Le printemps de l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP)[1] #G. Mégret* O n connaît la solennité des jeudis de l’Académie française. Ceux du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) n’ont rien à leur envier. Force est d’admettre que les thèmes discutés et disséqués en son sein structurent le comportement individuel et la pratique collective de plus de 200 000 médecins. Pour autant, durant quelques décennies troublées, la question de la justification, donc de l’existence même de l’Ordre, a pu se trouver posée. Il semble désormais incontestable que son ouverture sur la société et sa volonté d’aborder sans tabou toutes les questions fondamentales qui s’y posent (contraception, procréation médicalement assistée, addictions, démographie médicale, etc.) lui confèrent un réel rôle consultatif et souvent avisé dans les débats sociétaux. Par ailleurs, il conserve ses fonctions quasi régaliennes de régulation, de surveillance et d’accompagnement de la profession médicale. Le CNOM se trouvait donc en position privilégiée, centrale, pour présenter lors d’un de ses récents “Jeudis”a, l’état des lieux d’une procédure complexe mais fondamentale. Cela, non seulement pour tout praticien, mais aussi pour toute structure dispensant des soins : l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP). Chemin parcouru de la réflexion théorique à la mise en place progressive et irréversible. DE LA PRATIQUE SPONTANÉE À LA LOI 13 août 2004. Parution de la loi sur la réforme de l’Assurancemaladie. Elle comportait, entre autres, ce volet d’EPP, à côté d’une autre loi de santé publique destinée à officialiser la formation médicale continue (FMC). Première notion importante, donc, cette différenciation structurelle entre EPP et FMC, même si la finalité se veut commune : une amélioration des compétences. 15 avril 2005. Publication du décret qui va organiser cette EPP, sous la férule de la Haute Autorité de santé (HAS), tandis que la FMC revient au Conseil national de la FMC et à ses conseils régionaux. Éric Rance, conseiller technique auprès du ministre de la Santé, résume ainsi ce couple indissociable et cette interactivité : “L’EPP permet ce qu’on peut appeler le ‘contrôle technique’, au sens noble du terme. Elle débouche sur un bilan dont découle la teneur d’une formation continue”. Certains feront à juste titre remarquer que cette obligation d’une mise à jour régulière du savoir médical et des pratiques figure explicitement [1] © La Lettre du Pneumologue - Vol. IX (3):123-4. * Journaliste médical, médecin, Paris. a En l’occurrence, le jeudi 23 février 2006. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXI - n° 5 - septembre-octobre 2006 dans le code de déontologie (article 11) : “Tout médecin doit entretenir et perfectionner ses connaissances…” Pour autant, d’un code professionnel ou corporatiste à une loi de la République, il y a sans conteste une force d’application bien supérieure dans la seconde. Heureusement, il apparaît que, dans l’exercice quotidien (par réflexion ? par obligation de résultat ?), nombre de médecins ont anticipé la loi en s’astreignant à une remise en cause périodique de leurs pratiques. Alain Coulomb, directeur de la HAS et responsable au premier chef de cette “évaluation intégrée à la pratique”, l’a parfaitement souligné : “[…] l’EPP vise à améliorer l’ensemble des pratiques, en intégrant et en consolidant l’ensemble des dispositifs répondant déjà à cet objectif, car beaucoup de médecins ne nous ont pas attendus pour les mettre en place, que ce soit au niveau local ou à celui de la pratique individuelle…” Xavier Deau, président de la section formation et compétences médicales du CNOM, confirme ce point de vue : “[…] 80 à 90 % des médecins sur le terrain se forment. Ce qu’on leur demande aujourd’hui, c’est de le faire en conscience et selon un protocole contrôlé…” Vie professionnelle V ie professionnelle CADRE ET CONTENU DE L’EPP Aussi peut-on s’interroger, une fois encore, sur les effets attendus d’un enième dispositif législatif, dès lors que, en la matière, la France n’en semble pas véritablement dépourvue… Ne va-t-on pas ainsi alimenter un binôme déjà bien vivace : complexitéconfusion ? Alain Coulomb ne néglige pas ce risque en soulignant que la complexité est croissante et consubstantielle à la profession médicale. En conséquence, on ne peut que l’accepter mais en adaptant, donc en évaluant au mieux les outils qui permettent de la pratiquer et en lui reconnaissant la diversité de ses modes d’exercice (libéral, hospitalier, généraliste, spécialiste, médecin scolaire, du travail, etc.). Et de reconnaître – humblement – que les organismes (en particulier la HAS) chargés de la mise en place de l’EPP devront, eux aussi, répondre à trois exigences des médecins : “[…] que cela ne soit pas trop compliqué, que cela ne leur prenne pas trop de temps – car le temps médical est précieux – et que ça ne leur coûte pas trop cher !...” Autre sujet de préoccupation pour les médecins en passe d’être soumis à l’EPP : que va contenir ce concept de “compétence médicale” (“leur” compétence) ou, en d’autres termes, que vat-on évaluer chez eux, et comment ? Yves Matillon, chargé de mission d’évaluation des compétences des professionnels de santé, part d’une définition générique, non spécifique à la santé, qui dit que la compétence correspond “[…] à la capacité de 239 Vie professionnelle V ie professionnelle répondre à une difficulté et d’agir de façon pertinente, dans une situation donnée, en s’appuyant sur des ressources, un savoir-faire, mais aussi un savoir-être”. Difficile de ne pas y adhérer. Mais il reconnaît que, selon le type ou le secteur d’activité médicochirurgical, “on ne peut décliner cette notion qu’à travers des référentiels spécifiques”. VALIDER LES COMPÉTENCES Et pour autant, on ne peut se contenter de ces connaissances spécifiques pour mesurer la compétence. “S’y ajoute un ensemble de capacités générales, notamment en matière de communication psychosociale avec le patient et sa famille”. Ces “connaissances” pourraient et devraient être acquises lors de la formation initiale, puis complétées et améliorées lors de la FMC : on retrouve là l’interactivité EPP-FMC. Autre signe de cette intrication, s’il revient à la HAS de fixer les modalités des EPP pour tous les médecins, le Conseil national de FMC a un avis consultatif. De même, il fixe le barème des actions de FMC imposé à tout médecin libéral avec une périodicité de cinq ans. Les divers types d’actions (enseignement, recherche clinique, séminaires, EPU, lecture de revues et consultation de sites internet, etc.) se voient attribuer des points appelés “crédits” ; il faudra ainsi présenter 250 crédits durant ces cinq ans, avec l’obligation d’y inclure 100 points pour l’EPP. Quant aux critères de validation, on conçoit qu’ils ne peuvent répondre à une standardisation, tant la pratique médicale est elle-même diversifiée. Fort logiquement, la HAS souhaite fonder l’EPP sur des référentiels de compétences, en reconnaissant qu’ils ne sont pas encore légion. Souvent avant-gardiste, la Fédération nationale des collèges de chirurgie a déjà présenté un référentiel de compétences qui semble consensuel. D’autres sont prêts, tel celui d’onco-hématologie. Donc, les référentiels s’élaborent régulièrement ; la profession, les médecins habilités, les organismes agréés travaillent. Alain Coulomb l’affirme : “Aujourd’hui, nous n’examinons pas moins de 50 dossiers issus de sociétés savantes et autres organismes privés de formation ou de diffusion de la connaissance médicale”. L’EPP À LA CARTE POUR LES LIBÉRAUX ET LES HOSPITALIERS Il reste que les modalités d’application et le contenu de l’EPP présenteront de sensibles différences selon que l’on s’adressera à la pratique libérale ou hospitalière, voire à un autre mode d’exercice. Aux Unions régionales des médecins libéraux (URML) revient la charge de la validation des médecins libéraux, éventuellement en partenariat avec la Commission médicale d’établissement 240 (CME) lorsque ces derniers exercent dans les structures privées. Même implication de la CME en association avec la Conférence médicale pour les médecins salariés, alors que, pour les salariés hors centres de santé, l’EPP s’effectue grâce à un collège habilité ou à un organisme agréé. Reste l’EPP du médecin hospitalier. Pierre Fuentes, président de la conférence des présidents de CME de CHU, s’est fait le porteparole des médecins des hôpitaux universitaires, témoignant de leur perception favorable de la procédure : “J’y vois plusieurs raisons, et notamment la reconnaissance de la place des CM dans la validation, ainsi que l’intégration des pratiques d’évaluation et de formation déjà existantes”. Cependant, prudence oblige, s’il souhaite que l’EPP se situe de plain-pied dans une démarche continue d’amélioration de la qualité des soins, il la conditionne à une… amélioration de sa qualité. Dernières interrogations enfin, que l’on pourrait penser teintées de scepticisme. Vaste programme que cette EPP. Mais, en pratique, où en-est-on ? Au-delà de ces promesses de foi, à quand les premières validations ? Difficile d’obtenir une réponse quantifiée. Il n’en reste pas moins que de “nombreux” médecins ont déjà répondu à leur EPP, et que, d’ici la fin du premier semestre 2006, les Commissions médicales des établissements de santé publics et privés et les URML auront rempli leur rôle dans les validations. LES RESPONSABILITÉS DE L’ORDRE Les mots de la fin reviendront en toute logique à l’instigateur de cette réunion : le CNOM, et son rôle dans la procédure. L’habituel parcours centripète du postulant à l’EPP sera une fois encore respecté : après avis du conseil régional de la FMC, le dossier est remis au conseil départemental de l’Ordre, qui le transmettra au CNOM. Ensuite, chaque année, le CNOM communique à la Caisse nationale d’Assurance-maladie (CNAM) la liste des médecins qui ont reçu leur évaluation “dans l’unique but d’informer les usagers de la santé”. On peut concevoir que ce dernier point irrite quelque peu les médecins qui peuvent voir là une nouvelle emprise de la CNAM sur leur exercice. En fait, ils ont toute garantie, car la CNAM n’a légalement aucune possibilité d’utiliser ces listes autrement que pour renseigner les malades s’ils font la demande de validation d’un médecin. Quant aux éventuelles sanctions que le CNOM serait amené à prendre en cas de refus d’EPP, il va de soi qu’avant d’en arriver à une procédure disciplinaire, toutes les solutions de dialogue et de conciliation seront épuisées. Jacques Roland, président du CNOM, tient à ce propos un langage d’ouverture et de conviction : “Nous ne sommes pas des prêtres et des inquisiteurs de l’évaluation, mais nous devons être les vecteurs d’un partage des connaissances, d’expériences et de pratiques”. O La Lettre de l’Infectiologue - Tome XXI - n° 5 - septembre-octobre 2006