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compass
51(1), 2004, 45–58
Paul-André TURCOTTE
La sociologie des religions et la condition de
minoritaire dans le champ religieux
Les minorite´s cognitives que sont la secte, le nouveau mouvement religieux et
l’ordre religieux, constituent des organisations sociales qui affirment publiquement la diffe´rence d’ordre symbolique. Par voie de conse´quence, ces organisations auto-définissent leurs frontie`res, et ainsi font montre d’une capacite´
d’autore´gulation des relations internes et avec les instances de re´solution des
conflits dans la socie´te´ globale. Le traitement à leur sujet dans Social Compass
tient avant tout de l’analyse empirique. Il connaıˆt une e´clipse en dents de scie,
des anne´es 1970 aux anne´es 1990 et ce, en lien, semble-t-il, avec le de´bat sur
la se´cularisation comme recul social des institutions religieuses. La discussion
a refait surface, ces dernie`res anne´es, sur des points de me´thode et de the´orie,
dans la tension entre sociologie d’implication et sociologie distancie´e.
Mots-clés: histoire de la pense´e sociologique . interdisciplinarite´ . me´thode des
sciences sociales . minorite´ cognitive (the´orie) . nouveaux mouvements religieux . observation participante . ordres religieux . sectes
The cognitive minorities that are the sect, the new religious movement and the
religious order, constitute social organizations that publicly affirm the difference
which is of a symbolic nature. In consequence, the organizations self-define their
frontiers, and hence demonstrate the capacity for self-regulation of their
internal relations and the instances of conflict resolution in society at large.
Social Compass has studied the subject, above all through an analytic analysis.
It went through its most intense period from the 1970s to the 1990s, linked, it
would seem, to the debate on secularization as a social withdrawal on the
part of religious institutions. The debate has rekindled, in recent years on
points of method and theory, in the tension between a sociology of implication
and a distanced sociology.
Key words: cognitive minority (theory) . history of sociological thought . interdisciplinarity . method . new religious movements . participant observation . religious orders . sects
Le sujet proposé peut s’entendre de plusieurs façons. Par exemple, le sociologue des religions ne connaı̂t-il pas l’expérience du minoritaire à plus d’un
titre? Cette expérience ne devient-elle pas singularisée quand l’appartenance
DOI: 10.1177/0037768604040789
www.sagepublications.com
& 2004 Social Compass
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Social Compass 51(1)
relève d’une minorité cognitive, religieuse ou autre? Bien plus, porter l’examen analytique sur des groupements ou réseaux religieux qualifiés de mineurs
socialement parlant n’équivaut-il pas à se mettre dans la frange de la production des sciences sociales, y compris celle sur le phénomène religieux?
Ces questions, et d’autres, sont au moins sous-jacentes au propos qui suit.
Je n’entends donc pas restreindre la présentation au seul repérage thématique
et à sa quantification. Il me paraı̂t tout aussi important d’aborder le traitement théorique ou empirique des minorités cognitives religieuses, de même
que le positionnement de l’analyste à leur endroit, notamment s’il appartient
à un groupement de ce type. Sur ce point, les déplacements sur un demi-siècle
nous plongent au cœur de certaines discussions en sociologie des religions,
d’hier à aujourd’hui, et bien au-delà des frontières de Social Compass.
Le repérage thématique
De 1960 à 2001, quelque 110 articles se rapportent aux groupements religieux
minoritaires que sont les ordres religieux, les sectes, et les nouveaux mouvements à finalité spirituelle. Certains opineront que c’est relativement peu,
compte tenu du déploiement de ces formations socio-religieuses par leurs
multiples activités dans la société. D’autres seront d’avis que la part accordée
à ces formations est quantitativement importante, sinon trop, vu le caractère
marginal de la production à leur sujet. A cet argument s’ajoute le constat de
la grande diversité des thèmes abordés dans un périodique dont l’un des
objectifs est de rendre compte du phénomène religieux à travers ce monde,
sans négliger les figures d’une même religion. Par ailleurs, les sectes, florissantes sur le continent africain, n’ont pu trouver une expression dans la
revue que récemment.
Sur la même période, 11 livraisons sont consacrées entièrement, ou principalement aux groupements ou mouvements religieux, et quatre autres comprennent trois articles à leur sujet. En complément, nous comptons 20 articles
hors ces numéros thématiques. La production, globalement prise, réunit des
développements sur des aspects interreliés et recourt à la comparaison entre
les différents types de groupement, entre les régions du monde ou entre les
religions. La concentration thématique ne signifie pas la focalisation théorique ou empirique, mais bien plutôt la tentative de saisir la complexité.
Quant à la distribution, la secte et le nouveau mouvement religieux viennent en tête, avec respectivement 30 et 28 articles, ce qui fait 58 en tout;
suit l’ordre religieux avec 27 articles; trois autres traitent du groupement
religieux en général. Le traitement est le plus souvent celui de l’analyse
empirique, soit respectivement 29, 27, 21 et 3 articles. L’angle d’approche
prioritairement théorique est à l’unité pour la secte ou le nouveau mouvement religieux, et au nombre de six en ce qui a trait à l’ordre religieux. En
outre, des points se rapportant à ces minorités sont plus ou moins élaborés
dans les rapports de la production sociologique, théorique notamment, sur
telle période ou dans telle aire géographique, dans les réflexions critiques
sur la fabrication du discours sociologique et ses liens avec ceux d’autres dis-
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ciplines ou perspectives. Les contributions dans ce sens se chiffrent à 22, outre
des allusions ou évocations éparses dans nombre d’articles.
Sur un volet connexe, la répartition entre les années diverge selon qu’il
s’agit de l’ordre religieux, de la secte ou du nouveau mouvement religieux.
Pour ce qui est de l’ordre religieux, les articles sont nombreux et divers, de
1960 à 1971; il faut attendre 2001 pour qu’il refasse l’objet d’une livraison;
entre-temps, deux seuls auteurs avaient abordé le sujet directement. Quant
à la secte ou au nouveau groupement religieux, les éclipses d’une production
en dents de scie comprennent les années 1971–1976, 1979–1982, 1985–1989.
La reprise d’après 1990 se distingue de celle des années 1960 par le fait que le
traitement est objectivement ciblé: si on ne mêle plus les différents types, on
évite de centrer sur une seule aire géographique.
La production reflète celle de chercheurs, de groupes ou centres de
recherche. Elle se fait l’écho des déplacements théoriques ou des intérêts de
la connaissance analytique, essentiellement dans les Amériques et en Europe.
La rédaction s’est refusée à la concentration sur un courant de pensée ou à la
circonscription géographique. Le résultat éditorial peut donner l’impression
d’un éparpillement sans ligne directrice. Le reproche n’est probablement
pas sans quelque fondement; il pointe la conséquence d’une politique rédactionnelle ouverte et non fermée. L’orientation est grandement redevable à la
participation active du comité de rédaction et à la prise en compte par la
direction de sa composition internationale, avec ce que cela comporte de
désenclavement et de brassage des idées, de correction et de réorientation
de la politique éditoriale.
De l’éclipse à la discussion
En ce qui concerne la discussion, qui se fait parfois vive dans certains milieux,
elle est grandement escamotée des années 1970 à la fin des années 1980.
L’observation vaut spécialement pour l’ordre religieux. C’est d’éclipse thématique qu’il s’agit, relativement certes, mais néanmoins significativement.
Le fait n’est probablement pas sans lien avec le débat sur la sécularisation
et son questionnement quant à l’effacement public de la religion organisée,
en particulier dans la forme institutionnelle de type-Eglise au sein de la
sphère chrétienne. Il se pourrait qu’aient joué également les incidences des
travaux de la Conférence Internationale de Sociologie des Religions.1
Dans les années 1990, les positionnements se partagent clairement.
D’un côté, le discours porte essentiellement sur la désinstitutionnalisation
des figures historiques de type-Eglise et son corollaire, la dissémination du
croire. De l’autre, le pluralisme religieux est avancé au premier plan, quitte
à prendre en compte le remodelage des institutions religieuses dans les
rapports de la religion organisée avec l’espace public. De toutes parts,
rares sont ceux qui continuent de soutenir le retrait décisif de la religion
des sociétés où triomphent la rationalité moderne aux dépens de la tradition,
l’autonomisation du séculier par rapport au religieux, l’individuation de
l’acteur social, croyant ou non, et le recul de la référence religieuse institutionnelle explicite auprès de ce dernier. Il s’agit de changement, sinon de
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mutation, sur fond de sécularisation et, tout à la fois, de réordonnancement
institutionnel et symbolique des références en jeu dans les rapports entre
religion et société, entre acteurs et organisations socioreligieuses. Conséquemment, les problématiques hier dominantes sont reprises à nouveaux
frais, ou elles sont l’objet de critiques serrées avant de procéder à des
reproblématisations.
Sur les minorités religieuses comme sur les autres sujets, les livraisons de
Social Compass nous livrent des discussions à chaud, tel dans les années
1960 et, a posteriori, surtout après 1990. Entre les deux pôles, les relations
des élaborations théoriques ou localisées fournissent des signalements.
C’est le temps de la confrontation sur l’objet et la méthode de la sociologie
des religions, avec la préoccupation de cultiver la position d’extériorité
dans l’étude des questions religieuses. Ces questions, quelles qu’elles soient,
doivent être saisies comme une réalité extérieure à l’analyste: elles ne
sauraient le concerner de quelque façon. Bref, la méthode ne garantit pas,
à elle seule, l’objectivation.
Suivant cette position, l’étude des minorités religieuses est suspecte, du fait
du caractère spirituellement engagé qu’elle implique. En effet, ces minorités
comptent dans leurs rangs des individus qui s’adonnent à la sociologie de
leur groupement d’appartenance. Ils ne sauraient faire preuve d’objectivité,
pas plus d’ailleurs que les sympathisants qui s’adonnent à l’analyse de ces
sujets dénués de quelque apport possible pour la connaissance sociologique.
Le spectre du débat entre sociologie religieuse, une sociologie d’implication,
et sociologie des religions, une sociologie de la prise de distance, continue
de hanter des esprits et ce, au moment où les tenants de la sécularisation
s’interrogeaient sur la pertinence cognitive de la sociologie du phénomène
religieux. Ce dernier n’est-il pas susceptible de disparition de l’espace public
et organisationnel?
Tous n’abondaient pas dans ce sens dans le champ des sciences sociales.
La confrontation des points de vue opposés ne manquait pas de s’exercer.
Des voix discordantes s’élevaient pour faire valoir que la démonopolisation
institutionnelle de la religion entraı̂nait la diversité des expressions et la
nécessité de revisiter les problématiques en cours. Dans les milieux confessionnels, comme dans certaines institutions universitaires, la recherche se
poursuivait, jouissant d’une reconnaissance sociale variable. Globalement,
la rédaction de Social Compass a su faire état, directement ou indirectement,
des différents lieux de production, qu’ils soient confessionnels ou non, et de la
diversité des perspectives, depuis le fonctionnalisme institutionnel jusqu’à
l’analyse radicale des fondements et raisons d’être.
Du côté de la méthode, plus d’un article mêle les données résultant de l’approche quantitative et les descriptions de source qualitative. Ces dernières
paraissent nettement dominantes, qu’elles explorent une question ou qu’elles
en poussent l’examen jusque dans les coins et recoins. Dans ce cas, plus
d’un auteur n’hésite pas à puiser dans les sondages, le plus souvent aux
fins d’étoffer son argumentation. Plus rares sont les rapports d’enquêtes
menées en bonne et due forme, contrairement à ce qu’on trouve, par exemple,
dans le Journal for the Scientific Study of Religion, où la politique de la revue
se traduit jusque dans la présentation de l’article. De part et d’autre, excep-
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tionnelles sont les contributions faisant état de discussions proprement
épistémologiques ou méthodologiques. Plus fréquentes sont les observations
de cet ordre, soient-elles rapides, dans le traitement thématique, en particulier en ce qui a trait à des éléments relatifs à la secte et au nouveau mouvement religieux. Ainsi, l’auteur rend compte de la fabrication de son
argumentation et de l’articulation de cette dernière. Ceci dit, il y aurait
matière pour des développements plus élaborés, voire pour des numéros consacrés à la discussion méthodologique en rapport avec la théorisation et la
construction de l’analyse.
Pour ce qui est de l’ordre religieux, l’article de Giancarlo Rocca (Social
Compass 48 [2], juin 2001: 279–297) constitue un exemple de rapport sur
une discussion étalée des années 1960 aux années 1990. Il s’agit de points
de théorie et de méthode autour de la fabrication du Dizionario degli istituti
di perfezione. Les positions exprimées relèvent de la théologie, du droit canonique, de la psychologie et de la sociologie. Cette dernière occupe une place
de premier plan, en interaction avec les autres perspectives. Les principales
contributions proviennent des sociologues ou psychosociologues que sont
Raymond Hostie, Silvano Burgalassi, Thomas M. Gannon et, surtout,
Jean Séguy, sans oublier les interventions ponctuelles, de Enzo Pace ou
P. Tufari notamment. Des éléments de théorie intéressent les autres types
de minorité religieuse comme, par example, l’ascèse et la légitimation de
l’autorité. A la lecture, nous suivons la trace des débats qui ont cours aussi
bien dans les milieux de confessionnalité catholique, romains ou autres,
que dans les milieux universitaires non confessionnels. Les échanges épistolaires avec la direction du Dizionario rendent compte du dialogue sur un
même objet, entre des pensées aux horizons combien différents.2
Les échanges évoqués n’hésitent pas à serrer l’argumentation et à débusquer les présupposés cognitifs de la position autre, tout en reconnaissant la
perspective de l’interlocuteur. Il en va de plus en plus ainsi au fil des années
et avec l’abord de points où la divergence se fait plus marquée. Il ressort
de l’ensemble que la connaissance empirique et théorique de l’objet et de
ses variations historiques enrichit grandement l’interaction cognitive.
Chacun sait ce dont il parle, et ce savoir est large. De plus, les interlocuteurs
admettent les limites de leur perspective, tout comme ils acceptent l’apport de
l’autre dans la saisie d’un problème. Cela n’empêche pas les uns et les autres
de défendre une position propre et d’en arriver, tout à la fois, à un consensus
sur des points précis, sans nier la différence des points de vue. Il n’y a surtout
pas l’intention d’en imposer envers et contre tout. Le débat se situe proprement au niveau de la science, avec l’objectif de la faire avancer à petits pas,
de dépasser les frontières de sa propre connaissance. Nous savons trop
bien qu’il n’en est pas toujours ainsi,3 mais aussi que le cas signalé n’a rien
d’exceptionnel.
Des éléments similaires se trouvent au sujet des sectes ou des nouveaux
mouvements religieux, mais ils sont habituellement moins explicites et
globalement plus éclatés. Un examen comparatif de la production de Social
Compass avec celle d’autres périodiques de sciences sociales des religions
sur la même période apporterait un éclairage supplémentaire sur les discussions, qu’elles soient de fond au ponctuelles. Ces périodiques pourraient
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être ceux-ci: Archives de Sciences Sociales des Religions, Sociology of Religion,
Journal for the Scientific Study of Religion. Ce serait l’occasion de retracer les
déplacements et les récurrences quant à la construction d’un objet sociologique spécifique et à l’analyse des variations historiques.
Le traitement théorique et analytique
La secte et le nouveau mouvement religieux ne font l’objet que d’un seul
article proprement théorique. Des points de théorisation, relativement à
l’interprétation, sont esquissés à propos de telle ou telle formation de ce
type. L’intention revient le plus souvent à rendre compte de ses différents
aspects, et comparativement selon les lieux d’insertion. Le numéro sur les
Témoins de Jéhovah (24 [1], 1977) est exemplaire. Après l’exposition de
leur situation à travers le monde, les contributeurs décrivent ce qu’il en est
dans les Etats-Unis d’Amérique, la France, le Japon, l’Afrique du Sud.
D’autres traitent de sujets propres aux Témoins en regard de la dynamique
sociale du groupement sectaire: les témoins de Jéhovah et les Etudiants de
la Bible, l’influence d’une secte de nature pessimiste et la santé mentale de
ses membres, outre l’histoire sociale et les mouvements millénaristes. Le
scénario, à peu de choses près, est repris à propos de Hare Krishna (47 [2],
2000) et des nouveaux mouvements religieux ou nouvelles religions (30 [1],
1983 et 42 [2], 1995).
Ces livraisons ont le mérite de faire connaı̂tre la recherche, ses acquis, ses
explorations et ses questionnements. Elles ne fournissent pas pour autant des
cadres théoriques de longue portée. Ce sont des échantillons de la recherche
qui, à travers ce monde, prend des orientations diverses. La comparaison de
celles retenues par Social Compass avec ce qu’il en est dans les périodiques
dont la publication s’étend sur la même période permettrait de cerner
l’originalité de Social Compass en la matière. Une condition s’impose, celle
de situer les apports particuliers dans la politique éditoriale et ses déplacements. Plus largement, il serait possible de vérifier jusqu’où les périodiques
des sciences sociales des religions font le point sur une production émergente
ou foisonnante et, le cas échéant, en arrivent à des reprises de compréhension
pour de nouvelles pistes de recherche. Cet objectif n’engage-t-il pas de
s’arrêter sur des problèmes de méthode et de théorisation?
La comparaison entre périodiques ouvrirait la voie pour repérer des questions de cet ordre et en suivre l’évolution sur un demi-siècle. A cet effet, ne
faudrait-il pas prendre en considération la publication dans des revues de
sciences religieuses, voire de théologie? Nombre de groupements sectaires
ont leur propre revue, où se glissent des études sociologiques. Elles sont le
plus souvent occasionnelles, mais d’aucunes n’ont rien à envier quant à la
rigueur rationnelle. Les sujets sont habituellement fortement circonscrits
et, parfois, dans une démarche de recherche-action. Il en va de même dans
des revues de géographie, de droit, d’éthique sociale ou de morale.
Il semble bien que les contributions sociologiques s’y font de plus en plus
nombreuses.
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Nombre de collègues continuent d’ignorer une production hors frontières
spécialisées, avec l’éventuelle conséquence de mettre en avant des interprétations qui s’avèrent en deçà de celles avancées dans des lieux ignorés
parce que rapidement étiquetés. Le recours à l’Internet ou à des banques
de données bibliographiques ne suffit pas à surpasser les idées reçues et les
préjugés. Il serait éclairant de voir si les contributions et bibliographies des
revues spécialisées comme Social Compass prennent en compte, directement
ou indirectement, des productions qui, même clairsemées, sont d’un quelconque apport, sinon d’un apport certain. Il se pourrait que le traitement
du phénomène religieux, du simple point de vue des sciences sociales, soit
désormais disséminé à un degré tel qu’il soit difficilement repérable dans
son entier.
Quant à la secte et au nouveau mouvement religieux, les éléments de
théorie s’inscrivent dans une perspective fonctionnelle, systémique, interactionniste, constructiviste ou radicale. Les deux premières s’affichent clairement, à la différence des trois autres, quoique la perspective soit
habituellement repérable, même quand le contenu se ramène grandement à
une description factuelle. Il en va de même pour les ordres religieux, à la
différence que les théorisations sont comparativement plus nombreuses
(5 [7], 1960; 10 [2], 1963; 18 [1], 1971, où deux articles, 48 [2], 2001). L’article
de 1960, 5 [7] sur l’approche sociologique de la secte ne donne pas lieu à une
véritable reprise par la suite, encore moins au rapport d’une discussion sur
une période définie.
Eléments de théorie sociologique
Un concept, quoique peu exprimé comme tel, sert de commun dénominateur,
c’est celui de minorité cognitive,4 au sens de l’affirmation de la différence dans
l’histoire et la société. C’est le cas quand un groupement religieux, peu
importe sa dimension, se réclame d’une vision du monde qui n’est pas accordée, pour une part significative, à celle qui s’avère dominante dans la société
et, pour ce qui est de l’ordre religieux, également dans l’Eglise. Un corps de
personnes y affirme visiblement une différence, d’ordre symbolique, par la
façon qui lui est propre de voir et de mener les choses de la vie. L’affirmation
sociale passe par des acteurs qui donnent existence au groupement par leur
appartenance faite d’adhésion volontaire et d’engagement d’intension à des
finalités explicitement formulées et assumées, intériorisées au fil d’une trajectoire de vie personnalisée.
Ces groupements auto-définissent leurs frontières; conséquemment, ils
font montre de leur capacité d’auto-régulation des relations internes et de
celles avec l’extérieur, notamment avec les instances de résolution des conflits
dans la société globale. Il s’agit d’une capacité relative, au sens d’être en interaction et négociée de quelque façon, donc non absolue (ab-solus). Corrélativement, les minorités cognitives entretiennent des rapports d’ordre
fonctionnel avec le système social, mais également des rapports conflictuels,
tout au moins dysfonctionnels, et même protestataires en mettant en cause
l’ordre établi au nom d’intérêts divergents, en particulier avec les classes
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dominantes. La protestation ainsi entendue peut aller de pair avec l’attestation d’une réalité globalement autre, soit en vue de la réfection de la société
sans toucher directement à ses fondements, soit en appelant à modifier ces
derniers jusqu’à la racine de leur raison d’être. Cet aspect d’ordre symbolique
prend une expression latente ou discrète, comme, en d’autres lieux, il s’affiche
ouvertement tel dans des pratiques quotidiennes ostensiblement différentes
de celles du milieu ambiant.
A la suite de Max Weber et de Ernst Troeltsch, les minorités cognitives
constituent des organisations, parmi d’autres, qui médiatisent les transactions symboliques et instrumentales de l’extra-ordinaire et de l’ordinaire de
la vie en société. De la sorte, des représentations religieuses particularisées
s’inscrivent dans le quotidien et la durée et ainsi, elles en viennent à produire
des effets sociaux, du culturel à l’économique, visant spécifiquement à
atteindre les règles de conduite et les modes de production sociale, tout au
moins pour la portion de la société qu’une minorité cognitive représente.
Que la production sociale dépasse les frontières de la minorité, divers conditionnements agissent aussi dans le jeu des transactions, dans un processus
où les organisations religieuses concernées transforment le monde dans la
mesure où ce dernier les transforme à quelque degré.
Le maintien de la distinction est requis pour que l’influence dans la réciprocité continue de se produire. Parmi les possibles, la confirmation ferme de la
différence conduit à rejeter ouvertement la transaction du compromis ou à le
subir comme une nécessité inévitable. En opposition, la négociation avec
l’autre et l’entente dans le respect des identités propres sont acceptées,
sinon recherchées le cas échéant. Les deux cas de figure se chevauchent à
maints exemplaires dans le concert de l’existence. Par contre, la dissolution
de la distinction dans la fusion avec le système social s’avère tout autant
un fait historique. La dilution symbolique et sa traduction existentielle se
produisent, par exemple, au sortir des origines fondatrices porteuses d’un
imaginaire fortement typé, ou lorsque la réussite de l’influence entraı̂ne la dissolution par l’imbrication entière de la société et de la minorité cognitive.
Tout aussi bien, les bouleversements des conditions sociales-historiques
peuvent la reléguer au statut de relique du passé; dès lors, la différenciation
ne se fait plus active, mais passive. Le renversement de situation requiert
de reconstruire de nouvelles structures de plausibilité, objectives ou subjectives, qui soutiennent l’effort de redevenir une force sociale grâce à la reformulation d’un univers symbolique particularisé de quelque façon.
On l’aura compris, le défi premier de la minorité cognitive religieuse, tant à
sa naissance que le long de son déroulement historique, est de poursuivre son
existence dans l’affirmation publique de la distinction, symbolique et organisationnelle. Les rapports de forces dans la société ou dans l’Eglise font que les
continuités dans le temps et l’occupation d’un espace socioreligieux ne vont
pas de soi. La différence suscite la suspicion, voire le dénigrement ou le rejet
brutal, selon les sociétés, selon donc les mentalités et les modes de régulation
sociale. La reconnaissance sociale de la distinction s’avère cependant un fait
social et historique. Les sectes ou nouvelles religions et les ordres religieux
ont droit de cité et se développent dans des conditions particulières, fût-ce
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dans les interstices et failles des systèmes sociaux ou religieux. La production
de Social Compass l’atteste à plus d’un titre, et a su en rendre compte.
Les scénarios de fonctionnement et de cheminement historique des minorités cognitives de type-secte se révèlent au pluriel, dans Social Compass
comme ailleurs. Ce n’est pas l’amalgame pour autant: des traits communs
sont décelables par delà les variations. En ce qui concerne la sphère chrétienne, je propose la définition suivante: la secte représente une formation
sociale qui réunit des croyants minoritaires, concrétisant la dissidence dans
l’affirmation publique de la différence par un genre de vie à caractère entier
et multidimensionnel.5 Ces traits caractéristiques ne sont pas présents à la
même hauteur dans tous les cas; ce sont des points de repère qui permettent
de baliser le terrain tout en s’éloignant des étiquettes courantes. Les traits
propres de la minorité croyante, de la dissidence et du caractère entier du
genre de vie s’entendent relativement, traduisibles qu’ils sont dans des pratiques les plus diverses.
La définition proposée vaut pour les nouveaux mouvements religieux, à la
distinction près que, dans plus d’un cas, les traits prennent une allure plus
relative que dans la secte des siècles passés. Quant à l’ordre religieux, il a
la particularité d’être, dans les mots de Ernst Troeltsch, une ecclésification
partielle de la secte, et de certains traits seulement (Troeltsch [1911] 1925a,
[1911] 1925b). Cette caractéristique d’inclusion des traits proprement sectaires dans une institution comme l’Eglise catholique n’a rien pour simplifier
les choses. D’où peut-être le nombre, plus élevé que pour la secte, des articles
théoriques sur l’ordre religieux. Ce dernier pratique, à grande échelle, le va et
vient de la distance et de l’implication, tant dans la société que dans l’Eglise,
selon des modes qui, aussi variables soient-ils, ne sont pas sans continuité
depuis 16 siècles.
De la distance à l’implication
Les fondateurs des revues de sciences sociales des religions dans les années
1950 étaient des universitaires religieusement engagés et, tout à la fois,
rompus aux méthodes scientifiques de la recherche. Il était difficile de publier
sur la religion, considérée qu’elle était comme une affaire du passé, et le
chercheur de sciences sociales croyant était soupçonné d’incapacité d’objectivation (Stark et Finke, 2000). En réaction, les périodiques voués à l’étude
scientifique de la religion insistèrent sur la rigueur des analyses ou accordèrent une place importante à la théorisation, quitte à en remonter jusqu’aux
classiques de la sociologie moderne. Quant aux liens avec les institutions
religieuses et à leur traitement, les positionnements divergèrent au point
d’en faire un critère de rigueur scientifique ou d’objectivation. Le poids des
rapports historiques entre recherche universitaire, institution religieuse et
société pesait sur les orientations éditoriales.
Dans ce contexte, les articles sur les sectes et ordres religieux, publiés dans
Social Compass dans les années 1960, juxtaposent volontiers la prise de
distance institutionnelle et l’implication de l’observation participante. Les
auteurs, de part et d’autre, recourent à la méthode aux fins de procurer au
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Social Compass 51(1)
discours une vigoureuse rigueur rationnelle, ce qui peut fort bien aller de pair
avec la croyance, même la croyance engagée. L’intention de la rechercheaction en vue de changements dans le monde religieux, spécifiquement
l’Eglise catholique, est présente et commande l’aménagement de certains
numéros. La perspective fonctionnelle ou systémique prédomine, servant à
relever les dysfonctions et distorsions du système.
A cet égard, la livraison sur les ordres religieux catholiques de 1971 est
exemplaire d’une pratique bien rodée: elle comporte des articles théoriques,
des rapports de recherche ou des débats en cours et des notes de lecture.
Des outils de réflexion critique sont fournis, de même que des repères
théoriques et méthodiques, pour baliser la discussion en vue de l’action de
changement dans les termes d’amélioration du fonctionnement et de la reformulation de la pertinence socioreligieuse en difficulté. L’ensemble n’a surtout
pas le caractère d’une coordination bien ficelée par des objectifs à sens
unique. L’organicité de la pensée y est décelable, mais une organicité non
focalisée et ouverte à des possibles. D’ailleurs, les auteurs ne revendiquent
pas tous être du sérail.
A 30 ans de distance, la livraison sur le même sujet (48 [2], 2001 et deux
articles de 48 [4]) offre une plus grande diversité de perspectives, théoriques
ou méthodologiques, de même que celle des lieux abordés, soit l’Europe,
les Amériques, l’Afrique sub-saharienne et l’Inde. Trois centres de recherches
dédiés à l’étude proprement sociologique rendent compte de leurs travaux:
le Departamento Investigación Sociológica de Madrid, le Department of
Religious Research au Kerala et le centre de documentation international
à Rome, lié au Dizionario degli istituti di perfezione. Nous connaissons le troisième: le deuxième adopte une perspective fonctionnelle; le premier, lui, une
présentation carrément systémique, dans les termes mêmes des protagonistes
et après une longue relation de la méthode utilisée depuis la fondation du
centre.
Les trois implantations nous renvoient à une volumineuse documentation,
à des investigations de terrain, locales ou internationales, et à de nombreuses
publications, le tout sur des décennies. Nous avons là des recherches qui
attendent une synthèse, théorique et empirique. Elles contiennent une information de premier plan et des points d’interprétation sur des sujets variés. En
effet, cette information et ces éléments de théorisation présentent un intérêt
plus large que celui du monde des religieux. L’action de ces derniers dans
la société et l’Eglise les a amenés à poursuivre la réflexion et l’expertise sur
des secteurs connexes comme l’enseignement, dont celui de la religion, la
mobilité sociale de la jeunesse, les revendications féministes, les rapports
entre les pouvoirs publics et les diverses institutions religieuses, les rapports
entre elles, la gestion économique des œuvres, et quoi d’autre.
En Amérique du Nord notamment, des ordres religieux et des administrations diocésaines ont certains de leurs membres qui font office de sociologues
de service et ce, depuis au moins les années 1920. Il en va de même dans les
groupements sectaires et, en ce qui les concerne, dès le tournant du 20ème
siècle. Dans le contexte québécois, les clercs et religieux ont été formés
d’abord à Chicago et, par la suite, également à Louvain, à Lille et à Rome,
plus rarement à Paris. L’Université Laval de Québec a pris le relais après
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Turcotte: La sociologie des religions et la condition de minoritaire
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1938, mais sans mettre fin aux études à l’étranger. Les archives de part et
d’autre nous renseignent sur le lien entre action et formulation des problèmes, dans la suite des sondages ou enquêtes, de l’analyse situationnelle
et de ses enjeux. Le chercheur trouvera dans ces archives une information
de premier plan et souvent formalisée dans les termes de relations sociales.
La pratique de cette espèce est loin de se confiner à un continent, même
si les traditions en la matière divergent selon les pays et les confessions religieuses. Dans nombre de cas, elle s’est rodée et diversifiée au fil du développement des techniques de la recherche et de la théorisation en sciences
sociales. Les services ont été parfois concentrés pour une plus grande
efficacité, grâce à la mise en œuvre de moyens plus importants. Des liens
ont été établis avec des centres universitaires, parfois dès la mise en place.
Parmi ces sociologues de service, on trouve également des professeurs et
des chercheurs universitaires, alors que d’autres s’y sont refusé. La production de Social Compass comprend des contributions provenant de ces
lieux confessionnels, reliés ou non à des institutions d’enseignement et de
recherche universitaires. Elle atteste occasionnellement d’une pratique qui
perdure, contrairement à d’autres périodiques qui ne prennent en considération que la production strictement universitaire.
Dans la même livraison de 2001, le relevé de tensions entre l’ordre religieux
et l’Eglise institutionnelle passe de l’implicite à l’explicite avec l’Américain
Sean D. Sammon, aujourd’hui supérieur général des Frères maristes, le
Brésilien Edenio Valle, ancien président de la conférence religieuse brésilienne
et vice-président de la confédération religieuse latino-américaine, et Arthur
Lambert, membre du conseil missionnaire suisse (à propos de l’économie
des missions rédemptoristes). Le point de vue critique sur la dynamique
interne de l’ordre religieux est la part du Nigérian Marcellinus Onyejekwe
et de l’Américaine Mary Johnson. Ici comme précédemment, les éléments
apportés sont fortement documentés. Ils s’accordent avec l’article de théorie
qui, en quelque sorte, chapeaute l’ensemble; cet article est rédigé dans la ligne
de Max Weber, de Ernst Troeltsch et de Joachim Wach. La recherche-action
complète directement les positions suisse, américaine et espagnole. De toutes
parts, le discours profite des acquis d’une volumineuse recherche, menée
selon les canons de la connaissance sociologique moderne.
A une exception près, les 11 contributeurs de 2001 appartiennent à des
ordres religieux. Ils détiennent des titres universitaires, et la plupart ont été
ou sont professeurs dans l’enseignement supérieur. On ne saurait tirer du
constat que la sociologie des ordres religieux est réservée aux membres ni,
en vis-à-vis, que celle sur les sectes ou nouveaux mouvements religieux
revient en priorité à des non-sectaires. Bien plus, des membres de minorité
cognitive ont occupé des postes de direction dans la recherche en sciences
sociales ainsi que dans diverses associations de sociologie des religions.6
Dans Social Compass comme dans les revues du même type, l’appartenance religieuse confessionnelle n’est habituellement pas mentionnée,
encore moins questionnée. C’est la reconnaissance des pairs qui est déterminante et selon des critères académiques, comme il en va dans les périodiques
de nature scientifique ou dans les facultés au sein d’établissements sous direction confessionnelle. Nous savons que les différences ne manquent pas selon
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Social Compass 51(1)
les traditions universitaires, qu’elles soient propres à une aire culturelle ou
géographique, à une secte ou à un ordre religieux. La tradition universitaire
de l’Université catholique de Louvain n’a-t-elle pas eu des incidences sur la
direction de Social Compass et ses orientations?
Si le numéro de Social Compass de 2001 offre un côté exceptionnel, outre
qu’il est exemplaire à plus d’un titre, c’est bien le fait que les auteurs affichent,
directement ou indirectement, leur appartenance à un ordre religieux catholique. Ils s’expriment tout autant sur des problèmes de méthode ou de
théorisation. Sur ces points, les minoritaires sectaires font de même dans
des publications d’ordre scientifique. D’un côté comme de l’autre, le choix
de telle perspective théorique, non sans lien avec la conception de la société,
et non seulement la méthode, a des répercussions sur le traitement d’un sujet,
surtout si l’auteur est concerné à titre de membre du groupement analysé.
C’est avant tout d’observation participante qu’il s’agit. On considère le
plus souvent celle-ci sous la forme du chercheur qui, extérieur à un groupe
ou à une situation, participe à sa vie ou à son déroulement et porteur
d’hypothèses, sinon de problématiques préalables. Le minoritaire religieux
sociologue, lui, pratique ce type d’observation participante mais également,
le cas échéant, celle de longue durée le conduisant à une connaissance
intime, d’où surgissent des questionnements, hypothèses et problématiques
sur une formation sociale dont l’analyse a ses difficultés propres. Les limites
du dévoilement de l’intimité peuvent se poser, dont un noyau relève d’un
autre ordre que celui de la connaissance des sciences sociales. Sur cette question, la pudeur côtoie l’expression sans détour. Le problème a moins de
chances de se retrouver chez l’investigateur qui entend s’en tenir à une position strictement extérieure. Même là, les choses ne sont-elles pas plus
complexes que l’intention ou la manière de se positionner? La question interroge d’autres discours dans la sphère des sciences religieuses, y compris ceux
relevant de la théologie.7
Conclusion
Comme annoncé, l’article s’achève par des points de discussion qui, quoique
présents, au moins implicitement ou indirectement dans Social Compass,
dépassent les frontières de sa production. Ils expriment non pas des pistes
d’avenir, mais des tendances ou trajectoires qui ont de l’avenir, ne fût-ce
que du simple fait qu’elles sont au cœur même de la production sociologique,
et spécialement de celle portant sur le phénomène religieux. Vues sous cet
angle, les minorités cognitives ne constituent point un sujet mineur, et elles
bousculent volontiers les idées reçues sur la religion ou les orientations
éditoriales. N’agissent-elles pas au cœur de la cité?
NOTES
1.
Sur la sociologie des religions en lien avec la Conférence Internationale de
Sociologie des Religions, voir le dossier ‘‘La Sociologie des religions en perspective’’
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Turcotte: La sociologie des religions et la condition de minoritaire
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(Social Compass, 1990). En vis-à-vis de ce dossier, on peut lire le numéro du 50ème
anniversaire du Journal for the Scientific Study of Religion, spécialement la première
partie: ‘‘The Past as Prologue’’, pp. 401–479 (2000). Les auteurs présentent les
débats qui constituent le contexte socio-cognitif du propos de cet article.
2.
Les textes in extenso des échanges, et dans la langue originale (français, anglais,
italien) se trouvent dans Rocca (2002).
3.
Une sociologie de la Bible s’avère antagoniste à une exégèse dont le positionnement se lit dans ces termes:
Une herméneutique centrée sur la lecture plutôt que sur l’écriture du texte laisse
le lecteur dépendant des problèmes psychologiques et sociologiques de son
propre temps, sans lui donner les moyens de découvrir une Parole du Dieu
vivant qui domine le cours du temps. C’est l’Ecriture qui fixe pour toujours
le témoignage, mais elle le fait en fonction des cultures où s’est faite cette fixation, quitte à ce que le lecteur tienne compte des composantes de sa propre
culture. (Cazelles, 2000)
Une certaine ouverture est décelable dans cette conception de l’exégèse biblique. Les
sciences sociales peuvent jouer le rôle d’adjuvant dans la réinterprétation circonstanciée. Une position plus fermée est celle de l’historien ecclésiastique qui, au
nom du savoir théologique, s’en prend vertement à la sociologie des ordres religieux
dont, par ailleurs, il doit rendre compte à titre de sociologue. Le discours tenu à leur
sujet se situe au-dessus de celui de ces sociologues ignorant des positions théologiques à caractère déterminant. Il ne saurait être question de différenciations
historiques dans les rapports entre ‘‘vie religieuse’’ et ‘‘monde’’, en particulier en
ce qui concerne le genre de vie où s’actualise l’interrelation de l’action et la contemplation. De toute évidence, le conférencier s’est adonné à la lecture rapide de
certains écrits, sans se préoccuper de prendre connaissance de la perspective et de
la méthode en sciences sociales. Le maı̂tre-mot va dans le sens d’une mise en
garde à l’intention d’un auditoire dont il importe d’attiser la crainte du discours
critique (Lécrivain, 1998).
4.
Le concept est partiellement redevable à Louis Wirth, dans le prolongement des
travaux de l’Ecole de Chicago; à quoi s’ajoutent ceux de Jean Séguy sur les groupements volontaires utopiques (sectes et ordres religieux), rassemblés pour une part
dans son ouvrage, Conflits et utopie, ou re´former l’Eglise (1999). Mon propos
assume des éléments de ces conceptualisations dans l’intention de rendre compte
de la production de Social Compass, notamment de ses apports théoriques, incluant
ceux de l’auteur de cet article. On aura aussi remarqué des formulations typiques de
Georg Simmel, même si l’ensemble se situe d’emblée dans la ligne de Max Weber et
de Ernst Troeltsch. Un même exercice dans des termes strictement fonctionnalistes
ou systémiques me paraı̂t moins opératoire dans le cas présent, vu la brochette des
points théoriques de Social Compass.
5.
Je reprends, dans ses grandes lignes, mais sans la discussion attenante, la
définition de mon opuscule: Le phe´nome`ne des sectes: le point de vue du sociologue
(Turcotte, 2002).
6.
En vis-à-vis de Social Compass et de la CISR, et pour l’ensemble de cette
dernière section de l’article, voir Wallace (2000); Sociology of Religion (1996)
(contributeurs: Helen Rose Ebaugh, Ralf Lane, Jr, Jeffrey K. Hadden, Ruth A.
Wallace, John A. Coleman, SJ, Eileen Barker); Blasi et Donahoe (2002); Pastoral
Sciences (1990) (contributeurs: Jean-Paul Willaime, Paul-André Turcotte, Jean
Séguy, Meredith B. McGuire, Miklos Tomka, Roland J. Campiche).
7.
Pour un état de la question tout récent, voir Keenan (2003).
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Social Compass 51(1)
REFERENCES
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Keenan, William J. F. (2003) ‘‘Rediscovering the Theological in Sociology. Foundation and Possibilities’’, Theory, Culture and Society 20 (1): 19–42.
Lécrivain, Philippe, SJ (1998) ‘‘Inscrire l’absolu au cœur de l’histoire’’, in Religieux
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pp. 11ss. Yaoundé: Presses de l’Université Catholique de l’Afrique Centrale.
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Roles’’, Journal for the Scientific Study of Religion 39 (4): 497–508.
Paul-André TURCOTTE, docteur en sciences sociales des religions et en
science théologique, est professeur ordinaire à la Faculté de Sciences
Sociales et Economiques de l’Institut Catholique de Paris. Ses domaines
de recherche, outre des questions de théorie et de méthode sociologique,
comprennent les différences chrétiennes, les rapports entre éducation,
culture et religion, tradition et modernité, la sociologie historique du
christianisme, spécialement celle de ses origines. Publications récentes:
‘‘Dossier: Retour sur image. ‘Monicagate’ de l’insupportable faille du
chef ’’, RETM. Le Supple´ment, pp. 5–38; ‘‘Déclin et refaçonnement des
ordres religieux veillissants’’, Claretianum 42, pp. 137–168, 2002; Le phe´nome`ne des sectes: le point de vue du sociologue, Yaoundé, Les Presses de
l’Université Catholique d’Afrique Centrale, 2002; (dir. avec Anthony J.
Blasi et Jean Duhaime), Handbook of Early Christianity. Social Sciences
Approaches, Walnut Creek, CA, New York et Oxford, Altamira Press,
2002. ADRESSE: Institut Catholique de Paris, 21 rue d’Assas, F –
75270 Paris Cedex 06, France. [email: [email protected]]
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