Approche psychosomatique des dermatoses Sylvie G. Consoli 9ème Congrès Francophone d’Allergologie (CFA 2014) Pas de conflit d’intérêt en relation avec cette présentation La peau ! Organe dérivé de l’ectoderme (=cerveau) ! Organe de la vie de relation vital visible, ! ! ! ! ! ! ! touché Limite du corps tout entier, ainsi que représentante de la limite de l’espace psychique individuel :fonction contenante Scène de la honte (Lord Jim de Conrad) Organe privilégié de la vie de relation Importance des échanges tactiles Organe facilement accessible par le sujet Organe lié à la beauté, à la séduction Lieu d’inscription du temps qui passe Lieu de naissance de la tendresse, la 3 sensualité, le plaisir, la sexualité La peau n’est pas une enveloppe inerte: c’est une enveloppe sensible à l’interface de deux mondes: le monde extérieur dont les autres et leur regard font partie et le monde intérieur de l’individu • Le réseau neuro- immuno- endocrino- cutané • Les fonctions psychologiques de la peau Toutes les cellules de la peau sont en contact avec les fibres nerveuses, produisent des neuromédiateurs et ont toutes des récepteurs à ces molécules y compris les cellules de Langerhans (réseau neuro-immuno-endocrino-cutané) Toutes les cellules de la peau immunitaires ou non ont des récepteurs pour toutes les hormones connues libérées dans le flux sanguin par des organes spécifiques sous le contrôle de l’axe hypothalamo-hypophysaire ( hormones dites du stress, secrétées par la cortico et la médullo-surrénale, par ex.) Principales fonctions psychologiques de la peau : ! Frontière entre le dedans et le dehors ! Contenant de l'espace psychique ! Communication, échange ! Zone inter sensorielle sensible Participe à l’élaboration du narcissisme Les maladies dermatologiques, qui altèrent un organe de la vie de relation visible et touché, sont complexes, souvent : multifactorielles Associées à d’autres maladies chroniques (observance, qualité de vie, retentissement psychique) Nécessitant un traitement local affichantes, altérant le toucher et parfois malodorantes (caractéristiques pouvant être renforcées par les traitements locaux) souvent dites « psychosomatiques » : terme parfois mal compris par les malades et les soignants, infiltré par divers fantasmes Les deux sens d’approche psychosomatique • Approche globale du malade souffrant d’une maladie somatique lésionnelle, quelle qu'elle soit, en tant que sujet unique, doté d’une histoire, inscrit dans un environnement social particulier • Recherche du rôle, aux côtés de celui des facteurs biologiques, de facteurs étiologiques psychosociaux (évènements vécus, facteurs de stress, caractéristiques de la personnalité et de l’environnement psychosocial dans la survenue ou l’aggravation (ou encore l’évolution favorable) d’une maladie somatique L’approche psychosomatique implique aussi une réflexion sur le retentissement psychosocial et la relation médecin/malade (avec par ex. les problèmes liés aux traitements locaux et à la non observance) Docteur, ce que j’ai sur la peau, ce ne serait pas le stress ? Rôle du stress dans la poussées de dermatite atopique • Tremblement de terre au Japon • N = 145 sujets atteints de dermatite atopique • 3 zones géographiques (A= destruction sévère, • B= moyenne et C = nulle) • Délai d’1 mois : questionnaire, examen physique Zone A Zone B Zone C Exacerbation de la D.A. 38 % 34 % 7% Stress 63 % 48 % 19% Kodama A, Horikawa T, Suzuki T, Ajiki W, Takashima T, Harada S, Ichihashi M. Effect of stress on atopic dermatitis: investigation in patients after the great hanshin earthquake. J Allergy Clin Immunol. 1999 ; 104(1) : 173-6 "Psychological stress perturbs epidermal permeability barrier homeostasis" Garg AG et al. Arch Dermatol 2001 ; 137 : 53-57 A l’origine des maladies cutanées les facteurs étiologiques et les mécanismes biologiques sont nombreux et variés • Génétiques (altération de la barrière cutanée par ex.) • Environnementaux (dont le stress) aboutissant à un dérèglement immunitaire complexe, mettant en jeu des cellules (lymphocytes T et diverses cellules inflammatoires) et diverses cytokines (chimiokines ou chemokines, interleukines, TNF alpha …) L’exemple du psoriasis « Des facteurs d’environnement (stress, climat, infection, traumatisme…) permettraient l’expression du psoriasis chez des sujets génétiquement prédisposés. » « Les stress psychologiques agiraient par l’intermédiaire d’une sécrétion accrue de neuromédiateurs et d’hormones surrénaliennes.» Bonnetblanc JM. Psoriasis. Annales de dermatologie et vénéréologie 2012;139 (suppl.au n°11) A112A120 La variabilité des réponses individuelles aux stress est liée : • à la singularité de l'histoire de chaque individu • aux caractéristiques de sa vie psychique, fantasmatique • aux traits de personnalité de l'individu • et bien sûr aux différents facteurs biologiques L’approche psychosomatique • D’abord principalement nourrie par la psychanalyse • Puis enrichie par de nombreuses autres disciplines ( l’épidémiologie, l’immunologie, l’imagerie cérébrale…) Modèle conversif du symptôme somatique lésionnel Les symptômes expriment par le corps des représentations refoulées Ils ont un sens symbolique ( notion de conflit psychique ) Le fonctionnement psychique de patients souffrant de maladies somatiques lésionnelles seraient caractérisé par une incapacité à penser un évènement traumatique (selon P. Marty) (1962) Alexithymie Sifneos PE, Nemiah JC. (1963, 1972) • Incapacité à reconnaître, identifier et exprimer verbalement les émotions ou sentiments • Limitation de la vie imaginaire (de l’aptitude à la « rêverie diurne ») • Capacité limitée « d’insight » • Tendance à recourir à l’action pour éviter ou résoudre les conflits • Description détaillée des faits, des événements ou des symptômes physiques Alexithymie et psoriasis: étude cas- témoin à propos de 53 patients Masmoudi J. et coll.L’Encéphale(2009) 35, 10-17 Les psoriasiques sont plus alexithymiques que les témoins Le psoriasis est plus sévère si il survient chez une femme alexithymique chez un homme ou une femme alexithymique avec abus d’alcool Picardi A et al. Psychosomatic factors in First-onset Alopecia Areata Psychosomatics 2003; 44 (5): 374-381 • Chez les peladiques plus d'alexithymie, support social pauvre, attachement évitant • Pas plus d’évènements de vie traumatiques chez les peladiques (durant l’année précédant le début de la pelade) Increased history of childhood and lifetime traumatic events among adults with alopecia areata • Willemsen R and al • J Am Acad Dermatol,2009, 60 3: 388-393 Arrêtons de « traquer le stress » • Etre attentif à ne pas devenir soi- même opératoire : n’envisager qu’ une seule cause • Croire dans les capacités à penser du malade, dans la richesse infinie de sa vie psychique et respecter l’énigme au cœur du vivant • Accueillir les hypothèses étiologiques d’un malade qui a besoin de reprendre la main sur sa maladie "Interpréter défensivement le non sens en lui donnant un sens est un traumatisme par empiètement…" D.W. Winnicott La relation objectale allergique • Marty P. Rev. franç. Psychosom., 2006 PUF 7-30 • « un allergique n’a qu’un désir, unique et capital : se rapprocher le plus possible de l’objet jusqu’à se confondre avec lui ». Spitz R.A. (1974) De la naissance à la parole, la première année de la vie La sollicitude anxieuse des mères dans l’eczéma constitutionnel (actuellement dermatite atopique) Le retentissement psychosocial des maladies dermatologiques est surtout lié à • la blessure narcissique (altération de l’image de soi, de l’estime de soi et du sentiment de sécurité interne), à l’altération du toucher ( la transformation de la peau, la douleur), à la force des idées reçues et des fantasmes et aussi à • l’impact de la chronicité (altération de la qualité de vie, retentissement psychologique-la dépression- et non observance) • la complexité des traitements et l’utilisation de traitements locaux Une fois la maladie dermatologique chronique installée un cercle infernal peut apparaître. Il aggrave la maladie, complique la relation médecin/malade et l’observance, entraîne des « résistances » au traitement et est en relation avec la plus grande vulnérabilité aux différents stress de la vie la dépression associée l’altération de la qualité de vie (le stress perçu) 30 Gupta MA, Gupta AK. Depression modulates pruritus perception : a study of pruritus in psoriasis, atopic dermatitis and chronic idiopathic urticaria. Psychosomatic Medicine 1994 ; 56 : 36-40 L'intensité du prurit est parallèle à l'intensité de la dépression dans l'urticaire chronique (32), le psoriasis (77) et la dermatite atopique (143). " Stress and alopecia areata : a psychodermatologic study " Gupta MA, Gupta AK, Wattel GN Acta Derma Venereol 1997 ; 77 : 296-298 Les patients peladiques sont d’autant plus stress-réactifs qu’ils sont déprimés Une mauvaise observance est liée à une comorbidité psychiatrique et à une prise en charge médicale jugée insatisfaisante par le patient de façon significative et indépendante • Renzi C., Picardi A. Abeni D., et al Association of dissatisfaction with care and psychiatric morbidity with poor treatment compliance Arch Dermatol 138; 2002: 337-342 Le degré de satisfaction des patients quant à la prise en charge médicale augmente avec la sévérité clinique et diminue d’autant plus que la qualité de vie est altérée. Le degré de satisfaction est le moins bon quand la maladie est jugée peu sévère par le médecin mais altère beaucoup la qualité de vie du patient • Renzi C., Abeni D., Picardi A. et al Factors associated with patient satisfaction with care among dermatological outpatients British Journal of Dermatology 2001; 145: 617-623 Grandir • Perdre le vert paradis de l’enfance : perdre, abandonner, se séparer des parents de l’enfance, et se tourner avec des atouts différents vers d’autres objets d’amour et vers des partenaires possiblement sexuels • Subir passivement des transformations physiques (la peau) et psychiques • Se faire peu à peu confiance • Devenir autonome (le conflit dépendance/indépendance) Grandir avec une peau malade • La peau trahit encore plus : elle perd sa fonction contenante et peut faire émerger un sentiment de honte • Elle altère le narcissisme et isole • Elle bouleverse les relations socio-affectives, amoureuses et sexuelles; elle entrave l’intégration dans la société (le toucher) • Elle peut constituer, pour l’enfant et/ou pour ses parents, un refuge pour éviter des situations nouvelles et anxiogènes et pour expliquer les échecs (conduites d’évitement, projection…) • Elle rend dépendant de son entourage (la mère infirmière) et attaque l’intimité • Elle peut enlever du sens à la vie et déprimer (auto sabotage) L’approche psychosomatique des dermatoses par le praticien • Personnalise la relation médecin/malade et la rend plus harmonieuse • Valorise la surprise • Permet de mieux adapter le traitement et de renforcer l’observance • Ouvre sur de nouvelles thérapeutiques à associer avec de nouveaux correspondants (tenir tous les fils) et a donc un impact direct sur les dermatoses 39 Marie (1) • Dermatite atopique apparue vers l’âge de 14 ans (elle a 16 ans), « résistante » au traitement, très prurigineuse sur le visage • En fait nombreuses excoriations du visage sur une DA discrète • Adressée par un dermatologue qui s’étonne de la symptomatologie et de la résistance au traitement • Symptômes entravant la vie amicale et…. amoureuse • A toujours fait les 400 coups. Est actuellement dans une « boîte à bac » 40 Marie (2) • Vit avec sa mère (divorcée quand Marie avait 4 ans) et son frère. Son père : « a refait sa vie en Australie » • En conflit avec son frère (qu’elle juge très intelligent, comme leur père) • A rompu toute relation avec son père depuis cinq ans alors qu’elle admire sa façon de vivre • « Collée » à sa mère, ne peut rien faire sans elle et pense qu’elle est « tout » pour sa mère, capable de la rendre heureuse ou malheureuse 41 Marie (3) • Marie se sent seule, abandonnée, perdue et sa peau est une présence, une protection • « J’ai passé ma soirée avec ma peau que j’ai massacrée » dit-elle ou : « j’ai fait allo eczéma et l'eczéma est revenu » au lieu, ajoute-t-elle, de travailler ou de sortir avec des amis • Se trouve laide et défigurée, ne peut pas être aimée • En fait, se trouve « nulle », inintéressante, destinée à être utilisée par un homme 42 puis jetée… comme sa mère Marie (4) • Parle de sa mère comme d’une femme muette, déprimée, bête, souffrant encore d’une acné, se qualifiant ellemême de « morceau de viande dégoutante » • Tous les dimanches soir Marie « fait la peau de sa mère » (elle extrait ses points noirs) :ces propos permettront à Marie de commencer à élaborer son ambivalence à l’égard de sa mère • Partage sa peau (qui freine, fait mal, bousille la vie) avec sa mère : sa peau est sa mère 43 Marie (5) • Est devenue, dit-elle, « une combattante pour la libération de ma peau » quand elle a pu envisager de se séparer de sa mère, sans la rendre malheureuse et risquer de la perdre • A pris conscience qu’elle utilisait sa peau « comme un leurre » : ainsi les autres ne découvraient pas que c’était en fait à l’intérieur qu’elle était nulle et immonde • A commencé à se traiter • A entrepris un long voyage vers l’Australie pour y retrouver son père • Est devenue psychologue….