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Conduite à tenir devant une occlusion chez un malade
avec des antécédents de cancer digestif
● P. Wind*, M.H. Roullet**
n estime que, parmi les patients opérés pour un
cancer colorectal, 9 % auront une occlusion du grêle
dans un délai moyen de 5 ans suivant l’intervention
initiale (1). La survenue d’une occlusion de l’intestin grêle chez un
patient ayant un antécédent de cancer digestif pose un double problème étiologique et thérapeutique. L’occlusion peut être due à une
récidive péritonéale, une bride, une sténose radique ou une autre
cause. Une évaluation clinique et radiologique est nécessaire pour
reconnaître une cause bénigne, notamment une occlusion sur bride.
S’il s’agit d’une occlusion du grêle en rapport avec une carcinose
péritonéale, un traitement médical peut être une option thérapeutique. La décision d’une laparotomie doit prendre en compte plusieurs facteurs, tels que le degré d’obstruction, les possibilités techniques chirurgicales, l’état général et l’espérance de vie du patient.
Toutefois, l’abstention chirurgicale initiale peut faire courir le risque
de méconnaître une simple occlusion du grêle sur bride, ainsi que
celui de nécrose intestinale en cas d’occlusion par strangulation.
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DIAGNOSTIC DE LA CAUSE DE L'OCCLUSION
Les occlusions du grêle après traitement d’un cancer digestif ont
une cause maligne dans 50 à 75 % des cas (2, 3). Le diagnostic
est difficile, car des arguments cliniques ou radiologiques (TDM)
en faveur d’une carcinose péritonéale ne sont présents que chez
un tiers des patients environ (4). Le cancer du côlon est le site
du cancer primitif le plus fréquent (5). En l’absence de signes
patents de carcinose péritonéale (masses palpables abdominales
ou, au toucher rectal, présence d’une ascite), les caractéristiques
cliniques en faveur d’une occlusion par récidive néoplasique sont
le mode de début progressif de la symptomatologie occlusive,
l’absence de douleur permanente et l’arrêt incomplet du transit
(4). Un début brutal, des douleurs importantes et permanentes et
un arrêt complet du transit évoquent habituellement un mécanisme d’occlusion par strangulation, et c’est pourquoi ils sont
plus fréquemment présents dans les occlusions sur bride (6).
Le caractère perforé du cancer primitif intra-abdominal est également un argument en faveur d’une occlusion par carcinose péritonéale (1). Le délai écoulé entre le cancer et l’occlusion du grêle
est soit plus court en cas d’occlusion par carcinose (2), soit équivalent aux délais des autres causes (7). Dans une étude (3), la probabilité d’une occlusion par carcinose devenait exceptionnelle
au-delà d’un délai de 5 ans après le cancer, mais atteignait 30 %
dans un autre travail (4). Ainsi, peu d’éléments permettent d’éta-
* Hôpital Avicenne, Bobigny et ** Hôpital Laennec, Paris.
La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - no 4 - vol. III - septembre 2000
blir de façon formelle la cause de l’occlusion. Même chez les
patients ayant une récidive connue et évolutive clinique ou radiologique, une cause non tumorale peut être responsable de l’occlusion (1, 8). Cependant, cette notion de récidive, connue ou non,
est probablement un des meilleurs critères, puisque, lorsque la
récidive est connue, la probabilité d’une occlusion bénigne est de
30 % (4), mais peut atteindre 80 % dans le cas contraire (8).
CONDUITE À TENIR
Compte tenu de la difficulté à établir avec certitude la cause de
l’occlusion, l’abstention chirurgicale pose un problème majeur
qui est celui de méconnaître une occlusion sur bride, responsable
de l’occlusion chez 30 à 50 % des patients ayant un antécédent
de cancer digestif, avec pour corollaire le risque d’attente inutile
pour le patient et celui de laisser évoluer une ischémie intestinale
vers la nécrose. Dans les occlusions du grêle sur bride, on distingue classiquement :
- les occlusions du grêle par “plicature”, où le tableau clinique
est plus proche d’un mécanisme d’obstruction avec un risque
ischémique faible et une probabilité de sédation sous simple aspiration digestive, dans 46 % des cas en 48 à 72 heures (9) ;
- les occlusions du grêle sur bride par strangulation (striction serrée, ou volvulus) où le traitement est une véritable urgence chirurgicale en raison de l’évolution rapide vers une gangrène pariétale. Une strangulation est présente dans 10 à 40 % des
occlusions du grêle sur bride (9). Les signes cliniques devant
faire évoquer une strangulation sont classiquement la présence
d’une douleur abdominale fixe et permanente, des vomissements
fécaloïdes, une fièvre, l’absence de bruits hydro-aériques, une
défense abdominale, une hyperleucocytose. Cependant, il a été
montré que le diagnostic d’une occlusion mécanique du grêle par
strangulation par un chirurgien expérimenté était correct dans
seulement 48 % des cas (10). De la même façon, les signes habituellement utilisés pour prédire une gangrène pariétale ne sont
pas toujours discriminatifs (9).
Un examen tomodensitométrique a plusieurs intérêts. Outre la
recherche de signes de récidive hépatique ou péritonéale et d’une
ascite, il permet de confirmer que l’occlusion siège sur le grêle, ce
qui est le cas de plus de 90 % des occlusions par récidive néoplasique, et de rechercher une occlusion associée du côlon présente
dans 8 % des cas (11). Le diagnostic d’occlusion mécanique du
grêle repose sur l’association d’anses plates et d’anses dilatées. La
TDM a une sensibilité et une spécificité de plus de 90 % pour le
diagnostic d’occlusion mécanique du grêle (12). S’il existe une
zone transitionnelle, mais aucune masse ou cause d’obstruction, le
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diagnostic le plus probable est alors celui d’occlusion du grêle sur
bride (13). Cependant, la tomodensitométrie abdominale ne permettrait d’identifier une carcinose péritonéale que dans 54 % des
cas, avec une spécificité de 86 % (14). L’imagerie par résonance
magnétique aurait une sensibilité et une spécificité respectivement
de 84 et 87 % pour le diagnostic de carcinose péritonéale.
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n’est pas connue, l’intervention chirurgicale est justifiée pour ne
pas méconnaître une occlusion bénigne. Si la récidive est connue,
la probabilité d’une occlusion bénigne est plus faible, et l’intervention doit être discutée au cas par cas, en cas d’échec du traitement médical ou bien en cas de récidive précoce de l’occlusion.
CONCLUSION
TRAITEMENT
Lorsque le diagnostic d’occlusion par carcinose est fortement
probable, l’intervention chirurgicale peut être différée sous couvert d’un traitement médical comprenant une aspiration digestive. Ce délai est d’autant plus justifié dans les occlusions par
carcinose, que l'évolution vers une nécrose intestinale est rare et
qu'une amélioration sous traitement médical est obtenue dans 16
à 28 % des cas (2, 5, 8). La probabilité d’amélioration sous traitement médical est encore plus importante (45 %) en cas d’occlusion incomplète. Néanmoins, 40 % de ces patients auront une
récidive de l’occlusion avant leur décès (2) ; celle-ci survenant
plus précocement après traitement conservateur qu’après traitement chirurgical (15). Pour toutes ces raisons, si l’état général du
patient et le degré d’extension intra-abdominal de la maladie autorisent un traitement chirurgical, la poursuite de l’aspiration digestive doit être discutée au-delà du troisième jour, car alors la probabilité d’amélioration sous traitement médical est faible (8).
En cas d’échec du traitement médical ou bien de récidive précoce de l’occlusion, une intervention chirurgicale doit être envisagée. L’indication doit tenir compte de l’état général du malade
et de l’importance de la maladie intrapéritonéale, qui conditionne
la possibilité de lever l’occlusion, par résection ou dérivation
digestive, et le retour à une autonomie digestive.
Le but principal de l’intervention est surtout d’améliorer la qualité de vie, car le pronostic des carcinoses péritonéales opérées
pour occlusion reste médiocre, avec une médiane de survie aux
alentours de 5 mois (7). La présence d’une ascite est un élément
de mauvais pronostic (15, 16). Le site du cancer primitif ne modifie pas significativement cette survie (17). Toutefois, la survie des
carcinoses péritonéales d’origine colorectale semble un peu plus
prolongée (3). Les causes principales de complications postopératoires sont le sepsis intra-abdominal et les fistules digestives. La
mortalité postopératoire chez les patients en occlusion sur carcinose péritonéale est d’environ 25 % (2, 3, 8). La moitié des décès
postopératoires est en rapport avec l'évolution terminale de la
maladie chez des patients dont la laparotomie n'a pas permis de
geste efficace. Ces données doivent inciter à mieux sélectionner
les patients susceptibles de retirer un bénéfice du traitement chirurgical en termes de qualité de survie. Il est montré que le principal facteur prédictif de morbidité opératoire est l’état général
préopératoire, et que seuls les patients ayant une activité proche
de la normale peuvent retirer un bénéfice de l’intervention (18).
Lorsque les patients sont sélectionnés, l'intervention permet de
lever l’occlusion dans 90 % des cas (4). La continuité digestive
peut être conservée ou rétablie dans 70 % des cas. Le bénéfice sur
la qualité de vie est bon, puisque 78 % des patients quittant l’hôpital retrouvent une autonomie digestive satisfaisante sans alimentation parentérale complémentaire (4). En résumé, si la récidive
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La survenue d’une occlusion du grêle chez un patient en récidive
péritonéale est un événement déterminant dans l’histoire naturelle du cancer. En effet, d’une part, la qualité de vie est profondément altérée et, d’autre part, la survie moyenne espérée est souvent réduite à quelques mois. Le diagnostic du mécanisme de
l’occlusion reste difficile à établir, surtout chez les patients dont
la récidive n’est pas connue. L’occlusion peut être d’origine non
tumorale dans 30 % des cas. Même en cas d’occlusion par carcinose péritonéale, il existe un sous-groupe de patients qui peuvent retirer un bénéfice d’une intervention. L’intervention paraît
justifiée s’il existe un doute sur le mécanisme de l’occlusion, ou
si l’occlusion ne cède pas sous traitement médical en cas d’obstruction tumorale. Cette intervention nécessite un état général
satisfaisant et une évaluation de l’importance de la récidive, autorisant ou non un geste utile avec une mortalité opératoire réduite,
ce qui amène à exclure les patients avec ascite.
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La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - no 4 - vol. III - septembre 2000
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