Les patients schizophrènes expriment-ils des émotions ?

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L
Émotions
E. Bacon
Inserm, Strasbourg
Les patients schizophrènes
expriment-ils des émotions ?
Belfast (Irlande)
L
es caractéristiques inhabituelles du
discours et de la prosodie vocale des
patients schizophrènes sont bien
connues. Des recherches antérieures ont
suggéré l’existence d’un lien entre la
prosodie anormale et les perturbations
émotionnelles fréquemment rencontrées
chez les patients schizophrènes. Nombre
de ces patients ne sont pas capables
d’exprimer ou de reconnaître correctement les émotions. Toutefois, on sait peu
de choses sur l’expression vocale des
émotions chez les patients, malgré l’importance de cette expression dans les
interactions sociales. Des chercheurs
irlandais ont appliqué des techniques
d’analyse du langage à des patients schizophrènes pour déterminer dans quelle
mesure ils sont capables de transmettre
l’émotion, comparativement à des sujets
sains (Mc Gilloway S, Cooper S,
Douglas-Cowie E. Can patients with
chronic schizophrenia express emotions ?
A speech analysis. Schizophrenia Res
2003 ; 1906 : 1-2). Soixante-douze
patients et 40 sujets sains ont participé à
cette étude. Quatre sessions de tests
étaient prévues pour étudier l’expression
de la colère, de la joie, de la peur et de la
tristesse. Une cinquième session de comparaison était constituée d’un passage de
texte émotionnellement neutre. Les participants avaient en effet à lire à haute voix
des textes choisis en utilisant l’expression
émotionnelle qui leur semblait convenir
au texte. Leur discours était ensuite traité par un système de traitement automatique qui analysait le ton, l’intensité, la
durée, la vitesse d’expression, les
pauses, etc. Dix-huit marqueurs émotionnels ont été identifiés dans le discours des
patients, dont douze étaient également
présents chez les sujets de comparaison.
Les plus grandes similarités se retrou-
vaient dans l’expression de la colère
(64 %) et du bonheur (54 %).
Cependant, les deux groupes n’avaient
que 27 % de traits communs dans l’expression de la tristesse. Les émotions
primaires semblaient être ce que les
patients étaient capables de communiquer le mieux. Toutefois, ils présentaient
dans leur prosodie des caractéristiques
inappropriées dans certains aspects de
leur discours. On observait notamment
l’absence d’un effet de marquage par
l’intensité verbale lorsqu’ils étaient
censés exprimer la colère, la peur et la
joie. Les patients semblaient avoir des
difficultés à faire varier les niveaux de
puissance sonore afin de transmettre
l’intensité et l’emphase nécessaires. Les
neuroleptiques semblaient n’avoir que
peu d’impact sur la vocalisation, leur effet
portant notamment sur la durée des
pauses. Il semble donc que les patients,
quoiqu’ils expriment rarement les émotions, sont cependant conscients de
l’existence de divers types d’émotions.
Mots clés. Émotions – Schizophrénie –
Langage – Prosodie.
Neurobiologie de la
perception des émotions
et troubles psychiatriques
Londres (Royaume-Uni)
P
ercevoir et ressentir des émotions sont
des événements essentiels à la survie
dans un environnement social. Ces dernières années, les études des fondements
neurobiologiques des émotions se sont
multipliées ; elles ont notamment révélé
l’existence d’associations entre des processus spécifiques et les symptômes de
la schizophrénie, des troubles bipolaires
et de la dépression sévère (Phillips ML.
Understanding the neurobiology of emotion perception : implications for psy-
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (20), n° 7, octobre 2003
a capacité à percevoir correctement
les émotions chez les autres constitue
une habileté sociale importante et est
une composante particulièrement cruciale d’une communication sociale et
interpersonnelle efficace. Ces vingt dernières années, un nombre considérable
de travaux s’est intéressé à la capacité des
patients schizophrènes à reconnaître
l’expression des émotions chez les
autres. Un des mécanismes sous-jacents
à cette perturbation de la reconnaissance
des expressions faciales pourrait se rapporter aux stratégies neurocognitives qui
sous-tendent le traitement des stimuli
constitués par les visages. Étant donné
que des perturbations de la cognition
sont communes dans la schizophrénie,
les altérations de la perception des émotions pourraient soit refléter des déficits
spécifiques, soit être des éléments
constitutifs d’une diminution générale
des capacités cognitives. Des perturbations dans la reconnaissance et/ou l’expression des émotions sont également
observées dans un certain nombre
d’autres psychopathologies comme la
dépression, la démence fronto-temporale,
la maladie d’Alzheimer et l’alcoolisme. En
outre, les patients souffrant d’une psychopathologie peuvent subir les conséquences d’une expression critique des
émotions à leur égard, ou d’un surinvestissement émotionnel de la part de leurs
proches.
chiatry. Br J Psychiatry 2003 ; 182 :
190-2). Selon le Dr Philips, qui a fait un
état des lieux des connaissances dans ce
domaine, la perception des émotions
peut être comprise en termes de trois
processus liés entre eux :
a) l’identification d’informations émotionnellement fortes dans l’environnement ;
b) la génération d’expériences émotionnelles et le comportement en réponse
aux informations émotionnellement
fortes de l’environnement ;
c) la régulation des expériences émotionnelles et du comportement.
Le dernier processus peut impliquer l’in-
189
Revue de presse
Revue de presse
hibition des processus a) et b), de telle
sorte que l’état affectif et le comportement générés en réponse aux stimuli
environnementaux soient appropriés au
contexte. Un certain nombre de travaux
fournissent des arguments en faveur de
l’existence d’anomalies spécifiques
dans des régions importantes pour
l’identification de matériel émotionnel
et pour la génération de réponses émotionnelles chez des patients psychiatriques. Des anomalies dans l’expression
et l’identification des émotions ont été
fréquemment observées chez les patients
schizophrènes. Ces perturbations ont
également souvent été mises en relation
avec la pauvreté du fonctionnement
social des patients. Les études neuropathologiques et de neuro-imagerie structurale ont révélé, chez ces patients, des
réductions de volume de l’amygdale, de
l’insula, du thalamus et de l’hippocampe.
En outre, la neuro-imagerie fonctionnelle a démontré un défaut dans l’activation
des régions limbiques en réponse à des
stimuli émotionnels. Chez les patients
souffrant de troubles bipolaires, les
techniques de neuro-imagerie fonctionnelle ont montré une augmentation du
flux sanguin dans une région du gyrus
cingulaire antérieur ventral lors de l’induction d’une humeur triste, une diminution de l’activité dans cette région
chez les patients souffrant de dépression
bipolaire, et une augmentation d’activité
dans cette même zone chez les patients
présentant des troubles maniaques lors
de la génération de mots et au repos.
Chez des patients bipolaires, on a observé, dans l’amygdale, une augmentation
de l’activation en réponse à des expressions faciales de peur. D’autres études
ont également révélé des perturbations
de flux cérébral dans le cortex préfrontal
ventromédian au cours des phases
maniaques. Chez les patients souffrant
de dépression sévère, les recherches ont
révélé des perturbations spécifiques ou
généralisées de l’identification de l’expression faciale des émotions, ou un
biais qui amenait à identifier les émotions exprimées comme tristes. Dans ce
domaine, les observations concernant la
neurobiologie structurale sont sujettes à
controverses, cependant que les techniques de neuro-imagerie fonctionnelle
ont démontré une augmentation du
métabolisme et du flux sanguin dans
certaines régions du gyrus cingulaire, et
une augmentation de l’activité dans
l’amygdale lors d’un épisode dépressif
sévère. l’amélioration des symptômes
était accompagnée d’une réduction du
métabolisme dans les zones du gyrus et
de l’insula. Il semble donc que des anomalies spécifiques dans la structure et la
fonction de régions cérébrales importantes pour l’identification et la réponse
émotionnelles soient associées aux problèmes de dysfonctionnement social
dans la schizophrénie, à la labilité émotionnelle dans le trouble bipolaire et à
l’humeur dépressive dans la dépression
grave. Ces études ont révélé l’importance
de l’amygdale, du striatum ventral et
d’autres régions limbiques, ainsi que
celle du cortex préfrontal ventral dans
l’identification de informations émotionnellement saillantes de l’environnement et dans la réponse à ces stimuli.
Mots clés. Émotions – Schizophrénie
– Trouble bipolaire – Dépression grave.
Expression des émotions
des proches parents
vis-à-vis d’un patient
schizophrène : le cas
des mères
Montréal (Canada) et Coleraine (Irlande
du Nord)
U
n certain nombre de travaux se sont
intéressés aux attitudes générales de
la famille vis-à-vis des patients psychotiques, et ont abouti au concept de
Expressed Emotion (EE : expression des
émotions) proposé par G. Brown en
1962. Les familles à EE élevée sont
celles dont au moins un membre fait un
grand nombre de commentaires critiques à propos du patient, et/ou présente un comportement de rejet ou une attitude critique générale vis-à-vis du malade, ou encore un surinvestissement
émotionnel. De nombreuses études ont
montré que, après leur sortie de l’hôpital
et le retour dans leur famille, les patients
de familles à EE élevée avaient deux fois
plus de risque que ceux de familles à EE
faible de faire une rechute dans les
9 mois consécutifs. L’objectif de cette
étude était de mieux comprendre les
déterminants de l’expression critique
des émotions chez les mères de patients
schizophrènes, en incorporant des données sur leur personnalité, la sévérité des
symptômes des patients et la souffrance
morale subjective des mères dans des
modèles causals de commentaires critiques et de surinvestissement émotionnel. Il s’agissait de déterminer dans
quelle mesure les symptômes de la schizophrénie et la personnalité de la mère
amènent à la sensation de charge subjective chez cette dernière (King S, Ricard
N, Rochon V et al. Determinants of
expressed emotions in mothers of schizophrenia patients. Psychiatry Res 2003 ;
117 : 211-22). Les auteurs ont recueilli
des données sur la sévérité des symptômes des patients (par la PANSS), sur la
personnalité des mères, la sensation subjective de fardeau et l’expression des
émotions pour 41 patients ambulatoires
et leurs mères. Les calculs statistiques
démontrent que les commentaires critiques des mères étaient associés à une
plus grande excitation du patient, à une
névrose moindre et à une sensation de
fardeau élevée chez la mère. Cette dernière sensation, ainsi que le caractère
plus consciencieux de la mère expliquaient son surinvestissement émotionnel. L’originalité de cette étude tient au
fait que, contrairement à la plupart des
études qui se sont intéressées à des
périodes où le patient était hospitalisé,
dans celle-ci, l’expression des émotions
a été évaluée au cours d’une période où
le patient était à la maison et stabilisé.
Cette étude apporte un jour nouveau sur
l’expression des émotions de la mère à
EE élevée : pendant la période ambulatoire du patient, elle semble moins
névrotique et plus consciencieuse que la
mère à EE faible. De plus, ses commentaires critiques semblent être déterminés
non pas par les symptômes positifs ou
négatifs du patient, mais plutôt par la
sévérité de l’excitation du patient.
Mots clés. Émotions – Schizophrénie
– Mère.
190
Revue de presse
Revue de presse
Expression des émotions
et environnement familial
dans la boulimie
Munich (Allemagne)
S
e fondant sur le même concept d’expression critique des émotions par la
famille (EE), des chercheurs allemands
se sont intéressés à l’expression des
émotions dans l’environnement de
30 patientes atteintes de boulimie (bulimia nervosa) (Hedlund S, Fischer M,
Quadflieg N, Brandl C. Expressed emotion, family environment, and parental
bonding in bulimia nervosa : a 6-year
investigation. Eat Weight Disord 2003 ;
8 : 26-35). Les patientes ont été réparties
en deux groupes, selon que l’environnement familial présentait une EE forte ou
faible, d’après la grille d’entretien familial de Camberwell. Elles ont été suivies
pendant six ans. Le groupe à EE élevée
présentait au départ des taux de psychopathologie plus élevés que l’autre groupe.
Aucune interaction entre groupe et
temps n’a été observée, mais le groupe à
EE élevée montrait une évolution moins
bonne pour les échelles de “conflit” et
d’“organisation” de la grille d’environnement familial. Ce groupe présentait
aussi plus de pathologies des conduites
alimentaires et de boulimie, et cela avant
le début du traitement au moment de la
sortie de l’hôpital, mais aussi deux ans
après et, dans une certaine mesure, encore
au bout de 6 ans. L’intensité de la dépression (selon le Beck Depression Inventory)
était également significativement plus
élevée dans le groupe à EE élevée lors
de l’admission (dépression modérée), à
la sortie, et au bout des 6 ans de suivi
(dépression légère). Le statut familial
d’expression critique des émotions vis-
◗ Paradiso S, Andreasen N, CrespoFacorro B et al. Emotions in unmedicated
patients with schizophrenia during evaluation
with positron emission tomography. Am J
Psychiatry 2003 ; 160 : 1775-83.
Lors de l’évaluation consciente d’images
déplaisantes, on n’observe pas, chez les
patients schizophrènes, d’activation des circuits phylogénétiquement impliqués dans
la reconnaissance de la peur et du danger.
à-vis du patient est donc un facteur prédictif pertinent de la sévérité et de l’évolution de la boulimie et des symptômes
dépressifs, puisque les patients boulimiques ayant un environnement familial
à EE élevée étaient plus malades au
départ et évoluaient moins bien que les
autres.
Mots clés. Boulimie – Dépression
– Expression familiale des émotions.
Jalousie et psychopathologie : un lien
sérotoninergique ?
sée selon les protocoles classiques. Les
auteurs ont observé, chez les jaloux, une
densité plus faible de la liaison de la
paroxétine, et une ou plusieurs conditions du spectre psychiatrique. Leurs
résultats suggèrent qu’une jalousie
excessive est associée à diverses formes
de psychopathologie et qu’elle pourrait
être sous-tendue par des altérations du
système sérotoninergique. Toutefois, le
fait que les questionnaires de psychopathologie n’ont pas été administrés aux
sujets contrôles fragilise la fiabilité de
ces observations.
Mots clés. Émotions – Psychopathologie
– Jalousie – Sérotonine.
Pise (Italie)
U
n certain nombre d’études suggèrent
que divers neurotransmetteurs pourraient jouer un rôle dans l’expression de la
jalousie. Cette étude italienne (!) s’est
attachée à explorer le système sérotoninergique en mesurant la liaison (binding)
de paroxétine marquée sur les membranes des plaquettes de sujets sains présentant ou non des préoccupations
jalouses excessives, évaluées à l’aide
d’un questionnaire spécifique des relations affectives (QAR : questionnaire for
affective relationship). (Marazziti D,
Rucci P, Di Nasso E, et al. Jealousy and
substhreshold psychopathology : a serotoninergic link. Neuropsychobiology
2003 ; 47 : 12-6). L’échantillonnage
comprenait 21 sujets jaloux et autant de
sujets contrôle ne ressentant pas une
jalousie excessive. Une batterie de tests
d’auto-évaluation a été remplie par les
sujets du premier groupe pour détecter la
présence d’une psychopathologie
typique, atypique ou subliminaire. La
mesure de la liaison de la paroxétine sur
les membranes plaquettaires a été réali-
Viennent de paraître
◗ Kohler C, Turner T, Bilker W et al. Facial
emotion recognition in schizophrenia :
intensity effects and error pattern. Am J
Psychiatry 2003 ; 160 : 1768-74. La capacité des patients schizophrènes à reconnaître les émotions est altérée pour tous les
types d’émotions, en particulier la peur et
le dégoût, et l’augmentation du niveau
d’intensité est sans effet sur eux.
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (20), n° 7, octobre 2003
Perturbations émotionnelles
et comportementales chez
les enfants de parents
dépressifs avec accès
de colère
Boston (États-Unis)
U
ne étude menée auprès de 58 enfants
âgés de 6 à 17 ans a montré que les
enfants de parents déprimés sujets à des
crises de colère avaient des performances scolaires et sociales moins
bonnes et des scores de délinquance plus
élevés que les enfants de parents dépressifs mais sans crises de colère, ainsi que
des problèmes d’attention et un comportement agressif. De plus, ce groupe avait
un score de psychopathologie plus élevé
(Alpert J, Petersen T , Papakostas G et
al. Behavioral and emotional disturbances in the offsprings of depressed
parents with anger attacks. Psychother
Psychosom 2003 ; 72 : 102-6).
◗ Moberg P, Arnold S, Doty R et al.
Impairment of odor hedonics in men with
schizophrenia. Am J Psychiatry 2003 ;
160 : 1784-9.
Les patients schizophrènes de sexe masculin présentent une déficience spécifique
dans la capacité d’attribuer une valence
hédonique pertinente aux odeurs.
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