l impact conomique de la coupe du monde

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L’IMPACT ÉCONOMIQUE
DE LA Coupe DU MONDE
DE FOOTBALL 2010
L’organisation de la Coupe du monde de football
nécessite des investissements importants, dont les
retombées économiques s’avèrent difficiles à évaluer.
Dépenses, coûts et impact économique sont des
notions à ne pas confondre.
L’
Afrique du Sud a accueilli les plus
grands événements sportifs internationaux depuis 1994 (Coupe du monde de
C’est la somme totale investie par l’Afrique
du Sud pour accueillir la Coupe du monde de
football 2010.
important qui est attendu et l’audience
cumulée à travers le monde entier devrait
dépasser 26 milliards de téléspectateurs.
Les retombées économiques espérées sont
importantes.
La Coupe du monde occasionne des
coûts importants détaillés dans le tableau
p. 24. Cet événement a impliqué la mise
à niveau des infrastructures du pays :
828 millions d’euros ont été consacrés à
la construction et à la rénovation de dix
stades, 513 millions d’euros dans l’amélioration des aéroports du pays et 345
millions d’euros dans l’amélioration
des routes et de la desserte ferroviaire
(notamment un train à grande vitesse
Johannesburg-Pretoria).
Si l’on appréhende aisément l’audience
de cet événement ainsi que les coûts
associés, la question des retombées
économiques s’avérera beaucoup plus
complexe à traiter. Dépenses, coûts et
impact économique sont des notions à ne
pas confondre.
1. R. Madugu & A. Mohamed, 2008, voir biblio. 9, p. 25.
2. L’impact économique ne se serait pas cantonné
à l’Allemagne, puisque pour l’ensemble des 32 pays
disputant la compétition, les retombées se seraient
montées à 14,3 milliards d’euros. L’Europe aurait été
le premier bénéficiaire avec 12,4 milliards d’euros,
essentiellement du fait d’un accroissement de la
consommation. Les retombées pour le Royaume-Uni
ont été estimées à 1,4 milliard d’euros, 1,3 milliard pour
la France, et 770 millions pour l’Italie.
rugby 1995), Coupe du monde de cricket
2003, Coupe du monde féminine de golf
2005 et 2006…), mais la Coupe du monde
de football constitue une étape supplémentaire puisque c’est le second événement sportif mondial après les Jeux olympiques, qu’elle dépasse même en termes
d’audience cumulée. C’est un volume
2,9
milliards
d’euros
Quel impact sur
la valeur ajoutée
et l’emploi ?
Selon la société de consultants Grant
Thornton qui a conduit une analyse économique durant la phase de candidature à la
Coupe du monde, l’accueil par l’Afrique
du Sud allait générer environ 2,1 milliards
d’euros dans l’économie sud-africaine,
dont 1,25 milliard d’euros d’impact direct
(et 848 millions d’euros d’effets induits,
soit un multiplicateur de 1,68). L’effet sur
le marché du travail a été chiffré à 159 000
nouveaux emplois. Les dépenses des spectateurs devraient bénéficier prioritairement
au secteur touristique, et celles en infrastructures au secteur de la construction et du
BTP. Les seules dépenses des collectivités
publiques devraient se traduire par une
augmentation de l’activité économique
de 1,28 % ; les secteurs les plus nettement
bénéficiaires étant le secteur de la construction en hausse de 6,94 % et celui des transports et communications en progression
de 2,21 %1. Par comparaison, la Coupe du
monde en Allemagne en 2006 aurait généré
un impact de 8,2 milliards d’euros sur l’économie nationale (Centre for Economics and
Business Research)2.
Il faut rester très prudent quant à ces
prévisions, tant les modalités de calcul sont
fréquemment contestables, dans ce type
d’étude. Les retombées sont généralement
fortement surestimées pour alimenter des
études alibi. Ainsi, on a assisté à une surenchère politique, le ministre de l’eau et
des affaires environnementales évoquant
jusqu’à 5,43 milliards d’euros d’im-
mai 2010 - jurisport 98
23
dossier
Ventilation des coûts de l’accueil
de la Coupe du monde FIFA 2010
Coûts
Poste de dépense
(en millions d’euros)
Stades
828
Transport
888
Retransmissions
39
Information, communication & technologie
247
Sécurité et secours
66
FIFA
306
Surveillance des ports d’entrée
155
Formation des volontaires
2,5
Mobilisation des citoyens
1,7
Projets concernant le legs de la Coupe du monde
33
Arts et culture
15
Comité organisateur
315
[Source : R. Madugu & A. Mohamed (2008, voir bibio. 9, p. 25)]
pact économique sur le PIB (3,25
milliards d’euros liés aux constructions, 789
millions d’euros aux dépenses des visiteurs et
592 millions à la vente de billets) et 415 000
emplois nouveaux. On le voit le sujet est très
sensible et fortement politique.
Les prévisions des économistes chevronnés
aboutissent à des résultats nettement plus
nuancés. Ainsi, une simulation réalisée par
H.R. Bohlmann & J.H.V. Heerden3, à partir
d’un modèle d’équilibre général calculable,
aboutit à la conclusion selon laquelle il n’y
aurait de bénéfices pour l’économie à court
terme que dans la mesure où le finance3. 2008, voir biblio. 8, p. 25.
4. J.-L. Chappelet, 2005, voir biblio. 6, p. 25.
5. « Les bénéfices socio-économiques de 2010 sont sur le
point de décevoir », Herald Tribune, 8 septembre 2009.
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jurisport 98 - mai 2010
ment pourrait être assuré par le biais du
supplément de taxes générées dans l’immédiat et des revenus résultant de la croissance
économique future et de l’investissement
privé. Autrement dit, si la Coupe du monde
n’est pas suivie d’une phase d’expansion
mais de récession (comme c’est en général
le cas pour les mégaévénements sportifs),
l’économie sud-africaine pourrait ne pas y
avoir gagné mais plutôt perdu… Ce n’est
véritablement que lors d’études postérieures
à la Coupe du monde que l’on pourra
connaître le retour sur investissement des
lourdes dépenses financées par le contri-
buable, dans un pays où beaucoup reste à
faire concernant par exemple l’habitat (l’essentiel des habitants vit dans des townships,
c’est-à-dire des bidonvilles). Comme l’indique J.-L.Chappelet4 : « il n’y a eu que très
peu d’évaluations des impacts économiques
des projets sportifs dans les pays les moins
développés, il convient donc d’être prudent
sur les effets économiques directs attendus
de projets sportifs ».
Des retombées
économiques
surévaluées ?
Le réalisme commence d’ailleurs à s’imposer… sans doute bien tard. Ainsi, lors de
la conférence annuelle africaine qui a eu
lieu à Rhodes en septembre 2009, l’idée
commençait à émerger selon laquelle « la
FIFA World Cup 2010 serait très probablement décevante quant aux bénéfices
socio-économiques vendus au grand
public sud-africain par ses promoteurs »5.
La contribution au développement
économique, à la création d’emploi et à la
réduction de la pauvreté a ainsi très certainement été surestimée. Bien que supposé
être un événement africain, il reste à voir
dans quelle mesure il profitera à l’Afrique
et non aux pays européens qui en retirent
d’habitude les dividendes. Seule une étude
postérieure à la FIFA World Cup, réalisée
de manière sérieuse, permettrait de trancher cette question.
Si les dépenses des deniers publics sont
justifiées, c’est probablement davantage
en raison d’effets à long terme plutôt que
La contribution au développement
“ économique,
à la création d’emploi
et à la réduction de la pauvreté a
très certainement été surestimée
d’hypothétiques retombées à court terme
dont on sait qu’elles sont souvent illusoires. Cela a trait plus à la géopolitique
qu’à l’économique à proprement parler.
L’événement peut entraîner une modification de l’image du pays et susciter un
effet durable sur le tourisme (ce qui est
très lié aux questions de sécurité durant la
Coupe du monde). Plus largement, dans
les affaires, ce changement de perception
de l’Afrique du Sud auprès des investisseurs étrangers peut contribuer à accroître
les investissements directs étrangers sur
la longue période, dont on sait qu’ils sont
particulièrement cruciaux pour les pays en
voie de développement6. La crise économique mondiale qui a débuté en 2009
n’est pas favorable à l’optimisation des effets
économiques de la Coupe du monde en
Afrique du Sud, les enquêtes régulières
menées par la société African Response7
auprès d’un panel de citoyens de Durban,
Johannesburg, Pretoria et Cape Town
montrant que 63 % d’entre eux considéraient que cela affecterait négativement le
tourisme associé à l’événement.
Des enjeux
sociaux et sportifs
à long terme
Les enjeux sur la longue période portent
également sur les dimensions sociales
et sportives. Ainsi, les autres arguments
avancés par Rich Mkhondo, directeur de la
communication du comité d’organisation,
concernent le développement des transports
publics dans les grands centres (beaucoup
reste à faire) ainsi que le renforcement de
6. H.R. Bohlmann & J.H.V. Heerden, 2008, voir biblio. 8, p. 25.
7. African Response est le plus grand centre de recherche
sud-africain dirigé par des personnes de couleur
(www.africanresponse.co.za).
8. « Un milliard de préservatifs pour la Coupe du
monde », L’Équipe, 11 mars 2010.
9. Bohlmann, 2006, voir biblio 7, p. 25.
”
l’identité du pays et du patriotisme. Mais le
risque existe, dans un pays comme l’Afrique
du Sud où les disparités sont parmi les plus
élevées au monde, que les différences soient
au contraire exacerbées par l’événement.
Dans cette perspective, l’envoi en Afrique
du Sud d’un milliard de préservatifs par la
communauté internationale8, dans un pays
où il y a déjà plus de 4 millions de séropositifs, conduit à se demander s’il faut se réjouir
de ce type de retombées économiques ? La
dimension sportive est également à intégrer à la réflexion, la FIFA s’étant engagée
à déployer cinquante-trois gazons artificiels
et un certain nombre de centres sportifs
à travers le continent. Mais on touche ici
à l’utilité sociale et aux effets externes de
la Coupe du monde, qui ne peuvent être
abordés dans le cadre de l’étude d’impact
économique, mais impliquent un élargissement de la réflexion : c’est ce que propose
l’analyse coûts-avantages abordée par
ailleurs dans ce dossier (voir p. 20 et 26).
Un contexte
géopolitique et
économique inédit
L’édition sud-africaine de la Coupe du
monde se déroule dans un contexte géopolitique (pays en voie de développement dans
lequel existent des tensions ethniques) et
économique (période de crise mondiale)
différent des précédentes. Ces éléments,
analysés par H.R. Bohlmann9, sont primordiaux et vont fortement influer sur l’ampleur
de l’impact économique engendré. Étant
donné le contexte africain, dans lequel les
besoins de première nécessité de certaines
populations ont du mal à être satisfaits, on
peut légitimement se demander si l’organisation de mégaévénements sportifs doit
véritablement constituer une priorité dans
l’affectation des fonds publics. n
bibliographie
6. Chappelet J.-L. (2005), Promouvoir le
développement économique par le sport,
2nd Magglingen conférence, Sport & développement, 4-6 décembre.
7. Bohlmann H.R. (2006), Predicting the
economic impact of the 2010 FIFA World
Cup in South Africa, University of Pretoria
Department of Economic Working Paper
Series, 2006-11, may 2006.
8. Bohlmann H.R. – Heerden J.H.V. (2008),
Predicting the Economic Impact of the 2010
FIFAWorld Cup on South Africa, International Journal of Sport Management and Marketing, vol. 3, no 4, pp. 383-396.
9. Madugu R. – Mohamed A. (2008), The
Economic Impacts of Government Financing
of the 2010 FIFA World Cup, Stellenbosch
working paper 08/08.
AUTEURÉric Barget
Centre de droit et d’économie du sport
mai 2010 - jurisport 98
25
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