COUP DE SONDE Philosophies de l`esprit objectif

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Repères
COUP DE SONDE
Les analyses de Descombes trouvent leur soubassement dans l’anthropologie et la philosophie wittgensteinienne, celles de Kervégan s’appuient
sur la pensée de Hegel. Une conviction
commune anime pourtant ces deux
entreprises : même dans la modernité,
il existe un « esprit objectif » qui, sans
être à l’initiative des sujets, est constitué par un système de normes qui dessinent par avance le sens d’une action
légitime. Montesquieu (que Hegel a
beaucoup lu) a donné une formulation
claire de ce qu’est l’esprit objectif :
Philosophies
de l’esprit objectif
Lorsque l’on évoque le relativisme
moral, c’est généralement pour le combattre et en dénoncer les ravages.
Après avoir trouvé un refuge éphémère
dans le ciel des idées, les « valeurs »
se seraient purement et simplement
évanouies, pour laisser place à une
modernité d’où l’idée même de hiérarchie est absente. Sous diverses formes,
l’individualisme serait à la source de
notre entrée dans une société de l’équivalence où il serait devenu impossible
de mettre un terme à la « guerre des
dieux ».
De deux points de vue différents, les
livres de Vincent Descombes et JeanFrançois Kervégan posent le problème
du relativisme moral et politique, mais
en déplaçant le diagnostic que l’on
porte le plus souvent à son propos.
Avant de conclure que l’indifférence
aux normes est la signature de la
modernité, il faut se demander si un
monde sans système de valeurs est simplement possible. Aucun de ces deux
auteurs ne porte un jugement sur le
présent, mais ils envisagent ce dernier
autrement que lorsque l’on postule que
le triomphe de l’individualisme « dépolitisant » et « amoral » est sans reste.
Bref, ils entendent redonner corps au
thème d’une raison pratique qui n’est
pas moins rationnelle que la raison
théorique, mais qui est autre qu’elle.
Les peuples, comme chaque individu,
ont une suite d’idées, et leur manière de
penser totale, comme celle de chaque
particulier, a un commencement, un
milieu et une fin1.
Cette « manière de penser totale »
désigne un sens qui se trouve à l’extérieur des individus, et qui est néanmoins constamment présent à l’esprit
de chacun. Pour étudier un peuple ou
une société, on étudiera donc sa
manière de penser, c’est-à-dire ses institutions. Mais l’étude des institutions
n’implique pas que l’on prenne pour
argent comptant ce qu’elles disent
d’elles-mêmes. Nos institutions sont
« libérales » et, de ce fait, elles reposent sur la valorisation de l’individu au
détriment du social et de ses hiérarchies. Pour autant, elles sont le produit
d’un esprit objectif qui a une relative
1. Montesquieu, Mes pensées, no 398, cité par
Vincent Descombes dans les Institutions du sens,
Paris, Minuit, 1996, p. 288.
À propos de…
• Vincent Descombes, le Raisonnement de l’ours et autres essais de philosophie
pratique, Paris, Le Seuil, 2007, 456 p., 24 €.
• Jean-François Kervégan, l’Effectif et le rationnel, Hegel et l’esprit objectif,
Paris, Vrin, 408 p., 28 €.
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