Chapitre 11 L ES TS AU PAYS IMAGINAIRE L'esprit divin s'est manifesté de façon sublime dans cette merveille de l'analyse, ce prodige d'un monde idéal, cet intermédiaire entre l'être et le non-être, que nous appelons la racine imaginaire de l'unité négative. Gottfried Leibniz 1 1.1 I NTRODUCTION Un nouveau décor Les nombres réels peuvent se représenter sur une droite : la droite réelle. Forts de notre nouvel ensemble C qui contient R, la question se pose naturellement : comment représenter géométriquement l'ensemble des nombres complexes ? La nature même des nombres complexes, écrits de manière unique sous la forme x + iy où x et y sont des réels, nous invite à utiliser un repère à deux dimensions cette fois pour les représenter : un nombre complexe z = x + iy peut se représenter par un unique point M , dans un plan muni d'un repère (que l'on choisira orthonormé an d'éviter les problèmes concernant les calculs de distances ou d'angles), en prenant (x ; y) pour coordonnées. La partie réelle de z correspond à l'abscisse de M , la partie imaginaire à l'ordonnée, et en quelques sortes le +i joue le rôle du séparateur ; . Réciproquement par ce procédé, à tout point M (x ; y) du plan on associe un unique nombre complexe z = x + iy . Pour être précis dans notre discours, ce nouveau décor nécessite un nouveau vocabulaire : 1 LYCÉE B LAISE PASCAL S.D ELOBEL M.L UITAUD 2 Chapitre 11. Les TS au pays imaginaire Dénition 1. Le plan muni d'un repère orthonormé direct (O ; ~u , ~v ) s'appelle le plan complexe. Le nombre complexe z = x + iy est appelé axe de M (x ; y) et M (x ; y) est l'image de z = x + iy . Souvent on note zM ou m (en minuscule) l'axe de M . L'axe (O ; ~u) est appelé axe réel et l'axe (O ; ~v ) est appelé axe des imaginaires purs. Ainsi, dire par exemple le point A a pour coordonnées (2 ; 3) est synonyme de le point A a pour axe 2 + 3i . On peut voir l'axe z = x + iy comme une sorte de coordonnées améliorées où l'abscisse x et l'ordonnée y sont résumées en un seul nombre. On dispose alors de toute la théorie des nombres complexes, et cela va entre autres faciliter les calculs avec des coordonnées... Même si dans ce chapitre on identie des points et des nombres complexes, attention cependant au vocabulaire : on dit le point d'axe 2 + 3i , et non pas le point 2 + 3i ... L'identication faite ci-dessus entre un nombre complexe et un point peut se faire également avec un vecteur : Dénition 2. Le nombre complexe z = x + iy est appelé axe du vecteur w ~ x Le vecteur w ~ y est le vecteur image de z = x + iy . x y et souvent noté zw~ . Exercice 1 Dans le plan complexe : 1. Représenter le point A d'axe 2 − 3i ; le point B(−1 + 2i) ; le point C tel que zC = 2i. → − − 2. Tracer un représentant du vecteur → w (1 + 3i) ; un représentant du vecteur t d'axe 2 − i. → − − − − 3. Représenter → s le vecteur somme de → w et t . Quelle est l'axe de → s ? 1.2 Premières propriétés Toutes les propriétés des coordonnées vues dans les classes antérieures se reformulent avec notre nouveau vocabulaire : Propriété 3 (Axe d'un vecteur). −−→ Le vecteur AB a pour axe zB − zA . Proposition 4 (Axe d'une somme, d'un produit d'un vecteur par un réel). → un vecteur d'axe z−→ et − → un vecteur d'axe z−→ , et λ un nombre réel. Soient − w w 1 2 w1 w2 − → − → 1. L'axe de w1 + w2 est z−w→1 + z−w→2 . → est λz−→ . 2. L'axe de λ− w 1 w1 3 Cours de Terminale S Propriété 5 (Axe d'un milieu, axe du centre de gravité). zA + z B . 2 z + zB + z C . Le centre de gravité G d'un triangle ABC a pour axe zG = A 3 Le milieu I du segment [AB] a pour axe zI = Exercice 2 Dans le plan complexe muni du repère orthonormé direct (O ; ~u , ~v ), on considère les points A,B, C et D d'axes zA = 3 + i, zB = −1 − i, zC = 2i et zD = 4 + 4i. 1. Faire une gure. 2. Démontrer de deux façons diérentes que ABCD est un parallélogramme. 3. Montrer que les points B, O et D sont alignés. 2 D ISTANCES ET ANGLES 2.1 Repérage polaire, module et arguments On le sait depuis longtemps : tout point M du plan peut être repéré par ses coordonnées cartésiennes (x ; y). Un autre repérage est possible : à l'aide des coordonnées polaires 1 [r; θ]. −−→ − r est le rayon polaire (c'est la distance OM ) et θ est l'angle polaire (c'est l'angle → u ; OM , déni à 2π près). Le lien est le suivant : x = r cos θ et y = r sin θ p r se calcule facilement : r = OM = x2 + y 2 . Voyons ce que cela donne dans le cadre des nombres complexes : M y z = x + iy z = r cos θ + ir sin θ z = r (cos θ + i sin θ) r ~v O θ x ~u Dénition 6. L'écriture de z sous la forme z = r (cos θ + i sin θ) est appelée de z. r est le module de z et θ en est un argument. forme trigonométrique Ainsi : Dénition 7. On appelle module de z = x + iy le nombre réel positif |z| = x2 + y 2 . On appelle argument de z (z 6= 0) et on note arg(z) toute mesure en radians de −−→ − l'angle orienté (→ u ; OM ), où M est le point d'axe z . p 1. sauf pour l'origine O. Mais cela n'a de toute façon pas grand intérêt. . . 4 Chapitre 11. Les TS au pays imaginaire Nous disposons donc maintenant de deux formes d'écriture pour un nombre complexe : la forme algébrique et la forme trigonométrique. Il s'agit de savoir aisément passer de l'une à l'autre. Exercice 3 Passage de la forme trigonométrique à la forme algébrique Écrire sous forme algébrique : 1. 2. 4π z1 = 2 cos 4π 3 + i sin 3 √ z2 = 3 cos − π6 + i sin − π6 Exercice 4 Passage de la forme algébrique à la forme trigonométrique Calculer le module et un argument, et écrire sous forme trigonométrique : 1. 2. 2.2 √ z3 = 1 + i 3 z4 = 2 − 2i Propriétés du module et de l’argument On a vu dans le précédent chapitre sur les nombres complexes que zz = Re(z)2 + Im(z)2 . On peut reformuler ainsi cette propriété : Proposition 8 (Déjà vu...). Pour tout z ∈ C, on a : zz = |z|2 . Les deux résultats suivants découlent immédiatement des dénitions de module et arguments. M (z) Propriété 9 (Conjugué et opposé). r Pour tout nombre complexe non nul z , on a : 1. |z| = |z| et arg(z) = − arg(z) [2π]. 2. | − z| = |z| et arg(−z) = arg(z) + π [2π]. θ+π r θ −θ r M 00 (−z) M 0 (z) Proposition 10 (Arguments d'un réel, d'un imaginaire pur). Soit z un nombre complexe. 1. z est réel équivaut à arg(z) = 0 [2π] ou arg(z) = π [2π] ou z = 0. 2. z est imaginaire pur équivaut à arg z = π π [2π] ou arg z = − [2π] ou z = 0. 2 2 Comment se comportent les modules et les arguments lorsqu'on multiplie, que l'on divise, ou que l'on ajoute des nombres complexes ? C'est ce que nous allons voir maintenant : 5 Cours de Terminale S Propriété 11 (Produit). Pour tous nombres complexes z et z 0 : 1. |z × z 0 | = |z| × |z 0 | et arg(z × z 0 ) = arg(z) + arg(z 0 ) [2π]. 2. Pour tout entier naturel non nul n, on a : |z n | = |z|n et arg(z n ) = n arg(z) [2π] Preuve 1. 2. Piste : on travaille avec les formes trigonométriques : z = r (cos θ + i sin θ) et z 0 = r0 (cos θ0 + i sin θ0 ) ; on calcule z × z 0 , on l'exprime sous forme trigonométrique (Pour cela, on aura besoin des formules d'addition 2 ) ; on lit les modules et arguments de zz 0 sur l'expression obtenue. Utiliser le 1. et une récurrence. Propriété 12 (Quotient). Pour tous nombres complexes non nuls z et z 0 : z |z| 0 = 0 z |z | et arg z z0 = arg(z) − arg(z 0 ) [2π] Preuve Astuce : l'idée est d'utiliser le résultat obtenu pour le produit (proposition 11). Pour cela, remarquer que z z = 0 × z 0 et passer au module... z Idem pour les arguments. Exercice 5 Soit z = z3 × z4 (où z3 et z4 sont les nombres de l'exercice 4). Calculer le module et un argument de z . Exercice 6 1. Calculer le module et un argument de (1 + i)8 . 2. Soit zn = (1 + i)n . Existe-t-il des entiers n tels que zn soit réel ? Si oui, lesquels ? Et que se passe-t-il pour la somme de deux nombres complexes ? En général : |z + z 0 | = 6 |z| + |z 0 | et arg(z + z 0 ) 6= arg(z) + arg(z 0 ). Pour le module, on a cependant la propriété suivante (que l'on admet). 2. À connaître : cos (a ± b) = cos a cos b ∓ sin a sin b et sin (a ± b) = sin a cos b ± sin b cos a. 6 Chapitre 11. Les TS au pays imaginaire Propriété 13 (Inégalité triangulaire). Pour tous complexes z et z 0 on a : |z + z 0 | 6 |z| + |z 0 |. 2.3 Liens des modules et arguments avec le plan complexe, géométrie Proposition 14. A et B sont deux points d'axes respectives zA et zB . On a : 1. AB = |zB − zA | . −−→ − 2. Si A et B sont distincts, alors (→ u ; AB) = arg(zB − zA ) [2π]. Preuve −→ −−→ Pour démarrer : faire un schéma, et placer le point M tel que AB = OM ... Corollaire 15. Soient A, B, C et D quatre points d'axes respectives zA , zB , zC et zD . Alors : CD zD − zC = AB zB − z A et −−→ −−→ (AB ; CD) = arg zD − z C zB − zA [2π] . Preuve À faire. Pour le module, utiliser la compatibilité avec le quotient et la proposition précédente. Pour l'argument, utiliser la relation de Chasles pour faire apparaître le vecteur ~u, et pouvoir alors utiliser la proposition précédente. Exercice 7 Soient A(2 − 3i) et B(5 − i) dans le plan complexe muni du repère (O ; ~u , ~v ). On veut déterminer la nature du triangle OAB . Méthode 1 : calculer les distances OA, OB et AB . En déduire la nature du triangle OAB . z − zA Méthode 2 : déterminer le module et un argument du nombre complexe B puis conclure. zO − zA Exercice 8 Déterminer et construire dans chaque cas l'ensemble des points M d'axe z vériant : 1. 2. 3. |z − 2 − 3i| = 5 |z − 3| = |z − 3i| |iz + 3| = |z + 4 + i| 7 Cours de Terminale S À l'aide du précédent chapitre sur les nombres complexes, et des propriétés vues dans ce chapitre, nous sommes maintenant en possession de diverses méthodes pour traduire le fait qu'un nombre complexe est réel ou imaginaire pur : Méthode 16. 1. Pour traduire le fait qu'un nombre complexe Z est réel : Z réel ⇔ Im(Z) = 0 ; Z réel ⇔ Z = Z ; Z réel ⇔ arg(Z) = 0 [π] ou Z = 0. 2. Pour traduire le fait qu'un nombre complexe Z est imaginaire pur : Z imaginaire pur ⇔ Re(Z) = 0 ; Z imaginaire pur ⇔ Z = −Z ; π Z imaginaire pur ⇔ arg(Z) = [π] ou Z = 0. 2 Exercice 9 Pour tout complexe z 6= 1 + i on pose Z = z + 1 + 3i . z−1−i 1. Déterminer et construire l'ensemble E des points M (z) du plan tels que Z soit imaginaire pur : par une méthode algébrique ; par une méthode géométrique. 2. Vérier ensuite avec GeoGebra. 3 L A NOTATION EXPONENTIELLE Exercice 10 Soit f la fonction de R dans C dénie par f (θ) = cos θ + i sin θ. 1. Montrer que, pour tous θ et θ0 dans R, on a : f (θ + θ0 ) = f (θ) × f (θ0 ). 2. Que vaut f (0) ? 3. À quelle fonction déjà rencontrée fait penser cette fonction f ? D'après l'observation faite à l'exercice ci-dessus, il est commode de noter, pour tout réel θ : Notation eiθ = cos θ + i sin θ. Exercice 11 Placer dans le plan complexe et à l'aide du cercle trigonométrique ci-contre les points i π2 i 2π i0 i2π iπ 3 d'axes : e ; e ; e ; e ; e . Préciser la forme algébrique de chacun de ces nombres. ~v O ~u 8 Chapitre 11. Les TS au pays imaginaire Avec cette notation, et à l'aide de toutes les propriétés du paragraphe 2.2 on obtient directement : Proposition 17. |eiθ | = 1 et arg eiθ = θ 0 0 eiθ eiθ = ei(θ+θ ) eiθ i(θ−θ0 ) 0 = e iθ e eiθ = e−iθ n Pour tout n ∈ N : eiθ = einθ (Formule de Moivre) En version trigonométrique, remarquons que la formule de Moivre s'écrit également : (cos θ + i sin θ)n = cos(nθ) + i sin(nθ) Dénition 18 (Forme exponentielle). z est un nombre complexe non nul. L'écriture z = reiθ avec r = |z| et θ = arg(z) est appelée z. forme exponentielle de Exercice 12 Lien entre la forme algébrique et la forme exponentielle 5π 1. Écrire sous forme algébrique et représenter dans le plan complexe : z1 = 2ei 6 . √ 2. Écrire sous forme exponentielle et représenter dans le plan complexe : z2 = 2 − 2i 3. Exercice 13 Où l'on détermine de nouvelles valeurs remarquables de sinus et cosinus... z1 π π On considère les nombres complexes : z1 = ei 3 ; z2 = ei 4 et Z = z2 . 1. Donner la forme exponentielle de Z . 2. Donner les formes algébriques de z1 et z2 . En déduire la forme algébrique de Z . 3. En déduire les valeurs exactes de cos 12π et sin 12π . Exercice 14 Les formules d' Euler eiθ + e−iθ eiθ − e−iθ 1. Montrer que cos θ = et que sin θ = . Ce sont les formules d'Euler . 2 2i 2. En déduire par exemple que cos2 θ = 21 (cos(2θ) + 1). Exercice 15 Retrouver les formules d'addition La notation exponentielle permet de mémoriser/retrouver facilement les formules de première : 1. En écrivant que eia eib = ei(a+b) , puis en prenant la partie réelle de chacun des deux membres, retrouver la formule : cos(a + b) = cos a cos b − sin a sin b. 2. De même retrouver la formule donnant sin(a + b). 3. Grâce à la formule de Moivre, retrouver les formules donnant cos(2a) et sin(2a).