arttrésors médiéval enluminés ???e-??e s. Laetitia Vittore Doctorante au Centre de Médiévistique Jean-Schneider, université Nancy 2 Le « broyeur de couleurs Le peintre médiéval et son apprenti Avant l’invention du tube de peinture au XIXe siècle, le peintre a pour apprenti le « broyeur de couleurs » comme on l’appelle encore au XVIIe siècle. Au Moyen Âge, le travail de fabrication de la pâte colorée se fait sur une pierre, manuellement. Minéraux, végétaux et animaux se transforment selon de complexes procédés techniques transmis par le maître. © Corpus Christi College L a fabrication des couleurs est une activité artisanale médiévale plus ou moins bien documentée tant par les sources écrites qu’iconographiques. L’apprenti est parfois représenté dans les miniatures au côté du peintre, affairé à son ouvrage. En effet, cette activité fait partie de l’apprentissage du jeune peintre. Quelques traités techniques, parfois écrits par les peintres pour leurs élèves, permettent de retracer cette activité de broyage et le matériel nécessaire à ces opérations. Bible de Douvres, deuxième moitié du XIIe siècle – Cambridge, Corpus Christi Library, ms 3-4 II folio 241v. Un apprentissage difficile Les réceptaires, les livres de recettes de couleurs, laissent entrevoir le travail du « broyeur de couleurs ». Ils permettent de situer au cœur de l’atelier médiéval cette activité de fabrication des couleurs. L’apprentissage du jeune peintre peut durer jusqu’à douze ans. Il peut être le fruit d’un savoir transmis sur plusieurs générations. Écraser et broyer les couleurs, les détremper, font entre autres partie de ce long apprentissage. Combien de temps faut-il à un apprenti pour apprendre les recettes de couleurs et savoir les fabriquer ? Sans doute des mois voire des années. Les labeurs, les expérimentations, ne sont pas sans danger. 34 Histoire et Images Médiévales En effet, il faut manipuler mercure, soufre, plomb, et parfois même de l’arsenic pour offrir au maître une palette riche en nuances et en couleurs fines. Tout au long du Moyen Âge, de nombreuses recettes de couleurs ont été écrites, copiées et recopiées en latin et en langues vulgaires. Ces listes plus ou moins longues renferment les secrets des maîtres qui transmettaient au sein de la profession leurs savoirs à leurs apprentis. Cet apprentissage dont la part d’oralité est importante passe aussi par l’écrit. On peut supposer que le peintre et son apprenti étaient instruits, notamment en langue latine pour écrire et lire ces recettes de couleurs. Claudine Brunon Artisan-Peintre d’Imageries médiévales & Professeur d’enluminure L’apprentissage des peintres de manuscrits de Tournai à la fin du XVe siècle a été étudié par Dominique Vanwinjnsberghe. Un enlumineur peut avoir dans son atelier plusieurs apprentis, entre deux et cinq. Ces apprentis ne peuvent travailler à leur compte, ni pour quelqu’un d’autre que leur maître, avant d’avoir achevé leur formation qui est au minimum de deux ans. Au terme de cet apprentissage, le jeune peintre exercera son métier à son compte, mais il n’est pas rare qu’il reste simple ouvrier, compagnon ou valet. La recherche de l’excellence L’étroite relation qui existait entre le maître et l’élève peut se définir par une exigence dans la qualité des tâches à exécuter. Pour peindre, les couleurs et leurs particules de pigments devaient être les plus fines possible. De cette finesse dépend la qualité de la pâte colorée et sans doute aussi dans une autre mesure, la teinte de la couleur. On voit que le talent du peintre à appliquer les couleurs est tributaire du travail de l’apprenti qu’il aura formé. La finesse du grain du pigment qui entre dans la composition de la couleur a toujours été la préoccupation majeure des fabricants de couleurs, au Moyen Âge et encore aujourd’hui. La qualité de la couleur fine, surfine, extra-fine est une qualité qui sert de valeur marchande puisque les gammes de couleurs des tubes de peinture sont actuellement classées selon ces critères. Le broyage des couleurs est depuis des siècles une activité dont on ne soupçonne pas l’importance. Cette tâche de broyage de la couleur est réalisée à la main par l’apprenti du Moyen Âge, et ce, durant plusieurs heures. Le peintre italien Cennino Cennini (v. 1370-1440) entrevoit même de donner à son élève un très long travail de fabrication de l’orpiment et du vermillon. À propos de la première couleur, il dit : « Si tu la broyais pendant dix ans, elle serait toujours meilleure ». De même à propos du vermillon : « Si tu le broyais chaque jour, même pendant vingt ans, il serait toujours meilleur et plus parfait ». On le voit, ce travail est sans fin. Et le maître est très attaché à ce que les couleurs qu’il emploie soient les meilleures possible, les plus parfaites. On retrouve bien cette notion de finesse, de couleur bonne ou optimale dans les titres des recettes de couleurs. Cet attachement des auteurs à enseigner la meilleure manière d’obtenir les couleurs est assez révélateur des savoir-faire des artisans médiévaux. Cette exigence de qualité digne d’un manager d’équipe s’établit dans une relation directe de cause à effet. En effet, le talent du maître dépendait aussi, outre son habileté à manier le pinceau, de la qualité des couleurs qui composaient sa palette. Ces labeurs sur la pierre, ces recettes sans cesse éprouvées devaient permettre aux peintres laïques, depuis le début du XIIIe siècle, de faire évoluer leurs habilités à fournir des œuvres aux commanditaires fortunés. apprenti a broyées. Le peintre les emploie alors sur parchemin, sur bois, sur mur, mais aussi pour recouvrir de couleur des images sculptées. Selon les époques, on assiste à une mise en image des possibles applications des couleurs par le peintre sur différents supports . Ces différents supports sont aussi clairement énoncés par les textes de recettes de couleurs. Pour les images, dans la seconde moitié du XIIe siècle, c’est le peintre sur parchemin peignant une lettrine qui est représenté avec son broyeur de couleurs, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, c’est le peintre de sculpture et au début du XVe siècle, c’est le peintre sur bois ; ces artisans sont visuellement associés au travail de fabrication des couleurs. À chaque fois, le couple peintre/apprenti est représenté dans une volonté apparente d’associer le travail de fabrication des couleurs à l’application de celles-ci sur un support. Si ces quelques images isolées ne permettent pas de retracer une chronologie, elles peuvent être les témoins ponctuels de l’officine laïque du peintre médiéval. Au XVe siècle, le peintre de chevalet est un sujet qui semble séduire les enlumineurs et sans doute à travers eux les commanditaires de ces manuscrits richement illustrés. Nous assistons en image à l’évolution d’un statut qui fera passer le peintre d’artisan à artiste. Ce binôme peintre/ « broyeur de couleurs » est constant dans les représentations d’ateliers d’artistes au fil des siècles. L’artiste peint affairé à son ouvrage trouve donc ses racines au Moyen Âge dans les manuscrits enluminés. Le travail de broyage Interrogeons les textes sur les outils nécessaires au broyage des couleurs. Tout d’abord, la pierre qui est une plaque dure en marbre ou en porphyre, carrée, ronde ou rectangulaire est le lieu où l’on fabrique une matière picturale et où l’on écrase une substance souvent minérale avec une molette, elle aussi en pierre. On dira par exemple en ancien français en Bourgogne : « pierre à délayer les couleurs » et « pierre de porphyre pour faire et moudre couleurs ». Cette relation entre maître et élève est visuellement établie par les enluminures. L’atelier laïque y est souvent réduit à sa plus simple expression. Les peintures de manuscrits associent parfois une scène de fabrication des couleurs au travail du peintre. Cette dernière scène propose une représentation d’artisan. Le peintre médiéval utilise les couleurs que son © DR Représenter le travail du peintre Les Cantiques de sainte Marie, Alphonse X, seconde moitié du XIIIe siècle – Escorial, Biblioteca Réal, ms T.I.I, fol. 192r. Histoire et Images Médiévales 35 arttrésors médiéval enluminés ???e-??e s. Laetitia Vittore Doctorante au Centre de Médiévistique Jean-Schneider, université Nancy 2 Timarete peignant. Boccace, Les Cleres femmes, 1er quart du XVe siècle – Paris, BnF, ms. fr. 12420 fol. 86 r. années après, Léonard Defrance dans son ouvrage Les Broyeurs de couleurs, leur métier et leurs maladies, mentionne en bout de liste, deux natures de pierres : la pierre calcaire et le marbre. La première est jugée trop tendre et ne sert que pour les couleurs imparfaitement broyées. Une fois la couleur broyée, il faut la ramasser dans un coin de la pierre. On se sert d’une amassette ou ramassoire qui est un morceau de cuir fort ou en corne. © DR Dans les réceptaires, c’est le verbe latin terere qui est le plus associé aux pierres. Il évoque le frottement qu’opère la molette sur la pierre et donc l’écrasement que vont subir les substances à réduire en poudre. C’est cette action d’écraser un pigment entre les deux pierres que ce verbe évoque. Parfois, le mot subtiliter qui veut dire « de manière fine » est associé au verbe terere et à la pierre lapide. Dans ces traités techniques médiévaux, quatre termes font généralement référence à la nature des plaques : les pierres, lapide et petra, le marbre, marmore, et le porphyre, porfirico. Parfois ces termes sont associés entre eux : pierre de porphyre, lapide porfirico et marbre de porphyre, marmore purfirico, pierre de marbre, marmoream petram. Soit au total six qualités de pierre différentes pour la fabrication des couleurs médiévales (ce qui est énorme si on les compare à notre seule plaque en verre dépoli actuelle). Les critères de sélection de la pierre se font en fonction de leur dureté, le porphyre étant « supérieur à tout » nous dit l’auteur italien. Celui-ci cite plusieurs sortes de pierres : le porphyre, la serpentine et le marbre, mais les deux dernières sont jugées trop tendres. Au XVIIIe siècle, le peintre Roger de Piles, dans ses Oeuvres diverses, évoquait encore du serpentin et du porphyre comme pierres à broyer les couleurs : « Ces deux dernières sont les plus dures que nous ayons et par conséquent les plus propres à cet usage, car les pierres trop tendres s’usent et s’égrainent en broyant et venant à se mêler avec les couleurs elles en ternissent l’éclat et la vivacité. La difficulté est de trouver une tranche de porphyre ou de serpentin qui soit unie et biendroite et en même temps d’une grandeur assez raisonnable pour pouvoir y broyer commodément ». À l’inverse de Cennini, il recommande la serpentine pour broyer les couleurs. Le marbre n’est pas mentionné. Quelques © BnF Les pierres sont sélectionnées selon leur dureté Saint Luc peignant la Vierge. Gravure sur bois, 1488 – Washington, National Gallery of Art. 36 Histoire et Images Médiévales Sur les miniatures, on la distingue posée sur la pierre quand la couleur se fabrique. On doit aussi avoir un couteau pour ôter la couleur qui s’amasse autour de la molette en broyant. Il sert encore pour ratisser la couleur qui s’attache à l’amassette. L’apprenti nettoie la pierre, car elle lui sert à préparer toute sorte de matières, colorées ou non. Souvent dans les réceptaires, la pierre doit être plane et lisse. En plus de sa dureté, qui permet de produire une couleur fine, elle ne doit pas garder dans ses inégalités et pores, le précieux pigment ou colorant souvent très cher ou très compliqué à fabriquer. Les opérations de lavage de la pierre mettent en contact direct, la peau de l’apprenti et le pigment, généralement toxique. L’apprenti représenté au XVe siècle a les manches de son habit relevées. Preuve sans doute qu’il procédait régulièrement au nettoyage de la pierre. On peut supposer qu’il broyait les pigments à la suite les uns des autres. Afin que les résidus de l’un ne souillent pas la nouvelle couleur à broyer, il faut bien nettoyer sa pierre ! D’après Roger de Piles, on utilise un peu de sablon avec de l’eau en le broyant sur la pierre avec la molette ; c’est ce qu’on appelle récurer la pierre. Une fois l’activité de broyage finie, la pierre pouvait être laissée à côté du peintre en attendant le besoin de couleurs au fur et à mesure que l’ouvrage de peinture avance. Des formes et des couleurs L’iconographie médiévale des enluminures nous montre diverses formes et couleurs de pierres à broyer : rondes, carrées et rectangulaires ; bleue, beige, rose. Une certaine diversité que les textes corroborent. On serait tenté d’identifier la nature des pierres représentées avec la description qu’en font les auteurs des réceptaires mais cela reste délicat. Seule la pierre de porphyre semble identifiable. On peut dire cependant que la comparaison de ces deux sources, écrite et iconographique laisse entrevoir une panoplie de pierres assez diverses. Les sources écrites nomment différemment les natures de pierres à broyer, les sources iconographiques représentent aussi différemment la nature des pierres par leurs couleurs et leurs formes. Ces natures variées des pierres à broyer les couleurs correspondent à une recherche de qualité intrinsèque des pierres : la dureté. Elle est clairement signifiée dans les réceptaires. Il est en effet question de pierres qualifiées de dures. Cette caractéristique des pierres ne permet pourtant pas tous les tours de main nécessaires au travail des minerais. Et si la pierre à moudre les couleurs est robuste, elle a cependant ses limites. Et il faut avoir recours à un autre ustensile pour réduire en poudre une pierre colorée. Cennino Cennini précise ceci à propos de la pierre « sanguine » : « Écrase d’abord cette pierre dans un mortier de bronze, car si tu la cassais sur ta pierre de porphyre, celle-ci pourrait se briser ». Plus loin sur le jaune « giallorino », couleur artificielle très dure et lourde comme une pierre, notre auteur italien nous dit ceci : « étant donné qu’elle est très difficile à réduire en poudre, il te convient de l’écraser dans un mortier de bronze, comme tu dois le faire pour la sanguine ». Aussi, le mortier de bronze qui sert à transformer la pierre en pigment, entre dans les outils professionnels de l’atelier du peintre pour un travail en amont de pulvérisation. Les réceptaires conservent certaines recettes de couleurs quali Un rapport accablant Au XVIIIe siècle, l’Académie Royale des Sciences de Paris demande au peintre Léonard Defrance de présenter un rapport sur la toxicité des matériaux utilisés dans la préparation des couleurs. L’auteur dresse un bilan accablant sur les pratiques qui ont lieu dans les ateliers, encore à cette époque : « Le danger continue quand le broyeur écrase la couleur sur la pierre pour la réduire en poudre. Dès qu’elle est parvenue à une certaine finesse, le moindre mouvement fait avec la molette en élève toujours une partie en nuages. L’ouvrier ne peut s’exempter d’en aspirer par le nez ou par la bouche, vu la proximité de la tête. La peau, tant du visage que celle des bras nus en été et des mains, est couverte de cette matière. D’ailleurs, l’inadvertance en fait répandre à terre, elle s’écrase avec les souliers, et continuellement, elle est agitée par les pieds du broyeur, pour l’aller et le venir des uns et des autres, ce qui distribue complètement ce poison (…). Si à aspirer l’air imprégné de ces matières, on s’empoisonne, à plus forte raison si on en avale directement, et c’est ce qui est presque impossible à certains mauvais broyeurs et barbouilleurs d’éviter. Ils négligent de se laver, ils prennent leurs repas avec les mains chargées et avec les ongles pleins de ces matières (…). Car on se nuit de cette manière, quand on introduit ces matières dans le corps par la peau ; on se nuit sans doute à laisser les mains, les bras, le visage, souvent les jambes et les pieds, chargés de cette matière ». Notre auteur explique plus loin : « Je le répète, et on ne saurait trop le répéter, l’on ne s’empoisonne en peignant et en broyant que par la malpropreté. […] De ce que je viens d’exposer de la nature des couleurs et des effets qu’elles produisent sur les peintres, les barbouilleurs et les broyeurs, il résulte nécessairement que toutes les causes qui altèrent leur santé proviennent de la négligence occasionnée par l’ignorance du péril. Ils ne soupçonnent pas qu’un peu de poussière de céruse qu’ils aspirent, ou qui couvre les mains et le visage, peut les tuer. (…) Ces ouvriers, broyeurs et peintres, jamais on ne les préservera de la mort, non, jamais on ne les garantira, si eux-mêmes ne sont persuadés du danger, si eux-mêmes ne cherchent à s’en mettre à l’abri ». Il ajoute enfin que les seules précautions à observer sont la propreté et le soin de ne pas aspirer la poussière des couleurs. Le danger est donc encore ignoré au XVIIIe siècle. fiées de « fines » dans le titre. Ainsi, nous apprenons que l’azur fin est fait à partir de lames d’argent, la rosette fine à partir du bois de brésil (ou bois de braise), la laque fine de bourre de laine écarlate teinte au kermès. D’autres sources font état de la finesse des pigments. La liste des couleurs dressée par Susie Nash d’après les comptes bourguignons de la fin du XIVe siècle, contient une large palette de couleurs dites fines : azur, azur d’Acre, azur pour azurer, azur d’Allemagne, orpiment, sinople, florée, mine, mine rouge, blanc de plomb, ynde, massicot, rose. Mais ces couleurs fines n’ont pas été fabriquées dans les ateliers des peintres qui les emploient. C’est le duc de Bourgogne qui les achète à l’épicier, l’orfèvre ou le marchand pour les travaux de peinture qu’il commande. Le peintre n’est donc employé que pour son talent et son habilité à exécuter des scènes. En 1356, une ordonnance pour le travail des peintures du château royal de Vaudreuil en Normandie, mentionne bien que seront utilisées « fines couleurs a huile ». La finesse des couleurs employées pour tel ou tel ouvrage retient bien l’attention des clercs. Elle devait sans doute garantir une certaine fiabilité à l’ouvrage à réaliser. Histoire et Images Médiévales 37 art médiéval Le lavage de la pierre met en contact direct la peau de l’apprenti et le pigment, généralement toxique © Musée du Louvre, droits réservés. En France, il faut attendre le siècle suivant pour que l’Académie Royale des Sciences de Paris demande un rapport sur le danger du travail du broyeur de couleurs. Le peintre Léonard Defrance distingue alors les couleurs corrosives comme les orpins, les vert-degris des couleurs « engourdissantes » à base de plomb comme la céruse, la litharge, le minium et le massicot. Il a laissé un témoignage intéressant sur les effets toxiques que pouvait occasionner la préparation des couleurs (voir encadré page précédente). Qu’en était-il au Moyen Age ? Il faut dire que les ateliers étaient plus restreints et que la taille des peintures réalisées, plus petite. Cela donne cependant une idée du contact qu’avait l’apprenti avec les pigments très dangereux. Si l’on regarde les visages du peintre et du broyeur de la miniature de la Bible de Cambridge, on voit un trait de couleur sous l’œil, signe qu’ils sont atteints d’une maladie. Dans les autres images du couple peintre/apprenti, il n’y a pas de signe de maladie déclarée. 38 Le peintre s’est aujourd’hui affranchi de son apprenti et s’est presque libéré de la toxicité de ses couleurs. On voit qu’à la fin du Moyen Âge, cet affranchissement peut survenir le temps de la réalisation d’une commande comme en Bourgogne. Mais plus remarquable est la relation à peine soupçonnée du peintre laïque et de son broyeur, du maître et de son apprenti. Même l’image en est le témoin. L’attachement du maître à transmettre ses savoirs, la nécessité de son art à déléguer la préparation des Atelier de peintre avec modèle posant et broyeur de couleurs, détail. Peinture de David III Ryckaert, 1638. huile sur bois – couleurs sont autant de prérogatives qui animent le Paris, Musée Du Louvre. peintre médiéval. L’apprenti mettait sa vie en danger pour que le maître puisse œuvrer et satisfaire les commandes des puissants dignitaires du royaume. Mais il recevait Un travail à risque ? Tout ceci doit aussi attirer l’attention sur un autre aspect assez en échange les plus grands secrets de son maître ! Secrets qu’il méconnu. C’est la toxicité des substances avec lesquelles le transmettra à son tour à ses élèves et autres « broyeurs de coupeintre et l’apprenti sont en contact. Cennini est l’un des rares leurs » avec tous les risques que cela comporte… n auteurs à dire que l’orpiment et le réalgar sont toxiques. En effet, les opérations de broyage sont dangereuses selon que l’on broie des pigments à base d’arsenic ou de plomb. Un autre POUR EN SAVOIR PLUS auteur italien, celui du manuscrit de Montpellier décrit les Cennino Cennini, Il Libro dell’Arte. Traité des Arts, édition l’œil d’or, 2009. maladies que provoque la céruse. Ce sont en effet les pigments Léonard Defrance, Les broyeurs de couleurs, leur métier et leurs maladies les plus dommageables pour le broyeur. Le blanc de plomb (Mémoire sur la question proposée par l’Académie Royale des Sciences provoque la colique du peintre ou saturnisme. Les maladies de Paris, touchant les broyeurs de couleurs) intr., éd. et comm. par professionnelles des artisans ne sont listées qu’au XVIIe siècle Philippe Tomsin, édition du Céfal, 2005. par un autre italien, Ramazzini. Il établit que la principale Susie Nash, « ‘Pour couleurs et autres choses prise de lui...’ : The supply, acquisition, cost and amployment of painters, materials at the burgundian cause qui rend les peintres malades est la matière de leurs coucourt, c. 1375-1419 », dans Trade in artist’s materials. Markets and leurs qu’ils ont continuellement dans les mains et sous le nez. commerce in Europe to 1700, édité par Archetype publications, p. 97-185. Il mentionne le minium, le cinabre et la céruse, mais aussi le Dominique Vanwinjnsberghe, « De Fin or et d’azur ». Les commanditaires vert-de-gris et l’azur fait avec des lames d’argent. Autant de de livres et le métier de l’enluminure à Tournai à la fin du Moyen Âge matières issues de minéraux et dont les couleurs sont plus (XIVe-XVe siècles), édition Peeters Leuven, 2001. vives et plus durables que les végétaux. Histoire et Images Médiévales