Implications cliniques de la pharmacologie antipsychotique

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Introduction
Pour bien interpréter les données cliniques et parvenir, grâce à elles, à une prise en
charge optimale, on doit posséder une bonne connaissance générale de la pharma-
cologie des antipsychotiques. On trouve sur le marché de plus en plus d’antipsy-
chotiques distincts les uns des autres sur le plan pharmacologique, et le prestateur de
soins doit connaître les différences pharmacocinétiques et pharmacodynamiques
susceptibles d’influer sur le choix de l’antipsychotique, les modalités de prescription
et le suivi du traitement.
Quelques définitions : affinité, puissance et interactions avec
les récepteurs
Avant de nous lancer dans notre exploration pharmacologique, nous devons nous
familiariser avec certains termes. Dans le présent article, le terme « ligand » s’en-
tend d’un antipsychotique qui interagit avec le site de liaison du récepteur d’un neu-
rotransmetteur. Cette interaction change la conformation du récepteur, ce qui donne
lieu à la réponse physiologique. L’interaction antipsychotique-récepteur dépend, en
partie, de l’affinité du médicament envers le récepteur en question. Ainsi, si un
médicament a une forte affinité pour un récepteur, une force intermoléculaire plus
grande l’unira à ce dernier. En règle générale, il en résulte une interaction de plus
longue durée entre le médicament et le récepteur. Cette forte affinité peut également
se traduire par une action pharmacologique plus intense, car plus l’interaction
médicament-récepteur est forte et durable, plus elle est susceptible de conduire à un
changement de conformation du récepteur, qui se traduira par une réponse physio-
logique.
À l’inverse, si l’affinité est faible, la force intermoléculaire unissant le médica-
ment et son récepteur sera moins grande, d’où, habituellement, une liaison moins
durable ou plus « lâche ». Cela dit, il faut souligner ici que la durée ou la « solidité »
de la liaison médicament-récepteur ne sont pas forcément de bons indicateurs de
l’affinité. À titre d’exemple, l’aripiprazole a une très grande affinité envers les récep-
teurs dopaminergiques D2, mais s’en dissocie très rapidement (en moins de 1 mi-
nute); quant à l’halopéridol, son affinité pour les récepteurs D2est comparable à
celle de l’aripiprazole, mais, de tous les antipsychotiques, c’est l’un de ceux qui se
dissocient le plus lentement des récepteurs, soit après pas loin de 40 minutes1,2.
L’affinité ne détermine pas, à elle seule, la puissance d’un médicament. En effet,
cette dernière est aussi fonction de l’efficacité du ligand, c’est-à-dire de sa capacité
de produire une réponse biologique après sa fixation au récepteur, d’une part, et de
l’ampleur de cette réponse, d’autre part.
Un médicament qui se fixe à un récepteur, modifie la fonction de ce dernier et
entraîne ainsi une réponse physiologique est un agoniste. Plus l’affinité d’un médica-
ment envers son récepteur est grande, plus la concentration nécessaire pour qu’il agisse
11le clinicien avril 2011
Implications cliniques de la
pharmacologie antipsychotique
Diane M. McIntosh, M.D., FRCPC,
Ayal Schaffer, M.D., FRCPC,
Ric Procyshyn, B.Sc. (Pharm), MSc, PharmD, Ph.D.
12 le clinicien avril 2011
Pharmacologie antipsychotique
sur ce récepteur sera faible, et vice-versa. Un médicament
qui n’active que partiellement un récepteur ou n’amène pas
une réponse physiologique complète est un agoniste partiel.
Enfin, en se liant à un récepteur, un antagoniste ne dé-
clenche aucune réponse physiologique : il empêche les
autres ligands de se fixer au récepteur qu’il occupe.
Pour comparer l’affinité des antipsychotiques envers
un type de récepteurs donné, il est aujourd’hui d’usage
d’évaluer la constante d’inhibition (Ki). La Kiest la con-
centration qu’un antipsychotique doit atteindre (dans un
dosage par compétition) pour occuper 50 % des récep-
teurs à l’étude (p. ex., les récepteurs D2). Plus l’affinité
d’un médicament pour les récepteurs est grande, plus la
Kiest faible. Précisons que la Kine nous renseigne en
rien sur l’effet physiologique du médicament après sa
fixation au récepteur, mais uniquement sur la concentra-
tion nécessaire à l’occupation de la moitié des sites de
liaison. La comparaison de la Kide divers agents d’une
même classe pose cependant un problème : en effet, les
valeurs peuvent varier grandement pour une même sub-
stance. C’est que les laboratoires utilisent des méthodes
différentes, des ligands compétitifs différents et des tissus
différents, d’où la variabilité de la Ki. En règle générale,
il vaut mieux s’attacher aux différences relatives de Ki
pour un même type de récepteurs (comparaison d’un
médicament à un autre) plutôt qu’aux valeurs absolues,
grandement variables3-6.
Emploi des antipsychotiques
On trouve plus d’une douzaine d’antipsychotiques sur le
marché canadien. Ce sont pour la plupart des antipsycho-
tiques de première génération (APG), qui agissent princi-
palement par antagonisme des récepteurs D2. Leur
affinité envers ces récepteurs va de faible (p. ex., chlor-
promazine) à forte (p. ex., halopéridol). Généralement,
les APG ayant peu d’affinité pour les récepteurs D2ont
des effets sédatifs plus marqués et moins d’effets indési-
rables extrapyramidaux que les agents dotés d’une grande
affinité pour ces récepteurs.
Tous les nouveaux antipsychotiques offerts au Cana-
da sont, à une exception près, des antipsychotiques de
deuxième génération (ADG). Ils exercent un effet antago-
niste sur les récepteurs D2et 5HT2A, mais ont une plus
faible affinité envers les récepteurs D2qu’envers les
récepteurs 5HT2A. Ce double antagonisme explique fort
probablement leur profil d’efficacité et d’effets indési-
rables, qui les distingue des APG, en particulier en ce qui
a trait aux effets indésirables extrapyramidaux et aux
symptômes négatifs7. L’aripiprazole, seul agoniste partiel
des récepteurs D2offert au Canada, est aussi un agoniste
partiel des récepteurs 5HT1A et un antagoniste des récep-
teurs 5HT2A. On le qualifie parfois d’« antipsychotique
de troisième génération » (ATG), puisqu’il est le seul ago-
niste partiel des récepteurs D22,8,9.
Au cours des dernières années, les utilisations des
ADG/ATG se sont élargies, puisque, de plus en plus, les
médecins les prescrivent volontiers dans diverses affec-
tions. Ainsi, leur emploi est aujourd’hui monnaie cou-
rante non seulement dans la schizophrénie et les autres
troubles psychotiques, mais aussi dans les troubles du
spectre bipolaire, la dépression majeure, divers troubles
anxieux, l’autisme et la prise en charge des comporte-
ments perturbateurs. Devant un patient qui pourrait béné-
ficier d’un antipsychotique, le choix d’agents est vaste.
Dans les pages qui suivent, nous allons explorer les
facteurs cliniques à considérer lors du choix d’un antipsy-
chotique, les doses d’attaque et les modalités d’ajuste-
ment posologique, le passage d’un ADG/ATG à un autre
et les effets indésirables les plus susceptibles de nuire à
l’adhésion au traitement.
Le traitement par un antipsychotique doit être adapté à
chaque patient, comme d’ailleurs toute stratégie théra-
peutique en santé mentale. Une stratégie efficace chez un
patient se révélera inefficace, voire intolérable, chez un
autre. Le caractère hétérogène de la réponse au traitement
et des effets indésirables tient à de nombreux facteurs.
D’abord, on ne connaît pas encore la cause profonde des
troubles psychiatriques, si bien que c’est essentiellement
la symptomatologie, et non des biomarqueurs ou un
génotype, qui guide nos choix en matière de traitement.
Les troubles psychiatriques étant des entités hétérogènes,
deux patients atteints du trouble bipolaire I, par exemple,
ne répondront pas forcément de la même manière à un
On trouve sur le marché de plus en
plus d’antipsychotiques distincts les
uns des autres sur le plan
pharmacologique, et le prestateur de
soins doit connaître les différences
pharmacocinétiques et
pharmacodynamiques susceptibles
d’influer sur le choix de
l’antipsychotique, les modalités de
prescription et le suivi du traitement.
13le clinicien avril 2011
même agent. Les vastes échantillons populationnels,
rares en psychiatrie, permettraient certes au clinicien de
dégager des tendances, mais la réponse à un traitement
donné demeure largement individuelle26.
L’adhésion au traitement est, elle aussi, grandement
variable, et il y autant de raisons de ne pas suivre son
traitement à la lettre qu’il y a de patients. Par ailleurs, la
connaissance de l’antipsychotique que possède le clini-
cien – notamment pour déterminer et ajuster la posologie,
ou adopter la bonne stratégie pour changer ou potentia-
liser le traitement – peut influer considérablement sur
l’efficacité et le résultat de la prise en charge. Enfin, la
Tableau 1.
Indications des antipsychotiques atypiques au Canada et aux États-Unis10-25
Indications selon le pays
Antipsychotique États-Unis Canada
Aripiprazole Schizophrénie chez l’adulte et l’adolescent
Trouble bipolaire I (TBI) :
- épisodes maniaques et mixtes chez l’adulte et
l’adolescent
- traitement d’entretien du TBI
Traitement d’appoint du trouble dépressif majeur
Irritabilité associée à l’autisme chez l’enfant
Forme injectable : traitement des épisodes
d’agitation dans la schizophrénie et le TBI
Schizophrénie
Trouble bipolaire I : épisodes maniaques
et mixtes
Clozapine Schizophrénie réfractaire Schizophrénie réfractaire (offert
uniquement par l’entremise du Réseau
d’assistance et de soutien Clozaril
[RASC])
Olanzapine Schizophrénie
Trouble bipolaire I (épisodes aigus et traitement
d’entretien)
Épisodes dépressifs associés au trouble bipolaire
Dépression réfractaire
• Schizophrénie
Trouble bipolaire I (épisodes aigus et
traitement d’entretien)
Palipéridone • Schizophrénie
Trouble schizo-affectif
Schizophrénie et troubles psychotiques
associés
Quétiapine • Schizophrénie
Trouble bipolaire I (TBI) (épisodes aigus et
traitement d’entretien)
Épisodes dépressifs associés au TBI
Trouble dépressif majeur (XR seulement)
• Schizophrénie
Trouble bipolaire (épisodes aigus)
Épisodes dépressifs associés au trouble
bipolaire (épisodes aigus)
Trouble dépressif majeur (XR seulement)
Rispéridone Schizophrénie
Trouble bipolaire I
Irritabilité associée à l’autisme chez l’enfant
• Schizophrénie
Trouble bipolaire I
Ziprasidone Schizophrénie chez l’adulte
Trouble bipolaire I (épisodes aigus et traitement
d’entretien)
• Schizophrénie
Trouble bipolaire I (épisodes aigus)
Pharmacologie antipsychotique
14 le clinicien avril 2011
capacité de sceller une alliance thérapeutique faite de
confiance et d’ouverture n’est pas donnée à tous les clini-
ciens, et, de même, les patients n’arrivent pas tous à colla-
borer efficacement avec leur médecin.
Choix d’un antipsychotique
Le choix de l’antipsychotique de première intention
dépend de plusieurs éléments, dont, en tête de liste : le
degré d’aisance du médecin envers l’agent (innocuité et
efficacité), les indications et les principaux emplois hors
indications du produit, la connaissance des principaux
attributs du médicament (p. ex., sédation, désinhibition)
et la symptomatologie du patient. La plupart des clini-
ciens sont d’avis que les ADG/ATG sont supérieurs aux
APG, du moins si l’on en juge par l’utilisation étendue
qu’on en fait au Canada. Cependant, on n’a pas encore
établi hors de tout doute l’efficience de ces nouveaux
agents et leur supériorité dans toutes les catégories de
symptômes.
Les ADG/ATG ont souvent la cote, car on les juge
habituellement moins susceptibles que les APG d’en-
traîner des effets indésirables extrapyramidaux et des
dyskinésies tardives. Des données semblent indiquer que
les ADG/ATG améliorent les symptômes négatifs (p. ex.,
amotivation, apathie, avolition) et sont associés à des taux
moindres d’hyperprolactinémie – sauf la rispéridone et la
palipéridone – ainsi qu’à une amélioration de la qualité de
vie27-29. Dans de nombreuses études comparatives à dou-
ble insu, les ADG/ATG se sont révélés plus efficaces et
mieux tolérés que les APG, mais il ne faut pas oublier que
le diagnostic influe tant sur l’efficacité que sur la toléra-
bilité. Cela dit, les effets métaboliques, dont le gain
pondéral, attribués à certains ADG ont alimenté de saines
discussions sur le rapport risques-avantages et l’effi-
cience de ces agents, lesquelles ont mené à la réalisation
de nombreux essais cliniques. Certains auteurs ont conclu
qu’il n’y avait pas de différence notable entre les ADG et
les APG sur le plan de l’observance, de la qualité de vie
et de l’efficacité. Toutefois, d’autres chercheurs ayant
recueilli des données à long terme sur le traitement
antipsychotique ont constaté que la probabilité de rémis-
sion était plus grande chez les patients sous ADG que
chez les patients sous APG; au surplus, dans certaines de
ces études, on a conclu que le bien-être subjectif
s’améliorait significativement plus sous ADG que sous
APG30-35.
Les deux avantages les plus importants des ADG sur les
APG sont les effets subjectifs plus favorables et le risque
moindre de dyskinésies tardives. Dans le cadre d’un
sondage mené par Karow et ses collègues, 61 « experts
par l’expérience » (c’est-à-dire des patients schizo-
phrènes sous ADG pendant 2 ans et, avant ou après ce
traitement, sous APG pendant 1 an) ont fait état de dif-
férences marquées au chapitre de l’efficacité non pas sur
les symptômes positifs, mais plutôt sur les symptômes
négatifs et affectifs, ainsi que d’une meilleure tolérabilité
au regard des effets indésirables moteurs et sexuels36.
Tableau 2.
Profil d’effets indésirables, notamment métaboliques, des antipsychotiques atypiques38-43
Allongement
de l’intervalle Dysfonction Hyper- Gain Risque de
Antipsychotique SEP* QTc Sédation sexuelle lipidémie pondéral diabète Dyslipidémies
Aripiprazole
Olanzapine
Quétiapine
Rispéridone
Ziprasidone
Risque neutre-faible Risque modéré Risque élevé
* SEP : Symptômes extrapyramidaux
Le traitement par un antipsychotique
doit être adapté à chaque patient,
comme d’ailleurs toute stratégie
thérapeutique en santé mentale.
Pharmacologie antipsychotique
15le clinicien avril 2011
La prise en compte du risque de sédation excessive et
de syndrome métabolique demeure incontournable lors
du choix d’un agent de première intention. On pourra
opter d’emblée pour un des agents aux propriétés séda-
tives les plus prononcées (quétiapine, quétiapine XR,
olanzapine et rispéridone) en cas d’insomnie ou d’agita-
tion marquée. Si une action sédative s’impose de toute
urgence et si les facteurs de risque métabolique sont con-
sidérables, un traitement de courte durée par une benzo-
diazépine est possible. Des agents aux propriétés plus
désinhibitrices (aripiprazole, ziprasidone et palipéridone)
seront privilégiés chez les patients en proie à l’apathie et
à la fatigue. Si le patient redoute la prise de poids, est déjà
en surpoids ou présente des facteurs de risque de syn-
drome métabolique, le clinicien devrait se tourner vers
l’aripiprazole, la ziprasidone ou la palipéridone, parce
qu’ils risquent moins d’entraîner des effets indésirables
métaboliques37-43.
Indications et utilisations courantes des
ADG/ATG
Tous les ADG/ATG en vente au Canada sont indiqués
dans le traitement de la schizophrénie et des troubles psy-
chotiques associés de même que des épisodes maniaques
du trouble bipolaire I40,44-46. Cela dit, certains agents se
sont montrés efficaces dans d’autres troubles psychia-
triques ou sont souvent prescrits hors indications.
L’emploi de la quétiapine XR seule est indiqué dans la
dépression bipolaire et le trouble dépressif majeur
(TDM). À l’heure actuelle, c’est le seul antipsychotique
indiqué dans le TDM au Canada. Associée à un inhibiteur
sélectif du recaptage de la sérotonine (ISRS), l’olanza-
pine a également été efficace dans la dépression bipolaire.
Le TDM ne fait pas partie des indications de l’aripipra-
zole en monothérapie; cependant, dans ses lignes direc-
trices de 2009 sur le traitement du TDM, le CANMAT a
inscrit l’aripiprazole parmi les agents d’appoint de pre-
mière intention dans le TDM, aux côtés de l’olanzapine et
de la rispéridone. De nombreux essais ouverts et
plusieurs essais comparatifs avec randomisation ont mis
au jour les avantages de l’association ADG/ATG + anti-
dépresseurs dans divers troubles anxieux, dont l’état de
stress post-traumatique (ESPT), le trouble obsessionnel-
compulsif (TOC) et l’anxiété généralisée47-49.
Plusieurs raisons expliquent que certains ADG/ATG
soient efficaces dans la dépression et d’autres, non. Ainsi,
un antagonisme excessif des récepteurs D2peut entraver
l’action des antidépresseurs; autrement dit, les antago-
nistes des récepteurs D2les plus puissants peuvent, en
Figure 1.
Antipsychotiques atypiques (APA) en traitement d’appoint dans le trouble dépressif
majeur : taux de rémission47,48,50,51
40
35
30
25
20
15
10
5
0Aripiprazole
2-20 mg/jour
Taux de rémission (%)
Olanzapine
6-18 mg/jour Rispéridone
1-2 mg/jour Quétiapine XR
300 mg/jour
On ne doit pas comparer les taux de rémission associés aux divers antipsychotiques dans la figure précédente, car les données ne proviennent pas
d’essais comparatifs directs. On ne dispose pas d’essai avec groupe placebo pour la ziprasidone.
APA
Placebo (%)
Les deux avantages les plus
importants des ADG sur les APG sont
les effets subjectifs plus favorables et
le risque moindre de dyskinésies
tardives.
Pharmacologie antipsychotique
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