D O S S I E R L’ataxie-télangiectasie ● Jacques-Olivier Bay*, Yves-Jean Bignon* L’ ataxie-télangiectasie (A-T) est une maladie génétique héréditaire rare qui associe cliniquement une ataxie cérébelleuse, des télangiectasies cutanées et/ou oculaires, des syndromes infectieux à répétition, une hypersensibilité aux radiations ionisantes et un risque élevé de pathologies cancéreuses (1). Ces dernières sont surtout des hémopathies malignes. Une instabilité chromosomique est observée sur le plan cytogénétique. Biologiquement, outre le déficit immunitaire humoral et cellulaire, une élévation de l’α fœto-protéine est quasi constante (2). Des mutations du gène ATM (localisé au locus 11q23.1) sont responsables de cette maladie (3). Chez les hétérozygotes, il n’existe pas de symptômes déficitaires. Cependant, avant le clonage du gène de l’A-T, différents auteurs ont rapporté un taux d’incidence de cancer chez les hétérozygotes plus élevé que dans la population générale. Il s’agit notamment de cancers du sein chez les femmes hétérozygotes de moins de 60 ans mais aussi, sans distinction de sexe, des cancers du foie et de l’estomac (4-7). Les études de Swift et coll., aussi bien rétrospectives que prospectives, ont permis d’estimer un risque relatif (RR) de cancer multiplié par 3,7 chez l’homme et par 3,5 chez la femme (6). Considérant la fréquence des hétérozygotes A-T dans la population (environ 1 %) et le RR des cancers du sein, Easton estime que 3,8 % des nouveaux cas de ces cancers du sein peuvent survenir chez des femmes dont un allèle du gène ATM est inactivé (8). Malgré le clonage du gène ATM en 1995, les études moléculaires n’ont pas permis d’apporter une conclusion définitive quant à l’implication de ce gène dans les cancers du sein, et leur pénétrance exacte chez les femmes hétérozygotes A-T reste à préciser. Si, cliniquement, les hétérozygotes A-T n’ont aucune anomalie, leur phénotype cellulaire n’est pas normal. En effet, leurs fibroblastes et leurs lymphocytes sont plus sensibles aux radiations ionisantes, avec une sensibilité intermédiaire entre celle observée chez les homozygotes et celle de la population non A-T (9). L’instabilité chromosomique et la radiosensibilité sont donc bien présentes chez les hétérozygotes A-T et peuvent peut-être expliquer partiellement cette prédisposition aux cancers du sein. * Laboratoire d’oncologie moléculaire INSERM CRI 9502 & EA 2145, Centre Jean-Perrin, Clermont-Ferrand. La Lettre du Sénologue - n° 5 - septembre 1999 Trois questions restent posées. 1. La prédisposition aux cancers du sein justifie un dépistage précoce par mammographie. Mais l’incidence possible de cet examen sur des cellules présentant in vitro une radiosensibilité intermédiaire soulève un problème important : faut-il s’abstenir d’un tel examen et diagnostiquer trop tardivement une néoplasie mammaire, ou le réaliser et prendre un risque théorique de faciliter la cancérogenèse ? Il nous semble raisonnable de dédramatiser ce risque et de proposer à ces femmes des examens cliniques réguliers ainsi que des échographies et des mammographies une fois par an, voire tous les deux ans à partir de l’âge de 35 ans. Selon les conditions de réalisation du cliché, l’incidence et l’épaisseur du sein, les doses de radiations ionisantes absorbées varient entre 7,6 mGy et 37 mGy à l’entrée et entre 1 mGy et 1,9 mGy à mi-épaisseur. La dose à la sortie se situe généralement entre 0,3 mGy et 0,8 mGy. En France, dans les campagnes de dépistage des cancers du sein par mammographie, les critères de qualité imposent une dose à la peau inférieure à 12 mGy, ce qui constitue, dans ces conditions, une dose d’irradiation faible au niveau du sein. Les mammographies doivent donc être réalisées avec de bons appareils dont la dose délivrée pourrait, dans l’idéal, être quantifiée. Il serait surprenant que, malgré leur statut génétique hétérozygote, cet examen constitue un risque supplémentaire. Il convient donc d’informer les radiologues et de les prévenir de ce risque spécifique. 2. Considérant cette radiosensibilité intermédiaire, faut-il réduire les thérapeutiques génotoxiques chez des femmes hétérozygotes A-T affectées par un cancer ? Les études moléculaires du gène ATM chez des patients irradiés, ayant développé une toxicité aiguë ou chronique au traitement, se sont révélées jusqu’à ce jour négatives. De la même façon, les hétérozygotes A-T traités pour des maladies tumorales par chimiothérapie et/ou radiothérapie n’ont pas plus d’effets indésirables que chez les patients traités dans la population normale. Ces constatations justifient la réalisation d’un traitement anticancéreux optimal chez les hétérozygotes A-T lorsque celui-ci est nécessaire. 3. Le risque relatif de cancer observé chez les hétérozygotes A-T justifie-t-il leur recherche systématique dans les populations si des moyens simples de détection sont applicables efficacement ? Le but serait double : rechercher une éventuelle hétérozygotie du gène ATM chez le conjoint afin de prévenir la naissance d’un enfant affecté par l’A-T, et mettre en place des 29 D O S S I E R stratégies de dépistage précoce des cancers du sein. Cependant, la faible incidence des hétérozygotes A-T dans la population et leur faible pénétrance de cancer du sein rendent le rapport coût/bénéfice important, avec des réalités économiques rédhibitoires. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Boder E., Sedgwick R.P. Ataxia-telangiectasia. A familial syndrome of progressive cerebellar ataxia, oculocutaneous telangiectasia and frequent pulmonary infection. Pediatrics 1958 ; 21 (4) : 526-54. 2. Gatti R.A. Ataxia-telangiectasia. In : The genetic basis of human cancer/ed. par B. Vogelstein et K.W. Kinsler. New York : McGraw-Hill, 1998 : 275-300. 30 3. Savitsky K. et coll. A single ataxia-telangiectasia gene with a product similar to PI3 kinase. Science 1995 ; 268 : 1749-53. 4. Pippard E.C. et coll. Cancer in homozygotes and heterozygotes of ataxiatelangiectasia and xeroderma pigmentosum in Britain. Cancer Res 1988 ; 118 : 2929-32. 5. Borresen A.L. et coll. Breast cancer and other cancers in Norwegian families with ataxia-telangiectasia. Genes Chromosom. Cancer 1990 ; 2 : 339-40. 6. Swift M. et coll. Incidence of cancer in 161 families affected by ataxia-telangiectasia. N Engl J Med 1991 ; 325 : 1831-6. 7. Chessa L. et coll. Ataxia-telangiectasia in Italy : genetic analysis. Int J Radiat Biol 1994 ; 66 : S31-S33. 8. Easton D.F. Cancer risks in AT heterozygotes. Int J Radiat Biol 1994 ; 66 : 177-82. 9. Weeks D.E. et coll. Assessment of chronic gamma radiosensibility as in vitro assay for heterozygote identification of AT. Radiation Res 1991 ; 128 : 90-9. La Lettre du Sénologue - n° 5 - septembre 1999