May/June 201530
SANTE
Le paysage africain est parsemé de diabétiques
amputés du pied; cela cause des traumatismes psy-
chiques et physiques inimaginables, qui perpétuent
le retard économique. En Afrique, l’habitant moyen
dont les deux pieds sont intacts doit travailler beau-
coup plus que son homologue dans d’autres parties
du monde pour joindre les deux bouts, sans parler
des personnes qui se sont fait amputer d’un pied à
cause du diabète! On sait que de telles personnes
peuvent mener une vie presque normale quand on
leur a posé une prothèse, mais en Afrique, l’accès
aux membres articiels est rare, et là où il existe,
cela coûte les yeux de la tête.
Les taux d’amputation vont de 12,6% au Nigeria
à 48% au Kenya. En Tanzanie, la mortalité géné-
rale parmi les personnes atteintes d’ulcère du pied
diabétique était de 27%, et le taux de mortalité le
plus élevé, 54%, a été relevé parmi des patients qui
souraient d’une ulcération grave mais préféraient
ne pas se faire amputer.
La gravité du diabète sucré dans les pays en
développement se manifeste dans les coûts élevés
du traitement de l’ulcère du pied diabétique, dans
l’accès insusant aux installations de soins et dans
des croyances culturelles profondément enracinées
concernant le diabète sucré et ses complications.
Le fait de se présenter trop tard à l’hôpital après
l’échec d’une thérapie à la maison a été régulière-
ment cité comme un facteur majeur contribuant
au développement d’infections avancées ou de la
gangrène parmi les malades du diabète.
L’ulcère du pied est l’une des principales com-
plications du diabète sucré. Il survient chez environ
15% de tous les diabétiques et précède 84% de
toutes les amputations de la partie inférieure de la
jambe. On pense qu’au cours des vingt dernières
années, l’augmentation importante de la mortalité
observée parmi les personnes atteintes du diabète
est due à des complications aectant les vaisseaux
sanguins des jambes, notamment à l’échec du
processus de cicatrisation. On considère qu’en
Afrique, le diabète est la maladie chronique non
infectieuse qui entraîne le taux de mortalité le plus
élevé. Il est donc incontestable que les problèmes de
pieds des personnes atteintes du diabète sont très
graves, puisqu’ils peuvent conduire à une invalidité
permanente, à l’amputation du pied ou à la mort.
Au Nigeria, l’admission dans un hôpital est un long
processus qui dure en moyenne entre deux et trois
mois. Les frais de traitement sont en outre énormes,
se chirant en moyenne entre 2500 et 3000 dollars
dans une économie où beaucoup de personnes
vivent encore avec moins d’un dollar par jour.
Il faut alors se poser la question: pourquoi les
pieds des diabétiques sont-ils si fortement menacés?
Il y a à cela diverses raisons: les lésions nerveuses
qui empêchent la perception sensorielle protectrice,
les maladies des vaisseaux sanguins qui entravent
l’irrigation sanguine vers le pied, les traumatismes
que le malade ne remarque pas forcément ni rapide-
ment parce que le diabète a peut-être rendu ses pieds
insensibles, les infections, qui peuvent être diciles
à maîtriser chez un diabétique, et la pression que
subissent les pieds. Tout cela conduit facilement
à des lésions, à des infections, et nalement à la
gangrène du pied, qui entraîne la mort s’il n’est
pas amputé. La grande majorité des complications
du pied diabétique qui nécessitent une amputation
commence par la formation d’ulcères de la peau.
Leur détection précoce et un traitement adéquat
pourraient prévenir 85% des amputations.
On sait que, lorsqu’un diabétique examine ses
pieds chaque jour et que son soignant les examine à
chaque consultation, des problèmes potentiellement
Les amputations du pied
de diabétiques en Afrique
Par Dr Olubiyi Adesina
désastreux peuvent être détectés tôt. Malheureuse-
ment, plusieurs études ont montré que les médecins
n’examinaient pas fréquemment les pieds de leurs
patients diabétiques lors des consultations de rou-
tine, à plus forte raison en Afrique, où la proportion
des travailleurs de la santé par rapport aux patients
est très éloignée des normes acceptables à l’échelon
mondial.
Il faut toute une éducation pour réduire le risque
de ces ulcères. Cette éducation devrait être basée sur
l’hygiène des pieds, une inspection quotidienne, des
chaussures adéquates et un traitement rapide des
nouvelles lésions. Le traitement rapide des nouveaux
ulcères est impératif. Beaucoup de malades ne se
rendent à l’hôpital ou dans un centre de soins que
quand il est déjà trop tard pour tout traitement
judicieux. Une inspection attentive et régulière du
pied diabétique est l’une des mesures les plus faciles,
les moins coûteuses et les plus ecaces pour prévenir
des complications aux pieds. Pour prendre susam-
ment soin du pied diabétique, il faut connaître les
facteurs de risque conduisant le plus fréquemment
à l’amputation. Ces facteurs de risque comprennent
l’absence de la sensation protectrice que fournissent
ordinairement les nerfs, ceux-ci étant endommagés
par le diabète; une mauvaise irrigation sanguine
des pieds due à l’obstruction progressive, par des
dépôts de cholestérol, des artères qui conduisent
le sang jusqu’aux pieds; la diormité du pied et un
épaississement de la peau (durillons ou callosités)
sur les zones de diormité, entraînant une forte
pression sur ces points.
D’autres facteurs de risque sont la sècheresse
et des craquelures de la peau du pied résultant de
lésions des nerfs qui stimulent habituellement les
glandes sébacées qui maintiennent le pied humide. Il
y a lieu d’éviter de mauvaises chaussures causant une
dégradation de la peau ou la protégeant insusam-
ment de la pression et des forces de cisaillement. Les
chaussures devraient avoir une semelle plate, pour
une répartition adéquate des pressions et pour pré-
venir des lésions dues à des contraintes mécaniques.
Il existe quelques mesures utiles pour prévenir
la formation d’ulcères du pied chez les diabétiques:
se laver les pieds chaque jour, les garder secs, éviter
de fumer, porter des chaussures à talons plats, éviter
d’utiliser des rasoirs pour se couper les ongles, éviter
les massages à l’eau chaude, éviter l’utilisation de pro-
duits chimiques pour retirer les cors, éviter de mar-
cher pieds nus et signaler rapidement les blessures.
Le Dr Olubiyi Adesina, qui a fourni cet article à
Africa Link, est consultant en diabétologie au Centre
médical fédéral d’Abeokuta, Etat d’Ogun, Nigeria,
et au Talabi Diabetes Centre (www.talabidiabetes-
centre.org), Isara Remo, Etat d’Ogun, Nigeria.
On dit qu’un brin de prévention vaut mieux qu’un paquet de traitements.
Nulle part cet aphorisme n’est plus justifié que dans le cas des pieds des perso-
nnes atteintes du diabète – surtout en Afrique.
On sait que de telles
personnes peuvent mener
une vie presque normale
quand on leur a posé une
prothèse, mais en Afrique,
l’accès aux membres
articiels est rare, et là où
il existe, cela coûte les
yeux de la tête.