Le texte •
deux poèmes de Jon Fosse
Quoi de plus vertigineux que le ciel de Norvège...
Le spectacle s'appuie sur deux textes poétiques courts de Jon Fosse, issus de son œuvre pour le jeune
public :
Kant
, et
Si lentement
.
Nous utilisons une traduction de Terje Sinding, parue aux éditions
L'Arche, théâtre jeunesse
.
A priori, les deux textes sont disjoints. Toutefois, nous imaginons que les histoires pourraient être racontées
par le même garçon : Kristoffer.
Cet assemblage inédit nous permet de construire une véritable famille, et d'y explorer quelques sujets
essentiels pour l'homme.
Par la bouche de cet enfant de huit ans, le texte
Kant
explore les limites de notre perception humaine du
monde. En particulier, le jeune penseur approche intuitivement les notions d'infini, et de rien. Effrayé par le
vertige que lui imposent ses pensées, il trouve le réconfort dans une discussion avec son père.
Dans
Si lentement
, l'enfant est confronté à la question de sa sincérité. Pris au dépourvu par sa mère, il
s'accorde le droit au secret, puis au mensonge...
A travers une écriture simple, humble et transparente, Jon Fosse nous plonge au plus profond de nous-
même, et interroge le petit enfant qui y sommeille.
Il nous touche, car il laisse apparaître des questionnements métaphysiques universels : où s'arrête notre
monde ? Faut-il y penser ? Vérité et morale peuvent-ils toujours triompher ?
Le texte
•
Extraits
Kant
Je m'appelle Kristopher, et j'ai huit ans.
Tout à l'heure je pensais à l'univers.
L'univers, c'est quelque chose que je n'arrive pas à comprendre.
Je n'arrive pas à comprendre comment il peut être fini, car tout à une fin, tout a un bord, à un endroit ou à un autre.
Mais si l'univers a une fin, qu'est-ce qu'il y a après l'endroit où il finit ? Peut-être rien, mais qu'est-ce que c'est, rien ? Car rien ne peut
être rien, tout de même ? Je ne comprends pas, et je pense tout le temps à l'univers.
C'est pour ça que j'ai envie d'appeler mon papa. Il faut que je lui pose des questions sur l'univers.
[...]
Ça ne sert à rien d'y penser. De toute façon on ne peut pas comprendre. Moi non plus je ne comprends pas. Il y a beaucoup de choses
qu'on ne comprend pas. Mais je crois que j'ai compris pourquoi je ne comprends rien à l'univers. C'est parce que nous, les humains,
nous avons une certaine manière de penser, et nous ne pouvons pas tout comprendre avec notre manière de penser. C'est parce que
nous sommes des humains que nous ne comprenons pas, à mon avis.
[...]
Je pense souvent, mais en réalité je n'aime pas penser. Ça me fait peur. Mon papa m'a parlé d'un homme qui s'appelle Kant. Lui, je
pourrai le lire quand je serai grand, dit mon papa.
[...]
Kant, ça veut dire bord en norvégien. Drôle de nom. Kant.
Si lentement
- J'étais juste sorti un peu, dis-je.
Maman n'a pas l'air satisfaite de ma réponse. Je sais déjà ce qu'elle dira : que j'ai été bien long, qu'elle s'est inquiétée pour moi. Voilà
ce qu'elle dira. Je vois à son visage qu'elle ne dira rien de plus. Quand elle a le visage tout rond, comme maintenant, elle ne dira rien de
plus. Si elle avait eu le visage plein d'angles, j'aurais presque préféré que papa soit là.
[...]
Aujourd'hui, j'ai été vraiment méchant. Jamais je n'ai été aussi méchant. Si maman avait su à quel point j'ai été méchant, elle aurait eu
le visage plein d'angles. Si elle l'avait su, j'aurais presque préféré que papa soit là. J'ai volé une banane à une vieille dame.
[…]
Maman me demande qui m'a donné la banane et je vais encore être obligé de mentir. Car j'ai piqué la banane dans le sac de la vieille
dame avec la canne et je me suis enfui en courant.
- C'est une vieille dame qui m'a donné la banane, dis-je.
[…]
Maman et moi, on rentre à la maison. Je lui donne la main. Maman a dit que je mangerai la banane quand on sera à la maison. Je ne
dis rien. Maman dit que j'ai bien de la chance qu'on me donne une banane.
- Je donnerai la banane à papa, dis-je.