Quand se décide l’isolement

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Unités pour malades difficiles
Quand se décide l’isolement
Les Unités pour malades difficiles (UMD) s’intègrent à part entière dans le dispositif de la psychiatrie publique, mais sont peu,
voire pas connues des professionnels de santé.
L
es UMD sont des services hospitaliers psychiatriques spécialisés dans le traitement des malades mentaux réputés extrêmement dangereux et ceux ayant
commis des actes médico-légaux.
Le fonctionnement des UMD résulte de l’arrêté du 14 octobre
1986 (1) relatif au règlement intérieur type de ces UMD.
Le malade difficile
Le malade difficile y est défini
par deux critères qui doivent
coexister et conditionnent son
admission.
• Il doit relever de la procédure
de l’hospitalisation d’office, c’està-dire présenter des “troubles
mentaux compromettant l’ordre
public ou la sûreté des personnes”, selon l’article L342 du
Code de la santé publique tel qu’il
découle de la loi du 27 juin 1990.
• Le deuxième critère est “un état
dangereux majeur, certain ou imminent” et “présenter pour autrui
un danger tel qu’il nécessite des
protocoles thérapeutiques intensifs adaptés et des mesures de sûreté particulières, mises en œuvre
dans une unité spécialement organisée à cet effet”.
Les modalités d’admission en
UMD résultent réglementairement des articles 12,13 et 14 de
l’arrêté du 14 octobre 1986. L’article 12 précise que la décision
d’admission en UMD est prise
par le préfet du département
d’implantation de l’unité, après
avis du médecin psychiatre de
l’UMD, et au vu d’un dossier médical et administratif comprenant notamment :
– un certificat médical détaillé
précisant les motifs de la demande d’hospitalisation du patient à l’UMD ;
– deux arrêtés préfectoraux, l’un
du préfet du département d’origine du patient et l’autre du préfet du département de l’UMD où
sera accueilli le patient ;
– une biographie détaillée reprenant les éléments et les événements importants concernant le
patient, ainsi que, si possible, son
génogramme ;
– un engagement signé par le préfet du département d’origine de
reprendre en charge, dans un délai de vingt jours, la personne
ayant fait l’objet d’un arrêté de
sortie de l’unité, ainsi que les renseignements concernant les mesures de protection des biens des
patients.
Trois situations juridiques
à articuler
Les malades mentaux présentant
un état dangereux majeur, et
admis en UMD peuvent se trouver dans trois situations juridiques différentes, impliquant
bien évidemment trois législations distinctes.
1/ Selon la loi du 27 juin 1990,
(loi du 30 juin1938 au moment
de l’arrêté du 14 octobre 1986),
le placement d’office est requis
pour les malades mentaux dangereux. Lorsque ceux-ci ont des
troubles du comportement de nature agressive tels que les soins ne
sont plus possibles en service de
psychiatrie ordinaire, le transfert
en UMD est proposé.
2/ En application de l’article
122-1 du nouveau Code pénal
(l’article 64 de l’ancien Code pénal), toute personne bénéficiant,
pour démence au moment des
faits, d’une ordonnance de nonlieu rendue par le juge d’instruction ou d’une décision de relaxe
ou d’acquittement prononcée par
la juridiction de jugement, est
placée d’office en service de psychiatrie ou transférée directement
du lieu d’incarcération à l’UMD.
Cet article stipule : “N’est pas responsable pénalement la personne
qui était atteinte, au moment des
faits, de troubles psychiques ou
neuropsychiques ayant aboli son
discernement ou le contrôle de
ses actes”.
3/ Selon l’article D398 du Code
de procédure pénale, les prévenus ou condamnés, responsables
pénalement, qui présentent des
troubles mentaux en cours d’incarcération, sont transférés en service de psychiatrie, parfois directement en UMD, car cet article
stipule que : “Les détenus en état
d’aliénation mentale ne peuvent
être maintenus dans un établissement pénitentiaire”.
Modalités de sortie
Malgré des situations juridiques
différentes, les modalités de sortie de tout patient d’UMD sont
définies elles aussi par l’arrêté
du 14 octobre 1986 qui prévoit
quatre modalités théoriques de
sortie. Elles sont abordées à
l’article 15 : “la sortie du patient
hospitalisé dans l’unité pour malades difficiles peut être prononcée sous forme” :
1/ de sortie immédiate et définitive ;
2/ de sortie d’essai dans les conditions prévues par la circulaire 47b
du 4 juin 1957 ;
3/ de transfert dans une unité de
soins relevant d’un secteur psychiatrique rattaché à un établissement assurant le service public
hospitalier ;
4/ de retour dans le service d’origine du patient.
C’est la Commission du suivi médical (CSM), composée de quatre
membres nommés par le préfet
du département d’implantation,
qui prononce les sorties ou ●●●
Professions Santé Infirmier Infirmière - No 35 - mars 2002
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Unités pour malades difficiles
le maintien en UMD. Régulièrement, c’est un retour dans le
service d’origine du patient qui
est décidé par la CSM.
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De l’isolement d’un patient
à un positionnement éthique
Concernant l’hospitalisation, l’arrêté du 14 octobre 1986 ne fait
pas expressément mention des
conditions de séjour en UMD ou
des soins qui doivent y être prodigués, mais ils sont extrapolables à partir de la définition du
malade difficile qu’en donne l’article premier : “... Ils nécessitent
des protocoles thérapeutiques intensifs adaptés et des mesures de
sûreté particulières...”. Les mesures de sûreté et de sécurité font
partie intégrante du processus
thérapeutique.
Les soins en UMD ont pour finalité d’atténuer, voire de faire disparaître la dangerosité, la violence
des malades mentaux qui y sont
admis. L’UMD de Montfavet dispose pour cela d’un certain
nombre de moyens thérapeutiques, l’isolement y occupant une
place prépondérante. L’utilisation
de l’isolement thérapeutique, en
UMD, représente un processus
de soins complexe, justifié par
une situation clinique initiale qui
demande de poser un cadre “espace clinique-temps”, pour dénouer une situation de violence,
de dangerosité ou d’éclatement
psychique. La procédure comprend de nombreux éléments
qui vont de la prescription à l’accompagnement du patient, des
consultations à la délivrance et à
l’exécution des soins réalisés par
les différents professionnels de
l’unité, selon leurs champs de
compétence et de responsabilité.
Un sujet
“séparé de tout côté”
Selon D. Friard (2), l’utilisation
de l’isolement comme moyen de
maîtrise des malades mentaux
agités, violents et dangereux
existe depuis l’origine du traite18
ment de ce type de malades. Dès
l’Antiquité, des écrits font allusion à la nécessité d’exercer un
contrôle physique sur les personnes agitées.
Le mot “isolement” vient de l’italien “isolato”, c’est un terme d’architecture qui signifie “séparé de
toute chose comme une île l’est
de la terre ferme”. Selon Littré,
dont la définition est reprise par
D. Friard (3), isoler c’est “rendre
comme une île, séparer de tous
côtés” ; au sens figuré, c’est “ôter
à quelqu’un ses relations” et pourtant c’est ce que nous voulons travailler avec le patient. Autrement
dit, tous les patients d’UMD, du
fait de la structure de l’unité de
soins, sont isolés, mais certains,
les agités, les violents et les dangereux, semblent l’être doublement, comme si, pour eux,
comme l’indiquaient J.-M. Jamet
et V. Depre (4), l’isolement représentait un enfermement dans
l’enfermement, un enfermement
au carré, séparé de tous côtés.
Mais alors, comment faire pour
que cet enfermement devienne
un lieu thérapeutique, un lieu
d’échanges, d’altération, de changement et d’amélioration de l’état
du patient ? Aujourd’hui, en
UMD, ce qui motive l’isolement,
c’est, d’une part, l’état clinique du
patient, son agressivité, sa violence, sa dangerosité, son acte
posé à l’encontre d’un patient, du
personnel ou du cadre institutionnel et, d’autre part, notre capacité à relier, à lier avec lui une
relation authentique et thérapeutique qui lui permet de gérer sa
propre agressivité, de la contenir,
de la travailler, de la déplacer.
Trois problématiques s’imposent
alors à nous :
– celle de type clinique, qui implique de poser l’indication en
fonction de l’état psychique du
patient et des troubles présentés,
ou des actes posés ;
– celle de type pratique, qui nous
interroge sur nos procédures
mises en place autour de l’isole-
Professions Santé Infirmier Infirmière - No 35 - mars 2002
ment et dans l’évaluation que
nous pouvons en faire, et sur
notre capacité à nouer des liens
avec lui ;
– celle de type éthique*, qui interroge sur le respect des libertés
individuelles, le respect du patient, de l’institution et le respect
du rôle de chacun.
L’institution cadre la relation dans
la mise en isolement du patient
et son accompagnement. Toute
relation suppose le souci de soi,
le souci de l’autre, le souci de
l’institution. Celle-ci doit préserver “le juste”, au sens où le juste
n’est pas “le bon” mais “la règle”,
qui permet non pas d’établir le
bien, toujours difficile à identifier sans retrouver très vite la morale normative ou le jugement,
mais d’éviter le mal, l’injuste.
Dire d’un patient “il faut l’isoler”
est éminemment une prescription de soins questionnante, interrogeante, mais aussi une prescription reconnue, assumée, sous
garantie thérapeutique, si effectivement il y a en équipe une réflexion professionnelle, éthique
vis-à-vis de l’isolement et, bien
évidemment, vis-à-vis de l’intérêt de l’isolement pour ce patient.
Bruno Parra
Cadre de santé, Esquirol C,
UMD de Montfavet,
Centre hospitalier de Montfavet.
BIBLIOGRAPHIE
1. Arrêté du 14 octobre 1986 (paru au Journal
officiel du 23 octobre 1986).
2. Friard D. L’isolement en psychiatrie : séquestration ou soins ? Éditions hospitalières, coll. “Souffrance psychique et soins”, Paris, 1998.
3. Ibid.
4. Jamet JM, Depre V. L’accueil en psychiatrie :
aspects juridique, théorique, pratique. Éditions hospitalières, coll. “Souffrance psychique et soins”, Paris, 1997.
5. Foucault M. Morale et pratique de soi, histoire
de la sexualité, usage des plaisirs. Gallimard, Paris, 1984, p. 32-39.
6. Ibid.
7. Ricœur P. Soi-même comme un autre, Seuil, coll.
“L’ordre philosophique”, Paris.
* L’aspect éthique sera traité le mois prochain.
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