Nous faisons de vos spécialités Nous faisons de vos spécialités notrespécialité spécialité notre Rédacteur en chef : E. Caumes (Paris) Rédacteur en chef adjoint : P. Tattevin (Rennes) Comité de rédaction J. Dupouy-Camet (Paris) - C. Goujard (Le Kremlin-Bicêtre) J.C. Lucet (Paris) - J.L. Meynard (Paris) - A.M. Taburet (Le Kremlin-Bicêtre) Directeur scientifique : M.H. Nicolas-Chanoine (Clichy) Conseillers scientifiques H. Fleury (Bordeaux) - H. Portier (Dijon) B. Schlemmer (Paris) - D. Vittecoq (Villejuif) Comité scientifique J. Acar (Paris) - P. Courvalin (Paris) J.F. Delfraissy (Le Kremlin-Bicêtre) - B. Dupont (Paris) L. Gutmann (Paris) - D. Peyramond (Lyon) D. Raoult (Marseille) - B. Régnier (Paris) Fondateur scientifique : D. Vittecoq (Villejuif) Comité de lecture A. Andremont - Y. Aujard - B. Autran - P. Berche E. Bingen - M.E. Bougnoux - J.P. Bru - F. Brunet Y. Buisson - F. Caron - R. Cohen - L. Dubreuil R. Herbrecht - V. Jarlier - M. Kitzis - J.M. Lang P. Lebon - A. Lepape - G. Leverger - F. Lucht P. Massip - S. Matheron - T. May - C. Mayaud Ph. Morlat - J.C. Nicolas - I. Pellegrin - Y. Piémont P. Ribaud - C. Rouzioux - Ph. Sansonetti J. Sirot - C. Weil-Olivier - M. Wolff Société éditrice : EDIMARK SAS Tr i b u n e Président-directeur général : Claudie Damour-Terrasson Rédaction Secrétaire générale de la rédaction : Magali Pelleau Secrétaire de rédaction : Béatrice Hacquard-Siourd Rédactrices-réviseuses : Cécile Clerc, Sylvie Duverger, Muriel Lejeune, Catherine Mathis, Odile Prébin L’éthique médicale au temps de la T2A Infographie Premier rédacteur graphiste : Didier Arnoult Responsable technique : Virginie Malicot Rédactrices graphistes : Mathilde Aimée, Christine Brianchon, Cécile Chassériau, Catherine Rousset Dessinateurs d’exécution : Stéphanie Dairain, Antoine Palacio Commercial Directeur du développement commercial : Sophia Huleux-Netchevitch Directeur des ventes : Chantal Géribi Directeur d’unité : Jennifer Lévy Régie publicitaire et annonces professionnelles : Tél. : 01 46 67 62 92 - Fax : 01 46 67 63 10 Abonnements : Lorraine Figuière (01 46 67 62 74) 2, rue Sainte-Marie, 92418 Courbevoie Cedex Tél.: 01 46 67 63 00. Fax : 01 46 67 63 10 E-mail : [email protected] Site Internet : www.edimark.fr Adhérent au SNPM Revue indexée dans la base PASCAL Éditorial Directeur de la publication : Claudie Damour-Terrasson La T2A au service de l’éthique médicale ? The T2A in favour of medical ethics? É ditorial #A. Grimaldi* J Éditorial T ribune É ditorial La Lettre de l’Infectiologue e dois avouer que je ne lis pas régulièrement La Lettre de l’Infectiologue, et je dois reconnaître que j’ai tort. C’est ainsi que j’ai raté l’éditorial de A. Lortat-Jacob et l’article pédagogique[1] rédigé par deux membres du réseau d’évaluation en économie de santé et un membre du laboratoire Lilly, expliquant les bienfaits de la T2A aux infectiologues, qui, comme tous les médecins, “présentent des carences majeures en formation médico-économique”. “Regardons, disent-ils, outre la dimension strictement économique et financière, la dimension médicale de cette approche. La situation du patient doit s’améliorer rapidement. Une infection nosocomiale, qui aura pour conséquences la prolongation de la durée de l’hospitalisation et une augmentation des coûts de la prise en charge, sera responsable d’une situation difficile pour le patient tout comme pour l’hôpital.” Ainsi, intérêt financier et intérêt du malade marchent la main dans la main (la diminution significative des infections nosocomiales enregistrée ces dernières années semble cependant plus due à l’activité des CLIN et à la mise en place d’une évaluation qu’à l’introduction de la T2A). Cela dit, la logique de ces spécialistes en économie de santé est imparable. Nous avons d’ailleurs tous compris que, pour faire des bénéfices, il faut hospitaliser des malades pas trop malades, c’est-à-dire pouvant sortir plus rapidement qu’il n’est prévu par le groupe homogène de séjour (GHS) et bénéficiant par ailleurs d’un code rentable. Grâce à la T2A, il est même devenu éthique de développer au maximum des activités rentables (hôpitaux de jour par exemple) pour pouvoir payer les activités non rentables (par exemple l’éducation thérapeutique), ou tout simplement non codées (par exemple des consultations longues d’expertise ou le “coaching” infirmier par téléphone…). Grâce à ses “vertus éthiques”, la T2A a ainsi conduit l’ensemble des hôpitaux, des spécialités et des pôles à s’engager dans “l’optimisation du codage”. L’hospitalisation de jour, dite de troisième catégorie, et la consultation multidisciplinaire sont très prisées… Et nous savons qu’il est désormais indispensable de transformer les hospitalisations avec une seule nuit en hospitalisation comportant au moins deux nuits ! “Le travail de codification est un art”, nous disent nos trois spécialistes ; “il ne doit en aucun cas être laissé entre les mains de personnes non expérimentées ou non formées”. À l’Institut Montsouris, il paraît même que les codeurs bénéficient de l’aide d’un logiciel, qui, pour chaque patient, leur permet de trouver le codage le plus rentable exprimé en euros. Nous sommes tous en train d’apprendre cet art nouveau ; nous y consacrons des moyens en temps de secrétaires et de médecins seniors, car, comme le dit l’article cité, “le premier objectif (c’est nous qui soulignons) de l’établissement de soins est de sécuriser les recettes par une codification exacte et I nnocemment, je pensais qu’une médecine payée par la solidarité nationale se devait d’appliquer le juste coût au juste soin, et qu’en conséquence il fallait traquer toutes les formes de gaspillage, dont voici les quatre principales : La première est due à l’irresponsabilité des prescripteurs. Qu’importe de faire et refaire des examens inutiles, de prolonger sans raison des séjours par négligence ou faute de soins de suite puisque la Sécurité sociale paie … La deuxième forme de gaspillage est le productivisme, dont l’activité libérale offre l’exemple quotidien. On multiplie les actes inutiles seulement parce qu’ils sont rentables (imageries non invasives à répétition, consultations pour renouvellement d’ordonnance, mise sur le marché de médicaments plus chers mais à amélioration effective du service médical rendu faible ou nulle)… On nage en pleine éthique ! Ces deux premiers gaspillages en entraînent un troisième, celui nécessité par les contrôles. En la matière, nous sommes en train de faire un bond grâce à la T2A. Les 3 000 médecins conseils de la Sécurité sociale sont désormais mobilisés pour le contrôle. Ils ont commencé à contester les hospitalisations de jour abusives – on sort les dossiers, on se réunit, on conteste, on se réunit à nouveau pour une conciliation... – (au passage, un conseil : n’oubliez pas de prévoir un compte-rendu signé pour toute hospitalisation de jour ; l’administration, c’est bien connu, a toujours eu un faible pour le papier !). Enfin, reine des gaspillages, une gestion inadaptée grâce à un personnel pléthorique à activité redondante. Ainsi, la nouvelle gouvernance multiplie les niveaux de décision. À l’AP, au moins cinq (le service, le pôle, l’hôpital, le GHU, le siège...), et les plus chanceux bénéficient d’un sixième niveau avec la constitution de sous-pôles ou de piliers de pôle, cherchant à trouver une cohérence médicale au sein de la coûteuse incohérence gestionnaire. On manque d’infirmières et de médecins, mais on embauche des directeurs administratifs de pôle. * Service de diabétologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 75013 Paris. [1] La Lettre de l’Infectiologue 2006;XXI(2). Éditorial, A. Lortat-Jacob (p. 61) ; Mise au point, K. Lelay, R. Launois, N. Chemali (pp. 62-72). La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXII - n° 2 - mars-avril 2007 45 Crédit photo couverture : ©stockdisc LI mars-avril 2007-ok.indd 45 A. Grimaldi* exhaustive”. Rien d’étonnant à ce que, lors du procès pour le décès par déshydratation d’un enfant hospitalisé à Trousseau, l’interne de garde, à qui on demandait pourquoi elle n’avait pas prévenu la chef de clinique, eut cette réponse délicieuse : “Je ne pouvais pas la déranger, elle faisait le codage !” Bref, on aura compris que l’éthique dont il s’agit ici n’est qu’un “slogan marketing”, pour reprendre l’expression amère de Didier Sicard. Il s’agit de l’éthique que pratiquent nombre d’industriels du médicament, qui se préoccupent de nos prescriptions dans l’intérêt de nos malades et proposent de s’occuper directement de l’amélioration de l’observance des patients. B ref, pour éviter le gaspillage engendré indiscutablement 20/11/07 8:30:32 par l’irresponsabilité, on développe actuellement de façon exubérante le gaspillage dû au productivisme, au contrôle et 46 LI mars-avril 2007-ok.indd 46 à la gestion… Bientôt on ajoutera un cinquième gaspillage : les frais de communication et de publicité, concurrence et bench marking obligent (tout cela bien sûr au nom de “l’éthique” de l’information nécessaire de la population). Rassurez-vous, chers collègues, cela n’est qu’une étape, juste le temps d’envoyer l’hôpital public dans le mur, de changer son statut en le transformant en institution à missions de service public, d’en finir avec le scandaleux privilège de la garantie de l’emploi. Nos directeurs syndiqués au Syndicat national des cadres hospitaliers (SNCH), dans un manifeste radical intitulé “Réagir”, proposent de “se battre à armes égales avec le secteur privé grâce à une réduction du volume des passages aux urgences, voire des hospitalisations qui en sont induites à l’instar des RMO aux États-Unis”, de “passer au plus vite à la T2A à 100 %”, “de récupérer la TVA comme les établissements privés”, de “donner une colonne vertébrale ‘manageriale’ aux établissements par l’instauration d’une part fixe et d’une part variable pour tous les cadres hospitaliers”, de “développer un intéressement des agents au sein des pôles”, de “rémunérer les praticiens hospitaliers 50 % à l’acte et 50 % de façon forfaitaire”. Bref, pour lutter à armes égales contre les cliniques privées, les directeurs du SNCH proposent de transformer les hôpitaux publics en cliniques privées ! C’est d’ailleurs pourquoi ils affirment qu’“il ne revient pas à la CME d’arrêter les choix fondamentaux qui conditionnent l’avenir de l’hôpital. Cette compétence est celle du conseil exécutif, du conseil d’administration et du directeur”. “Le directeur est le représentant légal de l’établissement ; il doit prononcer toutes les nominations à l’hôpital, y compris des médecins.” Parfaitement logique ! Si la médecine est une marchandise, le médecin un “technicien” ou un “offreur de soins”, le chef d’entreprise doit être le directeur et, comme dans toutes les grandes entreprises modernes, il restera à la tête de l’institution quatre à cinq ans avant de partir vers d’autres managements, nous laissant avec nos patients… Notre dernière directrice, Rose-Marie Van Lerberghe, fut sur ce point un précurseur ! B ien sûr, me direz-vous, il y a l’ONDAM (Objectif national des dépenses de l’assurance maladie), l’enveloppe immuable qui permet de changer en cours de route les règles du jeu. Les cyniques justifient ce tour de passe-passe de la façon suivante : les règles sont faites pour changer, les malins s’y adaptent plus vite que les autres, et lorsque les traînards ont réussi à s’adapter, on adopte de nouvelles règles. Toujours l’éthique ! Pour la Sécurité sociale, le problème n’est plus de savoir si son monopole va disparaître, la seule question sérieuse est quand. Certes, le pire n’est pas certain, mais le plus important est souvent le premier pas. On ne le sait hélas qu’après l’avoir franchi. O La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXII - n° 2 - mars-avril 2007 20/11/07 8:30:33 Le 24 octobre dernier, le Pr André Grimaldi recevait le Grand Prix Éditorial 2007 pour son article “La T2A au service de l’éthique médicale ?”, paru dans La Lettre de l’Infectiologue (Tome XXII, n° 2, mars-avril 2007). À cette occasion, il prononça un discours, que nous publions dans son intégralité. “J e remercie d’abord Éric Caumes, rédacteur en chef de La Lettre de l’Infectiologue, qui m’a demandé d’écrire cet éditorial d’ironie amère sur le financement des hôpitaux soi-disant à l’activité dite ‘T2A’. Je remercie ensuite très vivement le jury. Pour remercier, j’ai d’abord pensé vous lire la lettre de Guy Moquet, mais je me suis ravisé. Nous sommes entre adultes, nous savons bien que cette histoire de combat contre l’oppression, de don de soi pour défendre la liberté des autres, c’est un conte édifiant pour les enfants. Nous les adultes, nous savons bien que la valeur des valeurs, la seule qui compte au fond, surtout de nos jours, c’est l’argent. Nous pensions : le malade, c’est une personne que le médecin doit soigner comme si c’était un membre de sa famille. Nous nous trompions. La T2A nous apprend que c’est un client qui peut rapporter gros, du moins s’il est assez riche et s’il n’est pas trop malade. Nous pensions que le budget de l’hôpital était un bien collectif précieux qu’il ne faut pas gaspiller car il est limité. Nous nous trompions, la T2A nous apprend que c’est une affaire rentable, ou du moins rentabilisable, qui peut attirer les fonds de pension. * Service de diabétologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 75013 Paris. 222 Hier, on nous disait ‘dépensez moins’, aujourd’hui, on nous dit ‘augmentez l’activité’, c’est-à-dire ‘dépensez plus’. Nous avons essayé de donner l’alerte. En vain ! Comme ce fut en vain pour le numerus clausus, trop restrictif et trop longtemps poursuivi, et comme ce fut en vain pour la loi des 35 heures, si néfaste aux hôpitaux. Je vous remercie d’avoir eu le courage d’honorer un vaincu. Maigre consolation, nous savons que notre défaite sera aussi celle de nos vainqueurs : les décideurs, les économistes de santé, les champions du management ou du moins de certains d’entre eux. J’espère seulement que lorsqu’ils seront hospitalisés pour la toute dernière fois, comme 80 % des Français qui viennent mourir à l’hôpital, nos vainqueurs ne seront pas victimes des gains de productivité et du travail à flux tendu. Heureusement, finalement, il n’est pas si facile, malgré les progrès de la médecine, de transformer la maladie en marchandise, le malade en consommateur et le médecin en producteur, mais nous avons appris que désormais chaque génération de médecins devra redécouvrir, refonder, redéfinir l’éthique médicale qui fait l’identité de notre profession. Merci pour la leçon et merci pour votre attention.” ■ La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXII - n° 6 - novembre-décembre 2007