C A S C L I N I Q U E L’hypoglycémie : une cause rare d’insuffisance coronaire aiguë ● F. Bernard, M. Lerecouvreux, F. Revel, J. Monségu, M. Lallali, J.P. Ollivier* OBSERVATION Un sportif de 50 ans, en excellent état général et sans aucun facteur de risque cardiovasculaire, présente, au bout de 10 minutes d’une course à pied chronométrée, un état lipothymique sévère sans douleur thoracique franche, associé à des propos incohérents motivant un arrêt de la course et une prise en charge médicale urgente. Cet accident survient dans les suites d’une nuit avec peu de sommeil (travail de nuit), chez un patient n’ayant pas eu le temps de s’alimenter avant la course. L’examen cardiovasculaire est sans anomalie. L’ECG inscrit un rythme sinusal d’une fréquence de 62 bpm, avec un bloc auriculo-ventriculaire du premier degré et, surtout, des anomalies de la repolarisation de type sus-décalage de ST aspécifique en V2-V3 et aspect d’ischémie lésion sous-endocardique en territoire inféro-latéral (figure 1). L’échocardiographie montre une bonne fonction ventriculaire gauche, sans anomalie de la cinétique segmentaire. La coronarographie montre un réseau coronarien indemne de toute lésion. Il n’a pas été réalisé de test à la méthylergométrine dans ce contexte d’instabilité coronarienne. L’étude des enzymes cardiaques montre un pic de troponine T à 0,35 µg/l (3,5 fois les valeurs normales) et des CPK à 825 UI/l, dont 9 % de MB. La glycémie est dosée en urgence à 0,4 g/l. L’évolution après rééquilibration de la glycémie s’est faite vers une amélioration nette de l’état clinique et une quasi-normalisation de l’ECG en 24 heures, avec la persistance d’ondes T amples, pointues et symétriques banales chez le sujet sportif en territoire latéral (figure 2). L’hypothèse diagnostique retenue est celle d’une souffrance myocardique ischémique aiguë au décours d’une hypoglycémie. Figure 1. ECG à la prise en charge initiale : sus-décalage aspécifique en V1-V2 associé à un courant de lésion sous-endocardique en territoire inféro-latéral. * Service de cardiologie, hôpital du Val-de-Grâce, 75005 Paris. 16 La Lettre du Cardiologue - n° 371 - janvier 2004 C A S C L I N I Q U E Figure 2. ECG 24 heures après la prise en charge initiale, après normalisation de la glycémie : disparition des troubles de la repolarisation initiaux. COMMENTAIRES De rares cas d’infarctus du myocarde au décours d’hypoglycémies profondes ont été décrits dans la littérature. Deux situations cliniques sont habituellement rencontrées : il s’agit soit d’un surdosage volontaire ou accidentel en insuline, soit d’une hypoglycémie spontanée. Dans le premier cas, l’hypothèse communément retenue est celle du spasme coronaire induit par l’insuline (1). Dans le deuxième cas, deux hypothèses physiopathologiques s’affrontent, voire se complètent, pour aboutir in fine à une nécrose myocardique : 1. L’ischémie-nécrose myocardique peut être le résultat d’un déséquilibre entre l’apport et la demande énergétiques du myocarde. En effet, le glucose joue un rôle important dans le métabolisme énergétique du myocarde. De plus, l’hypoglycémie entraîne, par le biais de la stimulation adrénergique réflexe associée, un accroissement du travail et du débit cardiaques. Cela contribue à majorer les besoins énergétiques du myocarde alors même que celui-ci en est privé, d’où les conséquences ischémiques pouvant aboutir à une nécrose myocardique (2). 2. Il est constaté, au cours des souffrances cérébrales majeures telles que les accidents hémorragiques cérébraux ou les épilep- La Lettre du Cardiologue - n° 371 - janvier 2004 sies, des anomalies profondes de la repolarisation sur l’ECG, en particulier d’ischémie-lésion, que l’on attribue à une décharge cathécolaminergique. Cet “orage cathécolaminergique” est aussi rencontré dans les cas d’hypoglycémie ; il se traduit d’ailleurs par des anomalies en IRM cérébrale différentes de celles visualisées dans les cas d’anoxie cérébrale, et qui résultent de cette stimulation adrénergique intense (3). Ainsi, l’association de ces deux mécanismes physiopathologiques peut entraîner une souffrance myocardique majeure et doit justifier, chez les patients pris en charge lors d’une hypoglycémie profonde, une surveillance cardiovasculaire spécifique. Bibliographie 1. Meier M. Suicide attempt with insulin as a cause of myocardial infarct. Z Kardiol 2002 ; 2 : 178-81. 2. Markel A, Keidar S, Yasin K. Hypoglycaemia-induced ischaemic ECG changes. Presse Med 1994 ; 23 : 78-9. 3. Rudusky B. Electrocardiographic changes associated with neurologic events. Chest 1995 ; 108 : 554-5. 17