L’ Obésité :

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Obésité :
pléthore de facteurs
de régulation
et nécessité
d’une thérapie
multiple et ciblée,
de prévention
et, toujours,
de recherche
L’
obésité est la maladie “douce” et sournoise des temps modernes,
puisqu’elle n’engage pas le pronostic vital à court terme, à la diff érence du sida ou du cancer, autres plaies de nos sociétés actuelles.
L’expression “c’est un bon gros” est révélatrice de cet état de fait
et de la négligence avec laquelle on l’a trop longtemps traitée. Cependant, en
dehors de son impact sur la santé publique, c’est l’aspect économique de ses
conséquences sur la santé, avec le chapelet de troubles associés (diabète, troubles
cardiovasculaires, cancer, etc.), et son apparition de plus en plus précoce dans
la vie des individus qui ont fait pre n d re conscience depuis quelques années
du caractère crucial de ce problème. En France, une récente expertise faite par
l’INSERM a montré un quadruplement (de 3 à 12 %) de la prévalence de
l’obésité chez les enfants. Ce phénomène, qui se poursuit à l’heure actuelle,
puisque l’on atteint 16 %, est mondial ; il existe à des degrés divers en Europe,
et à un niveau maximum aux États-Unis, où près de 50 % de la population est
en surpoids ou obèse.
Il faut noter aussi que le pourcentage des formes les plus sévères d’obésité,
caractérisées par un index de masse corporelle (poids/taille au carré ) supérieur
à 40, est en augmentation rapide. Le traitement de ces obésités “morbides”
nécessite des interventions plus radicales. Ce sont les cas typiques dans lesquels la chirurgie abdominale ou plastique peut être prescrite. Une approche
aussi drastique n’est cependant pas nécessaire pour la majorité des obèses.
L’obésité est le résultat d’un bilan énergétique positif, et le bon sens voudrait
qu’il se régularise par une diminution des apports et une augmentation des
dépenses. Malheureusement, ceci ne conduit au succès que lorsque l’individu
s’impose une discipline constante sur le plan de la nutrition et de l’exercice
physique, et ce, sur de longues périodes. C’est dans ces conditions que l’on
peut constater que les aspects psychologiques et cognitifs jouent également
un grand rôle. Les quatre articles de ce dossier “Actualités biologiques de la
régulation du poids” montrent bien la complexité des mécanismes qui régulent
le comportement alimentaire et le poids corporel. Cette finesse de régulation
est nécessaire pour faire face à toutes les situations de disponibilité alimentaire et assurer la survie de l’individu dans des conditions très variables. Ainsi,
de nombreux mécanismes ont eu pour objectif le stockage de l’énergie
pendant les périodes d’abondance, afin de surmonter les périodes de disette.
La disponibilité alimentaire continue actuelle a complètement déréglé la
machine énergétique humaine. La leptine, découverte il y a dix ans, en est
un exemple frappant. Cette hormone, sécrétée principalement par le tissu
adipeux, est (ou était) censée être un reflet des réserves d’énergie, indiquant au
système nerveux central le comportement à adopter en vue de maintenir l’état
des réserves. L’apparition de la leptinorésistance chez les obèses, un phénomène comparable à l’insulinorésistance chez les diabétiques de type 2 (dit “de
la maturité”), a complètement annihilé les espoirs thérapeutiques mis dans
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cette molécule. Les déficiences de la production de ce peptide ou de son
récepteur, telles qu’on a pu les constater chez les modèles animaux d’obésité
génétique comme la souris ob/ob et db/db ou le rat Zucker fa/fa, ne relèvent
en effet que de l’anecdote pour l’espèce humaine, vu le nombre infinitésimal
de cas répertoriés. Cependant, ces quelques cas ont permis de confirmer les
effets physiologiques de la leptine lorsque ces obèses ont été traités avec la
molécule.
Les cas où l’on a observé des mutations des gènes codant pour le récepteur
de type 4 de la mélanocortine sont bien plus nombreux, mais, malgré tout, ils
ne représentent qu’une faible pro p o rtion du nombre des obèses. Toutefois, la
détermination de ces mutations (et donc le criblage des patients qui en sont
atteints) est importante, car elle permettra d’adapter le type de drogues à
utiliser pour avoir une thérapie optimale.
Depuis la découverte de la leptine, de nombreux peptides ont été mis en évidence pour leur rôle dans la régulation pondérale. L’une des voies de recherche
prometteuses concerne la ghréline, dont l’action orexigène et adipogénique
a été démontrée au cours des quatre dern i è res années. Sa présence au niveau
périphérique semble être un plus dans les traitements de l’obésité, car le passage de la barr i è re hémato-encéphalique n’est pas absolument nécessaire
pour les médicaments destinés à agir sur cette voie de régulation. Cependant,
l’existence de ghréline en petite quantité a également été prouvée au niveau
hypothalamique. Le rôle de cette ghréline hypothalamique reste peu clair à
l’heure actuelle. De même, des re c h e rches supplémentaires sont nécessaires
pour déterminer quels types exacts de récepteurs sont mis en œuvre pour son
action biologique en liaison avec sa forme circulante (présence d’un groupement octanoyl ou non). La multiplicité des récepteurs impliqués n’est
pas propre à la ghréline. C’est une situation courante pour tous ces peptides,
puisqu’il y a six récepteurs pour le plus puissant des peptides orexigènes, le
neuropeptide Y, trois pour la galanine et deux pour la corticolibérine, et qu’il
en existe plusieurs formes pour la leptine. Cela est compréhensible, car ces
peptides ont des effets multiples : la ghréline agit sur la libération de l’hormone
de croissance, la leptine a des effets sur la re p roduction ou le métabolisme
osseux, les orexines ont un rôle important dans le cycle éveil-sommeil. Tous
ces effets, complémentaires de leur action sur le bilan énergétique, re n d e n t
encore plus difficile la découverte d’agonistes ou d’antagonistes spécifiques
et performants.
Au vu de la complexité de ces régulations et d’une redondance certaine des
circuits, il apparaît nécessaire non seulement de faire un criblage des obésités,
mais aussi, sans doute, d’envisager des multithérapies afin d’avoir plusieurs
angles d’intervention. Parmi des voies prometteuses non explorées dans ce
dossier figurent l’hormone de mélanoconcentration (MCH) et les endocannabinoïdes. Ces molécules ne concernent pas uniquement l’aspect énergétique
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des régulations. Le développement d’antagonistes de la MCH a permis de
montrer également des effets anxiolytiques. Pour les endocannabinoïdes, qui
ne sont pas des peptides mais des dérivés d’acide gras, c’est leur impact sur les
phénomènes d’addiction alimentaire/palatabilité/plaisir qui semble davantage
pris en compte. L’impact de ces aspects plus environnementaux et cognitifs,
impliquant aussi des notions d’apprentissage, de mémoire et en relation avec
des composantes olfactives, gustatives ou tactiles, est peu connu. Ils font
appel au fonctionnement d’autres zones du cerveau, et, si leur interaction
avec les noyaux hypothalamiques où se trouvent intégrés beaucoup de
signaux métaboliques commence à être décryptée, le chemin est encore long
pour en connaître toutes les subtilités. De nombreuses re c h e rches sero n t
n é c e s s a i resdans ce domaine. Elles devraient faire avancer significativement
les stratégies thérapeutiques, en permettant de cibler encore plus précisément
la part de chaque composante “énergie/psychologie/stress”. Ce facteur
“stress” pouvait être considéré comme bénéfique il y a quelques dizaines de
milliers d’années, lorsque surv i v re était l’objectif principal de chaque individu.
Là encore, avec le changement des conditions de vie et le progrès, il y a eu
retournement de situation en ce qui concerne les rôles de ces facteurs sur la
régulation pondérale.
L’acuité du problème de l’obésité dans nos sociétés rend les recherches encore
plus nécessaires qu’auparavant. Les deux seuls médicaments autorisés pour
traiter ce syndrome agissent sur la disponibilité en énergie, soit en interv e n a n t
sur les voies de régulation aminergiques centrales, et en induisant donc une
diminution de prise de nourriture, soit en limitant l’absorption des graisses, le
macronutriment le plus énergétique. Pour accroître leur efficacité, il faut leur
a d j o i n d redes changements comportementaux (diététique et exercice). Les
récentes propositions visant la disponibilité alimentaire via la suppression des
distributeurs de snacks et la diminution des incitations via les publicitaire s
auprès des jeunes constituent des aides supplémentaires conformes aux
recommandations de l’expertise INSERM. Elles ne constituent toutefois que
des pis-aller, ne permettant que de limiter l’explosion de l’épidémie d’obésité
avant la mise sur le marché à moyen terme de molécules plus efficaces.
Il faut cependant rester optimiste, et la responsabilité des chercheurs est
engagée pour les générations futures. Depuis quelque temps, de nouvelles
approches du problème ont permis de montrer que tous ces circuits de régulation étaient très sensibles aux conditions nutritionnelles et enviro n n e m e ntales pendant les phases précoces de la vie, que ce soit au niveau du fœtus
ou dans les premiers mois après la naissance. La famine de l’hiver 1944-45
aux Pays-Bas avait déjà mis l’accent sur cet aspect très important de la régulation pondérale, puique l’on a re t rouvé un grand nombre d’obèses vingt ans
plus tard parmi les enfants des femmes enceintes pendant cette période. Des
conditions nutritionnelles perturbées ont des répercussions durables sur tous
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les systèmes hypothalamiques de régulation. De nouvelles re c h e rches permettront de cerner mieux encore l’importance de ces facteurs, mais, d’ores et
déjà, des recommandations pour une vie “saine” diététiquement et socialement parlant pendant la gestation devraient perm e t t re d’améliorer les choses
en minimisant ce qui peut se produire à l’adolescence et à l’âge adulte. C’est
cette politique de prévention intensive basée sur une information forte qui
s’impose à l’heure actuelle pour combattre le fléau de l’obésité.
Remerciements
Les recherches de l’auteur sont supportées par un contrat européen “Quality of Life and Management
of Living Resources”, Key action 1 “Food, nutrition and health” programme (QLK1-2000-00515).
B. Beck
INSERM, Nancy.
Références
✔ Obésité. Dépistage et prévention chez l’enfant. Rap p o rt d’expertise INSERM. Paris : Éditions INSERM 2000,
325 p.
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