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d’autre part sur la place faite à l'aspect sacrificiel dans la célébration eucharistique et dans le texte même
de la prière eucharistique. Dans la célébration, tant en Orient qu’en Occident, on admet et encourage que
les fidèles apportent leur offrande en vue du sacrifice eucharistique, en considérant cette offrande dans
une perspective déjà présente chez Irénée : les offrandes présentées à Dieu sont le retour à Dieu des
dons qu'il a faits à l'homme. Dans des termes empruntés à la prière de Salomon (1 Ch 29, 14), cette idée
prit place dans les anaphores antiochiennes (« nous t’offrons ces dons qui viennent de toi », la sa ek tôn
sôn soi prospherontes) et de là dans la prière eucharistique romaine (« cette offrande prélevée sur les
biens que tu nous donnes», de tuis donis ac datis). Les prières eucharistiques -déjà celle de la Tradition
apostolique, puis celles d’Antioche et la prière eucharistique romaine- font également place, dans leur
section d'anamnèse, à l’idée d'une offrande de ce dont on fait mémoire, dans une conception où l'acte
d’offrir est intérieur à l’acte de faire mémoire et fait en quelque sorte partie de son réalisme.
Ces données communes à l’ensemble des prières eucharistiques étant constatées, la prière eucharistique
romaine a ceci de particulier que l’aspect sacrificiel y occupe une place plus importante que dans les
autres, et que dans une certaine mesure il y fait perdre de vue l’action de grâces pour l'histoire du salut.
3 / Théologie
Jusqu'au XIII
ème
siècle, la dimension sacrificielle de l’Eucharistie ne préoccupe guère la théologie qui se
contente d'évoquer en s'y arrêtant à peine la formule d'Augustin (Ep 98, 9) selon laquelle « le Christ est
immolé chaque jour en sacrement » et l’idée antiochienne du mémorial du sacrifice (Pierre Lombard, Sent.
lV, 12, 5). Thomas d'Aquin, qui donne un relief nouveau au sacerdoce du Christ, amorce certes la
distinction entre eucharistie-sacrement et eucharistie-sacrifice, mais il est loin d'en faire la base de sa
théologie eucharistique. A la différence des autres théologiens, parmi lesquels Duns Scot, pour qui c’est
l’Ecclesia qui offre le sacrifice, Thomas conjoint d'autre part l’acte d’offrir et le rôle consécrateur du prêtre :
cette position entraîne une divergence dans la théorie des offrandes de messes, qui se développe et prend
de l’importance à partir de la fin du Moyen-âge.
La Réforme du XVI
ème
siècle refuse toute idée d’une Église offrant le sacrifice. L’Eucharistie, au contraire,
est offrande de Dieu aux croyants : « Nous nous laissons faire du bien par Dieu » (Luther, WA 6, 364). La
seule offrande de l'Église est son action de grâces.
En 1562, contre Luther, le concile de Trente définit (DS 1738-1759) que la messe est vraiment un sacrifice
non sanglant, y compris un sacrifice propitiatoire pour les vivants et les défunts, et qu’à la Cène le Christ a
institué à la fois l’Eucharistie et le sacerdoce. Mais le document conciliaire évite avec soin l’idée, qu'on
pourrait attribuer à la théologie du Moyen-âge, selon laquelle le Christ est « immolé de nouveau » à la
messe (Grégoire le Grand, Dialogues IV, 58, PL 77, 425) alors que son sacrifice a été offert sur la croix
une fois pour toutes (He 9, 14.27). Il ne semble pas, par ailleurs, qu'on ait mis en évidence le fait que la
communion au calice signifiait davantage l’aspect sacrificiel de l’Eucharistie. Il est en tout cas certain que
l’aspect sacrificiel de l’Eucharistie devient alors une préoccupation croissante de la théologie catholique :
ainsi par ex. chez Suarez, qui consacre au sacrifice un tiers de son traité de l’Eucharistie.
Les textes de Vatican II, un concile qui ne pouvait manquer d'être attentif à la dimension œcuménique de
cette question, soulignent l'unité de l’Eucharistie et du sacrifice de la croix (LG 3), indiquent que le prêtre
offre « sacramentellement » le sacrifice (PO n° 2 et 5), marquent l'unité entre le sacrifice spirituel de
l’ensemble des baptisés et le sacrifice eucharistique (ibid.) et donnent enfin au chapitre de Sacrosanctum
Concilium sur la messe le titre De mysterio missae là où on attendrait De sacrificio missae.
Bibliographie
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jours, Paris.
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F. lserloh, Der Wert der Messe in der diskussion der Theologen von Mittelalter bis zum 16. Jahrhundert,
ZKTh 83, 44 -79.
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J. Chiffoleau (1980), La comptabilité de l’au-delà, Rome.
A. Duval (1985), Des sacrements au concile de Trente, Paris.
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