Après un pontage aorto- coronarien

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Après un pontage aortocoronarien
n P. Abastado*
Les suites postopératoires d’un pontage aorto-coronarien se sont modifiées ces
dernières années. Plusieurs éléments concourent à cette transformation.
Les patients pontés ne sont plus les mêmes. La
généralisation de l’angioplastie a abouti à une
sélection des patients les plus graves : tritronculaires et au-delà, mauvaise fonction ventriculaire.
Les durées d’hospitalisation se sont raccourcies.
Les schémas classiques supposent 24 à 48 heures
postopératoires, huit jours de salle, un passage
bref dans le service hospitalier d’origine avant
un départ en rééducation pour trois semaines.
Entre l’acte opératoire et le retour à domicile,
six semaines s’écoulaient. Aujourd’hui, le
patient arrive de son domicile juste avant son
entrée au bloc, il ne reste qu’une huitaine dans
le service de chirurgie, échappe à la convalescence et retrouve son logis vers le dixième jour.
Malgré les bénéfices nombreux de la rééducation,
la tendance au retour rapide vers le domicile va
s’accentuer avec l’emploi des “mini”-circulation
extra-corporelles, les pontages à cœur battant ou
les cœliochirurgies coronariennes. Les éléments
de suivi peuvent être systématisés en :
– la surveillance de l’absence d’infection ;
– la qualité de la cicatrice et de la paroi ;
– le péricarde ;
– le muscle myocardique et l’hémodynamique ;
– le rythme ;
– enfin, les coronaires.
SURVEILLANCE DE L’ABSENCE D’INFECTION
Le premier critère est la température. Dans les
48 premières heures, une fièvre est systématique. La défervescence thermique s’associe,
vers le troisième ou quatrième jour, à une crise
urinaire. La persistance d’un train fébrile, audelà du cinquième jour, doit conduire à s’assurer du statut infectieux et inflammatoire.
La leucocytose est un critère simple. Dans le
postopératoire immédiat, 20 000 globules
blancs ne surprennent pas. Durant la première
semaine se produit une baisse de la leucocytose, aussi, plus que la valeur absolue, la
décroissance régulière des globules blancs est
de bon pronostic.
Le second paramètre accessible est la cicatrice.
Un sous-sol sain, non infecté, assure l’“étanchéité” du malade. Un retard à la fermeture de la
peau, un écoulement, une désunion secondaire
doivent inquiéter. Un prélèvement local à visée
bactériologique s’impose. La fièvre peut être
absente, surtout si un écoulement assure un drainage spontané. Le patient doit être adressé en
urgence à son chirurgien. La sternite, pire, la
médiastinite sont la phobie du postopératoire.
Il ne faut pas oublier que le malade a “bénéficié”
d’un sondage urinaire, d’une intubation trachéale, de multiples abords veineux ou artériels.
Chaque geste comporte son risque bactérien.
Des prélèvements s’imposent au moindre signe
clinique. L’antibiothérapie première est à proscrire, le patient provient d’un milieu hospitalier
apte à sélectionner des germes résistants à une
antibiothérapie probabiliste. Une fièvre persistante, sans foyer d’appel, doit conduire à des prélèvements systématiques en tous ces sites.
Des pièges classiques ne doivent pas être oubliés :
une infection des sinus à dépister par scanner et,
plus rares, un abcès dentaire. En dehors du retour à
domicile, une complication classique des patients
longtemps hospitalisés en réanimation, la cholécystite, n’est pas exceptionnelle.
LA QUALITÉ DE LA CICATRICE ET DE LA PAROI
L’examen de la paroi doit être systématique.
L’inspection doit dépasser la cicatrice et porter
Correspondances en médecine - n° 3-4, vol. IV - juillet-décembre 2003
* Cardiologue, 56, avenue Kleber, 75116 Paris.
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sur les traces de drains ; le pli inguinal, lieu d’une
coronarographie et de certaines CEC, mais aussi les
bras, le cou où des cathéters furent posés. Ensuite, la
palpation s’assure par la pression douce d’un hémithorax de la solidarité de l’autre hémithorax. Ainsi, en
jouant d’une main posée à plat, puis de l’autre, la solidité de la paroi est testée. Un craquement, une mobilité réduite évoquent un retard de consolidation qui
peut aboutir à une pseudarthrose voire à une désunion sternale. La hantise est l’infection sous-jacente,
un train fébrile, un fil qui lâche, une peau rebelle et le
réflexe du médecin conduit le malade au chirurgien.
Lorsque ces défauts persistent à moyen terme, la procédure s’effectue plus calmement. Un fil d’acier peut être
glissé sous le sternum, quelques points peuvent accélérer
la fermeture. Il y a habituellement une réticence à renforcer
le sternum vers la troisième semaine, période à plus forte
activité inflammatoire de ce qui fut le champ opératoire.
Le plus souvent, la peau fermée, aucun geste de renforcement n’est effectué. La pseudarthrose demeure,
avec pour inconvénient des douleurs à la toux, finalement acceptées par le patient.
L’évolution des douleurs thoraciques en fonction du
temps mérite d’être connue. L’angor, toujours craint, est
finalement rare en cas de montage correct et de revascularisation complète. Les premiers jours, les douleurs
sont antérieures, dues à l’abord trans-sternal. Progressivement, ces douleurs se déplacent vers le dos et finissent
par prédominer sur le rachis. Le mécanisme retenu est
celui d’une subluxation des articulations costales postérieures provoquées par l’écartement de la cage. Des douleurs localisées se surajoutent, il est tentant d’y voir de
petits névromes sur les sites de dissection mammaire.
Enfin, la cicatrice cutanée peut devenir chéloïde sur la
totalité ou une partie de sa longueur. L’aspect définitif
n’est fixé que tardivement, après au moins deux ans. Des
pansements sous forme de résine à mémoire de forme
(Cica-Care®) peuvent être appliqués pour réduire les
risques de chéloïde. La chéloïde constituée est d’abord
traitée par corticoïdes locaux (Dermoval®, Betneval®)
avant d’être confiée au dermatologue, voire au chirurgien
esthétique.
LE PÉRICARDE
Nous n’évoquons pas l’hémopéricarde précoce lié à
un défaut d’hémostase ni la péricardite liquidienne
précoce qui est dépistée par l’échocardiographie systématique de sortie dans le service de chirurgie.
L’épanchement péricardique est une complication fréquente dans les suites opératoires, avec un pic de survenue entre la deuxième et la troisième semaine. Le
mécanisme est inflammatoire.
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Sa recherche doit être systématique par échocardiographie, rendant la complicité d’un cardiologue indispensable. La symptomatologie est diverse. Parfois, la
douleur est typique, inspiratoire, mais chez un patient
dont le thorax vient d’être maltraité, la sémiologie est
souvent atypique : douleurs localisées, pseudo-angineuses, points de côté… Le malade est légitimement
angoissé, à l’écoute de ses symptômes thoraciques,
ce qui rend l’interrogatoire difficile. La douleur peut
être absente et la péricardite apparaître sous la forme
d’un malaise vagal, voire d’une tamponnade avec fléchissement de la diurèse, tachycardie et instabilité
hémodynamique.
Des outils biologiques sont utiles pour suivre le tableau
inflammatoire. La CRP, très sensible, est de maniement
aisé. Le traitement repose sur les anti-inflammatoires. Le
spectre est large, allant de l’aspirine à des doses de 2 à
3 g/jour, à la colchicine (dépourvue d’action anti-agrégante), aux AINS voire, dans les formes chronicisées, aux
corticoïdes. Le drainage chirurgical est exceptionnel, il
permet une histologie et ne nécessite pas le recours à une
CEC.
LE MUSCLE MYOCARDIQUE ET L’HÉMODYNAMIQUE
Le statut musculaire est un problème croissant. Les indications actuelles se portent sur les insuffisances coronaires à mauvaises fonctions VG. La chirurgie à cœur battant permet d’opérer des patients encore plus sévères.
L’oxygénation peut, certes, améliorer des territoires
ischémiques mais ne rend pas une contractibilité à des
territoires infarcis. Une iatrogénie est également à
craindre, liée à une mauvaise protection VG lors de la CEC.
Une insuffisance aortique associée à une hypertrophie
myocardique favorise ces incidents.
Le dépistage de cette dysfonction myocardique est en
règle générale offert par le contexte : fraction d’éjection
préopératoire et postopératoire, lourdeur des prescriptions, en particulier IEC, diurétiques, nitrés, bêtabloquants. Ces patients bénéficient le plus souvent des
séjours en service de rééducation spécialisée qui permettent un ajustement thérapeutique évolutif, un conditionnement physique et une éducation.
Lors du retour à domicile, le praticien doit d’emblée
recueillir des critères de surveillance. Le premier est le
poids. La prise rapide de quelques kilogrammes signe
l’insuffisance cardiaque. La diurèse des 24 heures est
alors un outil des plus utiles bien que de réalisation non
toujours aisée en ville (et hélas parfois à l’hôpital !). Les
autres paramètres, bien qu’utiles, sont au second plan :
fréquence cardiaque, pression artérielle.
Ces patients sont les plus menacés de complications,
non seulement hémodynamiques mais également
Correspondances en médecine - n° 3-4, vol. IV - juillet-décembre 2003
rythmiques, voire de mort subite. Aussi, la surveillance doit-elle être épaulée par un cardiologue.
Les ECG doivent être réguliers, l’échocardiographie,
comme le holter rythmique, doivent être effectués.
LE RYTHME
Une chirurgie cardiaque reste un orage dans le ciel hormonal du patient : les catécholamines et autres neurotransmetteurs se déchaînent. Le déséquilibre hydroélectrolytique est constant, une CEC se terminant par
l’incorporation de plusieurs litres de liquides. Une crise
urinaire abondante est un signe de bon pronostic durant
la première semaine. La CEC impose des abords auriculaires fermés par des boutonnières grossières. Le péricarde au contact flambe… Toutes les circonstances péjoratives sont réunies pour déclencher des troubles du rythme.
Une fibrillation auriculaire (FA) est fréquente. Rapide,
elle est souvent mal tolérée. Elle impose la mise sous
anticoagulants et de commencer un traitement antiarythmique selon divers protocoles. Diurétiques et produits ralentisseurs complètent le traitement. Lors du
retour en rythme sinusal, cette FA, déclenchée en postopératoire, ne prendra pas une valeur pronostique.
Les troubles conductifs sont d’installation souvent précoce. Le chirurgien, en fermant, laisse au contact du péricarde des électrodes qui sont retirées par traction durant
la première semaine. Cette manœuvre se complique
rarement d’un hémopéricarde.
ENFIN, LES CORONAIRES
Une note d’optimisme : vous avez confié votre patient à
un bon chirurgien pour qu’il effectue un pontage aortocoronarien. Après le geste, la vascularisation est
meilleure ! L’infarctus ou le syndrome de menace postopératoire est exceptionnel ! La prescription de dérivé
nitré ou le traitement de l’angor doivent être rediscutés.
Naturellement, un ECG systématique s’impose et il faut
le comparer au tracé préopératoire. Un infarctus périopératoire est systématiquement recherché de façon
rétrospective. Le service de chirurgie l’aura également
dépisté sur des critères biologiques (troponine, myoglobine). L’échocardiographie participe à cette enquête.
L’apparition de modifications électriques est plus souvent à rapporter au péricarde ou à des troubles hydroélectrolytiques.
La principale discussion est l’instauration du traitement
au long cours. Un certain nombre de certitudes ont
conduit à des consensus.
Les antiagrégants plaquettaires sont systématiques,
exception faite d’une indication d’un traitement par
antivitamines K prescrit pour un anévrisme ventriculaire, une dilatation cavitaire, un thrombus intraventri-
culaire, une fibrillation auriculaire permanente ou
paroxystique.
Une statine s’impose, quelle que soit la cholestérolémie.
Les bêtabloquants sont de prescription systématique.
Une revascularisation incomplète, un antécédent d’infarctus du myocarde, un trouble du rythme, une hypertension
artérielle et, sous certaines précautions, une insuffisance
cardiaque renforcent leur indication et orientent le choix
de la molécule.
Les IEC doivent également être de prescription systématique ; une dysfonction ventriculaire gauche, un
antécédent d’infarctus, une hypertension plaident également pour cette prescription.
LES SOINS NON SPÉCIFIQUES
La chirurgie de pontage reste une chirurgie. L’énoncé
de cette évidence vise à insister sur la vigilance et le
nursing. Les jambes de tout opéré, même après un
prélèvement de la saphène, sont par essence suspectes de thrombose. L’équilibre nutritionnel doit être
assuré. Le patient est souvent anémique par hémodilution et carence martiale. Une supplémentation d’acide
folique et de fer est poursuivie pendant 6 mois.
La prise en charge par un kinésithérapeute est importante durant les 6 premières semaines. La lutte contre
l’encombrement bronchique, la rééducation segmentaire de membres, les massages du dos sont utiles.
Surtout, cette période postopératoire aboutit à revoir
relativement souvent le patient. La période est opportune pour une éducation du patient. Un sevrage tabagique est en règle générale installé, le patient ressent rapidement un mieux-être qui peut être attribué
au régime initié dans les structures hospitalières, à
l’hygiène de vie forcée ou à la lutte contre la sédentarité initiée par la rééducation.
EN CONCLUSION : MES “TRUCS”
Le retour à domicile après pontage suppose une collaboration entre le médecin généraliste et le cardiologue. Le premier assure un suivi “serré” du patient.
La surveillance clinique impose des consultations
répétées. Le second apporte sa compétence spécifique et des outils indispensables, tels l’ECG et l’échocardiographie.
Deux aphorismes pour conclure :
– la chirurgie est utile (le statut coronarien est meilleur
après qu’avant la chirurgie) ;
– un malade qui urine… va bien (une diurèse qui s’effondre annonce un orage !).
Correspondances en médecine - n° 3-4, vol. IV - juillet-décembre 2003
Des repères sont
à suivre
de façon quasi
automatique
• Fiche de surveillance clinique :
poids, diurèse des
24 heures, température, TA, fréquence.
• Fiche de surveillance biologique :
NFS plaquettes, CRP,
mais aussi un bilan
lipidique, une glycémie et des témoins
de la tolérance biologique des médicaments (SGOT, SGPT,
CPK, etc.).
• Surveillance cardiologique avec ECG
et échocardiographie au moins à
deux reprises.
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