La dépression dans la maladie de Parkinson A. Fève* Nous passerons en revue la maladie de Parkinson, grande pourvoyeuse de troubles psychiatriques. Auparavant, quelques remarques s’imposent : ◗ Il est parfois difficile de faire la part de ce qui est la cause ou la conséquence de la maladie de Parkinson. Même si on sait que la maladie de Parkinson porte en elle un potentiel de dépression, il est toujours intriguant d’entendre les patients rapprocher le début de leur maladie d’une circonstance traumatique. En dehors de James Parkinson, dans sa description initiale, peu se sont intéressés aux facteurs favorisant le début de la maladie. Le retentissement du handicap, de l’étiquette “maladie de Parkinson” sur le patient, son couple et le reste de sa famille sont néanmoins des éléments à prendre en compte et qui peuvent – peut-être – changer l’évolution de la maladie en soi. ◗ Certains facteurs démographiques influencent la survenue de dépression dans les maladies chroniques : âge avancé, éducation de bas niveau, faible niveau socio-économique, inactivité, divorce ou séparation d’avec le conjoint. Épidémiologie La littérature est très partagée sur le pourcentage de dépression dans la maladie de Parkinson, en fonction de la méthodologie et du groupe témoin. Surtout, l’évaluation de la sévérité de la dépression explique cette hétérogénéité. Pour résumer, si les parkinsoniens ne semblent pas avoir plus de dépression grave (3 à 7 %) que les non-parkinsoniens du même âge, ils ont, en revanche, pour 40 à 50 % d’entre eux, des dépressions de moyenne intensité. Facteurs de risque Les études sont également très controversées au sujet des facteurs de risque, en particulier concernant le lien avec l’âge. La plupart d’entre elles n’ont pas montré de relation entre l’âge du patient et la durée des symptômes ou leur début. Est également discutée la relation entre la dépression et la détérioration intellectuelle chez les parkinsoniens. Plusieurs études sont en faveur d’un plus grand risque de détérioration cognitive chez les patients ayant une dépression. Il est cependant difficile de différencier le manque d’intérêt, l’inattention et les troubles de l’humeur qui relèvent de la dépression et ceux qui sont dus au déclin intellectuel. Signes cliniques *Service de neurologie, hôpital LéopoldBellan, Paris. Les signes cliniques ne sont pas différents de ceux décrits pour les dépressions majeures, les dépressions atypiques ou les troubles dysthymiques T outes les maladies chroniques sont accompagnées de dépression à différents stades. Dans une étude récente, les maladies chroniques augmentaient de 40 % le risque de dépression, mais le pourcentage était nettement plus élevé, si les critères correspondaient à un état dépressif sous-jacent. Parmi ces maladies chroniques, les maladies neurologiques arrivaient en tête. dans le DSM IV. Cependant, quelques caractéristiques propres à la maladie de Parkinson méritent d’être soulignées. La dépression du parkinsonien a des caractéristiques particulières La culpabilité est faible et il n’y a que peu de rumination de reproches. C’est-à-dire que, dans le discours du parkinsonien, on entend de l’anxiété, de l’irritabilité, de la tristesse et du pessimisme, mais peu d’impression de faillite, de deuil, de faute. Les plaintes physiques sont en revanche plus rapidement présentes dans le cours de la maladie et augmentent en intensité avec l’aggravation de l’atteinte motrice. Les idées de suicide sont fréquentes, mais le taux de suicide est faible. Évolution de la maladie On peut noter que les signes dépressifs peuvent survenir avant le diagnostic de la maladie, en tant que premières manifestations et peuvent d’ailleurs correspondre à une dépression résistante aux antidépresseurs usuels, nécessitant la mise en place d’un traitement antiparkinsonien. Il n’y a pas de corrélation entre les signes parkinsoniens et l’intensité de la dépression au cours de l’évolution. Enfin, les patients 178 Correspondance en médecine Correspondance en médecine peuvent ressentir des troubles de l’humeur fluctuant en fonction de leur stade on ou off, classiquement off et déprimés, on et hypomanes. L’évolution de la dépression du parkinsonien est chronique, elle est présente tout au long de la maladie, avec des hauts et des bas. Dans une étude de 1990, 62 % des patients ayant des troubles dépressifs au moment de l’annonce du diagnostic continuaient à être dépressifs dans l’évolution de la maladie. Symptômes Certains symptômes peuvent prêter à confusion entre maladie de Parkinson non équilibrée et dépression ; c’est le cas de la bradyphrénie, du faciès inexpressif, de la perte de poids, de l’insomnie, de la baisse de libido et de la fatigue. Il ne faut pas confondre certains troubles du sommeil classiques des parkinsoniens avec ceux de la dépression ; il semble, toutefois, que les parkinsoniens aient plus tendance, lors de leur dépression, à majorer ces signes – anorexie, perte de libido, insomnie, douleurs –, car ceux-ci sont beaucoup plus fréquents chez les parkinsoniens déprimés que chez les parkinsoniens non déprimés. L’évaluation de la dépression chez les parkinsoniens n’est pas simple et la corrélation entre les tests classiques de dépression et l’impression clinique n’est pas bonne. Cela doit faire relativiser les résultats des différentes études épidémiologiques et cliniques fondées essentiellement sur des tests dont la méthodologie ne s’applique pas aux signes parkinsoniens. Comment expliquer la dépression chez le parkinsonien ? dans les régions orbito-frontale inférieures et le noyau caudé. On retrouve les mêmes anomalies chez les patients déprimés non parkinsoniens. La dépression dans la maladie de Parkinson est-elle une cause ou une conséquence de la maladie ? Traitement de la dépression du parkinsonien Une dépression réactionnelle à la maladie de Parkinson Les maladies chroniques, neurologiques ou non, sont fréquemment associées à des dépressions. Cependant, dans la maladie de Parkinson, les signes parkinsoniens et la dépression sont dissociés et la dépression peut être un des premiers signes, ce qui va contre l’hypothèse du caractère endogène de la dépression parkinsonienne. Une dépression endogène liée directement à la maladie de Parkinson Il existe des altérations des neurotransmetteurs spécifiques aux parkinsoniens déprimés. La dopamine peut intervenir dans la mesure des variations d’humeur observées lors du passage d’un état on à un état off. On n’a pas trouvé d’anomalie du métabolisme de la dopamine spécifique des parkinsoniens déprimés. Le métabolisme de la sérotonine est davantage en cause. Le taux de métabolites de la sérotonine dans le liquide céphalo-rachidien de parkinsoniens déprimés est plus faible que chez les non-déprimés. Chez les parkinsoniens, le métabolisme cérébral du glucose est diminué P POINTS OINTS CLÉS CLÉS Dépression modérée plus fréquente chez PK que chez les non-PK malades chroniques Pas de corrélation avec les signes et l'évolution de la maladie, sauf avec les troubles cognitifs Peu de suicide, mais des idées suicidaires Dépression chronique et récurrente, persistante tout au long de l'évolution Somatisations spécifiques Peu de culpabilité et d'auto-accusation Non-concordance des tests et de l'impression clinique de dépression Act. Méd. Int. - Neurologie (3) n° 8, octobre 2002 Médicaments antiparkinsoniens La lévodopa peut avoir un rôle positif, notamment en début de traitement chez les parkinsoniens déprimés, pour accompagner un début de traitement antidépresseur. Chez les déprimés non parkinsoniens, elle n’a pas d’effet antidépresseur. La lévodopa peut, au contraire, aggraver la dépression chez certains parkinsoniens. Les agonistes dopaminergiques et l’amantadine agissent sur l’humeur de certains de façon bénéfique. La sélégiline est un IMAO B et a donc un effet antidépresseur et antiparkinsonien. Médicaments antidépresseurs Les tricycliques sont efficaces dans la dépression du parkinsonien. L’imipramine, la désipramine, la nortryptiline ont été testées en double étude versus placebo et ont démontré leur efficacité. Elles sont à l’origine d’effets secondaires comme la somnolence et la bouche sèche, ainsi que la rétention d’urine, la tachycardie et les troubles du rythme cardiaque qui impliquent donc un examen cardiologique préalable. Les inhibiteurs de la recapture de sérotonine (IRS) ont vu leur intérêt croître du fait des mécanismes sérotoninergiques impliqués dans la dépression du parkinsonien. La fluoxétine a été étudiée, avec des effets positifs sur la dépression, en étude ouverte. L’idée que les IRS aggravaient les troubles moteurs a été infirmée par une étude versus placebo. Cependant, dans cette étude, si les troubles moteurs n’étaient pas aggravés, l’amélioration thymique était équivalente dans les deux groupes. 179 Correspondance en médecine Correspondance en médecine Sismothérapie La dépression est rarement grave et mélancolique chez le parkinsonien. Cependant, lors de risque de passage à l’acte suicidaire, ou chez des patients présentant des effets secondaires importants avec les antidépresseurs, avec des troubles importants de l’humeur, la sismothérapie peut être indiquée. De nombreuses études ouvertes et une étude contrôlée ont montré son efficacité, avec une amélioration motrice et thymique. Psychothérapie Ce chapitre reste à écrire, et adapter les techniques de psychothérapie n’est pas une simple affaire pour les patients parkinsoniens. Les antidépresseurs, s’ils améliorent l’humeur et restreignent les idées suicidaires, ne rendent pas le bonheur. Le parkinsonien connaît les affres du vieillissement de façon précoce et amplifiée : perte de la libido, désintérêt du conjoint, sadisme ou violence de l’entourage voulant qu’il réagisse et critiquant ouvertement en consultation son inertie, vengeance du conjoint qui a été maltraité toute sa vie par le futur parkinsonien qui était alors hyperactif (Un sujet de roman, de Sacha Guitry, mis en scène récemment, traduit bien cette inversion possible des rôles dans le couple où l’un est porteur d’un nouvel handicap, modifiant sa personnalité et ses réactions). Il y a fort à parier que les médications diverses n’y feront rien et même accentueront les troubles sexuels, par exemple. So what ? La psychanalyse n’a pas un cadre adapté au patient parkinsonien. Il n’est pas question d’allonger un parkinsonien, le mettant ainsi dans une position régressive à laquelle il redoute d’aboutir. Cependant, l’esprit “analytique” permet une prise en compte d’une autre forme de relation que la relation médicale, corps malademédecin, et peut laisser un temps la place à la parole : “J’existe en dehors du fait que j’ai une maladie de Parkinson.” Cette pratique peut être intéressante pour les parkinsoniens jeunes, avec peu de signes moteurs. La psychothérapie analytique consiste en séances face à face, pratiquées par un psychanalyste. Les thérapies comportementales trouvent leur place dans l’adoption d’une stratégie pour le parkinsonien, lui permettant de prendre une place active dans le couple, la famille et la société. Ces thérapies sont plus “soutenantes”, plus dirigistes et peuvent s’appliquer aux parkinsoniens handicapés, peu actifs, enfermés dans leur tour d’ivoire, au même titre que la méthode orthophonique de Silverman, par exemple. Quant aux thérapies de groupe, nous les pratiquons inconsciemment dans nos salles d’attente bondées, dans les associations de patients. Elles peuvent aussi être utiles aux couples, comme l’initiative de l’équipe de Léopold-Bellan, les regroupant autour d’un psychiatre comportementaliste. Il n’y a pas d’études comparatives de ces techniques et de leur effet sur la dépression. Il s’agit, la plupart du temps, d’une expérience humaine individuelle. Références ◗ Wells et al. Psychiatric disorders in a sample of the general population with and without chronic medical conditions. Am J Psychiatry 1988 ; 145 : 976-81. ◗ Hantz et al. Depression in Parkinson’s disease. Am J Psychiatry 1994 ; 151 : 1010-4. ◗ Tandberg et al. The occurrence of depression in Parkinson's disease. Arch Neurol 1996 ; 53 : 175-9. ◗ Gotham et al. Depression in Parkinson’s disease : a quantitiative and qualitative analysis. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1986 ; 49 : 381-9. ◗ Starkstein et al. Specificity of affective and autonomic symptoms of depression in Parkinson’s disease. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1990 ; 53 : 869-73. ◗ Marsh GG et al. 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