le nouvel ordre géopolitique mondial les géostratégies de domination

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Dr. Angel ANGELIDIS
LE NOUVEL ORDRE GÉOPOLITIQUE MONDIAL
LES GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION
Doc. AA – 06
FR – 06 – 2014
Auteur: Dr. Angel ANGELIDIS
Docteur Ingénieur Agronome (ETSIA - Université Polytechnique de Madrid),
Docteur d’Etat ès Sciences Economiques (Université de Montpellier),
Ex-Membre du Cabinet du Commissaire G. Contogeorgis, (Commission Thorn 1981-1984)
Ex-Chef de Division et Conseiller auprès du Parlement Européen,
Comendador de la Orden Civil de Mérito Agrícola de España
Comendador de la Real Orden de Isabel la Católica de España,
Ex-professeur invité à l’Ecole Diplomatique de Madrid et à l’Université Montesquieu Bordeaux IV,
American Order of Excellence and Academician for lifetime, American Bibliographical Institute, USA,
Vice-Président de l’Institut de Gestion des Crises Géopolitiques, Thessalonique, Grèce.
De gauche à droite: Βυζάντιοv, Αυτοκρατορικός Θυρεός κατά τήν περίοδον τών Παλαιολόγων (Blason de
l’Empire Byzantin, Dynastie de Paléologues - Coat of Arms of the Byzantine Empire, Paleologos Dynasty Escudo del Imperio Bizantino, Dinastía de Paleólogos); Emblème du Patriarcat Orthodoxe de Constantinople Coat of arms of the Orthodox Patriarchate of Constantinople - Escudo del Patriarcado Ortodoxo de
Constantinopla; Aigle bicéphale russe impériale et contemporaine - Russian double-headed eagle Imperial and
contemporary - Águila bicéfala rusa imperial y contemporánea; Armoiries de l'Alcazar de Tolède, Espagne Coat of arms of the Alcazar of Toledo, Spain - Escudo del Alcázar de Toledo, España.
Éditeur : Dr. Angel ANGELIDIS
97, Avenue Marcel Thiry
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BELGIQUE
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condition que la source soit expressément mentionnée et que l'auteur et l'éditeur en soient
préalablement informés et qu'ils aient reçu un exemplaire de la publication.
Imprimé à Bruxelles (2014).
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LE NOUVEL ORDRE GÉOPOLITIQUE MONDIAL
LES GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION
SOMMAIRE
1. LA SECONDE GUERRE MONDIALE - LE FRONT DE L’EST
2. LA «GUERRE FROIDE»
2.1 Les crises de la guerre froide
2.1.1 Le blocus de Berlin (1948-1949)
2.2.2 La guerre de Corée (1950-1953)
2.2.3 La construction du Mur de Berlin (1961)
2.2.4 Le Débarquement de la baie des Cochons et la Crise des missiles de Cuba (1961-1962)
2.2 Un nouvel équilibre
2.2.1 La détente
2.2.2 La modification des sphères d'influence
 L’agrandissement de la sphère d'influence soviétique
 Le rétablissement des Etats Unis – La «Guerre fraîche»
2.3 L'écroulement du régime soviétique - Fin de la Guerre froide
2.3.1
2.3.2
2.3.3
2.3.4
2.3.5
2.3.6
2.3.7
Le prélude
Le désarmement
La crise économique et alimentaire
Les nationalismes
Le chaos politique et socio-économique
Pourquoi l'URSS s'est-elle écroulée au début des années 1990 ?
Trahison ?...
3. LES ÉTATS-UNIS SEULE SUPERPUISSANCE AU MONDE
3.1 Les Géostratégies de domination
3.1.1 La stratégie de l’Anaconda
3.1.2 La puissance Maritime («Sea Power») de Alfred Mahan
3.1.3 “Heartland” contre “World Island” de Halford John Mackinder
3.1.4 Le «Rimland» de Spykman
3.1.5 Le pan européanisme et les pan régions de Friedrich Ratzel et de Karl Haushofer
3.1.6 Le «Nomos de la Terre» de Carl Schmitt
3.1.7 La Stratégie d’endiguement («containment») de George Kennan
3.1.8 La Théorie du «Système mondial» d’Immanuel Wallerstein
3.1.9 La Théorie des «Régions géostratégiques» de Saul B. Cohen
3.1.10 «Le choc des civilisations» de Samuel Huntington
3.1.11 «Le Grand échiquier» de Zbigniew Brzezinski
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LE NOUVEL ORDRE GÉOPOLITIQUE MONDIAL
LES GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION
1. LA SECONDE GUERRE MONDIALE - LE FRONT DE L’EST
On imagine trop souvent que le débarquement allié du 6 juin 1944 fut le tournant
de la Seconde Guerre mondiale. Or le véritable revers dans cette guerre se déroula loin des
plages de Normandie, dans une ville nommée Stalingrad. La place de l’URSS dans cette
guerre fut trop souvent oubliée voire délibérément écartée. Pourtant, l’URSS joua un
rôle crucial durant la Seconde Guerre mondiale, car c’est elle qui a gagné la guerre sur le
front de l’Est, qui fut déterminant dans la chute du Troisième Reich. En effet le front de
l’Est fut le plus grand et le plus sanglant théâtre d'opérations de la Seconde Guerre
mondiale et probablement de toute l'histoire militaire, mais il est peu connu; c’est
pourquoi nous avons décidé de rendre justice aux millions de soldats de toutes les
républiques constituant l’URSS qui se sont battus et tués pour notre liberté en précédent
cet ouvrage d’un résumé sur l’importance et les conséquences du front de l’Est.
L
a Seconde Guerre mondiale constitue le conflit armé le plus vaste que
l’humanité ait connu, mobilisant plus de 100 millions de combattants de 61
nations, déployant les hostilités sur quelque 22 millions de km², et tuant
environ 62 millions de personnes, dont une majorité de civils. N’opposant pas seulement des
nations, la Seconde Guerre mondiale fut aussi la plus grande guerre idéologique de l’Histoire,
ce qui explique que les forces de collaboration en Europe et en Asie occupées aient pu être
solidaires de pays envahisseurs ou ennemis. Guerre totale, elle gomma presque totalement la
séparation entre espaces civil et militaire et vit, dans les deux camps, la mobilisation poussée
non seulement des ressources matérielles – économiques, humaines, techniques et
scientifiques – mais aussi morales et politiques, dans un engagement des sociétés tout
entières.
L’agression de l’Allemagne nazie en Europe revêt un caractère différent à l’est et à
l’ouest. Les pays de l’Est européens, au peuplement slave sont considérés par les nazis
comme un «espace vital» («Lebensraum») revenant à la «Race des Seigneurs». Dans cet
espace immense, il s’agit à la fois d’implanter des colons allemands, de germaniser de force
les populations qui peuvent l'être, de déplacer, stériliser ou faire mourir des millions de «soushommes»: slaves soviétiques, polonais, tziganes, etc. en utilisant les survivants comme
esclaves, allant jusqu'à la solution finale pour les juifs. Les ressources des pays conquis sont
soumises au pillage systématique au service du IIIe Reich en guerre, puis elles sont
systématiquement détruites lorsque la Wehrmacht commence à reculer devant l’avance de
l’Armée rouge. La mise au travail des prisonniers de guerre et les déplacements en Allemagne
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de millions de travailleurs représentent une forme encore plus directe de l’exploitation des
ressources. Par contre, l’Ouest n’est pas considéré comme un espace vital à vider pour que des
Allemands puissent y prendre place et ses populations ne connaitront pas la terreur de
l’occupation allemande des pays de l’Est.
Le front de l’Est (en allemand: die Ostfront), ou la campagne orientale (en allemand:
der Ostfeldzug) ou la campagne de Russie (en allemand: der Rußlandfeldzug) a constitué de
loin le plus grand théâtre d'opérations de la Seconde Guerre mondiale, qui a opposé
l'Allemagne nazie à l'Union soviétique du 22 juin 1941 au 9 mai 1945. Il est considéré comme
le conflit le plus sanglant de l'Histoire – faisant plus de 30 millions de morts – et se déroulant
sur les territoires plus vastes que tous les autres théâtres d'opérations réunis. Durant les quatre
années que dura le conflit germano-soviétique il y eut, en permanence, une moyenne de 9
millions d'hommes simultanément impliqués dans les opérations de ce front. Il est le lieu de la
guerre totale la plus extrême, nourrie par des objectifs idéologiques, politiques, économiques
et militaires et d’un antagonisme farouche entre les belligérants 1.
Le cours de la guerre sur le front de l'Est fut déterminé par les personnalités et les
idéologies des commandants suprêmes - Adolf Hitler et Joseph Staline, respectivement - bien
plus que sur tout autre front de la Seconde Guerre mondiale. Les Allemands nazis ont adopté
une ligne de conduite qui se résume à la lutte du fascisme contre le communisme et le combat
entre la race aryenne et les races slaves. Par contre, pour les Soviétiques s’était la lutte pour le
sauvetage de la «Mère patrie» (en russe: Родина-Мать, Rodina), par allusion à la «guerre
patriotique» de 1812 contre Napoléon Ier 2. La religion orthodoxe, autrefois persécutée, fut
instrumentalisée pour souder la population autour du régime soviétique. Le conflit sur le front
de l’Est est ainsi caractérisé par son extrême brutalité sans commune mesure avec le front de
1
Dans ce conflit, l'Allemagne bénéficie de l'aide de la Roumanie, de l'Italie, de la Hongrie, de la République
slovaque et de la Finlande. L’Allemagne nazie est également assistée par des forces d'appoints: partisans
anticommunistes dans les territoires occupés (OUN ukrainienne, Armée Vlassov), division espagnole (División
Azul), unités de volontaires SS venant de différents pays conquis (France: Légion des volontaires français, dont
les troupes rejoignirent ensuite la division SS Charlemagne; Belgique: division SS Wallonie, Norvège: division
SS Viking, etc.). En outre, dès 1941, des volontaires plus ou moins forcés des territoires soviétiques occupés se
joignent aux troupes allemandes formant des unités de qualité variable, les «Hiwis» (abréviation du mot
allemand Hilfswillige, en français: auxiliaire volontaire), d'abord employés pour l'intendance et les services,
puis intégrés dans le cadre d'unités anti-partisans à partir de 1942. Outre ces personnels, la Wehrmacht compte
un certain nombre d'unités combattantes recrutées sur les territoires occupés d'URSS: Baltes, Caréliens,
Ukrainiens, Cosaques, Tatares, Géorgiens…, versés à partir de 1943 dans les unités cantonnées en France ou
dans les Balkans. Du côté des Alliés, l'Union soviétique est soutenue par des unités polonaises (les armées
polonaises de l'Est), puis par des unités roumaines, bulgares et yougoslaves, lorsque ces pays changent de camp
au fil de la conquête de l'Europe de l'Est par l'Armée Rouge. Bien qu'ils ne se soient jamais directement engagés
dans des actions militaires sur le Front de l'Est, le Royaume-Uni et les États-Unis fournissent à l'Union
soviétique un soutien économique au titre de la loi de prêts-bails, qui commence à parvenir à l'Armée rouge dès
1941, et dont l'impact commence à être sensible à partir de 1943 (soutien en rations de combat, don de camions
et de blindés permettant de motoriser l'armée, etc. expédiés par les convois de l'Arctique entre août 1941 et mai
1945). L’URSSS bénéficie aussi du soutien non négligeable des partisans d'Europe de l'Est, notamment de
Yougoslavie, Slovaquie, Pologne et des territoires soviétiques occupés par l'Allemagne. Quelques unités
occidentales, de taille symbolique, participent également à la lutte sur le front de l’Est, comme le groupe de
chasse français Normandie-Niemen ou quelques escadrons de chasse britanniques.
2
Initialement prévue pour mars 1941, mais retardée à cause de l’«opération Marita» ou «Bataille de Grèce»
(06.04.1941-01.06.1941), l’«opération Barbarossa» fut lancée par Adolf Hitler le 22 juin 1941, le même jour que
Napoléon envahissait la Russie en 1812.
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l'Ouest, par une lutte pour la survie de chaque nation se caractérisant par un mépris des
ressources engagées, aussi bien en vies humaines qu'en matériel, et une absence de distinction
entre cibles militaires et civiles. Il s’agit d'une guerre féroce, occasionnant d'énormes
destructions et des déportations de masse, ce qui entraîne de gigantesques pertes militaires et
civiles par suite de la guerre elle-même, de massacres, de famine, de maladies et de conditions
météorologiques extrêmes.
Les belligérants sur le front de l’Est sont deux grandes puissances industrielles qui se
trouvent engagées l'une contre l'autre dans une guerre d'usure, dans laquelle la production
industrielle joue un rôle très important. En déclenchant l'opération Barbarossa, l’Allemagne
nazie consacre l’essentiel de ses ressources en hommes et en matériels au front de l'Est.
Engagée dans une guerre totale contre l'Union soviétique, l’industrie de guerre allemande
«tourne» au maximum de ses capacités et ne cesse de se développer jusqu’au début de 1945.
Le IIIe Reich consacre ainsi 35 % de son PNB en 1940, puis 65 % en 1944, à ses dépenses
militaires. Non seulement l’Allemagne, première puissance industrielle du continent
européen, affecte la totalité de ses ressources économiques à sa production de guerre, mais à
cette fin elle exploite également systématiquement les ressources industrielles, économiques,
démographiques (deux millions de prisonniers français travailleront en Allemagne) de
l’Europe occupée.
L’effort industriel soviétique n’est pas moins significatif. Le 3 septembre 1941, le
pouvoir soviétique décrète la mobilisation de tous les hommes de plus de 18 ans. Un décret
de février 1942 instaure la mobilisation totale des femmes âgées de 15 à 45 ans, femmes dont
la part dans la main-d’œuvre industrielle passa de 37 à 60 % entre 1941 et 1945. La journée
de travail monte à 12 heures par jour, voire davantage. Les décès par épuisement au travail ne
sont pas rares dans les usines. Entre juillet 1941 et janvier 1942, en Russie d’Europe, 17
millions de personnes participent dans des conditions exténuantes au démontage et au
transfert de plus de 1.500 grandes entreprises industrielles dans l’Oural, la Volga, l’Asie
centrale et la Sibérie, transfert nécessitant la construction en quelques mois de plus de 10.000
km de voies ferrées. Plus de 2.600 usines auront été évacuées et reconverties dans l’industrie
de guerre. Leur remise en route, en plein hiver, n’exigera pas un effort moins gigantesque. Au
terme d’opérations titanesques d’une grande complexité logistique, plus de 10 millions
d’ouvriers prennent le chemin de l’Oural et, dès le début de 1942, après cet effort pharaonique
dont il n’existe aucun équivalent dans l’histoire industrielle de l’Europe, la production de
guerre soviétique est remontée à 50% de son niveau de 1940, malgré l’occupation par les
Allemands du cœur industriel de l'Union soviétique, le bassin de Donbass. Dès la fin de 1942,
l'URSS dépasse l’Allemagne dans sa production d’armements, et ce en dépit du fait que la
Wehrmacht occupe plus de la moitié de la partie européenne du territoire soviétique. En 1944,
la production soviétique de blindés et d’avions est alors le double et celle de canons usinés est
trois fois supérieure de la production allemande.
Les pertes civiles et militaires globales sur le front de l'Est sont estimées à plus de 30
millions de personnes, soit plus de la moitié des morts liés à la Seconde Guerre mondiale. Les
pertes en vies humaines sont colossales pour les deux camps. Les historiens russes estiment
les pertes soviétiques du conflit à 26,2 millions de tués (environ 16 % de la population de
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l’Union soviétique de 1940), dont 11 millions de militaires (6,8 millions de tués directs, 3,8
millions de prisonniers de guerre décédés dans les camps de concentration allemands et
400.000 tués au cours des opérations de luttes anti-partisanes par la Wehrmacht ou la Waffen
SS) 3, et 15,6 millions de civils conséquence de la guerre d’anéantissement menée par
l’Allemagne nazie en Union soviétique. À la fin du mois de mars 1945, la totalité des pertes
de la Wehrmacht sur le front russe s’élèvent à 6,2 millions d’hommes (tués, blessés, disparus),
soit près du double de ses effectifs initiaux au 22 juin 1941. Ce chiffre représente plus de 80
% des pertes subies par la Wehrmacht sur tous les fronts depuis le déclenchement de
l’opération Barbarossa en juin 1941. En mai 1945, on dénombre plus de 3 millions de
prisonniers allemands détenus en Union Soviétique dont très peu reviendront à l’Allemagne.
Plus de trois millions de civils allemands périront aussi durant le conflit notamment lors de
l’évacuation de la Prusse orientale en 1944-1945. Les tués de l’Armée rouge constituent 53 %
du total des pertes militaires connues en Europe, ceux de la Wehrmacht 31 %, ceux du
Royaume-Uni 1,8 %, ceux de la France 1,4 % et ceux de l’armée nord-américaine 1,3 %. Les
pertes militaires de l’URSS représentent 88 % du total des pertes alliées en Europe
(Royaume-Uni 3 %, France 2,3 % et États-Unis 2,2 %). Enfin, le deuxième front de l’Ouest –
réclamé à maintes fois par Staline pour affaiblir la pression allemande sur le front de l’Est –
qui fut finalement ouvert le 06.06.1944 avec le débarquement de Normandie, n’a eu
militairement qu’environ 11 mois d’existence, contre 47 mois pour le front russe ouvert en
juin 1941.
Trente-quatre millions de Soviétiques ont été mobilisés dans les rangs de l'Armée
rouge de 1941 à 1945, dont environ 8 millions appartiennent à des ethnies ou des minorités
non-slaves. L’ampleur de l’engagement allemand a aussi été gigantesque: quelque 20 millions
d’Allemands ont été mobilisés sur le front russe, de sorte que c’est toute la société allemande
qui fut impliquée dans l’expérience de la guerre sur le front de l'Est. Celle-ci a été voulue, dès
sa phase de préparation, comme une lutte à mort, exigeant un engagement sans limite et une
obéissance absolue, visant la destruction totale de l’ennemi. À ce titre, la guerre totale
déclenchée contre l'URSS constitue non seulement le sommet du régime nazi, mais aussi
l’élément essentiel de son image dans la mémoire collective des Allemands après la guerre. Il
n’est donc pas étonnant que pour l’écrasante majorité des soldats allemands, l’expérience de
la guerre est celle du front russe.
3
La Waffen-SS (littéralement «armée de l'escadron de protection») fut la branche militaire de la Schutzstaffel
(SS), dont elle constitua l'une des composantes les plus importantes avec l'Allgemeine SS, le Sicherheitsdienst
(SD) et les SS-Totenkopfverbände. Elle fut conçue à l'origine par Heinrich Himmler comme une armée politique,
uniquement constituée de nationaux-socialistes convaincus, soumis à de sévères critères de sélection notamment
basés sur les théories raciales nazies. Au fil du temps, elle intégra des troupes de toutes origines, des
Volksdeutsche (personnes d'origine germanique, mais hors du Reich) et des malgré-nous Alsaciens et Mosellans
dans une première phase, puis des personnes essentiellement issues des pays occupés (Belgique, Danemark,
URSS-Ukraine, etc.), sans se soucier de leur éventuelle origine germanique. Ces unités non allemandes furent
largement majoritaires à partir de 1944, avec près de 700.000 hommes sur un total de près d'un million de
membres de la Waffen-SS pendant toute la durée du conflit. Avec des motivations diverses, allant de
l'engagement nazi ou des convictions anticommunistes jusqu'aux conflits ethniques locaux (Ukraine), les unités
étrangères de la Waffen-SS furent un appoint important aux opérations militaires allemandes. Présentes sur tous
les fronts de 1939 à 1945, à l'exception de l'Afrique du Nord, les unités de la Waffen-SS se révélèrent de qualité
variable. Nombre d'entre elles firent preuve d'une grande combativité, essentiellement sur le front de l'Est. Elles
se singularisèrent par le nombre de leurs exactions et de leurs crimes de guerre.
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Le front de l’Est fut le théâtre de gigantesques batailles, telle que la bataille de
Koursk (du 5 juillet au 23 août 1943), qui fut un tournant du second conflit mondial dans la
mesure où la Wehrmacht perd définitivement l’initiative sur le théâtre d’opération russe et
passe sur la défensive. Trois armées allemandes regroupant 900.000 hommes, soit 50
divisions (avec notamment la Panzergrenadier-Division «Grossdeutschland», les divisions SS
«Leibstandarte Adolf Hitler», «Das Reich» et «Totenkopf»), dont 19 blindées et motorisées,
plus 20 divisions de réserve, 10.000 canons et mortiers, plus de 2.000 avions et 2.700 chars
(parmi lesquels 200 exemplaires du nouveau char Panther, 94 chars Tiger 1 et 90 chasseurs de
chars Ferdinand) se lancent à l’assaut de trois fronts soviétiques, comprenant les 6e et 7e
armées d’élite de la Garde qui avaient combattu si vaillamment à Stalingrad, regroupant
1.900.000 hommes, 3.300 chars, 19.300 canons et mortiers et 2.700 avions. Le IIIe Reich y
engage les ¾ de ses blindés, l’URSS la moitié des siens. Le 12 juillet 1943 les divisions
blindées allemandes et soviétiques se sont affrontées sur un territoire de vingt kilomètres
carrés près du nœud ferroviaire de Prokhorovka. Plus de 1.500 chars dont une centaine de
chars Pzkpfw VI Tiger (char de 56 t doté d'un redoutable canon de 88 mm et d'un blindage
frontal de 10 cm) ont pris part à cette bataille qui est considérée comme la plus grande bataille
de chars dans l’histoire militaire. Le choc est titanesque. Afin d’éliminer l’avantage des
canons allemands à longue portée, le général Rotmistrov fonce avec ses 500 blindés de la 5e
armée de chars de la Garde contre le IIe SS Panzerkorps. Il s’en suit une furieuse mêlée où, au
milieu de noirs nuages de poussière et de fumée, les canonniers des T-34 soviétiques tiraient à
bout portant sur les «Tigres» allemands. Une série d'attaques et contre-attaques rapides et
puissantes ont donné un aspect confus à la bataille, les lignes de chars s'entrechoquaient et
disloquaient les rangs. Les tirs s'effectuaient à courte distance avec une forte létalité. Du
champ de bataille s'élevait un fracas assourdissant de moteurs qui rugissaient, de métal qui
s'entrechoquait et de canons qui crachaient, tandis que cette scène dantesque se trouvait
éclairée par les flammes qui dévoraient les chars. L'affrontement se poursuivit, impitoyable,
tard dans la soirée, mais les Russes ont fait preuve d'un courage extraordinaire et l'ennemi n'a
pas pu s'ouvrir la route de Koursk. Selon les sources soviétiques, dans la bataille de Koursk la
Wehrmacht a perdu 30 divisions, dont 7 blindées, plus de 500.000 soldats et officiers, 1.500
chars et armes d'assaut, plus de 3.700 avions et 3.000 canons. Envenimée par la défaite, la
propagande nazie proclamera que le front de l'Est est la défense par l'Allemagne de la
civilisation occidentale contre les hordes bolchéviques qui se déversent sur l'Europe.
En conclusion, le théâtre d'opérations de l’Est constitue le plus déterminant dans la
chute du Troisième Reich et le sort de la guerre s’y est joué. Non seulement la Wehrmacht y a
engagé l’essentiel de son effort de guerre, mais elle y a subi approximativement 85% de ses
pertes, faisant ainsi de la Russie «le tombeau de l’armée allemande» 4. Il a comme
conséquences la destruction de l'Allemagne comme puissance militaire, l'accession de l'Union
soviétique au rang de la seconde puissance militaire au monde, la constitution du bloc
soviétique en Europe de l’Est (derrière le «rideau de fer») et la division de l'Allemagne.
4
Cf. Philippe Masson, «Histoire de l’armée allemande 1939-1945», Paris, Perrin, 1994, p. 474; (cf. aussi «Le
Feld-maréchal Erich von Manstein ou le virtuose de la stratégie au service du diable. Un allié ou une victime de
l’entreprise hitlérienne d’agression et de destruction en Europe?», Benoît Lemay, Étudiant post-doctoral en
histoire, Paris IV-Sorbonne, article publié par l’Association québécoise d'histoire politique, Bulletin d’histoire
politique, volume 16, numéro 1).
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Cependant, l’Union Soviétique sort considérablement appauvrie de la guerre, qui lui a
coûté plus de 26 millions de morts civils et militaires (16 % de sa population), ainsi que les
pires destructions jamais subies par un belligérant dans l’histoire humaine. La situation des
États-Unis est différente: le territoire américain n'a pas subi de dommages (à part ceux de
l'attaque japonaise de Pearl Harbour aux îles Hawaï). L'agriculture, les réserves d'or et les
infrastructures industrielles de ce pays ne sont pas affectées et sa situation économique est
bonne grâce aux ventes du matériel militaire notamment à la France au début du conflit, dans
le cadre du programme «cash and carry». Les destructions subies font que,
technologiquement, l’Union soviétique accuse un retard sur l’Amérique, dont elle ne brise le
monopole nucléaire qu’en 1949.
La fin du conflit à l'Est bouleverse les frontières de l'Europe de l'Est: absorption des
Pays baltes dans l'URSS, déplacement de la Pologne d'environ 200 km vers l’ouest,
disparition de la Prusse-Orientale, création d'une enclave russe autour de la ville de
Königsberg - renommée Kaliningrad -, création de la république soviétique de Moldavie.
Malgré l'intensité, l'étendue et les répercussions du conflit sur le front de l'Est, son
histoire reste encore largement méconnue en Europe occidentale. La «guerre froide» a sans
doute joué un rôle important dans cet «oubli». La diabolisation de l'URSS durant cette période
a en effet occulté son rôle décisif dans la destruction du Troisième Reich. La fermeture des
archives a également joué un grand rôle. Jusqu'en 1991, les documents soviétiques sur cette
période étaient en grande partie inaccessibles pour éviter de dévoiler des documents pouvant
discréditer le régime. Cela fait que le travail des historiens reposait presque exclusivement sur
les documents allemands avec tous les problèmes provoqués par une lecture à sens unique de
la guerre 5. L'ouverture des archives au moment de la chute du bloc de l'Est permit de
comprendre le redressement spectaculaire de l'URSS et de l'Armée rouge en 1942, ainsi que
de montrer le courage et les capacités du soldat soviétique.
La Conférence de Potsdam (du 17 juillet au 2 août 1945) consacre le triomphe de
l’URSS. Elle détruit la grande Allemagne hitlérienne. Elle reconstitue une Autriche
indépendante et neutre et reconnaît à la Pologne le droit d'administrer les provinces
allemandes situées à l'est de la ligne Oder-Neisse, en attendant un plébiscite et un traité de
paix. L'Allemagne perd la Prusse-Orientale au profit de la Pologne et de la Russie qui occupe
désormais Königsberg (renommée Kaliningrad). La ville libre de Dantzig (Gdansk) est placée
sous administration polonaise. Ceci représente une perte d'environ 25 % de son territoire dont
la Haute-Silésie, deuxième centre industriel du pays.
5
De même, les mémoires de généraux allemands, en particulier de celles d'Erich von Manstein et de Heinz
Guderian, avancèrent que les génocides et crimes de guerre avaient été commis par la SS et que la Wehrmacht
avait mené une guerre honorable. Cette idée d'une Wehrmacht «propre» se répandit largement au début de la
guerre froide où il était plus facile de considérer qu'Hitler était seul responsable des atrocités de la guerre et de la
défaite allemande agissant contrairement aux avis de ses officiers expérimentés, alors que l’Allemagne de l’ouest
fut autorisée recréer des unités militaires. Le rôle de la Wehrmacht dans les crimes de guerre ne fut pas
sérieusement réexaminé avant les années 1980 et, en 2000 un comité d'historiens déclara que la Wehrmacht ne
«s'était pas seulement empêtrée dans le génocide des juifs et dans les autres crimes de guerre mais qu’elle y
avait participé, en jouant tantôt un rôle de premier plan, tantôt d’homme de main». (Source: Wikipedia).
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La Conférence de Potsdam entérine le partage du reste de l’Allemagne entre les trois
armées soviétique, américaine et anglaise. Londres et Washington s'entendent pour concéder
une zone d'occupation à la France libre du général de Gaulle en prélevant celle-ci sur leur
propre zone. Enclavé dans la zone d'occupation soviétique, le Grand-Berlin (2,8 millions
d'habitants sur 883 km2) est lui-même partagé entre les quatre vainqueurs tout en conservant
une administration municipale unique. Les accords de Potsdam entérinent aussi les
gigantesques transferts de populations (Allemands et Polonais chassés de l'est, Allemands
chassés de Silésie, les Sudètes et les hongrois chassés de Tchécoslovaquie, etc.). Au total sont
déplacés onze millions d'Allemands entre 1945 et 1947. L'Italie perd ses colonies africaines:
l'Érythrée (administrée par les Britanniques puis cédée à l'Éthiopie), la Somalie italienne
(administrée par les Britanniques, puis de nouveau administrée par l'Italie sur mandat des
Nations Unies de 1950 à 1960), la Libye italienne (occupée par le Royaume-Uni et la France,
puis indépendante en 1951) et l'Éthiopie (qui retrouve son indépendance). L'Albanie, occupée
peu avant la guerre retrouve son indépendance 6. Les cantons français annexés durant la guerre
sont rétrocédés à la France. Le document final de la conférence prévoit le désarmement et la
dénazification de l'Allemagne dans le droit fil de la Conférence de Yalta (04-11.021945).
C'est ainsi que s'ouvrira à Nuremberg le procès des responsables nazis, le 14.06.1945.
Image N° 1: La victoire
Défilé du 24 juin 1945 sur la Place Rouge. On peut voir les étendards à terre des 607 divisions nazies vaincues !
6
La guerre civile en Grèce (1945-1949) empêchera ce pays de récupérer après la fin de la Seconde Guerre
mondiale l’Epire du nord, région habitée traditionnellement et majoritairement par des grecs mais rétrocédée à
l’Albanie en 1913; cependant cette région fut libérée lors de la contre-offensive victorieuse de l’armée grecque
durant l’hiver 1940 contre les forces d’invasion italiennes (28.10.1940). En fait, les rebelles communistes qui
combattaient les forces du gouvernement Royal trouvaient refuge et se ravitaillaient dans l’Albanie communiste
voisine. Ils furent finalement écrasés lors des batailles de Grammos-Vitsi (août 1949).
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10
Images N° 2 & 3 : La bataille de Koursk
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11
2. LA «GUERRE FROIDE»
L
a rupture de la grande alliance de guerre contre l'Allemagne marque le début
de la «guerre froide» 7. Deux blocs se forment alors, se groupant autour de
valeurs communes, partagées ou imposées et se dotent d'institutions collectives
aussi bien politiques que militaires. La rivalité des deux grandes puissances, soviétique et
américaine, est à l'origine de la création d'un monde bipolaire.
Dès 1946, Churchill fait apparaître le concept de "rideau de fer", i.e. la situation de
partage de l'Europe. Forte de sa victoire militaire sur l’Allemagne nazi, l'URSS tente d'étendre
son influence selon le principe du "glacis protecteur". Elle installe des gouvernements
communistes dans tous les pays de l’Europe centrale et orientale libérés par l'Armée rouge.
Certains pays choisissent le communisme, alors que d'autres y sont contraints. L'URSS a des
visées hégémoniques aussi vers le Sud, et particulièrement vers la Grèce et la Turquie. Cette
dernière contrôle les détroits du Bosphore et de l’Hellespont depuis la chute de l’empire
byzantin en 1453 et la Grèce est en situation de guerre civile suite au soulèvement
communiste de décembre 1945. Si les Etats-Unis se sentent impuissants pour empêcher la
progression soviétique à l'ouest, ils s’opposent cependant résolument à l'expansionnisme
soviétique vers le sud en vertu de la «doctrine Truman», selon laquelle les Etats Unis se
réservent le droit d'intervenir ouvertement chaque fois qu'un pays risque de basculer sous le
coup de l'URSS. Début 1947, cette doctrine est officialisée juste après que le Congrès ait
accordé de plus gros moyens militaires pour la Grèce pour venir à bout de l’insurrection
communiste. La doctrine Truman est aussi connue sous le nom de "Containment", càd
l’endiguement du communisme. Elle est pourvue des moyens d'actions suivants:
• sur le plan militaire: le Traité de l’Atlantique Nord (NATO/OTAN), en 1949 ;
• sur la plan économique: le plan Marshall 8, signé par le président Truman en 1948, qui
consiste en dons et prêts aux pays d'Europe pour les aider à se reconstruire de la sorte que les
Soviétiques ne récupèrent pas ces pays du fait de leur affaiblissement.
La réplique soviétique à la doctrine Truman est la «doctrine Jdanov» 9. Jdanov
propose une analyse manichéenne qui allait devenir caractéristique de la problématique de la
7
L'expression "Guerre Froide" provient du journaliste américain Herbert Bayard Swope suite à un discours
qu'il a écrit en 1947.
8
Du nom du Secrétaire d'État des États-Unis, le général George Marshall, qui l’a élaboré. Officiellement appelé
«Programme de rétablissement européen». L'administration Truman le préféra au plan Morgenthau qui prévoyait
de faire payer les réparations par l'Allemagne. Le mécanisme retenu consistait pour les États-Unis à fournir un
crédit à un État européen. Ce crédit servait à payer des importations en provenance des États-Unis. L'État
européen bénéficiaire encaissait, en monnaie locale, le produit des ventes de ces importations sur son marché
national, ainsi que les droits de douanes afférents. Parallèlement cet État devait octroyer à des agents
économiques nationaux (entreprises ou administrations) des crédits destinés à des investissements d'un montant
deux fois supérieur au crédit qu'il avait lui-même reçu. L'État bénéficiaire devait en outre faire la preuve qu'il
autofinançait sa part, sans recourir à la création monétaire. Par ce montage, les États-Unis encourageaient un
effort significatif d'équipement et d'épargne en Europe. La reconstruction européenne, relativement rapide, fut
largement stimulée par l'aide américaine, tandis que l'économie américaine évita ainsi la récession à cause d'une
surproduction massive qu'aurait pu entraîner la cessation des hostilités
9
La «doctrine Jdanov», du nom du 3e secrétaire du Parti communiste de l'Union soviétique, proclamée le 22
septembre 1947, au début de la Guerre froide, affirme la division du monde en deux camps : les « forces
impérialistes », dirigées par les États-Unis, et les « pacifistes », menées par l'URSS.
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12
Guerre froide qui s'annonce alors. Contre la domination mondiale de l'impérialisme
américain, il fallait mobiliser toutes les forces. C'est aux partis communistes qu'incombe le
rôle historique de se mettre à la tête de la résistance au plan américain d'asservissement
économique et politique de l'Europe. C'est la première officialisation de la bipolarité. Le
COMECON 10 est créé en 1949 en réponse à l’OECE 11 et le pacte de Varsovie 12 est conclu en
1955 en réponse à l’OTAN.
L'affrontement entre l'Est et l'Ouest affirma donc la position des deux grandes
puissances dans de futurs conflits, dont la lutte pour l'Allemagne, la Guerre de Corée et la
Crise des Missiles de Cuba.
2.1
Les crises de la guerre froide
2.1.1 Le blocus de Berlin (1948-1949)
L'enjeu majeur de la guerre froide, c'est le partage de l'Europe, notamment de
l’Allemagne vaincue, et plus précisément de sa capitale Berlin. La première crise importante
est celle du blocus de Berlin: c'est une crise qui a opposé les Américains et leurs alliés à
l'URSS, de juin 1948 à mai 1949. Berlin concrétise la guerre froide.
Berlin, situé en plein dans la zone soviétique (de la division quadripartite de
l'Allemagne), était également divisé en 4 zones. Les alliés occidentaux veulent réunifier leurs
3 zones, mais l'URSS réplique en bloquant l'accès des alliés aux zones de Berlin. La coupure
de toutes les routes terrestres empêche l'approvisionnement de ces 3 zones. En conséquence
les alliés régissent pacifiquement et instaurent un pont aérien de ravitaillement. La guerre
froide est une partie à la fois de force de bluff, sous l’ombre de la menace nucléaire.
Cette situation dure jusqu'en mai 1949. Elle aboutit à un partage de l'Allemagne
différent. Les 3 zones d'influence occidentales sont unifiées le 8 mai 1949 en République
10
Le Conseil d'assistance économique mutuelle ou Conseil d'aide économique mutuelle (CAEM, également
désigné par l'acronyme anglais «Comecon Council for Mutual Economic Assistance» (en russe: Совет
Экономической Взаимопомощи, - СЭВ) était une organisation d'entraide économique entre différents pays du
bloc communiste. Créé par Staline en 1949 en réponse à l'OECE capitaliste, il s'est dissous avec la chute de
l'empire soviétique en juin 1991, à la fin de la Guerre froide.
11
L’Organisation européenne de coopération économique (OECE) (en anglais «Organisation for European
Economic Co-operation» - OEEC) est l'ancêtre de l'OCDE. Fondée le 16 avril 1948, elle eut la charge initiale de
répartir les crédits accordés par le Plan Marshall entre les pays de l'Europe occidentale. Elle contribua également
à la libéralisation des échanges (dans le cadre du GATT) et permit le renforcement de la coordination
économique entre les pays membres.
12
Le pacte de Varsovie groupait les pays d'Europe centrale (appelée aussi Europe de l'Est) avec l'URSS dans un
vaste ensemble économique, politique et militaire. L'alliance militaire fut conclue le 14 mai 1955 entre la plupart
des États du bloc communiste par le traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle. Nikita
Khrouchtchev, qui en fut l'artisan, l'avait conçu dans le cadre de la Guerre froide comme un contrepoids à
l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) qui, avait vu le jour en 1951 à la suite du Traité de
l'Atlantique Nord de 1949. Mais la principale raison ayant motivé la formation du pacte de Varsovie, selon
l'exposé des motifs, fut l'adhésion de la République fédérale d'Allemagne «en voie de remilitarisation» au traité
de l'Atlantique Nord le 9 mai 1955, (soit à peine 10 ans après la fin de la Seconde guerre mondiale), rendu
possible après la ratification par les pays occidentaux des accords de Paris. Le traité créait un commandement
unifié et un comité consultatif politique, où chaque État était représenté et qui se réunit deux fois par an. Le
premier commandant en chef fut le maréchal Koniev. Les forces armées de la République démocratique
allemande ne furent officiellement intégrées au pacte qu'en janvier 1956.
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13
Fédérale Allemande (RFA). Les Soviétiques répliquent en octobre 1949 en créant la
République Démocratique allemande (RDA). La division de l'Allemagne et de Berlin devient
officielle en octobre 1949.
Les deux Europes (Ouest et Est) s'organisent de façon différente:
- L'Europe de l'Ouest s'organise de façon autonome et indépendante: création de l’Alliance
Atlantique (1949), de la CECA (1952) et de la CEE (1958).
- L’Europe de l'Est passe essentiellement sous la tutelle de l'URSS avec la création du
COMECON en 1949 et du Pacte de Varsovie en 1955, qui est une réplique face à l'OTAN. Le
bloc de l'Est a été constitué à l'avantage de l'URSS et toute tentative d'indépendance est
fermement réprimée conformément à la «doctrine Brezhnev». 13
2.2.2
La guerre de Corée (1950-1953)
La péninsule Coréenne était occupée par l'empire du Japon depuis 1910. Après la
reddition du Japon en septembre 1945, États-Unis et Union soviétique se partagèrent
l'occupation de la péninsule le long du 38e parallèle, avec au sud des forces américaines
d'occupation et au nord des forces soviétiques. L'échec de tenue d'élections libres dans la
péninsule en 1948 aggrava la division entre les deux côtés. Le Nord établit un gouvernement
communiste, tandis que le Sud établit un gouvernement pro-américain. Le 38e parallèle devint
une frontière politique entre les deux États coréens.
La situation conflictuelle entre les deux Corées se transforma en guerre ouverte
lorsque des forces du Nord passent le 38° parallèle et attaquent le sud (25.06.1950). Les
Coréens du Sud font alors appel à l'ONU pour leur demander d'intervenir en leur faveur.
L'ONU a 5 membres permanents et chacun de ces membres possèdent un droite de veto, mais
en ce moment l'URSS boycottait le conseil de sécurité, car l'ONU refusait de reconnaître la
Chine populaire, mais seulement la Chine de Formose (Taiwan). En l'absence d'un veto de
l'Union soviétique, les États-Unis et leurs alliés votèrent une résolution autorisant une
intervention militaire en Corée. Les États-Unis fournirent 88 % des 341.000 soldats
internationaux (ONU et pas américains) sous le commandement du général Mac Arthur qui
aidèrent les forces du Sud. Alors qu'elle n'amena pas directement de troupes sur le terrain,
l'Union soviétique fournit de l'aide matérielle aux armées nord-coréenne et chinoise.
La situation tourne rapidement à l'avantage de la Corée du sud, et les troupes du Sud
passent le 38° parallèle et pénètrent au Nord. Si l'URSS n'intervient pas directement, la Chine
populaire le fait et aide les Coréens du Nord. Environ 1,7 million de «volontaires chinois»,
commandés par Lin Biao, forcèrent les Sud-Coréens et les troupes de l'ONU à se replier
derrière le 38e parallèle à la mi-octobre 1950. En janvier 1951, les Communistes reprirent
13
La «doctrine Brejnev» est la doctrine soviétique de politique étrangère qui servit à justifier a posteriori
l'intervention de 1968 à Prague. Elle fut formulée le 3 août 1968 à Bratislava, lors d'une réunion du Pacte de
Varsovie. Elle prône une souveraineté limitée des États satellites de l'URSS en ce que le caractère conforme au
communisme de leur politique est apprécié à l'échelon supranational de tous les États socialistes, de fait par
l'URSS. Elle visait essentiellement à préserver l'attachement des pays satellites au bloc soviétique et à éviter
toute évolution libérale ou anti-communiste. Plus généralement, Léonid Brejnev voulait défendre le monopole du
pouvoir du parti communiste partout où il était menacé. Il considérait que la sauvegarde du socialisme ne serait
possible que si l'URSS pouvait intervenir préventivement et militairement dans les États satellites.
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14
Séoul, reprise ensuite par les Américains en mars 1951. Le front alors se stabilise autour du
32° parallèle et la guerre s'enlise. Mac Arthur propose d’utiliser l'arme nucléaire, et veut
continuer la guerre sur le territoire chinois, mais il est renvoyé.
Les pourparlers de paix sont entamés et ils conduisent à l'Armistice de Panmunjeom,
le 27 juillet 1953, mais le Traité de paix n'est pas signé. L'accord restaurait la frontière entre
les deux Corées près du 38e parallèle et créait la zone coréenne démilitarisée, une zone
tampon fortifiée entre les deux nations coréennes. Les deux pays étant encore officiellement
en guerre, des incidents mineurs continuent de se produire encore aujourd'hui. On estime que
le conflit a fait plus de 800.000 tués parmi les militaires coréens, nordistes et sudistes,
probablement autant parmi les militaires chinois et 57.000 parmi les militaires des forces de
l'ONU. Le nombre de victimes civiles est estimé à 2 millions et à 3 millions de réfugiés. La
péninsule coréenne a été dévastée par les combats et les bombardements, Séoul est ainsi
détruite à plus de 70 %
Durant ce conflit, chacun des deux blocs a tenté de garder sa zone d'influence sans
vouloir utiliser la bombe atomique. Cela montre l'étendue mondiale de la guerre froide, mais
aussi le pouvoir dissuasif de l’arme nucléaire par la crainte d’une troisième guerre mondiale.
Grâce à la dissuasion nucléaire, on entre dans l'équilibre de la terreur: Chaque partie
développe quantitativement et qualitativement sa puissance nucléaire. On aboutit à une
situation d'équilibre entre les deux superpuissances, il y a un statu quo dans toutes les zones
d'influence. Cet équilibre est remis en cause par Moscou par deux fois: avec la construction
du mur de Berlin en 1961, avec la crise des missiles de Cuba en 1962.
2.2.3
La construction du Mur de Berlin (1961)
Dans la nuit du 12 au 13 août 1961, les autorités de la République démocratique
allemande (RDA) commencent à couler du béton et à tendre des barbelés sur la ligne qui
sépare à Berlin la zone sous occupation soviétique de la zone sous occupation américaine,
anglaise et française. En interdisant la libre circulation entre les deux parties de la ville, les
Soviétiques veulent stopper l'émigration vers l’ouest des citoyens est-allemands et asphyxier
économiquement Berlin-Ouest. Plus qu'un simple mur, il s'agissait d'un dispositif militaire
complexe comportant deux murs de 3,6 mètres de haut avec chemin de ronde, 302 miradors et
dispositifs d'alarme, 14.000 gardes, 600 chiens et des barbelés dressés vers le ciel. Un nombre
indéterminé de personnes sont victimes des tentatives de franchissement du mur.
Le mur de Berlin (en allemand Berliner Mauer) – dénommé «mur de la honte» par les
Allemands de l'ouest et «mur de protection antifasciste» par les Allemands de l’est - sépara
physiquement la ville en Berlin-Est et Berlin-Ouest pendant plus de vingt-huit ans, et
constitue le symbole le plus marquant d'une Europe divisée par le «Rideau de fer».
Deux semaines après la construction du mur de Berlin, le checkpoint Charlie est le
théâtre d’une épreuve de force entre Américains et Soviétiques. Pendant plusieurs heures,
blindés américains et soviétiques, distants de quelques dizaines de mètres, se font face au
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15
niveau du point de passage entre Berlin-Est et Berlin-Ouest. Soucieuses de ne pas risquer un
conflit armé pour de simples provocations, les deux armées reculeront.
John Fitzgerald Kennedy (JFK) est le premier président américain à fouler le sol de
l'ancienne capitale du Reich, depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Pendant sa courte
visite (moins de huit heures) du mercredi 26 juin 1963, il prononce une petite phrase
improvisée en allemand: "Ich bin ein Berliner" ("Je suis un Berlinois") 14. Elle entre
immédiatement dans l'histoire. Prononcée à la frontière entre les blocs de l'Est et de l'Ouest,
en pleine guerre froide, elle fait presque oublier le reste du discours virulent de JFK à l'égard
des communistes. Kennedy sera assassiné moins de cinq mois plus tard, à Dallas (Texas).
Le Mur de Berlin tombera le 9 novembre 1989, en ouvrant la voie à la réunification
allemande et en annonçant la chute du communisme en Europe et l’effondrement de l’URSS.
2.2.4 Le Débarquement de la baie des Cochons et la Crise des missiles de Cuba (1961-1962)
Cuba a été longtemps sous le protectorat américain et son président Batista était à leur
solde, bien que Cuba soit indépendant. Les États-Unis poursuivirent une ingérence marquée
(«amendement Platt», Politique de bon voisinage, présence américaine dans la baie de
Guantánamo) et beaucoup pensaient que le protectorat n'était plus acceptable. Fidel Castro 15
14
A 12h50 du 26.06.1963, John F. Kennedy arrive à la mairie de Schöneberg, un quartier du sud-ouest de
Berlin. Sur la place Rudolph-Wilde, quelque 400.000 personnes attendent son discours. Mais Kennedy est en
train d'y apporter quelques modifications. Le président américain n'est pas aussi germanophone que le général
De Gaulle, et ne veut pas risquer de se ridiculiser. Il a renoncé, en préparant son voyage, à tenir tout un discours
dans cette langue qu'il ignore. JKF demande alors à son traducteur comment dire "Je suis un Berlinois". Il note
ensuite, en phonétique, "Ish bin ein Bearleener", ainsi que la citation en latin à laquelle il fait allusion (Civis
romanus sum, "je suis un citoyen romain"). Cette petite phrase n'a pas seulement permis à JFK d'être longuement
applaudi ce jour-là. Elle a aussi amusé les caricaturistes américains et longtemps été considérée comme une drôle
de faute grammaticale. Des mauvaises langues assurent que "Ich bin ein Berliner" signifierait "je suis un
beignet" et que JFK aurait dû dire "Ich bin Berliner". Les médias de l'époque s'en sont délectés, mais la
grammaire allemande autorise la formulation employée par le président américain. D'autant plus que la version
"Ich bin Berliner" aurait donné l'impression qu'il se présentait comme originaire de Berlin, effaçant l'effet de
style recherché. D'autres hommes politiques, après JFK, ont rêvé de marquer l'histoire avec une déclaration aussi
efficace. Nicolas Sarkozy, par exemple, en 2009, pour la célébration des 20 ans de la chute du mur de Berlin,
s'est essayé à la langue allemande. Avec moins de succès. Voulant trouver sa propre formule, l'ancien président
de la République française a maladroitement lancé: "Nous sommes du bouillon, nous sommes Berlin". Sa langue
a fourché et il a confondu "Brüder" qui signifie "frères" avec "Brühe", que l'on peut traduire par "bouillon" ou
"jus de chaussette".
15
Leader historique de la Révolution cubaine qui a marqué à jamais l’histoire de Cuba et de l’Amérique latine,
faisant de son pays un symbole de résistance et de dignité. Issu d’une fratrie de sept enfants, Fidel Alejandro
Castro Ruz est né le 13 août 1926 à Birán dans l’actuelle province d’Holguín, de l’union entre Angel Castro
Argiz, un riche propriétaire terrien espagnol originaire de Galice, et Lina Ruz González, cubaine de naissance. À
l’âge de sept ans, il part pour la ville de Santiago de Cuba et réside chez une institutrice chargée de son
éducation. Celle-ci l’abandonne à son sort. Un an plus tard, il intègre le collège religieux des Frères de la Salle
en janvier 1935 en tant qu’interne. Il quittera l’institution à l’âge de onze ans pour le collège Dolores, en janvier
1938, après s’être rebellé contre l’autoritarisme d’un enseignant. Il poursuit ensuite sa scolarité chez les jésuites
au collège de Belén de La Havane de 1942 à 1945. En 1945, Fidel Castro entre à l’université de La Havane, où il
entreprend une carrière de droit. Élu délégué de la faculté de droit, il participe activement aux manifestations
contre la corruption du gouvernement du président Ramón Grau San Martín. Il n’hésite pas non plus à dénoncer
publiquement les bandes armées du BAGA liées aux autorités politiques. En 1947, à l’âge de 22 ans, Fidel
Castro participe avec Juan Bosch, futur président de la République dominicaine, à une tentative de débarquement
de Cayo Confite pour renverser le dictateur Rafael Trujillo, alors soutenu par les États-Unis. Un an plus tard, en
1948, il participe au Bogotazo, soulèvement populaire déclenché par l’assassinat de Jorge Eliécer Gaitán, leader
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16
politique progressiste, candidat aux élections présidentielles en Colombie. En octobre 1948, Fidel Castro épouse
Mirta Diaz Balart, la sœur de Rafael Diaz Balart qui sera membre du gouvernement du dictateur Fulgencio
Batista. Le premier fils de Fidel Castro, Fidel Félix “Fidelito” Castro Díaz Balart, naît en septembre 1949. Mais
les relations entre Fidel Castro et Mirta ne sont pas au beau fixe et le couple divorcera quelques années plus tard
en 1955. Diplômé de droit en 1950, Fidel Castro exerce en tant qu’avocat jusqu’en 1952 et défend les petites
gens, avant de se lancer en politique. Fidel Castro n’a jamais milité au sein du Parti socialiste populaire (PSP),
parti communiste de la Cuba prérévolutionnaire. Il était membre du Parti du peuple cubain, également appelé
Parti orthodoxe, fondé en 1947 par Eduardo Chibás. Le programme du Parti orthodoxe de Chibás est progressiste
et se base sur plusieurs piliers : la souveraineté nationale, l’indépendance économique par la diversification de la
production agricole, la suppression des latifundios, le développement de l’industrie, la nationalisation des
services publics, la lutte contre la corruption et la justice sociale avec la défense des travailleurs. Fidel Castro
revendique son appartenance à la pensée de José Martí, de Chibás et anti-impérialiste. Orateur de grand talent, il
se présente aux élections parlementaires en tant que candidat du Parti du peuple cubain en 1952. Le 10 mars
1952, à trois mois des élections présidentielles, le général Fulgencio Batista brise l’ordre constitutionnel en
renversant le gouvernement de Carlos Prío Socarrás. Il obtient le soutien immédiat des États-Unis, qui
reconnaissent officiellement la nouvelle dictature militaire. L’avocat Fidel Castro dépose plainte contre Batista
pour rupture de l’ordre constitutionnel. La Cour Suprême, inféodée au nouveau régime, juge la demande
irrecevable. Le 26 juillet 1953, Fidel Castro prend la tête d’une expédition de 131 hommes et lance une attaque
contre la caserne Moncada de Santiago de Cuba, seconde forteresse militaire du pays, et contre la Caserne Carlos
Manuel de Céspedes de la ville de Bayamo. Le but était de prendre le contrôle de Santiago – berceau historique
des révolutions – et de lancer un appel à la rébellion dans tout le pays afin de renverser le dictateur Batista.
L’opération est un échec sanglant et de nombreux combattants – 55 au total – faits prisonniers sont assassinés
après avoir été torturés par l’armée. Quelques-uns réussissent à s’échapper grâce au soutien de la population.
Fidel Castro, capturé quelques jours plus tard, doit sa vie au sergent Pedro Sarría, qui refuse de suivre les ordres
de ses supérieurs et de l’exécuter sur place. Durant sa plaidoirie historique intitulée «L’Histoire m’acquittera»,
Fidel Castro, qui assure sa propre défense, dénonce les crimes de Batista et la misère dans laquelle vit le peuple
cubain et présente son programme pour une Cuba libre basé sur la souveraineté nationale, l’indépendance
économique et la justice sociale. Condamné à 15 ans de prison, Fidel Castro est libéré deux ans plus tard (1955),
suite à une amnistie générale accordée par le régime de Batista. Il fonde le Mouvement du 26-Juillet (M 26-7) et
fait part de son projet de poursuivre la lutte contre la dictature militaire avant de s’exiler au Mexique. Fidel
Castro reçoit un entrainement militaire de la part du colonel de l’armée républicaine espagnole Alberto Bayo
(1892–1967) exilé au Mexique et y organise l’expédition du Granma, en compagnie d’un médecin argentin
nommé Ernesto «Ché» Guevara. En octobre 1955, afin de récolter des fonds nécessaires à l’expédition, Fidel
Castro réalise une tournée aux États-Unis et se réunit avec les exilés cubains y compris l’ex-président Carlos Prío
Socarrás. Le 2 décembre 1956, Fidel Castro embarque dans le port de Tuxpán au Mexique à bord du bateau
Granma d’une capacité de 25 personnes. Les révolutionnaires sont 82 au total et mettent le cap sur Cuba avec
l’objectif de déclencher une guerre de guérilla dans les montagnes de la Sierra Maestra. La traversée se
transforme en cauchemar en raison des conditions climatiques adverses et de la surcharge du bateau. Après une
traversée de sept jours, le 2 décembre 1956, la troupe débarque dans un marécage. Elle est dispersée par les tirs
de l’aviation et pourchassée par 2.000 soldats de Batista qui attendaient les révolutionnaires. Quelques jours plus
tard, à Cinco Palmas, Fidel Castro retrouve son frère Raúl Castro et 10 autres expéditionnaires. La guerre de
guérilla débute et durera 25 mois. En février 1957, l’interview de Fidel Castro réalisée par Herbert Matthews du
New York Times permet à l’opinion publique mondiale de découvrir l’existence d’une guérilla à Cuba. Batista
avouera plus tard dans ses mémoires que grâce à ce scoop médiatique «Castro commençait à devenir un
personnage de légende». En dépit des déclarations officielles de neutralité dans le conflit cubain, les États-Unis
ont apporté leur soutien politique, économique et militaire à Batista. Malgré l’appui des USA et une écrasante
supériorité en hommes et équipement, Batista ne put vaincre une guérilla composée de quelques centaines de
guérilleros lors de l’offensive finale durant l’été 1958 («operación Verano») qui mobilisa plus de 10.000 soldats
gouvernementaux. Le 23 décembre 1958, à une semaine du triomphe de la Révolution, alors que l’armée de
Fulgencio Batista est en déroute malgré sa supériorité en hommes et en armes, a lieu la 392ème rencontre du
Conseil de sécurité nationale, en présence du Président Eisenhower. Allen Dulles, directeur de la CIA, exprime
clairement la position des États-Unis: «Nous devons empêcher la victoire de Castro». Le 28.12.1958, Ernesto
«Ché» Guevara livre la bataille décisive de Santa Clara où il réussit à dérailler et à capturer un train blindé plein
d’armement et à vaincre les forces gouvernementales en dépit de leur supériorité numérique écrasante (cf. infra).
Le 1er janvier 1959 - soit cinq ans, cinq mois et cinq jours après l’attaque de la caserne Moncada du 26 juillet
1953 - fut déclaré le triomphe de la Révolution cubaine. Lors de la formation du gouvernement révolutionnaire
en janvier 1959, Fidel Castro est nommé ministre des Forces armées. Il n’occupe ni la Présidence, dévolue au
juge Manuel Urrutia, ni le poste de Premier Ministre, occupé par l’avocat José Miró Cardona. Les accueillent
Les dignitaires de l’ancien régime, emportant dans leur fuite 424 millions de dollars du Trésor public, trouvent
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prend la tête d'une armée rebelle en 1956 et renverse le dictateur Fulgencio Batista 16 le 1er
janvier 1959. Les anticastristes se réfugient aux Etats Unis. Le crédit de Castro auprès de la
population cubaine est énorme. Un premier gouvernement temporaire est mis en place,
associant toutes les forces d'opposition à Batista et avec comme président Manuel Urrutia. Ce
gouvernement est reconnu par les États-Unis le 7 janvier 1959 et Fidel Castro est nommé
Premier ministre en février 1959. Ce gouvernement a pour mission de préparer des élections
dans les 18 mois. Cuba devra cependant affronter l'opposition croissante des États-Unis aux
refuge aux États-Unis qui reconnaissent le nouveau gouvernement de Manuel Urrutia le 7 janvier 1959. En
février 1959, le Premier Ministre Cardona, opposé aux réformes économiques et sociales, qu’il juge trop
radicales (projet de réforme agraire), présente sa démission. Manuel Urrutia fait alors appel à Fidel Castro pour
occuper le poste. En juillet 1959, face à l’opposition du Président Urrutia qui refuse de nouvelles réformes, Fidel
Castro démissionne de son poste de Premier Ministre. D’immenses manifestations populaires éclatent alors à
Cuba, exigeant le départ d’Urrutia et le retour de Fidel Castro. Le nouveau Président de la République Osvaldo
Dorticós le nomme de nouveau Premier Ministre. Dès le départ, Fidel Castro fait montre de sa volonté
d’entretenir de bonnes relations avec Washington. Néanmoins, lors de sa première visite aux États-Unis en avril
1959, le Président Eisenhower refuse de le recevoir et préfère aller jouer au golf. John F. Kennedy exprimera ses
regrets à ce sujet: «Fidel Castro fait partie de l’héritage de Bolivar. Nous aurions dû faire un accueil plus
chaleureux au jeune et fougueux rebelle lors de son triomphe». Fidel Castro ne se rapproche de Moscou qu’en
février 1960 et n’acquiert des armes soviétiques qu’après s’être heurté au refus des États-Unis à cet égard. En
mars 1960, l’administration Eisenhower prend la décision formelle de renverser Fidel Castro. Au total, le leader
de la Révolution cubaine réchappera à non moins de 637 tentatives d’assassinat. En mars 1960, le sabotage par la
CIA du navire français «La Coubre» chargé d’armes dans le port de La Havane fait plus d’une centaine de morts.
Dans son discours en hommage aux victimes, Fidel Castro lance le slogan «La Patrie ou la mort» (patria o
muerte) inspiré de celui de la Révolution française en 1793 «Liberté, égalité, fraternité ou la mort». Le 16 avril
1961, suite aux bombardements des principaux aéroports du pays par la CIA, prélude de l’invasion de la Baie
des Cochons, Fidel Castro déclare le caractère «socialiste» de la Révolution cubaine.
16
Rubén Fulgencio Batista y Zaldívar (16 janvier 1901 – 6 août 1973) est un militaire et homme d'Etat cubain,
d'abord éminence grise de la junte militaire qui dirigea Cuba de 1933 à 1940, puis président de la république de
1940 à 1944. En 1944, il tente de renouveler son mandat, mais est battu par son vieil adversaire, Ramón Grau
San Martín du Parti révolutionnaire cubain. En 1948, il est néanmoins élu sénateur au Sénat de Cuba. En 1952, il
se présente de nouveau aux élections, mais les sondages lui sont nettement défavorables, le plaçant derrière
Roberto Agramonte et Aurelio Hevia. Fortement hostile notamment à la nomination annoncée du colonel Ramón
Barquín à la tête des forces armées de Cuba, Batista fomente un coup d'État qui a lieu le 10 mars 1952, soutenu
par une frange nationaliste de l'armée. Pendant deux ans, il est le président par intérim. Si le nouveau
gouvernement est rapidement reconnu par plusieurs pays, dont les États-Unis, il est cependant contesté à
l'intérieur. Ainsi, le 26 juillet 1953, des rebelles menés par un avocat, Fidel Castro, tentent sans succès de
prendre d'assaut la caserne de Moncada, à Santiago de Cuba. Trois partisans de Castro meurent au combat, 68
autres sont exécutés sommairement. Castro est lui-même arrêté, mais bénéficie d'une intervention de
l'archevêque de Santiago qui lui évite l'exécution. Deux ans plus tard, il est amnistié par Batista et exilé au
Mexique, où il prépare la révolution cubaine avec Ernesto «Ché» Guevara. En 1954, Batista se fait élire
président de la république sans opposition après le retrait de l'ex-président Ramon Grau San Martin qui appelle
au boycott, pour protester contre la corruption du régime. Castro revient à Cuba dès novembre 1956 sur le
Granma, un petit yacht en mauvais état qui résiste mal au mauvais temps qui sévit durant le voyage, et reprend
ses activités révolutionnaires pour déposer Batista, soutenu par une partie croissante de la population, notamment
dans la province d’Oriente. En mai 1958, Batista lance 12.000 hommes contre la guérilla castriste lors de
l’«offensive d’été» qui échoue trois mois plus tard. Castro mène alors une contre-offensive qui débouche sur une
guerre civile le long de la Sierra Maestra dans l’est jusqu’au centre du pays. Le 29.12.1958, Ernesto «Ché»
Guevara remporte une brillante victoire militaire lors de la bataille de Santa Clara où les forces rebelles déraillent
et s’emparent d’un train blindé composé de 2 locomotives et de 18 wagons, avec à bord 408 officiers et soldats
gouvernementaux et un puissant armement. La bataille de Santa Clara est une victoire décisive qui entraîne
directement la chute de Batista. Apprenant que ses généraux négocient une paix séparée avec les dirigeants
guérilleros, le dictateur prend la décision de fuir le 1er janvier 1959 en République dominicaine, accompagné de
sa famille, de quelques fonctionnaires, avec parmi eux le président Andrés Rivero Agüero et son frère le maire
de La Havane. Son départ est suivi par l'entrée triomphante à La Havane de quelques milliers de guérilleros de
Fidel Castro. Un nouveau président, Manuel Urrutia, est nommé; Fidel Castro devient commandant en chef de
l'armée, puis Premier ministre le 16 février 1959. Batista passa le reste de sa vie en exil, d'abord au Portugal, puis
en Espagne à Guadalmina près de Marbella, où il mourut le 6 août 1973 d'une crise cardiaque.
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réformes nationalistes que Castro veut amener. En effet, après la chute du régime de Batista,
Castro sera rapidement confronté à un choix déterminant, soit renoncer aux réformes
nationalistes désirées ou s'orienter vers la nationalisation complète de l'industrie, des banques
et vers la réforme agraire. Le gouvernement de Castro s'orientera vers la seconde possibilité.
Mais une tension se développe alors qu'il commence à exproprier des industries
américaines, telles que «United Fruit C°». En avril 1959, Castro rencontre le vice-président
Richard Nixon à la Maison-Blanche. On raconte que le président Eisenhower évita Castro,
prétextant une partie de golf, pour laisser Nixon discuter avec lui et déterminer s'il était
communiste ou pas. La politique économique de Castro avait inquiété Washington, qui
pensait qu'il avait fait allégeance à l'Union soviétique. À la suite de cette rencontre, Nixon
expliqua que Castro était naïf, mais pas forcément communiste.
Le 17 mars 1960, le gouvernement Eisenhower a pris la décision formelle de renverser
le gouvernement cubain. Cette nouvelle politique se base sur plusieurs piliers: l'annulation de
la quote-part sucrière cubaine, la fin des livraisons de ressources énergétiques telles que le
pétrole, la poursuite de l'embargo sur les armes imposé en mars 1958 et la mise en place d'une
campagne de terrorisme et de sabotage, ainsi que l'organisation d'une force paramilitaire
composée des exilés cubains anticastristes destinée à envahir l'île et destituer Fidel Castro.
Face aux actions menées par les Américains, en avril 1960, Castro signe un accord avec
l'URSS pour l'achat de pétrole à la suite du refus du gouvernement des États-Unis de livrer les
raffineries américaines implantées à Cuba. Lors des premières livraisons de pétrole par
l'URSS, le refus de ces compagnies de raffiner ce pétrole conformément aux directives de
l'administration Eisenhower, entraîne leur nationalisation automatique. Les États-Unis
suppriment alors l'importation du sucre cubain, lequel représentait 80 % des exportations de
Cuba vers ce pays et employait près de 25 % de la population. À la grande inquiétude de
l'administration Eisenhower, Cuba resserre progressivement les liens avec l'Union soviétique.
Nombre de conventions sont signées entre Fidel Castro et Nikita Khrouchtchev concernant
une aide substantielle soviétique en matière économique et militaire.
Cependant, les renseignements des services de sécurité cubains qui avaient infiltré des
agents doubles au sein des exilés, avec la collaboration du KGB, permet aux autorités
cubaines d'être informées longtemps à l'avance de la préparation de ce débarquement. Le
matin du samedi 15 avril 1961, six bombardiers américains B26 peints aux couleurs cubaines,
en violation des conventions internationales, décollent du Nicaragua et attaquent les bases
aériennes de La Havane et de Santiago (sud). La plupart des appareils de l'armée cubaine, plus
de nombreux avions civils, sont détruits au sol. Seuls neuf appareils cubains qui n'étaient pas
au sol sont restés intacts et joueront un rôle décisif 48 heures après. Le débarquement de la
«Brigade 2506», composée de 1.400 exilés cubains financés et entraînés par la CIA dans un
camp au Guatemala, sous la direction des agents Grayston Lynch et William Robertson, a lieu
le 17 avril vers 1 h 15, sur la côte sud de Cuba, en deux endroits, à Playa Larga et Playa
Girón, c'est-à-dire au fond et à l’entrée orientale de la baie des Cochons, à 202 km au sud-est
de La Havane.
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La flotte de débarquement, étiquetée «Force expéditionnaire cubaine», comprenait
cinq cargos de 2.400t, loués par la CIA à la Garcia Line (compagnie notoirement anticastriste) et suréquipés en canons anti-aériens. Ils voguaient sous pavillon libérien. Ils étaient
accompagnés de deux barges de débarquement (datant de la guerre) achetés à la Zapata
Corporation de Georges Bush père. Ils voguaient sous pavillon nicaraguayen. Au large, de
nombreux bâtiments de guerre américains sont destinés à escorter la flottille de débarquement
et consolider la tête de pont. La CIA pense que le débarquement va provoquer un soulèvement
populaire contre Castro. Or, il n'en est rien, les exilés cubains ont débarqué dans une région
agricole dont les habitants avaient bénéficié des réformes agraires mises en place par le
gouvernement de Castro et ne reçoivent pas le soutien attendu de la part des populations
locales. L'intervention de la milice et des troupes de Fidel Castro, appuyés par la dizaine
d'avions militaires cubains encore en état, mettent l'envahisseur en déroute et les combattants
anticastristes se rendent à l'armée cubaine le 19 avril 1961 qui en fait des prisonniers.
Kennedy doit négocier leur libération. Elle sera obtenue après 20 mois de négociations au prix
de 53 millions USD en nourriture et médicaments. Deux navires de la marine américaine,
venus en support, sont coulés par l'aviation cubaine et neuf personnes sont exécutées à la suite
de cet échec. Castro, qui dirige personnellement les opérations sur le champ de bataille, y
gagne une popularité supplémentaire auprès des Cubains.
Planifiée sous l’administration de Dwight Eisenhower, l'opération était lancée au début
du mandat de John F. Kennedy (entré en fonction le 20.01.1961). Mal informé et à la lumière
de la tournure des évènements, le Président Kennedy retire au dernier moment son soutien à
l'opération et refuse tout appui aérien. Kennedy, dans un discours, se déclare seul responsable
du désastre, mais en privé, il déclare que la CIA lui a menti et l'a manipulé pour qu'il donne
l'ordre de l'invasion totale de Cuba. Allen Welsh Dulles, directeur de la CIA, sera limogé et le
reste du mandat de Kennedy sera marqué par une méfiance envers la CIA 17.
17
Le 29 novembre 1963, soit sept jours après l’assassinat de John F. Kennedy (JFK), le nouveau président
américain Lyndon Johnson (LBJ), vice-président de JFK, crée la Commission Warren, et la charge d'enquêter sur
le crime. La commission nommée par le Président travaille et remet son rapport au Président, ce qui paraît
bizarre que ce ne soit pas la justice saisie de l'affaire. Présidée par Earl Warren (1891-1974), alors président de la
Cour suprême des États-Unis, cette commission est composée des 7 membres parmi lesquels Allen Welsh
Dulles (1893-1969), ancien directeur de la CIA licencié par JFK après le désastre de la Baie des Cochons. Dulles
est renvoyé par Kennedy notamment pour sa participation à la préparation de l'audacieux document «Opération
Northwoods» dont le but était d'utiliser la CIA dans des attaques réelles ou simulées et d'en accuser Cuba, dans
le but d'obtenir un support populaire pour une guerre avec ce pays. Malgré sa connaissance de plusieurs projets
d'assassinats par la CIA, la mafia et les anticastristes envers Fidel Castro (Opération Mangouste), dans aucun
document qu'il ne remit aux autorités d'enquête, Dulles ne mentionne aucun de ces faits durant la commission
d'enquête qui se déroula de 1963 à 1964. Parmi les nombreuses théories sur l'assassinat de JFK, une prétend que
Dulles s'est allié à LBJ et la mafia de Chicago (Giancana); le crime est parfait, puisque Lyndon Johnson est
nommé président suite à la mort de JFK, et c'est lui qui nomme Dulles chef de l'enquête sur l'assassinat de JFK...,
ainsi la vérité ne sera jamais faite sur le crime. En 1969, Dulles meurt d'une grippe, et d'une complication par
pneumonie, à l'âge de 75 ans. Personnage hautement controversé et complexe, réputé de connaître et de garder
très bien les secrets, Dulles fut nommé par Eisenhower directeur de la CIA pendant la guerre froide. Fidèle à la
doctrine Truman, il a renversé des gouvernements démocratiquement élus dont il pensait qu'ils s'allieraient peu
ou prou au bloc soviétique (URSS). Ainsi, à travers des opérations secrètes (black operations), il a fait
emprisonner le premier ministre élu d'Iran Mohammad Mossadegh en 1953, puis le président du Guatemala
Jacobo Arbenz en 1954, également élu démocratiquement. Dans le cas de Mossadegh, il s'agit de donner le
pétrole iranien à British Petroleum; dans le cas d'Arbenz, il s'agit d'empêcher une taxe d'entrer en vigueur sur les
bananes exportées par United Fruit C°. La CIA paraît ainsi davantage servir les intérêts financiers des grands
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L'opération d’invasion ratée a poussé le gouvernement cubain à s'allier ouvertement à
l'URSS, et a constitué une humiliation internationale pour les États-Unis. Elle est aussi la
cause directe de la crise des missiles de Cuba l'année suivante. La crise des missiles de Cuba
est une suite d'événements survenus du 14 au 28 octobre 1962, qui ont opposé les États-Unis
et l'Union soviétique au sujet des missiles nucléaires soviétiques pointés sur le territoire des
États-Unis depuis l'île de Cuba, et qui ont mené les deux blocs au bord de la guerre nucléaire.
En novembre 1961, les États-Unis déploient 15 missiles Jupiter en Turquie et 30 autres
en Italie, lesquels sont capables d'atteindre le territoire soviétique. Commence également, le 7
février 1962, l'embargo des États-Unis contre Cuba, encore en vigueur aujourd'hui. Des
manœuvres militaires maritimes américaines étaient aussi en préparation pour l'automne 1962
destinées à renverser «un tyran nommé Ortsac» (anagramme transparent). Elles seront
transformées après la découverte des missiles soviétiques en dispositif de blocus.
En mai 1962, Nikita Khrouchtchev déclenche l'Opération «Anadyr»: il envoie 50.000
soldats, trente-six missiles nucléaires SS-4 et deux SS-5, ainsi que quatre sous-marins
nucléaires à Cuba pour empêcher les États-Unis d'envahir l'île. Cuba se trouve à moins de 200
km de la Floride, ce qui rend le territoire des États-Unis vulnérable à ses missiles, ceux-ci ne
pouvant être détectés suffisamment à l'avance pour garantir la riposte immédiate exigée par la
politique de dissuasion. En 12 minutes, toutes les villes de la côte est des Etats Unis pouvaient
être détruites. Cette opération s'est faite dans le plus grand secret, mais les avions U2
d’espionnage américains ont rapidement tout découvert. On est entré à partir de là dans la
guerre froide.
Le 2 octobre 1962 débute l'Opération «Kama»: quatre sous-marins d'attaque dieselélectrique de classe Foxtrot de la marine soviétique appareillent de la presqu'île de Kola, avec
à leur bord des torpilles nucléaires (à noter que la nature nucléaire de ces torpilles ne fut
révélée qu'en 2001). Leurs commandants avaient pour mission de rejoindre le convoi de
cargos soviétiques qui faisait route vers Cuba, avec à leur bord les missiles nucléaires destinés
à compléter le dispositif déjà en place sur l'île. Ils avaient pour mission de protéger le convoi,
si besoin au prix du torpillage des navires qui tenteraient de s'interposer.
Kennedy lance un discours à la nation américaine et au reste du monde à propos de
cette «agression» de la part de l'URSS le 22 octobre 1962. Kennedy veut montrer que c'est
l'URSS qui aura la responsabilité de la guerre, s'il y en a. Le 24 octobre, à 10 h, le blocus
américain est en place. Dès le 25 octobre Khrouchtchev entame des négociations secrètes
avec Kennedy pour essayer de donner une sortie honorable pour l'URSS qui ne veut pas
perdre la face. L'URSS demande que les Etats Unis reconnaissent le régime de Castro et qu’ils
s'engagent à ne pas tenter de le renverser, en contrepartie les missiles seront retirés. De leur
côté les Etats Unis s’engagent à démonter leurs 15 fusées PGM-19 Jupiter installées en
Turquie (et donc pointées vers le bloc de l'Est). De cette manière l'URSS ressort comme
voulant éviter la guerre. Le 26 octobre 1961, les fusées soviétiques sont enlevées.
groupes plutôt que la démocratie et la liberté principes prônées par les USA. En tant que directeur de la CIA, il
est aussi impliqué dans un projet d'assassinat de Patrice Lumumba à Congo (1961).
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Moment paroxystique de la guerre froide, la crise de Cuba souligna les limites de la
coexistence pacifique et se solda par un retrait de l'URSS en échange d'une concession
publique et de deux promesses confidentielles accordées par l'administration Kennedy. En
apparence mineure à l'époque, elles ont été considérées dans les décennies suivantes comme
très contraignantes pour la politique extérieure des États-Unis. Le retrait des armements de
Cuba fut présenté par les médias occidentaux comme un gros succès personnel de Kennedy.
Son assassinat à Dallas le 22 novembre 1963 sera également l'un des points marquants et des
plus dramatiques de la guerre froide. Par contre, au sein de l'URSS, la crise résulte à une perte
de crédit de Khrouchtchev qui va accélérer son renvoi (1964). Un «téléphone rouge» reliant
directement la Maison Blanche au Kremlin fut installé après la crise afin de pouvoir établir
une communication directe entre les deux chefs d'état soviétique et américain et éviter qu'une
nouvelle crise de ce style ne débouche sur une impasse diplomatique, voire sur une guerre
nucléaire. La résolution de cette crise ouvrit la voie à une nouvelle période de la guerre froide,
la «Détente».
2.2 Un nouvel équilibre
Il passe par une volonté des deux grandes puissances de limiter les armements
nucléaires. Le 1er juin 1972, l'accord SALT1 18 est signé. Objectif: limiter la course aux
armements, élimination des missiles stratégiques.
La Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe se réunit à Helsinki de 1973
à 1975. Elle rassemble les États-Unis, l'URSS, le Canada et les États européens de l'Est et de
l'Ouest, à l'exception de l'Albanie. Les accords issus de cette conférence affirment
l'inviolabilité des frontières nées de la Seconde Guerre mondiale. Ils encouragent la
coopération entre les pays et affirment l'obligation de respecter les Droits de l'Homme et les
libertés fondamentales. Ils constituent le point d'orgue de la Détente.
L'ère de l'affrontement direct est révolue. Les conflits restent des conflits locaux dans
les marges d'influence (Vietnam et Moyen Orient). Un équilibre sur l'armement est entendu. Il
y a avantage quantitatif du côté du pacte de Varsovie, mais il y a avantage qualitatif du côté
de l'OTAN. Cet équilibre dure jusqu'aux années 80 jusque qu'à ce que l'URSS rattrape son
retard en construisant des vecteurs à têtes multiples. L'équilibre est alors remis en question, et
le déséquilibre est favorable aux soviétiques.
2.2.1
La détente
La Détente désigne la phase de la guerre froide qui s'étend entre la crise des missiles
de Cuba (1962) et la «guerre fraîche», qui commence avec la 1ère guerre d'Afghanistan (1979)
et l'arrivée de Ronald Reagan au pouvoir (début 1981). Pour d’autres, la Conférence
d’Helsinki en 1975 marque la fin de la détente qui sera reprise en 1985 avec l’arrivée de
18
Les négociations sur la limitation des armes stratégiques, mieux connues par l'acronyme SALT, abréviation de
l'anglais «Strategic Arms Limitation Talks», sont les noms donnés aux processus de négociations entamés en
1969 entre les États-Unis et l'URSS, qui aboutissent à la conclusion des traités de SALT I en 1972 et SALT II en
1979. Ces accords complètent celui du 20 juin 1963 (le «téléphone rouge») et vise à empêcher le déclenchement
d'une guerre nucléaire «par malentendu ou accident»
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Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir. Elle fait suite au principe de la coexistence pacifique, et est
marquée par une limitation de la course aux armements nucléaires (accords SALT 1 en 1972)
et le refus de l'affrontement direct au profit de luttes de pouvoir et de guerres sur des terrains
«périphériques» (cf. notamment la guerre de Vietnam, 1964-1975). La Détente ne sous-entend
pas seulement une reconnaissance mutuelle entre les pays de l'OTAN et le bloc de l'Est, mais
implique des négociations continues, des accords diplomatiques et des échanges commerciaux
voire culturels entre les deux camps. Les relations entre les deux Allemagne s’améliorent. En
1971, les États-Unis reconnaissent la Chine communiste. En 1975, la conférence d’Helsinki
confirme cette détente en confirmant les frontières issues de la guerre, ainsi que le respect des
droits de l’Homme par les pays européens, dont l’URSS.
Toutefois, des voix discordantes se font entendre au sein des blocs: À l’Ouest, la
France du général De Gaulle sort de l’OTAN en 1966 19. À l’Est, l’armée Rouge réprime en
Tchécoslovaquie, en 1968, le « Printemps de Prague ».
2.2.2 La modification des sphères d'influence
 L’agrandissement de la sphère d'influence soviétique
Après la guerre du Vietnam, la présidence de Carter (20 janvier 1977 – 20 janvier
1981) correspond à un certain effacement des Etats Unis.
L'URSS en profite en développant sa flotte de guerre et en tentant de s'implanter en
Afrique par l'intermédiaire des Cubains. En effet les Cubains animent les guérillas en Afrique
et sont à l'origine de nombreuses opérations militaires aux pays récemment décolonisés. C'est
ainsi que l'Angola, l'Ethiopie et le Mozambique basculent dans le camp communiste. Mais le
principal problème surgit au Nicaragua où s'installe un régime marxiste alors que l’Amérique
centrale est normalement considérée une zone américaine. L'URSS intervient également en
Afghanistan pour aider le régime de Kaboul en 1979. Dans les années 80, la sphère
d'influence soviétique s'est considérablement accrue, mais en même temps les Soviétiques ont
de plus en plus de difficultés à imposer leur volonté aux pays satellites (Europe de l'Est). La
Hongrie libéralise peu à peu son économie, le syndicat indépendant "Solidarność" 20 se
développe en Pologne, la Roumanie ne boycotte pas les Jeux Olympiques de Los Angeles.
19
Bien qu’elle en soit un des membres fondateurs, la France quitte, sous la présidence de Charles de Gaulle, la
structure militaire intégrée de l’OTAN en 1966 au nom de son indépendance nationale. S’ensuivent trois
décennies de collaboration plus ou moins étroite pendant laquelle la France occupe une place à part au sein de
l’Alliance atlantique. Un rapprochement s’opère en décembre 1995, sous la présidence de Jacques Chirac, la
France décidant alors de rejoindre le conseil des ministres et le comité militaire de l’Alliance atlantique. Mais
c’est après le vote le 17 mars 2009 de l’Assemblée nationale que la France réintègre totalement l’OTAN à
travers son retour dans le commandement militaire intégré. Cette réintégration suscite alors nombre de critiques
de l’opposition de gauche, mais également au sein de la droite au pouvoir. Depuis cette date, la France contribue
aux réflexions visant à réformer l’alliance militaire. Elle participe également à ses actions militaires au Kosovo,
en Afghanistan et en Libye, suscitant aussi des controverses au sein de la classe politique.
20
Surpris par l'élection du cardinal polonais Karol Józef Wojtyła comme pape Jean-Paul II le 16 octobre 1978,
les dirigeants soviétiques croient à un complot américain orchestré par Zbigniew Brzeziński, le conseiller du
président Carter. Ce sentiment est renforcé par le soutien apporté par le pape au syndicat polonais Solidarność à
partir de l'été 1980 qui porte la subversion au cœur du dispositif géopolitique de l'Union soviétique en Europe.
Walesa affiche des posters de Jean-Paul II sur les grilles des chantiers navals de Gdansk (ex-Danzig) qui le
placent en position d'arbitre de la crise et aboutissent à la signature de l'Accord de Gdansk du 31 août 1980.
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 Le rétablissement des Etats Unis – La «Guerre fraîche»
Il est le fait du changement présidentiel en 1981 avec l’arrivée de Ronald Reagan au
pouvoir (20 janvier 1981–20 janvier 1989) 21. C'est d’abord un redressement psychologique
car les Etats Unis ont envie de "remonter la pente", mais aussi un redressement tout court car
ils ont alors une très grande volonté de rattraper leur retard face à l'URSS par l'armement.
Décrivant publiquement l'Union soviétique comme un «empire du Mal», Reagan soutient les
mouvements anti-communistes dans le monde entier et renonce à la politique de détente en
augmentant massivement les dépenses militaires et en relançant une course aux armements
avec l'URSS. Il relança le programme du Rockwell B-1 Lancer qui avait été annulé par
l'administration Carter et lança la production du missile MX156. En réponse au déploiement
par les soviétiques des missiles SS-20, Reagan supervisa le déploiement des missiles Pershing
II et Cruise de l'OTAN en Allemagne de l'Ouest. Sous une politique qui fut appelée «doctrine
Reagan», Reagan et son administration mirent en place une aide dissimulée voire officielle à
des groupes de guérilla anti-communistes pour "refouler" les gouvernements soutenus par
Moscou en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Reagan déploya la «Special Activities
Division» de la CIA en Afghanistan et au Pakistan. Ils jouèrent un rôle important dans
l'entrainement, l'équipement et la direction des moudjahidines 22 contre l'armée soviétique
durant la 1e Guerre d’Afghanistan (1979-1989) 23. Le programme d'opérations secrètes du
21
Ronald Reagan (né le 6 février 1911 à Tampico, Illinois et mort le 5 juin 2004 à Los Angeles, Californie) est
l'homme le plus âgé à avoir été élu à la présidence (il avait 69 ans). Acteur de Hollywood (1937-1964), il
commença sa carrière politique en tant que démocrate, mais rallie le Parti républicain en 1962. Il devient
Gouverneur de Californie de 1967 à 1975 (deux mandats), puis il entre en compétition avec le président en
fonction Gerald Ford pour obtenir la nomination du parti républicain en vue de l'élection présidentielle. Ford
obtint la nomination avec 1.187 délégués contre 1.070 pour Reagan. Ford perdit néanmoins l'élection de 1976
face au démocrate Jimmy Carter. Lors de l’élection présidentielle de 1980, Reagan entre en compétition avec le
président sortant Jimmy Carter. Il choisit George H.W. Bush, pour devenir son colistier. Reagan remporta
l'élection de 1980 en rassemblant 44 états et 489 votes de grands électeurs, contre 49 seulement pour Carter. En
novembre, Reagan remporta 49 des 50 états américains. L'adversaire démocrate de Reagan lors de l'élection
présidentielle de 1984 était l'ancien vice-président Walter Mondale. Reagan arriva en tête que dans tous les états
sauf à celui du Minnesota et à Washington D.C. Reagan gagna 525 votes au Collège électoral, plus que tout autre
candidat dans l'histoire électorale américaine.
22
Combattants de la foi musulmane qui s'engagent dans le Djihâd (terme arabe signifiant «exercer une force»,
«s'efforcer» ou «tâcher». Le philosophe, théologien islamique et juriste musulman andalou du XIIe siècle,
Averroès ou Ibn Rochd de Cordoue (1126-1198), classe le Djihâd dans quatre catégories: par le cœur, par la
langue, par la main et par l'épée. Selon le philosophe et théologien traditionniste musulman Ibn Al-Qayyim
(1292- 1350), le Djihâd se subdivise à quatre catégories: le Djihâd contre son égo; le Djihâd contre Satan; le
Djihâd contre les infidèles; et le Djihâd contre les hypocrites. Il souligne que contre les infidèles prime la lutte
avec les mains. Le Djihād de la main implique la lutte avec l'épée. Les conditions nécessaires pour que le Djihâd
par l’épée (par les armes) devienne une obligation pour chaque musulman (fard ʿayn) sont :
- Quand les non-musulmans envahissent une terre musulmane.
- Quand les non-musulmans capturent et emprisonnent un groupe de musulmans.
- Quand les lignes de bataille commencent à se rapprocher.
- Quand l'imam appelle une personne ou un peuple pour se lancer au combat.
Le Djihâd peut être mené contre les infidèles (kûffar) ou contre des factions de musulmans considérées comme
opposantes et révoltées.
23
La première guerre d'Afghanistan de l'histoire contemporaine a opposé, du 27 décembre 1979 au 15 février
1989, l'armée de l'URSS, aux moudjahidines («guerriers saints»). L'invasion soviétique s’inscrit dans le contexte
de la guerre froide. Face aux États-Unis qui soutiennent le Pakistan, l’URSS soutient l’Afghanistan qui avait,
depuis 1919, des revendications territoriales sur les régions à majorité pachtoune du Pakistan dont l'acquisition
aurait permis à l’Afghanistan de se désenclaver en possédant un accès à la mer d'Arabie. Le 27 avril 1978 en
Afghanistan a commencé la révolution, avec pour résultat l'arrivée au pouvoir du Parti démocratique populaire
d'Afghanistan (PDPA), d'obédience marxiste, qui a proclamé le pays «République démocratique d'Afghanistan»
AA-06 FR-06-2014 «NOUVEL ORDRE GÉOPOLITIQUE MONDIAL - GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION»
24
président Reagan a été crédité pour avoir contribué à mettre fin à l'occupation soviétique de
l'Afghanistan, même si les États-Unis n’ont pas réussi à récupérer les armements notamment
les lance-missiles «Stinger»24, qu’ils avaient fournis aux moudjahidines et qui se révéleront
une menace lors de la 2e Guerre d'Afghanistan dans les années 2000 25.
(DRA). Une série de réformes collectivistes et sociales (imposition d'un athéisme d'État, alphabétisation, droit
des femmes, réformes agraires…) qui contrarient les coutumes conservatrices afghanes, ainsi qu'une politique
répressive envers les élites et classes moyennes du pays sont mis en place. Le 14 septembre, le président afghan
Nour Mohammad Taraki, très favorable à Moscou, est assassiné par son concurrent premier ministre Hafizullah
Amin, qui lui succède et prend ses distances avec Moscou. De plus, l’Iran de Khomeiny, hostile au «grand
Satan» américain, déteste tout autant l’Union soviétique et suscite l’inquiétude de Moscou de voir s’étendre la
contestation religieuse en Asie centrale soviétique. En mars 1979, un mois seulement après la révolution
iranienne, la ville d’Hérat s'était soulevée contre le régime communiste de Kaboul; les services soviétiques y
avaient vu la main de Téhéran. Toutes ces raisons poussent Moscou à intervenir. Le 25 décembre 1979, l’Armée
Rouge entre en Afghanistan. Deux jours plus tard, le président Hafizullah Amin, est exécuté et remplacé par son
rival au sein du Parti communiste afghan, Babrak Karmal. Le 22 février 1980, Loi martiale et couvre-feu sont
instaurés. Le 14 mars, un accord entre Afghans et Soviétiques officialise la présence militaire soviétique. Durant
les trois premières années, les Soviétiques étendent leur contrôle sur le pays et augmentent leurs effectifs sur
place, passant de 85.000 hommes en mars 1980 à 118.000 hommes y compris les détachements KGB. Les
Soviétiques voulaient tenir les villes et axes de communications laissant l'éradication des rebelles à l'armée
afghane. Mais ils font face à la désertion des deux tiers des effectifs de cette dernière (120.000 hommes). Une
vive résistance nationale se met en place face à l’occupant soviétique qui ne s’attendait pas à une telle réaction.
De plus cette agression soulève une grande émotion dans l’ensemble de la résistance afghane moudjahidine,
soutenue et financée entre autres par la CIA et autres services secrets occidentaux. Des réseaux se mettent en
place pour acheminer armes et volontaires venant du Maghreb, de la péninsule arabique, d'Égypte, du Levant
voire d'Europe, le Pakistan devenant une base arrière. Bien que les forces russes aient de l'équipement moderne,
les rebelles étaient aussi bien armés, ils avaient du support local et opéraient avec efficacité sur le terrain
montagneux. En 1984-1985, les Soviétiques l'emportent sur les moudjahidines relégués dans leurs montagnes.
En 1985, les moudjahidines commencent à recevoir des missiles sol-air FIM-92 Stinger, ce qui fait perdre aux
Russes le contrôle du ciel, bouleversant l'équilibre des forces. Lorsque Mikhaïl Gorbatchev prend le pouvoir en
1985, il voit la guerre comme étant trop coûteuse, pas populaire et impossible de gagner. En 1986 Mohammed
Nadjibullah remplace Babrak Karmal à la tête de l'État afghan et veut négocier avec les rebelles en suivant un
processus de réconciliation nationale sur le principe d'une perestroïka afghane. En mai 1988, l'Afghanistan, le
Pakistan, les États-Unis et l'URSS signèrent des accords mettant fin à l'intervention étrangère en Afghanistan. La
retraite russe fut complète en février 1989. Au total, durant leurs 110 mois de présence militaire, plus de 900.000
Soviétiques servirent en Afghanistan, dont environ 14.500 ont été tués. Du point de vue équipement, 800
hélicoptères et avions, 1.500 blindés et plusieurs milliers de véhicules ont été détruits. Le coût financier pour
l’URSS est estimé à plus de 20 milliards de dollars. Les pertes afghanes (tous bords confondus) sont estimées à
1.242.000 morts dont 80 % de civils. On estime que 30 % de la population (15 millions) avait quitté le pays ou
s’était déplacée à l’intérieur des frontières Du fait de l'implication des États-Unis et de l'URSS, cette guerre est
considérée comme une des dernières crises de la guerre froide. Durant les dix ans de la 1e guerre d'Afghanistan,
les États-Unis, via entre autres l'opération «Cyclone» de la CIA, ont dépensé 3,3 milliards de dollars américains
et l'Arabie saoudite presque autant, pour alimenter la résistance antisoviétique et anticommuniste incarnée par les
moudjahidines de Hekmatyar et de Oussama ben Laden. Milton Bearden, le chef de l'antenne locale de la CIA au
Pakistan de 1986 à 1989, évalue le flux des volontaires arabes à environ 25.000, dont la moitié de combattants.
Après le départ de l’armée soviétique, la République démocratique d'Afghanistan a continué à recevoir une aide
soviétique, qui a été supprimée en août 1991, après l’arrivée au pouvoir de Boris Eltsine, laissant les
communistes afghans se défendre seuls contre les moudjahidines. Le gouvernement procommuniste tombe et
Nadjibullah tente de fuir Kaboul le 17 avril 1992 sans succès. Il trouvera par la suite refuge dans un bâtiment des
Nations unies jusqu'en 1996 avant d'être capturé et exécuté plus tard par les Talibans. Le 30 avril 1992, alors que
les combats débutent entre les factions rivales de moudjahidines pour le contrôle de la capitale, la République
démocratique d'Afghanistan est officiellement dissoute et l'État islamique d'Afghanistan est proclamé par
l'Alliance du Nord (dirigée par Massoud). En 1996, les Talibans prendront le pouvoir sur l'Alliance du Nord et
proclameront l'Émirat islamique d'Afghanistan, qui provoquera une intervention de l'OTAN cinq ans plus tard
dans le cadre de la guerre contre le terrorisme lancée par le gouvernement américain de George W. Bush en
réponse aux attentats du 11 septembre 2001.
24
Le FIM-92 Stinger est un lance-missile sol-air à courte portée américain (fabriqué par «Raytheon Electronic
Systems» dans son usine de Tucson, Arizona), utilisé pour atteindre les hélicoptères ou les avions de combat à
basse altitude. Il est du type «tire et oublie», terme signifiant qu'une fois tiré correctement, le missile atteint sa
AA-06 FR-06-2014 «NOUVEL ORDRE GÉOPOLITIQUE MONDIAL - GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION»
25
cible de manière autonome. Il s'en distingue par de plus grandes possibilités opérationnelles, une meilleure
portée et une maniabilité plus grande. Il est doté d'un système d'identification de cible et est moins sensible aux
contre-mesures ennemies. Le tireur repère sa cible visuellement, l'aligne avec le viseur du lanceur, et l'interroge à
l'aide du système IFF (pour «Identification Friend or Foe» - système d'identification ami-ennemi) qu'il porte à la
ceinture. Si l'appareil est hostile, l'IFF le signale et le tireur peut lancer le missile. Ce dernier atteint son objectif
dans plus de 95 % des cas, sans aucune autre intervention humaine Cette arme est bien connue du grand public
en raison de sa diffusion aux «moudjahidines» pour combattre les troupes soviétiques qui faisaient un grand
usage des hélicoptères et de l'appui feu aérien au cours de la 1re guerre d'Afghanistan. Si l'opération fut un réel
succès qui permit d'inverser le rapport de force de ce conflit, des «Stingers» se retrouvèrent bientôt disponibles
chez les trafiquants d'armes et les terroristes ayant l'intention de les employer contre des appareils civils.
25
La seconde guerre d'Afghanistan de l'histoire contemporaine oppose, à partir d’octobre 2001, les États-Unis,
avec la contribution militaire de l'Alliance du Nord (un groupe armé musulman afghan qui fut dirigée par le
commandant Massoud jusqu'à son assassinat le 09.09.2001) et d'autres pays occidentaux (Royaume-Uni,
Canada, France, etc.), au régime taliban qui avait succédé le régime communiste après le départ des Soviétiques
en 1989. Cette guerre s'inscrit dans la «guerre contre le terrorisme» déclarée par l'administration Bush à la suite
des attentats du 11 septembre 2001 à New York et Washington. Le but de l'invasion selon les États-Unis et leurs
alliés était de capturer Oussama Ben Laden, détruire l'organisation Al-Qaïda qui possédait des bases dans le pays
avec la bénédiction des talibans, et renverser ces derniers. La campagne initiale chassa les talibans du pouvoir,
permettant l'instauration d'un gouvernement provisoire dirigé par Hamid Karzai à la suite des accords de Bonn
de décembre 2001. Les talibans engagèrent alors une guérilla contre la Force Internationale d'Assistance et de
Sécurité (FIAS) qui regroupe les forces armées étrangères sous commandement de l'OTAN. Le gouvernement
afghan de Karzaï, qui a été élu président en octobre 2004 et réélu en 2009, jouit d’une légitimité affaiblie suite à
des fraudes électorales et fait l’objet de nombreuses critiques pour incompétence et corruption. La production
afghane d'opium continue à représenter plus de 90% de la production mondiale. À la fin 2009, un rapport de
l'UNODC annonce que le trafic des opiacés générait 3,4 milliards de dollars de revenus en Afghanistan. Les
talibans tirent de ce trafic environ 125 millions de dollars, une faible en comparaison avec les 600-700 millions
de dollars tirés par les paysans afghans, alors que le gros de ces revenus (plus de 2,5 milliards de dollars) est
capté par les officiels du gouvernement, la police et les autorités locales et régionales contribuant ainsi à
alimenter la très forte corruption du pays. En janvier 2009, le «Think tank International Council on Security and
Development» a estimé dans un rapport que les talibans étaient actifs dans environ 72 % du territoire afghan. Les
deux camps se livrent à de nombreuses violations du droit international. D'un côté, les talibans qui assassinent
les fonctionnaires gouvernementaux, commettent des prises d'otages et attaquent le système éducatif visant à
empêcher les filles d’être scolarisées. De l'autre côté, la Coalition, et les États-Unis en particulier, font l'objet de
nombreux rapports de la part des organisations de défense des droits de l'Homme. L'utilisation excessive de la
force, les arrestations arbitraires les centres de détention clandestins, les mauvais traitements voire la torture ou
la mort en détention ont ainsi été largement relevés en Afghanistan. De plus, la Coalition est l'auteur de
nombreuses frappes aériennes meurtrières pour les civils afghans. Entre 2001 et avril 2009, l’US Air Force a
largué 12.742 tonnes de bombes sur l’Afghanistan. Il y a un manque de statistiques fiables sur les pertes des
belligérants. De 2001 à 2014 les pertes de la Coalition seraient de 3.452 tués, dont 2.331 américains et de 32.900
blessés, dont 19.798 américains. Les pertes du gouvernement central en octobre 2009 seraient au moins 5.500
tués depuis le début des hostilités. En mai 2008, selon les estimations du gouvernement afghan et de la Coalition,
environ 20.000 combattants talibans avaient été tués. En 2011, le nombre de civils tués depuis 2006 estimé par
l'ONU serait de 9.759, dont 6.269 tués par les forces anti-gouvernementales, et 2.723 par la coalition ou les
soldats de l’armée régulière, à quoi il conviendrait de rajouter entre 6.300 et 23.600 civils morts directement, ou
indirectement, du fait de la guerre entre 2001 et 2003. Le site «National priorities» estime à plus de 720 milliards
de dollars le coût de la guerre à ce jour. Le coût supporté par la France est estimé à 500 millions d'Euros par an
sans compter les pertes humaines et les matériels détruits. Pour toutes ces raisons, certains alliés de l'OTAN
doivent affronter une opinion publique très défavorable à la guerre. Lors du Sommet de l'OTAN qui s'est tenu à
Lisbonne du 19 novembre au 20 novembre 2010, les États membres ont déclaré qu'ils entameraient le transfert
de la sécurité aux forces afghanes à partir de 2011, l’objectif étant de parvenir à un retrait de la plupart des
soldats de la force internationale d’ici la fin 2014. En 2012, il y avait 130.000 soldats étrangers en Afghanistan,
dont 60.000 américains. Suite au désengagement progressif annoncé, au 15 janvier 2014, il reste 58.129 soldats
de la FIAS dont 38.000 américains; ces chiffres n'incluent pas les nombreux employés des sociétés militaires
privées. Ce conflit est le plus long engagement de l'armée américaine depuis la guerre du Viêt Nam (1959-1975).
Légitimée par la chasse à Oussama Ben Laden, la campagne d'Afghanistan aura permis aux USA d'installer trois
bases aériennes en Afghanistan, quatre autres dans le reste de l'Asie centrale, notamment en Ouzbékistan et un
important dispositif terrestre dans le Caucase. Ainsi, l'équipée américaine en Afghanistan a reconfiguré la carte
géopolitique dans l'Asie centrale. Des pays importants dans l'équilibre régional sont désormais à la portée des
AA-06 FR-06-2014 «NOUVEL ORDRE GÉOPOLITIQUE MONDIAL - GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION»
26
En mars 1983, Ronald Reagan balaie les stigmates de la guerre du Viêt-Nam. Il
introduisit l'initiative de défense stratégique (IDS) prévoyant la mise en place de systèmes au
sol et dans l'espace pour protéger les États-Unis d'une attaque de missiles balistiques
intercontinentaux et il engage les États-Unis dans une course aux armements que l'on
surnomme la «Guerre des étoiles» en référence à un film célèbre. Cette période marqua aussi
un fort rapprochement entre l'administration Reagan et le pape Jean-Paul II, qui favorisa en
Pologne une résistance intransigeante contre le communisme. Ils partageront des informations
confidentielles sur la Pologne et les autres pays satellites de l’URSS. À partir de 1982, après
la proclamation de l'état de siège en Pologne par le général Jaruzelski, Ronald Reagan conclut
une sorte de sainte-alliance avec le pape Jean-Paul II pour aider le syndicat Solidarność réduit
à la clandestinité. Lors de leur rencontre du 07.06.1982 au Vatican, les deux ont convenu de
lancer un programme clandestin pour arracher l'Europe loin les soviétiques. La Pologne, pays
d'origine du pape, serait la clé. Les prêtres catholiques, le principal regroupement syndical
des États-Unis AFL-CIO (American Federation of Labour-Congress of Industrial
Organisations), la «National Endowment for Democracy», la Banque du Vatican (IOR) et la
CIA seraient tous déployés. Jean-Paul II est dès lors considéré comme le pape héros de la
chute du communisme. Après sa mort (Vatican, 2 avril 2005), il sera béatifié le 1er mai 2011
et canonisé le 27 avril 2014, à la place Saint-Pierre au Vatican et ce, en dépit de l’opposition
de différents dignitaires ecclésiastiques et théologiens à ces processus.
En 1985, Reagan visita un cimetière militaire allemand à Bitburg pour déposer une
gerbe avec le chancelier ouest-allemand Helmut Kohl. Le cimetière accueillait cependant les
tombes de 49 membres de la Waffen-SS. Reagan délivra un communiqué présentant les
soldats nazis comme des "victimes", une désignation qui déclencha la controverse sur le fait
que Reagan ait mis les hommes de la SS sur le même plan que les victimes de la Shoah.
En 1982, Kadhafi était considéré par la CIA comme appartenant avec le dirigeant
cubain Fidel Castro et le dirigeant soviétique Léonid Brejnev à la "trinité impie" et fut qualifié
de "notre ennemi public international numéro un" par Reagan. Mais il lui était impossible
d'exécuter un plan d'attaque contre Cuba - que la presse américaine révéla en octobre 1981 sans prendre le risque de déclencher une guerre nucléaire ou conventionnelle avec l'URSS de
Brejnev, selon l'accord Kennedy-Khrouchtchev issu de la crise des missiles de 1962 et que La
Pravda du 9 novembre 1981 rappela (pas d'armes soviétiques offensives à Cuba, pas
d'intervention américaine dans l'île). Aussi renonça-t-il définitivement à ses projets de frappe
à Cuba. Cela n’a pas empêché les tentatives de déstabilisation notamment par la création
d'une radio José Marti en 1981, puis d'une télévision éponyme en 1988, basées à Miami. Elles
ne parvinrent pas à dresser la population cubaine contre le régime. N’étant pas liés à l’URSS
par aucun accord sur la Libye, dans la soirée du 15 avril 1986 les États-Unis lancèrent des
frappes aériennes sur des cibles terrestres en Libye.
Réitérant le scénario cubain des années 1960, Ronald Reagan imposa le 1er mai 1985
un embargo commercial total envers le Nicaragua dès 1985. Cet embargo avait comme
forces américaines. L'Iran se voit ainsi chauffé sur le flanc est. La Chine est en vue via les provinces de l'Ouest.
Les anciennes républiques soviétiques en Asie centrale servent désormais de pied à terre aux forces américaines.
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27
objectif d’asphyxier économiquement le régime sandiniste, mais il n’est pas parvenu à le faire
chuter. Outre les réticences du congrès à soutenir militairement les contras, l'aide de l'URSS
joua beaucoup dans cet échec. En 1986, l'administration Reagan fut touchée par un scandale
concernant la vente officieuse d'armes à l'Iran pour financer les Contras 26 du Nicaragua; or ce
financement avait été spécifiquement interdit par le Congrès. L'affaire Iran-Contra devint le
plus grand scandale politique aux États-Unis dans les années 1980 («Irangate»). En 1986, la
Cour internationale de justice établit que les États-Unis avaient violé les lois internationales
au Nicaragua, car ils s'étaient engagés à ne pas intervenir dans les affaires d'autres États, et ils
furent reconnus coupables de crimes de guerre contre le Nicaragua. La Cour internationale de
justice a aussi reconnu que le Président des États-Unis a autorisé, à la fin de 1983 ou au début
de 1984, le minage des ports nicaraguayens, ainsi que des eaux territoriales et intérieures, sans
qu'aucune déclaration officielle ne l'annonce. Les États-Unis furent condamnés à verser plus
de 17 milliards de dollars au Nicaragua au titre de dédommagement pour dégâts occasionnés
par le financement de la Contra. Les États-Unis n'ont pas reconnu ce jugement.
Si dans le cas de Nicaragua, les Etats-Unis ont jugé préférable de laisser aux Contras
la tâche de faire tomber le gouvernement sandiniste, ils sont par contre directement intervenus
dans le cas de l'île de Grenade dans les petites Antilles où un coup d'état en mars 1979 avait
amené au pouvoir un gouvernement marxiste-léniniste. Le 25.10.1983, faisant croire à la
communauté internationale que l’île est devenue une base soviétique abritant plus de 200
avions de combat, Reagan ordonna l'invasion (opération «Urgent Fury»). Les États-Unis,
avec environ 6.000 membres des différentes unités composant la force de déploiement rapide
(Marines, Rangers, Navy SEALS, Delta Force...) fournissent le gros des forces d'invasion; ils
sont soutenus par 350 soldats des différents États caribéens. Les forces adverses comptent
1.500 soldats Grenadiens, ainsi qu'environ 700 Cubains. Les sources officielles américaines
affirment que les défenseurs de l'île notamment les Cubains opposèrent une résistance
acharnée à l'envahisseur au point que l'armée américaine dut envoyer sur place deux
bataillons supplémentaires. L’armée des Etats-Unis a volontairement exagéré l’ampleur de la
résistance cubaine afin de justifier l’augmentation massive de leurs effectifs et de limiter au
maximum les pertes. Le prétexte de la «dureté» des combats permettait aussi de maintenir les
journalistes éloignés de l’île. Les affrontements entre les Cubains et les Américains
représentent le premier combat direct entre les forces armées des deux pays. Au 6e jour, les
dernières poches de résistance sont écrasées. On dénombre 19 morts et 116 blessés au sein des
troupes américaines, tandis que les Cubains déplorent 24 morts et 57 blessés. Les pertes
grenadiennes sont estimées à 45 morts et 358 blessés, ainsi qu'à 24 civils morts. Le coût de
l'opération est estimé à 76 millions de dollars américains de l'époque. À la mi-décembre, les
forces américaines se retirèrent après la nomination d'un nouveau gouvernement proaméricain
26
«Les Contras» (terme espagnol signifiant «contre-révolutionnaires»), étaient des groupes de lutte armée
opposés au gouvernement sandiniste du Nicaragua, qui a succédé à la chute, après une guerre civile, du dictateur
Somoza, au pouvoir depuis cinq ans. Initialement soutenus par la dictature argentine et notamment de la CIA, les
Contras opéraient des raids de guérilla, notamment dans le nord du Nicaragua à partir de bases arrières situées au
Honduras. Leurs effectifs oscillaient entre 13.800 et 22.400 combattants en 1990, selon les sources. En mai 1987,
ces groupements prennent le nom de RN (Résistance nicaraguayenne). L'accord de cessez-le-feu du 23 mars
1988 prépara le désarmement et la réintégration progressive des Contras dans le jeu politique démocratique,
conduisant à l'organisation d'élections en 1990. Le bilan direct de cette guerre civile est estimé à 30.000 morts.
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28
et après avoir laissé sur place un contingent de 250 hommes pour le maintien de l’ordre. La
majorité des pays occidentaux a critiqué cette intervention effectuée sans l'aval du Conseil de
sécurité de l'ONU. Même le Royaume-Uni, dont la reine Élisabeth II est le chef d'État en titre
de la Grenade, fut tenu au secret des préparatifs de l'intervention; le Premier ministre
Margaret Thatcher n'est prévenu qu'après le déclenchement de l'invasion. L'opération est
ensuite condamnée par un vote de l'Assemblée générale des Nations unies.
Image N° 4 : Fidel Castro dirigeant les opérations de la bataille de la Playa Girón
Image N° 5 : La crise des missiles
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Images N° 6 – 8 : Brezinski et Reagan pour la cause des Moudjahidines
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2.3
L'écroulement du régime soviétique - Fin de la Guerre froide
2.3.1
Le prélude
Au début des années 1980, l'URSS avait mis en place une armée et un arsenal militaire
qui surpassait celui des États-Unis. Auparavant, les Américains comptaient sur la supériorité
technologique de leurs armements pour inquiéter les Soviétiques mais le fossé se rétrécissait.
Après le renforcement de l’arsenal des Etats-Unis par Reagan, l'URSS ne développa plus ses
capacités militaires et le successeur de Brezhnev, Iouri Andropov, tentera vainement de
limiter la course aux armements. En effet, les énormes dépenses militaires associées à
l'inefficacité d’une économie et d’une agriculture planifiées étaient un fardeau très lourd pour
l'économie soviétique. Le désordre économique devient évident : l’URSS possède un
programme spatial impressionnant et un énorme arsenal de bombes atomiques, mais 300
millions de citoyens doivent malheureusement attendre des heures pour acheter du fromage
ou une simple paire de souliers. Conscient de l'affaiblissement du système socialiste,
Andropov diligente une enquête secrète pour évaluer le produit intérieur brut de l'Union
soviétique en valeur, selon les critères occidentaux, et non en volume (nombre d'unités
produites, sans recherche de valeur ajoutée). Cette enquête montre un déclin certain de
l'économie soviétique, déjà dépassée par celle du Japon et dans quelques années par celle de
l'Allemagne de l'Ouest. Elle prouve en outre le retard soviétique dans des domaines d'avenir et
met l'accent sur le danger géopolitique que représente la montée en puissance de deux anciens
ennemis de l'URSS.
Depuis une quinzaine d’années, l’URSS n’est plus dirigée que par des vieillards. En
effet, alors que déjà Andropov, après avoir succédé à un Brejnev mort à 76 ans en novembre
1982, ne resta au pouvoir que 14 mois et 28 jours, mourant soudainement à 70 ans en février
1984, son successeur Tchernenko, quant à lui, disparaîtra un an plus tard, à 73 ans en mars
1985, après un règne à la tête du pays de seulement 12 mois et 26 jours, surtout caractérisé par
son absence du pouvoir de plus en plus fréquente pour cause de maladie. Il en découlera un
découragement évident du peuple face à cette valse, au sommet de l'État, des vieux caciques
du régime, qui n'est que le prélude à la déliquescence future du tout puissant empire
soviétique auquel le "jeune" Gorbatchev (51 ans) ouvrira la voie.
Arrivé au poste de Secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique le 11
mars 1985, Mikhaïl Gorbatchev tente d’insuffler une nouvelle jeunesse à l’économie et à la
politique de l’URSS. Ses réformes donnent des résultats plutôt mitigés. La perestroïka
(réforme) n’a pas atteint les objectifs escomptés, aggravant les pénuries de biens de
consommation et les inégalités sociales, ce qui entraîna un mécontentement populaire. Au
même moment, l'administration Reagan persuada l'Arabie saoudite d'accroître sa production
de pétrole ce qui entraîna un effondrement des prix du pétrole en 1985 qui tombèrent à untiers du niveau précédent; cela affecta l’équilibre budgétaire de l’URSS, le pétrole étant l'une
de ses principales exportations. Ces facteurs entraînèrent une stagnation de l'économie
soviétique durant le mandat de Gorbatchev. En même temps, la glasnost (transparence), une
tentative de démocratisation du régime communiste, mal maîtrisée, déclenche des conflits
inter-ethniques et la montée des nationalismes qui favorisent les mouvements de libéralisation
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31
dans les démocraties populaires. Certaines réclament rapidement l’indépendance et la rupture
avec l’URSS.
2.3.2
Le désarmement
Reagan remarqua le changement d'orientation de la direction soviétique avec l'arrivée
de Mikhaïl Gorbatchev et chercha à l’encourager. Reagan croyait que s'il pouvait convaincre
les Soviétiques d'autoriser plus de démocratie et une plus grande liberté de parole, cela
mènerait à la réforme et à la fin du communisme 27. Les initiatives de Reagan trouvèrent un
écho positif chez Gorbatchev, ce qui marqua le début d’une nouvelle période de détente entre
les deux grandes puissances (1985-1989). Gorbatchev et Reagan organisèrent quatre
conférences sur le désarmement entre 1985 et 1988: la première à Genève, la deuxième à
Reykjavik, la troisième à Washington D.C. et la quatrième à Moscou. Les deux hommes
signèrent le traité INF (Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire; en anglais
Intermediate-Range Nuclear Forces Treaty - INF) à la Maison-Blanche le 8 décembre 1987.
Cet accord éliminait l'ensemble de la classe des missiles balistiques à portée intermédiaire qui
avaient été la cause de la crise des euromissiles au début des années 1980. À la date butoir du
1er juin 1991, un total de 2.692 missiles avaient été détruits: 846 par les États-Unis et 1.846
par l'URSS. Selon le traité, chacune des parties pouvait inspecter les installations militaires de
l'autre. Reagan et Gorbatchev posèrent les bases du traité START I 28 qui fut signé au début
des années 1990.
2.3.3
La crise économique et alimentaire
A la fin des années 1980, l’URSS est en plein crise économique. Baisse du prix du
pétrole, choix politiques hasardeux, budgets militaires exorbitants et réactions à retardement
aux problèmes successifs, mènent l’URSS à la faillite. Les problèmes d’approvisionnement se
font plus pressants dans tous les domaines: carburant et denrées alimentaires de première
27
Lors d'un discours devant le mur de Berlin le 12 juin 1987, Reagan déclara: «Secrétaire général Gorbatchev,
si vous cherchez la paix, si vous cherchez la prospérité pour l'Union soviétique et pour l'Europe de l'Est, si vous
cherchez la libéralisation, venez devant cette porte! M. Gorbatchev, ouvrez cette porte! M. Gorbatchev, abattez
ce mur!».
28
Traité de réduction des armes stratégiques (en anglais: Strategic Arms Reduction Treaty, abrégé en START),
désigne deux traités américano-soviétiques visant à réduire la totalité des arsenaux nucléaires des deux
superpuissances (aussi bien les missiles terrestres que sous-marins et aériens). START fait suite aux Strategic
Arms Limitation Talks (SALT), signés par les deux mêmes pays en 1972 et 1979, qui fixaient aux armes
stratégiques offensives des plafonds supérieurs aux niveaux que celles-ci avaient atteints : ils autorisaient donc
leur développement, mais limité. START vise quant à lui à la réduction de ces armes. Le premier traité, START
I, fut signé en juillet 1991 et entra en vigueur en décembre 1994. Il a expire le 5 décembre 2009 sans que les
deux superpuissances aient conclu leurs négociations. Il a donc été reconduit temporairement. À la chute de
l'Union soviétique, START II a été signé en 1993 entre la Fédération de Russie et les États-Unis. Il prévoit une
réduction des arsenaux stratégiques des deux tiers, au terme de laquelle chaque partie ne devra pas disposer de
plus de 3.500 têtes nucléaires stratégiques. START II n'a jamais été appliqué, la Russie voulant d'abord que les
Américains maintiennent en vigueur le traité ABM (Anti-Balistic Missile Treaty). Le traité SORT (Strategic
Offensive Reduction Treaty) entre la Fédération de Russie et les États-Unis signé le 24.05.2002 abaisse les
plafonds de START II. Dans les faits, SORT est une évolution du traité START III de 1997, qui n'a pas eu le
temps d'être ratifié. Le New START est finalement signé le 8 avril 2010 à Prague, toujours entre la Fédération de
Russie et les États-Unis.
AA-06 FR-06-2014 «NOUVEL ORDRE GÉOPOLITIQUE MONDIAL - GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION»
32
nécessité font défaut dans plusieurs régions du pays. Le mécontentement des populations
gagne du terrain.
L’inefficacité du système socialiste de gestion de l’économie, aggravée par la chute du
prix du pétrole et les erreurs stratégiques des dirigeants de l’URSS, devient lisible de
l’étranger. Considérée jusqu’ici comme un "emprunteur fiable", l’URSS commence à susciter
la méfiance des créanciers à partir de 1988. Les besoins soviétiques en crédits, pour couvrir
les déficits, ne sont plus assurés. L’URSS, dont les devises sont au plus bas, a déjà un genou à
terre. En 1989, les grandes sociétés occidentales qui commercent avec l’URSS constatent des
retards de paiements et des difficultés croissantes pour honorer les contrats. En 1990, le
déficit de l’URSS s’élève à plus de 17 milliards de dollars.
Le G7 demande au FMI, à la Banque mondiale, à l’OCDE et à la Banque Européenne
de Développement et de Reconstruction d’analyser la situation économique de l’URSS et de
faire des recommandations pour la mise en place d’une aide financière efficace. Les
demandes de prêts des dirigeants soviétiques auprès des leaders occidentaux se font
pressantes. Les réponses sont assez frileuses même si la situation de l’URSS inquiète.
Fin 1990, le Parlement européen adopte une résolution octroyant une aide alimentaire
et médicale à l’URSS, ce qui montre que les dirigeants occidentaux sont conscients de la
gravité de la situation. Début 1991, la Banque centrale russe perd le contrôle de la circulation
monétaire: les pouvoirs financiers et monétaires des différentes républiques ignorent ses
instructions.
La crise céréalière de l’URSS (dont les stocks s’amenuisent de manière inquiétante) et
le manque d’approvisionnement croissant dans tous les domaines s’ajoutent aux problèmes
économiques du pays. Les files d’attentes s’allongent devant les commerces aux rayons
clairsemés. Le mécontentement populaire grandit.
2.3.4
Les nationalismes
Avec un Etat central affaibli et de plus en plus contesté, les problèmes interethniques
de l’URSS ressurgissent. De plus en plus fréquents, les conflits sanglants entre républiques
socialistes soulignent la perte de contrôle politique du pays. En 1986, Alma-Ata (aujourd’hui
Almaty au Kazakhstan) connait par exemple un mouvement étudiant d’ampleur contre la
nomination d’un Russe comme secrétaire du Parti Communiste Kazakh. La répression du
pouvoir central soviétique est sévère: 8.500 arrestations, 1.700 blessés. Mais, le pouvoir cède
et un Kazakh est finalement nommé comme secrétaire du PCK.
L’armée rouge ne peut agir trop violemment: les dirigeants soviétiques ont besoin de
l’Occident pour combler les déficits et ils savent que l’obtention de crédits n’est possible que
s’ils n’utilisent pas la force et les chars face aux sécessionnistes.
En 1987, Gorbatchev annonce qu'il permet aux pays du bloc de l’Est de réaffirmer leur
souveraineté. Cela permet aux forces d'opposition de commencer à s'exprimer comme en
Pologne et en Hongrie, phénomène qui se concrétise en avril 1989 dans ces deux pays.
AA-06 FR-06-2014 «NOUVEL ORDRE GÉOPOLITIQUE MONDIAL - GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION»
33
L'accord entre Jaruzelski et Walesa (communiste et libéral) permet la transition de la Pologne
vers le libéralisme. En Hongrie, Kadar est évincé et le multipartisme est reconnu. La
contagion gagne progressivement toute l'Europe de l'Est. Le 9 novembre 1989, le mur de
Berlin est démantelé. Un jour plus tard, le 10 novembre 1989, le leader bulgare Todor Jivkov
tombe. Le 16 novembre 1989, les marches de protestation débutent à Bratislava, dans la
Tchécoslovaquie voisine. La mobilisation citoyenne massive et pacifiste permettra une
transition politique en douceur bientôt appelée Révolution de Velours. L’intellectuel-opposant
Vaclav Havel est élu président de Tchécoslovaquie le 29 décembre 1989. Les événements les
plus sanglants interviennent en Roumanie. C’est dans la seconde moitié de décembre que les
habitants de Timisoara (et plus tard de Bucarest) commencent à protester contre le régime de
Nicolae Ceausescu. L’armée reste fidèle au pouvoir dans un premier temps, infligeant de
lourdes pertes aux émeutiers. Mais le régime commence à s'effondrer après avoir ordonné aux
militaires et à la Securitate (les services spéciaux) d'ouvrir le feu sur les manifestants anticommunistes dans la ville de Timişoara le 17 décembre 1989. Quatre jours plus tard, une
manifestation pro-pouvoir, diffusée en direct à la télévision, se transforme en une
démonstration massive de protestation contre le régime. Le 25 décembre, après un procès
expéditif, Ceausescu est exécuté dans la base militaire de Targoviste. Les démocraties
populaires ont été vite anéanties. Le mouvement de libéralisation gagne vite l'opinion
publique des républiques soviétiques dont l'Ukraine et les nations baltiques qui commencent
à pousser aussi pour leur indépendance. Au printemps 1990, Lituanie, Estonie et Lettonie
proclament leur souveraineté, première étape vers le statut d’Etats indépendants, suivis par la
Moldavie, l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie. Gorbatchev tente de persuader la Lituanie de
rester au sein de l’URSS, sans résultat. Le Parlement lithuanien proclame unilatéralement
l'indépendance de la Lituanie le 11 mars 1990. Un blocus sur le pétrole et les produits dérivés
est même entamé, en avril 1990, par les dirigeants soviétiques à l’encontre de la Lituanie,
mais qui ne fléchit pas les indépendantistes.
Cependant, la force principale du démantèlement de l’URSS n’était pas les
mouvements nationalistes des républiques périphériques, mais le président de la République
russe elle-même – Boris Eltsine. Le référendum de mars 1991 avait indiqué que l’écrasante
majorité de la population de la Russie était favorable au maintien de l’Union sous forme
renouvelée d’une confédération. Mais pour Eltsine, qui a pourtant signé l’entente d’union en
avril 1991, le maintien d’un gouvernement fédéral central limitait son pouvoir en Russie.
Pourquoi partager le pouvoir avec un gouvernement central et avec d’autres républiques
quand la Russie était de loin la partie de l’URSS la plus riche en ressources naturelles et en
industrie ? Le 29 mai, Boris Eltsine est élu président du Parlement de la Fédération de Russie
et réclame «la souveraineté» de cette dernière. Le 12 juin 1990, le 1er Congrès du peuple de la
RSFSR (République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie), autrement dit la Russie
actuelle, adopte une Déclaration sur la souveraineté étatique de la république de Russie. C'est
une deuxième atteinte (et de loin la plus grave) à l'intégrité de l'URSS après l'indépendance
unilatérale de la Lituanie déclarée quatre mois plus tôt. En janvier 1991, des mouvements de
troupes débutent, mais les actions de force rencontrent la résistance interne des autres
parlements (de Russie, Biélorussie, Ukraine, Kazakhstan…) et celle de l’opinion publique des
pays occidentaux.
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34
Contraint par la situation économique et financière de l’URSS, empêtré dans une
grève des mineurs, Gorbatchev lâche prise. Il concède même à la réunification de l’Allemagne
(31.08.1990), ce qu’il sera considéré par les survivants de la grande guerre patriotique comme
une trahison vu les énormes sacrifices russes pour la gagner 29. Un vaste mouvement
d’opposition se structure: le Parti communiste en veut à Gorbatchev, l’armée reproche la
faiblesse de l’URSS. Le 1er mai 1990, à l'occasion de la célébration de la fête du travail,
Gorbatchev est hué sur la place Rouge à Moscou et choisit de quitter la tribune officielle. En
juin 1991, le Pacte de Varsovie est dissout.
Le moment d’Eltsine est arrivé le 19 août 1991, à la veille même de la signature du
nouveau traité de l’Union. Les membres du cabinet de Gorbatchev (le vice-président de
l’URSS, le ministre de la Défense, le responsable du KGB et quelques autres hauts
dirigeants), sans Gorbatchev lui-même qui était en vacances, tentent de reprendre les
commandes du pouvoir central par la force et déclarent l’état d’urgence, suspendant toute
activité politique. Les chars et véhicules blindés envahissent la capitale. Mais les putschistes,
mus principalement par la crainte du démantèlement de l’URSS, n’ont pu, ou n’ont pas voulu,
recourir à la répression violente, ce qui a permis à Eltsine, qui s’était barricadé entre les murs
du Soviet suprême (Parlement) russe, d’émerger le 21 août avec l’aura d’un héros de la
résistance démocratique contre le revanchisme bureaucratique. Le putsch avorte et le soir du
21 août les putschistes qui ne se sont pas suicidés sont envoyés en prison.
Le président russe voudrait tirer profit de l'aventure en plaçant ses hommes aux leviers
de commande de l'État fédéral. Gorbatchev le sait et s'empresse de remplacer les putschistes.
Le 23 août, le président soviétique affronte le Parlement russe. Devant les caméras de
télévision, il tente de disculper ses ministres, mais Eltsine force le président de l'URSS à lire
un document prouvant que tous ses ministres, sauf un, soutenaient le coup d'État. Tout le
Cabinet soviétique est alors remplacé par les hommes d'Eltsine. À partir de là, Eltsine s’est
mis systématiquement à s’approprier les pouvoirs de Gorbatchev, transformant le
gouvernement central en coquille vide. Le 25 août 1991, Boris Eltsine suspend les activités du
PCUS et confisque ses biens. La suspension sera transformée en dissolution le 6 novembre.
Les Ukrainiens votent en faveur de l'indépendance au cours d'un référendum tenu le 1er
décembre.
Boris Eltsine, ainsi que ses homologues d'Ukraine, Leonid Kravtchouk, et de
Biélorussie, Stanislaw Chouchkievitch, se rencontrent à Minsk le 8 décembre 1991 et
concluent les accords de Belaveja, selon lesquels l'Union soviétique serait dissoute. Ils
décident de fonder une Communauté d'Etats indépendants [CEI] ouverte à tous les Etats de
l'ancienne URSS. Gorbatchev tenta vainement de s'opposer à l'inéluctable. Le 17 décembre,
Gorbatchev et Eltsine décident d'un commun accord que les structures de l'URSS cesseront
d'exister avant la fin de l'année. Le 20 décembre, le gouvernement russe s'empare de la
Banque centrale soviétique. Les présidents de 11 des 15 ex-républiques soviétiques (les trois
29
Cela explique le taux de popularité très bas de Gorbatchev dans la Fédération de la Russie (à peine 2%
d’opinions favorables), alors que plus de ¾ des américains considèrent Reagan comme un grand président des
Etats-Unis.
AA-06 FR-06-2014 «NOUVEL ORDRE GÉOPOLITIQUE MONDIAL - GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION»
35
républiques baltes d'Estonie, de Lettonie et de Lituanie, ainsi que la Géorgie ayant boycotté la
réunion), se rencontrent le 21 décembre à Alma-Ata, au Kazakhstan, et entérinent la décision
prise à Minsk. Tous s'entendirent pour que le siège de membre permanent au Conseil de
sécurité de l'ONU que détenait l'Union soviétique revienne à la Russie. Les accords sur les
armes nucléaires, incluent le rapatriement de l’essentiel de l’arsenal atomique vers la Russie.
La dissolution de l’URSS devint effective cinq jours plus tard, le 26 décembre 1991, le
lendemain de la démission de Gorbatchev de la Présidence de l'Union soviétique (25
décembre). Enfin l'ultime étape de ce processus extraordinairement rapide, voit au Kremlin le
drapeau rouge de l'Union soviétique céder sa place au drapeau tricolore de la Russie. C'est la
fin de l'URSS et la création de la CEI (Communauté des Etats Indépendants); il n'y a
désormais plus de citoyenneté soviétique. Dans la période de liquidation des structures du
régime soviétique qui suivra, l'armement est mis sur le marché à bas prix, et des filières
clandestines de ventes d'armes nucléaires se créent. Beaucoup de savants vont quitter l'URSS
pour aller «aider», avec leurs connaissances, certains pays du Moyen Orient.
Seul, parmi ces cibles initiales américaines, le régime communiste de Fidel Castro à
Cuba dans les Caraïbes lui a résisté et est encore là.
2.3.5
Le chaos politique et socio-économique
Lorsque la dissolution de l’URSS est prononcée, les frontières entre les nouveaux états
- héritage de la configuration des anciennes républiques soviétiques avant et après la Seconde
Guerre mondiale - sont confuses ou conflictuelles. Des populations russes auparavant maîtres
de leurs régions se convertissent subitement en minorités ethniques dans des Etats
indépendants qui suivent des orientations économiques et politiques parfois radicalement
différents par rapport à celles de l’ère soviétique (pays Baltes, Géorgie, Ukraine…). Certains
de ces nouveaux états n’ont pas existé dans le passé et peinent d’afficher une identité
nationale propre (Biélorussie, Ukraine, Moldavie…). D’autres, prolongation d’états-nations
historiques (Russie, Géorgie, Arménie) essaient de consolider ou de récupérer des territoires
qu’ils considèrent leur appartenant. L'Arménie et l'Azerbaïdjan se sont affrontés autour du
territoire séparatiste du Nagorny Karabakh. La Géorgie a combattu des séparatistes en
Abkhazie et en Ossétie du Sud. La Russie a mené deux campagnes sanglantes dans sa petite
république rebelle de Tchétchénie. Dans d’autres nouveaux états, des conflits religieux
éclatent: le Tadjikistan a été le théâtre d'une guerre civile contre les islamistes et une rébellion
désormais islamiste s'est répandue dans le Caucase russe.
La libéralisation brutale de l’économie qui s’ensuit a des conséquences graves sur
l’outil productif, l’emploi et par conséquent sur le plan social. Les infrastructures furent
dégradées. Ainsi, la chute du système soviétique a pris la forme d’une révolution par en haut,
dirigée par une coalition de bureaucrates et d’un groupe socialement hétérogène d’affairistes
et d’intellectuels pro-capitalistes, reléguant au rôle de bélier les mouvements populaires,
ouvrier et citoyens (démocratiques), qui pourtant prenaient de l’ampleur avant la chute. Par la
suite, la «thérapie de choc», agressivement promue par les États occidentaux et le FMI, a
sévèrement miné la capacité d’auto-organisation et de lutte des classes populaires. Certains de
AA-06 FR-06-2014 «NOUVEL ORDRE GÉOPOLITIQUE MONDIAL - GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION»
36
ces nouveaux états deviennent nettement moins riches que lorsqu’ils faisaient partie de
l’URSS: c’est le cas de l’Ukraine. La Moldavie et le Tadjikistan, aux extrémités opposés de
l'ex-empire soviétique, sont minés par la pauvreté avec des PIB par personne de 1.800 et 800
dollars respectivement, selon les données de la Banque mondiale.
Dans la Fédération de la Russie la tombée du communisme apporte peu de délivrance.
Les réformes économiques introduites par Eltsine conduisent au chômage et au haut taux de
pauvreté. Des oligarques et des mafias exploitent à leur profit les ressources du pays. Bien que
les Russes soient plus libres qu'ils n'ont jamais été de leur histoire, un sondage récent indique
que près des deux tiers des Russes ont la nostalgie pour l'aide sociale soviétique, l'ordre, la
sécurité et la fierté d'être une superpuissance mondiale, tous perdus lors de la chute de
l'empire soviétique.
A partir du 31 décembre 1999, Vladimir Vladimirovitch Poutine assure les fonctions
de président de la Fédération de Russie par intérim à la suite de la démission de Boris Eltsine.
Il devient président de plein exercice le 7 mai 2000, après avoir remporté l'élection
présidentielle dès le premier tour. Confortablement réélu en 2004, puis en 2012, il mène une
grande politique de réformes, un redressement de l'économie nationale et une nouvelle
politique étrangère fondée sur une géostratégie russe digne de la grandeur et des visions
mondiales de ce pays. Depuis son ascension au pouvoir, Vladimir Poutine, déterminé à
restaurer ce qu'il appelle «la verticale du pouvoir», gouverne avec une fermeté notoire et une
efficacité surprenante qui a mis fin aux politiques désastreuses de laissez-faire introduites par
Gorbatchev et poursuivies sous Boris Eltsine. Ses réactions fulgurantes, bien réfléchies,
mettront en échec les tentatives américaines en 2008 (Géorgie) et en 2014 (Ukraine) pour
encercler et faire acculer davantage la Russie conformément aux objectifs du «Grand
échiquier» de Zbigniew Brzezinski (cf. infra).
2.3.6
Pourquoi l'URSS s'est-elle écroulée au début des années 1990 ?
Chaque révolution est une surprise. Il reste que la dernière révolution russe est à
classer parmi les surprises les plus grosses. À l’ouest ou à l’est, dans les années qui ont
directement précédé 1991, aucun expert, universitaire, officiel, ou politique ou dissident ou
presque n’avait entrevu l’écroulement imminent de l’Union soviétique et, accompagnant la
chute de la dictature du parti unique, celle de l’économie étatisée et du contrôle par le Kremlin
de ses empires en Europe de l’Est et en Asie.
Lorsque Mikhail Gorbatchev accède au poste de «Secrétaire général du comité central
du Parti communiste de l'Union soviétique» en mars 1985, aucun de ses contemporains
n’anticipe la crise révolutionnaire. En dépit de désaccords sur l’étendue et la profondeur des
problèmes du système soviétique, personne ne les envisageait comme une menace vitale, en
tout cas pas à brève échéance.
Richard Pipes, un des plus grands historiens américains de la Russie et conseiller du
président Ronald Reagan, qualifia la révolution «d’inattendue». L’un des architectes de la
stratégie des Etats-Unis au cours de la guerre froide, George Kennan, a aussi écrit qu’à
AA-06 FR-06-2014 «NOUVEL ORDRE GÉOPOLITIQUE MONDIAL - GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION»
37
considérer l’intégralité de «l’histoire des relations internationales dans l’ère moderne», il lui
était «difficile de citer un événement plus étrange, plus surprenant, et de prime abord plus
inexplicable que la soudaine et totale désintégration et la disparition de la grande puissance
connue sous le nom d’Union Soviétique». Enfin, le magazine conservateur «National Interest»
publiait en 1993 dans un numéro spécial une série d’essais sur la chute de l’Union Soviétique
sous le titre: «La curieuse mort du communisme soviétique».
Comment expliquer un manque de vue à long terme si étrangement généralisé? En
réalité, ni des raisonnements économiques, non plus des arguments politiques ne laissaient
préjuger un écroulement aussi rapide, suivi d’une désintégration totale de la deuxième
surpuissance mondiale.
De fait, l'Union soviétique de 1985 possédait encore l’essentiel des ressources
naturelles et humaines qu’elle détenait dix ans auparavant. De toute évidence, le niveau de vie
y était bien plus bas que dans la majorité de l’Europe de l’Est, sans parler de l’Europe de
l’Ouest. Les pénuries, le rationnement alimentaire, les longues queues dans les magasins et la
pauvreté extrême y étaient endémiques. Mais l’Union Soviétique avait connu de bien plus
grandes calamités et les avait affrontées sans sacrifier un iota de la mainmise de l’état sur la
société et l’économie et encore moins l’abandonner.
Les indicateurs clé de performance économique d’avant 1985 ne suggéraient pas plus
l’imminence du désastre. De 1981 à 1985, la croissance du PIB du pays, bien qu’en baisse par
rapport aux années soixante et 70, s’établissait en moyenne à 1,9 % par an. Cette
configuration, nonchalante mais loin d’être catastrophique, s’est prolongée jusqu’en 1989. Les
déficits budgétaires, qui depuis la révolution française sont considérés comme principaux
présages d’une crise révolutionnaire à venir, étaient équivalents à 2 % du PIB en 1985. Bien
qu’en augmentation rapide, le déficit s’est maintenu jusqu’à 1989 inclus en deçà de 9 % - un
chiffre que bien des économistes trouveraient très raisonnable.
La chute vertigineuse des cours du pétrole, de 66 dollars le baril en 1980 à 20 dollars
en 1986 (en valeur 2000) a sans doute porté un coup sérieux aux finances de l’Union
Soviétique. Mais, revalorisé pour tenir compte de l’inflation, le pétrole était plus cher sur les
marchés mondiaux en 1985 qu’en 1972, et seulement un tiers moins cher que sur toutes les
années 70. Parallèlement, les revenus en Union soviétique ont augmenté de 2 % en 1985 et les
salaires, corrigés de l’inflation, ont continué d’augmenter sur les cinq années suivantes,
jusqu’en 1990, à un rythme moyen supérieur de 7 %.
La stagnation, il est vrai, était évidente, et préoccupante. Mais comme l’a montré le
professeur Peter Rutland de l’Université de Wesleyan: «après tout, les maladies chroniques ne
sont pas nécessairement fatales au patient». Le grand spécialiste des causes économiques de la
révolution, Anders Åslund lui-même, note que de 1985 à 1987, la situation n’était
«absolument pas alarmante».
Du point de vue du régime, la situation politique est encore moins problématique.
Après 20 ans de persécutions implacables contre toute opposition politique, les principaux
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38
dissidents étaient tous ou presque en prison, en exil (comme Andrei Sakharov depuis 1980),
contraints à l’émigration, ou morts en prison ou dans un camp.
Aucun autre signe de crise prérévolutionnaire non plus, et notamment de la cause
traditionnelle de l’écroulement des états - la pression extérieure. Au contraire, la décennie
précédente est à juste titre considérée comme ayant permis «la réalisation de tous les
principaux objectifs militaires et diplomatiques des Soviétiques», comme l’écrit l’historien et
diplomate américain Stephen Sestanovich. Bien sûr, l’Afghanistan s’installe de plus en plus
dans ce qui ressemble à une guerre longue, mais pour une armée soviétique forte de cinq
millions d’hommes, les pertes subies sont négligeables. La guerre en Afghanistan n'a pas
coûté non plus si cher. Effectivement, en dépit du rôle capital que l’immense coût financier du
maintien de l’empire allait jouer dans les débats postérieurs à 1987, le coût de la guerre en
Afghanistan par lui-même est loin d’être astronomique: estimé entre quatre et cinq milliards
de dollars en 1985, il ne représente qu’une part insignifiante du PIB soviétique.
Pas plus que l’Amérique n’en fut le catalyseur. La «Doctrine Reagan» de résistance et,
si possible, de renversement des avancées de l’Union soviétique dans le Tiers-monde a
effectivement mis une pression considérable sur le périmètre de l’empire, dans des endroits
tels que l’Afghanistan, l’Angola, l’Éthiopie, le Nicaragua ou l'île de la Grenade. Néanmoins,
les difficultés des Soviétiques, là encore, furent loin d’être fatales.
L’Initiative de Défense Stratégique proposée par Reagan, qui annonçait une course
aux armements potentiellement très coûteuse, fut sans doute un facteur crucial - mais loin
cependant d’être annonciatrice d’une défaite militaire, le Kremlin sachant pertinemment que
le déploiement effectif dans l’espace de systèmes de défenses n’interviendrait pas avant des
décennies.
De la même façon, quand bien même le soulèvement pacifique contre le régime
communiste des travailleurs polonais en 1980 a pu constituer pour les leaders soviétiques un
développement des plus préoccupants, car soulignant la fragilité de l’empire, en 1985
«Solidarność » paraissait à bout de forces et n'a subsisté uniquement que comme mouvement
clandestin, soutenu par l'Église catholique romaine et la CIA. De toute façon, l’Union
soviétique semblait s’être résolue à entreprendre tous les douze ans une «pacification» dans le
sang en Europe de l’Est ­ la Hongrie en 1956, la Tchécoslovaquie en 1968, la Pologne en
1980 - sans trop se préoccuper de l’opinion mondiale.
Nous avions donc, en d’autres mots, une Union soviétique au faîte de sa puissance et
de son influence dans le monde, que ce soit à ces propres yeux qu’à ceux du reste du monde.
«On a tendance à oublier», devait écrire par la suite l'historien Adam Ulam, «qu’en 1985,
aucun gouvernement d’un grand pays ne paraissait aussi fermement installé au pouvoir, ses
politiques aussi clairement tracées, qu’en URSS».
Il y avait bien sûr de nombreuses raisons structurelles - économiques, politiques,
sociales - qui expliquent pourquoi l’Union soviétique s’est écroulée. Mais elles n’expliquent
pas tout à fait comment cela s’est produit lorsque cela s’est produit. À savoir, comment entre
1985 et 1989, en l’absence d’aggravation marquée des conditions économiques, politiques,
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39
démographiques et autres conditions structurelles, l’état et son système économique sont-ils
soudainement apparus si scandaleux, illégitimes et intolérables aux yeux de suffisamment
d’hommes et de femmes pour être condamnés à disparaître ?
Pour Egon Bahr, politicien allemand du SPD de cette époque, l'URSS s'est effondrée
parce qu'elle était "incapable de se réformer". C’est de la foutaise, car l'URSS n'a cessé de se
réformer et, dans un sens moins extrême, il est vrai depuis la mort de Staline en 1953. Helmut
Schmidt, autre politicien du SPD et chancelier allemand de 1974 à 1982, est nettement plus
clairvoyant dans son diagnostic que son collègue Bahr. Pour lui la chute de l'URSS est la
conséquence des "expérimentations précipitées de Gorbatchev".
2.3.7
Trahison ?...
Lorsque le dernier Président de l'Union soviétique Mikhail Gorbachev a annoncé ses
campagnes de «perestroïka» et de «glasnost», il aidait en fait les Américains dans la
destruction de son pays. Est-ce que Gorbatchev a été dupe, complice involontaire, un agent
de la CIA dissimulé ou victime de manipulations de la part d’organisations obscures
(Illuminati) 30 ? L’histoire le prouvera. Quoi qu'il en soit, il a joué un rôle clé dans le
démantèlement de l'Union soviétique.
L’effondrement extraordinairement rapide et difficilement explicable de l’Empire
soviétique – sans même sans un coup de feu, alors que l’Armée rouge était la plus puissante
au monde !!! – milite en faveur de l’hypothèse de la trahison, mais pas au sens où on l'entend
habituellement. Au sommet de l'appareil communiste, il est peu probable que les traîtres aient
30
Le terme «Illuminati», signifiant littéralement «les Illuminés» (du latin illuminare: illuminer, connaître,
savoir) désigne plusieurs groupes, historiques ou contemporains, réels, fictifs ou d'existence controversée. Les
Illuminati, selon les théories du complot, sont une organisation conspiratrice supposée agir dans l'ombre du
pouvoir, contrôlant prétendument les affaires du monde au travers des gouvernements et des grandes
multinationales et visant à l'établissement d’un Nouvel ordre mondial. Les membres des Illuminati ne sont pas
connus de manière certaine, même si certains noms circulent avec insistance. Il s'agit de grandes familles
capitalistes ou issues de la noblesse, comme par exemple les Rothschild, les Harriman, les Russel, les Dupont,
les Windsor, ou les Rockefeller (notamment l'incontournable David Rockefeller, également co-fondateur du
Groupe de Bilderberg et du Council on Foreign Relations ou CFR). Les Illuminati se considèrent comme
détenteurs d'une connaissance et d'une sagesse supérieure, héritées de la nuit des temps, et qui leur donne une
légitimité pour gouverner l'humanité. Les Illuminati sont la forme moderne d'une société secrète très ancienne, la
"Fraternité du Serpent" (ou "Confrérie du Serpent"), dont l'origine remonte aux racines de la civilisation
occidentale, à Sumer et Babylone, il y a plus de 5000 ans. Les Illuminati existent sous leur forme actuelle depuis
1776, date de fondation de l'Ordre des Illuminati en Bavière par Adam Weishaupt, un ancien Jésuite. Leur projet
était de changer radicalement le monde, en anéantissant le pouvoir des régimes monarchiques qui entravaient
selon eux le progrès des idées (en réalité ils empêchaient la prise de pouvoir par des Illuminati). La Révolution
Française, la Révolution américaine et la fondation des Etats-Unis, ainsi que la chute de l’Empire russe auraient
été des résultats de leur stratégie. Aussi surprenant que cela puisse paraître, la puissance des Illuminati serait
exhibée bien en évidence sur le billet vert. Le roi dollar incarnerait ainsi l'avènement de leur empire. C’est après
l’élection en 1933 du président américain Franklin D. Roosevelt - un franc-maçon - que le billet de 1 dollar
adopte son aspect actuel. Dans la partie gauche du billet figure une bien étrange pyramide égyptienne, coupée en
deux. A la base de cette pyramide est inscrit le nombre MDCCLXXVI, soit 1776. C'est l'année de la fondation
des Etats-Unis. Mais aussi celle de l'ordre des Illuminati de Bavière…Au sommet, "l'œil irradiant dans toutes les
directions" représente "l'œil qui espionne tout". Sous la pyramide, l'expression latine «Novus Ordo Seclorum»
explique la nature de l'entreprise: la signification serait "un Nouvel ordre social" ou une "nouvelle donne", soit
un "New Deal". «Annuit Coeptis» signifierait: "Notre entreprise [la conspiration] a été couronnée de succès". Et
de nombreux autres codes seraient cachés dans le billet vert… (source: "Pawns in the Game" (Des Espions sur
l'échiquier), William Guy Carr, 1958). Et de nombreux autres codes seraient cachés dans le billet vert.
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40
été achetés d’au moins ouvertement par l'Occident. Pour certains, comme Gorbatchev (dernier
secrétaire général du PC) ou Chevardnadze (dernier ministre des Affaires étrangères), la
récompense est venue après la trahison. Pour le premier, sous forme de "conférences" à
100.000 dollars l'unité et de livres "vendus" à des millions d'exemplaires. Pour l'autre, sous
forme d'un fauteuil présidentiel en Géorgie et d'une propriété de onze millions d'Euros à
Baden-Baden 31.
Après la Perestroïka, la pizza ! En 1997, Gorbatchev a tourné un film publicitaire pour
«Pizza Hut» (une chaîne de restauration rapide en franchise dont le siège social est situé dans
la région de Dallas au Texas). Le spot le montre en train de servir à sa petite-fille un morceau
de tarte au fromage, tandis que les autres clients russes discutent son héritage (la ruine
économique ou la liberté?). A la fin, tous l’applaudissent pour avoir amené la pizza.
Gorbatchev a dit qu'il a fait de la publicité pour gagner de l'argent pour sa fondation éponyme.
Il a également noté que la pizza était le rapprochement des peuples. Quoi qu’il en soit, il fut
durement critiqué d’avoir fait cette publicité, jugée indigne de la part d’un ex-président de la
deuxième superpuissance du monde…
Une décennie plus tard, il a échangé la malbouffe pour des bagages de luxe,
apparaissant dans une publicité imprimée pour Louis Vuitton, assis sur la banquette arrière
d'une berline, un sac Vuitton à côté de lui et le mur de Berlin en arrière-plan… En 2008
Gorbatchev reçoit la Médaille américaine de la liberté décernée pour son rôle dans
l′achèvement de la guerre froide. Il tente de tenir à bout de bras des partis politiques sans
succès et multiplie les come-back (in the ex-USSR) avortés. Et, last but not least, il a tourné
des films et a enregistré en 2009 un disque de vieilles ballades romantiques russes.
Coïncidence ? Durant le putsch de Moscou d'août 1991 qui provoqua la chute de l'Union
soviétique, le président de la Fédération de Russie Boris Eltsine commanda aussi des pizzas
préparées par «Pizza Hut» pour tous les hommes barricadés dans la Maison Blanche russe.
Comme le montre le philosophe, sociologue, écrivain et... dissident russe Alexandre
Zinoviev (1922-2006) 32 dans son essai «Le facteur de trahison» 33 :
31
Cf. «LA CHUTE DE L'URSS - Porte ouverte à tous nos ennuis actuels »,
http://wotraceafg.voila.net/chute.htm#trahison
32
Alexandre Zinoviev (en russe: Александр Александрович Зиновьев), né à Pakhtino le 29 octobre 1922 et
mort à Moscou le 10 mai 20061, est un philosophe, logicien, écrivain et caricaturiste russe. En 1939, il finit
l'école avec mention et entre à l'Institut de philosophie, littérature et histoire de Moscou (MIFLI). Ses activités
clandestines de critique de la construction du socialisme conduisent à son expulsion du MIFLI, puis à son
arrestation. Il s'évade et, après une année d'errance à travers le pays sous divers noms d'emprunts, il finit par
s'enrôler volontairement dans l'Armée rouge en 1940 pour échapper aux recherches. Il prend part à la Seconde
Guerre mondiale en tant que fantassin, tankiste puis aviateur. Il effectue 31 sorties de combat et est décoré de
l'ordre de l'Étoile rouge. Démobilisé, Alexandre Zinoviev entre à la faculté de philosophie de l'Université d'État
de Moscou en 1946. En 1951, il obtient son diplôme avec mention et commence une thèse. Il est l'un des
fondateurs du cercle de logique de Moscou. En 1955, il devient collaborateur scientifique de l'Institut de
philosophie de l'Académie des sciences d'URSS. En 1960, il soutint sa thèse d'habilitation et reçut le titre de
professeur et de directeur de la chaire de logique de l’Université d'État de Moscou. Il écrivit de nombreux livres
et articles scientifiques de renommée internationale. Zinoviev est démis de ses charges de professeur et de
directeur de la chaire de logique pour avoir refusé de renvoyer deux enseignants. Il commence alors à produire
des écrits autres que scientifiques qu'il fait passer à l'Ouest. Ses livres sont jugés «antisoviétiques» pour nonrespect des normes idéologiques, et Zinoviev se voit retirer titres scientifiques et décorations militaires avant
d'être renvoyé de son institut. Les organes de sécurité, lui proposent l'alternative entre la prison et l'exil. Il choisit
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[...] "Toute l'évolution de la trahison dont nous avons parlé s'est concentrée dans la
trahison gorbatchevo-eltsinienne. L'élément nouveau qui s'y est greffé a été le fait que la
trahison s'est accomplie comme l'aboutissement d'une opération de destruction interne du
pays entreprise par l'Occident et destinée à terminer la 'guerre froide'. Gorbatchev, en tant
que chef du parti et de l'Etat, a donné le signal de la trahison et, comme une avalanche, elle a
submergé le pays....
Le devoir [du gouvernement] consistait dans le maintien et le renforcement de la
structure sociale existante, la protection de l'unité territoriale du pays, la défense et le
renforcement de la souveraineté du pays sous tous les aspects de son organisation sociale (le
pouvoir, le droit, l'économie, l'idéologie, la culture), la sécurité personnelle des citoyens, la
sauvegarde du système d'éducation et d'instruction publique, des droits sociaux et civiques,
bref, de tout ce qui avait été acquis pendant les années soviétiques et qui était devenu le mode
de vie habituel de la population. Le pouvoir savait cela. La population était persuadée que le
pouvoir allait remplir ses obligations et elle faisait confiance au pouvoir...
La trahison est restée inaperçue et impunie, parce que ses initiateurs et ses chefs (les
organisateurs) ont impliqué dans ce processus des millions de citoyens soviétiques 'en noyant'
leur propre trahison dans la trahison de masse et en se lavant ainsi de leur propre
responsabilité.
La population, ou bien est devenue la complice et l'instrument de la trahison, ou bien
est restée passive (indifférente) à son égard. D'une manière générale, la majorité n'a pas
compris ce qui était arrivé. Et quand elle a commencé à comprendre quelque chose, la
trahison était déjà accomplie. Une circonstance qui a joué un rôle dans tout cela est le fait
que le peuple soviétique pendant soixante-dix ans a supporté le poids très lourd d'une mission
historique. Il était las de cette mission. Il perçut le renversement contre-révolutionnaire
comme une libération de ce poids historique et il a soutenu le renversement ou, en tout cas, il
n'y a pas fait obstacle, sans réfléchir et sans envisager les conséquences qui résulteraient de
cette libération. Il ne venait alors à l'esprit de personne que le peuple soviétique, en rejetant
le poids de sa mission historique, capitulait devant l'ennemi sans combattre, qu'il commettait
une trahison envers lui-même.
Il va de soi que dans le comportement de la population, le régime social de notre pays
a joué un rôle. Le système du pouvoir était organisé de telle sorte que les masses de la
population étaient totalement privées d'initiative sociale et politique. Cette initiative était
entièrement le monopole du pouvoir. Et dans le cadre du pouvoir lui-même, elle était
concentrée au sommet et ne se répercutait que dans une faible mesure aux différents niveaux
de la hiérarchie. On avait inculqué à la population une confiance absolue dans le pouvoir. Et
l'exil. Il trouva refuge à Munich, où il accomplit diverses tâches scientifiques ou littéraires, sans obtenir de poste
fixe. En 1999, il retourne en Russie, révolté par la participation de l'Europe occidentale aux opérations de
l'OTAN contre la Serbie. En Russie, à travers son article «Quand a vécu Aristote ?», il adopte la théorie de la
Nouvelle Chronologie d'Anatoli Fomenko dans le sens où il proclame que l'histoire, ces récits, ces écrits ont
toujours été de tout temps détournés, effacés, falsifiés au profit d'un vainqueur.
33
Cf. «LE FACTEUR DE TRAHISON» - Alexandre Zinoviev, édité par le Comité Valmy, 24 avril 2014;
http://www.comite-valmy.org/spip.php?article407
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à l'intérieur du pouvoir cette confiance s'était focalisée au sommet. Il ne venait pas à l'esprit
des gens que le sommet du pouvoir pouvait s'engager sur la voie de la trahison. De sorte que
lorsque le processus de la trahison a commencé, la population l'a interprété comme une
simple initiative du pouvoir et que l'aspect de trahison est passé inaperçu.
L'idéologie a aussi apporté son tribut à la préparation de la trahison. Comme on sait,
l'un des principes de l'idéologie soviétique est l'internationalisme. D'une part, ce principe
s'est confondu avec le cosmopolitisme pour une certaine partie de la population,
essentiellement pour la partie cultivée, aisée et non russe. Les tentatives de Staline de lutter
contre le cosmopolitisme s'étaient soldées par un échec. D'autre part, l'internationalisme
favorisait le fait que la plupart des citoyens d'origine russe se trouvaient en Union Soviétique
dans la situation la plus misérable. La politique nationale du pouvoir s'est avérée antirusse,
elle s'est faite dans une large mesure au détriment des Russes. Cela a conduit à l'effacement
ou, tout au moins, à l'amenuisement de la conscience nationale des Russes, à la
dénationalisation de la Russie. Et cela a entraîné à son tour l'indifférence du peuple russe
envers la trahison des dissidents, des émigrants, des dirigeants politiques, des personnalités
de la vie culturelle (non russes pour la plupart) et des autres catégories de citoyens qui
avaient une orientation cosmopolite.
Est-ce que la trahison a joué un rôle décisif dans la faillite du système ? Si on entend
par le mot 'décisif' que si la trahison n'avait pas eu lieu, le régime social de l'Union
Soviétique et l'Union Soviétique elle-même auraient pu être sauvés et que le pays aurait évité
la catastrophe, on peut probablement répondre par l'affirmative à la question posée. La
probabilité d'une pareille issue de la guerre froide s'est renforcée par le fait que, dans la
dernière étape de cette guerre, la stratégie occidentale a misé presque à cent pour cent sur
cette trahison. La contre-révolution soviétique (russe) a pris justement la forme historique
concrète de la trahison, une trahison imposée par les ennemis du dehors, organisée par l'élite
idéologique dirigeante du pays, soutenue par la partie socialement active de la population et
par la masse passive du reste de la population qui a capitulé sans combattre". [...]
Selon les aveux de Gorbatchev 34: [...] "Le but de toute ma vie fut la destruction du
communisme, insupportable dictature sur les hommes. Je fus entièrement soutenu par ma
femme, qui en comprit la nécessité encore avant moi. C'est exactement dans ce but que j'ai
utilisé ma position dans le Parti et dans le pays. C'est exactement dans ce but que ma femme
m'a toujours poussé à occuper une position de plus en plus élevée dans le pays"...
La Russie ne peut pas être une grande puissance sans l'Ukraine, le Kazakhstan, les
républiques du Caucase. Mais elles ont déjà pris leur propre chemin, et leur réunion
mécanique n'aurait aucun sens, puisqu'elle déboucherait sur un chaos constitutionnel. Les
Etats indépendants ne peuvent s'unir que sur la base d'une idée commune, de l'économie de
marché, de la démocratie, des droits égaux pour tous les peuples…
34
Avancés par Mikhaïl Gorbatchev en 1999, à l'occasion d'un discours publié par le journal USVIT ("Aube"), n°
24, 1999, Slovakie. Cf. http://voix-du-proletariat.blogspot.be/2010/08/les-aveux-du-traitre-gorbatchev.html
AA-06 FR-06-2014 «NOUVEL ORDRE GÉOPOLITIQUE MONDIAL - GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION»
43
Lorsqu’Eltsine détruisit l'URSS, j'ai quitté le Kremlin, et certains journalistes ont fait
la supposition que j'aurais alors pleuré. Mais je n'ai pas pleuré puisque j'en ai fini avec le
communisme en Europe. Mais il faut finir avec lui aussi en Asie, puisqu'il est le principal
obstacle sur la route de l'humanité vers la réalisation de la paix et de la concorde universelle.
La destruction de l'URSS n'apporte aucun profit aux USA. Etant donnée l'absence de
partenaire égal pour les Etats-Unis, naturellement nait la tentation de s'attribuer le rôle de
l'unique leader mondial, qui ne prends pas en compte l'intérêt des autres. Cette erreur est
source de maints dangers pour les Etats-Unis eux-mêmes, comme pour le monde entier. Le
chemin pour les peuples vers la liberté véritable est long et difficile, mais il sera forcément
victorieux. Mais pour cela le monde entier doit se libérer du communisme". [...]
Images N° 9 & 10: Publicités de Gorbatchev pour «Pizza Hut» et «Luis Vuitton»
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44
3. LES ETATS - UNIS SEULE SUPERPUISSANCE AU MONDE
3.1 Les Géostratégies de domination
3.1.1
La stratégie de l’Anaconda
Pour le géopoliticien allemand Karl Haushofer les Anglo-saxons pratiquent la
politique de l’Anaconda, consistant à enserrer progressivement sa proie et à l’étouffer
lentement.
Le penseur, juriste et philosophe allemand Carl Schmitt, dans son ouvrage «Terre et
Mer» , rappelle que les cabalistes du Moyen-Age interprétaient l’histoire du monde comme
un combat entre un animal marin, une puissante baleine, le Léviathan, et un animal terrien,
éléphant ou taureau, le Behemoth 36. Ce dernier essaie de déchirer le Léviathan avec ses
défenses ou ses cornes, tandis que la baleine s’efforce de boucher avec ses nageoires la gueule
du terrien pour l’affamer ou l’étouffer. Pour Schmitt, derrière cette allégorie mythologique se
cache le blocus d’une puissance terrestre par une puissance maritime. Il ajoute: «l’histoire
mondiale est l’histoire de la lutte des puissances maritimes contre les puissances
continentales et des puissances continentales contre les puissances maritimes», axiome que
reprendront les géopoliticiens anglo-saxons.
35
3.1.2 La puissance Maritime («Sea Power») de Alfred Mahan
Premier d’entre eux, l’amiral Alfred Mahan 37, estime que la puissance maritime («Sea
Power») s’est révélée déterminante pour la prospérité des nations. Pour lui, la Mer peut agir
contre la Terre – alors que l’inverse n’est pas vrai – et finit toujours par l’emporter.
Profondément persuadé que la maîtrise des mers assure la domination des terres, il énonce :
«L’Empire de la mer est sans nul doute l’Empire du monde»38. Dans «The problem of Asia»
(1900), il applique à l’Eurasie son paradigme géopolitique, insistant sur la nécessité d’une
coalition des puissances maritimes pour contenir la progression vers la haute mer de la grande
35
Poursuivant dans ce livre une réflexion entamée pendant le second conflit mondial, Carl Schmitt se propose de
mettre en lumière un domaine entièrement neuf de la stratégie: le monde vu de la mer ou, plus exactement, pris à
partir de l’angle marin. Cf. «Terre et Mer, un point de vue sur l'histoire du monde», Paris, Le Labyrinthe, 1985.
36
Les noms de Léviathan et de Behemoth sont empruntés aux chapitres 40 et 41 du Livre de Job.
37
Alfred Thayer Mahan, plus connu sous le nom d'Alfred Mahan ou celui d'Alfred T. Mahan, (27 septembre
1840 - 1er décembre 1914), était un historien et stratège naval américain. Mahan est surtout reconnu pour son
influence sur la doctrine maritime des États-Unis. Son ouvrage «The Influence of Sea Power upon History,
1660-1783 »(1890) a été le plus influent de son époque en matière de stratégie militaire et de politique étrangère.
Mahan insistait sur la nécessité pour les États-Unis de développer une marine de guerre puissante. L’importance
de Mahan vient surtout de l’influence qu’il a exercée sur des hommes bien placés (Benjamin Tracy, Henry Cabot
Lodge, Theodore Roosevelt) pour définir la politique étrangère américaine. En 1890, le Naval Policy Board
affirma la nécessité pour les États-Unis d’avoir une flotte puissante non seulement pour ses défenses côtières,
mais aussi capable de contrôler les océans autour des États-Unis. En 1898, lors de la guerre hispano-américaine,
l’US Navy comptait 5 cuirassés. En 1900, elle devenait la troisième du monde et en 1908, elle sera la deuxième.
Dans les Caraïbes, il était médiocrement intéressé par Cuba, Haïti ou Porto Rico, îles fortement peuplées. Il
préférait la possession des îles Hawaii, clé de l’océan Pacifique.
38
A.T. Mahan, “The problem of Asia and its effect upon international policies”, Sampson Low-Marston,
London, 1900, p.63.
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45
puissance terrestre de l’époque, la Russie. En effet, sa position centrale confère un grand
avantage stratégique à l’Empire russe, car il peut s’étendre dans tous les sens et ses lignes
intérieures ne peuvent être coupées. Par contre - et là réside sa faiblesse - ses accès à la mer
sont limités, Mahan ne voyant que trois axes d’expansion possibles: en Europe (pour
contourner le verrou des détroits du Bosphore et de l’Hellespont détenus par les turcs), vers le
Golfe persique et sur la Mer de Chine. C’est pourquoi il préconise un endiguement de la
«tellurocratie russe» passant par la création d’un vaste front des puissances maritimes, des
thalassocraties, qui engloberait les USA, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et le Japon.
3.1.3 “Heartland” contre “World Island” de Halford John Mackinder
L’universitaire britannique Halford John Mackinder 39 (1861-1947) s’inspirera de
Mahan. Une idée fondamentale traverse toute son œuvre: la confrontation permanente entre la
Terre du Milieu ou «Heartland», c’est-à-dire la steppe centre-asiatique, et l’Île du Monde ou
«World Island», la masse continentale Asie-Afrique-Europe.
C’est dans sa célèbre communication de 1904, «Le pivot géographique de l’histoire»
(«The geographical pivot of history»), qu’il formule sa théorie, que l’on peut résumer ainsi:
1°) la Russie occupe la zone pivot inaccessible à la puissance maritime, à partir de laquelle
elle peut entreprendre de conquérir et contrôler la masse continentale eurasienne;
2°) en face, la puissance maritime, à partir de ses bastions (Grande-Bretagne, Etats-Unis,
Afrique du Sud, Australie et Japon) inaccessibles à la puissance terrestre, encercle cette
dernière et lui interdit d’accéder librement à la haute mer.
Mackinder pense, à la manière de Friedrich Ratzel (cf. infra), que le monde doit être
perçu à partir d'une cartographie polaire (et non une projection mercatorienne). D'après sa
théorie du «Heartland», on observerait ainsi la planète comme une totalité sur laquelle se
distinguerait d'une «Terre du Milieu», («Heartland»), (pour 2/12e de la Terre, composée des
continents eurasiatique et africain), des «îles périphériques», («Outlyings Islands»), (pour
1/12e, l'Amérique, l'Australie), au sein d'un «océan mondial» (pour 9/12e). Pour lui, la steppe
asiatique quasi déserte, le «Heartland», entourée de deux croissants fortement peuplés: le
«Croissant intérieur» («inner crescent»), regroupant l’Inde, la Chine, le Japon et l’Europe, qui
jouxte le «Heartland», et le «Croissant extérieur» («outer crescent»), constitué d’îles diverses.
Le croissant intérieur est soumis régulièrement à la poussée des nomades cavaliers venus des
39
Sir Halford John Mackinder (15 février 1861 - 6 mars 1947) est un géographe et géopoliticien britannique.
Mackinder est considéré comme l'un des pères fondateurs de la géographie moderne britannique, mais aussi de la
géopolitique et de la géostratégie. Mackinder introduit en 1887 l’enseignement de la géographie à l’Université
d'Oxford et y fonde l'École de Géographie en 1899. Il occupe la direction de la London School of Economics de
1903 à 1908. Il renonce toutefois à l’identité de «géopolitologue», considérant que ce terme est plus approprié
pour désigner les tenants de la Geopolitik allemande, et en tout premier lieu le général Karl Haushofer, proche
du régime national socialiste. En accord avec les idées de son temps, il est persuadé de la supériorité raciale
anglo-saxonne et de la mission civilisatrice de son pays vis-à-vis des autres peuples. Deux événements
historiques contribuent à la formation de sa réflexion: la guerre des Boers (1899-1902) et les événements de
Mandchourie en 1904. Il est opposé à l'indépendance irlandaise et partisan de la préférence impériale contre le
libre commerce. Sa théorie de «Heartland» a été reprise avec enthousiasme par l'école de Geopolitik allemande,
en particulier par son promoteur principal Karl Haushofer. Élu membre de la Chambre des communes en 1910, il
y siège sur les bancs conservateurs jusqu'en 1922. En 1919, il publie «Democratic Ideals and Reality».
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46
steppes du «Heartland». Il illustre sa thèse en évoquant les grandes vagues d'invasions
mongoles qu'a connues l'Europe au cours des XIIIe et XIVe siècles notamment sous l'égide de
Gengis Khan et de Tamerlan 40. La plaine ukrainienne représentait alors, selon Mackinder,
l'espace de mobilité par excellence permettant des invasions rapides au moyen de la cavalerie.
L’ère «colombienne» voit l’affrontement de deux mobilités, celle de l’Angleterre qui amorce
la conquête des mers, et celle de la Russie qui avance progressivement en Sibérie. Avec le
chemin de fer, la puissance terrestre est désormais capable de déployer ses forces aussi vite
que la puissance océanique. Obnubilé par cette révolution des transports, qui permettra à la
Russie de développer un espace industrialisé autonome et fermé au commerce des
thalassocraties, Mackinder conclut à la supériorité de la puissance tellurique, résumant sa
pensée dans un aphorisme saisissant: «Qui tient l’Europe continentale contrôle le Heartland.
Qui tient le Heartland contrôle la World Island». Il reprend en fait la devise du grand
navigateur anglais Sir Walter Raleigh (né en 15521 - décapité le 29 octobre 1618) qui, fut le
premier, pour s’exprimer ainsi: «Qui tient la mer tient le commerce du monde; qui tient le
commerce tient la richesse; qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même».
Effectivement, toute autonomisation économique de l’espace centre-asiatique conduit
automatiquement à une réorganisation du flux des échanges, le «croissant intérieur» ayant
alors intérêt à développer ses relations commerciales avec le «Heartland», au détriment des
thalassocraties anglo-saxonnes.
Dans son ouvrage «Democratic Ideals and Reality» (1919), Mackinder rappelle
l’importance de la masse continentale russe, que les thalassocraties ne peuvent ni contrôler
depuis la mer ni envahir complètement. Concrètement, il faut selon lui impérativement
séparer l’Allemagne de la Russie par un «cordon sanitaire», afin d’empêcher l’unité du
continent eurasiatique. Politique prophylactique suivie par Lord Curzon, qui nomme
Mackinder en tant que Haut-commissaire britannique en «Russie du Sud», où une mission
militaire assiste les Blancs de Dénikine 41 contre les Rouges de Lénine et obtient qu’ils
reconnaissent de facto l’autoproclamée république d’Ukraine de Simon Petlioura…
40
En 1402, Tamerlan, à la tête de l'Empire timuride, envahit l'Anatolie et défit le sultan ottoman Bayezid Ier à
la bataille d'Ankara (20 juillet 1402). Les forces étaient à peu près égales (220.000 pour les Turcs contre 180.000
Timourides). Toutefois, les troupes timourides étaient presque exclusivement montées, alors que la majorité des
forces turques étaient composées d'infanterie. De plus, par une habile stratégie de détournement et
d'empoisonnement des sources d'eau, Tamerlan était parvenu à assoiffer les forces turques, qui étaient
considérablement affaiblies au moment de l'engagement. La bataille s'acheva sur la victoire éclatante de
Tamerlan, avec la capture de Bayezid Ier. La légende raconte que Bayezid fut gardé enchainé en cage et mourut
au bout de 8 mois en se suicidant. Sa femme et ses filles furent transférées dans le harem de Tamerlan. Les Turcs
Ottomans furent tous dispersés. En abattant les forces turques qui projetaient alors la prise de Constantinople,
Tamerlan sauva pour une cinquantaine d'années l'Empire byzantin moribond.
41
Les noms d'Armées blanches, Armée blanche (russe : Бѣлая Армiя/Белая Армия, Belaïa Armia), Mouvement
blanc (Бѣлое движенiе/Белое движение, Beloïe dvizhenie) ou, tout simplement Blancs (Бѣлые/Белые, Belye),
désigne les armées russes, formées après la révolution d'Octobre 1917, luttant sous le commandement de divers
généraux (Wrangel, Dénikine, Koltchak, Alekseiev, Kornilov, Ioudenitch, Bermondt-Avalov, Miller, etc.),
contre le nouveau pouvoir soviétique. Pendant la guerre civile russe elles combattirent l'Armée rouge, de 1917 à
1922. Les armées blanches ont reçu l’aide occasionnelle de forces de 14 nations (Japon, États-Unis, Canada,
Royaume-Uni, Australie, Allemagne, France, Grèce, Tchécoslovaquie...). Dans les dernières semaines de 1918,
Clemenceau décide d'une importante intervention en mer Noire pour soutenir les armées blanches dans le sud qui
se solde par un échec cuisant. En mars 1920, les Alliés se retirent de Russie à l'exception de l'Empire du Japon
qui continua de soutenir les Russes blancs jusqu'en octobre 1922, date du retrait de l'Armée impériale japonaise.
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47
Pour rendre impossible l’unification de l’Eurasie, Mackinder préconise la
balkanisation de l’Europe orientale, l’amputation de la Russie de son glacis baltique et
ukrainien, l’endiguement («containment») des forces russes en Asie.
3.1.4 Le «Rimland» de Spykman
L’idée fondamentale posée par Mahan et Mackinder - càd interdire à la Russie l’accès
à la haute mer - sera reformulée par Nicholas John Spykman 42, qui insiste sur l’impérieuse
nécessité de contrôler l’anneau maritime ou «Rimland», cette zone littorale bordant la Terre
du Milieu et qui court de la Norvège à la Corée. Pour lui, «qui maîtrise l’anneau maritime
tient l’Eurasie, qui tient l’Eurasie maîtrise la destinée du monde». Pour Spykman, la balance
du pouvoir et l’équilibre du monde se joue sur ce bandeau de terre entourant le cœur du
continent eurasiatique et ne doit en aucun être dominé par une seule et unique puissance.
Le «Rimland» de Spykman correspond au «Croissant intérieur» de Mackinder. Cette
région est découpée en trois sections: les côtes européennes, le Moyen-Orient, l'Inde et
l'Extrême-Orient. Selon Spykman, cette région joue un rôle déterminant, par sa localisation
entre le «Heartland» et les mers marginales du «Croissant extérieur»: parce qu'il est considéré
comme une zone tampon entourant le «Heartland», la maîtrise du «Rimland» permettrait de
contrôler le «Heartland» et donc le monde. L'intérêt de contrôler le «Rimland» réside
également dans son potentiel industriel et démographique, que Spykman considère plus
important que celui du «Heartland», en plus du potentiel de pouvoir qu'offre la localisation à
la fois terrestre et maritime de la région. Le "Rimland" est donc plus important que le
"Heartland" dès lors qu’il est sous contrôle. L'idée maîtresse de Spykman était que si les
États-Unis, le Royaume-Uni et la Chine Nationaliste garantissaient le contrôle du «Rimland»,
ces trois États pourraient alors faire face à l’avancée des puissances allemande et japonaise
dans l'encerclement du «Heartland» tenue par l'URSS. Cependant, dès 1942, Spykman était
convaincu que la confrontation à terme entre les Etats-Unis et l’Union Soviétique (alors alliée
des États-Unis) serait inévitable car les deux pays avaient des ambitions grandioses sur
l’arène géopolitique.
Alors que chez Mackinder le «Croissant intérieur» est un espace de civilisation élevé
mais fragile, car toujours menacé de tomber sous la coupe des «barbares dynamiques» du
«Heartland», chez Spykman le «Rimland» constitue un atout géopolitique majeur, non plus à
42
Nicholas J. Spykman (1893-1943) est un universitaire journaliste américain, qui est considéré comme l'un des
pères de la géopolitique aux États-Unis. La publication des travaux de Nicholas Spykman se produit dans un
contexte particulier: celui de l’intérêt récent d’universitaires américains pour la géopolitique, suite à l’attaque de
Pearl Harbor. Il a écrit deux livres de politique étrangère. Le premier de ces livres, «American Strategy in World
Politics», a été publié en 1942 après que les États-Unis n'entrent dans la deuxième guerre mondiale. L'auteur
analyse dans ce livre les différentes politiques d'un point de vue géopolitique et met en garde les États-Unis
contre la conquête allemande de l'Europe et l’expansion Japonaise. Le second livre de Nicholas Spykman, «The
Geography of the Peace» a été publié en 1944, soit une année après sa mort. Il illustre dans cet ouvrage sa vision
géostratégique en axant son analyse sur la sécurité américaine, qui selon lui passe par un certain équilibre du
pouvoir sur le continent eurasiatique. Nicholas Spykman ne croit pas à une paix durable à l’échelle du monde.
En effet, la multitude de codes de valeurs selon les différents pays rend l'idée de stabilité illusoire, et empêchant
de réduire cette stabilité autour d’un code commun pour tous. C’est pourquoi il affirme que la paix ne peut
s’obtenir qu’à travers l’application par un pays d'une politique étrangère suffisamment efficace d’un point de vue
sécuritaire pour minimiser les risques d'agression par d'autres pays.
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48
la périphérie, mais au centre de gravité géostratégique. Pour lui, la position des territoires du
Rimland «par rapport à l’Équateur, aux océans et aux masses terrestres détermine leur
proximité du centre de puissance et des zones de conflit; c’est sur leur territoire que se
stabilisent les voies de communication; leur position par rapport à leurs voisins immédiats
définit les conditions relatives aux potentialités de l’ennemi, déterminant de ce fait le
problème de base de la sécurité nationale» 43. Après 1945, la politique extérieure américaine
va suivre exactement la géopolitique de Spykman en cherchant à occuper tout le «Rimland» et
à encercler ainsi le cœur de l’Eurasie représenté désormais par l’URSS et ses satellites. Dès le
déclenchement de la Guerre froide, les Etats-Unis tenteront, par une politique de
«containment» (endiguement) de l’URSS, de contrôler le «Rimland» au moyen d’une longue
chaîne de pactes régionaux: OTAN, Pacte de Bagdad, puis Organisation du traité central du
Moyen-Orient, OTASE et ANZUS.
Toutefois, dès 1963, le géopoliticien Saül B. Cohen (cf. infra) proposera une politique
plus ciblée visant à garder uniquement le contrôle des zones stratégiques vitales et à
remplacer le réseau de pactes et de traités allant de la Turquie au Japon par une «Maritime
Asian Treaty Organization» (MATO) 44.
3.1.5
Le pan européanisme et les pan régions de Friedrich Ratzel et de Karl Haushofer
En 1897, le naturaliste allemand Friedrich Ratzel 45 développe sa «théorie organique».
Cette théorie soutient que l'État est comme un organisme attaché à la terre qui est en
concurrence avec d'autres États pour prospérer. Comme tous les organismes vivants, l'État a
besoin d’un espace de vie («Lebensraum»). En 1901 il a écrit l’ouvrage «Au sujet des lois de
l’expansion spatiale des États» par lequel il intègre le facteur que constitue l’expansion
géographique pour porter un projet politique. Il critique alors l’étroitesse des frontières
européennes, et appelle à un pan européanisme, porté par un leadership allemand. Ratzel
accorde à l’espace géographique un rôle primordial: la notion de peuple est pour lui un
ensemble de groupes et d’individus qui n’ont besoin d’être liés ni par la langue ni par la race,
mais par un sol commun. L’Europe peut avoir l’ambition d’une suprématie mondiale, et pour
cela, une alliance avec l’Asie, et en particulier l’Extrême-Orient est nécessaire.
43
N. Spykman, The geography of the peace, Harcourt-Brace, New-York, 1944, p.5.
Saül B. Cohen, “Geography and politics in a World divided”, Methuen, Londres, 1963, 2e édition 1973,
p.307.
45
Friedrich Ratzel, (30 août 1844, Karlsruhe - 9 août 1904, Ammerland) est un pharmacien, zoologiste et
géographe allemand. Ratzel, dans son œuvre majeure publiée de 1882 à 1891, «Anthropogéographie», lie la terre
et l’homme dans une vision systématique qui a totalement renouvelé la science géographique. Ratzel est aussi un
des pionniers les plus importants de la géopolitique. Très influencé par Darwin et sa théorie de l’évolution, il
utilise ces concepts à une échelle plus générale, celle des États, en les comparant à des organismes biologiques
qui connaissent croissance ou déclin sur une échelle temporelle. Dans la théorie de Ratzel, les bases de
l'extension des hommes sur la terre déterminent l'extension de leurs États. Les peuples primitifs («Naturvölker»)
de l'Afrique, Océanie, etc. s'opposent par leurs traits aux peuples évolués («Kulturvölker») de l'Ancien et
Nouveau Monde, lesquels ont tout naturellement, à ce titre, le droit d’occuper les territoires des premiers pour les
civiliser. Cette vision légitime, certes, l'impérialisme allemand, mais Ratzel défend l’idée d’une «Mittelafrika»,
plutôt que d'une «Grossdeutschland», stratégie reprise dès 1914 par l’état-major allemand contre les colonies
alliées en Afrique. Elle est toutefois inverse de celle mise en œuvre par le Troisième Reich après 1933, celui-ci
défendant l'idée d'une expansion en Europe au détriment des Slaves.
44
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49
Ratzel définit les 7 lois universelles d’expansion spatiale des États:
- une croissance spatiale parallèle au développement de leur culture ;
- une expansion parallèle au renforcement de leur puissance économique, commerciale ou
idéologique ;
- une extension par absorption ou assimilation d’entités plus petites ;
- la frontière est un organe vivant, matérialisant un état de fait à un moment donné, et elle est
donc un facteur modifiable ;
- la logique géographique prévaut pour absorber des régions et conforter la viabilité du
territoire, par l’acquisition de plaines, de bassins fluviaux, de marges littorales ;
- l’extension est favorisée par la présence en périphérie d’une civilisation inférieure ;
- la tendance à l’expansion est un mouvement autoalimenté.
Ratzel a été accusé de favoriser l’argumentation scientifique du recours à la guerre, et
de légitimer celui-ci. Ses idées ont servi de fondement aux volontés expansionnistes du IIIe
Reich. Or, il faut souligner que s’il prônait un leadership allemand, son idée maîtresse était la
naissance d’un vaste espace européen unifié.
Reprenant les idées de Ratzel et de Mackinder, Karl Haushofer 46 accentua la nécessité
de prendre en compte les dangers de la géopolitique pour l’Allemagne, par la création d’un
vaste espace vital. Selon Haushofer, le monde doit s’organiser autour de 4 grandes pan
régions :
- une région paneuropéenne, incluant l’Afrique, et dont l’Allemagne aurait le leadership ;
- une région panaméricaine, dominée par les États-Unis ;
- une région panrusse, incluant l’Asie centrale et le sous-continent indien ;
- une région pan asiatique, dominée par le Japon.
Hauschofer a enseigné à Munich pendant la première guerre mondiale, et c'est là que
Rudolf Hess a entendu ses conférences et plus tard l’a présenté à Hitler, qui s'inspire de sa
théorie de l'«espace vital» — «der Lebensraum» — et qu'il intègre dans son «Mein Kampf».
Associé au nazisme, Haushofer prône l’alliance de l’Allemagne, puissance terrestre, et du
Japon, puissance maritime, afin de contrer les velléités de conquête de l’Empire britannique et
46
Karl Haushofer, (27 août 1869, Munich - 10 mars 1946, Pähl, Haute-Bavière), est l'un des plus importants
théoriciens de la géopolitique allemande, qui sera récupéré par le nazisme, bien qu'il n'ait jamais été membre du
parti nazi. Il participe à la Première Guerre mondiale et termine le conflit avec le grade de Generalmajor.
Retraité de l'armée en 1919, il se lance dans une carrière universitaire. La même année, il est nommé professeur
de géographie à l'Université de Munich. Influencé par les travaux de Friedrich Ratzel, Rudolf Kjellén et Halford
John Mackinder, Haushofer développe ses théories géopolitiques et fonde en 1924 la revue «Zeitschrift für
Geopolitik» (La Revue de Géopolitique). Celle-ci obtient rapidement une audience internationale, s'attirant
même la collaboration de scientifiques de l'étranger. S'adressant à un large public, la revue ne présente cependant
que la position de la géopolitique allemande. Hitler rencontre Haushofer à plusieurs reprises et s'inspire de sa
théorie de «l'espace vital» — der Lebensraum — qu'il intègre dans son ouvrage «Mein Kampf». Parmi les
étudiants de Haushofer, se trouve notamment le jeune officier Rudolf Hess, futur dignitaire du régime nazi, avec
qui il se lie d'amitié. Après le départ de Hess pour l'Angleterre, le 10 mai 41, lui-même et sa famille deviennent
suspects. Après la tentative d’assassinat d’Hitler du 20 juillet 1944, la Gestapo fait interner Karl Haushofer à
Dachau. Après l'effondrement du Troisième Reich, Haushofer est considéré comme l'un des inspirateurs du
nazisme, mais n'ayant pas été directement impliqué dans les crimes du régime, il n'est finalement pas mis en
accusation au procès de Nuremberg; en revanche, il est contraint de témoigner au procès de Rudolf Hess. Déchu
de son titre de professeur honoraire, Karl Haushofer se serait suicidé le 10 mars 1946.
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50
des États-Unis. Pour l’école allemande de Ratzel-Haushofer, le contrôle de l’Eurasie peut seul
donner la suprématie mondiale.
3.1.6 Le «Nomos de la Terre» de Carl Schmitt
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les théories du juriste allemand Carl
Schmitt 47 sont de plus en plus souvent citées en référence aux événements qui se déroulent
sous nos yeux. Certains sont même allés jusqu'à faire de l'auteur de «La notion politique»48
l'inspirateur secret de la politique de la Maison-Blanche. Cette thèse est bien sûr
invraisemblable compte tenu du passé de Carl Schmitt, engagé dans le parti nazi, antisémite
inflexible et juriste officiel du IIIe Reich. Ce qui est en revanche certain, c'est que toutes les
grandes thématiques de Carl Schmitt sont directement impliquées dans l'évolution récente de
la politique internationale. La guerre menée en Irak par les Etats-Unis marque un retour à la
«guerre juste» moralo-humanitaire, où l'ennemi devient une figure du Mal, dont Carl Schmitt
avait dénoncé les effets dévastateurs. L'avènement d'un terrorise «global» renvoie directement
aux thèses exposées par Schmitt dans sa «Théorie du partisan». L'instauration dans les pays
occidentaux d'un état d'exception qui tend de plus en plus à devenir permanent ne peut se
comprendre qu'en référence à ce qu'il a pu écrire sur le «cas d'exception». Enfin,
l'effondrement en 1991 du duopole américano-soviétique de l'après-guerre, annonce de toute
évidence la naissance d'un nouveau monde, ainsi que Schmitt l'avait prévu dès 1950 dans ses
écrits sur les grands espaces, la dualité Terre-Mer et l'instauration d'un nouveau «Nomos de la
Terre».
Dans «Le Nomos de la Terre» (1950), Carl Schmitt définit, à partir d’une redécouverte
du concept grec de “nomos”, trois ordres, trois équilibres de la Terre dans l’histoire de
l’humanité. Le “nomos”, au sens traditionnel du terme, est la loi, la norme, la règle. Le terme
est l’équivalent du jus romain. Nomos signifie dès lors en première instance, la “prise”; le mot
allemand “nehmen” (prendre) dérive de la même étymologie. Ensuite, ce terme signifie, le
47
Carl Schmitt (11 juillet 1888 - 7 avril 1985) était un juriste, penseur, philosophe et intellectuel catholique
allemand. Il s'engage dans le parti nazi dès le 1er mai 1933 et se veut le juriste officiel du IIIᵉ Reich. Les
interventions de Schmitt en faveur du régime NS furent absolument sans condition. Auteur d'une réflexion sur la
nature de l'État et des constitutions, il fait du rapport «ami-ennemi» la clef de voûte de la théorie politique. Cela
conduit au développement d'une philosophie de la décision d'urgence, de la guerre et du combat, d'où les notions
de mal et d'Antéchrist ne sont pas absentes. L'autonomie étatique, selon Schmitt, repose sur la possibilité de
l'État de s'autoconserver, en dehors même de la norme juridique, par une action qui prouvera cette souveraineté.
En situation d'urgence économique et sociale, c'est l'état exceptionnel de la dictature présidentielle qui gouverne
par décrets-lois, qui doit s'élever au-dessus de toute alternative fondamentale. Au début de la seconde guerre
mondiale Schmitt cherche à fonder la politique expansionniste d'Adolf Hitler sur le droit international et il
développe le concept géopolitique de völkerrechtlichen Großraumordnung (aménagement du macro-espace du
droit international), qu'il comprenait comme une «doctrine Monroe» allemande. Ainsi Schmitt prend part à ce
qu'on nomme l'Aktion Ritterbusch où de nombreuses personnalités accompagnent au titre de conseillers, la
politique national-socialiste en matière de peuplement ou de territoire. Les controverses liées à la pensée de
Schmitt sont étroitement liées à sa vision absolutiste de la puissance étatique et son antilibéralisme, qui sont
contrebalancés par la posture de l'auteur dans ses engagements vers le «conservatisme libéral» ou le «libéralisme
conservateur». Ses principales œuvres sont: «Théologie politique» (1922), «Théorie de la Constitution» (1928),
«La notion du politique» (1933), «Le Léviathan dans la doctrine de l’État de Thomas Hobbes» (1938), «Le
Nomos de la Terre» (1950), «Théorie du partisan» (1963), «Terre et Mer, un point de vue sur l'histoire du
monde» (1985).
48
Carl Schmitt «La notion du politique - Théorie du partisan», Paris, Calmann-Lévy, 1972 [en édition de poche,
Paris, Flammarion, 1992]
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51
partage et la répartition de la “prise”. Troisièmement, il signifie l'exploitation et l'utilisation de
ce que l'on a reçu à la suite du partage, c'est-à-dire la production et la consommation. Prendre,
partager, paître sont les actes primaires et fondamentaux de l'histoire humaine, ce sont les
trois actes de la «tragédie des origines» (Maschke, p. 518).
Pour Carl Schmitt, le “nomos” ne se résume pas à la loi mais est tridimensionnel: il
est d’abord la prise (l’appropriation d’un territoire), puis son partage et enfin son exploitation.
Tout système juridique, avant d’être un ordre normatif qui permet ensuite un partage puis une
exploitation, résulte d’abord d’une appropriation d’un espace par l’homme. Tout système
juridique résulte d’un ordre spatial. Partant de cette définition, Carl Schmitt distingue trois
ordres géopolitiques, trois équilibres du monde tout au long de l’histoire de l’humanité, qu’il
appelle des “nomos de la Terre”.
Durant le premier “nomos de la Terre”, qui s’étend de l’Antiquité au Moyen-Age,
l’Europe connait des phases d’unification successives. L’Empire Romain, premièrement,
impose sa loi et accorde progressivement sa citoyenneté à tous les hommes libres de l’Empire.
Après la chute de sa partie occidentale en 476, c’est la papauté qui entend à son tour unifier
l’Europe par la chrétienté. Léon III sacre Charlemagne empereur à Aix-la-Chapelle en l’an
800, par qui l’Empire Romain ressuscite. L’Empire devient chrétien et l’Empereur le
défenseur de la Cité de Dieu. Malgré une histoire mouvementée (déplacement de son centre
de gravité à l’Est dès 962, Querelle des Investitures etc.), l’Empire restera la principale
puissance politique européenne jusqu’au 15ème siècle, époque à partir de laquelle l’Empire
décroît.
Pour Carl Schmitt, l’unification par le droit de cet espace qu’est l’Europe médiévale se
fait en raison de l’existence d’un dehors, d’un espace libre qui échappe au droit: la Mer. Il n’y
a possibilité de légiférer un dedans que parce qu’il existe un dehors qui échappe au droit.
Ainsi l’unification du continent européen, qui se pensait seul sur Terre, s’est réalisée grâce à
une étendue floue et liquide qui dessinait nettement les contours de l’Europe. A
l’appropriation du territoire européen, à son unification par la loi, a succédé un partage de ses
terres, puis leur exploitation. Prendre, partager, paître, tels sont les trois mouvements du
“nomos”. Cependant, le premier “nomos” fut local et ne concerne que le continent européen.
Dès 1492 et les grandes découvertes, s’annonce le deuxième “nomos de la Terre” qui
devient global puisqu'il doit s'étendre à la totalité du monde. A une phase d’unification
succède une phase de division, de guerres. Les différentes nations européennes vont alors se
concurrencer pour étendre leur suprématie sur les territoires du Nouveau Monde. C’est la lutte
des nations, entérinée par le traité de Westphalie (1648), qui annonce la souveraineté
nationale en reconnaissant l’Etat comme le seul maître de son territoire. L’Empire Autrichien
est démantelé en 350 minuscules Etats qui sont désormais seuls habilités à légiférer sur leur
territoire. 150 ans plus tard, cet ordre est remis en cause par la Révolution française et les
guerres napoléoniennes, mais le Congrès de Vienne (1815) redessine l’Europe pour 100 ans.
Quant au destin du reste du monde, il est le fruit de la conférence de Berlin (1889), durant
laquelle les principaux empires coloniaux délimitent arbitrairement ses frontières. Prendre,
partager, paître. Ce partage du monde au gré des guerres européennes se prolonge jusqu’au
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52
milieu du 20ème siècle et la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui signifie le déclin du monde
européen et voit l’avènement d’un nouvel ordre.
Au sortir de la seconde guerre mondiale, un troixième “nomos de la Terre” se fait
jour. Il est nouveau car la fin de l’ordre européen voit l’avènement d’un monde bipolaire,
séparé par un rideau de fer entre deux grandes puissances: les Etats-Unis et l’URSS. Le
monde devient «un seul lit pour deux rêves» et voit l’affrontement entre deux idéologies, le
libéralisme et le communisme. Au conflit direct sur un champ de bataille se substitue la
«guerre froide», plus insidieuse. Nouveau “nomos” également car la notion de “nomos”
change. L’humanité s’approprie de nouveaux territoires. Non seulement la Terre, mais la Mer,
le Ciel et l’Espace deviennent objets du droit. On passe littéralement d’un “nomos de la
Terre” à un “nomos du Cosmos”. Le droit international légifère sur les eaux territoriales et un
droit cosmopolitique apparaît: le lancement de Spoutnik en 1957 provoque la création l’année
suivante à l’ONU d’un comité chargé de soulever les questions juridiques sur les conquêtes de
l’espace. Ainsi en 1967, l’ «Outerspace Treaty» définit les règles de droit international pour
l’exploration et l’exploitation de L’Espace. Prendre, partager, paître. Cet ordre du monde
s’écroule avec la chute du Mur de Berlin en 1989 et la dissolution de l’URSS le 26.12.1991.
Aujourd’hui, nous assistons sans doute à la naissance d’un quatrième “nomos de la
Terre”. Les Etats-Unis sont certes la seule grande nation qui dispose de tous les attributs de la
puissance (militaire, technologique, culturelle, médiatique, économique et financière), mais le
monde s’agence progressivement en blocs, en continents, en civilisations. Les Etats-Unis
retardent le passage d’un monde qui se défait de leur emprise à un monde qui se morcelle
inéluctablement en aires d’influence diverses, comme en témoigne l’émergence de la Chine et
de l’Inde. Le “nomos” change encore de nature. Après la Terre, la Mer, le Ciel et l’Espace,
c’est désormais l’immatériel qui devient objet de l’appropriation de l’homme. La
globalisation donne naissance à un “nomos de l’économie” où, de façon progressive, la
logique du marché s’impose à tous les domaines de la vie. La culture, l’éducation, le sport
sont progressivement happés par la raison marchande qui est régie par la loi du profit.
L’homme semble bien ne plus savoir quels territoires conquérir ni quoi se partager, et le
“nomos” paraît se réduire à sa dimension d’exploitation.
Pour le nouveau “nomos” qui n'a pas encore été forgé, la théorie de Schmitt voit trois
possibilités principales: a) Une des puissances dominantes soumet toutes les autres, b) Le
“nomos” dans lequel les états souverains s'acceptent comme adversaire est à nouveau
construit, c) l'espace devient un pluriversum (contre l’universum) de grandes puissances d'une
nouvelle sorte. Schmitt tient la réalisation de la deuxième variante comme invraisemblable. Il
exclut radicalement la première ("Le droit par la paix est sensé et convenable; la paix par le
droit est domination impérialiste"). Il a surtout en vue qu'une puissance égoïste (les ÉtatsUnis), disposerait du monde selon les intérêts de leur puissance. Pour Schmitt, le Ius Belli ne
doit pas devenir le droit préalable d'une unique puissance, sinon le droit international cesse
d'être paritaire et universel. Il ne reste plus que la troisième variante d’un pluriversum d'un
petit nombre de grands espaces. La condition préalable à cette fin serait en fait d'après Schmitt
une guerre globale, car seule une explication sous forme de guerre est apte à fonder un
nouveau “nomos de la Terre”.
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53

Dissolution de l’ordre international - Grand espace, pirates et partisans
Carl Schmitt diagnostique la fin de la Nation. La disparition de l’ordre des États
souverain est la conséquence de plusieurs facteurs: en premier lieu, les États eux-mêmes se
dissolvent, ce qui correspond à une nouvelle sorte de sujet du droit international ; en second
lieu, la guerre est devenue ambiguë - c’est-à-dire générale et totale - et a par conséquent perdu
son caractère conventionnel et délimité.
Sur le point concernant les États, Schmitt en rapport avec la «doctrine Monroe»49,
introduit une nouvelle sorte de Grand Espace avec interdiction d’intervention pour les
puissances qui n’y appartiennent pas. Il s’en suit un découpage de la Terre en différents
Grands-Espaces satisfaisant à une certaine histoire, une certaine économie et une certaine
culture. En 1941, Schmitt infléchira de façon national-socialiste, ce concept de Grand Espace
développé depuis 1938 pour créditer les idées politiques du IIIe Reich.
Selon l'analyse de Schmitt les États ont en même temps perdu le monopole de la
conduite des guerres. Les conflits attirent désormais de nouveaux combattants indépendants
des états et qui s'instaurent comme des partis capables de diriger les affrontements. Schmitt
voit au centre de cette nouvelle manière de conduire les guerres des hommes qui s'identifient
totalement avec le but de leur groupe et par conséquent ne connaissent aucune limite à la
réalisation de ces buts. Ils sont désintéressés et prêts au sacrifice. On rentre par-là dans la
sphère de la totalité et donc on pénètre sur les terres de l'inimitié absolue.
On a donc désormais à faire au partisan que Schmitt décrit en quatre points.
L'irrégularité, un fort engagement politique, la mobilité et le caractère tellurique (un lien avec
le lieu). Le partisan n'est plus reconnaissable en tant que combattant régulier, il ne porte pas
d'uniforme, il élude consciemment la différence entre les combattants et les civils qui est
constitutive du droit de la guerre. De par son fort engagement politique, le partisan se
distingue du pirate. Le partisan combat tout d'abord pour des raisons politiques avec
lesquelles il s'identifie constamment. Du fait de son irrégularité, le partisan est
particulièrement mobile à la différence d'une armée régulière. Il peut intervenir rapidement et
de façon inattendue et se retirer tout aussi vite. Il n'agit pas de façon hiérarchique et
centralisée, mais de façon décentralisée en réseau. Son caractère tellurique apparaît selon
Schmitt dans son sentiment d'être relié de façon concrète à un lieu qu'il défend. Ce partisan
localisé ou encore relié à un lieu conduit tout d'abord des guerres de défense. Mais ce dernier
point constitue également sa perte. Le partisan (ou comme on le nomme aujourd'hui: le
terroriste) devient «l'outil de la politique mondiale de domination d'un centre de direction qui
l'utilise dans un conflit soit ouvert soit invisible, et le laisse tomber en fonction des
circonstances».
49
La «doctrine Monroe» a caractérisé la politique étrangère des États-Unis durant le XIXe et le début du XXe
siècle. Tirée du nom d'un président républicain des États-Unis, James Monroe, elle condamne toute intervention
européenne dans les affaires «des Amériques» (tout le continent), comme celle des États-Unis dans les affaires
européennes.
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54
Tandis que l'ennemi conventionnel au sens de la guerre limitée conteste un aspect bien
déterminé au sein d'un cadre accepté par toutes les parties prenantes, l'ennemi irrégulier
conteste ce cadre lui-même. Le partisan lorsqu'il n'est plus relié à un sol concrétise l'inimitié
absolue et par là marque le passage à la guerre totale. Pour Schmitt ce passage du partisan
autochtone au partisan agressant le monde entier commence historiquement avec Lénine.
Dans ces guerres nouvelles qui sont imprégnées par l'inimitié absolue du partisan, il ne s'agit
plus de conquérir un nouveau territoire, mais d'anéantir une forme d'existence pour cause de
son absence apparente de valeur. De cette inimitié définie de façon contingente s'affirme une
inimitié ontologique ou intrinsèque. Avec un tel ennemi, il n'est plus possible de mener une
guerre limitée et plus aucun traité de paix n'est possible. Schmitt nomme cela la "guerre
discriminante" à la différence de la "guerre à parité". Ce concept de guerre discriminante
rompt avec la réciprocité et juge l'ennemi d'après les catégories de la justice et de l'injustice.
Si le concept d'ennemi devient total en ce sens, on quitte alors la sphère du politique pour
entrer dans celle du théologique, c'est-à-dire la sphère d'une différence ultime et non
négociable. D'après Schmitt, il y a tout simplement absence de disposition éthique des buts de
guerre, parce que les postulats éthiques, fondamentalement non négociables, appartiennent à
la sphère théologique.
3.1.7 La Stratégie d’endiguement («containment») de George Kennan
George Kennan 50 est crédité d'avoir formulé la stratégie géopolitique américaine
d'endiguement («containment») en réponse aux actions de l'Union soviétique après la fin de la
50
George Frost Kennan, (16 février 1904 - 17 mars 2005), est un diplomate, politologue et historien américain
dont les idées eurent une forte influence sur la politique des États-Unis envers l'Union soviétique au lendemain
de la Seconde Guerre mondiale. De mai 1944 à avril 1946, il est chef de mission à Moscou. À la fin de son
mandat, il envoie au secrétaire d'État James F. Byrnes un télégramme de 8.000 mots, qui fait état de ce qui
constitue selon lui l'idéologie du communisme et son désir d'expansionnisme, proposant en même temps une
nouvelle stratégie pour les relations diplomatiques entre les deux pays. En mars 1947, Truman utilise le
télégramme de Kennan pour engager le Congrès dans une série de mesures formant ce qu'on appelle désormais
la «doctrine Truman». En juin 1947, sous le pseudonyme de «X», il écrit dans la revue «Foreign Affairs»
l’article «Les sources de la conduite soviétique» («The Sources of Soviet Conduct»), dans lequel il reprend et
approfondit les idées émises dans son télégramme et conclue sur la nécessité à ce que les États-Unis répliquent
par une politique d'endiguement destinée à contenir l'expansionnisme soviétique. Entre avril 1947 et décembre
1948, en tant qu'architecte intellectuel du plan Marshall, il participe à la mise en place de l'endiguement politique
et économique de l'Union soviétique. En 1948, il présenta le Mémo PPS23 du Conseil des relations extérieures:
«Nous possédons 50% des richesses mondiales, mais nous ne constituons que 6,3 % de la population du globe.
Cette disparité est particulièrement importante entre nous-mêmes et les peuples d’Asie. Pour cette raison, nous
ne pouvons qu’être l’objet d’envie et de haine. Ce que nous devons faire dans la période qui vient, c’est de
concevoir un mode de relation qui nous permettra de perpétuer cette position de disparité sans mettre en péril
notre sécurité nationale. Si nous voulons atteindre ce but il nous faut nous débarrasser de toute sentimentalité et
‘rêve éveillé’; et quel que soit le lieu nous devrons concentrer notre attention sur nos objectifs nationaux
immédiats. Ne nous mentons pas à nous-mêmes en pensant que nous pouvons nous offrir le luxe aujourd’hui
d’être des altruistes et des bienfaiteurs du monde… »; [Mémo PPS23, John Kennan, 1948]. Entre 1949 et 1950,
au moment où Dean Acheson est secrétaire d'État, Kennan perd de son influence. Le temps n'est plus à un
endiguement politique, mais à une démonstration de force avec armes traditionnelles et nucléaires. C'est l'époque
du blocus de Berlin et de la guerre de Corée. Nommé ambassadeur à Moscou pour dénouer une crise politique, il
y reste de décembre 1951 à septembre 1952, date à laquelle il est déclaré personna non grata par les autorités
soviétiques pour une grave faute diplomatique. De retour à Washington, il participe à l'administration
Eisenhower malgré les différends entre Truman et Eisenhower sur la politique d'endiguement. Pendant
l'administration Kennedy, de 1961 à 1963, Kennan est ambassadeur en Yougoslavie. En 1963, il quitte
l'administration. En 1989, George Bush lui décerne la médaille présidentielle de la liberté. En 2003, à l'âge de 98
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Seconde Guerre mondiale, et comme une initiative majeure visant à empêcher que l’influence
soviétique prenne racine dans les pays en développement et parmi les pays non alignés.
Kennan a soutenu que l’endiguement ne visait pas à inhiber la capacité de l'URSS pour la
croissance et le développement, mais plutôt à empêcher ce pays d'imposer sa propre idéologie
sur ses voisins ou à d'autres pays souhaitant demander l'aide au développement américaine:
«Mes idées au sujet de l’endiguement ont été déformées par les gens qui les ont comprises et
exécutées uniquement comme un concept militaire; et je pense que c’est cela qui nous a
conduits aux 40 années du processus inutile, horriblement coûteux, que fut la guerre froide».
Deibel et Gaddis 51 croient que l’article «X» de Kennan transmettait sa conviction qu’il
était peu probable que les politiques soviétiques soient le reflet d’un véritable souhait de paix
et stabilité dans le monde et que l’endiguement visait donc à faire affronter les Soviétiques à
un contre coup puissant à chaque point du globe où ils allaient montrer des signes d'empiéter
sur les intérêts d'un monde pacifique et stable.
Un autre acteur géopolitique qui a soutenu la thèse de George Kennan fut Paul Nitze,
un des auteurs du US National Security Document 68 (NSC-68), qui a énoncé les principes de
l’endiguement. Nitze, selon Deibel et Gaddis (1986), a affirmé que les Soviétiques essayaient
ne pas atteindre la parité entre les deux superpuissances, mais plutôt la prouesse stratégique
via la course aux armements et autres activités. En conséquence, d’après Nitze, il était
nécessaire d’empêcher les Soviétiques d’acquerir une puissance d’armement supérieure
nucléaire supérieure, même au prix d'une course aux armements.
Deibel et Gaddis (1986) affirment que l’endiguement est resté l’approche dominante
dans la politique étrangère américaine de la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’à
l'effondrement de l'Union soviétique. Tous les conseillers au Président des États-Unis, dont
Henry Kissinger et Zbignew Brzezinski, étaient déterminés à maintenir cette politique. Par
ailleurs, le Président Nixon n’a jamais considéré que la détente puisse représenter une
dérogation ou un abandon de la vision américaine pour l'endiguement de l'Union soviétique.
Brzezinski, le principal conseiller aux affaires étrangères de Jimmy Carter, a qualifié
la stratégie mondiale soviétique d’impérialisme organique unique dérivant d'une crainte
d’insécurité territoriale. Il a donc fait appel pour l'entretien des trois piliers de l’endiguement:
une présence permanente diplomatique et militaire américaines sur les continents eurasiens
avec une alliance de l'OTAN, une forte Europe renaissante et une Chine indépendante.
L’analyse de Deibel et Gaddis (1986) donne à penser que la politique d'endiguement a
évolué au fil du temps au fur et à mesure que les États-Unis s'éloignaient d’une confrontation
militaire directe avec l'expansionnisme communiste en Corée du Sud et au Vietnam vers une
réponse moins militariste qui emploie davantage l'aide économique comme un moyen pour
attirer les pays non alignés dans la sphère d'influence occidentale. Cette tendance d’apparence
non-belliciste a été cependant contrebalancée par la volonté constante des États-Unis de
ans, il s'élève contre la guerre en Irak dont il dénonce les conséquences potentielles. Le 17 mars 2005, à l'âge de
101 ans, Kennan meurt à son domicile de Princeton.
51
Terry L. Deibel and John Lewis Gaddis “Containment - Concept and Policy” - Volumes 1 & 2, Edité par
National Defense University Press, 1986.
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pousser à la course aux armements qui a duré pendant toute l'administration Reagan et qui
constituait en réalité la réponse militaire américaine à la menace soviétique. En définitif,
l’endiguement émerge comme une stratégie qui vise à contrecarrer les ambitions
hégémoniques soviétiques en ce qui concerne le «Heartland» eurasien et les pays de la
périphérie ou le «Rimland». C'est un excellent exemple de politique de puissance qui se joue
dans un monde bipolaire dans lequel deux superpuissances déterminées sont prêtes à
concourir pour la domination quasiment indéfiniment.
3.1.8
La Théorie du «Système mondial» d’Immanuel Wallerstein
Les décideurs politiques durant la Guerre froide ont utilisé la théorie «Rimland»
comme justification pour la politique d'endiguement visant à arrêter la propagation du
communisme. En Amérique, la géopolitique a été simplifiée et déformée pour servir des fins
politiques. Les Géopoliticiens provenaient des domaines des relations internationales et de
l'histoire ou de l'armée, mais pas du domaine de la géographie. Pour ces géopoliticiens
géographie signifiait distance, taille, forme et caractéristiques physiques, principes qui étaient
tous statiques. L'idée de la géographie comme configuration spatiale et lieu des relations qui
reflètent des processus physiques et humaines dynamiques était absente. Le monde était vu
comme étant composé de deux blocs avec aucune zone superposée.
Immanuel Wallerstein 52 qui écrit dans les années 1970, a développé sa théorie du
Système mondial. Un système mondial est un système social, qui a des limites, des structures,
des groupes membres, des règles de légitimation et de cohérence. Selon Wallerstein, il y a
deux variétés du système-monde: les empires du monde, dans lesquelles il y a un système
politique unique dans la majeure partie de leur espace; et ces systèmes où un système
politique unique n'existe pas sur l'ensemble du territoire. Le terme utilisé pour décrire ce type
de système mondial est celui d’«Économie-monde». Wallerstein estime que le développement
de l'Économie-monde en Europe au XVIe siècle a été rendue possible par une division du
travail qui n'était pas simplement fonctionnelle, mais aussi géographique. Au sein de ce
système-monde, il distingue trois régions géographiques:
1) Les États noyaux (Core States) qui constituent des régions principales de l'Économiemonde. Ils ont des solides structures d'état et une culture nationale, et leurs peuples sont
intégrés. Les États noyaux sont des puissances économiques reliées par le commerce et la
technologie, et ils sont des exploitants de la périphérie.
52
Immanuel Maurice Wallerstein (né le 28 septembre 1930) est un sociologue américain. Nommé professeur
de sociologie à l'Université McGill à Montréal en 1971, à partir de 1976 il travailla comme professeur de
sociologie à l’Université de Binghamton (SUNY) et ce, jusqu’à sa retraite en 1999. Il travailla en outre comme
directeur du centre Fernand Braudel pour l’Étude de l’Économie, des Systèmes historiques et des Civilisations.
Wallerstein occupa plusieurs postes de professeur honoraire d’université dans plusieurs pays, reçut de
nombreuses récompenses et occupa par intermittence le poste de Directeur d'études associé à l’École des hautes
études en sciences sociales de Paris. Il fut également le président de l’Association internationale de sociologie
entre 1994 et 1998. L’un des aspects de ses travaux pour lequel Wallerstein est reconnu est d’avoir anticipé
l’aggravation du conflit Nord-Sud en pleine période de Guerre froide. Wallerstein rejetait complètement la
notion de «Tiers-Monde» et affirmait qu’il n’existait qu’un seul monde connecté par un réseau complexe de
relations d’échanges économiques. Pour lui, il s'agit d'une «économie-monde», ou «système-monde» (qui
historiquement comprenait les nations-États, mais ne s'y limitait pas), dans laquelle la dichotomie du capital et
du travail et l’accumulation du capital par des agents en concurrence se traduisent par des contradictions.
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57
2) Les régions périphériques sont des États faibles; il s’agit des États colonies ou des États
avec un faible degré d'autonomie.
3) La troisième région comprend des zones semi périphériques, celles qui agissent comme
un tampon entre le noyau et la périphérie.
Le système mondial de Wallerstein reflète également le déterminisme car il croyait que
puisque le système-monde avait été entièrement développé par les années 1950, aucun pays
ne serait plus en mesure d'entrer dans le système et pouvoir affronter avec succès la
concurrence et que les pays de la périphérie ne seraient probablement jamais en mesure de
rattraper économiquement leur retard par rapport aux États noyaux.
3.1.9
La Théorie des «Régions géostratégiques» de Saul B. Cohen
Aujourd'hui les géographes visionnent le monde en termes de profils spatiaux qui ne
sont pas maîtrisables à l'intérieur des frontières nationales. Ils voient le monde comme un
système interdépendant et l'État-nation comme une partie d'un monde qui est une zone
partagée. Un partisan de cette théorie est Saul B. Cohen 53, qui a écrit la géographie et la
politique dans un monde divisé 54. Saul Cohen a concentré son analyse géopolitique sur les
forces qui ont été déclenchées par l'effondrement de l'URSS et la disparition du monde
bipolaire. Cohen divise le monde en «régions géostratégiques». Les deux régions principales
sont le Domaine Maritime (Maritime Realm), qui est dépendante du commerce et le Domaine
Continental Eurasien (Eurasian Continental Realm), soit intérieur en direction. Dans chaque
domaine se trouvent tout d'abord les Etats de premier ordre (ceux qui sont les plus puissants
au sein de la région). Cohen croit que ces régions géostratégiques sont importantes
puisqu'elles sont des centres d'activité économique qui sont reliés entre eux et sont donc
capables de créer une carte mondiale d'équilibre dynamique. Cohen, à la différence de
Wallerstein, estime que le pouvoir est dans beaucoup d'endroits différents et est en constante
évolution dans un système intégré.
Cohen utilise également les notions connexes de «Gateways» (passerelles) et de
«Shatterbelts» (zones de conflit en géopolitique). Au sens de Knox et Marston (2001),
«Shatterbelt» est une région du monde coincée entre forces extérieures politiques et
culturelles qui s’affrontent, où le conflit est endémique, où une énorme volatilité politique
existe et où les puissances mondiales dominantes sont souvent vues comme des entités
menaçantes et qui doivent être combattues. Cohen affirme que le Moyen-Orient est un
excellent exemple d'une région «Shatterbelt» contemporaine dans laquelle les tensions
courent élevées et la possibilité d'un conflit qui pourrait s'étendre à l'extérieur de la région est
également présente.
Comme «Gateways» (passerelles) sont considérés par Cohen les points d'entrée dans
les «Heartlands» autonomes ou semi-autonomes. L’Europe de l'est, la Transcaucasie et l'Asie
53
Saul B. Cohen est un spécialiste de géographie politique et professeur émérite au Hunter College de
l’Université de New York, Président honoraire du Queens College de la ville de New York, ancien directeur de
la Graduate School of Geography à l'Université Clark et ancien président de l'Association des géographes
américains.
54
Saul B. Cohen “Geopolitics of the world system”, Rowmann & LittleField, Lanham, Maryland, 2003, 435 pp.
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58
centrale sont des passerelles qui ont parfois aussi été des «Shatterbelts». La différence entre
un «Shatterbelt» et un «Gateway» dépend du degré de stabilité interne que la région a atteint
ou dont elle est capable de maintenir face à des forces économiques et idéologiques internes et
externes.
Cohen est catégorique dans son affirmation que les forces économiques et
idéologiques qui ont été jadis étouffées par la concurrence durant la guerre froide sont
désormais libres et deviennent responsables de nouveaux conflits dans le monde. C'est ce
genre de tension qu'il voit comme créatrice d'un monde qui est polarisé le long des lignes
économiques, ainsi que les lignes idéologiques. Alors que Samuel Huntington avait prévu un
choc des civilisations en raison de la fin de la guerre froide (Knox & Marston 2001), Cohen
(2003) suggère que la mondialisation et la diffusion de la technologie favoriserades
arrangements même au sein de régions de conflit de type «Shatterbelt» très volatiles.
L’analyse de Cohen identifie une nouvelle hiérarchie des unités géopolitiques. Ces
unités varient de sous-nationales aux géostratégiques et globales. En insistant sur l'interaction
entre ces unités, Cohen a essentiellement anticipé qu'un nouvel ordre mondial est susceptible
de se développer en raison de nouvelles activités économiques.
Cohen ne limite pas son analyse uniquement à l'échelon géostratégique mondial, mais
enrichit sa perspective avec une dimension régionaliste. Comme dans les années 1960,
également aujourd'hui, le caractère unique de l’approche géopolitique de Cohen réside dans
son approche régionaliste. L’équilibre global n'est pas seulement un produit de l'équilibre au
niveau géostratégique, mais aussi de celui au niveau régional, puisque les régions
géopolitiques sont des composants structuraux des espaces géostratégiques — la seule
exception étant l’Asie du Sud (Inde, Pakistan, Bangladesh, Myanmar), qui constitue une
région géopolitique indépendante secouée par une tourmente continue. Cette dernière, ainsi
que la région «Shatterbelt» de Moyen-Orient (qui comprend également la Libye, l’Egypte et
le Soudan), forment ce qu'il appelle un ''Arc d’instabilité géostratégique''. Curieusement, cet
arc reproduit presque exactement le «croissant intérieur» de Mackinder, le «Rimland» de
Spykman ou, plus récemment, l’"Arc de crise" de Brzezinski.
3.1.10 Le choc des civilisations de Samuel Huntington
Dans son ouvrage sur le choc des civilisations, Samuel Huntington 55 estime qu’après
la guerre froide, période (1947-1990) pendant laquelle on a raisonné en termes
55
Samuel Phillips Huntington, (18 avril 1927, New York - 24 décembre 2008, Massachusetts), est un
professeur américain de science politique auteur d'un livre intitulé «Le Choc des civilisations». Diplômé de
l'université Yale à dix-huit ans, il commença sa carrière d'enseignant à vingt-trois ans à l'université Harvard,
université où il travailla pendant cinquante-huit ans. De tendance conservatrice, il a aussi été membre du Conseil
de sécurité nationale au sein de l’administration Carter. Il est l'auteur, coauteur ou éditeur de dix-sept ouvrages et
de quatre-vingt-dix articles scientifiques traitant de sujets politiques divers: la politique américaine, la
démocratisation, la politique militaire, la stratégie ou encore la politique de développement. Son ouvrage le plus
connu «Le Choc des civilisations» est issu d'un article, «The Clash of Civilizations», publié à l'été 1993 par la
revue Foreign Affairs et inspiré de l'ouvrage de l'historien français Fernand Braudel «Grammaire des
civilisations» (1987). Cet article a permis à Samuel Huntington d'accéder à la notoriété. Il l'a ensuite développé
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59
d’affrontements idéologiques entre le bloc communiste et le «monde libre», les rapports de
force pertinents sont dorénavant ceux entre les civilisations. En effet, à l’ordre binaire de la
guerre froide, Huntington oppose un ordre multipolaire basé sur les civilisations. Les
civilisations, nous dit-il, sont durables parce qu’elles sont évolutives, c’est pourquoi elles
sous-tendent toujours plus ou moins les organisations politiques, qui sont moins durables, et
ne peuvent évoluer sans ruptures. La civilisation chez Huntington n’est pas un concept
catégorisant, servant à décrire un plan défini de l’espace modélisé. C’est un outil de la pensée
stratégique, visant à situer la réflexion dans des paradigmes (paradigme du chaos, opposition
pays riches/pays pauvres, etc.), qui doivent, selon lui, structurer l’action prioritairement.
En substance, Huntington prétend que depuis la fin de la guerre froide, ce sont les
identités et la culture qui engendrent les conflits et les alliances entre les États, et non les
idéologies politiques ou l’opposition Nord-Sud. Pour Huntington, la civilisation représente
l’entité culturelle la plus large. Elle «est le mode le plus élevé de regroupement et le niveau le
plus haut d’identité culturelle dont les humains ont besoin pour se distinguer des autres
espèces. Elle se définit à la fois par des éléments objectifs, comme la langue, l’histoire, la
religion, les coutumes, les institutions, et par des éléments subjectifs d’auto-identification».
Le monde a ainsi tendance à se diviser en civilisations qui englobent plusieurs souscivilisations et plusieurs États.
Huntington souligne le retour des nations. Les identités, mises entre parenthèses
pendant la phase du choc des idéologies (XX° siècle), resurgiront. Cependant, dans l’esprit de
Huntington, le retour des nations n’est pas forcément celui des Etats-nations: seuls les Etatsnations cohérents sous l’angle civilisationnel seront cohérents sous l’angle national. Il n’y a
donc pas de coïncidence entre État et civilisation. Pour Huntington, c’est la Nation völkisch au
sens allemand, pas la Nation étatique au sens français qui va structurer le XXI° siècle.
Une des conséquences majeures de cette évolution, estime l’auteur, est que les anciens
Etats-nations, jadis dépouillés de leur souveraineté par le haut, risquent de l’être désormais
par le bas. Si un musulman socialiste est plus proche des musulmans que des socialistes, alors
même si son pays est socialiste, il sera moins fidèle à ce pays socialiste qu’à la «communauté
civilisationnelle» musulmane, c'est-à-dire à un ensemble diasporique transfrontalier. Autre
caractéristique de l’époque qui s’ouvre: ces identités nationales engendrent des phénomènes
de solidarité internationale, mais cette solidarité n’est plus organisée autour des blocs
idéologiques. C’est désormais l’identité culturelle en elle-même qui crée les solidarités
préférentielles. Une personne culturellement issue de l’aire musulmane, et socialiste par ses
options politiques, va se penser comme musulman culturel avant de se penser comme
socialiste politique, et sera plus solidaire d’un musulman capitaliste que d’un socialiste
chrétien. Voilà la thèse de départ.
Selon Huntington, sept à huit civilisations se partagent le monde, quoiqu’il n’en
nomme que cinq, la chinoise, la japonaise, l’hindoue, la musulmane et l’occidentale. Il ne voit
pas l’Afrique comme une civilisation en soi (au contraire de Fernand Braudel), préférant
pour en faire un livre, traduit en France en 1997 aux éditions Odile Jacob. Les attentats du 11 septembre 2001
ont projeté sa vision géopolitique sur le devant de la scène et déclenché une controverse.
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60
rattacher le continent aux autres civilisations. À l’égard de l’Amérique latine, il adopte une
position ambivalente. Tantôt il la considère comme une sous-civilisation de l’Occident, tantôt
il y voit une civilisation distincte, menaçante pour les États-Unis.
Ces civilisations, nous dit-il, vont se partager un monde désoccidentalisé. Le recul de
l’Occident sera en effet l’évènement majeur du début du XXI° siècle. Certes, le recul de
l’Occident sera probablement lent. Il sera caractérisé par des phases d’arrêt, voire de retour en
arrière. Mais il paraît inéluctable. Le recul des capacités productives occidentales, dont la
puissance militaire et politique dépend, en constitue la principale raison. Depuis 1970, le taux
de croissance économique de l’Asie avoisine 10 % par an, celui de l’Occident 2 % par an.
Autre facteur de recul: la revanche de Dieu. La religion, qu’on avait trop vite enterrée, reste
un facteur puissant de structuration des identités. Et Huntington souligne qu’à ses yeux,
l’Islam, en particulier est incompatible avec le système de valeurs occidental. Il se comme une
proposition alternative apportée à la modernité – une «solution» qui éloigne le monde arabomusulman de l’Occident, si bien que plus ce monde se modernise, plus il se désoccidentalise.
De ce fait, le grand facteur de déstabilisation sera la montée en puissance des blocs
civilisationnels non-occidentaux, et, affirme Huntington de manière péremptoire, le conflit
principal du nouveau siècle n’opposera pas des classes sociales entre elles, mais bien des
civilisations concurrentes. La force militaire, conséquence du niveau d’acquisition
technologique et du potentiel économique, ne parlera pas forcément en faveur de l’Occident
pendant ce siècle.
Le monde international de l’après-guerre froide est devenu multi-civilisationnel selon
Huntington (en réalité il n’a jamais cessé de l’être), parce que l’Occident a cessé de dominer
le système international. Les États des autres civilisations se sont à leur tour inscrits dans ce
système pour interagir les uns avec les autres. Si grands qu’aient été la puissance de
l’Occident et l’attrait de sa culture sur les autres civilisations, la diffusion des idées
occidentales n’a pas suscité une civilisation universelle. Les civilisations exposées aux idées
de l’Occident lui ont emprunté ses savoir-faire sans pour autant en épouser toutes les valeurs,
comme l’individualisme, l’État de droit et la séparation entre le spirituel et le temporel. Ainsi,
la modernisation des États non-occidentaux n’a pas entraîné leur occidentalisation, mais
plutôt renforcé l’attachement à leur civilisation propre. Exemple: la Chine se modernise sans
s’occidentaliser. Il en est de même de la démocratisation de plusieurs pays non-occidentaux,
où la démocratie a mis au pouvoir des partis hostiles aux valeurs occidentales. Huntington bat
aussi en brèche l’idée que la prolifération des médias et l’adoption de l’anglais comme lingua
franca unifieraient les cultures, comme il met en doute l’idée que la libéralisation du
commerce préviendrait les conflits entre elles.
Ainsi est en train de s’établir selon Huntington un nouveau rapport de forces entre
civilisations. Alors que l’Occident voit son influence et son importance relatives décliner, les
civilisations asiatiques gagnent en puissance économique, militaire et politique et réaffirment
leurs valeurs propres. Connaissant une croissance démographique rapide, l’Islam est en proie
à des rivalités intestines et déstabilise ses voisins. La poussée démographique de l’Islam
s’accompagne d’une résurgence de la religion islamiste qui, dans plusieurs pays, s’est illustrée
par la montée du fondamentalisme, en particulier chez les jeunes.
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61
Huntington décrit ensuite l’émergence d’un ordre mondial organisé sur la base de
civilisations. Il constate l’apparition d’organisations et de forums regroupant des États
appartenant à la même civilisation. Les États coopèrent d’autant mieux les uns avec les autres
qu’ils ont en commun des affinités culturelles, tandis que les efforts faits pour attirer une
société dans le cercle d’une autre civilisation échouent. Au sein d’une même civilisation, les
États s’unissent autour d’un «État phare». La Chine, l’Inde et le Japon dominent chacun leur
propre sphère civilisationnelle. L’Occident connaît deux puissances dominantes, les ÉtatsUnis et l’axe franco-allemand, la Grande-Bretagne occupant une position médiane entre les
deux. Par contre, profondément divisé et dispersé, l’Islam n’a pas d’État phare, pas plus que
l’Afrique et l’Amérique latine. Certains pays, comme la Russie, le Mexique ou la Turquie, ont
tenté de s’occidentaliser, au prix toutefois de déchirements qui ont souvent mis en échec ce
processus. Société occidentale, l’Australie a tenté en vain de se définir comme société
asiatique et devrait plutôt chercher à se rapprocher des États-Unis en adhérant, avec la
Nouvelle-Zélande, à l'ALENA. 56
Un monde multi-civilisationnel voit se conclure des nouvelles alliances entre
civilisations et éclater des conflits qui s’éternisent, impliquent un grand nombre de
participants et sombrent dans la violence extrême. Pour cet auteur, ce sont bien dans les zones
où les civilisations sont en contact que les conflits se multiplient et ils sont de plus virulents:
Méditerranée, Caucase, Sud du Sahara. Alors que Huntington voit les conflits de l’Occident
avec l’Inde, l’Afrique et la Russie s’amenuiser, il craint que l’Occident ne s’oppose davantage
à la Chine et à l’Islam. Celui-ci, se rapprochant de la Chine, aura des relations plus
antagonistes avec l’Inde et la Russie. Les guerres frontalières qui se multiplient entre
musulmans et non-musulmans susciteront des alliances nouvelles et inciteront les États
dominants à intervenir pour calmer le jeu.
Les zones de conflit les plus dures, nous dit-il, seront celles où des pays divisés entre
influences d’Etats phares relevant de civilisations différentes se trouveront aussi:
- sur une ligne de recul rapide de l’Occident,
- là où des mouvements migratoires importants feront coexister des identités civilisationnelles
rivales et n’ayant pas eu le temps de s’apprivoiser mutuellement,
- là où l’islam, à la fois très faible (pas d’Etat phare) et très fort (démographie) sera en contact
avec une autre civilisation, parce que son mélange de force et de faiblesse constitue un
cocktail détonnant.
Huntington souligne que des phénomènes paradoxaux vont s’enclencher, et que ces chocs
identitaires peuvent déboucher sur des confrontations à plusieurs niveaux, interagissant les
uns avec les autres.
Dans un monde multi-civilisationnel, la prévention de la guerre repose sur deux
principes:
56
L'Accord de libre-échange nord-américain - ALENA (en anglais, North American Free Trade Agreement NAFTA, en espagnol Tratado de Libre Comercio de América del Norte - TLCAN) est un traité, entré en vigueur
le 1er janvier 1994, qui a créé une zone de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique.
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62
1) L’abstention, les États phares devront d’abstenir «d’intervenir dans les conflits
survenant dans des civilisations autres que la leur»;
2) la médiation, les États phares devront s’entendre pour «contenir ou stopper des
conflits frontaliers entre des États ou des groupes, relevant de leur propre sphère de
civilisation». L’Occident devra également renoncer à l’universalité de sa culture, croyance par
ailleurs fausse, immorale et dangereuse, accepter la diversité et rechercher les points
communs avec les autres civilisations.
Comment gérer ce monde chaotique ? Comment anticiper sur ces phénomènes
paradoxaux, où le métalocal et le mondial vont constamment interagir ? «Les civilisations
forment les tribus humaines les plus vastes» répond Huntington, «et le choc des civilisations
est un conflit tribal à l’échelle globale». Tant que ce conflit tribal à l’échelle globale ne se
manifeste que par la multiplication des conflits métalocaux, il reste gérable. Huntington décrit
en substance deux modes de régulation: la «guerre froide sociétale», consistant à laisser les
groupes civilisationnels rivaux se faire concurrence au sein des Etats tout en empêchant autant
que possible l’affrontement armé, et l’encadrement des guerres locales par un équilibre des
puissances tutélaires. En revanche, dit-il, si les Etats phares sont directement impliqués, la
situation peut échapper à tout contrôle.
C’est pourquoi Huntington préconise une politique d’équilibre de la puissance, visant
à faire anticiper par chaque Etat phare sur les évolutions des autres Etats phares, de manière à
gérer le recul de l’Occident de manière progressive. Il est impossible, dit-il en substance,
d’empêcher les «guerres froides sociétales» et il sera très difficile d’interdire les conflits
métalocaux. Mais il est crucial que les Etats phares ne soient pas directement impliqués dans
le choc des civilisations. Pour dire les choses brutalement, la conclusion principale de Samuel
Huntington est que les USA ne doivent surtout pas faire la guerre à la Chine, et doivent donc
éviter de s’engager directement dans tout conflit sur une zone de fracture civilisationnelle, car
tout engagement direct de leur part, y compris dans un monde musulman potentiellement allié
de la Chine, les expose au risque d’escalade – et Huntington s’inquiète précisément de la
difficulté, pour les USA, de trouver des «rivaux primaires» à la Chine, qui leur permettront de
ne pas être en conflit frontal avec l’Empire du Milieu.
Le Japon, dit-il, pourrait être un «rival primaire» économisant aux USA la
confrontation directe avec la Chine, mais :
- la tradition diplomatique américaine manque de subtilité, elle n’est pas tournée vers la
définition d’un rôle changeant, ambigu et cynique (Huntington le regrette),
- le Japon a une forte tendance au suivisme, il n’aime pas, lui, être un rival primaire, et si la
Chine devient la puissance dominante en Asie, il se placera en périphérie de son orbite (et cela
aussi, Huntington le regrette).
De nouvelles alliances vont émerger. Une «filière islamo-confucéenne» est prévisible,
parce que l’Occident va être confronté à la fois à des multiples «guerres froides sociétales»
avec l’Islam et à un affrontement de puissance à puissance avec la Chine en expansion. Un
axe «Téhéran-Islamabad-Pékin» est en gestation, tandis qu’avec l’existence d’une zone
tampon au Kazakhstan, la Russie peut soit décider de coopérer avec la Chine, soit s’opposer à
AA-06 FR-06-2014 «NOUVEL ORDRE GÉOPOLITIQUE MONDIAL - GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION»
63
elle. Sur ce point, un jeu de dominos peut s’enclencher: si le Japon reste en conflit avec la
Russie pour les Kouriles et adopte un comportement suiveur par rapport à la Chine, alors la
Chine pourrait avoir à choisir entre un axe islamo-confucéen-japonais et un axe islamoconfucéen-russe.
Sur ce point, si l’Occident est habile, il peut prendre un engagement par rapport à la
Russie: ne pas s’avancer jusqu’à l’Ukraine (sauf si elle éclate), pour attirer Moscou vers
l’Ouest, et ainsi priver la Chine d’un allié très puissant. Visiblement, dans le rêve de Samuel
Huntington, Washington passe un accord de zone d’influence avec Moscou, soutient le Japon
subtilement pour en faire un rival primaire de la Chine en Asie, et ainsi empêche Pékin
d’élargir l’axe islamo-confucéen vers le Japon ou vers la Russie. Facteur additionnel:
«prendre conscience des problèmes de sécurité de la Russie avec les peuples musulmans de sa
frontière sud». C’est la conclusion auxiliaire de Samuel Huntington: il faut une politique
américaine pro-russe.
Sous-entendu derrière le discours du «Choc des civilisations», et si on enlève
l’emballage jésuitique, on s’aperçoit d’une confrontation entre les peuples blancs unis
(Occident, Russie), contre une Asie où la Chine domine, mais qui doit gérer une alliance
complexe avec un monde musulman instable, et une rivalité avec le Japon. Reste le cas
particulier de l’Inde, qui est en conflit avec l’Islam et avec la Chine; elle cherchera l’alliance
russe (complémentarités très fortes). Pour Huntington, c’est un argument de plus pour une
politique américaine pro-russe. En résumé, attirer la Russie dans le camp occidental, c’est :
- l’empêcher de s’allier à la Chine,
- arrimer l’Inde au bloc occidental,
- et donc, dans le monde du XXI° siècle, créer un axe Washington-Moscou-New DehliTokyo, qui permet d’empêcher la mainmise chinoise sur l’Asie (objectif stratégique essentiel).
Quant à l’Amérique Latine, Huntington considère que c’est un acteur périphérique, qui
doit être arrimé à l’Occident par une politique d’influence sur les populations, via en
particulier l’occidentalisation des modes de vie et (il ne le dit pas explicitement, mais c’est
sous-entendu) la «protestantisation» de ce continent historiquement catholique. Quant à
l'Afrique, à ses yeux, c'est un acteur quasi-inexistant.
A partir de ce rapide résumé, on peut dire que les Américains regroupés derrière les
administrations Reagan, Clinton, Bush et Obama ont fait exactement le contraire de ce que
préconisait Huntington:
- Ils ont engagé l’armée américaine directement dans des conflits frontaux, sur le territoire de
civilisations étrangères (ex-Yougoslavie, Irak, Afghanistan), ce qui contredit la conclusion
principale du «Choc des civilisations» (pas d’engagement direct !) ;
- Ils ont littéralement poussé Vladimir Poutine dans les bras des dirigeants chinois, avec de
stupides opérations contre-productives (Ukraine, Géorgie), ce qui contredit la conclusion
auxiliaire d’Huntington (politique pro-russe !) ;
- Accessoirement, ils n’ont rien fait de sérieux pour endiguer les mouvements migratoires vers
l’Occident, ce qui contredit une conclusion latente de Samuel Huntington (l’immigration
risque de rendre le choc des civilisations ingérable !).
AA-06 FR-06-2014 «NOUVEL ORDRE GÉOPOLITIQUE MONDIAL - GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION»
64
Comment expliquer que les Américains aient suivi, depuis plusieurs années, cette
stratégie qui, si l’on en croit Samuel Huntington, était la pire possible pour les intérêts
occidentaux ?
Enfin, Huntington lance à l’Occident un appel au ressaisissement. Il estime que la
survie de l’Occident dépendra de la capacité et de la volonté des Américains de réaffirmer
leur identité occidentale fondée sur l’héritage européen. La persistance du crime, de la drogue
et de la violence, le déclin de la famille, le déclin du capital social, la faiblesse générale de
l’éthique et la désaffection pour le savoir et l’activité intellectuelle, notamment aux ÉtatsUnis, sont autant de signes indiquant le déclin moral de l’Occident. Le livre de Huntington est
à la fois une théorie des relations internationales et une critique du multiculturalisme comme
politique intérieure. Huntington reproche aux multiculturalistes américains de vouloir créer
«un pays aux civilisations multiples, c’est-à-dire un pays n’appartenant pas à aucune
civilisation et dépourvu d’unité culturelle». Il croit que l’affrontement entre les partisans du
multiculturalisme et les défenseurs de la civilisation occidentale constitue le «véritable
conflit» aux États-Unis. Si ces derniers devaient se désoccidentaliser, l’Ouest se réduirait
alors à l’Europe, elle-même aux prises avec l’irruption de l’Islam. Pour enrayer le déclin de
l’Occident, l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord devraient envisager une intégration
politique et économique, de même qu'aligner les pays d'Amérique latine sur l'Occident,
empêcher le Japon de s'écarter de l'Ouest, freiner la puissance militaire de l'Islam et de la
Chine en maintenant la supériorité technologique et militaire de l'Occident sur les autres
civilisations.
Huntington affirme, de manière péremptoire, le conflit principal du siècle à venir
n’opposera pas des classes sociales entre elles, mais bien des civilisations concurrentes.
Huntington suggère que le conflit civilisationnel préempte les tensions, pour rendre
secondaires les oppositions de classe. Cette stratégie de préemption du conflit, dit-il en
substance, est plus réaliste que l’hypothèse d’une mondialisation intégrale et immédiate du
pouvoir dans toutes ses acceptions. Elle permet d’utiliser le «paradigme du chaos», qui, dit-il,
rend bien compte de la réalité du monde à venir, même si d’autres paradigmes (Etats-nations,
gouvernement mondial unifié, opposition pays riches/pays pauvres) doivent aussi être pris en
compte. Pour piloter ce «paradigme du chaos», Huntington propose de s’appuyer sur la
notion qui selon lui englobe toutes les autres, et n’est englobée par aucune d’elles: les
civilisations. Il entend par là un concept opératoire, c'est-à-dire une méthode de pensée
débouchant sur une action et sur un mode de gestion des rétroactions. La civilisation chez
Huntington n’est pas un concept catégorisant, servant à décrire un plan défini de l’espace
modélisé. C’est un outil de la pensée stratégique, visant à situer la réflexion dans le paradigme
qui doit, selon lui, structurer l’action prioritairement.
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65
3.1.11 «Le Grand échiquier» de Zbigniew Brzezinski
L’Anschluss de l’Autriche était dans le «Mein Kampf» d’Adolf Hitler, le contrôle de
l’Ukraine est dans le «Grand Echiquier» de Zbigniew Brzezinski…
Beaucoup plus influent que Samuel Huntington, Zbigniew Kazimierz Brzeziński 57 a
repris une partie de ses thèses, en les reformulant à partir de fondements de référence
acceptables par les diverses tendances des élites USA. Brillant, cynique et puissant, incarne la
ligne alternative au néo-conservatisme au sein de l’impérialisme américain. Aujourd’hui
conseiller hors organigramme du Président Obama, il impulse une orientation stratégique
nouvelle à la politique étrangère des Etats-Unis: plus calculateur, plus prudent que les
«neocons»58, il partage leur impérialisme, mais pas leur unilatéralisme. Sa pensée ne constitue
pas une alternative à l’idéologie du «choc des civilisations», mais une formulation alternative
de cette idéologie.
Brzezinski présente un profil idéal pour constituer une passerelle entre les milieux
néoconservateurs et les conservateurs réalistes: issu au départ du Parti Démocrate, d’origine
judéo-polonaise [origine juive incertaine], animé par une aversion notoire à l’égard de la
Russie, il peut se permettre de critiquer les milieux juifs et la gauche américaine plus aisément
qu’un WASP 59 ouvertement marqué à droite, comme Huntington – ce qui n’est pas sans
importance dans le contexte actuel aux Etats-Unis. Ami de David Rockefeller, avec qui il
cofonde la «Commission Trilatérale»60 en 1973, il a l’appui presque inconditionnel du «big
57
Zbigniew Kazimierz Brzeziński (né le 28 mars 1928 à Varsovie) est un politologue et stratège américain
d'origine polonaise. Il a été conseiller à la sécurité nationale du Président des États-Unis Jimmy Carter, de 1977 à
1981. En tant que tel, il a été un artisan majeur de la politique étrangère de Washington, soutenant alors à la fois
une politique plus agressive vis-à-vis de l'URSS, en rupture avec la Détente antérieure, qui mettrait l'accent à la
fois sur le réarmement des États-Unis et l'utilisation des droits de l'homme contre Moscou. Il fut également le
mentor de Barak Obama, à l’Université de Colombia.
58
Abréviation pour «néoconservateurs». Le néo-conservatisme ou néoconservatisme est un courant de pensée
politique d'origine américaine apparu à la fin du XXe siècle. Il s'agit d'une conception qui a émergé aux ÉtatsUnis par opposition au relativisme culturel et à la contre-culture de la Nouvelle gauche («New Left») des années
1960. Cette philosophie a influencé les politiques menées par Ronald Reagan et George W. Bush, signifiant un
réalignement de la politique américaine et le passage de quelques libéraux sociaux à la droite du spectre
politique, d'où le terme qui fait référence aux «nouveaux» conservateurs («neocons»).
59
WASP est un acronyme qui fait référence à «White Anglo-Saxon Protestant» et qui désigne les blancs
américains d'origine anglaise et protestante dont la pensée et le mode de vie furent structurels pour les ÉtatsUnis. Par rétroacronymie, WASP peut avoir aussi le sens caché de White race, Anti-Semite, Puritan («race
blanche, antisémite, puritain»), mouvement lié au Ku Klux Klan. Il convient de rappeler que Wasp est un mot
qui en anglais signifie «guêpe».
60
La Commission Trilatérale (en anglais: Trilateral Commission - TC),) a été fondée le 1er juillet 1973 à
Tokyo au moment où les membres du «Council on Foreign Relations» - CFR (à ne pas confondre avec le
«Committee on Foreign Relations» et du Groupe Bilderberg (alliés ou ralliés) décidèrent de créer une
organisation très discrète entre les 3 régions démocratiques et industrialisées à économie de marché qui sont
l’Europe, l’Amérique du Nord, et le Japon. La TC a été créée par David Rockefeller (qui était le Chairman du
CFR), les membres choisis par David Rockefeller, le but défini par David Rockefeller et son financement fourni
par David Rockefeller. Le but de la TC est de faire avancer l’agenda du nouvel ordre mondial plus rapidement.
Elle se rassemble en session plénière chaque année (dernière réunion le 17 mars 2013 à Berlin). Chaque sujet fait
l’objet de rapports annuels (The Trialogue) et de travaux thématiques (Triangle Papers). La TC est formée de la
crème du CFR, du Group Bilderberg et de la Franc-maçonnerie anglaise qui est mère de toutes les loges francAA-06 FR-06-2014 «NOUVEL ORDRE GÉOPOLITIQUE MONDIAL - GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION»
66
business», dont il a toujours défendu les intérêts (il est l’inventeur, entre autres choses, de la
théorie du «tittytainment», selon laquelle la société future assurera la domination des très
riches en enfermant 80 % de la population dans l’abêtissement généralisé) 61. Théoricien de
l’inégalité positive, il fait en réalité partie de ces hommes d’extrême droite qui ont compris
qu’un discours pseudo-progressiste constituait, désormais, le masque nécessaire de
l’impérialisme. Son «coup d’éclat» remonte à la fin des années 70 quand, en sa qualité de
conseiller des Présidents Carter et Reagan, il déstabilisa l’URSS en soutenant et en armant les
moudjahidines dans leur lutte contre les soviétiques engagés en Afghanistan, les obligeant à
se retirer (les américains tomberont dans le même guêpier quelques années plus tard). Il est
hors de doute que son niveau de réflexion est très supérieur à la moyenne des
néoconservateurs du «Project for a New American Century».
En 1997, Brzezinski écrivit «L'Amérique et le reste du monde - Le Grand
Echiquier» 62. L’ouvrage décrit la partie d'échecs que doivent jouer les USA sur ce qu'il
nomme "l’échiquier eurasien", échiquier à quatre grosses cases inégales, si l'Amérique veut
conserver la maîtrise du jeu et conserver son hégémonie mondiale. Suite aux attentats du 11
septembre 2001, après lesquels il était devenu difficile de prôner trop ouvertement le soutien
aux islamistes en vue de les instrumentaliser comme arme de déstabilisation (comme cela fut
le cas lors de la 1ère guerre d’Afghanistan en 1979-1989), il proposa une théorie actualisée
maçonniques dans le monde. Au départ, la TC était composée de 17 membres, Zbigniew Brzezinski ayant été
désigné comme président lors de sa fondation. Actuellement la TC compte 325 membres (dont 150 européens,
100 américains et canadiens et 85 japonais) tous interviewés et choisis par David Rockefeller. Parmi les
personnages connus des Français, on pourrait citer Jimmy Carter, Bill Clinton, Raymond Barre, Roland Dumas,
Jacques Delors, Alain Poher, Jacques Chirac, Elisabeth Guigou et beaucoup d’autres. Rares sont ceux qui savent
que cette mystérieuse organisation existe et qu’elle exerce un contrôle rigoureux sur les Etats-Unis et l’économie
internationale par l’intermédiaire des affiliés (affiliates) qu’elle compte dans la finance, la politique, la
diplomatie, l’administration et les médias. Il convient de signaler que, quelques semaines avant les premiers
rassemblements sur la place de l’Indépendance de Kiev, Arseni Iatseniouk («Yats» pour la secrétaire d’Etat
adjointe des USA Victoria Nuland) participa le 27 Octobre 2013 à Cracovie (Pologne) à une réunion de la
Commission Trilatérale présidée par Jean-Claude Trichet (ancien président de la BCE, membre du Groupe
Bilderberg) dont le sujet portait sur "l’Ukraine et l’Union Européenne"…
61
Le mot «tittytainment» a été utilisé en 1995 par Zbigniew Brzezinski, membre de la commission trilatérale et
ex-conseiller du Président des États-Unis Jimmy Carter, pendant la conclusion du premier State Of The World
Forum, dans l'Hôtel Fairmont de la ville de San Francisco aux USA. L'objectif de la rencontre était de déterminer
l'état du monde, de suggérer des objectifs désirables, de proposer des principes d'activité pour les atteindre, et
d'établir des politiques globales pour obtenir leur mise en œuvre. Les dirigeants réunis à (Mikhaïl Gorbatchev,
George Bush, Margaret Thatcher, Václav Havel, Bill Gates, Ted Turner, etc.) sont arrivés à la conclusion que
«dans le siècle à venir, 20% de la population active suffiraient à maintenir l'activité de l'économie mondiale». Le
problème se poserait alors sur la manière de gouverner les 80 % de la population restante, superflue dans la
logique libérale, ne disposant pas de travail ni d'occasions d'aucun type, ce qui nourrirait une frustration
croissante. C'est ici qu'est entré en jeu le concept de «tittytainment» proposé par Brzezinski, qui consisterait d’un
mélange d'aliment physique et psychologique qui endormirait les masses et contrôlerait leurs frustrations et leurs
protestations prévisibles. Le même Brzezinski explique l'origine du terme «tittytainment», comme une
combinaison des mots anglais «entertainment» et «tits» (terme qui désigne les seins). Brzezinski ne pense pas au
sexe, ici, mais plutôt au lait qui coule de la poitrine d'une mère qui allaite. Pour lui, et ses compères qui
approuvent, il faudra trouver une façon pour concocter un cocktail de divertissement abrutissant et d'alimentation
suffisante qui permettrait de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète...(Cf.: «Le piège de
la mondialisation - L'agression contre la démocratie et la prospérité», Hans-Peter Martin Harald Schumann
(Auteurs), Olivier Mannoni (Traduction), Editions Solin (Actes Sud, 1997).
62
Zbigniew Brzezinski “The Grand Chessboard: American Primacy and Its Geostrategic Imperatives”, New
York, Basic Books, 1997 (ISBN 0-465-02726-1)
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67
avec son ouvrage «Le Vrai Choix: domination mondiale ou leadership mondial» 63.
Fondamentalement, ce second livre ne modifie cependant pas les thèses avancées dans «Le
Grand Echiquier».
Dans son inspiration, on retrouve un idéalisme très américain: les USA ont pour
mission d'assurer la paix mondiale. Cet objectif n'est pas entièrement désintéressé et
l'idéalisme se teint très vite d'un réalisme qui n'évite le cynisme que par la franchise avec
laquelle il est avoué: la suprématie américaine ne peut pas durer éternellement et il s'agit de
mettre en place les piliers d'un ordre mondial dans lequel les USA conserveraient une place
centrale, malgré le fait que d'autres pays les rejoindraient comme grandes puissances. Puisque
la puissance sans précédent des Etats-Unis est vouée à décliner au fil des ans, la priorité
géostratégique est donc de gérer l'émergence de nouvelles puissances mondiales de façon à ce
qu'elles ne mettent pas en péril la suprématie américaine.
Toutes ces puissances émergentes se trouvent, selon l'auteur, sur le «continent
eurasien», espace géographique qui comprend tous les territoires compris entre Lisbonne et
Tokyo, en passant par Berlin, Moscou, Tachkent, Pékin, New Dehli. C'est là que se jouent
l'avenir du monde et la primauté des USA 64. Ce continent est découpé pour l'analyse en quatre
zones: l'Europe de l'ouest, la Russie, les Balkans asiatiques (les pays du Caucase, les
républiques musulmanes détachées de l'ex-URSS, l'Ukraine) et l'Asie (Chine, Japon, Inde).
Les relations et intérêts des USA sont donc passés en revue dans chacune de ces zones. C'est
extrêmement éclairant, car Brzezinski décrit très directement les intérêts américains, sans les
déguiser – même s'il passe sous silence les moyens employés à leur service. Le programme
américain est donc le suivant :
- En premier lieu identifier les Etats possédant une réelle dynamique géostratégique et
capables de susciter un bouleversement important dans la distribution internationale du
pouvoir et aussi identifier les Etats les plus sensibles du point de vue géopolitique, ceux qui,
par leur situation géographique ou du simple fait de leur existence, peuvent avoir des effets
catalyseurs sur des acteurs géostratégiques plus importants ou sur les conditions régionales.
- En second lieu, formuler des politiques spécifiques pour contrebalancer les effets néfastes
des politiques initiées par ces Etats; définir les moyens de les associer ou de les contrôler, de
façon à préserver et à promouvoir les intérêts vitaux des Etats-Unis; élaborer une réflexion
stratégique globale qui intègre et harmonise, à l'échelle planétaire, les diverses politiques
régionales des Etats-Unis conçues pour les intérêts des Etats-Unis et non pas pour ceux de
l’Humanité. L’ONU, est peine mentionnée au détour d'une phrase.
63
Zbigniew Brzezinski, «Le vrai choix ; l’Amérique et le reste du monde», Odile Jacob, 2004 (titre anglais:
Global Domination or Global Leadership)
64
Citation du «Grand Echiquier» de Zbigniew Brzezinski:
[...] «Le jeu se déroule sur cet échiquier déformé et immense qui s'étend de Lisbonne à Vladivostok. Si l'espace
central peut être attiré dans l'orbite de l'Ouest (où les Etats-Unis jouent un rôle prépondérant), si le Sud n'est
pas soumis à la domination exclusive d'un joueur et si l'Est ne réalise pas son unité de sorte que l'Amérique se
trouve expulsée de ses bases insulaires, cette dernière conservera une position prépondérante. Mais si l'espace
central rompt avec l'Ouest et constitue une entité dynamique capable d’initiatives propres, si dès lors, il assure
son contrôle sur le Sud ou forme une alliance avec le principal acteur oriental, alors la position américaine en
Eurasie sera terriblement affaiblie. A l'Est, l'union des deux principaux acteurs aurait des conséquences
similaires. Enfin, sur la périphérie occidentale, l'éviction des Etats-Unis par ses partenaires signerait la fin de la
participation américaine au jeu d'échecs eurasien ».
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68
On notera au passage, la différence de qualité de pensée stratégique entre les
politiciens européens et les têtes américaines. Ce qui pèche chez les Américains, c'est la
réalisation, mais la pensée stratégique est là et bien là! 65
Dès l’introduction, le lecteur est averti sur la portée de l’ouvrage; il ne s’agit pas d’un
travail de géopolitique habituel, mais bien d’une vision de géostratégie s’inscrivant dans une
eschatologie terrifiante. Le but est clair: asseoir et renforcer le rôle dominant des Etats-Unis
comme première puissance mondiale; pour cela, nous dit Brzezinski, il faut à tout prix
empêcher l’émergence d’une puissance sur le continent eurasien capable de rivaliser avec les
Etats-Unis. En effet, nous dit-il, celui qui tiendrait ce continent serait le maître du monde ;
Hitler et Staline, qui l’avaient compris, s’y sont d’ailleurs essayés dans le passé mais sans
succès. Les Etats-Unis doivent veiller au respect légitime de la primauté américaine sur cette
Eurasie, car ses objectifs sont «généreux». Ainsi, dans cette logique implacable, défier
l’Amérique serait agir contre «les intérêts fondamentaux de l’humanité». Tout est dit.
Dans le premier chapitre, nous est brossé le tableau de l’évolution de la puissance
américaine depuis 1898 (guerre des Etats-Unis contre l’Espagne) jusqu’à son état actuel de
première puissance mondiale. Nous y voyons cette attitude anti-européenne constitutive de la
création des Etats-Unis: cette Europe aux «privilèges archaïques et aux hiérarchies sociales
rigides». La première irruption des Etats-Unis dans la géopolitique européenne n’est pas
abordée du point de vue de ses portées réelles meurtrières (les quatorze points de Woodrow
Wilson portant en germe les conflits européens à venir) 66, mais sous l’angle du formidable
65
Herman Van Rompuy, Président du Conseil Européen, a déclaré lors de la 50e Conférence sur la Sécurité de
Munich le 1er février 2014: [...] «parce que pour les Européens et les Américains, les économies sont basées sur
des règles, les sociétés sont basées sur des valeurs – c’est ce que nous sommes, c’est ce que nous représentons
pour beaucoup de gens, et c’est – ensemble – ce pour quoi nous devons lutter dans le monde». Des mots vides,
comme si leurs règles ou leurs valeurs avaient réussi à libérer des nations de la décadence socio-économique,
politique ou intellectuelle ou à restaurer leurs identités, leurs principes moraux ou leur esprit; (cf.
http://www.realpolitik.tv/2014/04/le-coup-detat-euro-americain-en-ukraine-3/).
66
Le début de l'année 1917 marque un tournant et plusieurs facteurs vont entraîner les Etats-Unis à changer de
position et à entrer dans la guerre. Le président Wilson a été réélu à la fin de l'année 1916 et la volonté de
maintenir les Etats-Unis à l'écart du conflit ne constitue donc plus un enjeu électoral dans un pays où l'opinion
reste profondément attachée au neutralisme. Les Allemands sont revenus sur la promesse faite au président
américain en relançant à partir du 1er février une guerre sous-marine qui provoque rapidement d'importants
ravages parmi les navires neutres et menace les liens commerciaux américains avec l'Entente. Enfin, les
Allemands ont commis une véritable provocation aux yeux des Américains en proposant une alliance militaire
avec le Mexique, avec la possibilité pour les Mexicains de recouvrer certains Etats (Texas, Nouveau-Mexique,
Arizona) pris par les Américains suite à la Guerre américano-mexicaine (1846-1848). Cette affaire sera quelque
peu instrumentalisée par les Anglais (qui transmettent la correspondance entre le ministre allemand des Affaires
étrangères Zimmermann et son ambassadeur à Mexico) afin de convaincre les Américains de la "perfidie
allemande". Enfin, la révolution russe (février 1917) et la mise en place d'un gouvernement libéral à Petrograd
permet désormais à Wilson de présenter à l'opinion le conflit comme celui de la démocratie contre l'autocratie
incarnée par les Empires centraux. Toutes ces conditions nouvelles permettent donc de rompre avec la politique
neutraliste menée depuis 1914 et le 5 avril 1917 les États-Unis déclarent la guerre à l'Allemagne. L'AutricheHongrie ne recevra l'ultimatum que le 7 décembre 1917 et les Etats-Unis ne déclareront pas la guerre à tous les
pays de l'alliance, conservant notamment des rapports normaux avec la Bulgarie et l'Empire ottoman. Cette
politique témoignait de la volonté américaine de conserver une certaine indépendance face à ses alliés anglais et
français. À partir de juillet 1918, les troupes américaines sous le commandement du général Pershing (celui qui
avait mené l’«expédition punitive» contre l’invasion du territoire américain par les guérilleros mexicains de
Pancho Villa en 1916) joueront un rôle décisif. Mais les États-Unis n'adhèrent pas à la convention du 5
septembre 1914 entre les Alliés et ils définissent au début de 1918 leurs propres buts de guerre. Wilson énonce
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69
idéalisme américain allié à une puissance militaire, économique sans précédent qui font que
ses principes soient pris en compte dans la recherche de solutions aux problèmes européens.
La fin de la seconde guerre mondiale fait émerger un monde bipolaire et le temps de la
guerre froide voit se mettre en place des enjeux géopolitiques clairement définis: les EtatsUnis contre l’Eurasie (URSS), avec le monde comme enjeu. Avec l’effondrement et
l’éclatement de l’Union Soviétique en 1991, les Etats-Unis deviennent, nous dit Brzezinski,
«la première puissance globale de l’histoire». L’auteur établit ensuite la liste des empires
ayant eu une aspiration à la domination mondiale; il y en a eu trois: l’empire romain, la Chine
impériale et l’empire mongol. Parmi ces trois, d’après Brzezinski, seul l’empire mongol
approche la définition moderne de puissance mondiale. Admirateur de l’empire mongol et du
déferlement des hordes sauvages mongols en Eurasie, Brzezinski considère que seul lui peut
être comparé aux Etats-Unis d’aujourd’hui ! Mais, après deux siècles d’existence (du XIIIème
au XVème siècle), cet empire disparaissait sans laisser de traces; ce qui devrait faire réfléchir
d’avantage l’auteur du «Grand échiquier», l’histoire des Etats-Unis en tant que nation n’ayant
pas encore atteint une durée de trois siècles…
L’Europe devient ensuite le foyer de la puissance globale et le lieu où se déroulent les
luttes pour l’acquérir, sans toutefois être dominé par un Etat en particulier. Brzezinski note
que la France en premier lieu (jusqu’en 1815), puis la Grande-Bretagne (jusqu’en 1914) ont
eu leur période de prééminence. Mais, aucun de ces empires n’a vraiment été global. Le fait
que les Etats-Unis se soient élevés au rang de puissance globale est, lit-on, unique dans
l’histoire. Ce pays a un appareil militaire qui est le seul à avoir un rayon d’action global. Cette
prééminence fait de l’ombre à la Russie et à la Chine. Néanmoins, le retard technologique de
ces deux pays fait qu’ils n’ont pas de politique significative sur le plan mondial. Dans les
quatre domaines clés (militaire, économique, technologique et culturel) les Etats-Unis sont
dominants, et ceci leur confère la position de seule superpuissance globale.
Brzezinski développe ensuite ce «système global» propre aux Etats-Unis. La puissance
globale des Etats-Unis viendrait d’une part du pluralisme de sa société et d’autre part de son
système politique. Incidemment, nous apprenons que par le passé les Européens, dans leurs
visées impériales, n’ont été que des «aventuriers». Autre élément de ce système: les idéaux
démocratiques sont aujourd’hui identifiés dans le monde comme issus de la tradition politique
américaine; les Etats-Unis sont devenus «le modèle incontournable». La doctrine américaine,
mélange actif d’idéalisme et d’égoïsme, est la seule qui prévaut.
les 14 points, qu'il précise ensuite dans plusieurs déclarations ultérieures. Au moment de la conclusion de
l'armistice, il offre ainsi des garanties à l'Allemagne, qu'il pense convertie à la démocratie et qui doit devenir un
rempart contre le bolchevisme, en même temps qu'un partenaire commercial prospère: maintien de l'unité du
Reich et montant des réparations fondé sur sa «capacité de payer». Il ne tient pas compte de sa défaite électorale
(les républicains remportent les élections au Congrès le 5 novembre 1918), et veut appliquer rigoureusement son
programme au cours des négociations de paix, au cours desquelles il se pose parfois en arbitre pour le présent et
pour le futur (voir par exemple les articles 339, 357 ou 374 du traité de Versailles). Ce souci de ménager
l'Allemagne provoquera des tensions avec la Belgique, l'Italie et surtout la France, dont il écarte les
revendications territoriales et les exigences de garanties militaires. Avec le soutien de Lloyd George, il propose,
en échange, à Clemenceau (lettre du 6 mai 1919), un pacte tripartite contre une éventuelle agression allemande,
que le Sénat des États-Unis n'examinera même pas, et il impose un illusoire système de garantie collective fondé
sur le pacte de la Société des Nations, que le même Sénat repoussera. Il obtient le prix Nobel de la paix en 1919.
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70
Mais cette suprématie américaine repose également, apprend t-on, sur un système
élaboré d’alliances couvrant la planète. L’OTAN, le FMI, l’OMC, l’APEC 67, etc. (dans
lesquelles les Etats-Unis ont un rôle prépondérant, sinon directif) constituent un réseau
mondial actif et incontournable dans la constitution et la conservation de la puissance globale
américaine. Les Etats-Unis se doivent de conserver cette position d’hégémonie globale sans
précédent. Cela doit être considéré, selon Brzezinski, comme une «mission» confiée à ce pays.
Il lui faut impérativement prévenir toute émergence de rivaux, maintenir le statu quo; ceci au
nom du bien-être de l’Humanité, bien entendu…
Dans le second chapitre, et avec la même logique, on apprend que le maintien de la
prééminence des Etats-Unis dans le monde va de pair avec la paix dans le monde. Pour
Brzezinski, c’est l’Eurasie qui est «l’échiquier», c’est là que se déroule le jeu pour la
domination mondiale. Il fait alors apparaître la phobie des Etats-Unis, une éventuelle unité
politique de l’Eurasie, et il établit l’inventaire des différents cas de figure qui feraient que les
Etats-Unis seraient en position d’affaiblissement. Nous apprenons ainsi que l’hégémonie
américaine est superficielle et qu’elle ne passe pas par un contrôle direct sur le monde. De
plus, toujours dans les faiblesses du «géant», il y a le fait que le système de la démocratie
«exclue toute mobilisation impériale»; mais on peut en douter justement par ces moyens
d’alliances et de coalitions très «incitatifs» mis en place. Il est également surprenant que, dans
la vision que Brzezinski prête aux Américains face à leur statut de superpuissance mondiale
sans rivale, il ne considère pas que ce statut leur confère des avantages particuliers. Les faits
prouveraient plutôt autre chose.
En abordant les thèmes de la géostratégie et de la géopolitique, Brzezinski reste dans
la ligne tracée par Halford J. Mackinder au début du siècle à savoir que «qui gouverne
l’Europe de l’Est domine le heartland, qui gouverne le heartland domine l’île-monde, et
qui gouverne l’île-monde domine le monde», (cf. supra). L’Amérique doit donc suivre cette
voie pour parvenir au maintien de son rang. Il en suit une analyse des principaux acteurs et
une reconnaissance appropriée du terrain. Les Etats eurasiens possèdent une réelle dynamique
géostratégique et gênent les Etats-Unis. Il faut donc agir et formuler des politiques spécifiques
pour contrebalancer cet état de fait. Ceci peut se faire par trois grands impératifs: «éviter les
collusions entre vassaux et les maintenir dans l’état de dépendance que justifie leur sécurité;
cultiver la docilité des sujets protégés; empêcher les barbares de former des alliances
offensives». Tout le programme géostratégique des Etats-Unis est là. 68
67
Abréviation de la Coopération économique pour l'Asie-Pacifique (en anglais: Asia-Pacific Economic
Cooperation ou APEC), qui est un forum économique intergouvernemental créé en 1989 et visant à faciliter la
croissance économique, la coopération, les échanges et l'investissement de la région Asie - Pacifique. L'APEC
est composée de 21 membres, qui représentent plus du tiers de la population (2,6 milliards de personnes), 60 %
du PIB et 47 % du commerce au niveau mondial. Elle représente également la zone économique la plus
dynamique dans le monde, ayant participé à presque 70 % de la croissance économique globale entre 1994 et
2004. À la différence de l’Union européenne ou d'autres organisations économiques multilatérales, l'APEC n'a
aucun traité engageant ses membres. Les décisions prises par l'APEC sont obtenues par le consensus et les
engagements sont entrepris sur une base volontaire.
68
Remarque: pendant ce temps, en France, le Conseil d'analyse stratégique, ex-Commissariat au Plan, s'est fixé
comme objectif «d'appliquer la stratégie de Lisbonne» ! Voilà ce qui définit la stratégie géopolitique française…
Il est grand temps pour la France de définir une politique internationale digne et dégager du carcan par trop
proaméricain «OTAN/Union européenne», comme aux temps du président Clémenceau et du général De Gaulle.
AA-06 FR-06-2014 «NOUVEL ORDRE GÉOPOLITIQUE MONDIAL - GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION»
71
Pour la poursuite de son analyse, Brzezinski distingue les «acteurs géostratégiques»
(France, Allemagne, Russie, Chine et Inde) des «pivots géopolitiques» (Ukraine, Azerbaïdjan,
Corée, Turquie et Iran). Les premiers sont en mesure de modifier les relations internationales,
«au risque d’affecter les intérêts de l’Amérique»; les seconds ont une position géographique
leur donnant «un rôle clé pour accéder à certaines régions ou leur permet de couper un acteur
de premier plan des ressources qui lui sont nécessaires».
Brzezinski reconnait que la France et l’Allemagne sont deux acteurs géostratégiques
clés qui, par «leur vision de l’Europe unie», (…) «projet ambitieux», (…) «s’efforcent de
modifier le statu quo». Ces acteurs sont l’objet «d’une attention toute particulière des EtatsUnis». Cependant, on peut se poser la question de la «réelle volonté d’indépendance
européenne» instiguée par ces deux pays (cf. infra). La Russie, joueur de premier plan malgré
son affaiblissement, n’a pas tranché quant à son attitude vis à vis des Etats-Unis: partenaire ou
adversaire ? La Chine, puissance régionale importante, a des ambitions élevées: la Grande
Chine. Le Japon est puissance internationale de premier ordre, mais qui ne souhaite pas
s’impliquer dans la politique continentale en Asie. Maintenir les relations avec le Japon est un
impératif pour les Etats-Unis, ne serait-ce que pour maintenir la stabilité régionale. L’Inde,
qui se définit comme un rival de la Chine, est le seul pôle de pouvoir régional en Asie du Sud;
cependant ce pays n’est pas gênant pour l’Amérique, car il ne contrarie pas les intérêts
américains en Eurasie. Brzezinski pointe du doigt l’Ukraine 69 et l’Azerbaïdjan 70: le sort de
ces deux pays dictera ce que sera ou ne sera pas la Russie à l’avenir.
69
Citations du «Grand Echiquier» de Zbigniew Brzezinski:
[...] "L'indépendance de l'Ukraine modifie la nature même de l'État russe. De ce seul fait, cette nouvelle case
importante sur l'échiquier eurasien devient un pivot géopolitique. Sans l'Ukraine, la Russie cesse d'être un
empire en Eurasie. Et quand bien même elle s'efforcerait de recouvrer un tel statut, le centre de gravité en serait
alors déplacé, et cet empire pour l'essentiel asiatique serait voué à la faiblesse, entraîné dans des conflits
permanents avec ses vassaux agités d'Asie centrale".
[...] C’est la perte de l’Ukraine qui a soulevé les questions les plus épineuses. L’apparition d’un Etat ukrainien
indépendant constitue une régression géopolitique radicale qui a contraint les Russes à s'interroger sur les
fondements de leur identité politique et ethnique. En tirant leur révérence de manière abrupte, les Ukrainiens
ont mis un terme à plus de trois cents ans d’histoire impériale. Ils ont dépossédé leurs voisins d'une économie à
fort potentiel, riche de son industrie, de son agriculture et d’une population de cinquante-deux millions
d’habitants, dont les origines, la civilisation et la tradition religieuse étaient si proches de celles des Russes, que
les liens impériaux ont toujours, pour ces derniers, relevé de l’évidence. Par ailleurs, l’indépendance
ukrainienne a privé la Russie de sa position dominante sur la mer Noire, alors qu’Odessa servait
traditionnellement de point de passage pour tous les échanges commerciaux russes avec le monde
méditerranéen et au-delà».
[...] «La perte du pivot géopolitique ukrainien réduit les choix géostratégiques de la Russie. Amputée de la
Pologne et des Etats baltes, mais contrôlant l’Ukraine, elle pourrait encore tenir un empire eurasien dynamique,
s’étendant, vers le sud et le sud-est, sur les domaines non slaves de l’ex-Union soviétique. Sans l’Ukraine et ses
cinquante-deux millions de «frères slaves», toute tentative de restauration impériale commandée par Moscou est
vouée à rencontrer la résistance prolongée de populations devenues très sourcilleuses sur la question de leur
identité nationale et religieuse».
[...] «Quant à l'émancipation de l'Ukraine, elle a privé la Russie de sa mission la plus symbolique, d'une
vocation confinant au droit divin: son rôle de champion de l’identité panslave».
[...] «L’indépendance de l’Ukraine modifie la nature même de l’État russe. De ce seul fait, cette nouvelle case
importante sur l’échiquier eurasien devient un pivot géopolitique. Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un
empire en Eurasie. Et quand bien même elle s’efforcerait de recouvrer un tel statut, le centre de gravité en serait
alors déplacé, et cet empire pour l’essentiel asiatique serait voué à la faiblesse, entraîné dans des conflits
permanents avec ses vassaux agités d’Asie centrale».
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72
La Turquie, que Brzezinski considère comme facteur de stabilité dans la Mer Noire,
sert de contrepoids à la Russie dans le Caucase, d’antidote au fondamentalisme islamique, et
de point d’ancrage au Sud pour l’OTAN. Brzezinski nous fait là un chantage à l’islamisme
pour que la Turquie intègre l’Union Européenne: «l’Amérique va profiter de son influence en
Europe pour soutenir l’admission éventuelle de la Turquie dans l’UE, et mettre un point
d’honneur à la traiter comme un état européen» afin qu’Ankara ne glisse vers les intégristes
islamiques. Mais les motifs américains sont aussi plus prosaïques: les Etats-Unis soutiendront
«avec force l’ambition qu’ont les Turcs de mettre en place un pipeline reliant Bakou à
Ceyhan qui servirait de débouché à la majeure partie des ressources en énergie du bassin de
la mer Caspienne».
L’Iran est, curieusement, considéré comme un élément stabilisateur dans la
redistribution du pouvoir en Asie Centrale; il empêche la Russie de menacer les intérêts
américains dans la région du golfe persique. «Il n’est pas dans l’intérêt des Etats-Unis de
continuer à avoir des relations hostiles avec l’Iran», et ceci «malgré son sentiment religieux,
à condition que celui-ci ne se traduise pas par un sentiment anti-occidental». Mais les
véritables raisons pointent quelques lignes plus bas, avec «la participation des Etats-Unis au
financement de projets de pipelines entre l’Iran, l’Azerbaïdjan et le Turkménistan».
Vis à vis de l’Europe, les USA sont, dans les principes tout au moins, pour la
construction européenne; cependant, leur souhait est une Europe vassale. L’OTAN est non
seulement le support essentiel de l’influence américaine, mais aussi le cadre de sa présence
militaire en Europe de l’Ouest. Pour autant, c’est un réel partenariat que souhaite l’Amérique;
on peut se demander toutefois, à l’aune de ces points de vues contradictoires (une Europe à la
fois vassale et partenaire), quelle est la marge de manœuvre laissée à l’Europe par les EtatsUnis, et dans quels domaines elle pourrait s’exercer.
La problématique géostratégique européenne sera, lit-on, directement influencée par
l’attitude de la Russie et de sa propre problématique. Et pour faire face à toute éventualité, les
Etats-Unis doivent empêcher la Russie de «recouvrer un jour le statut de deuxième puissance
mondiale»; à terme, ce pays posera un problème pour les USA lors de son rétablissement
[...] «Pour Moscou, en revanche, rétablir le contrôle sur l’Ukraine - un pays de cinquante-deux millions
d’habitants doté de res­sources nombreuses et d’un accès à la mer Noire-, c’est s’assurer les moyens de
redevenir un Etat impérial puissant, s’étendant sur l’Europe et l’Asie. La fin de l'indépendance ukrainienne
aurait des conséquences immédiates pour l'Europe centrale. La Pologne deviendrait alors le pivot géopolitique
sur la bordure orientale de l’Europe unie».
[...] «La Russie ne peut pas être en Europe si l’Ukraine n’y est pas, alors que l’Ukraine peut y être sans la
Russie. On ne doit jamais perdre de vue ce constat simple et crucial. Dans le cas où la Russie miserait son
avenir sur l’Europe, l’intégration de l’Ukraine servirait ses intérêts. De ce point de vue, les relations entre
l’Ukraine et l’Europe peuvent constituer la pierre de touche du destin de la Russie. Cela signifie que Moscou
jouit encore d’un court répit avant l’heure des choix…».
70
[...] «Les États qui méritent tout le soutien possible de la part des États-Unis sont l'Azerbaïdjan, l’Ouzbékistan
et l’Ukraine, car ce sont tous les trois des pivots géopolitiques. En effet, le rôle de Kiev dans la région vient
confirmer l’idée que l’Ukraine représente une menace pour l’évolution future de la Russie».
[...] «Le sort de l'Azerbaïdjan et de l’Asie centrale, à l’égal de celui de l'Ukraine, dictera ce que sera ou ne sera
pas la Russie à l’avenir».
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73
comme «empire». L’Asie centrale, zone inflammable, pourrait devenir le champ de violents
affrontements entre Etats-nations.
Le Golfe persique est une chasse gardée des Etats-Unis; «la sécurité dans cette zone
est du ressort de l’Amérique». On comprend ainsi mieux les enjeux de la guerre menée par
George W. Bush (poussé par les néoconservateurs) contre l’Irak, à laquelle cependant
Brzezinski s’est fortement opposé. Le défi du fondamentalisme islamique quant à lui «n’est
guère stratégique», ce qui expliquerait l’attitude ambiguë des USA à l’égard de celui-ci.
La Chine pour sa part évolue, mais l’incertitude demeure quant à sa démocratisation.
Brzezinski note que dans le cas de l’émergence d’une «grande Chine», le Japon resterait
passif; cette neutralité cause quelques craintes aux Etats-Unis. De plus, les Etats-Unis doivent
se prémunir contre l’éventualité d’un développement de l’axe sino-japonais. L’Amérique doit
faire des concessions à la Chine si elle veut traiter avec elle et «il faut en payer le prix».
Toujours dans cette zone, la mesure impérative de la stratégie US est «le maintien de la
présence américaine en Corée du Sud»; elle est d’«une importance capitale». Une autre
crainte américaine serait la naissance d’une grande coalition entre la Chine, la Russie et peutêtre l’Iran ; une coalition anti-hégémonique, «unie par des rancunes complémentaires».
Enfin, pour maintenir la primauté américaine, la solution adoptée et recommandée est
«l’intégration de tous ces Etats dans des ensembles multilatéraux, reliés entre eux, et sous
l’égide des Etats-Unis», bien sûr...
Le chapitre suivant aborde l’Europe, «tête de pont de la démocratie», (où il faut
entendre en fait «tête de pont des Etats-Unis»). L’Union européenne, union supranationale,
dans le cas où elle réussirait, deviendrait une puissance globale, apprend t-on, (ce qui veut
dire qu’elle ne l’est pas aujourd’hui). La réussite de ce projet, permettrait à ces pays
européens «de bénéficier d’un niveau de vie comparable à celui des Etats-Unis», mais est-ce
vraiment la panacée, et a-t-on besoin de cette Europe-là pour y parvenir ? Par ailleurs, ce
niveau de vie n’est-il pas déjà atteint voire dépassé dans certains pays européens ? Dans
l’appréciation de cette idée de projet européen, on note toujours un «oui, mais»; en effet, cette
Europe est placée incidemment «sous l’égide américaine». Nous pouvons à juste titre nous
demander où est le réel «partenariat», «la réelle équité» tant vantée par l’auteur ?
Brzezinski nous fait un tableau sans concession de l’Union européenne: les Etats
européens dépendent des Etats-Unis pour leur sécurité; une «Europe vraiment européenne
n’existe pas»; et poursuit-il, «sans détour, l’Europe de l’Ouest reste un protectorat américain
et ses Etats rappellent ce qu'étaient jadis les vassaux et les tributaires des anciens empires» !
Tout ceci est un soufflet à ceux qui pensent que l’Europe, grâce à l’Union européenne, est la
structure permettant une indépendance vis à vis des Etats-Unis. Comme la situation de
l’Union européenne est floue, indécise, «les Etats-Unis ne doivent pas hésiter à prendre des
initiatives décisives».
A la question «quel type d'unité européenne a les faveurs de l'Amérique et comment
l'encourager ?», la réponse vient très vite: «Le problème central pour l’Amérique est de bâtir
une Europe fondée sur les relations franco-allemandes, viable, liée aux Etats-Unis et qui
AA-06 FR-06-2014 «NOUVEL ORDRE GÉOPOLITIQUE MONDIAL - GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION»
74
élargisse le système international de coopération démocratique dont dépend l’exercice de
l’hégémonie globale de l’Amérique». [...] «Si l'Europe s'élargissait, cela accroîtrait
automatiquement l'influence directe des Etats-Unis». [...] «L’Europe deviendrait, à terme, un
des piliers vitaux d'une grande structure de sécurité et de coopération, placée sous l'égide
américaine et s'étendant à toute l'Eurasie». Ainsi, comme partout ailleurs, les USA se
moquent 71 de leurs «alliés» du moment; seuls comptent les intérêts finaux américains.
Observant la politique européenne et son évolution récente, Brzezinski nous dit que la
lutte contre la montée «de l’extrémisme politique et du nationalisme étriqué» doit se faire par
la constitution «d’une Europe plus vaste que la somme de ses parties – c’est à dire capable de
s’assigner un rôle mondial dans la promotion de la démocratie et dans la défense des droits
de l’homme». Le procédé est toujours le même; pour asseoir ses fins, il faut «diluer» les
entités dans des ensembles plus vastes. De plus, dans le processus de construction
«européenne», l’UEO apparaît de fait comme l’antichambre de l’OTAN. Il est trop tôt, nous
dit Brzezinski, pour fixer catégoriquement les limites orientales de l’Europe. Cependant, pour
ce qui est du connu, «l’objectif géostratégique central de l’Amérique en Europe est de
consolider sa tête de pont sur le continent eurasien». «A l'ouest [de l’Eurasie], l'Amérique
exerce directement son pouvoir». Ceci pour constituer un tremplin dans le but «d’instaurer en
Eurasie un ordre international fondé sur la démocratie et la coopération», en fait sur la
domination américaine. On ne saurait être plus clair.
Le rôle de l’Allemagne est celui du bon vassal, «bon citoyen de l’Europe, partisan
déterminé des Etats-Unis», elle n’a jamais remis en cause «le rôle central des Etats-Unis dans
la sécurité du continent». C’est l’effondrement du bloc soviétique qui a fait que «pour
l’Allemagne, la subordination à la France n’offrait aucun bénéfice particulier». Elle a
aujourd’hui un rôle entraînant; «en entretenant des relations étroites avec la puissante
Allemagne, ses voisins bénéficient de la protection rapprochée des Etats-Unis». Avec le
rapprochement germano-polonais, «l’Allemagne peut exercer son influence jusque dans les
pays baltes, l’Ukraine, la Biélorussie». La sphère d’influence allemande s’est déplacée vers
l’Est, et «la réussite de ces initiatives confirme la position dominante de l’Allemagne en
Europe centrale». Sans l’élargissement de l’OTAN aux pays de l’Est, «l’Amérique essuierait
une défaite d’une ampleur mondiale», note Brzezinski. Ainsi, la collaboration américanogermanique est-elle «nécessaire pour élargir l’Europe vers l’Est» et ce, afin de replacer
l'orbite européenne sous influence américaine grâce à ce chef d'œuvre américain qu'a été
l'élargissement. 72 Par ailleurs, nous apprenons que «l’Europe ne se réalisera pas sous l’égide
71
Le mépris de Brzezinski vis-à-vis de la souveraineté européenne est reflété dans les récents propos de la vicesecrétaire d'Etat des Etats-Unis Victoria Nuland «Qu'ils aillent se faire foutre !» - (Nuland: «...And, you know…
fuck the EU !, and Pyatt responded: "Oh, exactly ...".») - tenus lors d’une conversation téléphonique entre Mme
Nuland et l’ambassadeur des USA à Kiev, Geoffrey Pyatt, délicatement enregistrée le 28 janvier, 2014 à leur
insu par – présume-t-on – les services secrets russes et diffusée le 06.02.2014 sur le YouTube avec le titre «Les
marionnettes de Maïdan». L'expression gagne en clarté ce qu'elle perd en élégance…Par ailleurs, la familiarité
avec laquelle la vice-secrétaire d'Etat des USA évoque, lors de la même conversation, les dirigeants de
l'opposition ukrainienne («Yats» pour Arseni Iatseniouk, «Klitsch» pour Vitali Klitschko) et les postes qu'elle
leur attribue dans un gouvernement provisoire traduit une étonnante maladresse, voire arrogance, dans la
méthode d’installer des équipes au pouvoir proaméricains dans des pays étrangers depuis plusieurs années.
72
En effet, l’élargissement de 2004 (dit «Bing Bang») concerne dix pays dont 3 ex-républiques soviétiques
(Estonie, Lettonie, Lituanie), 4 pays de l’ex-Pacte de Varsovie (Pologne, Tchéquie, Slovaquie, Hongrie) et un
AA-06 FR-06-2014 «NOUVEL ORDRE GÉOPOLITIQUE MONDIAL - GÉOSTRATÉGIES DE DOMINATION»
75
de Berlin»; cela veut dire que, pour l’auteur, cela s’envisage bien plutôt «sous l‘égide de
Washington».
L'auteur du «Grand échiquier» reconnaît que la France a (avait !) un projet européen
différent, qui visait à rendre l'Europe indépendante de l'Amérique. Il considère cependant que
la France «puissance moyenne post-impériale» ne dispose ni de la force, non plus des moyens
nécessaires de ses prétentions par des notations telles que celle-ci: «La France n'est assez
forte ni pour faire obstacle aux objectifs géostratégiques fondamentaux de l'Amérique en
Europe, ni pour construire une Europe à ses vues. De ce fait, ses particularismes et même ses
emportements peuvent être tolérés» 73. Pour autant, la France est tout de même «un partenaire
indispensable pour arrimer définitivement l’Allemagne à l’Europe». Cependant Brzezinski se
méfie de la France qui pourrait avoir des velléités pour traiter directement avec la Russie, et
ainsi s’affranchir relativement des Etats-Unis et il fait, par contre, confiance à l'Allemagne (et
à ce chef d'œuvre américain qu'a été l'élargissement intervenu depuis), pour replacer l'orbite
européenne sous influence américaine: «pour favoriser la construction européenne,
l'Allemagne, en gage de bonne volonté, a laissé s'exprimer la fierté française, mais, soucieuse
de la sécurité européenne, elle s'est refusée à suivre les yeux fermés ses orientations. Elle a
continué à défendre ses convictions propres et, donc, le rôle central des Etats-Unis dans la
sécurité du continent».
Quant au couple franco-allemand, il est primordial pour les intérêts américains; une
remise en cause de cette alliance «marquerait un retour en arrière de l’Europe», et serait
«une catastrophe pour la position américaine sur le continent». Il est clair également que les
Etats-Unis se servent de l’Allemagne (dominant économiquement en Europe) pour canaliser
et «tenir sous contrôle» la France. Brzezinski souligne l’alliance germano-américaine pour les
aspects politiques du projet européen par une antiphrase qui définit le mieux: «C'est le point
de vue que partagent les Etats-Unis et l'Allemagne: le projet européen est soutenu par une
dynamique historique et politique et ne comporte aucune arrière-pensée à l'égard de la
Russie, ni animosité, ni peur, ni désir de l'isoler». Quinze années plus tard, la politique
actuelle de la Chancelière Merkel confirme la validité de cette analyse.
Comme en plusieurs endroits, les bonnes intentions ne valent qu'à terme, et ne sont
que vaguement définies. A court terme, les intérêts américains sont explicitement et
précisément déclarés, et ne vont pas dans le sens d'un partage du pouvoir. Ce qui compte est
pays issu de la dislocation de l’ex-Yougoslavie (Slovénie). L’élargissement de 2007 concerne deux pays
supplémentaires de l’ex-Pacte de Varsovie (Roumanie, Bulgarie), et celui de 2013 un pays supplémentaire issu
de la dislocation de l’ex-Yougoslavie (Croatie). La CEE de six en 1957 est donc devenue l’UE de 28 en 2013.
En 2014, cinq candidats officiels à l'élargissement étaient reconnus (Turquie, Serbie, Monténégro, FYROMVardarska, Islande). D’autres pays des Balkans occidentaux (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kossovo (non
reconnu internationalement)), et certaines anciennes républiques soviétiques d'Europe de l'Est (Ukraine,
Biélorussie, Moldavie) et de Transcaucasie (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan) sont considérés comme des
candidats éventuels à l'élargissement de l'Union européenne, et si ce projet se réalise, l’UE devrait alors changer
de nom en UA pour «Union eurasienne».
73
Le cynisme des propos de Brzezinski reflet le constat où ont mené la France soixante années de soi-disant
construction européenne: les Français sont admis à exprimer un rôle folklorique et gentillet pendant que l'Europe
se vit à l'heure américaine ! Une véritable gifle pour toute la classe politique française après le général De
Gaulle.
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76
d'avoir une Europe vaste, faible et inféodée: «l'élargissement de l'Europe et de l'OTAN
serviront les objectifs aussi bien à court terme qu'à plus long terme de la politique
américaine. Une Europe plus vaste permettrait d'accroître la portée de l'influence américaine
– et, avec l'admission de nouveaux membres venus d'Europe centrale, multiplierait le nombre
d'Etats pro-américains au sein des conseils européens – sans pour autant créer une Europe
assez intégrée politiquement pour pouvoir concurrencer les Etats-Unis dans les régions
importantes pour eux, comme le Moyen-Orient». L'actualité fournit un exemple criant de cet
état de fait: les USA mettent le feu au Moyen-Orient et les européens sont censés fournir les
sparadraps ensuite.
En conclusion, qu'est-ce que l'Europe à l'heure américaine ? L'objectif est double:
- Il faut d'abord neutraliser les querelles des pays de la région dont aucun n'est assez fort pour
s'imposer aux autres et qui, sans la tutelle américaine risqueraient de tomber dans des conflits
incessants;
- l'Europe de l'ouest ainsi stabilisée et neutralisée aurait pour rôle, via l'Union européenne
pour les aspects politico-économiques et via l'OTAN pour les aspects militaires, de bloquer la
Russie dans ses frontières et de restreindre au maximum son influence, jusqu'en Ukraine et
dans les pays proches. Les USA sont si certains de leur influence au sein de l'Union
européenne que Brzezinski peut écrire que «tout état en position d'entreprendre des
discussions avec l'Union européenne et invité à les poursuivre devrait être regardé comme
bénéficiant d'une protection de facto de l'OTAN». De fait, de nombreuses pages sont
consacrées à décrire le calendrier d'entrée de différents pays européens dans l'UE, puis dans
l'OTAN, depuis les pays baltes (c'est fait depuis), jusqu'à l'Ukraine (en train de se faire…). 74
Pour la Turquie, ce n'est pas par rapport à la Russie que l'intégration à l'UE est jugée
nécessaire, c'est parce que la Turquie doit servir de rempart à l'Iran islamiste et parce que cette
intégration permettra d'obtenir l'accord de la Turquie nécessaire à l'extension de l'OTAN aux
pays de l'Europe de l'est. Ainsi, «l'Amérique devrait-elle user de son influence en Europe pour
soutenir l'admission éventuelle de la Turquie au sein de l'UE, et mettre un point d'honneur à
la traiter comme un Etat européen» 75. C’est une proposition d’au moins étonnante de la part
74
Citations du «Grand Echiquier» de Zbigniew Brzezinski:
[...] «L'Europe est la tête de pont géostratégique fondamentale de l'Amérique. Pour l'Amérique, les enjeux
géostratégiques sur le continent eurasien sont énormes. Plus précieuse encore que la relation avec l'archipel
japonais, l'Alliance atlantique lui permet d'exercer une influence politique et d'avoir un poids militaire
directement sur le continent. Au point où nous en sommes des relations américano-européennes, les nations
européennes alliées dépendent des Etats-Unis pour leur sécurité. Si l'Europe s'élargissait, cela accroîtrait
automatiquement l'influence directe des Etats-Unis. A l'inverse, si les liens transatlantiques se distendaient, c'en
serait finit de la primauté de l'Amérique en Eurasie».
[...] «Indépendamment l’une de l’autre, la France et l’Allemagne ne sont assez fortes ni pour construire
l’Europe selon leurs vues propres, ni pour lever les ambiguïtés inhérentes à la définition des limites de l’Europe,
cause de tensions avec la Russie. Cela exige une implication énergique et déterminée de l’Amérique pour aider à
la définition de ces limites, en parti¬culier avec les Allemands, et pour régler des problèmes sensibles, surtout
pour la Russie, tels que le statut souhaitable dans le système européen des républiques baltes et de l’Ukraine».
[...] «Dans le meilleur des cas, les candidats de l'Europe centrale ne devraient pas intégrer l’Union européenne
avant l’année 2002. Néanmoins, dès que l’adhésion à l’Union européenne des trois nouveaux membres de
l’OTAN sera effective, il sera temps pour les deux organisations de se pencher sur le cas des nouveaux
aspirants: républiques baltes, Slovénie, Roumanie, Bulgarie, Slovaquie et peut-être aussi Ukraine».
75
La Turquie, pendant toute la période de la guerre froide a profité de son ancrage à l’Occident en se
transformant en un gigantesque porte-avions visant le ventre mou de l’URSS. Membre de l’OTAN, elle a joué un
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77
d’un expert en géopolitique averti du choc des civilisations…Voilà donc pourquoi les
contours de l'Union européenne sont tracés ailleurs, et ce depuis longtemps.
Le chapitre suivant, intitulé «Le trou noir» (Blackhole), traite de la Russie à l’issue des
changements survenus depuis la fin de l’Union Soviétique et la naissance de la Communauté
des Etats Indépendants. Brzezinski part du postulat que «il est indispensable que l’Amérique
contre toute tentative de restauration impériale au centre de l’Eurasie» qui ferait obstacle à
ses objectifs géostratégiques. Après l’effondrement de l’Empire, qui a vu un vide politique (le
«trou noir») s’instaurer au cœur même de l’Eurasie et qui a ramené la Russie «au niveau
d’une puissance régionale du tiers monde», Brzezinski constate que cet état a très peu
d’espaces «géopolitiquement sûrs». En effet, après 1991 les frontières actuelles de la Russie
ont reculé de plus de mille kilomètres vers le Nord, et les états qui l’entourent actuellement
constituent une ceinture, un obstacle à son épanouissement, à son développement; ceci tant
vers l’Est que vers la Mer Noire et le Sud-Est de l’ancien Empire. L’auteur fournit une
réponse américaine aux questions russes: l’Amérique se préoccupe de savoir «ce qu’est la
Russie, et ce que doivent être ses missions ainsi que son territoire légitime». Mais la raison
essentielle qui fait le regard systématique américain vis à vis de la Russie est qu’elle a «une
identité eurasienne», une «personnalité eurasienne», ce que les Etats-Unis n’ont pas par
nature. Et si les Etats-Unis soutiennent inconditionnellement l’Ukraine c’est que, sans elle,
aucune restauration impériale n’est possible pour la Russie. Il faut donc absolument appliquer
la technique du «roll back», celle du refoulement de la Russie vers l’Asie.
Pour la Russie, le projet américain prévoit une partition en trois Etats: «une Russie
européenne, une république de Sibérie et une république extrême-orientale». On voit bien
l'idée: la Russie européenne adhèrerait à l'Union européenne et serait ainsi neutralisée, tandis
que la Sibérie et la république extrême orientale pourraient soit tomber sous in fluence
américaine ou servir de monnaie d'échange dans des discussions avec la Chine ou l'Iran.
Quelle légèreté! Imagine-t-on un auteur européen écrire que pour résoudre le problème
hispanique aux USA il conviendrait d'unir au Mexique, la Californie, le Texas et l'Arizona,
dans une confédération des Etats de l'Amérique nord-hispanique ? La différence est que
rôle stratégique primordial. Cet ancrage, qu’elle a brillamment marchandé, a été aussi son meilleur bouclier pour
ne pas se transformer en démocratie réelle. On lui a toujours pardonné ses coups d’Etat parfois sanglants, la
pendaison de plusieurs de ses hommes politiques, la répression des années 1970, l’existence d’une extrême
droite ultranationaliste et mafieuse, la négation du génocide arménien et pontique, l’invasion et la partition de
Chypre, les violations répétées de l’espace aérien et maritime grec, ses guerres sales anatoliennes ou urbaines,
son refus de reconnaître la minorité kurde, etc. La fin de l’Union soviétique étant très présente en Asie centrale,
aurait pu sonner le glas de cette attitude tolérante. La première guerre en Iraq, les guerres en Yougoslavie, son
rapprochement spectaculaire avec Israël, sans oublier le développement touristique qu’elle a mis en place sur sa
façade méditerranéenne reprise aux grecs en 1922, bref, la reconduction de sa position stratégique, ont perpétué
le laxisme occidental vis-à-vis de ce pays. La déliquescence de sa classe politique, l’avènement d’un mouvement
politique confessionnel aujourd’hui au pouvoir qui la remplaça, la «criminalisation du politique» et même
l’apparition de mouvements islamistes ultras, ne changèrent pas la donne. Les nouveaux périls ne remplacent pas
les anciens. Ils se superposent, tandis que les vieilles crispations nationalistes (question kurde et arménienne)
restent toujours intactes. Le processus d’intégration de la Turquie est de plus ancien. Or, force est de constater
que l’Union douanière et les négociations durant les années 1970-1995 n’ont pas changé grand-chose sur la
situation interne turque et cela n’a pas changé depuis. Les résultats d’un Sondage Ifop, réalisé du 7 au 14 janvier
2014, indiquent que l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne est rejetée par la majorité des opinions
publiques européennes: 83 % des Français y sont hostiles tout comme 72 % des Allemands, 68 % des Belges et
64 % des Britanniques. Les Espagnols (curieusement) font l’exception (pour 56 % contre 44%).
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l'auteur européen serait bien en peine d'avoir une quelconque influence en ce sens, alors que
les USA s'attellent tous les jours à appliquer ce programme.
Plus loin, Brzezinski note que les Etats de l’ex-URSS, pour échapper aux nouvelles
visées «impériales» russes, «ont cherché à tisser leurs propres réseaux de relations
internationales, avec l’Ouest pour l’essentiel, mais aussi avec la Chine ou les pays
musulmans au Sud». La seule solution honorable pour la Russie, nous dit l’auteur, est «une
direction partagée avec l’Amérique»; ce pays «devrait se résoudre à jouer un rôle de tampon
entre l’expansionnisme chinois et l’Ouest», à choisir l’Europe, alliée des Etats-Unis, pour
faire face à d’éventuelles visées expansionnistes chinoises. Reste donc pour Moscou le «choix
européen, seule perspective géostratégique réaliste»; et, par choix «européen» on peut
entendre, en fait, choix «occident-américain». Pour les Etats-Unis, «la Russie paraît vouée à
devenir un problème», et d’autant plus si d’aventure une alliance avec la Chine et l’Iran se
concrétisait. C’est la raison pour laquelle les Etats-Unis doivent «éviter de détourner la Russie
de son meilleur choix géopolitique» à savoir, l’Europe atlantiste. La Russie doit s’intégrer à
l’Europe, en suivant un processus graduel, commençant par sa «participation au Conseil de
l’Europe», à l’instar de la Turquie Kémaliste qui «s’est engagée sur la voie de la
modernisation, de l’européanisation et de la démocratisation». La deuxième étape de cet
arrimage européen de la Russie serait la proposition d’une charte avec l’OTAN par l’Europe
et l’Amérique. Enfin, ultime étape dans ce processus, l’intégration de la Russie dans l’Union
Européenne, par contre, l'entrée de la Russie dans l'OTAN est explicitement rejetée car cela
lui permettrait de regagner de l'influence par rapport à ses voisins, dont il importe au contraire
de la couper. Cependant, précise l’auteur, le choix de l’Europe pour la Russie se fera plus
facilement une fois l’Ukraine intégrée elle-même à l’Union Européenne et à l’OTAN. 76
Un très bon chapitre est consacré aux «Balkans eurasiens», et permet de mieux
comprendre les relations entre les pays peu connus que sont l'Ouzbékistan, le Tadjikistan, le
Kazakhstan, l'Arménie, la Géorgie, le Kirghizistan, le Turkménistan, l'Azerbaïdjan,
l'Afghanistan – tous sauf le dernier, anciennes républiques de l'URSS. Brezinski excelle à
expliquer les intérêts turcs, iraniens, russes et américains dans la région – et dans une mesure
moindre, ceux de la Chine. Les facteurs d’instabilité de ces «Balkans eurasiens» sont
nombreux: de graves difficultés nationales, des frontières contestées des voisins ou des
minorités ethniques, peu d’homogénéité nationale, des luttes territoriales, ethniques ou
76
Citation du «Grand Echiquier» de Zbigniew Brzezinski:
[...] «Au cours de la période suivante (soit de 2005 à 2010), l’Ukraine pourrait à son tour être en situation
d'entamer des négociations en vue de rejoindre l’UE et I’Otan. Cela exige des progrès dans les réformes et, à
l’extérieur, une meilleure perception de son identité centro-européenne».
[...] «L’Ukraine constitue cependant l’enjeu essentiel. Le processus d’expansion de l’Union européenne et de
l’Otan est en cours. À terme, l’Ukraine devra déterminer si elle souhaite rejoindre l’une ou l’autre de ces
organisations. Pour renforcer son indépendance, il est vraisemblable qu’elle choisira d’adhérer aux deux
institutions, dès qu’elles s’étendront jusqu’à ses frontières et à la condition que son évolution intérieure lui
permette de répondre aux critères de candidature. Bien que l’échéance soit encore lointaine, l’Ouest pourrait
dès à présent annoncer que la décennie 2005-2015 devrait permettre d’impulser ce processus. Ainsi, les
Ukrainiens auraient la certitude que l’extension de l’Europe ne s’arrêtera pas à la frontière ukraino-polonaise.
Dès à présent, l’Ouest peut renforcer ses liens de coopération et de sécurité avec Kiev».
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religieuses. Toutes les options peuvent donc être envisagées quant à l’avenir de cette région,
selon Brzezinski.
Les voisins intéressés nourrissant des visées politiques sur la région sont la Russie, la
Turquie, l’Iran et la Chine. La Russie qui veut retrouver sa zone d’influence, renouer avec ses
républiques d’hier, et dont les visées géopolitiques vont vers le Sud, en direction de
l’Azerbaïdjan et du Kazakhstan; la Turquie qui se considère comme le leader potentiel d’une
communauté turcophone aux frontières très floues; l’Iran, dont le principal souci est le
renouveau de l’islam en Asie centrale; enfin la Chine que les ressources énergétiques de la
région attirent et qui veut y avoir un accès direct hors contrôle de Moscou. En effet, «la
région renferme une énorme concentration de réserve de gaz naturel, d’importantes
ressources pétrolières, auxquelles viennent s’ajouter des gisements de minerais, notamment
des mines d’or».
D’autres pays ont leurs regards tournés vers cette région: le Pakistan qui veut exercer
une influence politique en Afghanistan et profiter à terme de la construction de pipelines
reliant l’Asie centrale à la Mer d’Oman. L’Inde qui, pour faire face aux projets du Pakistan et
à la montée de l’influence chinoise, est favorable au développement de l’influence iranienne
en Afghanistan, ainsi qu’à une présence russe plus importante dans ses anciennes républiques.
Les Etats-Unis enfin, qui «agissent en coulisse», cherchent à ménager le pluralisme
géopolitique, et tentent «d’empêcher la Russie d’avoir la suprématie». La dynamique russe et
les «ambitions anachroniques» de Moscou dans cette région sont «nuisibles à la stabilité de
celle-ci». Et nous apprenons que «les objectifs géostratégiques américains recouvrent en fait
les intérêts économiques de l’Europe et de l’Extrême-Orient»; nous sommes donc toujours
dans cette logique «philanthropique» américaine. L’engagement des Etats-Unis dans cette
région, nous dit Brzezinski, est considérée par les pays concernés comme «nécessaire à leur
survie». Les motifs généraux américains sont les pipelines et leurs tracés actuels, le but des
Etats-Unis étant de ne plus passer par des pipelines courant sur le territoire russe, donc pas par
le Nord, mais par le Sud et la médiane de cette région des Balkans eurasiens: «Si un pipeline
traversait la Mer Caspienne pour atteindre l’Azerbaïdjan et, de là, rejoignait la Méditerranée
en passant par la Turquie, tandis qu’un autre débouchait sur la Mer d’Oman en passant par
l’Iran, aucune puissance unique ne détiendrait le monopole de l’accès à la région». Vu ce qui
précède, on comprend aisément les actions et les soutiens américains à tel ou tel pays; on peut
saisir ainsi la bienveillance des Etats-Unis pour les Pachtouns de Kaboul «étudiants en
théologie», au détriment des Tadjiks d’Ahmed Shah Massoud simples guerriers concentrés
dans les régions du Nord de l’Afghanistan. Dans l’avenir, Brzezinski voit dans ses Balkans
eurasiens une montée de l’islamisme, des conflits ethniques, un morcellement politique, et
une guerre ouverte le long de la frontière méridionale de la Russie. Cependant, il oublie
d’avouer qu’il fut parmi les protagonistes de la résurrection de ces troubles par l’appui et
l’armement fournis aux moudjahidines durant l’administration Reagan durant les années 1980
pour attirer les Soviétiques dans le guêpier d’Afghanistan.
Pour ce qui est de la partie est de l'Eurasie, un descriptif très complet est encore donné
des relations extraordinairement complexes entre la Chine, le Japon, l'Inde, la Corée et
d'autres Etats de la région. Quelle doit être la politique américaine en extrême orient ? Pour
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être efficace, elle doit avoir un point d’ancrage dans cette région, nous dit Brzezinski. Il est
essentiel, poursuit-il, que les Etats-Unis aient d’étroites relations avec le Japon et qu’ils
établissent une coopération avec la Chine. Si l’extrême orient connaît aujourd’hui un
dynamisme économique extraordinaire, il va néanmoins de pair avec une incertitude politique
croissante. C’est «un volcan politique en sommeil»; il ne possède pas de «structures de
coopération multilatérale» comme l’Union européenne et l’OTAN, et ce malgré l’ASEAN 77.
Cette région est devenue, selon l’Institut International d’Etudes Stratégiques, «le plus gros
importateur d’armes, dépassant l’Europe et le Moyen-Orient».
Il existe dans cette partie du monde de nombreux points de frictions: les relations entre
la Chine et Taiwan; les îles Paracels et Spratly, objets de multiples convoitises; les îles de
l’archipel Senkaku ou (îles Diaoyutai) qui sont disputées par la Chine et le Japon; la division
de la Corée et l’instabilité inhérente à la Corée du Nord; les îles Kouriles, sujets à des
controverses entre la Russie et le Japon; enfin, des conflits territoriaux et/ou ethniques divers,
le long de la frontière chinoise, également entre le Japon et la Corée, enfin entre la Chine et
l’Indonésie à propos des limites océaniques. La Chine est «la puissance militaire dominante
de la région». Dans l’absence d’équilibre entre les puissances, l’Australie et l’Indonésie se se
sont lancées dans une plus grande coopération militaire; Singapour a également développé,
avec ces deux pays, une coopération en matière de sécurité. La probabilité de voir se réaliser
des conflits dans cette région dépendra «de la présence et du comportement américains».
Brzezinski vante la Chine du passé, «pays qui [au XVIIème siècle] dominait le monde
en termes de productivité agricole, d’innovation industrielle et par son niveau de vie». Puis, il
compatit avec les «cent cinquante années d’humiliation qu’elle a subies»; la Chine doit être
«lavée de l’outrage causé à chaque chinois», et «les auteurs doivent être châtiés». Brzezinski
rappelle que parmi les auteurs, la Grande-Bretagne a été dépossédée de son Empire, la Russie
a perdu son prestige et une partie de son territoire; restent les Etats-Unis et le Japon qui sont le
principal souci de la Chine aujourd’hui. Selon Brzezinski, la Chine refuserait «une véritable
alliance sino-russe à long terme, car elle aurait pour conséquence de renforcer l’alliance
nippo-américaine» car «cette alliance empêcherait la Chine d’accéder à des technologies
modernes et à des capitaux, indispensables à son développement».
Ensuite Brzezinski esquisse les différents cas de figure possibles. Il fait état des
prévisions prometteuses relatives à la Chine; cependant, il doute de ses capacités à «maintenir
pendant vingt ans ses taux de croissance spectaculaire». Actuellement, nous dit-il, la
croissance rapide de la Chine accentue la fracture sociale liée à la répartition des richesses;
ces inégalités ont un impact sur la stabilité du pays. Mais le rayonnement de la Chine
77
L’Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE), (en anglais: Association of Southeast Asian
Nations, ASEAN), est une organisation politique, économique et culturelle regroupant dix pays d'Asie du SudEst. Elle a été fondée en 1967 à Bangkok (Thaïlande) par cinq pays (Indonésie, Malaisie, les Philippines,
Singapour et Thaïlande) dans le contexte de la guerre froide pour faire barrage aux mouvements communistes,
développer la croissance et le développement et assurer la stabilité dans la région. Aujourd'hui, l'association a
pour but de renforcer la coopération et l'assistance mutuelle entre ses membres, d'offrir un espace pour régler les
problèmes régionaux et peser en commun dans les négociations internationales. Un sommet est organisé chaque
année au mois de novembre. Son secrétariat général est installé à Jakarta (Indonésie).
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«pourrait bien amener les riches chinois d’outre-mer à se reconnaître dans les aspirations de
la Chine». Autre cas de figure évoqué, l’éventualité d’un repli sur soi de la Chine.
Dans son espace régional, la Chine joue le Pakistan et la Birmanie contre l’Inde son
«rival géopolitique». L’objectif de Pékin serait «une plus grande influence stratégique sur
l’Asie du Sud-Est», contrôler le détroit de Malacca et le goulet de Singapour. La Chine
élabore «une sphère d’influence régionale» ceci en particulier vers ses voisins de l’Ouest qui
cherchent un contrepoids à l’influence russe. Brzezinski traite des relations américanochinoise, mais sans comprendre l’attitude de Pékin, et en jouant les naïfs: «(…) en raison de
ce qu’ils sont et de leur simple présence, les Etats-Unis deviennent involontairement
l’adversaire de la Chine au lieu d’être leur allié naturel». Mais il admet que les Chinois
savent que «leur influence dans la région se trouverait automatiquement renforcée par la
moindre attaque qui viendrait miner le prestige américain». L’objectif central de la politique
chinoise serait d’affaiblir l’Amérique pour que cette dernière ait besoin d’une Chine
«dominant la région» et «mondialement puissante pour partenaire».
Autre point d’extrême orient analysé par l’auteur: le Japon, dont les relations avec
l’Amérique, nous dit-il, feraient dépendre l’avenir géopolitique de la Chine. Le paradoxe du
Japon est qu’il «a beau être riche, dynamique et économiquement puissant, il n’en est pas
moins un Etat isolé dans sa région et politiquement limité dans la mesure où il est tributaire
d’un allié puissant qui s’avère être non seulement le garant de l’ordre mondial mais aussi son
principal rival économique» (les Etats-Unis). Mais, «la seule véritable question politique
pour le Japon consiste à savoir comment utiliser la protection des Etats-Unis afin de servir
ses propres intérêts». Le Japon est, apprend-t-on, un pays «qui ne se satisfait pas du statu quo
mondial». Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, note Brzezinski, on observe une
redéfinition de la politique étrangère de ce pays. Cette redéfinition porte le Japon à «ménager
la Chine plutôt que de laisser le soin aux Etats-Unis de la contenir directement». Cependant
«très peu [de japonais] se prononcent en faveur d’une grande entente entre le Japon et la
Chine» car cela déstabiliserait la région, et provoquerait le désengagement des USA,
subordonnant la Corée et Taiwan à la Chine, mettant «le Japon à la merci de cette dernière».
Les Etats-Unis veilleront à ce que le Japon «mette en place une coopération
véritablement internationale, mieux institutionnalisée» à l’instar du Canada, «Etat respecté
pour l’utilisation constructive de ses richesses et de son pouvoir, et qui ne suscite ni craintes
ni ressentiments». Les objectifs globaux des USA sont de faire du Japon «le partenaire
essentiel et privilégié de la construction d’un système» de coopération mondiale.
Cependant la partie n’est pas gagnée d’avance en extrême orient pour les Etats-Unis,
concède Brzezinski, car «la création d’une tête de pont démocratique est loin d’être
imminente (…) contrairement à ce qui s’est passé en Europe». On note la prudence des EtatsUnis vis à vis de la Chine: «il est préférable de la traiter comme un acteur crucial sur
l’échiquier mondial», et la faire participer au G7, lui accordant ainsi du crédit et satisfaisant
son orgueil. Les USA doivent également «se montrer conciliant sur certaines questions, tout
en restant ferme sur d’autres», poursuit Brzezinski. Et revenant sur le problème de Taiwan,
nous apprenons que «les Etats-Unis interviendraient pour défendre non pas l’indépendance
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de Taiwan, mais leurs propres intérêts géopolitiques dans la région Asie-Pacifique»; voilà
qui est clair. Pour ce qui concerne la Corée et le Japon, l’Amérique peut «jouer un rôle décisif
en soutenant la réconciliation»; la stabilité apportée faciliterait «le maintien de la présence
des Etats-Unis en extrême orient», et cette réconciliation «pourrait servir de base à une
éventuelle réunification» de la Corée.
Toutefois, nous dit Brzezinski, les Etats-Unis ne sont pas seulement la première
superpuissance globale, mais seront très probablement la dernière, ceci à cause de la diffusion
de plus en plus généralisée du savoir et de la dispersion du pouvoir économique. Si les EtatsUnis ont pu exercer une prépondérance économique mondiale, ils le doivent à «la nature
cosmopolite de [leur] société (…) qui [leur] a permis (…) d’asseoir plus facilement leur
hégémonie (…) sans pour autant laisser transparaître [leur] caractère strictement national».
Il est peu probable qu’un autre pays puisse faire de même; «pour simplifier, n’importe qui
peut devenir Américain, mais seul un Chinois peut être Chinois». Il transparaît dans ces
propos une négation radicale de l’altérité. Les Etats-Unis ne veulent pas «l’autre», ils ne le
conçoivent même pas; ils ne connaissent que l’autre en tant que «même», un clone en quelque
sorte; piètre intelligence du monde, de la richesse, de la diversité de l’homme que ce rapport à
l’autre, spécifiquement américain.
Comme la puissance Américaine ne saurait durer sans fin (nous ne sommes pas arrivé
avec le triomphe de l’Amérique et de ses «idéaux» à la fin de l’Histoire), Brzezinski nous
trace «l’après domination états-unienne». Le legs de l’Amérique au monde, à l’histoire, doit
être une démocratie planétairement triomphante, nous dit-il, et surtout, la création d’une
«structure de coopération mondiale (les Nations Unies sont «archaïques») (…) qui
assumerait le pouvoir de «régent» mondial». Voilà donc un testament établi pour la poursuite
mondiale – et jusqu’à la fin des temps – du «rêve américain». Mais chacun sait que les temps
comme les rêves ont toujours une fin.
Si la recension des objectifs géostratégiques américains est clairement établie, la
formulation et la structure interne de l’ouvrage sont assez confuses puisque l’on retrouve
souvent des éléments concernant un sujet deux ou trois chapitres plus loin. Plus généralement,
si la logique de ce discours puisse être comprise de la part d’un américain, dès lors que l’on
n’est pas américain, on ne peut pas décemment souscrire aux thèses énoncées dans ce livre; ce
serait sinon, pour prendre l’exemple d’un animal, comprendre les motivations de son
prédateur, et accepter de se laisser dévorer par lui. Si certains constats de l’auteur sont justes
car relevant d’une analyse géopolitique tenant compte des faits historiques et de leurs
conséquences, il n’en demeure pas moins qu’il faut combattre ces objectifs
impériaux/impérialistes américains, malgré cette apathie qui caractérise malheureusement les
Européens en général et les Français en particulier.
«Le Grand échiquier» est d’une manière générale un livre intéressant parce que
Brzezinski, avec un cynisme assez remarquable, y avoue crûment les manipulations (et les
erreurs) que les Américains en général, et les néoconservateurs en particulier, ont accomplies
en les dissimulant derrière un rideau de fumée américaniste supposé libéralisateur. La lecture
du «Grand échiquier» confirme en fait qu’il y a depuis plus d’une décennie concurrence, au
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sein des élites américaines, entre une ligne impulsée par le «lobby pro-Israël» et une autre
ligne, défendue par Brzezinski, lequel se soucie davantage des intérêts américains en Eurasie
que du devenir de l’Etat juif. Pour Brzezinski, le principal objectif de la grande stratégie USA
au début du XXI° siècle doit être de lutter contre l’alliance Chine/Russie, si possible en
l’empêchant de se constituer, à défaut en en limitant la portée et la puissance. Dans cette
optique, Brzezinski (un polonais motivé par sa notoire russophobie) considère que la
principale menace vient de la Russie, dans la mesure où, bien que moins puissante
économiquement que la Chine, elle a davantage les ressources et moyens de sa pleine
souveraineté. Il préconise l’encerclement de la Russie par l’implantation progressive de bases
militaires, ou à défaut de régimes amis, dans les anciennes républiques soviétiques
(notamment en Ukraine), ainsi que l’affaiblissement de Moscou par le pillage de son
économie (rappelons que le livre a été écrit en 1997, alors que les oligarques se partageaient
les entreprises russes privatisées, une année avant le krach de 1998).
Enrichi des enseignements de Kissinger et fort de son expérience en tant que conseiller
des présidents Carter et Reagan, Brzezinski tire la conclusion - cruciale pour qui veut
comprendre sa formule de pensée - que l’Amérique doit privilégier les stratégies d’influence,
afin d’être autocratique sans que cela soit vu par la population américaine elle-même. Cela est
nécessaire pour comprendre que les prises de positions ultérieures de Brzezinski, à partir de
2004 opposé à la «guerre contre le terrorisme», ne traduisent pas de sa part une réfutation de
la réalité de cette guerre – il sait parfaitement qu’elle n’a jamais été autre chose qu’un
prétexte, il a d’ailleurs lui-même prôné l’utilisation de ce prétexte. Elles traduisent plutôt son
inquiétude sur la manière dont les néoconservateurs («neocons») utilisent cette «guerre
prétexte» (c'est-à-dire avec une manifeste absence de subtilité). Sa stratégie repose sur une
priorité accordée à l’influence, la guerre ouverte ne venant qu’en dernier recours. Il préconise
en particulier l’infiltration des élites eurasiennes, la détection des membres influençables de
ces élites, afin de les favoriser (par l’outil médiatique en particulier) pour qu’elles deviennent
prédominantes au sein de leur oligarchie spécifique. Là où les «neocons» bombardent et
occupent militairement, Brzezinski propose de corrompre, diviser, manipuler, pour imposer
des gouvernements au solde des USA. Brzezinski, c’est la ligne «big business» à l’état pur,
sans les compromis de Huntington avec l’identité américaine et des «neocons» avec le lobby
pro-Israël. Son fils Ian fut Conseiller volontaire (Volunteer advisor) du gouvernement
ukrainien en 1993-94… Sachant que Brzezinski est aujourd’hui le principal conseiller
d’Obama, en lisant «Le Grand échiquier», on mesure à quel point la présentation médiatique
dominante de l’actuel président US (un homme de paix) est erronée, pour ne pas dire ridicule.
Cependant, dans le même temps où les USA poursuivaient leurs stratégies et
politiques dans la voie si remarquablement définie par Brzezinski, deux acteurs majeurs se
sont renforcés: la Chine dont la croissance ne s'est pas essoufflée d'une part, comme le
suppose Brzezinski en 1997, et d'autre part la Russie, forte de la hausse du prix des matières
premières et de la fermeté de Vladimir Poutine, recouvre les moyens de ses ambitions.
Cela devrait les inciter de réfléchir et de revenir à des stratégies coopératrices avant
que le décalage entre une politique impériale et une puissance déclinante sur le long terme –
selon les termes même de Brzezinski – ne devienne intenable.
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Sources:
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-http://www.francetvinfo.fr/monde/ameriques/ich-bin-ein-berliner-petites-histoires-d-une-grande-phrase_355922.html
-http://www.communisme-bolchevisme.net/la_Seconde_Guerre_Mondiale_et_Staline.htm
-http://guerrefroide.net/pages/chute
-http://www.vie-publique.fr/politiques-publiques/politique-defense/reintegration-france-otan/
-http://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/la-fin-de-l-urss-en-decembre-1991-des-jours-qui-ebranlerent-lemonde_1059386.html
-http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/dossiers/tetes/eltsine/06.html
-http://wotraceafg.voila.net/chute.htm
-http://www.7sur7.be/7s7/fr/1505/Monde/article/detail/1848905/2014/04/10/Des-deputes-russes-veulent-poursuivreGorbatchev-pour-la-fin-de-l-URSS.dhtml
-http://www.memoireonline.com/10/08/1582/m_la-perestroika-ou-reformer-l-irreformable30.html
-http://www.slate.fr/story/40631/chute-union-sovietique-faux
-http://www.mondialisation.ca/otan-l-actualit-de-la-strat-gie-d-encerclement-de-la-russie/29007
-http://www.forum-scpo.com/geopolitique/russie-puissance-impuissance.htm
-http://fortune.fdesouche.com/335901-la-strategie-de-lanaconda
-http://www.les-crises.fr/le-grand-echiquier-de-zbigniew-brzezinski/
-http://hier-aujoudhui.blogspot.be/2012/06/brzezinski-le-grand-echiquier-la.html
-http://vouloir.hautetfort.com/archive/2011/08/26/brzezinski.html
-http://www.causeur.fr/crimee-ukraine-russie-poutine-brzezinski-26649.html
-http://leschevaliersnoirs.hautetfort.com/tag/brzezinski
-http://ukraine.eurasie.ru/archives/2412
-http://www.b-iinfos.com/art_komnen_becirovic_zbigniew%20brzezinski_le%20mephisto%20de%20l%20amerique.php
-http://www.wikistrike.com/article-zbigniew-brzezinski-1er-conseiller-de-barack-obama-le-declin-des-etats-unis-estinevitable-84656699.html
-http://electrodes-h-sinclair-502.com/2014/03/02/ukraine-victime-d-une-arnaque-economique-russie-us-eu-nato/
-http://russiepolitics.blogspot.be/2014/06/chronique-de-c-voos-pourquoi-le-reset.html
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Images N° 11 & 12 : La crise de l‘Ukraine
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