Le coaching médical Les mots pour le dire… ou l’art de communiquer des mauvaises nouvelles au patient I. Moley-Massol* “ Mark, ouvrier d’une cinquantaine d’années, est hospitalisé pour une biopsie de la prostate. Il partage sa chambre avec un autre patient. Le chirurgien en chef, au cours de la visite, pénètre dans la chambre et reste posté près de la porte. Il s’adresse en même temps au malade qui occupe le deuxième lit puis à Mark : – Vous pouvez rentrer chez vous, monsieur, la biopsie de votre prostate ne montre qu’une hypertrophie bénigne. Le chirurgien se tourne alors vers Mark : – Je suis heureux de vous annoncer que vous pouvez rentrer à la maison, mais il y a aussi une mauvaise nouvelle car, selon la biopsie, vous avez un cancer de la prostate.” Et de s’en retourner sans plus de discussion. Mark racontera plus tard que parmi toutes les épreuves qu’il eut à affronter par la suite (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie), aucune ne le laissa aussi désemparé que cette annonce faite par le médecin (1). Cette histoire s’est déroulée en Amérique du Nord à la fin des années 70. Certains diront que ce scénario ne pourrait plus se produire de nos jours. Il est permis malheureusement d’en douter. Ce récit illustre de façon remarquable les erreurs les plus lourdes de conséquences que peut commettre une personne chargée d’annoncer une mauvaise nouvelle. Un professionnel de santé a peu de * Médecin et coach. [email protected] chance d’échapper à cette tâche si difficile et ingrate qu’est l’annonce d’une mauvaise nouvelle. Il se trouve inévitablement confronté au devoir de communiquer ce type de message à un patient, à un parent ou de soutenir une personne qui vient de le recevoir. Certains médecins ont du mal à transmettre une nouvelle grave. Depuis Hippocrate, beaucoup restent fidèles au précepte de “cacher la vérité au patient”, au nom d’un préjugé tenace : en taisant la vérité au patient, on le protège, en particulier de l’anxiété et de l’angoisse. Longtemps, nous avons cru qu’il était impossible d’informer le malade d’une mauvaise nouvelle sur son état de santé sans provoquer chez lui des blessures irréparables, en le privant d’espoir et de motivation. Il fallait, disait-on, le préserver de la vérité. Et pourtant, les études montrent que le partage de l’information augmente l’aptitude à faire face à la maladie. Le sentiment de compétence et de contrôle du malade grandit et l’aide à affronter l’épreuve. “Personne ne contestera que ce qui est terrible et connu vaut toujours mieux que ce qui est terrible et inconnu. Dans les vieilles formules magiques, le diable est souvent conjuré parce qu’on dit son nom” (2). L’acte de communication fait partie intégrante du rôle des soignants, personne ne réfute cette idée, et les malades sont de plus en plus nombreux à revendiquer leur droit moral, mais aussi éthique et légal, de connaître toute information les concernant, s’ils le désirent, et le praticien ne peut, quant Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (16), n° 10, décembre 2002 à lui, invoquer son droit de ne pas communiquer (cf. référence des États généraux des malades atteints de cancer). Alors comment se fait-il que l’art de communiquer une mauvaise nouvelle reste toujours aussi absent des formations médicales ? Tout se passe comme si nous avions affaire à une sorte de tabou, à une fuite face à l’évocation de ce problème. Mais qui préserve-t-on vraiment par le silence, la confusion que génère l’absence de sens et une relation médecinmalade forcément entravée par les nondits et les faux-semblants, alors qu’il va falloir ensemble, et plus que jamais affronter la maladie, les traitements et les bouleversements de la vie ? La vérité, toute la vérité, rien que la vérité ? La démarche qui consisterait à révéler tout, brutalement, sans réflexion, de façon systématique, sans tenir compte de l’individualité du sujet malade, de son identité, de son histoire, de sa culture, de son environnement et surtout de son désir, serait catastrophique. Le problème posé aux soignants est moins “faut-il dire ou non la vérité au patient ?” mais “s’il n’y a que la vérité qui peut être dite, jusqu’où aller dans la révélation de cette vérité et comment ?” La parole du médecin est une parole vraie, qui l’engage. Elle devrait être guidée par un principe déontologique bien connu : “Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information simple, 203 Le coaching médical accessible, intelligible, loyale et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose” (3). L’annonce d’une affection chronique, d’une maladie grave ou d’un handicap est paradoxale : il convient d’annoncer une “mauvaise nouvelle”, et dans le même temps de donner en retour un sens aux symptômes, jusque-là sources d’interrogations angoissantes. Il s’agit d’annoncer une maladie souvent grave et spontanément mortelle, mais pour mieux donner forme à “ce avec quoi il va falloir apprendre à vivre” ou “ce contre quoi il va falloir se battre” (4). Il importe de parler des traitements possibles, de leurs implications, des éventuels aménagements de vie, du travail, des relations familiales et de désigner un proche qui saura soutenir le malade. Mais au-delà des informations techniques et rationnelles, il s’agit de favoriser l’écoute, le dialogue et l’échange en restant très attentif aux représentations et aux croyances de chacun. La Le deuil, un mécanisme de défense psychologique L’annonce d’une mauvaise nouvelle – Le deuil du projet de vie. – Le choc, la sidération : il n’y a plus de place pour le rationnel. Le message technique ne passe pas. – Le déni : protection psychologique, dans un premier temps. – La révolte : “ce n’est pas juste!”, “qu’estce que j’ai fait pour mériter cela?” À ce stade, les paroles du médecin sont souvent déformées. – Le marchandage : la maladie est discutée, parlée. Les sentiments sont multiples, contradictoires. – La tristesse et parfois la dépression. – L’acceptation : la communication, la discussion, l’échange sont plus que jamais les soutiens indispensables au patient. représentation de la maladie varie beaucoup en fonction des patients, de leur culture et des caractéristiques de l’affection, visible ou invisible, source de symptômes ou silencieuse, fonctionnellement limitante ou non. L’environnement affectif du patient, son âge, son état émotionnel au moment de l’annonce sont autant de facteurs qui influencent la perception de sa maladie et la façon de s’adapter à cette épreuve. Sidération, déni, colère, tristesse, dépression, renoncement, acceptation... sont des moyens de “recevoir l’annonce de la maladie, du handicap”. Ces états d’adaptation varient en fonction des personnalités du patient, du moment de l’annonce dans sa vie et évoluent dans le temps. Il est fréquent que les malades passent par cette succession de phases, les mêmes que celles qui jalonnent les étapes du deuil (car il s’agit bien là d’un deuil, celui de son projet de vie, deuil de l’image projetée de son corps, de son être et de son intégrité), et parviennent à l’acceptation. “Si le médecin bride la relation de soin en la réduisant aux seules discussions sur le traitement et ses modalités, cette ouverture à la réciprocité ne sera évidemment pas possible” (4). Dire une mauvaise nouvelle, c’est transmettre des informations qui vont bouleverser la vie du malade et celle de son entourage, provoquer une réaction émotionnelle qui nécessite une disponibilité suffisante. Il s’agit de partager un fardeau, non pas seulement au moment de l’annonce, mais dans la durée. L’engagement du médecin se situe à cette place précise, au côté du malade face à la maladie, tout au long de la maladie. Il faut beaucoup d’écoute, d’empathie, de temps pour que le médecin pénètre l’univers du patient et passe avec lui un contrat, une alliance pour l’avenir. Mais qu’est-ce qu’une mauvaise nouvelle? Il n’est pas simple de définir une mauvaise nouvelle. Nous pouvons proposer comme définition : “Une nouvelle qui Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (16), n° 10, décembre 2002 change radicalement et négativement l’idée que se fait le patient de son avenir.” Selon cette définition, c’est le décalage entre les attentes de la personne, ses projets d’avenir et la réalité médicale qui détermine la force du sentiment ressentie et la violence de la réaction. Le médecin, le soignant ne peuvent préjuger de la façon dont le patient va ressentir l’annonce, sans savoir ce que le malade connaît déjà de sa maladie et ce à quoi il s’attend. En médecine, une mauvaise nouvelle ne devrait pas forcément être associée à la mort ou à un déficit physique majeur. L’annonce d’un changement de vie, telle que l’impose la découverte d’un diabète, mérite aussi que l’on prenne des précautions lors de l’annonce ; les exemples sont infinis. La difficulté pour le soignant est de comprendre le contexte émotionnel du patient et non pas de projeter ses propres représentations de la maladie en fonction de sa personnalité et de ses expériences professionnelles et personnelles. Et les soignants dans tout ça ? Pour le thérapeute aussi la mauvaise nouvelle est une épreuve à surmonter. Il affronte ses peurs, celles de faire mal, sa culpabilité du “mauvais messager”, celle générée par la confusion, l’amalgame, entre la mauvaise nouvelle et celui qui l’apporte. Il est fréquent que la colère du malade se retourne contre le médecin, alors pris comme personnification du mal qui l’atteint. Face à un mal incurable, et a fortiori mortel, le soignant se heurte à ses limites, à son impuissance technique, à son manque de savoir, à ses angoisses et à sa représentation de sa propre mort. “Le thérapeute doit renoncer au fantasme de la réparation. Il doit faire le deuil de sa toute puissance. Il doit pour ainsi dire s’annoncer à lui-même cette 204 Le coaching médical mauvaise nouvelle, pour pouvoir lire en même temps la phase émotionnelle de la situation. On ne peut pas édulcorer la mauvaise nouvelle, au risque de perdre sa crédibilité” (5). Le médecin a souvent peur de son émotion face au patient. En acceptant cette peur, ses faiblesses, ses limites, le soignant s’ouvre à de nouvelles perspectives, pour une prise en charge mieux adaptée au patient qui souffre. La discussion avec un pair, un aîné ou tout professionnel qui saura l’entendre, peut aider le médecin à dépasser ses propres freins à la communication avec le patient en demande. Quelles mauvaises nouvelles en médecine ? La définition d’une mauvaise nouvelle dépend de chaque patient, de son histoire, de son mode de vie, de ses représentations, de ses croyances, de sa culture... – Informer un patient qu’il est hypertendu. – Annoncer un herpès génital. – Expliquer à un patient âgé qu’il ne pourra plus conduire. – Révéler une malformation lors d’un diagnostic anténatal. – Annoncer un handicap. – Annoncer une maladie grave et/ou chronique à un adolescent, à un enfant, aux parents. – Annoncer un cancer, une récidive. – Révéler à un patient que son enfant est un surdoué... L’annonce d’une mauvaise nouvelle en pratique… Les règles d’or de l’annonce d’autant plus importantes que le pronostic vital est en jeu – Une information progressive. – Une information cohérente. – Une information adaptée à chaque patient et à sa demande. – Une information répétée. Une mauvaise nouvelle est en soi une source de détresse que le médecin peut accompagner et soulager en partie grâce à sa qualité d’écoute et à son empathie, c’est-à-dire son aptitude à comprendre l’autre, et à lui montrer qu’il l’a compris. Les préliminaires La préparation à l’annonce d’une mauvaise nouvelle est souhaitable, avant d’avoir les résultats des examens. À ce stade, on peut demander au patient s’il souhaite connaître la vérité en cas de résultats défavorables. Au moment de l’annonce proprement dite, il est important de déterminer un moment et un lieu adaptés à l’entretien. On demandera au patient s’il souhaite la présence d’un proche, souvent utile pour évoquer par la suite ce qui s’est dit durant l’entretien et que le patient risque d’oublier. Quel que soit le contexte, le médecin doit s’asseoir, en essayant de se situer au même niveau que le malade (niveau du regard) et de supprimer les objets qui pourraient créer une barrière entre lui et le malade (éviter d’être séparés par le bureau). Il est préférable d’éteindre la télévision ou la radio et le téléphone portable. Ces préliminaires servent à démontrer la disponibilité du médecin pour son patient. Des études montrent que le patient a l’impression d’être mieux écouté et entendu et que l’entretien dure plus longtemps lorsque le médecin est assis. Certains médecins prendront l’initiative d’un contact physique, serrer la main ou toucher une épaule, pour signifier leur empathie, leur engagement auprès du malade. Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (16), n° 10, décembre 2002 Écouter le malade : le questionnement – Que sait-il déja ? Que connaît-il de sa maladie, de son évolution possible ? Comment s’exprime-t-il, avec quelles émotions, celles exprimées par les mots et celles exprimées par le corps : se tord les mains, est crispé ou détendu sur son siège, pleure... – Que veut savoir le patient ? C’est l’un des moments les plus délicats de l’entretien. Le patient souhaite-t-il ou non connaître la vérité ? Et à quel niveau désire-t-il obtenir l’information ? La réponse du thérapeute ne peut que s’ajuster à la demande du patient. Face à un patient qui exprime le désir de ne pas être informé sur son état de santé, on garde la possibilité de communiquer avec lui sur les traitements envisageables et les soins dont il peut bénéficier. – Comment écouter le malade ?Assis et aussi détendu que possible, pour préparer l’écoute, le médecin commence par interroger le malade, le laisse parler sans l’interrompre, l’encourage à conti- 205 Le coaching médical nuer. Il s’agit là d’une écoute active qui développe l’empathie avec le patient. Afin que celui-ci comprenne qu’il a été entendu, le praticien peut répéter ou reformuler ce que vient d’exprimer le malade. Il lui adresse ainsi des signes de compréhension. Il le laisse formuler sa demande, ses interrogations, ses émotions, sans jugement ni commentaires. Parfois le respect du silence est salutaire. Quand le médecin a perçu la demande et les besoins du malade, il est prêt à communiquer l’information, la nouvelle. La communication de l’information Il est préférable, avant de commencer, d’avoir une idée précise des objectifs à atteindre en fin d’entretien. À ce moment de l’entrevue, le professionnel de santé a connaissance de l’état d’information du malade et de sa demande. Il est en mesure de s’aligner sur le point de vue du patient. Le médecin peut reprendre les termes employés par le malade et lui montrer ainsi que ses propos sont pris au sérieux, ce qui éveille chez le patient un sentiment d’assurance et l’envie de faire confiance à son interlocuteur. Le médecin va procéder par petites étapes pour diffuser l’information, donner au patient “des bouts d’informations digérables”. L’utilisation d’un langage aisément compréhensible favorise la communication. Le recours au jargon médical exclut le patient. Il n’est pas inutile de contrôler la compréhension du malade, de répéter les messages, éventuellement d’écrire ou d’éclaicir les explications par un dessin, de demander s’il a des questions à poser, de le laisser prendre la parole, faire des pauses, exprimer ses émotions. En même temps que le soignant divulgue l’information, il reste à l’écoute constante du malade et ajuste son discours à la demade implicite de son interlocuteur. Il se laisse diriger par lui. Il guette la question dissimulée et incite le malade à exprimer ses préoccupations “inavouables” : certains patients sont, par exemple, plus préoccupés par la perte de leurs cheveux à l’occasion d’une chimiothérapie que par l’évolution de la maladie elle-même. Il convient de rechercher ces préoccupations et de les reconnaître ouvertement afin de renforcer la confiance du malade et sa réassurance. Quelles sont les informations importantes à fournir ? Ce sont celles que demande le patient et celles qui le concernent surtout à court terme. Envahi par l’émotion, le malade ne retiendra de ce premier entretien de l’annonce du diagnostic qu’une infime partie. Il est inutile de le noyer dans des détails qu’il n’entendra pas. Il se souviendra en revanche avec plus de précision de la communication non verbale, celle des postures, des gestes, de l’expression, de l’environnement : “le médecin était distant”, “le téléphone n’a pas arrêté de sonner”... Un deuxième rendez-vous s’impose, lorsque cela est possible, pour compléter l’information de l’annonce. Le patient a besoin de temps pour “intégrer” la nouvelle, s’adapter, discuter et réfléchir sur son traitement, en connaissance de cause. Réponse aux sentiments des patients La verbalisation des émotions est une étape déterminante de l’entretien. La phrase clé pourrait être “que ressentezvous en ce moment ?” “Il s’agit de comprendre la réaction du patient, parfois agressive, sans la prendre pour soi. Le but étant de valider ses émotions, sans les juger, sans tenter de les réprimer et ensuite de les nommer ; ‘je vois à quel point c’est difficile pour vous’ (6)”. Le malade peut exprimer toutes sortes de sentiments, froideur, révolte, tristesse... et souvent culpabilité. Son image est dévalorisée et il craint souvent le regard des Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (16), n° 10, décembre 2002 autres, de ses proches, conjoint, enfants, mais aussi des collègues de travail. En exprimant ses émotions face au soignant qui sait les accueillir il peut reprendre une forme de confiance. Par des gestes simples, tendre un mouchoir à un malade qui pleure, le toucher, se rapprocher de lui, le médecin donne au malade l’autorisation d’exprimer sa souffrance. Préparer l’avenir Le patient attend de son médecin qu’il l’aide à mettre de l’ordre et peut-être donner du sens dans tout ce trouble et qu’il propose une marche à suivre pour l’avenir. À ce stade, l’alliance passée entre soignants et malade est déterminante. Le patient a besoin d’être accompagné et écouté pour préparer son avenir. Le rôle de soutien du médecin ne s’arrête pas à l’issue de l’annonce de la mauvaise nouvelle. Cette étape marque le début d’un nouvel échange, d’une nouvelle relation, d’un contrat entre deux individus qui, ensemble, vont repenser la vie du malade, ou de l’handicapé, et élaborer un futur : le médecin s’adresse à la personne non plus en tant que “patient” mais en tant que partenaire de soins (1). Pour en savoir plus 1. D’après R. Buckman. S’asseoir Pour Parler. InterEditions, 1994. 2. F. Zorn. Mars, Paris, Gallimard, 1979. 3. Code de déontologie médicale, Titre II (Devoirs envers les patients), art. 35. 4.P. Alvin. L’annonce d’une maladie chronique à l’adolescence. In: Espace éthique la Lettre 15-16-17 Hiver 2001-2002. 5. F.R. Zimmermann. Comment annoncer une mauvaise nouvelle ? www.meditorial.ch/plus/5.htm 6. D’après S. Soumaille, interview de J. Wintsch, www.construire.ch/ SOMMAIRE/9749/49socie2.htm. 206