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Médecine
& enfance
Comment savoir si une recommandation
est recommandable ?
D’après la communication de M. Chalumeau, université Paris-Descartes, à la 10e journée Médecine et enfance-Arepege, septembre 2010
Rédaction : H. Collignon
Plusieurs outils ont été mis au point pour identifier (et élaborer) de « bonnes » recommandations pour la pratique clinique.
Parmi eux, la grille AGREE, destinée aux décideurs de santé,
aux groupes produisant des recommandations mais également aux médecins souhaitant faire leur propre évaluation des
recommandations qui leur sont proposées.
es recommandations pour la pratique clinique (RPC) sont « des
propositions développées avec
une méthode explicite dont l’objectif est
d’aider le praticien et le patient à rechercher les soins les plus appropriés en
intégrant dans la pratique quotidienne
les progrès issus de la recherche clinique ». Entrent ainsi dans le cadre de
cette définition les conférences de
consensus, les avis « officiels » (DGS,
HCSP, etc.), les AMM, le calendrier vaccinal, voire les revues systématiques type Cochrane.
Un exemple pour illustrer la question et
les difficultés qu’elle peut susciter : la
prise en charge de l’angine et notamment l’indication d’un streptotest donnent lieu à des recommandations divergentes, formulées pourtant à partir de
l’analyse des mêmes études [1].
Plusieurs outils existent pour identifier
les « bonnes recommandations » :
첸 le système GRADE (grading of recommandations assessment development and evaluation), qui est un outil
d’évaluation des RPC uniquement en
langue anglaise et nécessitant l’utilisation d’un logiciel ;
첸 et, plus facilement accessible et disposant d’une version française, la grille
AGREE (appraisal of guidelines research and evaluation), qui a été développée par l’OMS et la communauté euro-
L
péenne pour des professionnels d’horizons divers :
– les décideurs de santé, afin de les aider dans le choix des RPC à préconiser
en pratique clinique ;
– les groupes élaborant les RPC, pour
mettre à leur disposition une méthodologie d’élaboration des RPC qui en garantisse la qualité ;
– les médecins et autres professionnels
de santé désirant faire leur propre évaluation des RPC avant de les mettre en
pratique ;
– les enseignants et les formateurs.
LA GRILLE AGREE
La grille AGREE comporte vingt-trois
items organisés en six domaines :
champ et objectifs de la recommandation ; participation des groupes concernés ; rigueur d’élaboration ; clarté de la
présentation ; applicabilité ; indépendance éditoriale. Les lecteurs de la recommandation (au moins deux et si
possible quatre, pour susciter la discussion et optimiser la fiabilité de l’évaluation) attribuent un score à chaque item.
Les six domaines sont indépendants et il
ne doit pas être attribué de score global
de qualité. En revanche, les scores par
domaine peuvent être utilisés pour
comparer des RPC et orienter la décision de mettre ou non en pratique une
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recommandation. Il n’est pas non plus
possible d’établir des seuils pour les
scores par domaine qui permettraient
de distinguer des « bonnes » ou des
« mauvaises » recommandations. Une
section « évaluation globale », disponible en fin de grille, propose différentes options : « fortement recommandée », « recommandée avec certaines réserves ou après modifications », « non
recommandée » et « incertain ».
DOMAINE 1 : CHAMP ET OBJECTIF
Le domaine 1 comporte trois items :
첸 les objectifs de la RPC sont-ils décrits
explicitement ?
첸 les questions cliniques couvertes par
la RPC sont-elles décrites explicitement ?
첸 les patients auxquels la RPC doit s’appliquer sont-ils décrits explicitement ?
Par exemple, il ne sera jamais possible
de répondre à une question formulée
comme suit : le salbutamol « marche-til » dans les bronchiolites ? En revanche,
on peut espérer apporter une réponse
en structurant la question et en utilisant
pour ce faire la méthode PICO : P pour
patient, I pour intervention, C pour
comparaison et O pour outcome. La
question devient alors : le salbutamol
« marche-t-il » pour tel patient, défini
par son âge, ses antécédents et la gravité de sa maladie, avec telle dose de produit, en précisant le mode et le rythme
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d’administration, par comparaison avec
une abstention thérapeutique, une
désinfection rhinopharyngée, une kinésithérapie, etc., et pour un outcome
(critère de jugement) qui pourrait être
dans ce cas la fréquence respiratoire à
un temps d’évolution donné, la SaO2, le
taux d’hospitalisation…
La conférence de consensus sur les
bronchiolites qui, à la question : « quels
traitements proposer ? », répond : « les
bronchodilatateurs n’ont pas leur place
dans la stratégie de prise en charge de
la première bronchiolite » aurait pu gagner en précision dans la formulation
de la question en utilisant cette méthode PICO. Il est dommage de constater,
comme l’ont fait les auteurs d’une étude
menée dans le département du Nord
publiée en 2005, que « deux années
après la conférence, le traitement ambulatoire des bronchiolites n’était pas
modifié, corticoïdes, bêta-2-mimétiques, antibiotiques et mucolytiques
restant trop prescrits » [2].
DOMAINE 2 : PARTICIPATION
DES GROUPES CONCERNÉS
Ce domaine comporte quatre items :
첸 le groupe ayant élaboré la RPC inclut
des représentants de tous les groupes
professionnels concernés ;
첸 les opinions et les préférences des patients ont été identifiées ;
첸 les utilisateurs cibles de la RPC sont
clairement définis ;
첸 la RPC a été testée auprès des utilisateurs cibles.
C’est sur ce dernier item, essentiel et
pourtant rarement rempli, que s’est fondée une étude menée par l’association
Arepege évaluant la connaissance et la
mise en œuvre par les pédiatres de la
conférence de consensus sur les rhinopharyngites aiguës publiée en 1996 [3].
Les conclusions de cette conférence
étaient, entre autres, que « le traitement
antibiotique peut se discuter en cas
d’antécédents d’otites récidivantes,
chez le nourrisson de moins de six mois,
a fortiori lorsqu’il est gardé en collectivité et à tout âge sur terrain immunodéprimé ». L’étude d’Arepege, menée auprès de 56 pédiatres de ville, a permis
QUESTIONS ET COMMENTAIRES
➜ Il existe un certain nombre d’exemples de la diversité des recommandations sur un même
sujet selon les pays. La kinésithérapie, préconisée en France dans les bronchiolites alors qu’elle est déconseillée en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis ou au Canada, en est un. Par ailleurs,
on sait que certaines recommandations ont eu des conséquences dramatiques, ainsi celle
concernant le couchage sur le ventre en cas de reflux, qui a multiplié par 7 l’incidence de la
mort subite.
M. Chalumeau Cela amène effectivement à s’interroger sur la méthodologie qui a sous-tendu cette recommandation du couchage en position ventrale et plaide pour une grande rigueur dans l’élaboration de ces recommandations.
➜ Quelles sont les raisons qui président à la décision de faire une recommandation ?
M. Chalumeau Une variabilité des pratiques qui ne s’explique pas scientifiquement est probablement un très bon signe d’une suboptimalité des soins et de l’intérêt potentiel du développement d’une RPC. Il est aussi très important que la demande de recommandation émane
des cliniciens qui assurent ces soins.
➜ Il est important de rappeler que les méthodes statistiques appliquées à la biologie et à la
médecine ont été élaborées à l’IGR dans les unités de recherche Inserm, et que cet abord a
très largement participé aux considérables progrès qui ont été réalisés en cancérologie.
M. Chalumeau Cette collaboration entre méthodologistes, statisticiens, épidémiologistes,
pharmacologues et cliniciens explique effectivement la standardisation des soins et les
énormes progrès réalisés dans ce domaine au cours des quarante dernières années. C’est un
exemple à suivre pour tous, y compris pour les pédiatres de ville
d’estimer que, selon les conclusions de
la conférence de consensus, une antibiothérapie aurait été discutée dans
38 % des cas. Fort heureusement, les
pédiatres d’Arepege n’ont pas suivi la
recommandation et seuls 24 % des enfants de cette étude ont effectivement
reçu une antibiothérapie. Si ce test avait
été fait avant la rédaction des conclusions de la conférence, il aurait permis
de pointer une imprécision rédactionnelle ouvrant la porte à un effet inverse
de celui recherché par la conférence de
consensus, qui était de diminuer les
prescriptions d’antibiotiques inutiles.
DOMAINE 3 : RIGUEUR
D’ÉLABORATION
Le domaine 3 regroupe sept items :
첸 des méthodes systématiques ont été
utilisées pour rechercher des preuves
scientifiques ;
첸 les critères de sélection des preuves
sont clairement définis ;
첸 les méthodes utilisées pour formuler
les recommandations sont clairement
décrites ;
첸 les bénéfices, les effets secondaires,
et les risques en termes de santé ont été
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pris en considération dans la formulation des recommandations ;
첸 il y a un lien explicite entre les recommandations et les preuves scientifiques sur lesquelles elles reposent ;
첸 la RPC a été revue par des experts externes avant sa publication ;
첸 une procédure d’actualisation de la
RPC est décrite.
Dans la recommandation de l’Académie
américaine de pédiatrie sur la maladie
de Kawasaki, par exemple, il est précisé
que la recommandation expire au bout
de cinq ans si elle n’a pas été confirmée
ou révisée. Cela incite le clinicien à vérifier lors de l’application de ces recommandations qu’aucune mise à jour ou
publication majeure ne les invalide.
DOMAINE 4 : CLARTÉ
ET PRÉSENTATION
Le domaine 4 comporte quatre items :
첸 les recommandations sont précises et
sans ambiguïté ;
첸 les différentes options pour la prise
en charge de la situation clinique sont
clairement présentées ;
첸 les recommandations clés sont facilement identifiables ;
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첸 la RPC est accompagnée d’outils permettant son application (une fiche pour
les parents par exemple).
Concernant le premier item, l’absence
d’ambiguïté des recommandations, on
peut reprendre l’exemple de la conférence de consensus sur la rhinopharyngite aiguë de 1996, qui énonçait que le
traitement antibiotique pouvait se discuter « en cas d’otites récidivantes » sans
plus de précision. Un an plus tard, dans
une recommandation sur l’antibiothérapie par voie générale en pratique courante, l’Afssaps précisait que le terme
« récidivant » recouvrait plus de trois
otites annuelles.
DOMAINE 5 : APPLICABILITÉ
Le domaine 5 inclut trois items :
첸 les barrières organisationnelles potentielles à l’application des recommandations ont été discutées ;
첸 l’impact économique de l’application
des recommandations a été examiné ;
첸 la RPC propose des critères permettant le suivi de l’adhésion aux recommandations et/ou la réalisation d’audits.
Il est malheureusement rare qu’une part
du budget dévolu à la production d’une
RCP soit attribuée à l’évaluation de son
impact, mais certains producteurs de
recommandations apportent une attention particulière aux barrières organisa-
Références
[1] MATTHYS J., DE MEYERE M., VAN DRIEL M.L., DE SUTTER
A. : « Differences among international pharyngitis guidelines :
not just academic », Ann. Fam. Med., 2007 ; 5 : 436-43.
tionnelles. Par exemple, dans un avis
relatif aux tests diagnostiques de la coqueluche, le Haut Conseil de la santé
publique a considéré que la PCR (polymerase chain reaction) en temps réel
représentait actuellement le test diagnostique de référence chez les sujets
qui toussent depuis moins de trois semaines. Il a assorti cet avis d’une recommandation de remboursement de la
PCR par la Sécurité sociale.
doit trancher entre les différentes méthodes diagnostiques existantes sans indiquer clairement ses conflits d’intérêt.
AGREE : QUEL NIVEAU
DE PREUVE ?
Le domaine 6 concernant l’indépendance éditoriale a deux items :
첸 la rédaction de la RPC est indépendante des organismes de financement
(y compris publics) ;
첸 les conflits d’intérêt des membres du
groupe ayant élaboré la RPC ont été documentés.
On pense souvent aux conflits d’intérêt financiers privés, mais les conflits d’intérêt
institutionnels et académiques sont aussi
importants à déclarer. Par exemple, les
conclusions d’un groupe d’experts travaillant pour une agence sanitaire ne devraient pas être modifiées par cette agence. De la même manière, un universitaire
ayant développé une nouvelle méthode
diagnostique ne devrait pas être expert
dans une conférence de consensus qui
Une étude a été réalisée dans le cadre
d’une thèse prenant en compte les différentes recommandations sur la fièvre :
recommandations du GPG, de l’Afssaps,
du Comité belge d’information pharmacocinétique (CBIP) et de la Société canadienne de pédiatrie [4]. Elle a évalué
la corrélation entre le score de rigueur
méthodologique de la grille AGREE et le
score de concordance de la recommandation avec un gold standard. Elle a
permis de démontrer pour la première
fois l’efficacité de la grille AGREE en
montrant une corrélation forte entre
l’effort méthodologique et le fond des
recommandations du GPG, de l’Afssaps,
du CBIP et de la SCP, ces dernières
étant supérieures aux recommandations des autres sociétés savantes pour
la concordance avec le gold standard.
En conclusion, pour savoir si une recommandation de pratique clinique est
recommandable, il faut libérer à la fois
du temps pour répondre et son esprit
critique, mais avec méthode.
첸
[2] HALNA M., LEBLOND P., AISSI E., DUMONCEAUX A., DELEPOULLE F., EL KOHEN R., HUE V., MARTINOT A. : « Impact de la
conférence de consensus sur le traitement ambulatoire des
bronchiolites du nourrisson : étude sur 3 années dans le département du Nord », Pr. Méd., 2005 ; 34 : 277-81.
[3] CHALUMEAU M., SALANAVE B., ASSATHIANY R., KEMENY
J., BREART G. ET LE GROUPE AREPEGE : « Connaissance et ap-
plication par des pédiatres de ville de la conférence de consensus sur les rhinopharyngites aiguës de l’enfant », Arch. Pédiatr.,
2000 ; 7 : 481-8.
[4] AMAZZOUGH K. : Prise en charge symptomatique de la
fièvre chez l’enfant en médecine générale : qualité méthodologique des recommandations francophones, thèse de doctorat
en médecine, 2009.
DOMAINE 6 : INDÉPENDANCE
ÉDITORIALE
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