L A PA G E D E L ’ A L G O L O G I E Céphalées positionnelles après anesthésie ou infiltration péridurale, rachianesthésie ou ponction lombaire : que faire ? ■ E. Viel, G. Aya a persistance d’une brèche duremérienne est un événement relativement courant dès lors que l’on aborde la dure-mère avec une aiguille, que cet abord soit accidentel ou volontaire. Les causes en sont multiples et ont fait l’objet d’une abondante littérature qui a progressivement, au fil des années, contribué à réduire l’incidence des céphalées qui en résultent. La survenue de céphalées, après ponction dure-mérienne, représente une morbidité sévère, et une prise en charge codifiée et sans délai s’impose. Le contexte de survenue est variable et, si l’incidence des brèches a sans doute diminué en pratique anesthésique (grâce à la prévention) et radiologique (en raison de la rareté des myélographies depuis l’apparition de l’IRM), elle a vu au contraire sa fréquence augmenter en pratique rhumatologique et même neurologique. Si l’abstention thérapeutique mérite d’être discutée, le traitement définitif des céphalées et/ou des troubles associés repose toujours sur la réalisation d’un blood patch (BP), ou injection péridurale de sang autologue, dont l’efficacité n’a, jusqu’à présent, pas été supplantée par les multiples autres propositions formulées. La réalisation d’un BP est simple, mais reste mal codifiée. Cette technique a peu varié depuis la description princeps de DiGiovanni et Dunbar, en 1970. Il s’agit d’une injection péridurale de sang autologue, parfois désignée sous le terme de colmatage péridural, effectuée dans des conditions strictes d’asepsie après repérage de l’espace péridural selon les techniques habituelles de recherche de la perte de résistance. L * Centre d’évaluation et de traitement de la douleur, département d’anesthésie-douleur, centre hospitalier universitaire, 30029 Nîmes Cedex. e-mail : [email protected] 40 QUEL DÉLAI RESPECTER AVANT DE PRATIQUER UN BLOOD PATCH ? La réalisation précoce du BP dans les 24 heures suivant une ponction durale serait grevée, d’après d’anciens travaux, d’un fort taux d’échecs. En effet, dans un travail rétrospectif et non contrôlé, les patients recevaient tous un BP de 10 ml : le taux d’échec rapporté était de 71 % lorsque le patch était fait dans les 24 heures versus 4 % seulement lorsqu’il l’était au-delà du délai de 24 heures. Ce travail rétrospectif et non contrôlé souffre en réalité de nombreux biais : brèches réalisées avec des aiguilles de petit calibre uniquement dans le groupe tardif ; volume fixe du BP, durée de suivi non précisée… De plus, les BP tardifs sont effectués dans des délais très variables, alors même qu’il est consensuellement admis que l’histoire naturelle des céphalées est à la résolution spontanée. Il n’y a donc, en réalité, aucun argument validé pour retarder un BP face à des céphalées invalidantes et n’ayant aucune tendance spontanée à la résolution. Le délai de 24 heures reste toutefois raisonnable s’il est employé à affirmer l’étiologie des céphalées. À QUEL NIVEAU FAUT-IL INJECTER ? Lorsque la ponction durale est récente et que le point de pénétration cutané est toujours visible et/ou lorsque l’étage intervertébral de ponction est connu, il est de bonne règle de pratiquer le BP au même niveau, voire au-dessous du niveau de la brèche. Lorsque de multiples ponctions ou tentatives de ponction ont eu Correspondances en médecine - n° 4, vol. III - octobre/novembre/décembre 2002 lieu, il est de même préférable d’injecter le sang au niveau ponctionné le plus inférieur. QUEL VOLUME FAUT-IL INJECTER ? La littérature ne renferme aucune recommandation tranchée sur ce point, les volumes proposés allant de 2-3 ml à 20 ml selon les auteurs et les périodes. Cette donnée paraît difficile à systématiser, raison pour laquelle certains avaient rapporté des taux d’échec élevés (30 %), avec des volumes de 6 à 15 ml et de 4 % seulement, avec 20 ml. C’est ainsi que ce volume arbitraire de 20 ml est devenu progressivement le volume. En pratique, la majorité des praticiens a adopté le fait de pousuivre l’injection sans règle absolue de volume jusqu’à ce que le patient signale une sensation de tension douloureuse au niveau lombaire. QUELLE DURÉE DE DÉCUBITUS OBSERVER APRÈS UN BLOOD PATCH ? Une réponse plus tranchée paraît possible en référence au travail de Martin et al., paru en 1996. Chez des patients ayant reçu un BP de 12 ml, le taux de céphalées résiduelles est de 40 % après décubitus dorsal pendant 30 minutes, de 20 % après une heure et de 0 % après deux heures. La durée de 2 heures est donc la règle puisqu’elle améliore l’efficacité de la technique. BLOOD PATCH CURATIF Le BP est indiqué face à toute survenue de céphalées à la suite d’une ponction volontaire ou accidentelle de la dure-mère. Pour les uns, compte de la tendance spontanément résolutive à la résolution (72 % d’entre elles durent moins de 7 jours et 53 % moins de 4 jours), il est “urgent d’attendre” en rassurant le malade par une information claire et loyale. Pour d’autres, il est “urgent d’agir” dans la mesure où le caractère parfois invalidant des céphalées, confinant le patient à un décubitus “salvateur” quasi permanent, n’a pas lieu d’être toléré dans la mesure où le traitement curatif et son efficacité remarquable sont connus. Le débat n’est pas tranché et l’on peut se contenter d’un moyen terme pragmatique en se donnant un délai de 36 à 48 heures pour observer l’éventualité d’une amélioration spontanée, attitude souvent bien accueillie par des malades peu enclins à refaire l’expérience d’une nouvelle “piqûre dans le dos”. Ce délai correspond à la pratique de la majorité des anesthésistes français exerçant en obstétrique d’après une enquête de 1999. Le BP est également réalisable chez l’enfant qui, habituellement, est moins exposé à la survenue de céphalées après ponction durale. Le BP paraît également une bonne indication face à des signes auditifs ou visuels isolés après brèche durale, en l’absence de céphalées typiques, après avoir éliminé d’autres étiologies. De même, la réalisation d’un blood patch a été efficace dans le traitement de céphalées chroniques de cause indéterminée et dans le cadre de syndrome d’aliquorrhée congénitale. Enfin, de manière tout aussi anecdotique, l’efficacité du BP a été rapportée pour traiter des céphalées en rapport avec une fistule durocutanée de LCR d’origine spontanée, chirurgicale, voire même en présence d’un cathéter intrathécal. BLOOD PATCH TARDIF Le diagnostic tardif d’une céphalée postponction durale est une réalité encore actuelle et arrive parfois dans les consultations et centres de la douleur des patients dont les céphalées chroniques, pourtant positionnelles, n’ont jamais été rattachées à une anesthésie médullaire, une ponction lombaire diagnostique ou encore une infiltration péridurale pour lombosciatalgie, pratiquées des mois voire des années auparavant. Il est parfaitement licite de proposer un BP, dont l’efficacité a été rapportée six mois, sept mois, un an et même deux ans après le geste initial et le début des céphalées : il n’est jamais trop tard ! BLOOD PATCH PRÉVENTIF L’intérêt en est plus controversé. Seuls 14 % des anesthésistes français exerçant en obstétrique ont répondu pratiquer le blood patch préventif. La question est posée lors d’une ponction durale accidentelle avec une aiguille de gros calibre, comme une aiguille péridurale de Tuohy. À coté de l’administration péridurale préventive de sérum salé, dont l’efficacité a été démontrée en post-partum, et de la mise en place d’un cathéter sous-arachnoïdien à travers Correspondances en médecine - n° 4, vol. III - octobre/novembre/décembre 2002 41 L A PA G E D E L ’ A L G O L O G I E la brèche, dont l’inefficacité a été démontrée, l’injection préventive de sang autologue paraît avoir un intérêt non négligeable. Deux études prospectives ont montré une réduction significative de l’incidence des céphalées lorsqu’un BP préventif était réalisé à travers même le cathéter péridural chez des parturientes ayant eu une brèche durale accidentelle par l’aiguille de Tuohy. Un rapport récent met en garde contre les biais des études précédentes (absence de randomisation) et le risque potentiel de survenue d’un déficit neurologique. CONTRE-INDICATIONS Elles sont rares et relèvent soit d’une contreindication habituelle à l’abord péridural, soit d’une contre-indication à l’injection de sang autologue. Le refus du patient, qui doit avoir reçu une information adaptée, claire et loyale sur le BP, est une contre-indication formelle. Parmi les contre-indications à l’abord péridural se trouvent les troubles de l’hémostase et le sepsis. Ce dernier point repose sur la crainte d’injecter du sang infecté dans l’espace péridural et donc sur le risque d’abcès. Par extension, se pose légitimement la question de l’opportunité de réaliser un BP chez un patient fébrile, puisque la fièvre peut être l’expression d’une bactériémie. Malgré l’absence de données cliniques, il paraît légitime de prôner l’abstention afin de ne pas risquer l’ensemencement méningé et d’opter pour une autre thérapeutique. De même, aucune donnée ne permet, pour l’heure, d’écarter les patients séropositifs du bénéfice d’un BP. Il est également important, avant de réaliser un BP, d’éliminer les principaux diagnostics différentiels que sont la thrombose des veines corticales et une méningite. Au moindre doute, il faut avoir recours à l’imagerie médicale encéphalique et/ou lombaire afin d’affirmer le diagnostic. RÉSULTATS SUR LES CÉPHALÉES POSTPONCTION DURALE Toutes les études rapportent un taux de succès entre 95 et 98 %. RÉSULTATS SUR LES AUTRES COMPLICATIONS DE LA PONCTION DURALE Les céphalées positionnelles sont inconstamment accompagnées d’autres signes cliniques en rapport avec l’hypotension du LCR : signes visuels (flou visuel, phosphènes, baisse de l’acuité visuelle), signes auditifs (hypoacousie, acouphènes), vertiges (en rapport avec une hypotension de l’endolymphe), dont l’évolution est parallèle à celle des céphalées. Comme les céphalées, ces signes ont habituellement un caractère positionnel marqué. À l’inverse, on retrouve parfois des signes évocateurs d’une hypertension intracrânienne, comme des nausées et des vomissements, en rapport avec la vasodilatation méningée. Dans les rares cas où ces signes dominent le tableau clinique, le BP semble également efficace, comme dans l’hypoacousie sans céphalées après rachianesthésie. Chez des patients souffrant de céphalées positionnelles, une audiométrie a été réalisée avant et une heure après BP, et a montré une amélioration de l’audition chez 12 patients sur 16. QUE FAIRE FACE À L’ÉCHEC D’UN BLOOD PATCH ? LES ALTERNATIVES Le BP est le seul traitement, parmi les multiples propositions thérapeutiques, à avoir fait la preuve de son efficacité constante et durable dans les céphalées à caractère positionnel. Dans une enquête menée auprès des anesthésistes des maternités françaises, le BP est le traitement de référence pour 92 % des praticiens. Des alternatives à l’injection de sang 42 existent, consistant à injecter d’autres solutions, cristalloïdes ou colloïdes, permettant de créer une contre-pression à la fuite de LCR. Avec les cristalloïdes, les volumes perfusés sont élevés, atteignant 750 à 1 000 ml (10 à 30 ml/heure). La perfusion de cristalloïdes semble grevée d’un taux de récidive plus élevé. Il paraît donc raisonnable de réserver ces deux alternatives aux contre-indications à l’injection péridurale de sang, voire à l’échec du BP conventionnel. Le patient doit toujours être préalablement averti de la possibilité d’échec et de la nécessité parfois de répéter le geste. En effet, en cas de récidive des céphalées, la réalisation d’un nouveau BP amène la guérison dans 95 % des cas. D’autres préfèrent la mise en place d’un cathéter péridural, suivie de l’administration Correspondances en médecine - n° 4, vol. III - octobre/novembre/décembre 2002 continue de sérum salé pendant une durée de 48 à 72 heures. LES COMPLICATIONS Elles sont rares et bénignes : dorsalgies et paresthésies lors de l’injection, hyperthermie modérée transitoire, lombalgies cédant en 24 à 48 heures. Une irritation méningée transitoire (< 24 heures) a été rapportée, simulant une méningite aseptique. Un cas exceptionnel mais gravissime d’hématome sous-dural après BP a été rapporté. En conclusion, les céphalées restent une complication non exceptionnelle après brèche duremérienne. Le médecin omnipraticien peut se trouver relativement démuni face à une symptomatologie à caractère positionnel, et il importe alors de creuser l’anamnèse à la recherche d’une brèche dure-mérienne, parfois ancienne, dont les circonstances de survenue les plus fréquentes sont l’analgésie obstétricale et les infiltrations épidurales pratiquées par nos confrères rhumatologues pour traiter des lombalgies ou des lombo-sciatalgies. Il importe, dès que ce diagnostic est évoqué, de prendre contact avec l’anesthésiste ou le rhumatologue, ou encore le neurologue, afin de confirmer cette possibilité. Le recours à un centre ou à une consultation de la douleur est une autre possibilité qui permettra au patient de bénéficier rapidement d’un blood patch péridural et du soulagement escompté. …Nous faisons de vos POUR EN SAVOIR PLUS ... – Colonna-Romano P, Shapiro BE. Unintentional dural puncture and prophylactic epidural blood patch in obstetrics. Anesth Analg 1989 ; 69 : 522-3. – DiGiovanni AJ, Dunbar BS. Epidural injection of autologous blood for post-lumbar puncture headache. Anesth Analg 1970 ; 49 : 268-71. – Duffy PJ, Crosby ET. The epidural blood patch. Resolving the controversies. Can J Anaesth 1999 ; 46 : 87886. – Safa-Tisseront V, Thormann F, Malassine P et al. Effectiveness of epidural blood patch in the management of postdural puncture headache. Anesthesiology 2001 ; 95 : 334-9. – Serpell MG, Rawal N. 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Claudie Damour -Terrasson et son équipe vous remercient de votre fidélité et vous souhaitent Meilleurs voeux 2003 spécialités notre Groupe de presse et d’édition santé spécialité Les Lettres . Les Actualités . Les Correspondances . Les Courriers . Professions Santé . Les pages de la pratique médicale Correspondances en médecine - n° 4, vol. III - octobre/novembre/décembre 2002 43