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> Actualités
NICE
> Utilisation des nouveaux antiépileptiques :
le rapport du NICE
(National Institute for Clinical Excellence)
>
P. Genton
Procédures de fonctionnement
du NICE
Cet institut fonctionne avec un panel permanent mis en place pour 3 ans inc l ua nt pharmacologues, cliniciens, économistes et représ e nt a nts d’associa t io ns de patie nt s. Av a nt
publication de leur rapport, ils ont entendu
les représentants de l’industrie pharma c e utique, les professionnels concernés, l’adm i n i stration et les associations de patients. Toutes
ces organisations et personnalités ont eu à se
p ro no ncer sur un rapport prélimina i re établi
par le Centre d’économie de la santé de l’université de York. Puis, un document de synthèse
a été publié en octobre 2003 et mis en lig ne
sur le site Internet de NICE (www.nice.org.uk).
Position générale du problème
de l’épilepsie
Les données épidémiologiques ang l a i s e s
permettent de chiffrer la prévalence de l’épil e p s ie autour de 7,7 cas pour 1 000, avec
environ 400 000 sujets concernés au niveau
du pays. L’incidence annuelle se situe autour
de 50/100 000 habitants. Les patients sont en
g é n é ral traités par mo no t h é ra p ie. Les changements de mo nothérapie se font de manière
très pro g re s s i v e. Près de 30 % des patie nt s
continuent à présenter des crises malgré plusieurs monothérapies successives.
Les médicaments les plus prescrits en GrandeBretagne sont le valproate de sodium (VPA) et
la carbama z é p i ne (CBZ), mais la phény t o ï ne
(PHT) est encore très utilisée. La CBZ est ind iquée dans les crises focales et les crises généralisées tonicocloniques (CGTC), elle est utilisée comme MAE de premier choix dans ces
indications. Le VPA est un MAE à large spectre
qui est indiqué dans tous les types de crises.
Il est indiqué en pre m i è re intent ion da ns
22
L’arrivée, depuis une dizaine d’années, de nombreux médicaments
antiépileptiques (MAE) (tableau I) a modifié les prescriptions
des neurologues et neuropédiatres. Un nouveau médicament se heurte
souvent à de nombreuses difficultés : restrictions réglementaires,
habitudes thérapeutiques bien ancrées, méfiance par manque de recul
face aux effets indésirables potentiels. . . De plus, les autorités
sanitaires des différents pays sont sensibles à leur coût élevé
par rapport aux médications de référence.
Néanmoins, les médecins ont essayé d’établir des consensus
sur l’utilisation optimale de ces nouveaux MAE, en associant les avis
d’experts et les enquêtes d’opinion auprès des épileptologues. Chez
nos voisins britanniques, le National Institute for Clinical Excellence
(NICE) a essayé de définir l’utilisation optimale des nouveaux MAE.
Nous rendons compte ici de cette publication en relevant les éléments
contributifs à une meilleure pratique de l’épileptologie.
Ta bl eau I. M é d i ca m e nts antiépileptiques disponibl es en France en 2004, par année de
commercialisation.
DCI
Antiépileptiques anciens
phénobarbital
phénytoïne
Antiépileptiques “classiques”
éthosuximide
carbamazépine
valproate de sodium
benzodiazépines
Antiépileptiques “nouveaux”
vigabatrine
felbamate
gabapentine
lamotrigine
tiagabine
topiramate
fosphénytoïne
oxcarbazépine
lévétiracétam
zonisamide
Nom commercial
Mise sur le marché
Gardénal®, Alepsal®
Dihydan®
1912
1938
Zarontin®
Tégrétol®
Dépakine®
Valium®, Rivotril®, Urbanyl®
1960
1964
1967
1960-1979
Sabril®
Taloxa®
Neurontin®
Lamictal®
Gabitril®
Epitomax®
Prodilantin®
Trileptal®
Keppra®
Zonegran®
1991
1994 (prescription hospitalière)
1995
1996
1997
1998
1999
2001
2003
2002 (sous ATU)
D’ au tres médica ments, non mentionnés ici, peu vent être utilisés dans le traitement de certaines épi lepsies, dans
des indications particulières.
La Lettre du Neurologue - Suppl. Les Actualités au vol. VIII - n° 6 - juin 2004
toutes les crises généralisées d’emblée. La
PHT est indiquée dans les crises partielles et
les CGTC, elle est également indiquée officie llement dans la prévention et le traitement de
crises survenant en milieu neurochirurg ic a l
ou après traumatisme crânien sévère. D’autres
médications sont utilisées moins souvent : le
phénobarbital (crises tonic o c l o n i q u e s, mais
aussi absences atypiques et crises toniques) ;
l’étho s u x i m ide est utilisé dans les absences,
mais le VPA lui est en général préféré en ra ison de son plus large spectre. Le clonazépam
est indiqué dans les CGTC et les crises focales,
et le clobazam en ajout dans les épilepsies
re b e l l e s. L’ a c é t a z o l a m ide est indiquée en
ajout dans divers types de crises.
Chaque médicament a ses propres effets ind ésirables, en particulier au niveau du système
nerveux cent ral. Ces effets ind é s i rables sont
do s e - d é p e nda nt s, et peuvent être difficiles
à discerner des conséquences de la maladie
épileptique.
Les effets de ces MAE sur le fœtus donnent à
réfléchir car tous ont été associés à des ma lformatio ns. Les polythérapies entraînent un
risque plus élevé, mais celui-ci peut aussi être
lié à la sévérité de l’épilepsie maternelle.
Principes de base du traitement
des épilepsies
Les nouveaux MAE suivants ont été considérés : gabapentine (GBP), lamotrigine (LTG),
l é v é t i racétam (LEV), oxc a r b a z é p i ne (OXC ) ,
tiagabine (TGB), topiramate (TPM) et vigabatrine (VGB). Ils sont recommandés dans le
traitement des épilepsies lorsque les patients
n’ont pas pu suivre un traitement utilisant
un antiépileptique classique pour les raisons
suivantes :
– contre-indic a t ion à l’utilisation de ces
médications ;
– interaction médicamenteuse (contraceptifs
oraux par exemple) ;
– intolérance aux médicaments classiques ;
– patiente en âge de procréer.
Les principes de base du tra i t e me nt ant iépileptique sont rappelés et consensuels :
– monothérapie puis, en cas d’échec, seconde
monothérapie ;
– p o l y t h é ra p ie après échec de plusie u r s
monothérapies ;
– combinaison de MAE retenue : meilleur compromis possible entre efficacité et tolérance ;
– f e m me en âge de procréer : prendre en
compte les int e ra c t ions possibles avec les
contraceptifs oraux, évaluer le risque de malfo r ma t ion chez le fœtus (précaution particulière dans l’utilisation du VPA) ;
– après une pre m i è recrise, le patie nt doit
consulter dès que possible un épileptologue ;
– réévaluation régulière du traitement ant iépileptique.
Ces recommanda t io ns générales s’appliquent
aux populatio ns partic u l i è res telles que les
sujets âgés et les porteurs d’un hand ic a p
intellectuel.
Antiépileptiques nouveaux
En Gra nde-Bretagne, les nouveaux MAE sont
tous recommandés en traitement associé, mais
trois ont une indication en monothérapie : la
LTG, l’OXC et le TPM. L’avantage principal de ces
nouveaux MAE est qu’ils sont associés potentielleme nt à une meilleure qualité de vie, en
partie liée à une baisse des effets indésirables.
En revanche, les effets délétères sur le fœtus
restent insuffisamment documentés.
La LTG a été commercialisée comme traitement
associé en 1991 et a reçu l’ind ic a t ion de la
monothérapie en 1995 (>12 ans). Elle n’affecte
pas l’efficacité des contraceptifs oraux.
L’OXC est indiquée chez l’adulte et l’enfant de
plus de 6 ans en mono- ou en polythérapie,
dans le traitement des crises partielles avec
ou sans généralisation secondaire. Elle provoque moins d’interactio ns que la CBZ, ma i s
interagit avec les contraceptifs oraux.
Le TPM est indiqué en tra i t e me nt associé
chez l’adulte et l’enfant de plus de 2 ans non
c o ntrôlés par les MAE classiques, pour les
crises focales avec ou sans généralisation,
les crises du syndrome de Lennox-Gastaut, et
les CGTC d’emblée. Il est aussi recommandé
en mo nothérapie chez l’adulte et l’enfa nt de
plus de 6 ans avec CGTC et crises partie l l e s
avec ou sans généralisation. Il provoque peu
d’interactions, mais interfère avec les contraceptifs oraux.
La GBP est indiquée en association pour les
crises focales avec ou sans généra l i s a t io n
chez des patie nts non contrôlés, ou présent a nt des effets collatéraux, sous MAE class i q u e s. Elle n’int e r f è re pas avec les autres
médicament s. L’enfant de 6 à 12 ans doit être
surveillé par un neurologue.
Le LEV est indiqué en associa t ion da ns les
crises partielles avec ou sans généralisation.
Il n’est pas recommandé pour les enfants de
moins de 16 ans. Il ne présente pas d’interactions médicamenteuses recensées à ce jour.
La TGB est indiquée en associa t ion da ns le
t ra i t e me nt des crises focales avec ou sans
généralisation, chez l’adulte et l’enfant de plus
de 12 ans. Elle n’affecte pas les concentrations
plasmatiques des contraceptifs oraux ou des
autres MAE, mais les MAE inducteurs enzymatiques augmentent le métabolisme de la TGB.
Le VGB a une ind ic a t ion limitée au tra i t eme nt associé seuleme nt en cas d’échec de
toutes les autres combina i s o ns de MAE. Le
VGB ne doit pas être utilisé en monothérapie de première intention, excepté dans les
spasmes infantiles. Il doit être initié par un
spécialiste de l’épilepsie.
Le rapport fait ensuite état du coût des no uveaux MAE par rapport aux anc ie ns. À des
doses mo y e n nes, le coût de 28 jours de tra iteme nt est de 5 à 10 fois plus élevé. Depuis
1991, date de l’introduction du vig a b a t r i ne,
la part des nouveaux MAE dans les pre s c r i ptions est passée de 0,1 % à 11,2 % et, actuellement, ils représentent 69 % des dépenses
pour cette classe thérapeutique. Certains de
ces nouveaux MAE sont cependant prescrits
pour d’autres indications que l’épilepsie, ce
qui peut expliquer en partie cette tendance
expansive.
Place des antiépileptiques nouveaux
Efficacité clinique
La grande majorité des études a été menée
en associa t io n : malgré un gra nd nombre
d ’ é t udes, il y a très peu de données permett a nt de comparer l’efficacité des no u v e a u x
MAE entre eux. En revanche, l’efficacité contre
placebo a été démontrée pour tous les nouveaux MAE.
La Lettre du Neurologue - Suppl. Les Actualités au vol. VIII - n° 6 - juin 2004
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> Actualités
NICE
Tolérance
L’améliora t ion de la qualité de vie est supposée être le principal avantage des nouveaux
MAE. Cependant, 9 études seuleme nt sur les
19 compara nt une mo no t h é ra p ie avec MAE
nouveau versus MAE ancien ont évalué la qualité de vie. Qua t re de ces études ont constaté une différence significative en faveur de
la LTG sur au moins un item de qualité de vie.
Sur trois études OXC incluant une évaluation
de la qualité de vie, une seule a trouvé des
différences en faveur de l’OXC.
Une autre manière d’approcher la qualité de
vie consiste à mesurer le délai de sortie d’étude
(8/19 é t udes comparant MAE nouveaux et
a nc iens). Trois des études sur la LTG (cont re
CBZ, VPA ou MAE choisi par le prescripteur)
ont rapporté un avantage pour la LTG. Pour
l’OXC, la comparaison avec la PHT était avantageuse, mais pas avec le VPA. Pour le TPM, il
y avait un avantage, mais non significatif.
Peu de données ex i s t e nt perme t t a nt de se
faire une opinion sur les avantages des no uveaux MAE chez le sujet âgé ou chez les
patients présentant un re t a rd me ntal. Une
étude a fourni quelques éléments en faveur
d’un effet bénéfique pour la LTG et la GBP
dans une population de patients handicapés
mentaux.
Tératogénicité
Les études sont insuffisantes pour évaluer le
risque téra t o g è ne des nouveaux MAE. Les
données préliminaires du registre britannique
des grossesses évaluent, sur 2 028 g ro ssesses, le risque de malformations congénitales ma j e u res à 4 % chez les femmes sous
monothérapie et à 6,3 % sous polythérapie,
contre seuleme nt 0,9 % dans un petit groupe
de femmes non traitées. Le risque est évalué
à 2,3 % sous CBZ, 7,2 % sous VPA, 3 % sous
LTG. Mais ce registre ne fait pas état du risque
pour les autres MAE nouveaux. La différence
entre LTG et VPA n’était pas significative.
Rapport coût-efficacité
Il a été fo ndé sur l’évalua t ion économique
des quatre études sous mo nothérapie avec un
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nouveau MAE, celles-ci ayant été établies sur
un modèle de minimisation des coûts et partaient du postulat d’une efficacité identique.
Malgré des différe nces métho do l o g i q u e s,
toutes les études ont eu des résultats comparables. Même si le meilleur scénario était
retenu pour le MAE nouveau, et le plus ma uvais pour le MAE ancien, une monothérapie
avec MAE ancien a été constamment moins
coûteuse.
Quant au critère “qualité de vie”, il fut analysé à partir d’une simulation issue des études
contrôlées et il prenait en compte la réduction d’au moins 50 % des crises ainsi que la
proportion de patients ayant stoppé le traitement. Les résultats se sont avérés assez
décevant s, ce modèle n’ayant pas permis de
me t t re en évide nce de ma n i è re certaine le
MAE ayant le meilleur rapport prix-efficacité.
D’autres modèles ont été proposés avec des
résultats diverge nts selon le type de crise
traité et selon les MAE comparés.
Les conclusions du NICE
Le comité a souligné que la grande hétérogénéité des épilepsies n’était pas bien prise en
compte par les études cliniques. Une approche
t e na nt compte des facteurs écono m i q u e s
(rapport efficacité-coût) semble justifiée. Le
potentiel tératogène des nouveaux MAE reste
un sujet préoccupant. Il a égaleme nt noté
l ’ a b s e nce de données suffisantes pour le
traitement des populations spéciales, comme
les sujets âgés et les sujets présentant un
handicap mental.
Le comité a soulevé le pro b l è me de l’utilisation de génériques : il a émis des craintes,
particulièrement en ce qui concerne les MAE
plus anciens (par exemple, de faibles variat io ns d’absorption peuvent mo d i f ier cons idéra b l e me nt les taux sanguins de la PHT),
mais il reconnaît l’absence de données suffisantes dans ce domaine pour permettre des
recommanda t io ns sur l’utilisation des génériques.
Le comité a mis enfin l’accent sur l’importance d’une prise en charge précoce des épi-
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l e p s ies par des méde c i ns compétents da ns
ce domaine.
Il a égaleme nt re c o m ma ndé l’organisation
d’études sur l’évolution à long terme, sur le
rapport efficacité-coût dans une cohorte de
3 000 patie nts sur une période de 3 ans. Cette
é t ude compare ra la CBZ ou le VPA aux MAE
récents. Elle fo u r n i ra des données solides
sur l’efficacité des nouveaux MAE.
En conclusion : une perspective
plus française ?
Le travail de ce groupe mérite, à l’évidence,
d ’ ê t re lu et médité. Il est certain que les
c o nd i t io ns de fonc t io n ne me nt de la médec i ne en Fra nce sont très différe nt e s, et un
p a t ie nt épileptique a toutes les chances
d’être reçu rapideme nt par un neurologue et
de disposer ainsi d’un avis autorisé. Ainsi,
u ne confére nce de cons e ns u s, en Fra nc e,
perme t t rait de dégager des conclusio ns sans
doute quelque peu différe ntes mais no n
moins hautement contributives.
En ce qui conc e r ne les MAE nouveaux, les
conclusions du NICE soulig nent le peu d’éléme nts objectifs, contrôlés, perme t t a nt d’établir leurs avant a ges par rapport aux MAE
plus classiques. La pratique française se fonde
sur une appro c he syndromique qui détermine gra ndeme nt le choix et les mo da l i t é s
thérapeutiques. Ainsi, le VPA reste le MAE le
plus utilisé en première intention, en particulier, du fait de son large spectre d’action
re c o u v ra nt toutes les fo r mes d’épilepsie s,
avec un risque minimum d’aggravation paradoxa l e. Dans les épilepsies partie l l e s, le
c hoix reste vaste et de no m b reux critères
interviendront. En tout état de cause, choisir le bon tra i t e me nt pour le bon patie nt
représente la grande responsabilité des ne urologues (et a fortiori des épileptologues).
D a ns cette décision, l’ex p é r ie nce clinique
joue un rôle aussi important que les do nnées fo u r n ies par les études, contrôlées ou
non, la littéra t u re et les conclusio ns de s
■
groupes d’experts.
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