FICHE TECHNIQUE janvier 2006 LE CANNABIS Par le Dr Laurent Karila Chef de clinique assistant du département d’addictologie et de psychiatrie, hôpital Paul-Brousse, Villejuif et le Pr Michel Reynaud Chef du département d’addictologie et de psychiatrie, hôpital Paul-Brousse, Villejuif Introduction La France est le premier pays européen consommateur de cannabis et 23 % des Français l’ont déjà expérimenté au moins une fois dans leur vie. Son usage est illicite et sanctionné par des amendes et des peines de prison selon la loi de 1970 sur les toxicomanies1. Le cannabis a toujours fait l’objet de nombreux débats : dépénalisation, diabolisation, banalisation, théorie de l’escalade vers d’autres drogues…, rien n’étant clairement démontré. Ce qui fait consensus dans la communauté scientifique est l’existence de réelles conséquences somatiques, psychiatriques et sociales. Les professionnels de santé et notamment les pharmaciens, sont de plus en plus confrontés aux usagers de cannabis et à leur famille. Il nous a donc paru indispensable de faire un point précis tant sur les effets et les dommages du cannabis, que sur les moyens de repérage et d’évaluation et sur les possibilités de prise en charge. PRODUITS ET MODES DE PRÉPARATION Les différents produits Le cannabis est issu d’une plante, Cannabis sativa variété indica ou chanvre indien. La composition du cannabis est très complexe, plus de 60 cannabinoïdes ont été recensés à ce jour dont les principaux sont le ∆9-tétrahydrocannabinol (∆9-THC), le ∆8-tétrahydrocannabinol et le cannabidiol. La concentration en ∆9-THC dans les produits consommés est en nette augmentation depuis quelques années, modifiant ainsi leur toxicité. Les dénominations du cannabis diffèrent selon le lieu de production et le mode de préparation : • L’herbe, également appelée marijuana, correspond aux feuilles et aux sommités fleuries séchées (mélange de graines et de brindilles). La sinsemilla est une variété particulière, plus riche en résine et privée de graines. Le contenu en ∆9-THC varie de 6 à 21 %. Certaines herbes hollandaises auraient des taux plus élevés. • La résine, appelée shit ou hashisch, se présente sous forme de barrettes pou- vant avoir un aspect marron et solide (Maroc), rouge (Liban), noir et malléable (Afghanistan). Peu de données existent sur la nature des produits associés à la résine, dont la toxicité pourrait être non négligeable. Le contenu en ∆9THC de la résine varie selon le pays d’importation (de 8 % à 30 %). • L’huile de cannabis est un liquide visqueux brun-vert à noirâtre résultant de l’extraction de la résine par de l’alcool à 90° suivie d’une évaporation. Elle contient environ 60 à 80 % de THC et possède de forts effets hallucinogènes. 1. Loi n° 70-1320 du 31/12/1970 « Mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et la répression du trafic et de l’usage illicite de substances vénéneuses ». Comité d’éducation sanitaire et sociale de la pharmacie française Ordre National des Pharmaciens - 4, avenue Ruysdaël - TSA 500 36 - 75379 Paris Cedex 08 • Tél. : 01 56 21 35 00 - Fax : 01 56 21 35 09 - [email protected] PRODUITS ET MODES DE PRÉPARATION (suite) Mode de consommation En France, le cannabis est généralement mélangé à du tabac. Il peut être consommé de différentes façons : – le joint : mélange roulé dans un papier à cigarette muni d’un filtre en carton ; – le bang : montage d’un foyer en aluminium dans lequel est placé le produit en combustion surmonté d’un tube pour inhaler la fumée ; – la pipe à eau (narghilé) et le space cake (cannabis incorporé dans des pâtisseries), sont plus rarement utilisés. Prix du cannabis Le prix du gramme de cannabis varie de 4 à 8 €, l’herbe ayant à peu près le même prix que le shit. Le shit se présente sous forme de « savonnette » d’un demi centimètre d’épaisseur et d’environ 250 grammes qui peut être découpée en fine tranche appelée « barrette ». Le prix moyen d’une barrette de shit varie de 10 à 15 €. Bien qu’illicite, l’accès au cannabis est facile en France. Son marché est très organisé et très efficace. Le Maroc est le premier pays exportateur de cannabis vers la France. L’approvisionnement du marché est toujours assuré avec une fréquence régulière et une constance des prix sur l’ensemble du territoire français même en cas de saisie par les douanes. Un fumeur quotidien dépense environ 25 à 80 €/mois (OFDT, 2003). PHARMACOLOGIE DU CANNABIS Données pharmacocinétiques et métaboliques Après inhalation, selon la qualité du produit et la manière de fumer, 15 à 50 % du ∆9-THC présent dans la fumée, est absorbé très rapidement et passe dans le flux sanguin. Les concentrations sanguines maximales, dose-dépendantes, sont obtenues 7 à 10 minutes après le début de l’inhalation. Le ∆9-THC, aux propriétés lipophiles, se distribue rapidement dans l’ensemble des tissus adipeux et peut y persister jusqu’à 4 semaines après la dernière consommation. L’élimination du cannabis s’effectue par voie rénale (15 à 20 %), digestive (30 à 65 %), sudorale et dans le lait maternel. La vitesse d’élimination des cannabinoïdes varie d’un sujet à l’autre (demi vie d’élimination entre 2 et 8 jours) et dépend principalement de la dose fumée et de la fréquence de l’usage. Méthodes de dosage Les urines sont le milieu le plus approprié pour effectuer le dépistage d’une consommation de cannabis jusqu’à 3 semaines après la dernière prise. Le sang permet de confirmer le dosage urinaire dans un contexte médico-légal, incluant les accidents de la voie publique. Le dosage dans la salive est possible, il témoigne d’une exposition récente (détection dans les 2 à 10 heures après la dernière consommation). Cette méthode de dosage permettrait un dépistage simple de l’imprégnation cannabique dans le cadre d’un contrôle routier, mais il n’est pas encore reconnu par la réglementation. L’analyse du cannabis dans les cheveux peut être utilisée comme marqueur d’une utilisation chronique. Le dosage dans la sueur est rarement effectué. Données neurobiologiques Les cannabinoïdes agissent sur les récepteurs CB1 et CB2. Les récepteurs CB1 sont principalement retrouvés dans les régions du cerveau impliquées dans les processus cognitifs d’apprentissage, de la mémoire et de la récompense (cortex frontal, hippocampe, amygdale), dans les régions impliquées dans les phénomènes moteurs d’activité et de coordination motrice (ganglions de la base et cortex cérébral) et dans les régions impliquées dans la perception de la douleur (moelle épinière, amygdale, thalamus). Les récepteurs CB2 se retrouvent au niveau du système immunitaire. Le ∆9-THC est un puissant agoniste des récepteurs cannabinoïdes. Dans le cerveau, la stimulation des récepteurs CB1 par le THC provoque une libération de neurotransmetteurs (dont la dopamine) responsables des effets psychoactifs du cannabis. Usage thérapeutique du cannabis De nombreuses actions thérapeutiques du cannabis ont été évoquées : antalgique, antiémétique, orexigène, neuroprotecteur, antiglaucomateux, antispastique. Depuis juin 2005, un spray oral, Sativex®, a reçu une AMM au Canada pour le traitement des douleurs neuropathiques résistantes dans les scléroses en plaque de l’adulte. En France, le cannabis est soumis à des restrictions légales très importantes. Deux cannabinoïdes de synthèse sont disponibles sous forme d’ATU nominative, le dronabinol (Marinol®) et la nabilone (Cesamet®) et utilisés comme orexigènes et antiémétiques chez des patients atteints du SIDA ou de cancer. Actuellement, le cannabis semble n’offrir que des avantages thérapeutiques modestes dans des domaines où d’autres médicaments se révèlent beaucoup plus efficaces. 2 MODALITÉS DE CONSOMMATION En 2002, 23 % des adultes âgés de 18 à 75 ans avaient déjà expérimenté le cannabis et 1,4 % l’utilisaient 10 fois par mois et plus. Au cours des 12 derniers mois, 59 % des jeunes de 18 ans en avaient déjà fumé et 15 % en fumaient régulièrement (21 % des garçons et 9 % des filles). 10 % des garçons contre 3 % des filles de 18 ans déclaraient fumer tous les jours (OFDT, 2003). L’usage régulier de cannabis est, en général, associé et a été précédé par la consommation de tabac et d’alcool. Une augmentation de l’ivresse alcoolique et de la consommation de tabac serait parallèle à la consommation de cannabis. L’usage de cannabis conduit une partie des consommateurs à avoir recours au système médico-social en raison de leur consommation : 31 % des nouveaux patients vus dans les centres de soins spécialisés pour toxicomanes (CSST) en 2002 avaient une consommation prédominante de cannabis (OFDT, 2003). Comportements de consommation L’usage de cannabis peut conduire à une consommation problématique sous forme d’abus ou d’usage nocif allant jusqu’à la dépendance. • L’abus ou l’usage nocif Il s’agit d’une consommation répétée qui entraîne la survenue de dommages psychoaffectifs, sociaux ou somatiques sans atteindre les critères de dépendance. Cet état s’accompagne le plus souvent de plaintes émises par l’entourage comme par le sujet lui-même sur sa consommation et ses conséquences. • La dépendance Elle se traduit par une perturbation importante et prolongée du fonctionnement neurobiologique et psychologique d’un individu. C’est la phase ultime des consommations pathologiques (voir Conséquences neuropsychologiques : Usage chronique). Consommation à risque Certaines modalités de consommation sont fortement corrélées à l’apparition de dommages psychiatriques, somatiques et sociaux et aux risques d’abus et de dépendance : – La précocité des consommations : plus une consommation de cannabis démarre tôt dans la vie, plus le risque d’apparition d’abus et/ou d’une dépendance est élevé. – La consommation à visée autothérapeutique : consommation régulière à visée hypnotique ou anxiolytique ; consommation matinale pour pallier à un syndrome de dépendance ; consommations régulières, continues et massives pour lutter contre l’ennui… – L’usage solitaire, en dehors des situations ritualisées, corrélé le plus souvent à une augmentation de la consommation. – La consommation à la recherche d’excès. – La répétition des consommations. – L’impossibilité de se priver de cannabis dans certaines conditions (concerts, fêtes ou moments plus intimes). – Le besoin de consommer quotidiennement. L’installation de l’abus voire de la dépendance au cannabis est conditionnée par l’interaction entre trois facteurs : • le produit (risque de dépendance et de complications sanitaires, psychologiques ou sociales) ; • l’individu (vulnérabilité génétique, biologique, tempérament, troubles psychiatriques existants) ; • son environnement (fonctionnement familial, rôle des pairs). CONSÉQUENCES CLINIQUES DE L’USAGE DE CANNABIS Conséquences somatiques liées à l’usage aigu et chronique de cannabis Système cardiovasculaire Le ∆9-THC a un effet hypotenseur caractéristique induisant une augmentation de la fréquence et du débit sanguin cardiaque et cérébral (10 minutes après consommation de cannabis). Cette tachycardie pourrait être responsable de palpitations et d’une réduction de la tolérance à l’effort chez les patients coronariens. De nombreux cas d’artériopathie chez des fumeurs de cannabis ont également été rapportés. Système respiratoire La fumée du cannabis a des effets proches de celle du tabac. Mais chaque « joint » est 4 fois plus toxique qu’une cigarette industrielle notamment à cause de la différence d’inhalation du joint par rapport à la cigarette : la profondeur et la durée de l’inspiration sont plus importantes et l’inhalation délivre en moyenne deux fois plus de fumée. L’inhalation de cannabis augmente fortement le taux de carboxyhémoglobine par rapport à la cigarette. Les effets broncho-pulmonaires aigus du cannabis, malgré une activité bronchodilatatrice immédiate et transitoire de l’ordre de 60 minutes, sont proches de ceux du tabac (réactions inflammatoires, toux). L’exposition chronique au cannabis peut entraîner une bronchite chronique. Système oculaire Les effets oculaires les plus fréquemment retrouvés sont une hyperhémie conjonctivale par vasodilatation et irritation conjonctivale (yeux rouges) et une mydriase inconstante en cas d’ingestion. 3 Système digestif Les sujets fumeurs de cannabis peuvent se plaindre de sécheresse buccale par diminution de la sécrétion salivaire et de troubles digestifs dus à une réduction de la motricité intestinale. Plus rarement, des manifestations à type de diarrhées, vomissements peuvent se voir lors d’une consommation importante. Enfin, il a été montré expérimentalement que le cannabis entraînerait une augmentation de l’appétit. Cancer Des cas de cancers des voies aérodigestives supérieures et pulmonaires ont été rapportés (langue, larynx, amygdale...) chez les fumeurs de cannabis associé au tabac et chez les fumeurs exclusifs de cannabis. Des cas de cancers chez les enfants exposés passivement ont également été rapportés (rhabdomyosarcome, leucémie non lymphoblastique, astrocytome). CONSÉQUENCES CLINIQUES DE L’USAGE DE CANNABIS (suite) Conséquences neuropsychologiques ■ Usage aigu Les effets psychoactifs du cannabis, dus au ∆9-THC, sont doses-dépendants et varient selon les individus. Ils surviennent en quelques minutes et peuvent durer plusieurs heures. Ils sont de l’ordre de l’euphorie, du bien-être, de la détente sereine (voire une exaltation de l’humeur) ou de la sédation. Sur le plan cognitif, il est retrouvé des perturbations mnésiques et attentionnelles, une diminution des performances psychomotrices, des distorsions subjectives du temps et de l’espace et un trouble de la communication orale. Ces altérations peuvent persister jusqu’à 24 heures après l’usage de cannabis. Complications Les conditions de survenue de complications liées à la consommation de cannabis présentent une grande variabilité individuelle. Ivresse cannabique Elle associe un sentiment de bien-être, des troubles mnésiques, une sédation ou une excitation et à doses élevées une dissociation d’idées, des erreurs d’appréciation de l’espace, des perceptions sensorielles accrues (modifications auditives, troubles de la perception des sensations et expériences hallucinatoires riches). Ces troubles persistent pendant quelques heures. Bad trip Il se manifeste par des malaises anxieux, des crises d’angoisse, des idées dépressives, paranoïaques voire délirantes. Cet état régresse spontanément en quelques heures. Attaque de panique Sa survenue lors d’un premier usage favoriserait les récidives lors d’une consommation ultérieure. Cannabis et conduite automobile Un conducteur qui a fumé du cannabis a 1,8 fois plus de risque d’être responsable d’un accident mortel de la route. La consommation de cannabis associée à l’alcool multiplie ce risque par 14 *. L’usage de cannabis est donc totalement incompatible avec la conduite automobile. Depuis 2001, en France, une recherche de stupéfiants est effectuée chez les conducteurs impliqués dans un accident corporel ou mortel de la circulation (loi du 19 juin 1999 et du 15 novembre 2001). La loi du 3 décembre 2003 institue un délit de conduite sous l’emprise de produits stupéfiants puni de 2 ans d’emprisonnement et 4 500 euros d’amende. * Étude « Stupéfiants et accidents mortels de la circulation routière », OFDT, octobre 2005. Psychose cannabique aiguë (pharmacopsychose) Son apparition serait concomitante de l’intoxication ou apparaîtrait dans le mois qui suit l’arrêt de l’intoxication. Il y aurait une ascension récente des consommations de cannabis précédant l’apparition de la symptomatologie délirante. Il s’agit d’un trouble de début brutal et d’évolution brève (de quelques jours à quelques semaines). La symptomatologie est proche de celle des bouffées délirantes aiguës, avec une hétéroagressivité plus importante liée à la desinhibition psychomotrice, une plus grande fréquence d’hallucinations notamment visuelles, une impression de déjà-vu ou de dépersonnalisation. L’épisode délirant est résolutif à l’arrêt de l’intoxication et sous antipsychotique atypique. L’expérience d’une psychose cannabique aiguë favorise les récidives lors de nouvelles consommations de cannabis. Flash-back cannabique Le stockage de cannabis dans les tissus adipeux pourrait entraîner des décharges retardées dans les 3 mois après le dernier usage et sur le plan clinique une angoisse majeure de dépersonnalisation. ■ Usage chronique L’usage chronique de cannabis entraînerait des altérations cognitives à type de troubles mnésiques, d’altérations de l’apprentissage et des performances sociales et scolaires. Les autres domaines neurocognitifs ne semblent pas touchés. Syndrome de dépersonnalisation Ce syndrome s’exprime par des attaques de panique avec sensations de dépersonnalisation ou de déréalisation secondaire à une prise isolée de cannabis. Il apparaît dans les 30 minutes suivant la prise puis régresse en deux heures environ. Syndrome amotivationnel Certains consommateurs vont développer un syndrome amotivationnel (entité clinique non validée). Il comporte un déficit des activités professionnelles ou scolaires, une désinsertion sociale, des troubles du fonctionnement intellectuel, 4 des difficultés attentionnelles et mnésiques, une pauvreté idéatoire, une indifférence affective et un rétrécissement de la vie relationnelle. Dépendance La prévalence de la dépendance au cannabis représente 10 % de la population consommatrice, la tranche d’âge 15-25 ans étant la plus touchée. Elle se traduit par l’apparition d’une tolérance et d’un comportement compulsif de consommation. Un syndrome de sevrage se produit à l’arrêt de la consommation. Il se manifeste principalement par de l’agitation, de l’anxiété, de l’insomnie, une instabilité de l’humeur, une irritabilité, une anorexie, des tremblements, une augmentation des réflexes, des sueurs, des diarrhées. L’ensemble de ces symptômes s’amenderait en 3 semaines. Des dommages graves (psychologiques, somatiques et sociaux) l’accompagnent souvent. Dépression Il a été montré une forte relation entre usage de cannabis et dépression mais aucune relation de causalité n’a été établie. La symptomatologie dépressive serait un facteur de risque de début d’usage de cannabis. Troubles anxieux L’usage régulier de cannabis dans la population de personnes présentant un trouble anxieux généralisé serait fréquent et à visée thérapeutique. Or, l’usage de cannabis favorise la survenue d’attaques de panique qui mène généralement la personne anxieuse à arrêter spontanément sa consommation. Schizophrénie Différentes études ont suggéré un lien significatif entre usage de cannabis et schizophrénie. Il existerait une vulnéra- CONSÉQUENCES CLINIQUES DE L’USAGE DE CANNABIS (suite) bilité neurobiologique commune. Un âge de début précoce d’usage de cannabis semble augmenter le risque de psychose. Des antécédents d’usage de cannabis apparaîtraient être un facteur de risque pour le début d’une schizophrénie, notamment chez les sujets vulnérables mais également chez ceux sans histoire clinique antérieure. Cependant le cannabis n’est ni une cause suffisante ni une cause nécessaire pour une schizophrénie, mais une composante s’incluant dans le groupe de facteurs impliqués dans cette maladie. Grossesse et cannabis L’usage chronique de cannabis entraîne une diminution de la perfusion utéroplacentaire à l’origine de difficultés voire d’échecs d’implantation embryonnaire. Les effets néfastes du cannabis sur la croissance fœtale seraient mis en évidence dès la 22e semaine de gestation : retard de croissance fœtale et réduction de la durée de gestation. Cependant le tabac, associé au cannabis, jouerait également un rôle important dans le retentissement somatique fœtal. Le cannabis consommé pendant la grossesse pourrait être à l’origine de fausses couches spontanées, d’une augmentation du nombre de contractions et de complications pendant le travail obstétrical. Enfin, il a été démontré que le cannabis entraîne des altérations neurocomportementales et développementales significatives chez les sujets exposés in utero : troubles mnésiques, attentionnels, d’intégration de données, hyperactivité, comportements impulsifs. RÔLE DU PHARMACIEN Le pharmacien d’officine est un des professionnels de santé auquel les familles pourraient facilement faire appel lorsqu’elles suspectent ou découvrent l’usage de cannabis chez l’adolescent. Il doit constituer une aide pour les parents leur permettant d’engager le dialogue avec leurs enfants dans une situation souvent de crise. Lorsqu’un consommateur est en demande d’informations, le pharmacien peut proposer un rendez-vous pour aborder le sujet en toute confidentialité. Pour faire face à cette demande, il est indispensable que le pharmacien aborde le plus objectivement possible les risques et complications éventuels de la consommation de cannabis afin de tenir aux jeunes consommateurs et à leur famille un discours crédible et adapté. Conseils aux parents Avant d’engager une discussion avec les parents, il est essentiel que le pharmacien connaisse des médecins ou centres de consultation spécialisée, susceptibles de recevoir le jeune consommateur (voir Contacts utiles). Les parents sont souvent désarmés face à la consommation de cannabis de leurs enfants. Le pharmacien pourra leur donner quelques conseils pour ouvrir le dialogue : – Conseiller aux parents d’avoir une attitude cohérente et commune face à leur enfant. Des discours divergents entre les deux parents auront un impact moins important sur le jeune consommateur. – Ne jamais banaliser ni dramatiser la consommation de cannabis. – Conseiller aux parents de ne pas tenir un discours moralisateur mais favoriser une discussion autour du cannabis. – Rester à l’écoute et chercher des solutions avec l’adolescent. – Encourager les parents à signifier leur désaccord par rapport au choix de leur enfant et à se positionner comme un soutien possible. Le pharmacien pourra également informer les parents des signes d’alerte évocateurs d’une consommation de cannabis (voir encadré ci-dessous). L’adolescent peut ressentir l’aide des parents comme un obstacle à son indépendance. Il est cependant essentiel de maintenir le dialogue. Le pharmacien peut constituer une aide extérieure à la famille qui prendra le relais pour conseiller et éventuellement guider l’adolescent vers une consultation spécialisée. Changements de comportement d’un adolescent pouvant alerter sur sa consommation de cannabis : • Absentéisme scolaire répété. • Perte d’intérêt pour les activités sportives ou de loisir. • Isolement, repli sur soi. • Changement de fréquentation. • Problèmes d’argent. 5 Conseils aux adolescents Certains arguments pourront être apportés incitant l’adolescent à réfléchir sur sa consommation de cannabis et en envisager l’arrêt : – Informer l’adolescent sur le cannabis et ses effets somatiques, psychologiques, cognitifs et sociaux. – Aborder le sujet de l’appartenance au groupe et entraîner les adolescents à exprimer leur jugement et assumer leurs propres choix. – Inciter l’adolescent à mettre en balance d’une part sa consommation de cannabis, les effets qu’il ressent, le réconfort que cela lui apporte, et d’autre part les répercussions négatives sur son travail, ses relations, ses loisirs. – Les arguments en rapport avec la santé n’ayant pas beaucoup d’impact vis-àvis des adolescents, insister plutôt sur le risque d’échec que peut entraîner la consommation de cannabis au niveau de l’apprentissage scolaire et de la construction de la personnalité. Généralement, le consommateur de cannabis pense réussir à maîtriser sa consommation et n’envisage pas qu’elle puisse le rendre dépendant, ou avoir des conséquences négatives. L’utilisation du questionnaire CAST peut aider l’adolescent à évaluer les risques de sa consommation. Le questionnaire est rempli par le consommateur puis présenté à un professionnel de santé. L’interprétation du questionnaire, récemment revue, indique que trois réponses positives suggèrent un risque modéré associé à l’usage de cannabis. Le professionnel de santé doit porter une attention particulière au jeune RÔLE DU PHARMACIEN (suite) consommateur et l’inciter à réfléchir sur les conséquences de sa consommation. Quatre réponses positives ou plus sont le reflet d’une consommation problématique qui nécessite une orientation vers une consultation spécialisée. Orienter vers une prise en charge médicale Selon l’importance du problème et la consommation de cannabis, une prise en charge médicale peut être proposée. Elle est le plus souvent ambulatoire. Un premier bilan permet de décider du traitement à mettre en place : thérapie cognitive et comportementale, prise en charge des comorbidités somatiques et/ou psychiatriques ainsi que des problèmes relationnels, familiaux, sociaux. Il n’existe aucun traitement substitutif au cannabis mais des traitements symptomatiques (anxiolytiques...) sont utilisés pour aider au sevrage. En revanche, le tabagisme étant fréquemment associé à la consommation de cannabis, des substituts nicotiniques peuvent être proposés. Un recours à des intervenants spécialisés en addictologie est justifié s’il existe une polyaddiction, un trouble de l’adaptation Questionnaire CAST (Cannabis abuse screening test, conçu par l’OFDT) Trois réponses positives au test doivent amener le consommateur à s’interroger sérieusement sur les conséquences de sa consommation de cannabis. Quatre réponses positives ou plus, devraient l’amener à demander un avis spécialisé. Au cours de votre vie : - Avez-vous déjà fumé du cannabis avant midi ? ❑ OUI ❑ NON - Avez-vous déjà fumé du cannabis lorsque vous étiez seul(e) ? ❑ OUI ❑ NON - Avez-vous déjà eu des problèmes de mémoire quand vous fumez du cannabis ? ❑ OUI ❑ NON - Des amis ou des membres de votre famille vous ont-ils déjà dit que vous devriez réduire votre consommation de cannabis ? ❑ OUI ❑ NON - Avez-vous déjà essayé de réduire ou d’arrêter votre consommation de cannabis sans y parvenir ? ❑ OUI ❑ NON - Avez-vous déjà eu des problèmes à cause de votre consommation de cannabis (dispute, bagarre, accident, mauvais résultat à l’école…) ? ❑ OUI ❑ NON Legleye S., Karila L., Beck F., Reynaud M. en milieu scolaire ou professionnel, un usage autothérapeutique du cannabis, un dysfonctionnement familial ou social majeur, un trouble psychiatrique. L’hospitalisation n’est proposée que si la prise en charge ambulatoire est difficile et/ou s’il existe des comorbidités psychiatriques. CONTACTS UTILES ■ Ligne téléphonique ÉCOUTE CANNABIS (8 à 20 heures) : 0811 91 20 20 Ligne spécifique dédiée aux problèmes liés à la consommation de cannabis ■ Ligne téléphonique FIL SANTÉ JEUNES (8 à 24 heures) : 0800 235 236 Ligne spécifique liée aux problèmes de santé physique, psychologique et sociale des adolescents www.filsantejeunes.com ■ Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) www.drogues.gouv.fr. La liste des consultations cannabis est disponible sur ce site, rubrique Adresses utiles POUR EN SAVOIR PLUS • Monographie cannabis, Reynaud M. (conseiller scientifique), La Revue du Praticien, 15 janvier 2005, tome 55 : • • • • • n° 1, p. 14-74. Addictions et Psychiatrie, Reynaud M., Éditions Masson, 2005 Cannabis et santé, Reynaud M., Éditions Flammarion, 2004 Prise en charge des troubles psychiques et des addictions, Karila L., Éditions Baillière, 2005 Le cannabis et les autres drogues, Benyamina A., Éditions Solar, 2005 Cannabis : Quels effets sur le comportement et la santé ?, INSERM Expertise collective, Éditions INSERM, 2001 Les auteurs remercient les Drs Sarah Coscas, Amine Benyamina, Paul Pickering, Hassan Rahioui, praticiens hospitaliers du département d’addictologie et de psychiatrie, hôpital Paul-Brousse, Villejuif. 6