L ABORATOIRE DE L’ I NTÉGRATION DU MATÉRIAU AU S YSTÈME G ROUPE B IO- ÉLECTROMAGNETISME Programme de Recherche ERYA Effects of Radiofrequency exposure on the Young Animal Axel ATHANE*,**, E. HARO*, B. BILLAUDEL*, S. AITAISSA*,**, A. HURTIER*, F. POULLETIER DE GANNES*, M. TAXILE*, B. VEYRET*,** I. LAGROYE*,** (*): Université de Bordeaux - Laboratoire IMS site ENSCPB, groupe bioélectromagnétisme, 16 avenue Pey Berland, 33 607 Pessac cedex (**): Laboratoire de bioélectromagnétisme EPHE, 16 avenue Pey Berland, 33 607 Pessac cedex Résumé. La potentielle sensibilité accrue des enfants aux facteurs de l'environnement (métaux lourds, chimiques, radiations ionisantes, etc.) est une question débattue depuis plusieurs années. Dans le cas des champs radiofréquences (RF), la jeune génération actuelle est la première à subir une exposition permanente à des systèmes de communications sans fil, omniprésents sur les lieux de vie, tels que la téléphonie mobile ou la technologie WiFi. L’enfance est une période où les systèmes immunitaire et nerveux poursuivent leur développement dont on sait qu’il peut être perturbé par l’exposition à des toxiques de l’environnement. La question est donc de savoir si les champs RF font partie de ces agents pour les sujets jeunes. Un projet de recherche sur modèle animal est mis en place au sein de notre laboratoire pour évaluer l'influence d'une exposition à un champ RF de type WiFi sur des rongeurs in utero et durant les premières semaines de vie. INTRODUCTION Le développement rapide des technologies de la communication sans fil et de la téléphonie mobile en particulier a suscité de nombreuses interrogations sur l’impact des radiofréquences sur la santé. Des débats scientifiques et publics ont eu pour conséquence d’accélérer la mise en place d’études employant des conditions expérimentales très diverses susceptibles d’évaluer un éventuel risque sanitaire. L’hétérogénéité des modèles biologiques et des systèmes d’expositions employés dans l’évaluation des effets des RF, notamment en téléphonie mobile a toutefois conduit à de nombreuses controverses. Les craintes se sont tout particulièrement focalisées sur les populations jeunes ce qui a suscité des études axées sur les systèmes immunitaires et nerveux immatures (marqueurs de stress, intégrité de la barrière hématoencéphalique et facteurs tumoraux…) qui n’ont révélé aucun effet néfaste. L’apparition et la diffusion de la technique WiFi contribue à relancer et à étendre le débat. Cette technologie fonctionne avec une puissance émise largement inférieure à celle des téléphones mobiles et éloigne l’utilisateur et notamment le cerveau de la source du signal. C’est dans la perspective de la mise en place d’un vaste projet d’étude portant sur les effets des ondes électromagnétiques de type WiFi sur les systèmes immunitaires et nerveux immatures que l’équipe de bioéléctromagnétisme met en place une série d’expérimentations sur modèle animal (souris pour l’étude du système immunitaire et rat pour l’étude du système nerveux) à l’aide d’un système d’exposition original, corps-entier (Satimo SA et Orange Labs, « Design of Animal in Vivo Electromagnetic Exposure System with Reverberation Chamber by Measurement and Simulation », URSI/CNFRS 2008). Des expérimentations sur de jeunes rongeurs exposés à des champs de radiofréquence de type WiFi (2450 MHz) in utero et au cours des premières semaines de vie permettront d’évaluer les risques d’altération des fonctions immunitaires et le potentiel d’induction de phénomènes d’auto-immunité et de stress radicalaire au niveau du système nerveux. Figure 1 : Calendrier du projet ANIMAUX Des femelles gestantes sont utilisées dans ce projet. Notre choix s’est porté sur les rattes Wistar Han et les souris C57 BL/6 (Élevage Janvier, Le Genest St Isle, France). Les animaux seront manipulés dans le respect des dispositions légales françaises d’expérimentation animale. SYSTEME D’EXPOSITION Le système d’exposition des rongeurs se présente sous la forme d’une chambre réverbérante cubique qui permet l’exposition corps-entier sans contrainte d’immobilisation. Il a été conçu, réalisé et caractérisé par Satimo SA et Orange Labs. La chambre réverbérante permet d’exposer 4 cages à la fois et une masse maximale d’animaux de 1,5 kg. Elle est couplée à un système informatique simulant une communication entre deux ordinateurs permettant de reproduire une exposition comparable à une utilisation domestique du signal WiFi. Des antennes émettrices sont présentes sur chacune des six faces de la chambre et activées de façon aléatoire. Figure 2 : Chambre réverbérante EXPOSITION DES ANIMAUX Quatre niveaux d’exposition seront testés : 0,08 - 0,4 et 4 W/kg corps-entier et exposition fictive (sham). Les deux premières valeurs correspondent respectivement aux limites d’exposition corps-entier pour le public et pour les professionnels, et 4 W/kg corps-entier correspondent à l’ « effet critique » selon la définition de l’ICNIRP. Le temps d’exposition quotidien est de 2 heures. Ces expositions seront réalisées « en aveugle » afin d’éviter tout biais subjectif dans l’analyse des données. Huit femelles gestantes par groupe seront exposées dès le 6ème jour de gestation. Après la naissance, trois petits par portée seront exposés avec leur mère aussi longtemps que la limite de poids du système d’exposition le permet. L’exposition des petits se poursuivra jusqu’à 5 semaines. Ainsi, l’exposition des animaux sera réalisée pendant 7 semaines dont 2 in utero. WiFi ET CERVEAU IMMATURE Cette étude préconisée sur le cerveau de rats exposés durant 7 semaines se décline en trois volets comprenant : 1) la recherche du phénomène d’apoptose neuronale, 2) la mise en évidence d’une éventuelle expression des HSP (heat shock protein) majoritaires (HSP70, HSP25) et 3) la mesure de marqueurs de stress radicalaire par immunohistochimie (3-Nitrotyrosine, GFAP). La détection et la localisation de ces éléments sera faite dans différentes zones du cerveau de rat par la réalisation de coupes (10 µm d’épaisseur), sur cryostat, préparées sur lames traitées (Superfrost Gold+) et concernant la zone bregma –3,8 mm, interaural 5,2 mm qui comprend l’hippocampe et le cortex retrosplénial, liés respectivement à la mémoire/apprentissage et aux émotions. Apoptose : L’apoptose est en équilibre constant avec la prolifération cellulaire. La perte de signaux de « bon fonctionnement » consécutive à une altération de structure ou de fonction des cellules (par exemple cancéreuses ou dysfonctionnelles suite à une altération de l’ADN) est susceptible de déclencher un processus apoptotique. La perturbation de cette mort cellulaire programmée peut être liée à des facteurs environnementaux. Ce phénomène naturel ou pathologique conduit à l’apparition de modifications morphologiques (corps apoptotiques), biochimiques et génétiques (fragmentation de l’ADN). Ainsi, dans le cadre de notre étude, nous rechercherons la présence de cellules apoptotiques neuronales in situ sur coupes de cerveaux (rats exposés et non exposés) par la technique TUNEL (Terminal deoxynucleotidyl Transferase Biotin-dUTP Nick End Labeling ; NeuroTACS II, Trevigen USA) basée sur le marquage des extrémités d’ADN fractionnées. Cette approche est d’autant plus importante que l’on sait aujourd’hui que l'apoptose neuronale modèle le cerveau durant son développement. A B Figure 3 : Marquage de neurones apoptotiques A contrôle cage et B contrôle positif (X40) Expression des protéines de stress Hsp70 et Hsp25 : Les Hsp, du fait de leur rôle de protéines « chaperones » interviennent à la suite d’un stress cellulaire pour le maintien conformationnel et fonctionnel des protéines. Les HSP exprimées majoritairement dans le cerveau lors d’un stress sont les Hsp70 et Hsp25. Ce sont des bio-marqueurs couramment employés dans les études de toxicité et dont on connaît l’implication dans la protection cellulaire, la thermotolérance et les mécanismes antiapoptotiques. Nous utiliserons dans cette étape de notre étude un marquage immuno-histochimique de ces Hsp (manuel ou automatique ; Dakoautostainer) utilisant un anticorps anti-Hsp (Stressgen) dilué au 1/200 et un anticorps secondaire (Vectastain! Elite ABC peroxydase kit) dilué également au 1/200. La révélation sera réalisée en deux étapes, avec le réactif Vecta A/B et le substrat correspondant (Vector Novared! substrate kit). Les coupes seront ensuite déshydratées et montées entre lame et lamelle afin d’être observées au microscope (Zeiss). Figure 4 : Marquage positif de protéine Hsp70 (X40) Détection du stress radicalaire et de l’astrogliose : Le stress radicalaire sera évalué par la présence d’un marqueur biologique de l’inflammation détectée par immuno-histochimie : la 3-Nitrotyrosine issue de la nitration des résidus tyrosine des protéines et employée dans la mise en évidence de toxicité protéique. Des processus d'astrocytose et d'astrogliose sont observés in vivo en réponse à une lésion du cerveau, une protéine de filament intermédiaire présente dans certaines cellules gliales, sera utilisée pour la mise en évidence de l’astrogliose réactionnelle : la GFAP (Glial Fibrillary Acidic Protein). La révélation du marquage GFAP sera réalisée de la même façon que les Hsp et un substrat DAB-Nickel (Vector DAB Substrate! kit for peroxidase) sera employé pour la mise en évidence de la 3Nitrotyrosine. Figure 5 : Marquage de la 3-nitrotyrosine (X20) Contrôles positifs et contrôles de marquages : Les contrôles positifs seront réalisés sur des rats ayant subit une ischémie par occlusion de deux artères cérébrales. A partir de ces mêmes animaux, seront réalisés des contrôles de marquage, c’est-à-dire en l’absence d’anticorps secondaire. Analyse d’image Les différentes zones du cerveau seront photographiées à l’aide d’une caméra à refroidissement (Olympus) puis analysées (ADCIS Aphelion" software). Différentes macros, adaptées à chaque marquage, ont été développées, permettant l’analyse de l’ensemble des images et leur comparaison. Figure 6 : Analyse du marquage positif de protéine HSP70 (X40) WiFi ET IMMATURE SYSTEME IMMUNITAIRE L’étude immunologique de ce projet sera réalisée sur modèle expérimental murin. Une évaluation comparative par cytométrie en flux de l’expression des marqueurs de surface (Cluster of differenciation ou CD) de lymphocytes issus de la rate de souris (exposées pendant 7 semaines) sera réalisée. Cette recherche permettra d’une part le phénotypage lymphocytaire de façon à déceler d’éventuelles modifications des populations de cellules T et B. D’autre part, des tests lympho-prolifératifs sur cultures de splénocytes sont réalisés à l’aide de lipopolysaccharides et d’anticorps employés dans l’expansion des lymphocytes afin de tester ces cellules sur le plan fonctionnel. Enfin, la capacité des lymphocytes activés à synthétiser des cytokines et à exprimer des marqueurs d’activation sera évaluée par cytométrie en flux. De plus, un test d’activation des cellules NK sera également réalisé. Prélèvement des échantillons biologiques A partir de la rate de souris, organe lymphoïde secondaire riche en lymphocytes, des suspensions de cellules spléniques sont obtenues par dissociation mécanique et tamisage à 70 µm (sur glace). Les érythrocytes spléniques étant lysés, les cellules d’intérêt sont mises en suspension dans du milieu de culture. Lymphocytes T et B Phénotypage lymphocytaire : Ce test sera effectué pour quantifier les différentes populations de cellules T et B. L’isolement de ces cellules est réalisé sur billes magnétiques (MACS® Cell Separation Miltenyi Biotec), directement à partir des échantillons de rate. Elles seront ensuite testées par la technique de cytomètrie en flux FacsCan® (BD Pharmingen™) qui permettra d’évaluer les populations CD4 (lymphocytes T auxiliaires), CD8 (lymphocytes T cytotoxiques), et CD5 (lymphocytes B). Test de prolifération : La réponse proliférative des splénocytes mis en culture (RPMI 1640) sera évaluée sous l’effet de mitogène LPS (lipopolysaccarides) ou d’anticorps (anti-CD3 et anti-CD28). Suite à une culture de 72 heures, les cellules seront mises en présence de thymidine tritiée, dont l’incorporation sera mesurée après quatre heures à l’aide d’un compteur à scintillation TopCount® (Perkin Elmer), reflétant ainsi la prolifération de ces cellules. Test d’activation : Afin d’évaluer l’aptitude des lymphocytes activés (Intracellular Cytokine Staining Starter Kit, BD Pharmingen™) mis en culture, à synthétiser des cytokines, nous procèderons à une quantification de l’IL-2, du TNF-! et de l’IFN-" par cytométrie en flux. Cette quantification des cytokines clés de la voie Th1 permettra une évaluation in vitro de la réponse immunitaire cellulaire. D’autre part, nous observerons l’expression à la surface de ces cellules (Activation Cocktail, BD Pharmingen™) des marqueurs d’activation CD25 et CD69 également par cytométrie en flux pour détecter un éventuel effet activateur du stimulus radiofréquences de type Wifi. Cellules Natural Killer (NK) Après isolement sur billes magnétiques, l’activité cytolytique des cellules NK sera étudiée. Des cellules cibles YAC-1 seront cultivées puis marquées à l’aide de CFSE (5-(6)-carboxy-fluorescein succinimidyl ester) compose# qui s’incorpore dans les cellules et dont la fluorescence diminue lors de la division cellulaire. Après rinçage et dilution, ces cellules seront mélangées avec les cellules NK (rapport 100/1) en milieu de culture RPMI1640 et incubées pendant 18-20 heures. La lyse cellulaire sera quantifiée par marquage incorporation d’iodure de propidium (PI) puis analysée par cytométrie en flux. WiFi ET AUTOIMMUNITE La présence de néo-antigènes marqueurs d’autoimmunité sera évaluée dans le sérum de souris. Pour cela des échantillons de sang total seront prélevés sur les souris âgées de 5 semaines, après leur dernière exposition. Des anticorps dirigés contre des antigènes marqueurs de l'inflammation, du stress radicalaire ou de neurotoxicité seront recherchés permettant la mise en évidence d’un éventuel processus pathologique. Ainsi, seront recherchés les anticorps anti NO-AA (NO associé à acides aminés) révélant indirectement l’activation de la NO-Synthase mais également des anticorps dirigés contre des épitopes de la kynurénine témoins de l’activation de l’indolamine2-3deoxygenase. Le titre en anticorps sera mis en évidence par la méthode ELISA. La révélation colorée sera réalisée avec un anticorps secondaire couplé à une peroxydase mise en présence d’ OrthoPhenyleneDiamine (OPD). L’ensemble de ces données permettra une appréciation du stress occasionné suite à l’exposition. Les antigènes employés (tableau 1) sont issus de modifications de type radicalaire et de l’exposition d’antigènes normalement protégés dans les membranes. Tableau 1 : Antigènes testés Signification pathologique Anticorps conjugués Origine Acides gras Phospholipides Phosphatidyl-Inositol Acétylcholine Composés endogènes liés par des liaisons amide Non accessible par le système immunitaire. Reconnaissance suite a des altérations membranaires ou après des interactions anormales avec d’autres constituants du soi Résidu de malondialdehyde 4hydroxynonenal Composés hautement réactifs avec les éléments endogènes Composés endogènes modifié par le NO et EOR Produit final de la lipoperoxydation Tryptophane Métabolite du tryptophane NO-Cysteine NO-Tyrosine NO-Trytophane NO2-Tyrosine NO-Methionine NO-Arginine NO-Phenylalanine Kynurenine Hydroxykynurénine Néoantigène résultant d’une hyperproduction de NO et de péroxynitrite Conclusion Les risques sanitaires liés aux radiofréquences et aux technologies associées, ainsi que la sensibilité des enfants face aux facteurs environnementaux sont la source de nombreux débats. Le projet ERYA contribuera à l’étude des effets du WiFi sur les systèmes nerveux et immunitaire en développement in utero et chez les populations jeunes. Les résultats permettront de répondre aux recommandations de l’OMS et aux inquiétudes actuelles du public face aux nouvelles technologies de communication. Remerciements Ce programme est financé par la fondation Santé et Radiofréquences.