n°1 21/04/04 R 10:03 Page 32 U M E U R S . . . Revue de presse grand public ● M. Escoute* L’idée de cette rubrique, un peu en dehors des sentiers glorieux de la science, nous est venue tout simplement du quotidien. À l’heure où les médias, les satellites, les câbles, les modems, l’Internet et les intranets envahissent nos espaces vitaux, véhiculant sur leurs autoroutes de l’information des communications évoquant des 35 tonnes et pouvant faire passer un article du Lancet pour une carriole sur un chemin vicinal, nous ne pouvons nier la puissance et surtout la vitesse de propagation de l’information. En effet, qui d’entre nous n’a pas, un jour de consultation surchargée, eu la stupéfaction d’entendre une malade s’exclamer : “Comment, docteur, vous n’êtes pas au courant pour le vaccin contre le cancer du sein ? Mais pourtant “ils” en parlent dans le journal ce matin !” Ou une autre vous dire : “le traitement hormonal substitutif ? Non, je ne le prends plus.” Vous : “Ah ! et pourquoi, vous avez mal aux seins ?” La patiente : “Non, mais depuis que j’ai lu qu’on ne peut pas boire d’alcool en même temps, j’ai arrêté parce que moi, vous comprenez, un verre de temps en temps c’est pas de refus, et de toute façon j’ai entendu dire que le vin rouge c’est bon pour la santé, “ils” l’ont dit à la télé !”… Et vous, atterré par tant de connaissances, allez compulser fébrilement les innombrables revues auxquelles vous êtes abonné (et dont certaines sont encore baguées) pour tenter de trouver l’article scientifique digne de ce nom pouvant éviter à la prochaine assertion assassine une dilatation inconsidérée de vos muscles ciliaires. Nous avons donc décidé pour votre service de lire, d’écouter, de trier et de retrouver, si elles existent, les véritables sources de ces informations “de la rue”. Et de vous montrer aussi que, parfois, elles peuvent précéder largement l’information scientifique. L’AFFAIRE TAMOXIFÈNE Le lundi 6 avril 1998, à 16 h 54, une dépêche tombe à l’Agence France Presse en provenance de Washington. Elle est titrée : “Le tamoxifène réduirait de moitié les risques de cancer du sein”. (Rappelez-vous, en avril 1992, un des plus grands essais jamais réalisés, sous l’impulsion anglaise, se mettait en place dans le monde pour évaluer l’intérêt du tamoxifène – dont on *Clinique Sainte-Catherine, Avignon. 32 connaît depuis 20 ans le rôle dans le retard d’apparition des rechutes cancéreuses – chez les femmes à haut risque de cancer du sein. Cet essai devait durer sept ans. La France a refusé d’y inclure des patientes, arguant des risques de cancer de l’endomètre chez des femmes indemnes de toute maladie et sans certitude du développement d’une maladie. Cette critique fut vivement reprise par le National Women’s Health Network, expliquant qu’il s’agissait non pas d’une prévention, mais d’une substitution de maladie). C’est une lettre adressée par le National Cancer Institute (NCI) aux patientes volontaires pour cet essai qui, ayant été interceptée par le Philadelphia Inquirer, est à l’origine de cette nouvelle explosive. Le NCI se refuse à tout commentaire avant la conférence de presse. Cette information tombe à nouveau à 17 h 25. Le 6 avril toujours, à 18 h 41, une autre dépêche tombe à l’AFP concernant le domaine économique, et émanant de New-York ; elle signale que le groupe pharmaceutique Zeneca gagne 3-3/4 à 141 dollars ; à 19 h 47, les chiffres sont de 9-3/8 à 146-5/8. À 22 h 10, une autre information titre : “Envolée de l’action Zeneca (+ 7,3 %) à Wall Street”( ce qui reste quand même modeste en comparaison des + 40 % du groupe Pfizer pour Viagra®, médicament utilisé contre les troubles de l’érection). Une autre dépêche, à 21 h 48, rapporte les propos de Fisher et Ford au cours de la conférence de presse du NCI : “C’est la première fois dans l’histoire qu’une étude montre que le cancer du sein peut non seulement être traité, mais aussi évité”-“C’est un tournant historique dans notre approche de la maladie”-“C’est un progrès réel, mais ce n’est pas une potion magique”, soulignera Klausner, directeur du NCI. Le jour même, un entrefilet paraît dans l’International Herald Tribune, parlant d’une régression de 50 % des risques de cancer du sein par le tamoxifène. Le 7 avril 1998 au matin, du Financial Times au Wall Street Journal, jusqu’à Corse-Matin et L’Éveil de la Haute-Loire, la plupart des journaux titrent : “Daily drug may be a lifesaver for women”, “Nouvel espoir dans la lutte contre le cancer du sein”, “Un médicament évite l’apparition du cancer du sein”, “Un pas dans la prévention des cancers du sein”, etc. FranceInfos, dès 6 heures, répète l’information tous les quarts d’heure, et le journal télévisé de 20 heures reprend cette nouvelle. Le 8 avril 1998 ,dans le Figaro, une interview des Prs Rouëssé et Namer met un bémol à la liesse collective, rappelant les effets secondaires non négligeables de ce médicament, en expliquant qu’il faut que le rapport bénéfice-risque apparaisse clairement favorable, mais qu’une amélioration des effets secondaires de cette molécule est toujours possible. La Lettre du Sénologue - n° 1 - juin 1998 n°1 21/04/04 10:03 Page 33 Le 9 avril 1998, à la Bourse de Londres, l’action Zeneca a gagné 60 pence sur la semaine, avec 2 720 pence après l’annonce du résultat d’une étude internationale. Le même jour, un article de l’International Herald Tribune titre : “U.K. Scientists Fault Cancer Study” ; il rapporte que les scientifiques britanniques, premiers instigateurs de cet essai, émettent de vives critiques à l’égard de l’attitude américaine, les accusant de donner de faux espoirs et de ne pas avoir suffisamment de recul pour pouvoir se permettre d’interrompre l’essai. Les jours suivants, on retrouve dans la Dépêche du Midi : “Un médicament préventif suscite espoirs… et réserves”, avec des explications du Dr Roché rejoignant celles de l’article du Figaro. Et vous, comment l’avez-vous appris ? Aucun journal scientifique n’avait eu le temps de l’annoncer et, pourtant, la planète entière était au courant ! Cette petite histoire nous permet de vous montrer que, parfois, “la rue” est le véhicule le plus puissant et le plus rapide de l’information. Nous consacrerons la prochaine rubrique Revue de presse scientifique à un récapitulatif sur le tamoxifène et nous vous communiquerons les résultats d’un essai scientifique de prévention. Autre nouvelle pour le moins surprenante mais relevée dans Maxi, Femme actuelle, Voici, Afrique magazine, Santé magazine : “Cancer du sein : un virus en cause” ! Ces articles rapportent les propos du Pr Holland (Mount Sinai, New-York) évoquant la possibilité d’une origine virale dans 40 % des cancers du sein, dus au virus HMTV (human mammary tumour virus), retrouvé dans 80 % des cellules cancéreuses. Annonce, bien sûr, suivie de celle d’un éventuel vaccin et, fort heureusement, d’un rappel de la non-contagiosité des cancers ! Ouf ! Encore une nouvelle qui risque fort d’assécher les moulins du DMO (dépistage de masse organisé) et retrouvée dans l’International Herald Tribune, le Figaro et France-Soir, titrant : “Les incertitudes de la mammographie”, “Erreurs de mammographie”, “A breast cancer risk : false alarms” ; il y est rapporté que près d’un tiers des mammographies se révèlent positives alors que les patientes sont indemnes de la maladie, et que, selon une étude américaine, après dix examens radiologiques, environ une femme sur deux subit une biopsie inutile. A priori, nous le savions déjà et nous appelons cela “les effets pervers du DMO” ; par ailleurs, n’oublions pas qu’il s’agit des ÉtatsUnis (où planent les vautours de la justice) et qu’en France, le taux de tests positifs, dans certains départements, ne représente que 4 % (Bouches-du-Rhône, par exemple). Cela dit, la mammographie de dépistage reste actuellement le seul et unique moyen de dépister des cancers de petite taille, et personne n’osera le contester. Bien que… Noté dans le Financial Times et Nice Matin : une nouvelle technique de détection des cancers du sein (et de la prostate) mise au point par le Dr J. Uhr (Texas University, Dallas) permettrait, par l’intermédiaire de particules de fer recouvertes d’une enzyme capable de se lier aux cellules cancéreuses circulantes dans le sang, de détecter ces cellules anormales et de les réunir pour les étudier, et cela grâce à un aimant. Ainsi, il serait possible de détecter une cellule épithéliale cancéreuse dans un millilitre de sang. Affaire à suivre… Enfin, en bref, lu dans Le Var et Corse-Matin, une nouvelle technique de liposuccion permettant le traitement “chirurgical” sans cicatrice des hypertrophies mammaires. Technique brésilienne, mais, il est quand même reconnu que cela ne “marche” que sur les seins graisseux et que cette technique a tendance à aplatir le sein et à lui donner une forme conique ! On imagine sans peine l’enjeu lucratif d’une telle innovation. Pour terminer, vent en poupe boursier pour le groupe SmithKline Beecham, noté dans le Financial Times, pour son étude prometteuse sur le modulateur d’estrogènes, l’idoxifène, utilisé dans le traitement contre l’ostéoporose et le “mauvais cholestérol”, et dont on pourrait envisager la prescription dans les cancers du sein (déjà connu), mais aussi en remplacement des traitements hormonaux substitutifs classiques. Dossier soumis à l’avis de l’Agence européenne du Médicament. Voilà donc, résumé pour vous, un aperçu de la presse non médicale des derniers mois qui ne se veut certes pas exhaustif, mais peut-être éclectique, et tente de vous montrer la puissance des moyens d’informations multicanalaires qui font notre quotidien. ■ Imprimé en France - Les Presses de Provence - Avignon - Dépôt légal 2e trimestre 1998. © juin 1998 - Edimark SA. Les articles publiés dans La Lettre du Sénologue le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. La Lettre du Sénologue - n° 1 - juin 1998 33