Au Bonheur des autres

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Au bonheur des autres, anthropologie de l'aide humanitaire
L. Atlani-Duault, Ed. Société d'Ethnologie, Paris, 2000
L´auteur, anthropologue, a travaillé à partir de 1994 dans une organisation internationale de
développement (OID), au siège à New York et en Asie Centrale et Transcaucasie post soviétiques.
Elle a mené dans le même temps une enquête anthropologique sur les acteurs de cette organisation,
en étudiant notamment comment ceux-ci construisent (par étape et en partant d´une notion qui leur
est floue, la bonne gouvernance) l´idéologie institutionnelle à l´œuvre pendant la conception puis la
réalisation de leur action.
Le projet de l´équipe de l´OID consistera à soutenir la création et le renforcement d´ONG locales
(dans le cadre de la lutte contre le VIH/SIDA) en Asie Centrale et Transcaucasie post soviétiques.
L´émergence et le renforcement de la société civile étant considéré comme l´élément garantissant la
bonne gouvernance.
L´anthropologue à la fin de l´étude mettra en lumière les enjeux politiques sous-jacents à cette
double notion de bonne gouvernance et de société civile dans les programmes de l´OID.
Introduction
L´étude intervient après le démantèlement du bloc soviétique
Avant, l´URSS = « Second Monde » avec son modèle de développement au même titre que le
« Premier Monde » des pays occidentaux face au pays Tiers Monde dits en voie de développement.
Membres d'une grande puissance ces Républiques sont devenues indépendantes et considérées
dorénavant comme des pays en voie de développement.
Pas d'ONG locale au sens occidental du terme en Asie centrale et en Transcaucasie car tout
groupement indépendant des structures officielles était interdit pendant la période soviétique.
Présence néanmoins d´un grand nombre d'organisations mais l'activité devait obligatoirement
suivre la ligne du Parti et du gouvernement, sinon risque d´une répression sévère.
Avec la disparition URSS, c´est l´arrivée de l´aide massive des agences internationales de
développement dont le but est la création et le renforcement des ONG locales.
Aide internationale va s'articuler autour de 2 axes
- la promotion d´un cadre législatif et social favorable à la création d'ONG
- l´assistance financière et technique offerte aux membres des ONG
Le but étant d´assurer un contexte favorable à « l'émergence et au renforcement des ONG locales »,
et à « l'éclosion de la société civile ».
10 ans plus tard, ces pays vont connaître des révolutions (couleurs du printemps !) qui vont
renverser les gouvernements en place, héritiers de l´époque soviétique. Ces révolutions sont portées
par ces même ONG locales soutenues par les organisations internationales de développement.
L'interrogation porte sur les raisons qui ont animé une telle volonté de soutien à la création et au
renforcement des ONG locales?
Volonté partagée par toutes les OID depuis les années 90 qui consiste à faire émerger un contrepouvoir fort à l'Etat afin de lui substituer un autre modèle politique et ce dans une période de
transition, bouleversement politique post guerre froide.
Le 1er chapitre = présentation et analyse des outils théoriques et méthodologiques utilisés
Les suivants = une ethnographie par étapes de la construction de l'idéologie institutionnelle étudiée
dont on suit interrogations, détours et remodelages.
L´auteur a souhaité préserver l´anonymat des acteurs en présence, pour des raisons de sécurité, car
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l´étude n´était pas sans danger. De même, avec le temps s´est instauré familiarité et parfois certaine
intimité avec certains acteurs.
Les questions d´éthique :
Choix d´exposer les différentes réalités de terrain (c'est-à-dire présenter tous les aspects même la
laideur, ainsi les « vulnérables ne sont pas toujours présentables » (Philippe Bourgeois) sans céder
au voyeurisme, ni basculer dans les stéréotypes.
Chapitre I
*La bonne gouvernance
Depuis le début des années 90, notion de bonne gouvernance devenue une référence majeure des
OID dans pays du Sud.
Non seulement une théorie mais devenu un phénomène social de grande ampleur. Un personnel
nombreux et beaucoup d´argent sont mis sur la table pour transformer des réalités locales et
internationales.
Assistance aux ONG locales qui sont les garantes d´une bonne gouvernance est défendue par les
acteurs des organisations bilatérales et multilatérales
Il s´agit de la nouvelle éthique du développement.
Un paradoxe apparaît : soutien d´ONG locales contre l´Etat par des agences multilatérales d'aide au
développement alors que ces dernières sont l'émanation des gouvernements et lesquelles ont besoin
de l´accord des gouvernements des pays pour s'implanter et mener leur action.
Cet appui aux ONG locales est du à une préoccupation plus ancienne : appropriation des projets par
les populations =démarche participative des acteurs locaux et respect de leur tradition.
Sens et pratiques autour de la notion de bonne gouvernance relève d'une nouvelle figure de
l' « idéologie humanitaire » (Bernard Hours) née sur les ruines de l'idéologie tiers mondiste.
Choix du domaine d´action : prévention du VIH pour 2 raisons
- épidémie = révélateur et facteur de changement social pour les sociétés contemporaines
- implication des ONG en Amérique du Nord et en Europe dans lutte contre épidémie VIH/SIDA a
montré que la lutte s'est étendue à plusieurs autres domaines et a pris un caractère politique.
Ce phénomène pris comme modèle d´implication des ONG locales correspond à ce qui est attendu
par les agences multilatérales de l'aide au développement en matière de politique de bonne
gouvernance.
L'objet ici n'est pas de dénoncer mais d'analyser le processus en cours des ONG locales, mettre en
avant certains enjeux de l'action politique dans le monde du développement. Ces enjeux ont un
impact dans le discours et l'action.
Les études sur le sujet viennent des sciences politiques et de l'étude des textes rédigés par les
experts du développement.
= permettent de saisir caractéristiques des discours d'experts dans le monde du développement, leur
évolution et contradictions.
Mais approche limitée car considère discours d'experts comme seulement des textes.
Et ne permet pas de saisir les modalités des processus de construction par le discours et la pratique
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des acteurs de développement, d'un monde significatif partagé avec ses propres codes, traditions et
mouvements de déséquilibres organisés.
I- Filiations théoriques
A/ Anthropologie du développement
- Anthropologie « appliquée » au développement = fournir une expertise directement utilisable et
efficace aux agences de développement pour améliorer mise en oeuvre de leur projet sur le terrain.
L'anthropologue ici n'est pas là pour étudier le monde des « développeurs ».
- Anthropologie critique des projets de développement mis en oeuvre par les organisations d'aide =
3 courants
type populiste (cf travail de Robert Chambert)
valorisation systématique et souvent assez simpliste des savoirs du « peuple », entité idéalisée.
Déconstruction du « discours du développement »
s'appuie en partie sur les travaux de Michel Foucault sur les dynamiques du discours et du pouvoir
et sur mise au jour des mécanismes par lesquels un certain ordre de discours produit des façons
d'être et de penser « acceptable » ou « inacceptables » par l'institution. Etudes ont influencé les
études sur la « colonisation » de la réalité (via projets de développement), lesquelles démontrent
comment certaines représentations du monde sont devenues dominantes et modèlent les façons dont
la réalité est imaginée et prise en compte.
Les grandes figures de ce courant en Amérique du Nord : Mark Hobart (1993) et Arturo Escobar
(1996) le développement agit comme outil idéologique du Nord sur le Sud, à des fins d'expansion
du capitalisme moderne. Il invite les anthropologues à la déconstruction du discours du
développement.
3ème courant s'intéresse à « l'enchevêtrement des logiques sociales et à l'hétérogénéité des acteurs
qui s'affrontent autour des opérations de développement » (Jean Pierre Olivier de Sardan, 2001).
Cette approche se veut « non normative » c'est-à-dire non spéculative, fondée sur l'enquête, et
« fondamentale » soit en amont de l'anthropologie appliquée.
Littérature anglophone plus abondante : Norman Long, Ferguson, Gardner et Lewis, Crew et
Harrison.
Cf The Anti-Politics Machine (1990)de Ferguson au sujet de projets de développement agricole de
la banque mondiale au Lesotho
B/ Anthropologie politique de la santé publique française et l'anthropologie médicale critique
anglo-saxonne
Elles correspondent selon les écoles à l´« anthropologie médicale » ou à l´« anthropologie de la
maladie ». Controverse porte sur délimitation du sujet d'étude et la méthode d'enquête :
« Ou bien le champ médical peut être cerné et isolé du reste du système social
Ou bien les représentations de la maladie et les pratiques de la guérison sont indissociables de
l'ensemble des représentations et des pratiques dans la société ». (Fassin 1992).
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Les ethnologues anglo-saxons (filiation avec Rivers) ont tendance à délimiter champ de recherche
autour de la définition bio-médicale d'une maladie.
Les Français (filiation Mauss) ne considèrent pas ce découpage pertinent et
appellent à
« l'anthropologie comme discipline holiste ».
2 sous-champs disciplinaires
En France, Didier Fassin et Jean Pierre Dozon proposent un dépassement de l'anthropologie de la
maladie vers une anthropologie politique de la santé publique.
« C'est donc parce que les manières de gérer les maladies et la place de la santé dans la société ont
changé que le regard des anthropologues sur ces phénomènes doit à son tour évoluer. La
constitution d'un espace politique de la santé rend nécessaire une anthropologie politique de la
santé » (Fassin 1996).
Côté anglo-saxon, la présente recherche s'inscrit dans le courant de l'anthropologie médiacle
critique : Veena Das, Paul Farmer, Donald Joralemon, Arthur Kleinman, Shirley Lindenbaum,
Margaret Lock, Nancy Scheper-Hughes et Alan Young. Ils analysent « ce qui relie entre eux, à
l'intérieur d'une communauté donnée, les idiomes de la souffrance et de la maladie, leur
signification et leur médicalisation, ainsi que le contexte politique et social dans lequel ils
surgissent ». (Lock 2004)
.
II- Outils théoriques et méthodologiques de l'anthropologie
Anthropologie critique du développement
=Les « développeurs » comme sujets valides de travail de terrain
= problématisation de la notion même de développement c'est-à-dire comment le monde du
développement est socialement construit et comment il construit ses sujets.
= des formes de savoirs mouvantes, fluides et fragmentées selon contextes, temps et acteurs
Anthropologie politique de la santé publique française et l'anthropologie médicale critique anglosaxonne
= les acteurs de la santé comme les acteurs du développement présentent leurs discours et leurs
pratiques comme relevant d'une technicité scientifique qui serait historiquement, culturellement et
politiquement neutre.
Une double ethnographie en réseau (durée 8 ans en Asie Centrale, New York, Genève)
Elle comprend 2 enquêtes : une ethnographie au sein d'une agence de développement (une des plus
importantes des organisations multilatérales d'aide au développement) et une ethnographie parmi les
bénéficiaires des projets d'aide de cette même agence.
Les concepts de la socio anthropologie du développement (JP. Olivier de Sardan)
Caractère « en réseau » de cette étude
« Configuration développementaliste »
« interfaces » « l'arène »
« interactionnisme méthodologique »
= transnationnalisme des personnes (personnels de l´OID), des programmes
- répartition entre le siège New York et les bureaux locaux situés dans les pays en voie de
développement = grande mobilité dans le travail, cooptations des populations pour le travail etc...
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- La particularité de l'éclatement du bloc soviétique = des nationalités multiples
Il n´est pas possible de penser acteurs appartiennent à certaines catégories avec caractéristiques
connues et fixes déterminés uniquement par leur nationalité ou leur appartenance à une institution
particulière à un moment donné.
La dichotomie entre locaux et internationaux, entre ONG et agences internationales de
développement pas pertinente pour compréhension discours et pratiques du monde du
développement sur le terrain.
Posture double =Position du chercheur impliqué et chercheur observateur sur le terrain = double
statut acteur et témoin
(rejoint un peu la posture du praticien de développement)
Assumer cette double posture :
C´est revendiquer du pouvoir sur la réalité et la capacité de critiquer fondamentalement cette même
réalité
C´est affirmer indissociabilité entre savoir et action entre savoir et faire.
Un autre outil méthodologique tiré de l'étude de la notion de PTSD (Post Traumatic Stress Disorder)
par l'anthropologue américain Allan Young (1995) sur la classification psychiatrique.
Celui-ci parle d'une « idéologie institutionnelle » tout en indiquant que toute institution n'a pas
nécessairement une idéologie.
« Je parle de l'idéologie d'une institution, et non pas d'un ensemble vague d'idées... Je qualifie
d' « idéologiques » les croyances et les pratiques que certaines institutions produisent, et ce pour
trois raisons: elles servent à convaincre (les gens) à faire des choses qu'ils pourraient-sans elles-ne
pas avoir envie de faire, elles détournent et dévaluent les jugements critiques qui pourraient
conduire (les gens) à se comporter autrement, et elles sont au service d'intérêts importants,
identifiés par la direction de l'Institution, et servent à transformer ou surmonter toute résistance
possible à la bonne marche de l'Institution ». (Young 1996)
Dans les OID, une idéologie est nécessaire car il n'y a pas de véritable contrôle des membres des
agences de développement répartis dans PVD et besoin constant de justifier l'idéologie au sein
même de l'institution et à l'extérieur.
Difficulté à suivre la construction idéologique institutionnelle de l'OID sur la bonne gouvernance,
car se construit en fonction des humains, leurs relations, leur réalité quotidienne, et est issue à la
fois du discours et de la pratique
= une étude sur du long terme pour saisir tous les aspects de cette construction. De plus, diversité
des lieux et moyens de communication, et l'institution ne garde jamais une mémoire institutionnelle
précise.
CHAPITRE II
OID (siège est à New York) une des plus grandes organisations multilatérales d'aide au
développement du monde.
Son but : « aider les PVD à lutter contre la pauvreté, préserver et régénérer l'environnement, et
renforcer les capacités des personnes et des institution ».
Milieu des années 90, insiste sur renforcement des capacités nationales dans le cadre général du
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« développement humain durable ».
Financée par des contributions annuelles volontaires des pays.
Un réseau de plus de 100 bureaux, intervient dans 200 pays. Ce réseau est un organe opérationnel
décentralisé c'est-à-dire que ce sont les bureaux locaux qui sont responsables des projets sur le
terrain. Néanmoins structure très hiérarchisée, dont 5 bureaux régionaux (Amérique Latine et
Caraïbes, Ex-URSS et Europe de l'Est, Afrique, Asie, Etats arabes).
En 1994, bureau Ex-URSS et Europe de l'Est de création récente, peu de personnel et peu de
budget. Cette situation est due en partie au changement de statut de ces pays, ils deviennent
bénéficiaires alors qu'auparavant étaient contributeurs au budget de l'OID.
Peu de savoir-faire spécifiques à la région de la part du personnel si ce n'est leur expérience dans le
développement sur les autres continents. Les personnes qui viennent de l'ancien bloc, ont des
compétences linguistiques, des connaissances sur les pays mais n'ont pas l'expérience de projets de
développement.
En 1965, création OID et hypothèse dominante = la croissance économique entraînerait élévation
générale du niveau de vie susceptible de réduire la pauvreté.
= Industrialisation comme la base de la croissance économique. Révolution verte pour le milieu
rural.
Partenaire privilégié : l'Etat
Début années 1970, remise en question du paradigme de la modernisation du au contexte de
l'époque et accentuation des écarts pays riches et pays pauvres.
Théories néo-marxiste =le capitalisme est inégalitaire de façon inhérente, la croissance économique
maintient les pays pauvres dans la dépendance.
Influence la perspective du monde des développeurs même si le paradigme de la modernisation a
continué à dominer =Apparition des « besoins primaires ».
Au lieu de promouvoir industrialisation et modernisation, changement de cap : lutte contre la
pauvreté, satisfaction des besoins primaires des populations. Même si la participation des
communautés est encouragée, les Etats restent les interlocuteurs privilégiés de l'aide.
Début des années 80, contexte économique défavorable : ni la croissance économique, ni la
satisfaction des besoins primaires ne mènent directement à l'amélioration des conditions de vie des
populations.
Milieu des années 80 : programmes d'ajustement structurel mené par FMI et la Banque mondiale.
Aider les PVD à répondre aux chocs économiques de l'époque.
= Le rôle de l'Etat dans les politiques de développement est revu. Il se limite à celui de
« catalyseur » et de « facilitateur » des réformes économiques entreprises.
Début années 90: impact des programmes d'ajustement structurel désastreux sur les populations
=coût économique et social.
Mais ces programmes ne sont pas remis en question, ils apparaissent comme des instruments parmi
d'autres.
2 moments clés
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- Le Sommet de la Terre à Rio organisé par les Nations Unies
= lien étroit entre développement et environnement
= notion de développement durable (apparu dans le rapport Bruntland)
L'économiste Robert Solow (1993) définit précisément cette notion de développement durable qui
restera une référence: permettre aux générations suivantes d'avoir le même niveau de vie que celles
qui les ont précédées.
OID sa propre définition « les pauvres, les plus vulnérables au centre du processus de
développement »
=Réévaluation des politiques de développement antérieures à la lumière de l'indicateur de
développement humain.
- 1989 publication rapport Banque mondiale : un des facteurs explicatifs majeurs de l'échec des
politiques de développement en Afrique subsaharienne c'est une crise de la gouvernance.
=la bonne gouvernance devient une condition nécessaire du développement durable.
Le terme gouvernance a succédé à celui de gouvernement pour décrire les nouveaux modes de
régulation politique, dans un monde où l'Etat n'a plus le monopole de décision à l'échelle locale,
nationale et internationale.
« La notion de gouvernance est donc issue d'une interrogation sur les problèmes de
« gouvernabilité » des sociétés post-industrielles, devenues prétendument ingouvernables du fait de
l'atomisation du corps social, de l'autonomisation des groupes d'intérêts et de la prolifération des
réseaux. Forgée dans un contexte de perte de monopole étatique de la souveraineté, de crise de
l'Etat providence, de libéralisation et de privatisation accélérée, la notion de « gouvernance » a
donc été d'abord utilisée comme une catégorie analytique pour penser les nouveaux modes de
gouvernement, avant de devenir une catégorie politique et normative de la boîte à outils des
bailleurs de fonds. »
(Banégas et Meyer 2002)
Terme devient incontournable milieu des années 90 dans les discours des organisations
multilatérales de développement. Mais définitions différentes selon les organisations et floues au
sein de chacune d'elle.
Néanmoins très vite bonne gouvernance et développement durable étroitement liées.
= le moyen pour éliminer la pauvreté
= implique l'émergence de nouveaux acteurs aux côté de l'Etat
L´Etat : ensemble des institutions politiques chargées organisation et gestion sociales et politiques
sur un territoire délimité. Doit être efficace dans réponse aux besoins des citoyens.
Le secteur privé (création d'emplois=revenus suffisants=améliorations des conditions de vie)
La société civile et ses représentants types, les ONG, constituent le lien entre la société et l'Etat =un
contrepouvoir du gouvernement et permet de surveiller les irrégularités.
Gouvernance et VIH
Pour l´OID qui devait travailler en Asie Centrale et Transcaucasie, les antennes locales par
l´intermédiaire des responsables de l'agence régionale, ont fait remonter les besoins exprimés par
plusieurs gouvernements soit une assistance pour lutter contre l'épidémie du SIDA. Or, dans un 1er
temps les acteurs de l´OID ont estimé que la question du VIH/SIDA relevait plutôt d´une OID
spécialisée dans le domaine de la santé (car attention jeux de concurrence entre OID). Puis, l´OID a
trouvé comment y répondre.
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= conduite à tenir : VIH ne relève pas seulement du domaine de la santé mais aussi un problème de
développement (mesure de l'impact de cette maladie dans contextes sociaux et économiques
dégradés des populations). C´est-à-dire (les acteurs de l´OID vont s´appuyer sur des études) que si
les conditions socio-économiques sont dégradées, les populations sont plus vulnérables à la
maladie.
= efficacité. L´équipe de l´OID souhaite se baser sur les pratiques de prévention VIH les plus
pertinentes, car au niveau international elles révèlent l'action majeure des ONG.
Pourquoi la société civile s´est autant mobilisée autour de la lutte contre le VIH/SIDA ?
Caractéristiques très intimes de la maladie, touchant des populations marginalisées
= Politiques de santé conventionnelles et agences gouvernementales inadaptées pendant les 1ères
années de l'épidémie.
= Mobilisation de la communauté homosexuelle aux Etats Unis d'abord puis ensuite d'autres ONG
se sont créés dans le monde (parmi celles-ci des groupes qui n'étaient pas encore constitués en
associations).
= Mobilisation suscitée par les différentes formes de discrimination subies par les personnes
malades durant les 1ères années de l'épidémie.
Ces ONG sont actives dans tous les domaines, elles ont développé des activités relatives à presque
tous les aspects de la maladie (mise en oeuvre de stratégies d'advocacy (combinaison de lobbying et
de plaidoyer), accès au traitement…).
= phénomène international de mobilisation des ONG dans le monde (sans précédent)
Ces ONG = dispenser des services mais discussions constantes avec les gouvernements et les
fournisseurs de prestations de santé.
C'est dans cette interaction que la majorité des acteurs se reconnaît
Autour de cette mobilisation, de nouvelles revendications ont pu voir le jour
= reconnaissance et pouvoir à des populations souvent marginalisées (droit des homosexuels,
toxicomanes…)
= les autorités scientifiques et médicales n'ont plus le monopole de la santé.
Ces formes d'action des ONG actives dans la lutte contre le VIH/SIDA correspond aux objectifs
recherchés par les développeurs : « faire participer les communautés à leur propre développement »
et devenir un contrepouvoir face à l'Etat.
1ère étape de la construction de l'idéologie de l´IOD, de son élaboration
=inventer des pratiques pour la toute nouvelle politique (la bonne gouvernance, concept flou)
érigée comme référence pour le développement durable.
= décision de développer des activités de soutien aux ONG locales en matière de lutte contre
l'épidémie VIH, celles-ci vont ainsi oeuvrer mise en place bonne gouvernance.
CHAPITRE III L´héritage
2ème étape rencontrer les acteurs concernés par la lutte contre l'épidémie dans la région.
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Réalités des anciens pays soviétiques = les institutions qui luttent contre l'épidémie sont étatiques.
Les représentants gouvernementaux y restent attachés car elles constituent un des éléments du
dispositif du contrôle social propre au système soviétique.
L’indépendance de ces Républiques dans les années 90 a été un véritable choc.
Devenues des Etats indépendants doivent se construire une autonomie, et des caractéristiques
identitaires dans un contexte social, politique et économique très difficile.
En réalité, les anciens dignitaires communistes ont majoritairement gardé le pouvoir et l'ont
confisqué même s'il existe des contre-pouvoirs institutionnels.
Le système antérieur qui assurait une certaine sécurité sociale et économique a disparu (accès
gratuit aux soins, à l'éducation, contrôle des prix sur certains produits).
=une paupérisation rapide et importante.
= Ce qui engendre la montée d'un marché parallèle et une hausse de la criminalité.
= effets sur la santé publique catastrophiques, baisse significative de l´espérance de vie.
Au cours des 1ères années du démantèlement du bloc soviétique épidémie VIH/SIDA taux faible et
plutôt stable en ex-URSS. Mais avec dégradation des conditions socioéconomiques, explosion de
l´épidémie qui se répand à très grande vitesse en ex-URSS et en direction des autres Républiques.
Principal moteur de l´épidémie = toxicomanie (consommation de drogues injectables et
transmission sexuelle parmi toxicomanes et partenaires)
Epidémie en augmentation exponentielle chez usagers de drogues.
Drogue devenue un problème majeur dans ex bloc soviétique (forte consommation, consommateurs
de plus en plus jeunes qui souffrent malaise économique ambiant). Hausse des trafics en
provenance de l´Afghanistan = hausse criminalité, organisations mafieuses. Pratiques des
toxicomanes, échanges de seringues, location etc… favorisent propagation du virus.
+ MST en pleine expansion = recrudescence peut jouer comme co-facteur de l´infection au VIH. 2
causes :
- contexte de tabous sexuels (la sexualité était complètement occultée pendant l´ère soviétique)
-dégradation des systèmes de santé et pauvreté
+ Dégradation conditions économiques = Hausse de la prostitution
Le système soviétique de prévention de l´épidémie
Prise en charge exclusivement étatique, standardisée et coercitive.
Système très structuré et centralisé =consignes viennent du Parti Communiste.
Les acteurs de l´OID en face d´une situation complexe :
=seuls les ministères de la Santé sont actifs dans la prévention du VIH/SIDA, lesquels partagent une
unique stratégie héritage modèle soviétique = dépistage de masse, systématique pour les groupes
jugés « à risques », contact tracing (retrouver la trace de tous les partenaires de la personne infectée
selon méthodes peu orthodoxes), isolation des personnes infectées.
=Trouvent que leur système fonctionnait bien mais manque d´argent et souhaitent soutien financier
de l´OID.
Or l´équipe doit leur expliquer qu´elle souhaite s´appuyer sur la société civile, les ONG locales pour
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mener cette lutte. Société civile qui sera le contre pouvoir de l´Etat. Mais le 1er problème =
Inexistence d´ONG locales (interdit, taux épidémie étaient bas).
2ème problème = les responsables gouvernementaux ne comprennent pas pourquoi il faut faire
appel à la société civile alors que c´est de la responsabilité de l´Etat, et que celui-ci dispose déjà de
dispositifs.
CHAPITRE IV Négocier pour aider
Acteurs de l´OID pouvaient imaginer que le contenu de la forme ONG pouvait varier mais
pensaient que cette forme (le regroupement de personnes) était « universelle », or elle n´existe
pas dans ces pays. Plutôt que de modifier leurs pratiques, c´est-à-dire réévaluer la pertinence de
soutenir les associations locales qui n´existent pas, ils vont confronter leurs analyses avec le
discours ambiant sur la bonne gouvernance. Comme le concept est encore flou à l´époque, ils le
définissent en fonction du contexte dans lequel ils travaillent.
=Quand les ONG sont quasi inexistantes, la tâche est « de mettre en place les institutions de base de
la gouvernance ».
= recherche de toute forme qui pourrait ressembler à une ONG locale et serait susceptible de lutter
contre le VIH/SIDA dans la région.
Cette troisième étape de la construction de l´idéologie institutionnelle va s´articuler en 3
mouvements chez les acteurs de l´OID :
1. Travail de plaidoyer en faveur de l´action des ONG locales auprès des seuls acteurs actifs
dans la lutte contre l´épidémie de l´époque, les acteurs gouvernementaux.
A la réponse univoque des acteurs gouvernementaux, sur la stratégie de lutte contre l´épidémie,
(c´est clair pour eux, ils ont la responsabilité de mener la lutte, d´autant plus qu´ils ont le personnel
et les infrastructures) s´oppose la proposition des acteurs de l´OID ; laquelle consiste à mobiliser la
société civile.
= incompréhension et scepticisme de la part des dirigeants et professionnels de santé, d´autant plus
que la forme ONG n´existe pas dans ces ex-Républiques soviétiques.
Avec le temps et une meilleure connaissance du terrain, les acteurs OID développent un discours
cohérent et stable à caractère technique (se présente comme scientifiquement et politiquement
neutre).
Ainsi, ils vont se rendre compte que citer des exemples d´actions, de mobilisations en Afrique ou en
Amérique Latine est très mal perçu par les acteurs gouvernementaux et les professionnels de la
santé car ils ont l´impression que les acteurs de l´OID mettent leur pays au même niveau que ceux
en voie de développement. Or, ils ne se considèrent pas du tout comme habitant un PVD. Au temps
de l´ère soviétique, ils appartenaient au « Second Monde » et avaient un statut de puissance
mondiale.
2. Chercher à entrer en contact avec toutes les formes d´organisations collectives qui
pourraient développer des actions non gouvernementales de prévention du VIH
3 grands types : anciennes institutions soviétiques rebaptisées, ONG locales récemment créées,
ONG « en germe ».
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L´action de l´OID va cibler les ONG « en germe » :
=un ancien centre de désintoxication pour usagers de drogues, lequel est en réalité plutôt un centre
de rétention, mais l´un des médecins est désireux de travailler autrement
= un groupe de jeunes homosexuels, alors qu´à l´époque l´homosexualité est punie par la loi
(article 121).
Néanmoins ces acteurs cooptés n´ont pas la moindre idée de ce que peut être une ONG (à quoi ça
ressemble et à quoi ça sert), ses modes d´action…
3. Stratégie d´assistance aux ONG locales identifiées.
- Avant de soutenir la création d´ONG, il est nécessaire de rassembler auparavant certaines
conditions favorables (politiques, législatives) à leur création.
L´OID soumet donc l´aide accordée aux Etats à conditionnalité.
Cela se traduit par des tractations entre l´agence de développement et les gouvernements, dont la
demande d´abandonner certaines pratiques en échange d´une aide financière. Ex : réforme
législative sur le statut des associations et décriminalisation de l´homosexualité.
- Vient ensuite l´aide financière
Budgets relativement limités mais accordés à un grand nombre d´ONG.
L´important c´est de soutenir la création d´un maximum d´ONG qui pourront développer des
activités de prévention VIH.
- assistance « technique »
=réunion-débat avec des groupes informels pour poursuivre stratégie favoriser émergence société
civile.
=formation pour acteurs étatiques ou associatifs à la conception et mise en œuvre d´activité de
prévention VIH, à la gestion de programmes, à la levée de fonds…
4. Les voyages d´études à l´étranger
Lors de ce voyage, les participants font l´expérience de ce que les membres de l´OID leur décrivent
depuis 3 ans. « C´est désormais du domaine de l´imaginable ».
Ils peuvent se rendre compte concrètement ce qu´est une ONG, comment elle est constituée, ses
modes d´intervention etc…
CHAPITRE V
Les acteurs de l´OID ne remettent en question à aucun moment l´universalité de l´outil (l´ONG, des
individus qui s´associent). Par contre, ils vont intégrer les spécificités du contexte post-soviétique
comme un facteur supplémentaire dans la démonstration du bien-fondé de l´idéologie
institutionnelle qu´ils ont créée et mise en pratique depuis 1994.
C´est-à-dire que le contexte post-soviétique est soit considéré comme le moteur ou au contraire le
foyer de résistance au changement social.
La réaction de leurs partenaires de terrain qu´elle soit favorable ou critique sera récupérée et
Au bonheur des autres, anthropologie de l'aide humanitaire
L. Atlani-Duault, Ed. Société d'Ethnologie, Paris, 2000
intégrée comme autant de « preuves » dans le moteur de l´argument.
Le changement d´attitude des acteurs qui étaient auparavant hostiles aux discours et aux pratiques,
et qui désormais adhèrent, serait du à la fin de l´oppression de la société civile en URSS.
L´attitude de ceux qui restent hostiles, ou tentent de détourner l´aide est considérée comme une
résistance locale teintée d´héritage soviétique.
= pour l´auteur ce détour par le « culturel » permet de contrecarrer la critique classique de
l´hégémonie culturelle de l´Occident.
L´auteur l´interprète pour sa part, comme faisant partie de micro-stratégies de résistance locale,
toutes les attitudes des acteurs locaux.
De part l´histoire de ces pays, colonisation russe puis soviétisme, les populations ont du répondre à
chaque fois aux nouvelles normes édictées par les pouvoirs politiques = normalisation collective par
les institutions en place se renforce avec le soviétisme qui veut à partir de populations hétérogènes,
mettre en place une société unique « socialiste » qui servira de modèle. Tout manquement aux
normes officielles est réprimé, néanmoins les populations se ménagent des espaces de liberté,
inventent des moyens de survivre dans ce système.
= Comme autant de l´ère socialiste, les choix de ces acteurs se font en fonction des lignes du
nouveau pouvoir (qui impose de nouvelles normes) incarné par l´OID et sa volonté de soutenir les
activités des ONG locales en matière de lutte contre l´épidémie VIH. Hostilité ou adhésion des
acteurs locaux =micro-stratégies de résistance locale.
Les acteurs de l´IOD semblent oublier le processus de construction de l´idéologie institutionnelle à
partir d´une notion floue la bonne gouvernance.
= ne retiennent au final que le résultat de leur action, mise en place d´ONG locales, qui
correspond à la politique globale de bonne gouvernance des IOD.
Pourquoi les OID ont-elles mis tant d´énergie, dès le début de leur arrivée en ex-URSS, à favoriser
l´émergence d´une société civile ?
« Parmi les lois qui régissent les sociétés humaines, il y en a une qui semble plus précise et plus
claire que toutes les autres. Pour que les hommes restent civilisés ou le deviennent, il faut que
parmi eux l´art de s´associer se développe et se perfectionne dans le même rapport que l´égalité des
conditions s´accroît. »
(Tocqueville 1981)
2 influences majeures à l´œuvre dans construction idéologie institutionnelle de l´IOD sur la bonne
gouvernance :
Vision néo-tocquevillienne de la société civile = Robert Putnam reprend la vision de Tocqueville, la
société civile permet une démocratie stable, et ajoute qu´elle contribue à une économie de
marché dynamique.
Vision des soviétologues américains = la destruction de la société civile était centrale pour le
régime soviétique.
L´idéologie institutionnelle de l´IOD
La disparition de l´URSS vient marquer la victoire du modèle politique et économique issu d´ « un
consensus quasi universel sur l´importance d´un système de bonne gouvernance, qui se construit
Au bonheur des autres, anthropologie de l'aide humanitaire
L. Atlani-Duault, Ed. Société d'Ethnologie, Paris, 2000
sur une démocratie pluraliste, une société civile forte et un système économique qui combine
l´efficacité et la croissance avec l´équité et la sécurité ».
Pour que cette vision du monde du « consensus global » soit universelle, il est important que la
reconversion du foyer de sa contestation, l´ex-Union soviétique, soit réussie.
Les institutions internationales de prêt ont fait pression sur les gouvernements de l´ère postsoviétique pour qu´ils mettent rapidement en place des économies de marché. Mais cette
introduction brutale de l´économie de marché interroge certains acteurs, au vu des conséquences
dramatiques sur les conditions de vie des gens :
= les conséquences sociales risquent de mettre en péril une victoire presque acquise sur le modèle
soviétique.
En effet l´effondrement du Parti et associations attachées a laissé un grand vide (pas d´organisations
de substitution avérées)
= risque qu´il soit occupé par des organisations radicales et extrémistes au vu de la dégradation
violente des conditions de vie.
= risque de se tourner de nouveau vers les figures du Communisme.
= il est donc important de créer un nouvel équilibre politique en mettant en place de nouvelles
structures issues de la société civile.
« La démocratisation et la participation de la société civile ne joue pas seulement un rôle de
« soupape de sécurité » ; elles permettent la construction du consensus nécessaire au succès durable
des réformes économiques ».
= c´est pourquoi il était important pour l´IOD de soutenir la création et l´émergence des ONG
locales en Asie centrale et en Transcaucasie.
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