FMC PROCTO•03/98 12/05/04 17:48 Page 91 Apports de l’imagerie dans les suppurations anopérinéales de l’adulte L. Henry* L es abcès de la marge anale et les fistules ano-périnéales basses constituent une pathologie fréquente (1), souvent traitée en ambulatoire, et qui ne nécessite a priori pas d’imagerie complémentaire. * Service de radiologie, pavillon H, Hôpital Edouard-Herriot, place d’Arsonval, 69437 Lyon Cedex 03. Par contre, le caractère récidivant d’une suppuration, son association à une maladie inflammatoire chronique intestinale ou la présence d’atypies à l’examen clinique doivent faire suspecter une atteinte plus complexe, où l’examen clinique peut être pris en défaut et où l’imagerie peut aider à la description des lésions. Celle-ci paraît fondamentale pour guider le chirurgien, dont le traitement présente deux risques : celui de faire une exploration et une excision incomplètes des lésions suppurées, et celui d’aller trop loin dans une exploration inutile. Le premier exposera à la récidive de la suppuration, le deuxième, à une incontinence anale. Les fistules anopérinéales représentent le type même du problème pouvant bénéficier des techniques d’imagerie. Une fistule est habituellement constituée d’un orifice primaire ou interne au niveau de la muqueuse anale sur la ligne pectinée en général, rectale plus rarement, d’un orifice secondaire ou externe au niveau des plans cutanés superficiels à proximité de l’orifice anal et d’un trajet fistuleux qui relie ces deux orifices, appelé trajet principal. Dans les fistules “simples”, l’orifice interne est situé sur la ligne pectinée, le trajet est inter- et/ou transphinctérien et l’orifice externe dans les quadrants postérieurs des plans cutanés (2). Leur traitement en un ou deux temps ne présente pas de risque fonctionnel sur la continence anale. Dans les fistules “complexes”, l’orifice interne peut être plus haut situé, l’orifice externe peut être situé dans les quadrants antérieurs, voire à distance de l’orifice anal, le trajet principal peut être suprasphinctérien, voire extra-sphinctérien, selon la classification classique de Parks (3). Sur ce trajet, qui peut avoir une topographie en fer à cheval autour du sphincter, peut se greffer un trajet secondaire, en général borgne, dont la mise à plat 91 chirurgicale doit être réalisée pour éviter les récidives. Le traitement de ces fistules est souvent long, nécessitant plusieurs temps opératoires, et expose le patient au risque d’incontinence anale. Les techniques d’imagerie doivent permettre l’individualisation des orifices et des trajets fistuleux. La fistulographie, le scanner, l’endosonographie, l’IRM sont autant de techniques qui diffèrent par leur facilité de mise en œuvre et par leurs performances. La fistulographie Cet examen consiste à mettre en place un petit cathéter dans l’orifice fistuleux externe pour injecter un produit de contraste iodé et réaliser des radiographies sous diverses incidences. S’il s’agit d’un examen relativement facile à mettre en œuvre, sa rentabilité par rapport à l’examen clinique n’a jamais pu être démontrée (4), et ceci pour diverses raisons : – fuite de produit de contraste à la peau, – remontée de produit de contraste depuis l’anus jusque dans le rectum, ne permettant donc pas d’éliminer un orifice primaire de topographie rectale, – non-opacification d’un trajet secondaire, – absence d’information sur la topographie du trajet fistuleux par rapport au massif sphinctérien et aux muscles releveurs de l’anus. L’examen tomodensitométrique Il réalise des coupes axiales transverses par rapport au tronc, d’épaisseur variable (de 2 à 10 millimètres). Les performances sont également décevantes compte tenu du faible contraste existant entre le liquide purulent et le tissu musculaire de l’appareil sphinctérien. Cette technique doit donc nécessairement être sensibilisée par l’injetion de produit de FMC PROCTO•03/98 12/05/04 17:48 Page 92 Explorations fonctionnelles contraste dans l’orifice fistuleux externe, et présente en conséquence les mêmes limites que la fistulographie. Par rapport à ce dernier examen, l’avantage théorique est de situer le trajet fistuleux par rapport au massif sphinctérien, mais la mise en œuvre du cathétérisme de l’orifice sphinctérien sur une table de scanner se révèle souvent être un exercice délicat. Le scanner reste performant pour la mise en évidence d’un abcès para-anal ou pararectal (5). Le scanner volumique n’a pas, à ce jour, fait l’objet d’évaluation. Cependant, compte tenu des performances et du caractère non irradiant de l’IRM, le scanner ne semble pas représenter une technique d’avenir. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) Cette technique s’est rapidement imposée comme technique de référence pour la description des fistules ano-périnéales. A celà, on peut trouver plusieurs explications : – la région explorée est immobile, indépendante des mouvements respiratoires, – les séquences d’acquisition appropriées permettent de montrer les différentes structures avec des intensités de signal différentes, et ainsi de créer un contraste entre les lésions suppurées, dont le signal est de type liquidien, et les éléments du massif sphinctérien, dont le signal est de type tissulaire musculaire, – la mise en œuvre est simple, les protocoles d’exploration facilement reproductibles ; l’examen est indolore et non irradiant. Les séquences Les séquences d’acquisition utilisées sont des séquences en écho de spin avec pondération de type T2 : les liquides de suppuration apparaissent en hypersignal Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (12), n° 03, mars 1998 dans un massif musculaire en hyposignal. Les séquences avec suppression de graisse permettent de diminuer l’intensité du signal de la graisse para-anale et ainsi d’augmenter le contraste des fistules trans-sphinctériennes. Les injections intraveineuses de gadolinium en séquence pondérée T1 permettent de révéler les tissus inflammatoires qui contiennent le liquide purulent ; cette information serait importante pour guider avec précision les tissus devant faire l’objet d’excision. Le patient est en décubitus dorsal. L’antenne utilisée est soit l’antenne corps entier, soit une antenne superficielle placée au contact des fesses du patient en regard de la région coccygienne. Des antennes endo-anales ont été utilisées par certains auteurs (6) : elles augmentent la résolution spatiale des images, mais présentent l’inconvénient de leur diamètre, qui peut poser des problèmes de tolérance et de faisabilité, notamment en cas de maladie de Crohn. Ces antennes ne sont pas disponibles sur tous les appareils d’IRM à ce jour. Les plans d’acquisition Le plan de coupe sagittal ne présente pas d’intérêt pratique, hormis peut-être dans les cas de fistules recto- ou ano-vaginales, toujours difficiles à visualiser. Les résultats Ils ont été appréciés par les différents auteurs (6, 7, 8, 9, 10, 11) par comparaison des données de l’IRM avec les données de l’exploration chirurgicale. Les résultats sont comparables et sont résumés dans le tableau I. ◗ L’orifice interne : c’est l’élément de la fistule le plus difficile à visualiser avec précision. La définition varie d’ailleurs d’une équipe à l’autre. Lunniss (9), qui le définit comme l’élément du trajet fistuleux le plus proche de la lumière anale, Les plans utilisés sont transverse et coronal, respectivement perpendiculaire et parallèle à la direction du canal anal, qui est en général oblique en haut et en avant. Afin de faciliter ce repérage et aussi pour matérialiser le canal anal, on met en place, en début d’examen, une sonde anorectale en latex avec un ballonnet insuflé de 20 ml d’air qui, mis en traction, repère la jonction ano-rectale. Tableau I. Corrélation entre les données de l’IRM et les constatations chirurgicales pour chacun des éléments de fistule anopérinéale. Trajet principal Orifice interne Trajet secondaire Concordance globale Lunniss 1992 (16 patients) 12/11 12/10 14/13 14/16 Tissot 1994 (18 patients) 14/18 11/15 7/7 13/18 Lunniss 1994 (35 patients) 25/27 21/26 20/21 28/35 Hussain 1996 (28 patients) 25/28 20/28 7/7 18/28 Grandjean 1996 (24 patients) 20/24 20/24 13/12 21/24 92 FMC PROCTO•03/98 12/05/04 17:48 Page 93 l’ensemble de la fistule est sous tension avec une quantité importante de pus, celle-ci donnant, en IRM, un signal non équivoque. Enfin les contre-indications de l’IRM peuvent être absolues, comme le port d’un stimulateur cardiaque ou la présence de certains clips chirurgicaux sur anévrysme intracrânien, ou relatives, comme la claustrophobie, qui pourra bénéficier, le cas échéant, d’une prémédication efficace. Figure 1. Fistule anopérinéale trans-sphinctérienne haute avec trajet secondaire. A : IRM coupe coronale montrant le trajet principal para-sphinctérien sur toute sa hauteur dans la fosse ischioanale (flèches) et un trajet en fer à cheval inter-sphinctérien (têtes de flèche). B : IRM coupe axiale passant par la partie en fer à cheval de la fistule permettant de visualiser l’extension antérieure gauche (flèche courbe) de ce trajet secondaire. R : rectum ; I : ischion ; R : releveurs de l’anus. en décrit un trop grand nombre (faux positifs qui ne seront pas retrouvés en chirurgie). Tissot (7), qui le définit comme un hypersignal au contact de la lumière anale, diminue la sensibilité mais atteint ainsi une spécificité voisine de 100 % pour cet élément du diagnostic. ◗ Le trajet fistuleux (figure 1) : les corrélations entre les données de l’IRM et les constatations chirurgicales sont de 80 % pour les différentes équipes et atteignent 100 % pour les trajets en fer à cheval (figures 1 et 2). Les auteurs qui ont suivi le devenir des lésions décrites en IRM et non retrouvées en chirurgie ont pu constater un taux de récidive d’environ 50 %. Ces récidives sont mises sur le compte de la partie de suppuration visualisée en IRM et non retrouvée en chirurgie, et donc non traitée. Ces données remettent de plus en plus en cause la chirurgie comme méthode de référence pour la description topographique précise des lésions au profit de l’IRM. Les limites de la méthode Chez certains patients, les trajets fistuleux peuvent être difficiles à visualiser, probablement parce qu’ils ne contiennent que peu de liquide au moment de l’exploration. Dans ces cas, l’injection intraveineuse de gadolinium, en montrant la paroi du trajet fistuleux, représente un apport intéressant. D’autres auteurs (12) ont essayé de sensibiliser la technique en instillant, avant l’examen, une solution salée par l’orifice externe de la fistule (fistulo-IRM). Un point qui n’a jamais fait l’objet d’évaluation est le moment de la maladie pendant lequel est réalisé l’examen IRM. En effet, la maladie fistuleuse respecte en général un cycle comportant une phase douloureuse sèche, qui laisse la place à une phase de soulagement avec écoulement de pus par l’orifice externe. Il paraît logique de penser que l’IRM sera d’autant plus performante si elle est réalisée pendant la phase douloureuse, quand 93 Les indications Elles varient en fonction des équipes chirurgicales ou proctologiques. En effet, l’IRM peut aider un clinicien à prendre une décision thérapeutique et à en évaluer les risques en fonction de la topographie des lésions. D’un autre côté, lorsqu’un geste chirurgical local est envisagé, le chirurgien peut se guider sur les données de l’IRM pour l’exploration et le traitement des lésions. Dans un cas comme dans l’autre, les indications sont représentées par : – les fistules récidivantes, – les suppurations sur maladie de Crohn connue, – les fistules cliniquement suspectes de complexité : orifice externe antérieur ou à distance de la marge anale, antécédents de diarrhée inexpliquée (10 % des maladies de Crohn se révèlent par une suppuration anopérinéale), – suivi des fistules complexes traitées en plusieurs temps chirurgicaux (excision et drainage élastiques, puis sphinctérotomie) (8). L’IRM permet de savoir si le drainage a été efficace et si le deuxième temps opératoire peut être réalisé ou reporté, voire si une excision complémentaire doit être envisagée. L’endosonographie Plusieurs types de sondes d’échographie endocavitaires sont disponibles : – Les sondes mécaniques, rotatives, don- FMC PROCTO•03/98 12/05/04 17:48 Page 94 Explorations fonctionnelles et/ou du sphincter interne, n’est pas toujours facile, peut-être à cause de l’effet de compression de la sonde elle-même. L’EEA ne fournit pas une image très précise des plans cellulo-graisseux des fosses ischio-anales et ischio-rectales. Les composantes para-sphinctériennes et les trajets secondaires des fistules ano-périnéales seront donc plus difficiles à identifier. L’IRM s’est révélée être plus performante dans la description de ces trajets (6). L’échographie endo-vaginale peut aider à préciser la topographie des fistules anoou recto-vaginales (13), notamment en sensibilisant la technique par injection intra-rectale de sérum stérile via un cathéter préalablement mis en place. Ces fistules sont habituellement difficiles à mettre en évidence par l’IRM. Figure 2. Suppuration inter-sphinctérienne en fer à cheval. A : IRM coupe axiale passant par la partie basse du sphincter. Les abcès de petite taille sont individualisables par leur hypersignal. Leur caractère communicant n’est pas évident. B et C : échographie endo-anale en coupe axiale du même patient à mi-hauteur du canal (B) et dans sa partie basse (C) visualisant l’abcès en fer à cheval (têtes de flèches blanches) en dehors et au contact du sphincter interne (têtes de flèches noires). nant des coupes axiales, perpendiculaires à l’axe anorectal sur 360°. Elles sont montées sur un transducteur qui peut être rigide, aveugle (exploration de l’anus et du rectum), ou souple, de type écho-coloscope (exploration du rectum et du côlon). – Les sondes électroniques, sectorielles, mono- ou biplan, qui donnent une vue axiale sur un angle de 120 à 160° et/ou une vue longitudinale de la paroi anale. Ces sondes sont commercialisées pour l’exploration de la prostate. Seules les sondes mécaniques ont fait l’objet d’évaluation dans l’exploration des pathologies ano-rectales, en particulier pour les suppurations. Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (12), n° 03, mars 1998 – Un troisième type de sonde a été proposé pour explorer la région anorectale, les sondes endo-vaginales, en général électroniques et sectorielles (13). L’échographie endo-anale (EEA) reste aujourd’hui la technique d’imagerie de référence pour individualiser les sphincters interne et externe de l’anus. L’EEA va donc fournir une cartographie très précise de la composante juxta-anale de la suppuration (14) : trajet inter-sphinctérien d’une fistule (longitudinal, ou transversal en fer à cheval) (figure 2), qui va donner une image hypo-échogène de type liquidien. L’individualisation de l’orifice interne, qui repose sur l’identification d’un défect de la sous-muqueuse 94 Conclusion Les examens paracliniques ne sauraient être prescrits pour toutes les suppurations ano-périnéales. Il paraît prudent d’y avoir recours en cas de suspicion de problème complexe (suppurations récidivantes, maladie de Crohn, orifice externe à distance de l’anus...). Les examens de première intention doivent être l’IRM et/ou l’endosonographie anale en fonction du plateau technique disponible. Références 1. Saino P. Fistula in ano in a defined population. Incidence and epidemiological aspects. Ann Chir Gynaecol 1984 ; 73 : 219-24. 2. Barwood N., Clarke G., Levitt S., Levitt M. Fistula in ano : a prospective study of 107 patients. Aust N Z J Surg 1997 ; 67 (2-3) : 98-102. 3. Parks A.G., Gordon P.H., Hardcastle J.D. A classification of fistula in ano. Br J Surg 1976 ; 63 : 1-12. 4. Kuijpers H.S., Schulpen T. Fistulography for fistula in ano. Is it useful ? Dis Colon Rectum 1985 ; 28 : 103-4. FMC PROCTO•03/98 12/05/04 17:48 Page 95 5. Schratter-Sehn A.U., Lochs H., Vogelsang H., Schurawitzki H., Herold C., Schratter M. 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