Un autre regard sur les algues marines

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2004
Les dossiers...
...de VivArmor
Un autre regard sur les
algues marines
Un autre regard sur les algues marines
Laurent DABOUINEAU
Wakamé
Le thème des algues est souvent abordé dans le « Râle d’eau » mais généralement pour les
problèmes qu’elles causent : les marées vertes. Nous avons souhaité parler des autres algues,
celles qui sont utiles à l’homme, ou du moins exploitées par l’homme.
Les algues ont une connotation négative dans l’imaginaire des occidentaux qui ne vivent pas sur les
côtes. Elles sont gluantes et molles. Marcher sur les rochers recouverts d’algues est acrobatique. Elles
glissent et on ne sait jamais ce qu’il peut y avoir dessous ! De plus elles sentent très mauvais lorsqu’elles
se décomposent l’été en haut de plage.
Les gens du littoral, eux, savent depuis longtemps les utiliser. Certaines algues étaient consommées
dans les périodes difficiles par l’homme et même par les animaux domestiques. On pouvait voir alors des
troupeaux paître sur l'estran. Elles ont servi d’engrais depuis des générations. Au 18ème siècle, il y avait
dans le département une activité d’extraction de soude et d’iode à partir de cendre d’algues. Parfois même,
elles servaient de combustible bon marché. Enfin, dans certaines contrées bretonnes, on a dormi sur des
matelas de varech.
Actuellement 100 000 tonnes d’algues sont récoltées en France par an, principalement en Bretagne.
Les utilisations sont variées et en développement. En voici quelques exemples.
Les engrais et produits pour l’agriculture :
Des engrais sont fabriqués à partir d’algues récoltées par les goémoniers (algues brunes surtout,
fucus et laminaires). Elles sont ensuite séchées et broyées. A l’échelle du jardin on trouvera des terreaux
aux algues avec par exemple la marque « Or Brun® ». Le maërl, algue calcaire, est toujours utilisé comme
amendement et récolté localement sur un gisement (surexploité) en Manche et commercialisé dans le
département par la SECMA.
En transformant davantage cette matière première, et notamment en extrayant certaines molécules,
des sociétés comme Goëmar ont breveté des stimulateurs naturels des défenses contre les maladies du blé,
mais aussi des biostimulants de nutrition, de fécondation ou de croissance des arbres fruitiers, légumes,
vigne et céréales.
L’agar (gélifiant extrait de l’algue Gelidium sp) a permis l’essor de la culture in vitro en
horticulture. En effet, les boutures d’arbres, de fleurs ou de légumes sont clonées à l’infini sur des géloses
stériles à base d’agar.
Des farines d’algues entrent dans la composition de nombreux aliments pour animaux d’élevage y
compris poissons ou crevettes.
Les algues alimentaires :
Les algues alimentaires sont de loin le premier débouché mondial de la filière algue. En France 14
algues sont autorisées comme matière première alimentaire dans l’industrie et une vingtaine de sociétés en
commercialisent, fraîches, appertisées, saumurées ou déshydratées. Les algues sont riches en
oligoéléments comme l’iode, le calcium, le magnésium, le phosphore, le potassium, le sodium, le fer. A
titre d’exemple la teneur en fer est 15 fois plus importante dans la dulse (Palmaria palmata) que dans les
épinards ! Elles contiennent aussi des acides aminés, des protéines, des vitamines et des fibres. Pour
profiter de ces bienfaits, certaines espèces pourront être cuisinées comme légume ou servir à la fabrication
de compléments alimentaires conditionnés en gélules par exemple. D’autres seront utilisées en condiments
ou en paillettes (comme les ulves !) pour aromatiser une sauce ou un court-bouillon.
La plus facile à utiliser est sans aucun doute le haricot de mer (Himanthalia elongata). Faite de
grands filaments d’un à deux mètres, on la trouvera fixée sur les rochers en bas de l’estran lors de
coefficient de marée de 100 minimum. Il suffira de la cuire 30 mn dans l’eau, puis de la couper de taille
« haricot vert ». Passée à la poêle avec beurre (salé bien sûr) et ail, elles accompagnera très bien un
poisson ou une viande.
Le wakame ou ouessane (Undaria pinnatifida) est cultivé sur des cordages près d’ Ouessant depuis
1990 puis au Guilvinec et à Oléron. La production avoisine les 40 tonnes/an alors qu’en Corée du Sud elle
atteint 300 000 tonnes ! L’Asie, d’où cette algue a été importée, en est le premier consommateur.
Echappée des cultures, on la retrouve sporadiquement ailleurs sur le littoral breton. Très riche en oligoéléments et vitamines, ses qualités gustatives devraient accélérer sa consommation en France. On la
trouvera le plus souvent sous forme déshydratée.
On pourra consommer la dulse (Palmaria palmata) crue en salade, ou séchée avec un verre de bière
comme le font les Irlandais.
Pour emballer des morceaux de poisson à la mode « sushis » afin que l’algue y transmette son
« goût de mer iodé» utilisez plutôt le nori (Porphyra sp) voire même la saccharine (Laminaria
saccharina).
Enfin, le kombu ou tali (Laminaria digitata), le steak de mer (Dilsea carnosa) seront
appréciées en légume ou en petits morceaux dans une sauce accompagnant un poisson.
Himanthalia elongata
Palmaria palmata
En dehors de l’algue-légume d’autres applications alimentaires existent. Par exemple, la société
Aquacole d'Ouessant de Landerneau, fournisseur de l'industrie agroalimentaire en algues et en ingrédients
à base d'algues a mis au point et breveté une barde pour la fabrication de rôtis et de paupiettes en
remplacement des bardes de lard. L’intérêt : 0% de matières animales, plus longue conservation, stabilité à
la cuisson, bonne résistance mécanique. On la retrouvera parfois sans le savoir dans les brochettes de
supermarché entre les morceaux de viande et de poivrons !
Les additifs alimentaires :
Les carraghénanes sont des substances extraites d’algues ayant des propriétés gélifiante,
épaississante et stabilisante. Elles sont extraites notamment des algues rouges comme le lichen carrageen
(Chondrus crispus) et Mastocarpus stellatus (désolé, je ne lui connais pas de nom commun !). Ces extraits
sont omniprésents dans la vie quotidienne. Très utilisés dans les industries alimentaires et cosmétiques
sous le code E407, ils entrent dans la composition de nombreux desserts lactés, dans la stabilisation de
boissons (jus de fruit, bières), les crèmes glacées, la mayonnaise, le ketchup, les pâtisseries, le poisson
reconstitué…
Les carraghénanes sont traditionnellement utilisés dans l'industrie laitière car ils interagissent avec
une protéine (la k-caséine) du lait pour former un gel par formation de ponts entre ces protéines. Ces
propriétés sont connues depuis longtemps par nos grand-mères bretonnes (finistériennes surtout). En effet
elles fabriquaient du flan de pioka, sans œufs ni farine, en faisant bouillir du lait avec une poignée de
pioka (ou lichen carrageen) et de la vanille.
Bien d’autres additifs gélifiants, texturants, comme les alginates (E400 à E404) ou l’agar (E406),
sont extraits des algues et entrent dans de nombreux aliments de l’industrie agroalimentaire d’autant plus
que les gélifiants d’origine animale sont actuellement délaissés par les consommateurs suite à « la vache
folle ». On les trouvera dans le chocolat, la confiserie, les confitures, les fruits reconstitués, les viandes en
gelées …et même les hosties !
Aujourd'hui, la société SETALG qui valorise annuellement 8000 tonnes d'algues, environ 15
espèces récoltées au bord de l'archipel de Bréhat, a comme principale activité, l’extraction de gélifiant
E401 à E407.
Laminaria digitata
Chondrus crispus
Les substances biomédicales ou compléments alimentaires :
Dans la médecine ancienne on traitait le goître avec les fucus et les laminaires sans savoir au départ
que leur concentration en iode était à l’origine des bienfaits.
L’une des premières applications en analyse médicale utilisant des extraits d’algues est la fabrication
des milieux de culture des bactéries sur gélose à bases d’agar.
Sur le marché pharmaceutique on trouve actuellement environ 40 médicaments avec des extraits
d’algues. Par exemple, le CEVA (Centre d’Etude et de Valorisation des Algues à Pleubian) travaille sur les
propriétés antioxydantes d’extraits d'algues qui auraient des effets bénéfiques sur la prévention et le
développement de maladies telles que le cancer du colon et l’athérosclérose, ainsi que sur d’autres
molécules intéressantes pour le traitement de pathologies cardio-vasculaires.
Les alginates (encore eux !) servent d'anti-acide et de protecteurs des parois stomacales et intestinales
(avis aux utilisateurs de Gaviscon® ou Primpéran®). On les retrouve aussi dans les produits de moulage
des empreintes dentaires. Le nori possède des composés ayant des propriétés anti-cholestérol et antiartériosclérose. D’autres substances semblent avoir des propriétés antibactériennes, antivirales,
antitumorales, anticoagulantes…
Alginates et carraghénanes entrent dans la préparation et l’enrobage de nombreux médicaments.
Cette technique qui consiste à enrober des médicaments (médicaments classiques mais aussi enzymes,
ADN, cellules) se nomme la microencapsulation. Cet enrobage permet de protéger la substance active
jusqu’à l’organe ciblé.
D’autre part, il existe toute une gamme de compléments nutritionnels (riches en oligo-éléments)
conditionnés sous de nombreuses formes et commercialisés en magasins spécialisés ou parapharmacie.
Enfin, plusieurs études ont montré que l’incorporation de farines d’algues dans l’alimentation animale
pouvait stimuler l’immunité des poissons, volailles, porcelets ou chevaux permettant de diminuer l’apport
d’antibiotiques. Certaines espèces d’algues ont même un effet vermifuge.
Ceci explique l’expansion de la recherche sur cet aspect de leur valorisation dans le domaine
biomédical.
Les cosmétiques :
La principale application en cosmétique est le dentifrice. Les carraghénanes et alginates stabilisent
l'émulsion de la pâte dentifrice en bloquant l'abrasif à l'intérieur de la matrice du gel.
Les carraghénanes entrent dans la composition d’autres crèmes, rouge à lèvres et shampoings afin de
donner une peau douce et des cheveux soyeux. Les cosmétiques dont la composition est à base de
carraghénanes peuvent être « labellisés » produits naturels.
Un procédé original de fabrication de billes d'alginate mis au point par le CEVA a fait l'objet d'un
dépôt de brevet en avril 2001 par la société Godefroy Diffusion. Les microbilles permettent d'encapsuler
(envelopper) des actifs et des colorants cosmétiques afin de les protéger jusqu’à l’application.
La société Codif (Roz-sur-Couesnon) fabrique et commercialise depuis 25 ans des produits
cosmétiques avec extraits d’algues. Cette entreprise a démontré sur culture cellulaire de fibroblastes
(cellules du derme) que la Dermochlorine® protège le collagène et l'élastine (deux protéines constituant la
charpente du derme). De plus, la Dermochlorine augmente la synthèse des collagènes. Ces propriétés,
démontrées sur cultures cellulaires, ont été également testées aux Etats-Unis sur un modèle de peau
reconstituée. La Dermochlorine, aux propriétés protectrices et régénérantes, est incorporée dans des produits
cosmétiques anti-rides et anti-vergetures. Une autre substance, le Phyco R 75®, extrait de l'algue Laminaria
digitata, a des propriétés lipolytiques (qui dissolvent les graisses), et est donc susceptible d'être intégré dans
des crèmes amincissantes.
Autre exemple, le produit appelé HPS3® contient un extrait purifié de Padina pavonica, une algue de
Méditerranée. HPS3® stimule la synthèse des glycosaminoglycanes (GAGs), molécules très hydrophiles qui
forment la substance fondamentale du derme sous la forme d'un gel colloïdal.
Les GAGs font office de réservoir hydrique et retiennent la plus grande partie de l'eau contenue dans
la peau : ils sont responsables pour une large part de ses propriétés mécaniques et de son aspect jeune
(souplesse, fermeté, élasticité). Le contenu du derme en glycosaminoglycanes s'appauvrit avec l'âge,
provoquant l'amincissement et le dessèchement de l'épiderme.
Les boues marines utilisées en thalassothérapie correspondent à un mélange d’algues broyées afin d’en
libérer les principes actifs. La poudre ainsi obtenue est réhydratée avec de l’eau de mer.
Bien d’autres composés sont actuellement commercialisés. Aujourd’hui, rares sont les marques qui
n’ont pas de produits aux extraits d’algues marines. La recherche est là aussi en plein essor tout simplement
parce que les enjeux économiques sont considérables et ces entreprises utilisent sans modération l’image
naturelle de l’algue et de la mer !
Les nouveaux matériaux :
Les alginates extraits des laminaires et fucus ont de nombreuses applications industrielles
insoupçonnées comme l’industrie des peintures et du textile. On les retrouve aussi : dans certaines couches
culottes « absorbantes », à la surface du papier pour le rendre plus lisse sous le stylo, dans le plâtre à
moulage ou à sculpter, dans la colle à papier peint, dans les imperméabilisants pour toiles de tentes ou
chaussures et même de plus en plus dans les procédés de traitements des eaux usées ou polluées.
Dans le cadre du développement durable, le CEVA coordonne un projet : " Les algues comme
matière première pour la production de bioplastiques et de biocomposites". Les plastiques biodégradables à
base d’algues c’est donc pour demain … enfin !
En conclusion, on peut dire que les algues ont permis de développer en Bretagne toute une industrie,
de la récolte à la transformation. Voilà une image très positive de la filière algue pourvu que la récolte
continue à se faire de manière raisonnée. En effet l’homme n’est pas le seul « utilisateur » des algues. De
nombreux animaux s’en nourrissent (gastéropodes, poissons…) ou s’en servent comme refuge face aux
prédateurs ou lorsque la marée est basse (nombreux invertébrés, poissons…). D’autres s’en servent comme
substrat de ponte (limaces de mer, poissons, seiches et calmars…). Si l’industrie de l’algue se développe il
faudra trouver un juste équilibre entre prélèvements à la nature et développement des cultures en mer.
Bibliographie
- C. Boisvert, P.Aucant 1993 NOUVELLES SAVEURS DE LA MER, La cuisine et les algues.
Editions Albin Michel
- M. Cayla 1995 DECOUVREZ DES ALGUES – PROPRIETES APPLICATIONS RECETTES.
Editions Chiron
- J.Y. Floc’h 1992 GUIDE DES ALGUES DES MERS D'EUROPE. Editions Delachaux & Niestlé
- P. Gayral 1966 LES ALGUES DES COTES FRANCAISES. Editions Doin
- P.Gayral, J.Cosson 1992 CONNAITRE ET RECONNAITRE LES ALGUES MARINES.
Editions Ouest France
- S. Hiscock 1979 BROWN SEAWEEDS Aidgap
- R. Pérez 1997 CES ALGUES QUI NOUS ENTOURENT Editions Ifremer
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