R E V U E D E P R E S S E Revue de presse ● A. Travade* THS ET SEIN THS et risque de cancer du sein Le THS augmente-t-il le risque de cancer du sein ? Cette question, débattue depuis de nombreuses années, ne semble pas encore résolue malgré les nombreuses publications qui paraissent régulièrement. C’est l’article suivant qui a permis au journal Le Monde de lancer la polémique récente dont la plupart des médias se sont fait l’écho : Schairer C et al. Menopausal estrogen and estrogen progestin replacement therapy and breast cancer risk. JAMA 2000 ; 283 : 485. L’objectif des auteurs était initialement de comparer le risque entre traitement par estrogènes seuls et traitement combinant estrogènes et progestatifs, avec inclusion de 46 355 femmes ménopausées. L’estrogène choisi est Prémarin® et, dans la plupart des cas, le progestatif est représenté par l’acétate de médroxyprogestérone. Le nombre des patientes est relié au nombre d’années d’utilisation, et la répartition des différentes possibilités est la suivante : 44 % sans THS, 38 % avec estrogènes seuls, 4 % avec THS combiné, le pourcentage restant regroupant divers cas. Après quatre années d’utilisation, le risque relatif (RR) est passé, pour les estrogènes seuls, à 1,2 et, pour le THS combiné, à 1,4. Si l’on évalue le risque par rapport à l’indice de masse corporelle, on s’aperçoit que l’augmentation du risque ne concerne que les femmes minces, ayant un indice inférieur à 24,4 kg/m2. En résumé, les auteurs ont conclu qu’il y avait une augmentation du risque de cancer du sein liée au THS, et ce d’autant plus que les progestatifs sont associés aux estrogènes. C’est cette conclusion que les journalistes ont reprise, sans nuancer leurs propos, et avec une certaine confusion dans l’interprétation du risque relatif. Cela a affolé non seulement de nombreuses femmes mais aussi leurs médecins, alors que ces résultats sont identiques à ceux d’une méta-analyse publiée dans The Lancet en1997 par le Collaborative Group on Hormonal Factors in Breast Cancer. La polémique a été telle que l’Association française pour l’étude de la ménopause (AFEM) a tenu une conférence de presse de façon à remettre les choses au point et à calmer les esprits, tout en reconnaissant que l’on ne pouvait pas répondre à toutes les questions soulevées par ce sujet. Le résumé de cette conférence est proposé dans l’article ci-après. * Centre de sénologie République, 63000 Clermont-Ferrand. 36 Rozenbaum H. Président de l’AFEM. Le THS et le risque de cancer du sein. Conférence de presse de l’AFEM du 17 février 2000. Rev Prat Gynec Obstet 2000 ; 42 : 41. Les points importants : – Interprétation d’un risque relatif. De nombreux méthodologistes estiment qu’un RR inférieur à 2 est peu significatif et peut être lié à des biais (par exemple, les RR pour le tabac sont de 10 à 30). – Disparition de l’augmentation du risque après deux à cinq ans d’interruption, ce qui suggère que le THS pourrait avoir un rôle promoteur, en accélérant la croissance, mais non initiateur. – Multiples biais possibles : incidence élevée du cancer du sein aux États-Unis, haut niveau socio-économique des femmes traitées, et surtout augmentation du nombre des mammographies de dépistage, ce qui permet de trouver plus de cancers que chez les femmes non traitées n’ayant pas de dépistage. – Absence d’augmentation ou même diminution de la mortalité, dans toutes les études publiées. – Traitements différents d’un pays à l’autre, avec estrogènes conjugués, comme Prémarin® aux États-Unis et 17 bêta-estradiol en France, acétate de médroxyprogestérone aux ÉtatsUnis, dérivés de la testostérone en Suède, ces derniers étant très peu utilisés chez nous (l’article de Magnusson cité plus loin fait en effet état d’un risque différent selon les progestatifs utilisés, risque qui serait nul avec les dérivés directs de la progestérone). Willett WC et al. Postmenopausal estrogens. Opposed, unopposed, or none of the above. JAMA 2000 ; 283 : 534. Éditorial concernant l’article précédent. Des biais sont possibles, car il s’agit d’une étude de cohorte rétrospective. Même si l’addition des progestatifs semble augmenter le risque, ce n’est pas prouvé. Il faut regarder non seulement l’incidence, mais aussi la mortalité. Enfin, il faut mieux étudier les modalités d’administration des progestatifs. Magnusson C et al. Breast cancer risk following long term oestrogen and oestrogen progestin replacement therapy. Int J Cancer 1999 ; 81 : 339. Étude épidémiologique en Suède avec 3 345 femmes atteintes d’un cancer invasif et 3 454 témoins. Le risque augmente avec la durée, en particulier après 10 ans, mais seulement chez les femmes ayant un indice de masse corporelle inférieur à 27 kg/m2. L’augmentation est plus importante lorsque le THS est combiné et continu. L’intérêt de cette étude est de montrer La Lettre du Sénologue - n° 9 - juin 2000 une différence de risque en fonction du type de progestatif utilisé. Cette différence est nette avec les progestatifs dérivés de la testostérone : noréthistérone, lévonorgestrel, lynestrénol, surtout s’ils sont donnés en continu (19 à 28 jours). Cet effet n’est pas observé avec les dérivés de la progestérone : 17-hydroxyprogestérone, acétate de médroxyprogestérone. Lê MG. Traitement hormonal substitutif et cancer du sein. Le point de vue d’une épidémiologiste. Genesis 1999 ; 49 : 26. Étude publiée avant la polémique induite par l’article de Schairer, mais très bien documentée et permettant de répondre à de nombreuses questions : effet-durée, délai depuis la dernière utilisation, influence du poids, etc. Le risque est faible, estimé à 1,4, et ne devient significatif qu’après la quinzième année ; il régresse après cinq ans d’interruption. En conclusion, l’auteur pense qu’ “il n’est pas possible d’acquérir la certitude que le THS augmente le risque de cancer du sein, et ce en raison principalement d’un biais de dépistage par la mammographie…” Pintiaux A et al. Le traitement hormonal substitutif de la ménopause. Ref Gynecol Obstet 1999 ; 6 : 287. Mise au point se rapprochant de l’article précédent et répondant à bien des questions que se posent les gynécologues et leurs patientes en début de THS. THS et densité radiologique Van Gils CH. Mammographic density and breast cancer risk. Eur J Obstet Gynecol Reprod Biol 1999 ; 86 : 127. Les femmes ayant des seins denses (au moins le quart de la surface mammaire contenant des tissus denses) auraient un risque de cancer du sein multiplié par 4. La densité dépend de l’âge, de l’apparition de la ménopause, du poids, du nombre d’enfants et, dans 10 à 30 % des cas, de la prise d’un THS. Certaines études, mais pas toutes, montrent une diminution de la sensibilité et de la spécificité de la mammographie chez les patientes sous THS. Que peut-on faire pour diminuer la densité ? Arrêter le THS, prescrire des agonistes de la LH-RH, du tamoxifène, suivre un régime pauvre en graisses et riche en hydrates de carbone. L’autre solution est de mieux examiner les femmes ayant les seins denses, en rapprochant les mammographies et en en améliorant la qualité avec des incidences complémentaires, la mammographie numérique et l’IRM. Lundström E. Mammographic breast density during hormone replacement therapy : differences according to treatment. Am J Obstet Gynecol 1999 ; 181 : 348-52. Les auteurs ont comparé la densité mammographique avant et après plusieurs types de THS. L’augmentation de densité est de 52 % avec THS combiné continu, de 13 % avec THS cyclique et de 18 % avec estrogènes seuls. Elle apparaît dès la première mammographie de contrôle et reste ensuite stable. Elle peut être associée aux éventuels effets secondaires tels que douleurs et congestion, qui diminuent avec la réduction des doses. En fait, une densité accrue peut rendre la détection des cancers plus difficile, mais certaines études suggèrent que la densité élevée est un facteur de risque indépendant. La Lettre du Sénologue - n° 9 - juin 2000 Kavanagh AM. Hormone replacement therapy and accuracy of mammographic screening. Lancet 2000 ; 355. Les auteurs ont évalué la mammographie de dépistage organisé chez 103 770 patientes prenant un THS à Victoria, Australie (dépistage tous les deux ans à partir de 40 ans, deux incidences et double ou triple lecture). La sensibilité est diminuée dans le groupe des femmes traitées. Après évaluation des cancers de l’intervalle, on retrouve plus de faux négatifs. La spécificité est plus basse et il y a plus de faux positifs. Les auteurs craignent donc que l’on ne puisse observer de diminution de la mortalité chez les femmes traitées soumises à un dépistage de masse. MICROBIOPSIE L’évolution des techniques stéréotaxiques et de la numérisation a permis des progrès notables ces dernières années dans l’évaluation non chirurgicale des lésions impalpables. Hagay C et al. Évolution des biopsies stéréotaxiques des lésions mammaires non palpables. Premiers résultats sur table dédiée numérisée avec aiguilles de 14 G. Ref Gynecol Obstet 1999 ; 6 : 219. Les auteurs présentent leur expérience des microbiopsies stéréotaxiques avec table dédiée numérique et système assisté par le vide, type Mammotome*. Avec l’aiguille de 14 G ici utilisée, les résultats sont très satisfaisants sur les 160 examens réalisés : sensibilité de 90 %, spécificité de 100 %. La fiabilité de cette technique permet d’éviter la chirurgie des lésions bénignes. Grâce au système d’aspiration couplé à l’aiguille de ponction, dont l’encoche tourne sur elle-même, 360°, la patiente n’est ponctionnée qu’une seule fois, sous anesthésie locale, et la tolérance est excellente. Si l’on utilise une aiguille plus grosse, de 11 G, l’examen est tout aussi bien toléré, mais la fiabilité augmente, et l’on peut ainsi enlever totalement les petites images (94 % des lésions de moins de 1 cm ont disparu dans l’étude de Heywang-Köbrunner, Eur Radiol 1998 ; 8 : 377). Diaz LK et al. Are malignant cells displaced by large gauge needle core biopsy of the breast ? AJR 1999 ; 173 : 1303. L’un des reproches faits à la méthode des biopsies stéréotaxiques sous anesthésie locale est le risque de déplacement des cellules épithéliales. Il est en effet possible de trouver des cellules néoplasiques sur le trajet de ponction, ce qui impose la prudence dans l’analyse histologique, ces tissus déplacés ne devant pas être pris pour une invasion. En revanche, le risque de greffe tumorale est hypothétique, ces amas de cellules déplacées étant probablement non “viables”. Dans cette étude, les auteurs ont montré que la fréquence des tissus tumoraux déplacés diminue si le délai entre la biopsie et la chirurgie augmente, ce qui suggère la régression spontanée de ces cellules déplacées. Au total, un déplacement a été retrouvé, qu’il soit “a minima”, c’est-à-dire un ou deux petits amas cellulaires, ou plus important, chez un tiers des patientes. À noter que le risque de déplacement est moins important lorsqu’on utilise un système avec aspiration de type Mammotome* qu’avec le pis37 R E V U E D tolet automatique et l’aiguille traditionnelle de 14 G. Dans le premier cas, on trouve 19 % de tissu déplacé a minima et 4 % de déplacement important, contre 23 % et 13 % dans le deuxième cas. Toutefois, la différence n’est pas statistiquement significative. Rosen EL et al. Focal fibrosis : a common breast lesion diagnosed at imaging guided core biopsy. AJR 1999 ; 173 : 1657. La mastose fibreuse localisée est une lésion rare et bénigne. Elle correspond à une entité le plus souvent palpable associant un stroma fibreux et une atrophie des canaux et des lobules. Il peut aussi s’agir d’une lésion impalpable ; les auteurs en ont fait le diagnostic par microbiopsie écho- ou stéréoguidée sous anesthésie locale. Cela représente 9 % des 894 biopsies qu’ils ont analysées. L’aspect échographique et mammographique n’est pas toujours typiquement bénin, mais, si le diagnostic est posé sur les microbiopsies, une simple surveillance est conseillée, car il n’y a pas eu de faux négatif. Une bonne iconographie accompagne la description des signes mammographiques, échographiques et histologiques. Liberman L et al. Complete percutaneous excision of infiltrating carcinoma at stereotactic breast biopsy : how can tumor size be assessed ? AJR 1999 ; 173 : 1315. Avec le système Mammotome* et l’aiguille de 11 G, il est possible de faire l’exérèse complète d’un petit cancer invasif ; dans ces cas, l’exérèse chirurgicale ne retrouve plus de lésion résiduelle. Le problème se pose alors de connaître les dimensions de la lésion initiale. Lorsqu’il n’y a pas d’envahissement ganglionnaire, l’évaluation des dimensions est importante dans les petites lésions inférieures à 1 cm pour déterminer s’il y aura besoin ou non d’une chimiothérapie adjuvante. On mesure alors la dimension maximale observée sur la carotte avec un oculaire micrométrique, mais il y a bien entendu un risque important de sous-évaluer les dimensions réelles de la tumeur. Cette étude montre de plus, et cela est bien connu, que la taille histologique n’est pas toujours corrélée à la taille radiologique. Elle est, en particulier, inférieure dans six des huit lésions étudiées. Malgré l’absence de corrélation stricte, il est important d’avoir, avant la microbiopsie, une imagerie d’excellente qualité permettant des mesures précises, puisque la taille évaluée sur les carottes prélevées n’est pas non plus fiable. Parker SH et al. Sonographically guided mammotome extraction of retained localization wire. AJR 1999 ; 173 : 903. Le système Mammotome* de microbiopsie avec aspiration peut être utilisé sous guidage échographique. Les auteurs ont utilisé cette technique pour enlever un fragment de harpon métallique laissé malencontreusement après un repérage chirurgical, évitant ainsi à la patiente une nouvelle intervention. EXAMEN CLINIQUE, KYSTES ET CALCIFICATIONS Les progrès dans les techniques d’exploration mammaire ne doivent pas faire oublier le rôle majeur de l’examen clinique. 38 E P R E S S E Salvat J et al. L’examen clinique systématique des seins féminins est-il toujours d’actualité ? J Gynecol Obstet Biol Reprod 1999 ; 28 : 212. Le dépistage de masse par la mammographie n’est pas encore diffusé à tous les départements et, même s’il l’était, il ne dispenserait pas de l’examen clinique systématique à l’occasion d’une consultation médicale, ne serait-ce que pour rechercher un cancer de l’intervalle. Les auteurs montrent, dans cette étude, l’amélioration du stade de découverte avec augmentation du taux de conservateur lié à la pratique de l’examen clinique. En revanche, le taux des grosses tumeurs est important et le restera probablement, car il s’agit souvent de patientes ne voulant pas admettre leur maladie et refusant l’idée d’une exploration. Venta LA et al. Management of complex breast cysts. AJR 1999 ; 173 : 1331. Conduite à tenir devant la découverte d’une structure échographique que les auteurs appellent complex cyst. Celle-ci correspond en fait à une structure échographique liquidienne non typique. Un kyste “simple” ou typique est représenté par une structure anéchogène bien circonscrite, sans paroi perceptible, et avec un renforcement acoustique postérieur. Un kyste “complexe” est caractérisé, dans cette étude, soit par l’absence de renforcement postérieur soit par la présence d’échos internes, à l’exclusion des végétations intrakystiques, de fines cloisons ou d’une paroi épaissie. En fait, ces images peuvent englober des diagnostics aussi divers que des kystes liquidiens bénins, des fibroadénomes, des ganglions intramammaires ou des zones de mastose fibreuse localisée. Le taux de malignité étant de 0,3 %, c’est-à-dire inférieur à celui des lésions “probablement bénignes” de la classification III BI-RADS de l’ACR, les auteurs en concluent qu’une simple surveillance suffit, de façon à éviter les procédures interventionnelles. En cas de kyste typique asymptomatique, aucune ponction n’est nécessaire. Lorsqu’une ponction est réalisée, l’analyse cytologique est inutile, à moins que le liquide ne soit sanglant. Tabar L et al. A novel method for prediction of long term outcome of women with T1a, T1b, and 10-14 mm invasive breast cancers : a prospective study. Lancet 2000 ; 355 : 429. Bien que les petits cancers révélés par une mammographie de dépistage soient généralement de bon pronostic, le taux de mortalité n’est pas nul, même dans les lésions de 10 mm ou moins. Les auteurs ont étudié la survie à 25 ans des lésions invasives de 1 à 14 mm. Ils ont constaté que la survie n’est que de 55 % dans les lésions de moins de 10 mm lorsque l’aspect mammographique comprend des microcalcifications de type linéaire et branché (casting), alors que la plupart des femmes concernées n’ont pas eu d’envahissement ganglionnaire. En revanche, la survie des femmes ayant des tumeurs de 1 à 9 mm sans calcification de ce type est de 95 %. Si ces résultats sont confirmés, il pourrait s’agir d’un moyen de différencier les petites tumeurs N– de bon et de mauvais pronostic et d’adapter une thérapeutique adjuvante. La Lettre du Sénologue - n° 9 - juin 2000