MISE AU POINT BATTLE : une voie prometteuse vers des traitements ciblés personnalisés du cancer bronchique non à petites cellules ? The BATTLE trial (Biomarker-integrated Approaches of Targeted Therapy for Lung Cancer Elimination): personalized therapy for lung cancer C. Daniel*, S. Scholl*, P. Beuzeboc* L e cancer du poumon est un problème majeur de santé publique puisqu’il représente plus de 1,3 million de décès à travers le monde. Il est responsable, aux États-Unis, de davantage de décès que les cancers du sein, de la prostate, du côlon, du foie, du rein et le mélanome réunis. Dans plus de 80 % des cas, il s’agit de cancers bronchiques non à petites cellules (CBNPC), dont plus de la moitié sont au stade métastatique lors du diagnostic ou de la rechute. La survie des patients atteints de CBNPC de stade IV ou assimilé (le stade IIIB ne pouvant pas être irradié) est de 2 % à 5 ans, la médiane de survie étant de 6 mois et la survie à 1 an de l’ordre de 20 %, selon les données de l’IASLC (International Association for the Study of Lung Cancer) publiées en 2007. Il existe de ce fait un besoin en études cliniques pour améliorer la survie de ces patients et l’un des axes de recherche actuelle est d’identifier des biomarqueurs prédictifs de sensibilité ou de résistance à un traitement spécifique. Les 4 cibles spécifiques identifiées * Département d’oncologie médicale, institut Curie, Paris. Lors de la conception de l’étude BATTLE, en 2004, 4 cibles spécifiques pour le traitement du cancer du 424 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 7 - septembre 2010 poumon avaient été identifiées : EGFR, KRAS/BRAF, RXR/cycline D1 et VEGF/VEGFR. À cette époque, les investigateurs avaient également sélectionné 4 traitements ciblés prometteurs (aucun n’avait alors d’AMM) : erlotinib, vandétanib, erlotinibbexarotène et sorafénib. L’erlotinib est un inhibiteur de l’EGFR, le vandétanib un inhibiteur de VEGFR et de l’EGFR, le bexarotène un rétinoïde ciblant les récepteurs X des rétinoïdes (RXR) et le sorafénib est un pan-inhibiteur (VEGFR 2, VEGFR 3, RAF kinase, PDGFR, c-KIT, etc.). Les biomarqueurs Cette étude de phase II présentée par E.S. Kim (MD Anderson Cancer Center) et al. a inclus, de novembre 2006 à octobre 2009, 341 patients présentant un CBNPC lourdement prétraité par chimiothérapie, un performance status (PS) ECOG ≤ 2 et une maladie tumorale pouvant faire l’objet d’une biopsie. Deux biopsies récentes à l’aiguille étaient nécessaires pour l’analyse des biomarqueurs. Les patients avec des métastases cérébrales stables pouvaient également être inclus. Les biopsies étaient réalisées en radiologie interventionnelle et les tissus tumoraux étaient Résumé BATTLE est une étude de phase II randomisée dont les résultats ont été présentés par son investigateur principal, le Pr E.S. Kim, du MD Anderson Cancer Center, lors de la dernière réunion annuelle de l’American Association for Cancer Research (AACR) à Washington. BATTLE représente une étape importante vers une médecine personnalisée dans le cancer du poumon. L’approche traditionnelle consiste en l’analyse rétrospective des biomarqueurs à partir des échantillons tumoraux de patients inclus dans les études cliniques. La nouvelle voie, que proposent les investigateurs de cette étude, repose sur une attribution du bras de traitement en fonction des résultats de l’analyse des biomarqueurs avec, comme critère principal de jugement, le contrôle de la maladie à 8 semaines. Cette étude démontre également qu’une analyse du profil tumoral en temps réel est réalisable. Ce nouveau concept pour des études cliniques est devenu une approche incontournable pour une médecine personnalisée du CBNPC. immédiatement collectés par l’équipe d’anatomopathologistes. L’analyse des biomarqueurs était effectuée en 2 semaines par l’équipe de biologie moléculaire du laboratoire de recherche en pathologie thoracique. En 2005, aucun biomarqueur prédominant n’existait dans le CBNPC. Aussi, les investigateurs ont sélectionné ceux apparaissant comme les plus prometteurs puis ils les ont classés par ordre d’importance selon les données de la littérature : ➤➤ le premier groupe était constitué par les marqueurs de l’EGFR incluant les mutations (exons 18 à 21), le nombre de copies du gène et l’amplification avec une polysomie élevée ; ➤➤ le deuxième groupe comprenait le groupe des marqueurs KRAS/BRAF, incluant les mutations de ces gènes ; ➤➤ le troisième groupe s’articulait autour du VEGF, incluant l’étude de l’expression de VEGF et VEGFR-2 en immunohistochimie ; ➤➤ le quatrième groupe était composé des marqueurs RXR/cycline D1, incluant l’expression de RXR (α, β, γ) et l’expression et/ou l’amplification de cycline D1 ; ➤➤ le cinquième groupe regroupait les patients pour lesquels il n’y avait pas de tissu adéquat pour l’analyse des biomarqueurs ou ceux pour lesquels aucun des biomarqueurs sélectionnés n’avait pu être identifié. Les groupes d’étude La hiérarchie des groupes était fondée sur les données disponibles en 2005. En conséquence, les patients dont les tumeurs présentaient des marqueurs multiples ont été réunis dans un seul groupe, sur la base du biomarqueur positif classé dans le rang le plus élevé. À la suite de l’analyse des biomarqueurs, les patients étaient randomisés dans un premier temps de manière égale puis, dans un second temps, de manière adaptée aux résultats de l’analyse dans l’un des 4 bras de traitement : erlotinib 150 mg/j ; sorafénib 400 mg × 2/j ; vandétanib 300 mg/j ; erlotinib 150 mg/j + bexarotène 400 mg/m2/j. Le critère de jugement principal de cette étude était le contrôle de la maladie à 8 semaines, celui-ci incluant la réponse complète, la réponse partielle ou la stabilisation selon les critères RECIST (Response Evaluation Criteria in Solid Tumors). Les critères secondaires étaient la survie globale, la survie sans progression, le taux de réponse et la toxicité. Dans cette étude, un traitement a été défini comme efficace lorsque le taux de contrôle de la maladie était supérieur à 30 %. Les patients ont été équitablement répartis entre les 4 différents groupes de traitement lors de la première phase de randomisation. En revanche, lors de la seconde phase de randomisation – dite “adaptive” aux résultats de l’analyse des biomarqueurs –, le nombre de patients inclus dans chacun des groupes de traitement était très inégal (figure 1). Les caractéristiques des patients inclus dans cette étude reflètent typiquement le profil des malades présentant un CBNPC réfractaire. Sur les 341 patients inclus dans l’étude, 255 ont été randomisés. La moyenne d’âge des patients randomisés était de 62 ans ; 86 % des patients avaient un PS ECOG < 2. Le sous-type histologique était un adénocarcinome dans 63 % des cas et un carcinome épidermoïde dans 18 % des cas. Au moment de la randomisation, 33 % des patients avaient des métastases cérébrales. Les 45 % de patients qui avaient été traités par erlotinib avant l’entrée dans l’étude étaient randomisés en deux bras, sorafénib et vandétanib. Mots-clés Essai BATTLE Cancer bronchique non à petites cellules Erlotinib Vandétanib Bexarotène Sorafénib Highlights BATTLE, a phase II randomized trial in NSCLC, was presented by E.S. Kim from the MD Anderson Cancer Center at this year’s AACR meeting. BATTLE represents an important step towards personalized medicine in lung cancer. Traditionally, biomarkers have been assessed retrospectively from tumor samples of patients included in clinical trials. In the present study the author propose an innovative approach which determine the allocation to each treatment arm according to initial biomarker testing. The main endpoint is disease control at 8 weeks. This study demonstrates the feasibility of upfront biomarker testing. This approach should become the standard in individualized non-small cell cancer patient treatment. Keywords BATTLE trial Non-small cell lung cancer Erlotinib Vandetanib Bexarotene Sorafenib Le tableau I reprend les résultats de l’analyse des biomarqueurs à l’inclusion. Les biopsies pulmonaires ont été compliquées d’un pneumothorax dans 11,5 % des cas (16 biopsies pulmonaires sur 139). Les traitements testés dans cette étude ont été en général bien tolérés, en accord avec les données de toxicité connues à partir des études cliniques antérieures. Une compliance supérieure à 90 % a été observée pour chaque groupe de traitement. La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 7 - septembre 2010 | 425 MISE AU POINT BATTLE : une voie prometteuse vers des traitements ciblés personnalisés du cancer bronchique non à petites cellules ? Tableau I. Résultats de l’analyse des biomarqueurs. Résultats des biomarqueurs à l’inclusion Total de patients inclus (n = 341) Raisons de non-randomisation (n = 86) – Comorbidité/mauvais PS (n = 51) – Non biopsiés/autre (n = 21) – Autre traitement/pas de traitement (n = 14) Total de patients randomisés (n = 255) Randomisation équilibrée (n = 97, 38 %) Randomisation “adaptative” (n = 158, 62 %) Biomarqueurs Mutation EGFR (exons 18, 21) 33 (15) Augmentation du nombre de copies EGFR (FISH) - amplification du gène - polysomie élevée 34 (16) 60 (28) Mutation KRAS (codons 12, 13 et 61) 42 (20) Mutations BRAF (exons 11 et 15) Erlotinib Équilibrée (n = 25) Adaptive (n = 33) Vandétanib Équilibrée (n = 23) Adaptive (n = 29) Erlotinib + bexarotène Équilibrée (n = 21) Adaptive (n = 15) Sorafénib Équilibrée (n = 26) Adaptive (n = 72) Figure 1. Données des inclusions et de la randomisation des patients. 100 Contrôle de la maladie à 8 semaines (n = 104) Absence de contrôle de la maladie à 8 semaines (n = 112) Survie globale (%) 80 60 p = 0,02 20 0 5 10 20 15 Mois 25 30 Le contrôle de la maladie (CM) à 8 semaines est prédictif de la survie globale. Figure 2. Courbes de survie en fonction du contrôle de la maladie à 8 semaines. Tableau II. Taux de contrôle de la maladie (CM) pour chaque groupe de biomarqueur en fonction du type de traitement. Résultats de BATTLE : contrôle de la maladie (%) [probabilité de CM > 30 %] Groupe de biomarqueur Traitement VEGFR-2 (IHC) 191 (89) 85 (40) RXR α (nuc) [IHC] 173 (80) RXR α (cyt) [IHC] 3 (1) RXR β (cyt) [IHC] 12 (6) RXR γ (cyt) [IHC] 23 (11) Cycline D1 [IHC] 114 (54) Cycline D1 (amplification montrée par FISH) 27 (13) La survie globale médiane pour l’ensemble des patients de l’étude était de 9 mois et le taux de survie à 1 an était de 38 %. Cependant, la survie globale médiane des patients bénéficiant d’un contrôle de leur maladie à 8 semaines étaient meilleure que pour ceux qui ne l’obtenaient pas (11,3 versus 7,5 mois) [figure 2]. 7,5 mois 0 VEGF (IHC) 5 (2) Prélèvements inadéquats : 39 patients Marqueurs tous négatifs : 2 patients 11,3 mois 40 Cas positifs, n (%) EGFR KRAS VEGF RXR/Cyc D1 Aucun Total Erlotinib 35 % (0,66) 14 % (0,14) 40 % (0,85) 0% 38 % (0,67) 34 % Vandétanib 41 % (0,92) 0% (0) 38 % (0,75) NA 0% (0) 33 % Erlotinib + bexarotène 55 % (0,99) 33 % (0,54) 0% (0) 100 % 56 % (0,92) 50 % Sorafénib 39 % (0,76) 79 % (1,00) 64 % (1,00) 25 % 61 % (1,00) 58 % Total 43 % 48 % 49 % 33 % 46 % 46 % 426 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 7 - septembre 2010 Le tableau II reprend les taux de contrôle de la maladie à 8 semaines pour chaque groupe de biomarqueur en fonction du type de traitement. Le taux global de contrôle de la maladie à 8 semaines dans le groupe EGFR traité par erlotinib était seulement de 35 %. Cependant, si on distingue les différents biomarqueurs du groupe EGFR des patients traités par erlotinib, on observe que ceux présentant une mutation d’EGFR avaient un taux de contrôle de la maladie de 71 % et que ceux ayant une amplification du gène EGFR avaient un taux de contrôle de la maladie de 56 %. En revanche, chez les patients ayant une polysomie d’EGFR, le taux de contrôle de la maladie est seulement de 27 %. À l’inverse, les patients ayant une mutation de l’EGFR traités par sorafénib avaient un taux de contrôle de la maladie de seulement 23 %, alors que ceux ayant MISE AU POINT Les conclusions de cette étude sont les suivantes : ➤➤ un traitement par erlotinib chez les patients présentant une mutation de l’EGFR permet un taux de contrôle de la maladie comparable aux données publiées dans la littérature ; ➤➤ le vandétanib n’a pas fait la preuve qu’il améliorait le contrôle de la maladie chez les patients présentant une expression élevée de VEGFR-2 ; ➤➤ l’association erlotinib-bexarotène améliore le contrôle de la maladie chez les patients présentant une expression élevée de cycline D1 et chez ceux présentant une amplification en FISH d’EGFR ; ➤➤ à l’inverse, les patients présentant une mutation d’EGFR et une polysomie élevée d’EGFR et traités par sorafénib ont le plus mauvais contrôle de la maladie. L’intérêt de cette étude est lié non pas tant à ses résultats qu’à sa démarche thérapeutique innovante, qui consiste à choisir des thérapies ciblées en fonction de l’analyse de biomarqueurs avec une évaluation tumorale rapide à 8 semaines. 27 Congrès ème de la Société Française de Psycho-oncologie SFPO 100 Mutation de l’EGFR 80 Mutation de KRAS 71 % 64 % 60 40 29 % 23 % 20 0 n= + – + – 7 45 Erlotinib Contrôle de la maladie à 8 semaines (%) Conclusion 100 Contrôle de la maladie à 8 semaines (%) un EGFR de type sauvage et traités par sorafénib avaient un taux de contrôle de la maladie de 64 %. Dans le groupe de patients avec mutation de KRAS et traités par erlotinib, seuls 22 % présentaient un contrôle de la maladie. En revanche, ceux ayant une mutation de KRAS et traités par sorafénib avaient un contrôle de la maladie de 61 %, et ceux présentant un KRAS sauvage avaient un contrôle de la maladie de 56 % (figure 3). 61 % 60 56 % 37 % 40 22 % 20 0 + – + – 13 67 Vandétanib 80 n= + – + – 9 43 Erlotinib + bexarotène + – + – 18 62 Sorafénib Figure 3. Taux de contrôle de la maladie en fonction des statuts d’EGFR et de KRAS. La deuxième nouveauté est d’ordre méthodologique, dans la mesure où l’étude développe une stratégie de randomisation adaptée aux nouvelles données biologiques disponibles en temps réel, permettant ainsi d’enrichir les groupes de répondeurs. Avec le démantèlement génomique des cancers bronchiques en sous-groupes – démantèlement qui risque de rendre caduques les grands essais randomisés incluant des milliers de patients –, BATTLE offre l’exemple d’une démarche mieux adaptée dans l’avenir à l’évaluation des thérapies ciblées. ■ Inégalités et Cancers : Les enjeux psychiques Inscrivez-vous : www.sfpo.fr 8-9-10 novembre 2010 - Maison Internationale - CIUP - Paris 14ème La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 7 - septembre 2010 | 427