LA PATHOLOGIE DU GENOU CHEZ LE SPORTIF DE PLUS DE 50 ANS Ph. Neyret, E. Noël, T. Aït Si Selmi (Service Professeur Neyret - Centre Livet – 69300 Caluire / France) Classiquement les lésions traumatiques sont plutôt l’apanage du sujet jeune et les lésions microtraumatiques celles des sportifs de plus de 50 ans. Aujourd’hui cela n’est pas forcément la règle, car certains sports à risque traumatique sont pratiqués longtemps et parfois tardivement (football, tennis, judo, ski). 1- L’ARTHROSE : Sa survenue dépend beaucoup des antécédents en particulier traumatiques (rupture du croisé antérieur) ou chirurgicaux (méniscectomies). Elle siège plus volontiers sur le compartiment interne, elle peut être très longtemps bien tolérée et son apparition est en général tardive. La rupture du ligament croisé antérieur est responsable de la survenue d’une arthrose du genou et ceci a été démontré tant chez l’animal que chez l’homme. C’est la cause la plus fréquente d’arthrose chez le sportif et en particulier chez le footballeur. Cette arthrose est le stade ultime de l’histoire naturelle d’une laxité antérieure chronique. Elle peut survenir assez rapidement surtout si le genou est très instable, elle est volontiers bi-compartimentaire. L’évolution arthrogène d’une laxité antérieure est influencée par plusieurs facteurs (l’évolution est plus rapide si le premier accident d’instabilité survient après 30 ans, le génu varum, la poursuite d’une activité physique de compétition, la réalisation d’une méniscectomie interne qu’elle soit effectuée à ciel ouvert ou sous arthroscopie). La réalisation d’une méniscectomie sur un genou instable est plus arthrogène qu’une méniscectomie interne sur genou stable. L’influence directe des microtraumatismes dûs à la pratique du sport sur la survenue d’une arthrose est controversée et les études sur le sujet sont parfois contradictoires : - la pratique de la course à pied de façon intensive n’est pas responsable d’arthrose - KLUNDER a montré que le football entraînait plus d’arthrose de hanche que chez les témoins, ce qui n’est pas vrai pour le genou en dehors d’un contexte post-traumatique - KUJALA a étudié 117 anciens athlètes de haut niveau, âgés de 45 à 68 ans (28 coureurs de fond, 31 footballeurs, 29 haltérophiles et 29 tireurs). La prévalence de l’arthrose (fémorotibiale ou fémoro-patellaire) est de 31% chez les hatérophiles (essentiellement fémoropatellaire), de 29% chez les footballeurs (essentiellement fémoro-tibiale), de 14% chez les coureurs et de 3% chez les tireurs. Sur le plan statistique, les facteurs de risque de survenue d’une gonarthrose sont les antécédents traumatiques du genou, un antécédent de masse corporelle élevé dès l’âge de 20 ans, une activité professionnelle physiquement difficile, un travail en position accroupie ou agenouillée et la pratique du football. Outre les règles thérapeutiques énoncées plus haut, plusieurs autres possibilités se discutent : - la genouillère à évidement rotulien : Il semble que l’utilisation d’une genouillère fenêtrée lors des activités quotidiennes, des exercices de rééducation ou de la reprise du sport, apporte un plus avec un effet sécurisant pour le patient. Son utilisation empirique peut se justifier quelque soit l’âge du patient. - les traitements de fond par voie orale de l’arthrose : Ils constituent ce que l’on appelle “ les anti-arthrosiques symptomatiques d’action lente ”. Ces thérapeutiques devraient, idéalement, permettre d’obtenir une véritable chondroprotection. Un certain nombre d’entre elles est utilisé dans le commerce depuis de très nombreuses années : N Acéthylglucosamine (ARTHRYL), Chondroïtine sulfate (STRUCTUM), Insaponifiables du soja et de l’avocat (PIASCLEDINE), Oxaceprol (JONCTUM), d’autres le sont depuis peu : diacerrheïne (ART 50), chondroïtine sulfate plus dosé que le Structum (CHONDROSULF). Ces produits ont montré leur efficacité chez l’animal. Les modèles animaux choisis généralement (lapin, souris) ont un cartilage différent de celui de l’homme. Les études faites sur des animaux ayant des cartilages plus proches de celui de l’homme (singe, chien) n’ont pas un recul suffisant, l’évolution dégénérative étant dans ces cas de figure beaucoup plus lente que chez les petits animaux. Chez l’homme peut-on parler véritablement de chondroprotection, dans la mesure où il n’a jamais été montré de véritable action sur le cartilage ? Dans un certain nombre de cas, ces thérapeutiques ont amélioré la fonction et diminué la douleur. Plusieurs études sur une réelle chondroprotection en clinique sont en cours, elles demandent bien sûr un recul important et plusieurs années avant d’être publiées. - les thérapeutiques comportant une injection intra-articulaire : * la corticothérapie intra-articulaire : Les seules études publiées sur la corticothérapie intra-articulaire l’ont été dans la gonarthrose au sens large du terme, 5 essais versus placebo ont été publiés. Avec les produits utilisés (hydrocortisone ou hexacétonide de triamcinolone (HEXATRIONE R longue durée)), l’amélioration après injection intra-articulaire de corticoïdes ne s’est exprimée par rapport au placebo que dans les 7 à 10 premiers jours. Avec un recul plus important, il n’y avait pas de différence entre les deux groupes. Ces résultats doivent être modulés car les populations étaient peu importantes. Il paraît nécessaire avant d’en arriver à des conclusions définitives de mieux cerner les indications et d’évaluer les résultats sur des populations suffisamment importantes. Empiriquement ce traitement mérite d’être utilisé chez des sportifs d’âge mur, dans les gonarthroses encore pas trop évoluées et en poussées . * l’acide hyaluronique (HYALGAN) semble avoir un effet sur les paramètres cliniques des genoux arthrosiques. Il faut réaliser une injection par semaine pendant 4 à 5 semaines. Cette thérapeutique doit faire l’objet d’autres évaluations, pour pouvoir être retenue comme étant véritablement chondroprotectrice. Les résultats sont meilleurs chez les patients de plus de 60 ans, ayant une arthrose avec épanchement. Ce produit n’est pas remboursé par la Sécurité Sociale. * le SYNVISC (HYLANE GF 20) est un liquide-gel élastovisqueux utilisdepuis plusieurs années au Canada et au USA. Les résultats publiés sont meilleurs dans les arthroses peu évoluées avec genou sec, ils se maintiennent pendant 6 à 9 mois. Actuellement ce produit commercialisé depuis peu en France n’est pas remboursé par la Sécurité Sociale. Il va faire l’objet d’une demande d’agrément TIPS. * pour mémoire il faut citer l’aprotinine (NIPROL). Le lavage articulaire : Il peut être effectué sous arthroscopie ou à l’aiguille pour certains. Peu de travaux ont été publiés sur le sujet, il faut cependant tenir compte de celui effectué par Dawes qui a comparé chez les patients présentant une gonarthrose les résultats du lavage articulaire et de la ponction évacuatrice simple, il n’y a pas de différence entre les deux populations, mais le nombre de patients limités (10 dans chaque groupe) incite à interpréter ce travail avec quelque prudence. Dans le contexte de genou dégénératif, cette indication de lavage arthroscopique peut se poser après échec d’un traitement médical correctement conduit pendant au mois 6 mois. Un geste de débridement peut être associé au lavage arthroscopique chez les patients les plus âgés, le bénéfice observé n’étant pas toujours très prolongé. Il s’agit donc d’une alternative thérapeutique intéressante, à but purement symptomatique, elle est contestée par certains. Les greffes cartilagineuses : Elles constituent l’idéal à atteindre en matière de traitement des lésions arthrosiques. Les premiers travaux chez l’animal (lapin) remontent à 1984. Les greffes cartilagineuses autologues commencent à être envisagées, un travail récent de BRITTBERG a montré des résultats plutôt décevants au niveau des lésions fémoro-patellaires, en revanche ils sont bien meilleurs lorsque les lésions se situent au niveau des condyles fémoraux et qu’elles sont d’origine traumatique. Le greffon cartilagineux est prélevé en zone saine lors d’une arthroscopie, puis isolé et cultivé en laboratoire (actuellement cette technique de culture de chondrocytes humains n’est pas réalisée en France) pendant 3 semaines avant d’être injecté dans la zone lésionnelle, puis fixé grâce à une apposition périostée prélevée au niveau du plateau tibial. Tout ceci mérite confirmation mais ouvrira peut être certaines voies thérapeutiques. 2 - LA PATHOLOGIE TENDINEUSE : Elle est classiquement rare au niveau du genou. - le tendon rotulien peut être concerné, cette atteinte du système extenseur peut être en rapport avec un surmenage, une raideur des ischio-jambiers ou une pratique sportive sur des sols durs et inadaptés - le tendon quadricipital entre dans le même cadre pathologique, son atteinte est plus liée à un surmenage - les tendons de la patte d’oie peuvent être en cause, mais cela est très rare et doit plutôt constituer un diagnostic d’élimination. Cette pathologie se rencontrera plutôt dans la pratique du tennis, de la danse ou du ski, chacun des trois tendons de la patte d’oie (couturier, droit interne, demi-tendineux) pouvant être en cause. Le tableau clinique est constitué de douleurs à la face interne du genou faisant suite à des efforts trop répétitifs ou à une reprise trop intense après une inactivité prolongée. La douleur sera reproduite par la palpation du tendon (avec parfois une tuméfaction rénitente) ou son étirement passif. Les radiographies sont indispensables à la recherche de lésions arthrosiques ou de troubles statiques, mais c’est surtout l’échographie qui recherchera une bursite associée et l’IRM qui éliminera une autre pathologie plus classique et non mise en évidence jusqu’à présent. Les indications thérapeutiques sont centrées sur le repos sportif, les traitements par voie générale, la cryothérapie et la physiothérapie locales, la suppression au moins temporaire des gestes sportifs favorisant et l’utilisation d’orthèses plantaires en cas de troubles statiques. Lorsqu’il s’agit d’une atteinte du système extenseur, la rééducation tient une place de choix. Sauf exception, le traitement médical est pratiquement toujours suffisant. 3 – LA PATHOLOGIE FEMORO-PATELLAIRE NON ARTHROSIQUE : C’est ce que H. DEJOUR a appelé le “ genou forcé de l’adulte ”. Il s’agit en général d’un syndrome rotulien douloureux. Les douleurs surviennent en général dans les suites d’une marche prolongée en montagne après une descente difficile et un peu rapide. Il s’agit fréquemment de patients présentant une raideur des chaînes postérieures. Si les douleurs s’accompagnent d’un épanchement articulaire cela traduit la présence d’une chondrite fissuraire dont les douleurs peuvent persister pendant très longtemps. Il est important de préciser qu’il n’y a pas forcément de parallélisme strict entre lésions cartilagineuses et symptomatologie clinique, puisque la présence de lésions cartilagineuses totalement asymptomatiques est loin d’être exceptionnelle. L’imagerie sophistiquée (arthroscanner, IRM) n’a de place que pour éliminer une pathologie. Le traitement des douleurs et la rééducation avec étirements musculaires sont au premier plan des traitements. L’utilisation d’une genouillère avec évidement rotulien est conseillée lors de la reprise du sport. 4 – LA PATHOLOGIE MENISCALE : C’est essentiellement la méniscose dégénérative interne, qui est détaillée par ailleurs (cf ménisque dégénératif). Il faut également mentionner les lésions du ménisque externe opérées plusieurs années auparavant qui vont s’accompagner de lésions cartilagineuses aboutissant à long terme à une arthrose fémoro-tibiale externe. Ceci est encore plus vrai chez les footballeurs qui imposent de fortes contraintes à leur compartiment fémoro-tibial externe. Ces lésions dégénératives concerne presque exclusivement le ménisque interne, car si elles existent au niveau du ménisque externe elles ne posent pratiquement jamais les mêmes problèmes et ne sont presque jamais impliquées de façon isolée. La méniscose dégénérative est fréquente chez le sportif et fortement liée à l’âge mais pas de façon exclusive puisqu’elle peut être rencontrée à tout âge. Ainsi sa fréquence est de l’ordre de 60% chez les patients de plus de 50 ans, mais elle est quand même de 6,5% à 30 ans. Elle est plus fréquente chez l’homme avec un sec-ratio qui est de l’ordre de 2/1, ce qui est l’inverse de la gonarthrose. Les facteurs favorisants sont représentés plus par le surmenage que par l’obésité ou les troubles statiques des membres inférieurs. a) Le diagnostic positif Le diagnostic de méniscose dégénérative doit être évoqué devant un patient venant consulter pour des douleurs de la face interne du genou. A l’interrogatoire, il n’y a pas de notion de traumatisme franc. Parfois le patient décrit une flexion forcée, un banal mouvement de torsion, un travail inhabituel en position accroupie ou plus prolongée qu’à l’ordinaire. Les symptômes sont constitués par des douleurs localisées à la face interne du genou, sans notion de blocage ou de dérangement interne. Elles sont aggravées par la montée des escaliers ou la position accroupie. Il existe souvent une recrudescence nocturne traduisant une composante inflammatoire, le patient appréhendant toute pression, même minime, sur la face interne du genou (drap du lit). Il peut exister un gonflement du genou survenant lors d’un effort qui n’est pas forcément intense. L’examen clinique ne présente aucune caractéristique et retrouve : une douleur à la pression de l’interligne interne, un épanchement d’importance variable, une mobilité généralement normale parfois douloureuse en flexion ou en extension forcées, un signe de Mac Murray positif. Il est nécessaire de faire un examen programmé complet de ce genou et en particulier de vérifier l’état du pivot central. La réalisation de clichés radiographiques des deux genoux doit être systématique, un cliché de face en appui monopodal et en shuss, un cliché de profil en appui monopodal et une vue axiale des rotules à 30° de flexion quadriceps décontracté seront réalisées. Aucun signe d’arthrose n’est mis en évidence, tout au plus peut-on accepter une discrète asymétrie de hauteur de l’interligne fémoro-tibial sur le cliché en shuss. b) L’imagerie complémentaire La réalisation d’une imagerie complémentaire peut être nécessaire (arthrographie ou IRM) si le tableau est un peu atypique ou laisse planer un doute sur une éventuelle ostéonécrose aseptique chez un patient de plus de 60 ans. La classification IRM de STOLLER en 4 grades rapporte d’abord des lésions intra-méniscales puis des lésions transfixantes du ménisque. c) Les aspects thérapeutiques Si l’attitude thérapeutique face à une lésion méniscale traumatique ou fans le cadre d’une rupture du LCA est assez consensuel, il n’en est pas de même en présence d’une méniscose dégénérative. Le traitement médical semble souhaitable en première intention, avec la prise d’antalgiques et surtout d’AINS. En cas de non amélioration, la réalisation d’une ou deux injections de corticoïdes retard en intra-aticulaire donne souvent d’excellents résultats. Certains préconisent de les faire dans le mur méniscal interne, mais aucune supériorité par rapport à la voie intra-articulaire n’a été prouvée. En outre l’injection dans les parties molles (mur méniscal) peut être suivie de réactions très douloureuses. En cas de non amélioration après 3 à 4 mois, il faut savoir proposer une résection arthroscopique sans trop attendre. HEDE a réalisé cette étude sur 36 patients britanniques placés sur une liste d’attente pendant un à deux ans en vue d’une méniscectomie arthroscopique. A l’issue de la période d’attente, 25% étaient devenus asymptomatiques et 47% n’étaient que partiellement gênés. En définitive, 39% des patients ont préféré ne pas se faire opérer. Le traitement arthroscopique de ces lésions méniscales dégénératives donne entre 76 et 92% de bons et très bons résultats (Pr DORFMANN.) ROULOT avec un recul compris entre 4 et 9 ans, a revu 24 patients et a retrouvé un très bon résultat fonctionnel dans 19 cas (79,2%). Globalement les résultats sont moins satisfaisants que lorsque la méniscale est traumatique et verticale. Les résultats des méniscectomies sur ménisques dégénératifs semblent se dégrader avec le temps, ils sont moins bons lorsque la méniscectomie est étendue ou si les lésions cartilagineuses sous-jacentes sont importantes. d) Conclusions La pathologie méniscale dégénérative (méniscose) peut se rencontrer à tout âge, cependant elle est l’apanage du sportif d’âge mur. Le diagnostic sera très fortement évoqué sur des arguments cliniques positifs (douleurs du compartiment interne du genou en l’absence de tout contexte traumatique) et radiographiques négatifs (Rx normale ou sub-normale). Le pronostic évolutif est fonction de l’étendue des lésions cartilagineuses sous-jacentes. La réalisation d’une IRM peut aider dans la démarche thérapeutique. Il ne faut pas se précipiter sur un geste arthroscopique car le résultat est souvent moins satisfaisant que celui obtenu en présence d’une lésion méniscale traumatique. Le traitement médical et les injections de corticoïdes doivent rester le traitement de première intention, l’indication d’arthroscopie est retenue en cas d’échec. Les indication thérapeutiques sont détaillées par ailleurs. REFERENCES HEDE A, LARSEN E, SANDBERG H, Partial versus total meniscectomy. J. Bone Joint Surg. 1992, 74 (B), 118-121 MILLE Th, La méniscose dégénérative du genou. Injections de corticoïdes versus lavage arthroscopique. Thèse Lyon, 1996. NEYRET Ph, DONELL S.T, DEJOUR D, DEJOUR H, Partial meniscectomy and anterior cruciate ligament rupture in soccer players : a study with a minimum 20 years follow-up. Am.J.Sports Med., 1993, 21 (3), 455-460