CÉTACÉS
Article écrit par Robert MANARANCHE, Vincent RIDOUX
Prise de vue
L'adaptation des cétacés à la vie aquatique est d'une telle perfection qu'il a fallu attendre la dixième édition du Systema
naturae de Linné (1758) pour les voir définitivement classés parmi les Mammifères. En 1753, encore, Daubenton les
considérait comme des poissons.
Selon les genres et les espèces, les cétacés actuels sont de taille très variable ; c'est dans cet ordre que se rencontrent
probablement les plus gros animaux qui aient jamais existé. La grande baleine bleue (Balaenoptera musculus) peut
atteindre 30 mètres de longueur et peser 135 tonnes : le poids de trente éléphants ou de quatre brontosaures. Leur allure
pisciforme est liée notamment à la transformation des membres antérieurs en nageoires, cependant que l'atrophie des
membres postérieurs, qui disparaissent ou demeurent vestigiaux, est compensée par le développement d'une queue
musculeuse, orientée dans le plan horizontal, qui constitue un très efficace instrument de propulsion. La perfection de la
forme hydrodynamique des cétacés est due encore à l'effacement des aspérités observées d'habitude sur le corps des
mammifères (pavillons auditifs, organes génitaux mâles, mamelles), ainsi qu'à des modifications du squelette de la tête : le
massif facial se termine en avant par un rostre, parfois très effilé, avec des narines s'ouvrant en position dorsale, par un ou
deux évents, alors que la boîte crânienne est rejetée vers l'arrière.
Dans le sous-ordre des Odontocètes (dauphins, marsouins, cachalots), les mâchoires sont garnies de dents
nombreuses et presque identiques (homodontie) ; mais dans le sous-ordre des Mysticètes (baleines, rorquals), les dents
font place à des papilles épidermodermiques recouvertes d'un étui corné qui se développent à partir des gencives
supérieures et du palais, et qui constituent les fanons. De forme triangulaire, effilochés à leur bord intérieur, très nombreux
(250 à 300 paires chez le rorqual bleu), parallèles et très proches les uns des autres, les fanons constituent un efficace
piège à plancton.
Les ancêtres des cétacés actuels : les Archæocètes, qui apparaissent à l'Éocène, possèdent encore des traits
caractéristiques de mammifères tétrapodes.
I-Une anatomie type, celle du dauphin
Le dauphin commun (Delphinus delphis) est un cétacé odontocète de petite taille (2 m de longueur en moyenne), dont
la présence est fréquente dans toutes les mers chaudes et tempérées.
Téguments et squelette
Lisse et unie, la peau est remarquable par l'épaisseur relative de l'épiderme et la minceur du derme, cependant que
l'hypoderme forme un pannicule adipeux sous-jacent très épais. Seul le rostre chez le foetus et le nouveau-né est pourvu de
quelques poils tactiles, l'adulte étant toujours parfaitement glabre.
Le rostre, allongé en un « bec » effilé, est constitué par les maxillaires, les prémaxillaires et les vomers. Les os du
neurocrâne sont refoulés vers l'arrière, les rapports habituels entre eux étant modifiés par une sorte de « télescopage »,
résultant de l'extension des os de la face vers l'arrière et de l'occipital vers l'avant : les narines, entraînées ainsi par la
translation des os nasaux, sont situées presque au sommet de la tête.
Les dents coniques, au nombre de 180 à 200, sont toutes semblables (homodontie).
La colonne vertébrale est typique par son uniformité, les vertèbres sacrées étant semblables aux lombaires et aux
caudales.
La ceinture pectorale, dépourvue de clavicule, comporte une omoplate large et aplatie. Les membres antérieurs sont
constitués par un humérus, un radius et un cubitus très courts. Les doigts II et III sont au contraire remarquablement
allongés, cet allongement étant dû à la multiplication du nombre de phalanges.
Le bassin est réduit à deux tigelles osseuses, indépendantes de la colonne vertébrale et nommées os pelviens. Les
membres postérieurs ont complètement disparu.
Appareils digestif, respiratoire, circulatoire
L'orifice de l'œsophage est traversé par le larynx (fig. 1) de telle sorte que la nourriture passe, au moment de la
déglutition, de part et d'autre de celui-ci. Les glandes salivaires sont absentes. L'estomac comporte trois poches
successives, et, chez certains autres odontocètes, il peut être constitué de quatorze poches. L'intestin atteint quinze fois la
longueur du corps.
Les dauphins, comme tous les odontocètes, inspirent l'air au cours de l'émersion par un évent qui demeure clos
pendant la plongée. Un sphincter périlaryngien, en se relâchant au cours de l'inspiration, permet l'ouverture du larynx. Les
poumons, qui ne sont pas plus développés que chez les mammifères terrestres, comportent des anneaux cartilagineux au
niveau des bronches et des bronchioles.
La seule originalité de l'appareil circulatoire réside dans la présence de réseaux capillaires dits « admirables » (retia
mirabilia) intercalés sur le trajet des artères ; le plus important est le réseau admirable thoracique, qui est en rapport avec
les artères méningées, lesquelles irriguent seules le cerveau. Les réseaux admirables, rencontrés aussi chez d'autres
mammifères aquatiques (morses, otaries, lions de mer, phoques et loutres), seraient impliqués dans les mécanismes de
contrôle de la température des organes « centraux » du corps de ces animaux (essentiellement le cerveau et ceux qui sont
localisés dans les cavités thoracique et abdominale).
Système nerveux
L'encéphale a un poids relatif considérable, 0,66 p. 100 du poids du corps (éléphant 0,12 p. 100 ; homme 1,93 p. 100), il
est en outre remarquablement plissé, autant sinon plus que chez l'homme.
Corrélativement à la disparition de l'appareil olfactif (anosmie), le lobe olfactif est atrophié.
Les centres auditifs sont en revanche très développés, en relation avec un appareil sensoriel très particulier et
remarquablement adapté à la vie aquatique. Le pavillon de l'oreille est totalement absent, un minuscule orifice révèle
l'aboutissement du conduit auditif, partiellement obturé de cire et dont l'extrémité interne aboutit à un tympan bombé (fig. 2).
Les articulations des osselets de l'oreille moyenne sont ankylosées. La bulle tympanique, formée d'un os unique (le
pétrotympanique), n'est reliée au crâne que par des faisceaux fibrillaires. L'espace séparant le pétrotympanique du crâne est
rempli par un tissu caverneux. La conduction des sons chez les cétacés à dents n'implique que marginalement le conduit
auditif, l'essentiel de la perception auditive étant véhiculée par la mâchoire inférieure qui contient une graisse particulière
favorisant la propagation des sons vers les bulles tympaniques situées immédiatement en arrière de l'articulation des
mâchoires. Chez certains dauphins et marsouins, des sons d'une fréquence de 170 kilohertz sont perçus. Rappelons, à titre
de comparaison, que l'oreille humaine est insensible aux sons dont la fréquence est supérieure à 20 kilohertz.
Oreille de cétacé
Schéma d'une oreille de Cétacé (d'après
E. H. Slijper)(Encyclopædia Universalis France)
Appareil génital
Chez le mâle, les testicules sont intra-abdominaux et le pénis, logé dans la paroi du corps, n'est saillant que pendant
l'érection. Cette disposition s'oppose à la situation observée chez la plupart des mammifères terrestres et qui permet
l'abaissement de la température corporelle au niveau des testicules, phénomène nécessaire pour la spermatogenèse. Chez
les cétacés, cette diminution de la température des gonades est obtenue par une adaptation du système circulatoire qui
permet à du sang veineux, revenant des nageoires dorsale et caudale et refroidi à proximité de la peau, d'irriguer
spécifiquement cette région de l'abdomen.
Chez la femelle, la vulve est associée à l'anus dans une poche tégumentaire. L'utérus bicorne est asymétrique et le
fœtus, généralement unique, se développe préférentiellement dans la corne gauche. L'unique paire de mamelles est
également logée dans une poche peaussière. L'accès à la reproduction est assez tardif chez les cétacés à dents et, en
liaison avec des durées d'allaitement étendues (une à plusieurs années), l'intervalle entre les naissances est long, pouvant
atteindre cinq à huit ans chez les animaux de grande taille comme l'orque (Orcinus orca). En conséquence, une femelle ne
produira souvent qu'un nombre limité de jeunes au cours de sa vie. Par exemple, la femelle du dauphin commun, qui est
mature à huit ans et qui a une espérance de vie de 22 à 25 ans, ne pourra avoir, approximativement, que cinq petits. Par
comparaison, les femelles des cétacés à fanons se reproduisent plus souvent, notamment parce que l'allaitement ne dure
qu'environ six mois. Ainsi, chez le petit rorqual (Balaenoptera acutorostrata), une femelle peut avoir une dizaine de jeunes
au cours de sa vie.
II-Biologie et écologie
Plongée
Selon les genres, la plongée chez les cétacés a une durée variant de 15 minutes chez le dauphin à 2 heures chez la
baleine à bec (Hyperodon rostratus). N'excédant pas 200 mètres de profondeur chez les petits dauphins, elle atteint plus de
2 000 mètres chez le cachalot. Toutefois, les plongées conduites en routine chez chaque espèce sont généralement bien
inférieures aux valeurs maximales connues.
La physiologie de la plongée est encore assez mal connue, mais les avancées scientifiques effectuées depuis les
années 1990 chez d'autres mammifères marins plongeurs (en particulier chez le phoque de Weddell de l'Antarctique),
combinées aux données biologiques spécifiques aux cétacés, permettent de proposer un schéma général des adaptations à
la plongée pour cet ordre. La respiration en surface est caractérisée par un petit nombre de ventilations très complètes au
cours desquelles la quasi-totalité du volume pulmonaire est renouvelée, contre seulement 15 à 20 p. 100 chez les
mammifères terrestres. Par ailleurs, la capacité de stocker l'oxygène est considérablement augmentée par des hématies
très nombreuses (de l'ordre de 8 500 000 par cm3 chez le marsouin par exemple) et des concentrations en pigment
musculaire (myoglobine) très élevées.
Phonation
Les aptitudes psychiques des cétacés, et en particulier des dauphins, ont depuis longtemps frappé les observateurs.
Les moyens modernes, mis actuellement en œuvre dans de vastes aquariums pour des observations précises et
prolongées, ont surtout attiré l'attention sur les moyens de communication utilisés par ces animaux. Deux types de sons sont
émis par les dauphins : des sifflements d'une durée de 0,5 seconde et d'une fréquence variant de 7 à 15 kilohertz et des
« clics », beaucoup plus brefs, lancés au rythme de 5 à plusieurs centaines par seconde sur une bande de fréquence allant
de 20 à 120 kilohertz (voire 170 kilohertz). Les sifflements, seuls audibles par l'homme, semblent constituer un moyen de
communication entre individus. Des expériences indiscutables ont montré la possibilité d'échange de messages complexes.
Les « clics » servent essentiellement au repérage des proies et des obstacles par écholocation, selon un système
« sonar » comparable à celui des chauves-souris. Ces divers sons et ultrasons sont produits par des dispositifs complexes
des voies respiratoires supérieures, les cétacés étant dépourvus de cordes vocales. À mesure que les observations
s'accumulent, les spécialistes sont conduits à penser que les dauphins et les marsouins pourraient posséder le meilleur
analyseur acoustique du monde animal.
Migrations
Les migrations des cétacés de grande taille ont été le mieux étudiées. La recherche de nourriture, les conditions de
reproduction sont évidemment les moteurs essentiels des migrations saisonnières.
La plupart des balénoptères séjournent en été dans les régions polaires et subpolaires des deux hémisphères, où ils se
nourrissent en quantité considérable des proies disponibles (le krill, Euphausia superba, en Antarctique qui forme de
véritables nuages de proies à quelques dizaines de mètres sous la surface ; d'autres crustacés planctoniques ou des petits
poissons pélagiques, en Arctique). Au début de l'hiver de chaque hémisphère, les balénoptères se dirigent vers les régions
tropicales, où ils séjournent durant toute cette saison sans guère s'alimenter. Après l'accouplement, qui a lieu sur les zones
d'hivernage, s'effectue la migration de retour vers les hautes latitudes. La gestation dure, selon les espèces, de dix à douze
mois ; elle est suivie d'une période d'allaitement d'environ six mois et, dans la plupart des cas, ne semble avoir lieu que tous
les deux ou trois ans. Toutefois, il a aussi été découvert que le petit rorqual antarctique (Balaenoptera bonaerensis) pouvait
se reproduire annuellement.
Les cachalots vivent en général dans les eaux subtropicales, ne dépassant guère le 40e degré de latitude nord et sud,
bien que les mâles adultes se rencontrent assez souvent très au-delà de ces limites.
Alimentation
Selon qu'il s'agit des odontocètes ou des mysticètes, la nature de l'alimentation est totalement différente. Le point
commun, en relation avec les besoins énergétiques de ces organismes homéothermes, est la quantité de nourriture toujours
considérable, en raison de sa taille, qu'un cétacé absorbe. On estime généralement que les petites espèces nécessitent
jusqu'à 4 p. 100 de leur masse corporelle par jour, alors que moins de 2 p. 100 suffisent aux grands cétacés pour faire face
à leurs besoins énergétiques.
Les odontocètes sont, grâce à leur denture, des prédateurs efficaces. Les divers poissons sont les proies favorites des
dauphins et des marsouins. L'orque épaulard se distingue par la diversité de ses proies possibles selon les régions :
harengs, saumons, raies, thons, manchots, marsouins, phoques et baleines peuvent constituer son alimentation. Le
cachalot (Physeter macrocephalus) consomme surtout des céphalopodes, parfois de très grande taille, mais aussi de
nombreux poissons.
Orque
Orque ou épaulard (Orcinus orca), grand carnassier des
mers.(John Warden, Tony Stone Images/ Getty)
Les mysticètes sont essentiellement des consommateurs de plancton. Les crevettes pélagiques, de la famille des
Euphausidae (dont le krill), sont absorbées en énormes quantités par les balénoptères de l'hémisphère Sud, tandis qu'une
plus grande diversité de crevettes et de poissons pélagiques est observée dans l'alimentation de ces mêmes espèces dans
l'hémisphère Nord. Par ailleurs, les baleines franches sont spécialisées dans l'exploitation des copépodes, crustacés
planctoniques de quelques millimètres seulement. Enfin, la baleine grise filtre les sédiments pour en extraire des crustacés
amphipodes et d'autres invertébrés fouisseurs.
III-La chasse
Les gros cétacés ont constitué une source importante de produits utiles à l'homme. Un balénoptère de 20 mètres de
longueur fournissait 8 tonnes de lard et 24 tonnes de viande. Un cachalot adulte recèle, par le contenu de son melon (masse
adipeuse située sur le devant de la tête), 5 tonnes d'huile appelée spermaceti ou blanc de baleine. Des quantités parfois
considérables d'ambre gris, utilisé en parfumerie, sont souvent présentes dans l'intestin des cachalots. Le foie, les
surrénales, la thyroïde, toujours énormes chez les grands cétacés, représentent une source appréciable de produits
opothérapiques.
Au cours des XIXe et XXe siècles, surtout après l'invention du canon lance-harpon, la chasse devint très meurtrière et
plusieurs espèces furent proches de la disparition totale. Après divers essais de réglementation internationale, une
convention signée à Washington, le 2 décembre 1946, a codifié la chasse. Aux termes de cet accord, les jeunes immatures
sont protégés ; certaines espèces, notamment les baleines franches, sont totalement protégées ; le nombre des animaux
tués chaque année est limité. En 1982, la Commission baleinière internationale interdisait la chasse commerciale pour une
durée de cinq ans à partir de 1986 (moratoire prolongé en 1990). Par ces mesures, certaines espèces menacées ont été
sauvées d'une destruction définitive, cependant que, pour d'autres, le taux de reproduction équilibre de façon satisfaisante
les prises autorisées dans le cadre des chasses aborigènes, qui ne sont pas concernées par le moratoire (cf. encadré).
IV-Classification
Les odontocètes, cétacés à dents qui ne possèdent qu'un seul évent et sont capables d'écholocation, se divisent en un
certain nombre de familles dont :
– Les Platanistidae, dauphins d'eau douce de l'Inde (Platanista gangetica, ou plataniste du Gange, par exemple). Deux
autres familles de dauphins de fleuve existent en Amérique et une autre en Chine. Cette dernière famille s'est probablement
éteinte avec la disparition de son seul représentant, le Baiji ou dauphin du fleuve Bleu (Lipotes vexillifer), qui n'a pas été
observé lors de l'expédition internationale menée en 2006 sur le fleuve Yangzi où seulement 13 observations avaient été
relevées en 1997.
– Les Delphinidae, comme le dauphin commun (Delphinus delphis), le grand dauphin (Tursiops truncatus), l'orque
(Orcinus orca).
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