandé, HIA Legouest à Metz, HIA Clermont-Tonnerre à Brest, HIA Desgenettes à Lyon, HIA Robert Picqué à Bordeaux, HIA Laveran à Marseille et HIA Sainte Anne à Toulon. Le service de Dermatologie en chiffres : • 3 dermatologues, 1 interne en Dermatologie, 1 interne généraliste • 7 infirmières, 7 aide-soignantes • 1 cadre de santé (pour 40 lits) + 1 adjoint • Hospitalisation : 13 lits en Dermatologie, 4 lits au centre des Brûlés • Des liens avec la Médecine Interne : - 23 lits - Secrétariat commun : 2 secrétaires • Activité en 2013 : - 7 273 consultations, 1500 chirurgies - 427 RUM(1) en hospitalisation - 203 RUM en hôpital de jour (1) RUM = Résumé d’Unité Médicale Safia Abed, Interne militaire en Dermatologie Pr Jean-Jacques Morand, Chef de service de Dermatologie Catherine Donnard, Cadre de Santé Dr Cynthia Georgantelis, Médecin de l’équipe mobile de soins palliatifs Le mélanome : une priorité de santé publique Dr Béatrice Fournier En France, l’incidence du mélanome a considérablement augmenté en 20 ans. Dépisté tôt, la très grande majorité des patients guérissent alors que pour les formes métastatiques le pronostic est plus sombre. Le vécu de l’équipe face à un malade atteint d’un mélanome, en fin de vie, est toujours difficile car il s’agit souvent de sujets plutôt jeunes, surpris qu’une petite lésion cutanée puisse avoir de telles conséquences… Dr Delphine Kerebel Un sentiment d’injustice pour les patients comme pour le personnel soignant Malgré l’avènement des biothérapies ciblées et de l’immunothérapie, le pronostic des mélanomes métastasés reste sombre : en effet, la survie à 5 ans ne concerne qu’1 patient sur 4. C’est pourquoi le dépistage précoce est primordial. « Notre service travaille en coopération avec le CHU de Marseille pour proposer aux malades le traitement le plus moderne parfois dans le cadre de protocoles multicentriques » explique le Pr Morand. « Par ailleurs, nous sommes en mesure aujourd’hui de proposer de nouveaux protocoles thérapeutiques aux patients » précise Safia Abed, qui réalise sa thèse sur le mélanome dans les deux services. Cette maladie s’accompagne de modifications corporelles importantes, difficiles à accepter pour le patient, sa famille et les soignants. « C’est perturbant car cette maladie touche les patients à tous les âges et on se sent impuissant lorsque le stade est avancé » précise Mme Donnard. Les nouveaux traitements représentent un nouvel espoir et donnent aux jeunes patients un sursis de temps pour pouvoir préparer la fin de vie et l’après avec leurs proches. Lorsque le patient est en dehors des ressources thérapeutiques, la prise en charge de la douleur et l’organisation des soins palliatifs deviennent la priorité du service. « Nous prenons en compte les besoins des patients et leurs attentes pour favoriser leur qualité de vie. Le dialogue et l’information sont essentiels pour gagner du temps et les aider à préparer au mieux la fin de vie, en lien avec les réseaux de soutien (RIVAGE, RENATUS) » explique le Dr Georgantelis. D’autres cancers cutanés fréquents sont parfois plus faciles à traiter Les carcinomes concernent une population globalement plus âgée avec une gestion souvent plus facile. « Dans les formes inopérables de carcinomes basocellulaires, nous disposons de nouvelles armes efficaces avec les thérapies ciblées » précise le Pr Morand. Si les autres cancers (lymphome et sarcome) sont plus rares, les tumeurs bénignes sont légions et la concertation entre les anatomopathologistes et les cliniciens reste essentielle pour leur prise en charge et leur suivi. Si la dermatologie est réputée comme une spécialité non urgente, il existe des diagnostics à ne pas rater pour des pathologies nécessitant une prise en charge néanmoins urgente. C’est pourquoi le service de dermatologie entretient des liens étroits avec celui des urgences. de médecine de plongée et hyperbare Dr Thierry Boyé, Médecin en chef Dermatologue Aurélie Negrier, Infirmière L’oxygénothérapie hyperbare : de la plongée à l’angiodermatologie Les troubles trophiques sont gérés en ambulatoire dans le service de dermatologie. Pour certaines plaies chroniques comme les ulcères de jambes, le service propose l’utilisation de la médecine hyperbare initialement développée pour la plongée. Le centre hyperbare de l’HIA Ste Anne est d’ailleurs le premier centre d’Europe pour les accidents de plongées (120 accidents/an). En quoi consiste la médecine hyperbare ? P. Louge : A l’origine le caisson hyperbare est utilisé pour déterminer l’aptitude des plongeurs, traiter les accidents de plongée, et soigner les intoxications au monoxyde de carbone. En dermatologie, le caisson hyperbare est indiqué pour les plaies chroniques avec trouble de la vascularisation : pied diabétique, ulcères artériels, ulcères variqueux anciens (en préparation à la greffe), plaies surinfectées. Cette modalité thérapeutique, qui consiste à délivrer de l’oxygène à des pressions élevées aux patients, a des effets bénéfiques reconnus sur la vitesse et la qualité de la cicatrisation ainsi ® qu’une action anti-infectieuse. La mesure de la pression transcutanée en O2 est un indicateur du bénéfice de cette technique. Ainsi, une bonne réponse du patient à la pression hyperbare est généralement obtenue en cas d’ischémie chronique (effet de suppléance). L’effet anti-infectieux est obtenu par deux voies : bactériostatique sur les germes aérobies (pression antibactérienne sur la plaie limitant la multiplication des germes) et bactéricide sur les germes anaérobies (gangrènes, fasciites nécrosantes). Enfin, l’oxygénothérapie hyperbare a une action synergique avec certains antibiotiques. pansements. L’une des réunions annuelles du GAD s’est d’ailleurs déroulée à Toulon. A. Negrier : Deux infirmières sont formées à la cicatrisation des plaies afin de pouvoir gérer les patients de façon autonome après validation médicale. De ce fait, nous intervenons également lors des études réalisées avec le GAD sur les plaies et les pansements : mesures des plaies, photographies, respect du protocole, actualisation du dossier médical. (1) SFD : Société Française de Dermatologie Ulcère malléolaire mixte (artériel et veineux) pris en charge de manière multidisciplinaire (dermato + caisson) avec une guérison complète en 13 semaines (40 séances d’OHB + 17 suivi de pansement au caisson) Avant Après Vous participez également au groupe d’angiodermatologie (GAD) de la SFD(1) ? T. Boyé : En effet, je fais partie de ce groupe ce qui nous permet de participer à leurs études cliniques sur les plaies et les en Dermatologie - Mai 2014 Médecin adjoint aux Urgences « Des urgences pas si rares dans notre spécialité » Dr Pierre Louge, Médecin en chef Spécialiste Comment prenez-vous en charge les plaies chroniques dans le service ? T. Boyé : La prise en charge des plaies chroniques nécessite un travail pluridisciplinaire cohérent pour atteindre de bons résultats. A l’hôpital, nous soignons des plaies complexes avec retard de cicatrisation ayant échoué dans une prise en charge classique (environ 500 consultations/an). Nous orientons les patients vers le traitement le plus adapté : la chirurgie vasculaire (pour une revascularisation), la chirurgie conservatrice en cas d’ostéite chez le pied diabétique, et dans certains cas le caisson hyperbare pour favoriser la cicatrisation ou préparer une greffe de peau dans les meilleures conditions. Médecin en chef Dermatologue Le caisson hyperbare en chiffres : • 10 caissons en France dont 3 militaires • 1 séance = 1h30 d’oxygénation à l’équivalent de 15 m de profondeur (soit 2,5 atmosphères d’O2) • A Toulon : - 1 caisson pouvant accueillir 9 patients en position assise et 3 en position allongée - 3 000 séances/an - 200 patients/an (à raison de 3 à 5 séances/semaine) Un recours fréquent au dermatologue Les pathologies dermatologiques urgentes nécessitent une prise en charge sous 48 heures. « Il faut distinguer les urgences vitales nécessitant une prise en charge immédiate telles que les maladies bulleuses et infectieuses, ou les toxidermies, des urgences relatives comme les dermatoses invalidantes évoluant depuis moins de 5 jours, ou des urgences de terrain (le nouveau-né, le patient immunodéprimé, ou la femme enceinte) ou encore des urgences d’environnement (contagion, retentissement sur le métier…) » explique le Dr Delphine Kerebel. Les consultations dermatologiques aux urgences ne sont pas toutes justifiées. « Cela s’explique par le manque de dermatologues dans la région mais aussi par le fait qu’un problème cutané a tendance à inquiéter rapidement les patients » précise le Dr Béatrice Fournier. Les diagnostics dermatologiques les plus fréquents aux urgences sont liés aux infections, aux pathologies vasculaires et aux réactions d’hypersensibilité locale (piqures d’insectes). En présence d’une urgence dermatologique, le dermatologue est sollicité dans environ 1 cas sur 3. « En effet, certains diagnostics nous posent plus de problème (une dermohypodermite bactérienne versus une arthrite, un eczéma aigu, une fasciite nécrosante, un zona, une toxidermie,une gale, ou un prurigo par piqure d’insectes) et nous encouragent à demander l’avis du dermatologue » ajoute le Dr Kerebel. Ainsi, les urgences représentent 6,5 % de l’activité de consultation du service de dermatologie. « En présence d’une urgence dermatologique, il est important d’observer et de poser les bonnes questions… encore faut-il y penser ! » conclut le Dr Fournier. Les urgences dermatologiques à l’HIA Ste Anne : résultats d’une étude réalisée sur 6 mois en 2009 • 662 consultations pour motif dermatologique • Modalité de la consultation : 70 % spontanée, 30 % adressée par un médecin (dont 3,6 % par un dermatologue libéral) • Avis du dermatologue sollicité pour 222 cas : - Concordance diagnostique dans 59 % des cas - 43 % des patients ont nécessité une hospitalisation Dr Thierry Boyé, Médecin en chef Dermatologue Pr Bruno Graffin, Médecin en chef Interniste Sophie Spadoni, Pharmacien - Dr Béatrice Fournier, Médecin en chef Dermatologue - Audrey Yela et Céline Gaudin, Infirmières Une collaboration synergique pour éviter les errances thérapeutiques Un rôle infirmier prépondérant dans la prise en charge des maladies bulleuses Le psoriasis est une pathologie cutanée fréquente qui peut être associée à des manifestations articulaires. Sa prise en charge pluridisciplinaire illustre parfaitement la coopération entre le service de Dermatologie et le service de Médecine Interne et de Rhumatologie de l’HIA Ste Anne. Interaction & rapidité d’intervention au profit du patient Le service de Médecine Interne de l’HIA a une expérience ancienne des maladies systémiques et inflammatoires sévères, et a été précurseur dans l’utilisation des biothérapies pour soigner ces pathologies. Les frontières entre la dermatologie et la rhumatologie sont parfois minces. « En effet, nos cohortes de patients se croisent fréquemment et nous suivons environ 40 % des patients en commun » précise le Dr Thierry Boyé. Dès qu’un patient psoriasique présente des manifestations articulaires ou qu’un patient ayant un rhumatisme inflammatoire présente des manifestations cutanées, il bénéficie d’une prise en charge conjointe et facilitée par les deux services. « Il y a beaucoup d’interactions entre nos deux spécialités pour poser le diagnostic avec certitude, adapter le traitement aux symptômes et gérer au mieux les effets secondaires » explique le Pr Bruno Graffin. De plus, le cadre de santé est commun aux deux services ce qui permet un meilleur suivi du patient. « Les maladies inflammatoires font peur… » L’association des symptômes articulaires et cutanés est fréquente, et poser le bon diagnostic n’est pas toujours simple et aisé pour les médecins libéraux qui préfèrent recourir à leurs confrères hospitaliers. En pratique, les patients nous sont adressés tardivement, le plus souvent pour un 3ème ou 4ème avis. C’est ce qui explique que la plupart de nos patients sont traités par biothérapie : c’est le reflet de la rhumatologie hospitalière » explique le Pr Graffin. Pour sensibiliser les rhumatologues et les dermatologues libéraux de la région, les deux services organisent une soirée commune en mai « Le Psoriasis dans tous ses états » à laquelle participent une trentaine de médecins. Enfin, le service de dermatologie est particulièrement impliqué dans la recherche sur le psoriasis. « Nous faisons partie du RESOPSO, dont l’objectif est d’optimiser la prise en charge des patients atteints de psoriasis, dans le cadre d’un réseau ville-hôpital. Nous participons également aux études de la Société Française de Dermatologie » conclut le Dr Boyé. Les biothérapies en chiffres • Patients sous biothérapie : - Dermatologie : 120 patients avec un rhumatisme psoriasique - Médecine Interne/Rhumatologie : 350 patients avec une maladie inflammatoire • 100 patients suivis en hôpital de jour La peau est notre carapace… c’est la principale interface qui la protège des agressions de l’environnement. Toute lésion étendue du tégument expose à des troubles de thermorégulation, hydro-électrolytiques et infectieux. Les dermatoses bulleuses et les toxidermies sévères sont des pathologies nécessitant des soins infirmiers dermatologiques importants et l’utilisation de traitements lourds. Pouvez-vous nous décrire la prise en charge des maladies bulleuses dans le service ? B. Fournier : Nous sommes un centre de référence pour les dermatoses bulleuses dans le Var. La pemphigoïde bulleuse (du sujet âgé) et le pemphigus sont les plus fréquentes et entraînent des hospitalisations au cours desquelles le rôle infirmier est capital : gestion des soins, de la douleur et des infections associées. Les traitements sont informatisés, signés par les médecins, contrôlés par nos pharmaciens (posologie, interactions, contreindications), et actés par les infirmiers qui les délivrent dans les règles de la certification. A. Yela : Après avoir pris connaissance de la prescription médicale, nous expliquons le traitement au patient. Après la toilette avec un savon antiseptique, nous commençons les soins infirmiers en binôme, chacune s’occupant d’un hémicorps pour limiter le temps de traitement. Dans certains cas, nous faisons prendre un bain thérapeutique hydratant et désinfectant au patient pour le soulager des démangeaisons et préparer la peau au traitement local. Le séchage particulièrement délicat se fait par tapotement. C. Gaudin : Un bon suivi de l’évolution de la maladie nécessite un soin long et complexe : il faut compter 1 à 2 heures pour percer les bulles à l’aide d’une aiguille, désinfecter, appliquer les dermocorticoïdes locaux (s’ils sont prescrits) et réaliser les pansements… parfois sous anesthésie lorsque c’est trop douloureux. S. Spadoni : La communication avec la pharmacie est essentielle car nous préparons certains produits et gérons les stocks de pommades. Il faut pouvoir anticiper les besoins du service pour éviter les interruptions de traitement. Pour certains traitements coûteux comme les immunosuppresseurs, il faut veiller à ce que l’indication soit bien respectée. A chaque étape, nous recherchons la meilleure solution dans l’intérêt du patient. Les toxidermies sévères sont-elles fréquentes ? B. Fournier : Ces lésions cutanées dues à des réactions à des médicaments sont fréquentes et il est courant de diagnostiquer des toxidermies potentiellement sévères aux urgences ou dans les services. Les plus graves mettent en jeu le pronostic vital (50 % de létalité pour le syndrome de Lyell et 10 % pour le syndrome d’hypersensibilité) et sont généralement prises en charge au sein du service de Réanimation. S. SPADONI : En plus de la gestion des traitements, je travaille en relation avec le médecin pour la déclaration de la toxidermie qui est obligatoire au Centre de Pharmacovigilance. Pr Jean-Jacques Morand, Chef de service de Dermatologie - Dr Edouard Lightburne, Chef de service de Dermatologie de l’Hôpital Laveran (Marseille) Le dermatologue : une sentinelle des épidémies Fondamentalement, le dermatologue militaire est infectiologue car il est confronté quotidiennement aux infections cosmopolites et régulièrement aux maladies tropicales du fait de la fréquence des OPEX en milieu hostile et sous les tropiques. Quelles sont les pathologies infectieuses les plus fréquentes chez les militaires ? J-J. Morand : Les leishmanioses qui concernent nos militaires en Guyane sont une problématique importante car on observe de plus en plus d’infections à Leishmania braziliensis qui peuvent entraîner une atteinte cutanéomuqueuse, parfois délabrante au niveau du massif facial. Les leishmanioses qui concernent nos militaires en Guyane sont une problématique importante E. Lightburne : Les traitements sont assez toxiques (dérivé de l’antimoine, sel de pentamidine) et ne garantissent pas une guérison définitive (risque de reviviscence au niveau de la sphère ORL). C’est pourquoi la prévention contre les piqûres de phlébotomes doit être privilégiée, en se couvrant le plus possible la peau avant la tombée de la nuit. Le deuxième problème majeur est l’émergence des staphylococcies cutanées avec l’apparition de résistances et de souches agressives comportant des toxines (PVL(1)). Les conditions d’hygiène sur le terrain favorisent ces pyodermites qu’il importe également de prévenir, notamment en dépistant le portage chronique. Nous développons un partenariat avec le CH de Cayenne, en lien avec l’Institut Pasteur pour favoriser le suivi épidémiologique. La connaissance de la peau génétiquement pigmentée dite noire est de ce fait fondamentale pour soigner les populations autochtones. J-J. Morand : Enfin, certaines pathologies émergentes à tropisme cutané sont particulièrement surveillées en milieu militaire, soit pour leur risque d’utilisation en tant qu’armes biologiques (poxviroses), soit pour leur caractère épidémique (arboviroses), soit parce qu’elles concernent des populations civiles que l’on est susceptible de traiter lors de nos missions. Il peut s’agir d’infections à Mycobacterium ulcerans ou de l’ulcère de Buruli qui entraîne des lésions cutanées profondes, parfois une atteinte osseuse et musculaires dans les cas les plus graves, et que nous avons traité durant la mission en Côte d’Ivoire. Comment prenez-vous en charge les IST(2) ? E. Lightburne : Les IST sont également importantes dans les armées, même si le risque n’est pas différent de celui de la population civile. La prévention est fondamentale car certaines infections sont difficiles à traiter : condylomes (vaccination du personnel féminin), syphilis (rupture de stock des traitements). (1) PVL : Leucocidine de Panton-Valentine (PVL), toxine produite par le Staphylococcus aureus (2) IST : Infections sexuellement transmissibles ® en Dermatologie - Mai 2014 Dr Thierry Boyé, Médecin en chef Dermatologue Dr Eric Dantzer, Chirurgien plasticien Dr Henry Boret, Safia Abeb, Anesthésiste et réanimateur chirurgical Interne militaire en Dermatologie La gestion des brûlés au service de dermatologie Les soins aux brûlés ont contribué à une meilleure connaissance des pansements, des techniques chirurgicales de plastie et à la prévention des cicatrices hypertrophiques. Plusieurs travaux ont été menés par le service des Brûlés pour l’utilisation de la technique de greffe de derme artificiel (collagène I de tendon de veau). Sauver la fonction et y adjoindre une espérance cosmétique Les principales pathologies prises en charge au centre des Brûlés sont les lésions liées aux agressions thermiques, chimiques ou radiologiques ainsi que des pathologies à la frontière de la dermatologie. Pour les dermatoses bulleuses et les toxidermies graves pour lesquelles la gestion de la douleur est très importante, le service des Brûlés offre la possibilité de réaliser des pansements sous anesthésie générale. « La perte du revêtement cutané entraîne des problèmes de déshydratation, de fuite hydro-électrolytique et de surinfection auxquels nous devons faire face » explique le Dr Eric Dantzer. Les dermo-hypodermites bactériennes nécrosantes (DHBN) peuvent provoquer des chocs septiques et des pertes de revêtement cutané profond étendues qui nécessitent l’utilisation de techniques de chirurgie plastique. « Aujourd’hui, nous sommes en mesure de reconstruire la peau ad integrum par la greffe de dermes équivalents (DE) recouverte de l’épiderme du patient » précise-t-il. Le centre des Brûlés a d’ailleurs mené des études pour évaluer l’intérêt des DE dans la chirurgie des DHBN (7 cas de lésions délabrantes des membres inférieurs avec des expositions tendineuses de mauvais pronostic). Aujourd’hui, nous sommes en mesure de reconstruire la peau ad integrum par la greffe de dermes équivalents (DE) recouverte de l’épiderme du patient « Au-delà de l’aspect fonctionnel favorisant un retour à l’autonomie, les nouvelles techniques procurent également un résultat cosmétique » explique Safia Abed. « Nous obtenons également de bons résultats au niveau du cuir chevelu après chirurgie carcinologique pour réparer les lésions étendues, parfois jusqu’au périoste » conclut le Dr Dantzer. Le service des Brûlés en chiffres • 1 bloc opératoire in situ • 1 poste de pansements sous anesthésie • 6 lits de réanimation chirurgicale • 6 lits pour le suivi des soins ou la dermatologie conventionnelle • Un recrutement sur le Var, les Alpes- Maritimes et la Haute-Corse : - 400 admissions/an - 3000 consultations externes/an Sensibiliser à la réflexion éthique L’éthique surgit à tous les instants de la pratique en dermatologie : dès l’annonce d’une maladie jusqu’à l’accompagnement en fin de vie, dans la gestion de la douleur physique ou psychique, dans la réflexion d’une équipe sur ses pratiques, dans les dilemmes médicoéconomiques de notre société industrialisée en crise. Qu’est-ce que l’Espace de Réflexion Ethique (ERE) ? T. Boyé : L’ERE est un lieu de réflexion sur nos pratiques en tant que soignants hospitaliers. Il s’agit d’avoir un regard sur la prise en charge des patients, du diagnostic jusqu’à la fin de vie, avec une approche globale humaniste. Je coordonne actuellement ce groupe de 8 personnes (médecins, infirmiers, psychologue et chirurgiens), qui a pour mission de sensibiliser l’ensemble des services de l’HIA à la réflexion éthique sans chercher à apporter de solutions. H. Boret : Il y a réflexion éthique en présence d’un conflit de valeur sur la liberté du patient, l’évaluation de sa qualité de vie, la pratique de soins intensifs. Nous essayons de proposer au patient la meilleure solution thérapeutique en respectant ses volontés. T. Boyé : Pour favoriser cette réflexion, nous avons mis en place un « cinéma éthique » pour le personnel soignant. Nous projetons un film grand public suivi d’un débat pour aborder des thèmes comme le don d’organe, le clonage, le soin des corps après la mort, etc. Comment le soignant militaire faitil face à l’éthique au quotidien ? T. Boyé : Le soignant doit pouvoir s’adapter à certaines situations lors d’un conflit. Si la prise en charge de l’ennemi peut être mal vécue par le commandement militaire, elle doit être acceptée par le soignant au nom de l’éthique. Cependant, la notion de confidentialité du patient ennemi n’existe pas car nous sommes régis par le code de déontologie militaire et non par celui du Conseil National de l’Ordre des Médecins. H. Boret : La question de la justice distributive, l’un des piliers de la bio-éthique, peut se poser lors d’un conflit : doit-on utiliser nos ressources pour sauver un ennemi aux dépens de nos soldats français ? Les 4 piliers de la bio-éthique Les approches traditionnelles de l’éthique médicale font appel à quatre principes fondamentaux : • L’autonomie du patient c’est-à-dire sa capacité à penser, décider et agir librement de sa propre initiative. • La bienfaisance qui consiste à promouvoir ce qui est le plus avantageux pour le patient en tenant compte de la douleur, de sa souffrance physique et mentale, du risque d’incapacité et de décès, et de la qualité de sa vie. • La non-malveillance ou comment éviter de causer un préjudice au patient en mesurant le risque d’effets secondaires par exemple. • La justice distributive : les ressources étant limitées, il est impossible de guérir tous les patients et il faut établir des priorités. Pr Jean-Jacques Morand, Chef de service de Dermatologie - Drs Béatrice Fournier et Thierry Boyé, Médecins en chef Dermatologue « La formation doit être initiale et continue » L’ensemble des médecins du service de dermatologie est très impliqué dans la formation initiale et continue du personnel soignant des armées, des internes militaires et civils, des médecins et des infirmiers embarqués mais également des médecins civils de la région du Var. Quelle est la formation délivrée à l’Ecole du Personnel Paramédical des Armées (EPPA) ? J-J. Morand : La plupart des infirmiers militaires sont destinés aux unités. Nous leur dispensons de nombreux cours en dermatologie sur les thèmes suivants : troubles trophiques et escarres (Thierry Boyé), la physiologie de la peau et les infections (Béatrice Fournier), les IST, les cancers cutanés et les dermatoses inflammatoires (moi-même). Les militaires sont jeunes et ne font pas toute leur carrière dans l’armée. Il y a donc un réel besoin de formation pour faciliter le turn-over. T. Boyé : Nous leur enseignons également la télémédecine pour les préparer à la médecine en mer. Je développe un projet de recherche dans ce domaine avec pour ambition de former l’ensemble des infirmiers embarqués à la téléconsultation en dermatologie. En effet, il sont parfois les seuls soignants à bord et doivent être le plus autonome possible pour la prise de décision thérapeutique. Quelle est la formation des internes ? J-J. Morand : Nous formons les internes militaires et civils et avons toujours en moyenne un interne en dermatologie et un interne en médecine générale dans le service (formation et thèse). B. Fournier : C’est important de dédramatiser la dermatologie car il s’agit d’une discipline très clinique qui peut faire Vous formez également les médecins de la région ? J-J. Morand : Nous animons tous les trois des réunions de FMC(1) pour les généralistes et les dermatologues du Var : l’une a lieu une fois/an à l’EPPA (80 médecins dont plus de 50 % de dermatologues), l’autre est organisée avec l’association des dermatologues du Var (40 participants). T. Boyé : Nous animons également des réunions sur les kératoses pré-carcinomateuses, le psoriasis, etc. Nous participons aux congrès (JDP(2), EADV(3)…). En résumé, sur le plan de la formation nous sommes parfaitement intégrés au milieu civil avec une orientation militaire. (1) FMC : Formation Médicale Continue (2) JDP : Journées de Dermatologie de Paris (3)EADV : European Academy of Dermato-Venereology Si vous souhaitez recevoir les prochains numéros d’ECHANGES en Dermatologie, merci d’adresser votre nom, prénom, fonction et adresse à : Les axes de recherche clinique du service de dermatologie • Dermatologie tropicale et sur peau génétiquement pigmentée (en collaboration avec le groupe Infectiologie et le groupe « Peau noire » de la SFD(1)) • Télémédecine / Téléconsultation IPANEMA Healthcare Consulting Elisabeth Dufour • Médecine hyperbare et dermatologie (en collaboration avec le groupe d’angio-dermatologie 19 rue des Batignolles 75017 Paris de la SFD) ou par mail : [email protected] • Techniques chirurgicales en coopération avec le centre des Brûlés • Epidémiologie et études observationnelles du psoriasis (en collaboration avec JANSSEN-CILAG, S.A.S. au capital social de 2.956.660 Euros, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Nanterre sous le n° B 562 033 068, dont RESOPSO et le groupe Pso de la SFD) (1) SFD : Société Française de Dermatologie « Conformément à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée en 2004, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification et de suppression des informations vous concernant collectées ou susceptibles d’être collectées, à des fins d’informations ou promotions des produits. 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