NOTE D’INTENTION DE MISE EN SCÈNE
« Le glamour, c’est cette qualité qui consiste à provoquer, allécher, séduire, fasciner, ravir et ensorceler,
toutes choses qui soumettent la structure émotionnelle du spectateur à un état de vibration et de torsion. Le
glamour peut également, bien que rarement, produire une satisfaction purement esthétique, distincte de
toute impulsion primitive, en commençant par vider votre corps de tout son sang (…)»
Joseph von Sternberg
Le glamour obsède Frédéric Vossier. Il s’en sert. Ses personnages ont parfois des airs de stars passées
qui auraient raté leur retour. D’où un curieux effet de familiarité et d’inquiétante étrangeté de cet univers où
on peut croiser les spectres ou les sosies de Maradonna, Elvis, Marilyn, Elisabeth Taylor en n’étant jamais sûr
du rapport à l’original. Il aime partir de ce genre d’icône, c'est-à-dire d’une image artificielle, fabriquée pour
accumuler du capital, pour produire et consommer. Mais quand il l’utilise, c’est comme si au préalable il avait
vidé l’image au point qu’il n’en reste plus qu’une sorte d’enveloppe vide, un standard, un cadre, la variation
monstrueuse d’un cliché reproduit à l’infini (et que donc tout le monde, aujourd’hui, peut remplir de ce qu’il
veut). Ce qui l’intéresse, c’est moins la figure en tant que telle que le phénomène de fascination qu’elle
suscite autour d’elle. Chez lui, la critique de la fétichisation sacralisante de l’homme, de la fabrication des
images avec la fascination qu’elle produit est centrale. Et la menace qu’elle fait peser sur les vies. Des vies
diminuées, pétrifiées sous l’image et la fiction (la légende) qui l’accompagne.
Dans MANNEKIN, une mère rend visite à sa fille qui entretient une relation de couple très trouble avec un
footballeur espagnol déchu. Cette ancienne star du football est l’objet de toutes ses curiosités, la mère en
dresse le portrait et l’invente devant nous, en s’efforçant tout le temps de nous faire croire que ce qu’on voit
colle à ce qu’elle énonce, jusqu’au moment où l’homme apparaît, que la machine performative s’enraye et que
tout bascule. Dans TAHOE, l’acteur est déjà là, mais dans un rôle pas bien défini car les identités ici sont peut
être encore plus flottantes et précaires que dans MANNEKIN.La pièce commence sur une conversation
étrange sur l’ identité («c’est toi» dit une voix au téléphone, «moi qui?» répond Freddy ). Et c’est l’arrivée de
Kath, le troisème personnage, c’est sa fascination pour le pantin-Elvis qui permet comme la reconstitution
d’une scène symbolique de la reconnaissance, la célébrité. «T’as vu ça? C’est lui. C’est bien lui. Le vrai. Le
Roi. Le vrai Roi devant sa télé en train de manger un sandwich. Il regarde la télé.» Dit Nath. Comme s’il
suffisait que quelqu’un y croie pour que la fiction devienne réalité. Simulée, imaginée, la vie alors viendra par
improvisations progressives.
Il y a un lien entre mélodrame, glamour et marchandisation. C’est un genre qui a su très tôt jouer des
effets de mode, il a accompagné la naissance du star system et y participe à plein. Il entretient la curiosité, le
voyeurisme, la fascination, le goût de l’intime et de l’émotion hors-scène dans la presse à scandale. Il est
aussi «industriel» en ce qu’il utilise toujours les mêmes effets, duplique ses succès, standardise les attentes
et les réponses à celles-ci. Il peut se limiter à un assemblage de recettes offrant au public la satisfaction de
retrouver ses émotions amplifiées. Mais il peut être aussi, et avant tout, quand certains artistes trouvent
comment le tordre, une affaire de regard qui interroge les attentes du spectateur et sa capacité de réception
de l’émotion.
Frédéric Vossier aime jouer avec la reconnaissance du public. Mais à la différence du mélodrame où le
public cherche avant tout à retrouver du connu, du «déjà vu», et où le plaisir se trouve dans la redite qui
rassure, Frédéric Vossier sème des trous et des fausses pistes, des décalages entre le modèle et la copie, il
indique une direction puis bifurque. La discordance chez lui est essentielle. En fait, la reconnaissance ne vaut
que pour le moment où elle est contredite et troublée, le moment où survient une inquiétante étrangeté.
Manipulation hitchcockienne.