21-reperes-08-09-08:Mise en page 1 22/07/08 15:55 Page 258 Repères COUP DE SONDE Les analyses de Descombes trouvent leur soubassement dans l’anthropologie et la philosophie wittgensteinienne, celles de Kervégan s’appuient sur la pensée de Hegel. Une conviction commune anime pourtant ces deux entreprises : même dans la modernité, il existe un « esprit objectif » qui, sans être à l’initiative des sujets, est constitué par un système de normes qui dessinent par avance le sens d’une action légitime. Montesquieu (que Hegel a beaucoup lu) a donné une formulation claire de ce qu’est l’esprit objectif : Philosophies de l’esprit objectif Lorsque l’on évoque le relativisme moral, c’est généralement pour le combattre et en dénoncer les ravages. Après avoir trouvé un refuge éphémère dans le ciel des idées, les « valeurs » se seraient purement et simplement évanouies, pour laisser place à une modernité d’où l’idée même de hiérarchie est absente. Sous diverses formes, l’individualisme serait à la source de notre entrée dans une société de l’équivalence où il serait devenu impossible de mettre un terme à la « guerre des dieux ». De deux points de vue différents, les livres de Vincent Descombes et JeanFrançois Kervégan posent le problème du relativisme moral et politique, mais en déplaçant le diagnostic que l’on porte le plus souvent à son propos. Avant de conclure que l’indifférence aux normes est la signature de la modernité, il faut se demander si un monde sans système de valeurs est simplement possible. Aucun de ces deux auteurs ne porte un jugement sur le présent, mais ils envisagent ce dernier autrement que lorsque l’on postule que le triomphe de l’individualisme « dépolitisant » et « amoral » est sans reste. Bref, ils entendent redonner corps au thème d’une raison pratique qui n’est pas moins rationnelle que la raison théorique, mais qui est autre qu’elle. Les peuples, comme chaque individu, ont une suite d’idées, et leur manière de penser totale, comme celle de chaque particulier, a un commencement, un milieu et une fin1. Cette « manière de penser totale » désigne un sens qui se trouve à l’extérieur des individus, et qui est néanmoins constamment présent à l’esprit de chacun. Pour étudier un peuple ou une société, on étudiera donc sa manière de penser, c’est-à-dire ses institutions. Mais l’étude des institutions n’implique pas que l’on prenne pour argent comptant ce qu’elles disent d’elles-mêmes. Nos institutions sont « libérales » et, de ce fait, elles reposent sur la valorisation de l’individu au détriment du social et de ses hiérarchies. Pour autant, elles sont le produit d’un esprit objectif qui a une relative 1. Montesquieu, Mes pensées, no 398, cité par Vincent Descombes dans les Institutions du sens, Paris, Minuit, 1996, p. 288. À propos de… • Vincent Descombes, le Raisonnement de l’ours et autres essais de philosophie pratique, Paris, Le Seuil, 2007, 456 p., 24 €. • Jean-François Kervégan, l’Effectif et le rationnel, Hegel et l’esprit objectif, Paris, Vrin, 408 p., 28 €. 258