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É G I S L A T I O N
Les avis des Comités de protection des personnes
dans la loi du 9 août 2004
The decisions of the committee for the protection of human beings
in biomedical research (9 August 2004 law)
● J. Moret-Bailly*
RÉSUMÉ. La loi du 9 août 2004, transposant une directive européenne, modifie le Code de la santé publique en ce qui concerne les “recherches
biomédicales”. Elle (re)définit notamment le rôle des comités de protection des personnes. Dans ce contexte, deux points méritent une attention particulière : la nature de leurs avis, d’une part ; le sens juridique qu’il faut prêter à leur appréciation de la “validité” et de la “pertinence” d’une recherche, d’autre part.
Mots-clés : Comité de protection des personnes.
ABSTRACT. Ethic committee advises after the 2004 08 09 French act.
The French act organizing clinical research has changed. This article goes through two main issues: the strength in French law of the advises
of the new ethics committees and the meaning of the committee evaluation of the regularity and pertinence of the clinical research, according
to the law.
Keywords: Committee for protection of human beings in medical research.
a loi n° 2004-806 du 9 août 2004, relative à la politique de santé publique, a opéré la transposition en
droit interne de la directive européenne n° 2001/20/CE
du 4 avril 2001, concernant le rapprochement des dispositions
législatives, réglementaires et administratives des États membres
relatives à l’application de bonnes pratiques cliniques dans la
conduite d’essais cliniques de médicaments à usage humain.
Les nouvelles règles ont été intégrées au Code de la santé
publique (CSP) dans les articles L. 1121-1 et suivants. L’une
des difficultés de ces dispositions réside dans l’analyse du rôle
des nouveaux “comités de protection des personnes” (CPP)
dans la procédure d’autorisation des essais cliniques, notamment quant au sens de leur appréciation de la “validité” et de la
“pertinence” de la recherche (article L. 1123-7 CSP).
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Ce rôle conduit, en effet, à des appréciations très différentes,
essentiellement, semble-t-il, selon l’origine professionnelle
des uns ou des autres, juristes professionnels ou professionnels de la recherche. Cette opposition amène à apporter
quelques précisions sur la construction du sens des concepts
* Maître de conférences à l’université Jean-Monnet (Saint-Étienne), CEntre de
Recherches CRItiques sur le Droit (CERCRID-CNRS, UMR 5137)
La Lettre du Pharmacologue - Volume 19 - n° 3 - juillet-août-septembre 2005
juridiques, avant d’aborder la question de la portée des avis
des CPP, ainsi que celle du sens des expressions “validité” et
“pertinence” d’une recherche au sens du Code de la santé
publique.
LE DROIT, SES CONCEPTS ET LEUR INTERPRÉTATION
Les concepts juridiques ne peuvent se comprendre que
contextualisés ; ils n’ont pas de signification intrinsèque. Ils
s’inscrivent en effet dans des systèmes particuliers et contingents, résultant notamment de choix historiques, par exemple
l’opposition, en droit français, entre le “droit civil” et le “droit
administratif” (que ne connaissent pas, par exemple, les pays
anglo-saxons), ou encore la notion de “droits de l’homme”,
que ne reconnaissent pas d’autres systèmes de droit (toutes
les déclarations internationales ne constituent pas des normes
juridiques pour l’ensemble des systèmes de droit). Il n’est
donc pas pertinent, pour comprendre le sens d’un dispositif
juridique, de se référer à un autre système juridique qui traiterait des mêmes questions. Notamment, du fait du passé historique de l’Europe et de l’Amérique du Nord et des caractéristiques consécutivement fort différentes de leurs systèmes
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de droit, les règles européennes relatives aux “comités
d’éthique”, transposées en droit français pour les “comités de
protection des personnes”, ne sauraient constituer des copies
conformes des règles organisant les international review
boards [IRB] (1).
De plus, chaque concept juridique s’inscrit – et s’interprète –
dans le cadre du système auquel il appartient. Chaque système
produit, en effet, des notions-cadres ou générales auxquelles
vont renvoyer les régulations particulières. Ainsi, l’avis des
CPP, prévu par la loi du 9 août 2004 intégrée au Code de la
santé publique, renvoie, sauf dispositions contraires – qui
n’existent pas –, aux règles générales relatives à la procédure
des avis consultatifs de l’administration.
Enfin, et suivant la même logique, il est vain, sinon périlleux,
de chercher à retrouver dans le système de droit des catégories de pensée extrajuridiques. Le droit, lorsqu’il ne crée pas
ses propres concepts, donne aux mots un sens particulier en
fonction des buts qu’il cherche à atteindre ainsi que de sa
logique propre : il produit son propre “technolecte” et recèle
même, de ce fait, nombre de “faux amis”, dont il convient de
se méfier. Il y a ainsi toutes chances pour que l’avis au sens
des juristes diffère de l’avis au sens du langage courant.
LES AVIS DES CPP
Nombre de décisions administratives sont prises suite à la
consultation d’autorités compétentes chargées de donner leur
avis sur une question technique, voire sur la pertinence de la
décision envisagée. Dans ce contexte, une définition “élémentaire” et couramment admise chez les juristes admet que
l’avis est un terme “s’appliquant dans toutes les branches du
droit au résultat de consultations, facultatives ou obligatoires
selon le cas, demandées aux organismes les plus divers [personnes ou commissions, conseils, fonctionnaires qualifiés,
Conseil d’État, etc.]” (2). Il existe, dans ce contexte, trois
types d’avis administratifs : les avis simples, les avis obligatoires et les avis conformes.
Les premiers, les avis simples, sont laissés à la discrétion de
l’autorité administrative, qui peut les solliciter ou non, sans
incidence sur la régularité de sa décision. Les deuxièmes, les
avis obligatoires, sont, comme leur nom l’indique, impératifs
pour l’autorité décisionnelle, en ce qu’elle ne peut régulièrement s’en passer, mais sans que cette dernière soit liée par le
sens de l’avis. Autrement dit, elle peut décider dans un sens
contraire à celui de l’avis, sans conséquence quant à la légalité de sa décision. Le troisième type d’avis, l’avis conforme,
non seulement est obligatoire, mais lie l’autorité administrative quant au sens de sa décision. Celle-ci ne dispose donc
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plus que d’une alternative : décider dans le sens de l’avis, ou
renoncer à prendre la décision projetée (3).
Dans ce contexte, l’avis des CPP appartient à la troisième
catégorie : les avis conformes. La directive du 4 avril 2001
prévoyait en effet dans son article 6 que le comité “est tenu
d’émettre son avis avant le commencement de tout essai clinique au sujet duquel il a été sollicité”, ce qui le rend obligatoire. Mais elle prévoyait également, dans son article 9, que
“le promoteur ne peut commencer un essai clinique qu’après
délivrance d’un avis favorable de la part du Comité”.
L’article 88 de la loi du 9 août, codifié dans l’article L. 11214 CSP, transpose cette norme en prévoyant que “la recherche
biomédicale ne peut être mise en œuvre qu’après avis favorable
du comité de protection des personnes (...) et autorisation de
l’autorité compétente”.
Les enjeux de cette qualification sont d’importance quant à la
régularité de la recherche. Le rôle de l’administration réside
en effet, tant politiquement que juridiquement, et en tant
qu’émanation du pouvoir exécutif, dans l’application de la
loi, incarnation, quant à elle, de la volonté générale (4, 5) ; ni
plus ni moins, même si cette fonction peut la conduire ellemême à produire des normes juridiques d’application.
L’administration ne peut, dans une telle perspective politique,
qu’être placée sous le contrôle des citoyens, puisque ces derniers sont à l’origine de la loi. On comprend donc que les
décisions administratives (et les avis conformes leur sont assimilés) puissent faire l’objet d’un recours, destiné à anéantir
l’acte illégal. Il s’agit du “recours pour excès de pouvoir”,
exercé devant les juridictions administratives (tribunal administratif, cour administrative d’appel et Conseil d’État), qui
aboutit, s’il est fondé, à l’annulation de la décision administrative, qui est alors censée n’avoir jamais existé. L’intérêt
du recours, destiné à défendre la légalité, est même tel qu’il
est ouvert à toutes les personnes intéressées par la décision,
personnes physiques ou morales, autres administrations,
contribuables, etc.
On peut affirmer, in fine, que la non-obtention d’un avis favorable du CPP rend la recherche illégale et que “l’autorité compétente” (l’AFSSAPS) ne peut autoriser une recherche ayant
fait l’objet d’un avis défavorable du CPP. L’AFSSAPS peut,
en revanche, refuser l’autorisation à une recherche ayant
bénéficié d’un avis favorable, notamment pour des raisons de
police sanitaire. Elle peut, enfin, former un recours pour
excès de pouvoir contre l’avis défavorable d’un CPP.
Il reste toutefois à connaître l’étendue du contrôle des CPP
sur les protocoles de recherche, notamment en ce qui concerne
leur “validité” et leur “pertinence”, puisque la loi leur en
confie la mission.
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L’APPRÉCIATION DE LA “VALIDITÉ” ET DE LA “PERTINENCE”
D’UNE RECHERCHE AU SENS DE LA LOI
L’article L. 1123-7 CSP prévoit, depuis le 9 août 2004, que
“le comité rend son avis sur les conditions de validité de la
recherche, notamment au regard de la protection des personnes, notamment la protection des participants ; l’adéquation, l’exhaustivité et l’intelligibilité des informations écrites à
fournir ainsi que la procédure à suivre pour obtenir le consentement éclairé, et la justification de la recherche sur des personnes incapables de donner leur consentement éclairé ; la
nécessité éventuelle d’un délai de réflexion ; la nécessité éventuelle de prévoir, dans le protocole, une interdiction de participer simultanément à une autre recherche ou une période d’exclusion ; la pertinence de la recherche, le caractère satisfaisant de l’évaluation des bénéfices et des risques attendus et le
bien-fondé des conclusions ; l’adéquation entre les objectifs
poursuivis et les moyens mis en œuvre; la qualification du ou
des investigateurs ; les montants et les modalités d’indemnisation des participants ; les modalités de recrutement des participants” (c’est nous qui mettons en gras).
Dans ce contexte, le concept de “validité de la recherche” ne
pose pas de réelles difficultés juridiques. En effet, le terme
“validité” revêt, en droit, un sens tout à fait précis : il s’agit de
l’absence de contrariété avec les normes hiérarchiquement
supérieures. Il est donc question, ici, de contrôler la non-contrariété entre les conditions de la recherche et les règles légales.
C’est d’ailleurs bien à ces dernières que fait référence la suite
du texte, renvoyant essentiellement aux conditions d’information et de consentement de la personne, destinées à assurer sa
protection et qui font l’objet d’articles préalables. La mission
du comité réside donc dans le fait de rendre un avis sur la question suivante : les conditions de la recherche permettent-elles le
respect de la loi, donc la protection des personnes ?
Dans cette perspective, seule la question de la pertinence
scientifique de la recherche se révèle délicate. La loi prévoit,
en effet, que le comité exerce sa mission en ce qui concerne
“la pertinence de la recherche, le caractère satisfaisant de
l’évaluation des bénéfices et des risques attendus et le bienfondé des conclusions ; l’adéquation entre les objectifs poursuivis et les moyens mis en œuvre”. Le comité se transforme-til, de ce fait, en comité d’experts, chargé d’apprécier la pertinence scientifique de la démarche ? La réponse est sans doute
négative. En effet, outre l’argument précédent, selon lequel la
validité, dans un énoncé juridique, doit s’entendre comme la
non-contrariété avec une norme juridique supérieure (et non,
par exemple, une norme scientifique, dont on ne voit pas, de
surcroît, ce qu’elle pourrait avoir d’inférieur ou de supérieur
à une règle de droit, n’étant pas de même nature), on peut
douter que, dans les faits, un CPP puisse accueillir toutes les
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compétences nécessaires pour couvrir l’ensemble des
domaines de recherche, et ce dans leurs dimensions les plus
pointues scientifiquement. Pragmatiquement, voire prosaïquement, les CPP ne peuvent sans doute pas être des comités
d’experts.
On peut en outre avancer, pour achever de se convaincre, des
arguments comparatifs. Nous prendrons, pour ce faire,
l’exemple de l’indemnisation des accidents médicaux, des
infections nosocomiales et de l’aléa thérapeutique telle qu’organisée par la loi du 4 mars 2002. Celle-ci crée notamment, à cet
effet, des commissions régionales d’indemnisation des accidents médicaux (CRCI) chargées de fournir un avis sur l’origine
du dommage devant être indemnisé à l’Office national d’indemnisation (ONIAM). Les CRCI comprennent notamment, du
fait de la décision du législateur, des professionnels de santé.
Elles ne constituent cependant absolument pas des instances
expertales. La preuve en est qu’elles ne rendent leurs avis que
suite à une expertise. Pourquoi, dès lors, intégrer des professionnels de santé à ces structures ? Outre l’aspect politiquement
sensible de la question, qui conduit à associer les professionnels
au processus, il s’agit de profiter de leur aptitude à comprendre
mieux que d’autres les informations en cause, notamment telles
qu’elles résultent justement des rapports d’expertise.
Il faut, à notre sens, raisonner de la même façon en ce qui
concerne les CPP. Les professionnels de la recherche figurent
dans les CPP, notamment pour des raisons historiques – les
premiers “comités d’éthique” étant nés à l’initiative de professionnels et composés de ces derniers (6) –, du fait de leurs
compétences, qui leur permettent de comprendre les protocoles présentés. Autrement dit, il ne s’agit pas pour les CPP
d’opérer un contrôle scientifique approfondi des protocoles de
recherche (apanage de “l’autorité compétente”, chargée, en ce
qui la concerne, d’une mission de police sanitaire et disposant
de moyens lui permettant de recouper nombre d’informations,
ainsi que de faire appel, le cas échéant, à des experts), mais de
vérifier que ceux-ci ne violent pas la loi (et, sur un plan scientifique, sans doute de manière flagrante pour un homme de
l’art) eu égard au but même de cette dernière, inspirant la
dénomination des comités : la protection des personnes.
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R
É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
1. Demarez JP. Le CCPPRB, des origines à demain. La Lettre du Pharmacologue
2004;2:59-71.
2. Guillien R, Vincent J, Guinchard S, Montagnier G. Lexique des termes juridiques. Dalloz 2003.
3. Gaudemet Y. Traité de droit administratif. Tome 1 : Droit administratif général, LGDJ. 16e édition, 2001;127 et 128.
4. Montesquieu. De l’esprit des lois. 1748.
5. Rousseau JJ. Du contrat social. 1762.
6. Thouvenin D. Les lois bioéthiques, ou comment masquer les intérêts contradictoires ? In : La bioéthique est-elle de mauvaise foi? PUF 1999;50-78.
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