Pr Jean-Jacques Morand - Chef de service de Dermatologie, Professeur agrégé du Val-de-Grâce
EN DERMATOLOGIE
N°9 - Mai 2014
®
ECH NGES
Service de Dermatologie - Hôpital d’Instruction des Armées - Toulon
Spécial
Immunologie
Le service de Dermatologie en
chiffres :
• 3 dermatologues, 1 interne en
Dermatologie, 1 interne généraliste
• 7 inrmières, 7 aide-soignantes
1 cadre de santé (pour 40 lits) + 1 adjoint
• Hospitalisation : 13 lits en Dermatologie,
4 lits au centre des Brûlés
• Des liens avec la Médecine Interne :
- 23 lits
- Secrétariat commun : 2 secrétaires
• Activité en 2013 :
- 7 273 consultations, 1500 chirurgies
- 427 RUM(1) en hospitalisation
- 203 RUM en hôpital de jour
(1) RUM = Résumé d’Unité Médicale
La mission duale du Service de
Santé des Armées (SSA)
Les médecins militaires reçoivent une
formation médicale classique à l’Université
et dans les CHU mais bénéficient aussi
d’un enseignement spécifique ou de stages
complémentaires (médecine de catastrophe,
formation NBC nucléaire- bactériologique-
chimique, préparation aux missions
extérieures, etc…) qui leur permettent de
répondre à leur double mission : soutenir
les forces armées (en métropole et en
opérations extérieures = OPEX) et participer
à la politique de santé publique. Placés sous
l’autorité du Ministre de la Défense, les 9
HIA(1) de France outre leur mission prioritaire
de soutien sanitaire des forces armées,
dispensent ainsi des soins aux assurés
sociaux civils. « Ce rôle de santé publique
est renforcé chez nous car nous sommes le
seul service de dermatologie du Var. Près de
80 % des patients vus en consultation et près
de 90 % des patients hospitalisés sont civils »
précise le Pr Jean-Jacques Morand.
Le premier service de dermatologie
militaire en terme d’activité
Le service propose plusieurs types de
consultation : tout-venant ou dédiée aux
militaires ou plus ciblée, adressée par nos
correspondants régionaux (dermatologues,
médecins généralistes et spécialistes,
militaires ou civils). Parmi les grands axes de
recrutement du service, la cancérologie a
une place prédominante et représente 25%
de l’activité globale (mélanome, carcinome,
lymphome, sarcome). « L’incidence du
mélanome est actuellement en augmentation
avec probablement un biais de sélection lié
à l’importante population des retraités venant
du Nord ou de l’Est de la France aimant
le soleil. Des militaires souvent à phototype
clair et photo-exposés dans l’enfance
sont également touchés ». Le deuxième
axe concerne les troubles trophiques
(ulcères de jambes, maux perforants
plantaires des diabétiques) pour lesquels
la médecine hyperbare est proposée.
L’activité du service en dermatologie
infectieuse est également importante. Il s’agit
d’infections cosmopolites (pyodermites,
dermohypodermites, fasciites nécrosantes,
viroses, mycoses et IST) et d’infections
tropicales chez les voyageurs et les militaires
en OPEX (arboviroses, , parasitoses,
mycoses exotiques). « Le dermatologue
est une sentinelle des épidémies. Par le
biais de la peau, nous dépistons des
affections potentiellement épidémiques
voire des maladies émergentes (poxviroses,
mycobactéries environnementales) ». Puis
viennent les dermatoses inflammatoires
chroniques (psoriasis, eczéma, urticaire,
dermatoses bulleuses, maladies auto-
immunes) pour lesquelles le dermatologue a
un rôle fondamentalement interniste. Enfin,
les urgences représentent une part non
négligeable de l’activité du service avec
notamment les toxidermies et les dermatoses
bulleuses graves prises en charge en
collaboration avec le centre des Brûlés.
Une forte implication dans la
recherche clinique et la formation
Les axes de recherche et de publications
du service sont multiples : dermatologie
tropicale et sur peau noire (rédaction en chef
de la revue Médecine et santé tropicales),
télémédecine/téléconsultation, médecine
hyberbare en dermatologie, techniques
chirurgicales en collaboration avec le
centre des Brûlés, ou encore participation
à des études sur le psoriasis. « De plus,
nous participons à la formation des internes
militaires (initiation à la dermatologie),
des médecins et des infirmiers de marine
(téléconsultation dermatologique) et des
dermatologues civils du Var (FMC) » explique
le Pr Morand qui fait partie du CEDEF
(Collège des Enseignants de Dermatologie
en France).
Le soutien de la Force d’Action
Navale (FAN) par le biais de la
télémédecine
Si les consultations pour un motif
cutanéomuqueux représentent 10 % des
cas en France, elles atteignent 25 % sous
les tropiques. « Le service a une grande
expérience de la télémédecine pour
aider à distance les médecins et infirmiers
embarqués. Nous proposons également
des consultations de dépistage délocalisées
à bord des bâtiments de la marine ou au
sein des régiments» conclut le Pr Morand
qui est aussi télé-consultant pour Médecins
Sans Frontières. La télémédecine et la santé
en mer sont abordées dans le supplément
d’Echanges en Dermatologie associé à ce
numéro.
(1) 9 hôpitaux d’instruction des armées en France : HIA du
Val-de-Grâce à Paris, HIA Percy à Clamart, HIA Bégin à Saint-
Mandé, HIA Legouest à Metz, HIA Clermont-Tonnerre à Brest,
HIA Desgenettes à Lyon, HIA Robert Picqué à Bordeaux, HIA
Laveran à Marseille et HIA Sainte Anne à Toulon.
Un sentiment d’injustice pour les
patients comme pour le personnel
soignant
Malgré l’avènement des biothérapies ciblées
et de l’immunothérapie, le pronostic des
mélanomes métastasés reste sombre : en
effet, la survie à 5 ans ne concerne qu’1
patient sur 4. C’est pourquoi le dépistage
précoce est primordial. « Notre service
travaille en coopération avec le CHU de
Marseille pour proposer aux malades le
traitement le plus moderne parfois dans
le cadre de protocoles multicentriques »
explique le Pr Morand. « Par ailleurs, nous
sommes en mesure aujourd’hui de proposer
de nouveaux protocoles thérapeutiques aux
patients » précise Safia Abed, qui réalise
sa thèse sur le mélanome dans les deux
services. Cette maladie s’accompagne de
modifications corporelles importantes, difficiles
à accepter pour le patient, sa famille et les
soignants. « C’est perturbant car cette maladie
touche les patients à tous les âges et on se
sent impuissant lorsque le stade est avancé »
précise Mme Donnard. Les nouveaux
traitements représentent un nouvel espoir et
donnent aux jeunes patients un sursis de temps
pour pouvoir préparer la fin de vie et l’après
avec leurs proches. Lorsque le patient est en
dehors des ressources thérapeutiques, la prise
en charge de la douleur et l’organisation des
soins palliatifs deviennent la priorité du service.
« Nous prenons en compte les besoins des
patients et leurs attentes pour favoriser leur
qualité de vie. Le dialogue et l’information sont
essentiels pour gagner du temps et les aider à
préparer au mieux la fin de vie, en lien avec
les réseaux de soutien (RIVAGE, RENATUS) »
explique le Dr Georgantelis.
D’autres cancers cutanés fréquents
sont parfois plus faciles à traiter
Les carcinomes concernent une population
globalement plus âgée avec une gestion
souvent plus facile. « Dans les formes
inopérables de carcinomes basocellulaires,
nous disposons de nouvelles armes efficaces
avec les thérapies ciblées » précise le
Pr Morand. Si les autres cancers (lymphome et
sarcome) sont plus rares, les tumeurs bénignes
sont légions et la concertation entre les
anatomopathologistes et les cliniciens reste
essentielle pour leur prise en charge et leur suivi.
Le mélanome : une priorité de santé publique
en Dermatologie - Mai 2014
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En France, l’incidence du mélanome a considérablement augmenté en 20 ans. Dépisté tôt,
la très grande majorité des patients guérissent alors que pour les formes métastatiques le
pronostic est plus sombre. Le vécu de l’équipe face à un malade atteint d’un mélanome, en
fin de vie, est toujours difficile car il s’agit souvent de sujets plutôt jeunes, surpris qu’une
petite lésion cutanée puisse avoir de telles conséquences…
Dr Pierre Louge, Médecin en chef Spécialiste
de médecine de plongée et hyperbare
Dr Thierry Boyé, Médecin en chef
Dermatologue
Aurélie Negrier, Infirmière
Safia Abed, Interne militaire en
Dermatologie
Pr Jean-Jacques Morand, Chef de
service de Dermatologie
Catherine Donnard, Cadre de Santé
Dr Cynthia Georgantelis, Médecin
de l’équipe mobile de soins palliatifs
L’oxygénothérapie hyperbare : de la plongée à l’angiodermatologie
Les troubles trophiques sont gérés en ambulatoire dans le service de dermatologie. Pour
certaines plaies chroniques comme les ulcères de jambes, le service propose l’utilisation de
la médecine hyperbare initialement développée pour la plongée. Le centre hyperbare de
l’HIA Ste Anne est d’ailleurs le premier centre d’Europe pour les accidents de plongées
(120 accidents/an).
Si la dermatologie est
réputée comme une
spécialité non urgente,
il existe des diagnostics
à ne pas rater pour des
pathologies nécessitant une
prise en charge néanmoins
urgente. C’est pourquoi le
service de dermatologie
entretient des liens étroits
avec celui des urgences.
Comment prenez-vous en charge
les plaies chroniques dans le service ?
T. Boyé : La prise en charge des plaies
chroniques nécessite un travail pluridisciplinaire
cohérent pour atteindre de bons résultats.
A l’hôpital, nous soignons des plaies
complexes avec retard de cicatrisation ayant
échoué dans une prise en charge classique
(environ 500 consultations/an). Nous
orientons les patients vers le traitement le plus
adapté : la chirurgie vasculaire (pour une
revascularisation), la chirurgie conservatrice
en cas d’ostéite chez le pied diabétique, et
dans certains cas le caisson hyperbare pour
favoriser la cicatrisation ou préparer une
greffe de peau dans les meilleures conditions.
En quoi consiste la médecine
hyperbare ?
P. Louge : A l’origine le caisson hyperbare
est utilisé pour déterminer l’aptitude des
plongeurs, traiter les accidents de plongée,
et soigner les intoxications au monoxyde
de carbone. En dermatologie, le caisson
hyperbare est indiqué pour les plaies
chroniques avec trouble de la vascularisation :
pied diabétique, ulcères artériels, ulcères
variqueux anciens (en préparation à la
greffe), plaies surinfectées. Cette modalité
thérapeutique, qui consiste à délivrer de
l’oxygène à des pressions élevées aux
patients, a des effets bénéfiques reconnus sur
la vitesse et la qualité de la cicatrisation ainsi
qu’une action anti-infectieuse. La mesure de la
pression transcutanée en O2 est un indicateur
du bénéfice de cette technique. Ainsi, une
bonne réponse du patient à la pression
hyperbare est généralement obtenue en cas
d’ischémie chronique (effet de suppléance).
L’effet anti-infectieux est obtenu par deux voies :
bactériostatique sur les germes aérobies
(pression antibactérienne sur la plaie limitant
la multiplication des germes) et bactéricide sur
les germes anaérobies (gangrènes, fasciites
nécrosantes). Enfin, l’oxygénothérapie
hyperbare a une action synergique avec
certains antibiotiques.
Vous participez également au
groupe d’angiodermatologie (GAD)
de la SFD(1) ?
T. Boyé : En effet, je fais partie de ce
groupe ce qui nous permet de participer
à leurs études cliniques sur les plaies et les
pansements. L’une des réunions annuelles du
GAD s’est d’ailleurs déroulée à Toulon.
A. Negrier : Deux infirmières sont
formées à la cicatrisation des plaies afin
de pouvoir gérer les patients de façon
autonome après validation médicale. De
ce fait, nous intervenons également lors
des études réalisées avec le GAD sur les
plaies et les pansements : mesures des
plaies, photographies, respect du protocole,
actualisation du dossier médical.
(1) SFD : Société Française de Dermatologie
« Des urgences
pas si rares dans
notre spécialité »
Un recours fréquent au
dermatologue
Les pathologies dermatologiques urgentes
nécessitent une prise en charge sous 48 heures.
« Il faut distinguer les urgences vitales
nécessitant une prise en charge immédiate
telles que les maladies bulleuses et infectieuses,
ou les toxidermies, des urgences relatives
comme les dermatoses invalidantes évoluant
depuis moins de 5 jours, ou des urgences
de terrain (le nouveau-né, le patient
immunodéprimé, ou la femme enceinte)
ou encore des urgences d’environnement
(contagion, retentissement sur le métier…) »
explique le Dr Delphine Kerebel.
Les consultations dermatologiques aux urgences
ne sont pas toutes justifiées. « Cela s’explique
par le manque de dermatologues dans la
région mais aussi par le fait qu’un problème
cutané a tendance à inquiéter rapidement
les patients » précise le Dr Béatrice Fournier.
Les diagnostics dermatologiques les plus
fréquents aux urgences sont liés aux infections,
aux pathologies vasculaires et aux réactions
d’hypersensibilité locale (piqures d’insectes).
En présence d’une urgence dermatologique,
le dermatologue est sollicité dans environ
1 cas sur 3. « En effet, certains diagnostics
nous posent plus de problème (une dermo-
hypodermite bactérienne versus une arthrite,
un eczéma aigu, une fasciite nécrosante, un
zona, une toxidermie,une gale, ou un prurigo
par piqure d’insectes) et nous encouragent à
demander l’avis du dermatologue » ajoute le
Dr Kerebel. Ainsi, les urgences représentent
6,5 % de l’activité de consultation du service
de dermatologie. « En présence d’une urgence
dermatologique, il est important d’observer et
de poser les bonnes questions… encore faut-il
y penser ! » conclut le Dr Fournier.
Dr Béatrice Fournier
Médecin en chef Dermatologue
Dr Delphine Kerebel
Médecin adjoint aux Urgences
Les urgences dermatologiques à
l’HIA Ste Anne : résultats d’une
étude réalisée sur 6 mois en 2009
662 consultations pour motif
dermatologique
Modalité de la consultation : 70 %
spontanée, 30 % adressée par un médecin
(dont 3,6 % par un dermatologue libéral)
Avis du dermatologue sollicité pour 222 cas :
- Concordance diagnostique dans 59 %
des cas
- 43 % des patients ont nécessité une
hospitalisation
Le caisson hyperbare en chiffres :
• 10 caissons en France dont 3 militaires
• 1 séance = 1h30 d’oxygénation à
l’équivalent de 15 m de profondeur
(soit 2,5 atmosphères d’O2)
• A Toulon :
- 1 caisson pouvant accueillir 9 patients en
position assise et 3 en position allongée
- 3 000 séances/an
- 200 patients/an (à raison de 3 à
5 séances/semaine)
Ulcère malléolaire mixte (artériel et veineux) pris en charge de
manière multidisciplinaire (dermato + caisson) avec une guérison
complète en 13 semaines (40 séances d’OHB + 17 suivi de
pansement au caisson)
Avant Après
en Dermatologie - Mai 2014
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La peau est notre carapace… c’est la principale interface
qui la protège des agressions de l’environnement. Toute
lésion étendue du tégument expose à des troubles de
thermorégulation, hydro-électrolytiques et infectieux. Les
dermatoses bulleuses et les toxidermies sévères sont des
pathologies nécessitant des soins infirmiers dermatologiques
importants et l’utilisation de traitements lourds.
Interaction & rapidité
d’intervention au profit du patient
Le service de Médecine Interne de l’HIA
a une expérience ancienne des maladies
systémiques et inflammatoires sévères,
et a été précurseur dans l’utilisation des
biothérapies pour soigner ces pathologies.
Les frontières entre la dermatologie et la
rhumatologie sont parfois minces. « En
effet, nos cohortes de patients se croisent
fréquemment et nous suivons environ 40 %
des patients en commun » précise le
Dr Thierry Boyé. Dès qu’un patient
psoriasique présente des manifestations
articulaires ou qu’un patient ayant un
rhumatisme inflammatoire présente des
manifestations cutanées, il bénéficie d’une
prise en charge conjointe et facilitée
par les deux services. « Il y a beaucoup
d’interactions entre nos deux spécialités pour
poser le diagnostic avec certitude, adapter
le traitement aux symptômes et gérer au
mieux les effets secondaires » explique le
Pr Bruno Graffin. De plus, le cadre de
santé est commun aux deux services ce
qui permet un meilleur suivi du patient.
« Les maladies inflammatoires font
peur… »
L’association des symptômes articulaires
et cutanés est fréquente, et poser le bon
diagnostic n’est pas toujours simple et aisé
pour les médecins libéraux qui préfèrent
recourir à leurs confrères hospitaliers.
En pratique, les patients nous sont adressés
tardivement, le plus souvent pour un 3ème
ou 4ème avis. C’est ce qui explique que
la plupart de nos patients sont traités
par biothérapie : c’est le reflet de la
rhumatologie hospitalière » explique le
Pr Graffin.
Pour sensibiliser les rhumatologues et les
dermatologues libéraux de la région,
les deux services organisent une soirée
commune en mai « Le Psoriasis dans
tous ses états » à laquelle participent une
trentaine de médecins. Enfin, le service de
dermatologie est particulièrement impliqué
dans la recherche sur le psoriasis. « Nous
faisons partie du RESOPSO, dont l’objectif
est d’optimiser la prise en charge des
patients atteints de psoriasis, dans le cadre
d’un réseau ville-hôpital. Nous participons
également aux études de la Société
Française de Dermatologie » conclut le
Dr Boyé.
Le dermatologue : une sentinelle des
épidémies
Pr Jean-Jacques Morand, Chef de service de Dermatologie - Dr Edouard Lightburne, Chef de service de Dermatologie de l’Hôpital Laveran (Marseille)
Quelles sont les pathologies
infectieuses les plus fréquentes
chez les militaires ?
J-J. Morand : Les leishmanioses qui
concernent nos militaires en Guyane sont une
problématique importante car on observe
de plus en plus d’infections à Leishmania
braziliensis qui peuvent entraîner une atteinte
cutanéomuqueuse, parfois délabrante au
niveau du massif facial.
E. Lightburne : Les traitements sont
assez toxiques (dérivé de l’antimoine, sel
de pentamidine) et ne garantissent pas une
guérison définitive (risque de reviviscence
au niveau de la sphère ORL). C’est
pourquoi la prévention contre les piqûres
de phlébotomes doit être privilégiée, en se
couvrant le plus possible la peau avant la
tombée de la nuit.
Le deuxième problème majeur est
l’émergence des staphylococcies cutanées
avec l’apparition de résistances et de
souches agressives comportant des toxines
(PVL(1)). Les conditions d’hygiène sur le
terrain favorisent ces pyodermites qu’il
importe également de prévenir, notamment
en dépistant le portage chronique. Nous
développons un partenariat avec le CH de
Cayenne, en lien avec l’Institut Pasteur pour
favoriser le suivi épidémiologique.
J-J. Morand : Enfin, certaines pathologies
émergentes à tropisme cutané sont
particulièrement surveillées en milieu militaire,
soit pour leur risque d’utilisation en tant
qu’armes biologiques (poxviroses), soit pour
leur caractère épidémique (arboviroses), soit
parce qu’elles concernent des populations
civiles que l’on est susceptible de traiter lors
de nos missions. Il peut s’agir d’infections
à Mycobacterium ulcerans ou de l’ulcère
de Buruli qui entraîne des lésions cutanées
profondes, parfois une atteinte osseuse et
musculaires dans les cas les plus graves, et
que nous avons traité durant la mission en
Côte d’Ivoire.
La connaissance de la peau génétiquement
pigmentée dite noire est de ce fait
fondamentale pour soigner les populations
autochtones.
Comment prenez-vous en charge
les IST(2) ?
E. Lightburne : Les IST sont également
importantes dans les armées, même si
le risque n’est pas différent de celui de
la population civile. La prévention est
fondamentale car certaines infections sont
difficiles à traiter : condylomes (vaccination
du personnel féminin), syphilis (rupture de
stock des traitements).
(1) PVL : Leucocidine de Panton-Valentine (PVL), toxine produite
par le Staphylococcus aureus
(2) IST : Infections sexuellement transmissibles
Pouvez-vous nous décrire la prise
en charge des maladies bulleuses
dans le service ?
B. Fournier : Nous sommes un centre de
référence pour les dermatoses bulleuses dans
le Var. La pemphigoïde bulleuse (du sujet
âgé) et le pemphigus sont les plus fréquentes
et entraînent des hospitalisations au cours
desquelles le rôle infirmier est capital : gestion
des soins, de la douleur et des infections
associées. Les traitements sont informatisés,
signés par les médecins, contrôlés par nos
pharmaciens (posologie, interactions, contre-
indications), et actés par les infirmiers qui les
délivrent dans les règles de la certification.
A. Yela : Après avoir pris connaissance de
la prescription médicale, nous expliquons le
traitement au patient. Après la toilette avec un
savon antiseptique, nous commençons les soins
infirmiers en binôme, chacune s’occupant d’un
hémicorps pour limiter le temps de traitement.
Dans certains cas, nous faisons prendre un
bain thérapeutique hydratant et désinfectant au
patient pour le soulager des démangeaisons
et préparer la peau au traitement local.
Le séchage particulièrement délicat se fait
par tapotement.
C. Gaudin : Un bon suivi de l’évolution de la
maladie nécessite un soin long et complexe :
il faut compter 1 à 2 heures pour percer les
bulles à l’aide d’une aiguille, désinfecter,
appliquer les dermocorticoïdes locaux (s’ils sont
prescrits) et réaliser les pansements… parfois
sous anesthésie lorsque c’est trop douloureux.
S. Spadoni : La communication avec la
pharmacie est essentielle car nous préparons
certains produits et gérons les stocks de
pommades. Il faut pouvoir anticiper les besoins
du service pour éviter les interruptions de
traitement. Pour certains traitements coûteux
comme les immunosuppresseurs, il faut veiller
à ce que l’indication soit bien respectée.
A chaque étape, nous recherchons la meilleure
solution dans l’intérêt du patient.
Les toxidermies sévères sont-elles
fréquentes ?
B. Fournier : Ces lésions cutanées dues
à des réactions à des médicaments sont
fréquentes et il est courant de diagnostiquer
des toxidermies potentiellement sévères aux
urgences ou dans les services. Les plus graves
mettent en jeu le pronostic vital (50 % de
létalité pour le syndrome de Lyell et 10 %
pour le syndrome d’hypersensibilité) et sont
généralement prises en charge au sein du
service de Réanimation.
S. SPADONI : En plus de la gestion
des traitements, je travaille en relation
avec le médecin pour la déclaration de la
toxidermie qui est obligatoire au Centre
de Pharmacovigilance.
Le psoriasis est une pathologie cutanée fréquente qui peut
être associée à des manifestations articulaires. Sa prise en
charge pluridisciplinaire illustre parfaitement la coopération
entre le service de Dermatologie et le service de Médecine
Interne et de Rhumatologie de l’HIA Ste Anne.
Une collaboration synergique pour
éviter les errances thérapeutiques
Dr Thierry Boyé, Médecin en chef Dermatologue
Pr Bruno Graffin, Médecin en chef Interniste
Un rôle infirmier prépondérant dans la
prise en charge des maladies bulleuses
Sophie Spadoni, Pharmacien - Dr Béatrice Fournier, Médecin en chef
Dermatologue - Audrey Yela et Céline Gaudin, Infirmières
Les biothérapies en chiffres
• Patients sous biothérapie :
- Dermatologie : 120 patients avec un
rhumatisme psoriasique
- Médecine Interne/Rhumatologie :
350 patients avec une maladie
inammatoire
• 100 patients suivis en hôpital de jour
Fondamentalement, le dermatologue militaire est
infectiologue car il est confronté quotidiennement aux
infections cosmopolites et régulièrement aux maladies
tropicales du fait de la fréquence des OPEX en milieu hostile
et sous les tropiques.
Les leishmanioses qui
concernent nos militaires
en Guyane sont une
problématique importante
Les axes de recherche clinique du service de dermatologie
• Dermatologie tropicale et sur peau génétiquement pigmentée (en collaboration avec le groupe Infectiologie
et le groupe « Peau noire » de la SFD(1))
• Télémédecine / Téléconsultation
• Médecine hyperbare et dermatologie (en collaboration avec le groupe d’angio-dermatologie
de la SFD)
• Techniques chirurgicales en coopération avec le centre des Brûlés
• Epidémiologie et études observationnelles du psoriasis (en collaboration avec
RESOPSO et le groupe Pso de la SFD)
(1) SFD : Société Française de Dermatologie
L’ensemble des médecins du service de dermatologie est très
impliqué dans la formation initiale et continue du personnel
soignant des armées, des internes militaires et civils, des
médecins et des infirmiers embarqués mais également des
médecins civils de la région du Var.
« La formation doit être initiale et continue »
« Conformément à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée en 2004, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification et de suppression des informations
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en Dermatologie
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Quelle est la formation délivrée
à l’Ecole du Personnel Paramédical
des Armées (EPPA) ?
J-J. Morand : La plupart des infirmiers
militaires sont destinés aux unités. Nous
leur dispensons de nombreux cours en
dermatologie sur les thèmes suivants :
troubles trophiques et escarres (Thierry Boyé),
la physiologie de la peau et les infections
(Béatrice Fournier), les IST, les cancers cutanés
et les dermatoses inflammatoires (moi-même).
Les militaires sont jeunes et ne font pas toute
leur carrière dans l’armée. Il y a donc un réel
besoin de formation pour faciliter le turn-over.
T. Boyé : Nous leur enseignons également la
télémédecine pour les préparer à la médecine
en mer. Je développe un projet de recherche
dans ce domaine avec pour ambition de
former l’ensemble des infirmiers embarqués à
la téléconsultation en dermatologie. En effet,
il sont parfois les seuls soignants à bord et
doivent être le plus autonome possible pour la
prise de décision thérapeutique.
Quelle est la formation des internes ?
J-J. Morand : Nous formons les internes
militaires et civils et avons toujours en moyenne
un interne en dermatologie et un interne en
médecine générale dans le service (formation
et thèse).
B. Fournier : C’est important de
dédramatiser la dermatologie car il s’agit
d’une discipline très clinique qui peut faire
peur. Nous apprenons aux internes à observer,
à toucher, à analyser les lésions élémentaires
pour poser un diagnostic syndromique.
Vous formez également les
médecins de la région ?
J-J. Morand : Nous animons tous les trois
des réunions de FMC(1) pour les généralistes
et les dermatologues du Var : l’une a lieu une
fois/an à l’EPPA (80 médecins dont plus de
50 % de dermatologues), l’autre est organisée
avec l’association des dermatologues du Var
(40 participants).
T. Boyé : Nous animons également des
réunions sur les kératoses pré-carcinomateuses,
le psoriasis, etc. Nous participons aux congrès
(JDP(2), EADV(3)…). En résumé, sur le plan de la
formation nous sommes parfaitement intégrés
au milieu civil avec une orientation militaire.
(1) FMC : Formation Médicale Continue
(2) JDP : Journées de Dermatologie de Paris
(3)EADV : European Academy of Dermato-Venereology
Sauver la fonction et y
adjoindre une espérance
cosmétique
Les principales pathologies prises en charge
au centre des Brûlés sont les lésions liées
aux agressions thermiques, chimiques ou
radiologiques ainsi que des pathologies
à la frontière de la dermatologie. Pour les
dermatoses bulleuses et les toxidermies
graves pour lesquelles la gestion de la
douleur est très importante, le service des
Brûlés offre la possibilité de réaliser des
pansements sous anesthésie générale.
« La perte du revêtement cutané entraîne
des problèmes de déshydratation, de
fuite hydro-électrolytique et de surinfection
auxquels nous devons faire face » explique
le Dr Eric Dantzer. Les dermo-hypodermites
bactériennes nécrosantes (DHBN) peuvent
provoquer des chocs septiques et des pertes
de revêtement cutané profond étendues
qui nécessitent l’utilisation de techniques
de chirurgie plastique. « Aujourd’hui,
nous sommes en mesure de reconstruire la
peau ad integrum par la greffe de dermes
équivalents (DE) recouverte de l’épiderme
du patient » précise-t-il. Le centre des Brûlés
a d’ailleurs mené des études pour évaluer
l’intérêt des DE dans la chirurgie des DHBN
(7 cas de lésions délabrantes des membres
inférieurs avec des expositions tendineuses
de mauvais pronostic).
« Au-delà de l’aspect fonctionnel favorisant un
retour à l’autonomie, les nouvelles techniques
procurent également un résultat cosmétique »
explique Safia Abed. « Nous obtenons
également de bons résultats au niveau du cuir
chevelu après chirurgie carcinologique pour
réparer les lésions étendues, parfois jusqu’au
périoste » conclut le Dr Dantzer.
La gestion des brûlés au service de
dermatologie
Dr Thierry Boyé,
Médecin en chef
Dermatologue
Dr Henry Boret,
Anesthésiste et
réanimateur
chirurgical
Les soins aux brûlés ont contribué à une meilleure
connaissance des pansements, des techniques chirurgicales
de plastie et à la prévention des cicatrices hypertrophiques.
Plusieurs travaux ont été menés par le service des Brûlés
pour l’utilisation de la technique de greffe de derme artificiel
(collagène I de tendon de veau).
Sensibiliser à la réflexion éthique
L’éthique surgit à tous les instants de la pratique en dermatologie :
dès l’annonce d’une maladie jusqu’à l’accompagnement en fin de
vie, dans la gestion de la douleur physique ou psychique, dans la
réflexion d’une équipe sur ses pratiques, dans les dilemmes médico-
économiques de notre société industrialisée en crise.
Dr Eric Dantzer,
Chirurgien plasticien
Safia Abeb,
Interne militaire en
Dermatologie
Le service des Brûlés en chiffres
• 1 bloc opératoire in situ
• 1 poste de pansements sous anesthésie
• 6 lits de réanimation chirurgicale
• 6 lits pour le suivi des soins ou la
dermatologie conventionnelle
• Un recrutement sur le Var, les Alpes-
Maritimes et la Haute-Corse :
- 400 admissions/an
- 3000 consultations externes/an
Les 4 piliers de la bio-éthique
Les approches traditionnelles de l’éthique
médicale font appel à quatre principes
fondamentaux :
L’autonomie du patient c’est-à-dire sa
capacité à penser, décider et agir librement
de sa propre initiative.
• La bienfaisance qui consiste à
promouvoir ce qui est le plus avantageux
pour le patient en tenant compte de la
douleur, de sa souffrance physique et
mentale, du risque d’incapacité et de décès,
et de la qualité de sa vie.
• La non-malveillance ou comment
éviter de causer un préjudice au patient en
mesurant le risque d’effets secondaires par
exemple.
• La justice distributive : les ressources
étant limitées, il est impossible de guérir tous
les patients et il faut établir des priorités.
Pr Jean-Jacques Morand, Chef de service de Dermatologie - Drs Béatrice Fournier et Thierry Boyé, Médecins en chef Dermatologue
Qu’est-ce que l’Espace de
Réflexion Ethique (ERE) ?
T. Boyé : L’ERE est un lieu de réflexion
sur nos pratiques en tant que soignants
hospitaliers. Il s’agit d’avoir un regard
sur la prise en charge des patients, du
diagnostic jusqu’à la fin de vie, avec une
approche globale humaniste. Je coordonne
actuellement ce groupe de 8 personnes
(médecins, infirmiers, psychologue et
chirurgiens), qui a pour mission de
sensibiliser l’ensemble des services de l’HIA
à la réflexion éthique sans chercher
à apporter de solutions.
H. Boret : Il y a réflexion éthique en
présence d’un conflit de valeur sur la liberté
du patient, l’évaluation de sa qualité de vie,
la pratique de soins intensifs. Nous essayons
de proposer au patient la meilleure solution
thérapeutique en respectant ses volontés.
T. Boyé : Pour favoriser cette réflexion,
nous avons mis en place un « cinéma
éthique » pour le personnel soignant. Nous
projetons un film grand public suivi d’un
débat pour aborder des thèmes comme le
don d’organe, le clonage, le soin des corps
après la mort, etc.
Comment le soignant militaire fait-
il face à l’éthique au quotidien ?
T. Boyé : Le soignant doit pouvoir
s’adapter à certaines situations lors d’un
conflit. Si la prise en charge de l’ennemi
peut être mal vécue par le commandement
militaire, elle doit être acceptée par le
soignant au nom de l’éthique. Cependant,
la notion de confidentialité du patient
ennemi n’existe pas car nous sommes régis
par le code de déontologie militaire et non
par celui du Conseil National de l’Ordre
des Médecins.
H. Boret : La question de la justice
distributive, l’un des piliers de la bio-éthique,
peut se poser lors d’un conflit : doit-on utiliser
nos ressources pour sauver un ennemi aux
dépens de nos soldats français ?
Aujourd’hui, nous sommes
en mesure de reconstruire la
peau ad integrum par la
greffe de dermes équivalents
(DE) recouverte de l’épiderme
du patient
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