É D I T O R I A L Les explorations fonctionnelles audiologiques ont-elles un avenir ? ● L. Collet* e devenir de l’audiologie est au centre des préoccupations d’au moins une commission issue du Collège français d’ORL et d’un groupe de travail européen. L’objet de cet éditorial n’est pas de complexifier la réflexion en cours, qui a plutôt trait à la formation en audiologie et aux critères requis pour la pratiquer. Le propos est de s’interroger sur le devenir des explorations audiologiques en soi, à la vue, notamment, des développements des techniques d’imagerie et d’un éditorial publié par R. Sweetow en 2000 dans l’American Journal of Otology (n° 21, pages 155-6) et intitulé “L’audiologie du XXIe siècle”. R. Sweetow développe sa vision de l’avenir des explorations audiologiques et écrit : “Lors des deux dernières décennies, des tests diagnostiques communément employés, tels que le Sisi-test [...] et le Bekesy, ont largement disparu en faveur des otoémissions acoustiques provoquées”. Cette affirmation péremptoire est pour le moins étonnante. Les tests audiométriques cités étaient déjà moins utilisés avant que les audiologistes américains ne s’intéressent aux otoémissions acoustiques. Comme chacun sait, l’arrivée de l’électrophysiologie et, plus particulièrement, des potentiels évoqués auditifs précoces a relégué grand nombre de tests audiométriques utilisés à l’époque à la recherche de signes en faveur d’une atteinte rétrocochléaire. Quant à l’audiométrie automatique de Bekesy, examen dont la longueur et les résultats difficiles à interpréter en routine expliquent la relégation, elle est réapparue depuis quelques années sous la forme de l’audioscan (Meyer Bisch). Enfin, le propos faisant allusion aux otoémissions acoustiques provoquées est truculent. Les otoémissions acoustiques, découverte européenne (Kemp, 1978), n’ont guère suscité l’intérêt des équipes américaines, hormis deux d’entre elles (Lonsbury-Martin et Norton, dans les années 80) et ce sont les travaux des Européens, et notamment des Français, qui ont caractérisé la place des otoémissions acoustiques provoquées, à la fois dans l’exploration à des fins fondamentales de la cochlée chez l’humain et dans les explorations audiologiques en apport au diagnostic de la surdité endocochléaire. Le propos de R. Sweetow laisse apparaître un lien entre des tests audiométriques supraliminaires ou liminaires et les otoémissions acoustiques provo- L * CNRS UMR 5020 : “Neurosciences et systèmes sensoriels”, CNRS GDR 2213 : “Prothèses auditives”, service d’audiologie et d’explorations orofaciales, hôpital Edouard-Herriot, Lyon. quées alors qu’il n’en est rien. Depuis 1993, il est établi que les otoémissions acoustiques provoquées sont absentes lorsque la perte auditive sur la meilleure fréquence de l’audiogramme est supérieure à 40 dB HL dans une surdité endocochléaire. Cette valeur n’est en aucun cas une limite, mais elle a un intérêt statistique, puisque, avec une perte de 40 dB HL sur la meilleure fréquence de l’audition, moins de 10 % des sujets présentent des otoémissions acoustiques provoquées et, surtout, aucun renseignement n’est apporté sur le profil audiométrique à partir de celles-ci. Dès la fin des années 80, nous écrivions que les otoémissions acoustiques étaient des explorations audiologiques complémentaires mais non substitutives et qu’elles ne remplaçaient pas l’audiométrie. Cette notion reste d’actualité, et même si la place des otoémissions est majeure, notamment dans l’affirmation d’une atteinte endocochléaire, elle ne peut être considérée comme équivalente à une audiométrie. Il eût été plus intéressant, à mon sens, d’évoquer le devenir des otoémissions acoustiques soit dans les applications vers le dépistage de la surdité du nouveau-né, soit dans l’évolution technique avec des outils d’interprétation automatisée. R. Sweetow poursuit en écrivant : “Les potentiels évoqués auditifs, remplacés de manière croissante par les techniques d’imagerie plus sensibles, se sont développés en incluant l’évaluation d’activités auditives plus centrales au moyen de mesures telles que la P300 et la MMN” (mismatch-negativity ou “négativité de discordance”). Là encore, le propos de notre collègue américain sur l’avenir des explorations électrophysiologiques auditives mérite d’être analysé à deux niveaux. Tout d’abord, quel est l’avenir des potentiels évoqués auditifs précoces ? Il n’est point nécessaire de posséder des dons d’oracle pour affirmer que l’IRM remplacera les potentiels évoqués auditifs précoces en otoneurologie, mais l’existence de contre-indications à l’IRM, voire peut-être un jour son prix (si cet argument devait être pris en compte), et, surtout, le fait qu’elle ne renseigne pas sur l’audition ne permettent pas d’affirmer la disparition des potentiels évoqués auditifs précoces. L’avenir, certes, n’est probablement pas à l’utilisation de l’électrophysiologie auditive pour diagnostiquer une atteinte rétrocochléaire. En revanche, l’audiométrie objective reste un des grands défis pour les audiologistes. Peut-on objectivement connaître les seuils auditifs d’un sujet ne pouvant pas répondre (enfants en bas âge) ou ne voulant pas répondre ? Dans ce domaine, depuis plus de 40 ans, l’outil d’exploration est connu : La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 273 - mai 2002 3 É D I T O R I les potentiels évoqués auditifs tardifs apportent une grande sensibilité dans la recherche des seuils, mais ils sont profondément modifiés par la sédation, le sommeil, voire l’attention. Il paraît donc nécessaire de reconsidérer ces explorations avec un outil objectif, fiable, résistant au sommeil et non invasif. C’est dans ce contexte que Picton a décrit les potentiels évoqués multiples stationnaires qui ont fait l’objet de nombreuses communications lors du récent congrès de l’ERA (Evoked Responses Audiometry Study Group). Cet outil électrophysiologique permet de mesurer simultanément les seuils auditifs en réponse à des stimulations multiples (jusqu’à 8 fréquences). En revanche, selon la méthodologie utilisée, le seuil obtenu souffre d’un différentiel par rapport au seuil subjectif. Soit la méthodologie permet de se rapprocher des seuils, notamment aux basses fréquences, mais au prix d’une altération par le sommeil, soit elle est plus résistante au sommeil mais sa sensibilité dans la recherche des seuils est moindre. Cependant, cette électrophysiologie reste très prometteuse, même si elle relève encore du domaine de la recherche clinique. Les potentiels évoqués dits “cognitifs” tels que la MMN ont-ils un avenir en audiologie ? Nous ne pouvons que recommander à R. Sweetow de lire une excellente revue de littérature de Picton en 2000, qui écrivait : “La MMN est cliniquement utile pour démontrer des troubles du traitement sensoriel dans des groupes de patients”. Cette notion de groupe est fondamentale, car la MMN, sous un angle audiologique, ne renseigne pas pour un indi- A L vidu donné, en raison de la variabilité interindividuelle et intraindividuelle de sa réponse. Les utilisations cliniques de la MMN sont apparues en neurologie (suivi des comas) mais elles n’ont pas encore, en raison de cette variabilité, trouvé leur place en audiologie. L’audiologie de demain subira – et il est trivial de le rappeler – l’évolution de techniques annexes. Les potentiels évoqués auditifs précoces seront en voie de disparition pour la recherche des atteintes rétrocochléaires ; en revanche, sous réserve de l’apparition d’un nouvel outil, l’électrophysiologie conservera sa place et se développera dans la recherche de l’audiométrie objective. Les techniques d’explorations cognitives, pour passionnantes qu’elles soient, resteront du domaine de la recherche clinique tant qu’elles ne pourront pas être utilisées avec la même fiabilité que la recherche d’un IT I-V sur un patient donné. Pourquoi un audiologiste américain réputé écrit-il des contrevérités ? Peut-être tout simplement parce que, dans ce domaine comme dans d’autres, nos amis américains ont encore à apprendre qu’il existe une vie au-delà de leurs frontières et qu’en audiologie, le Vieux Monde a apporté bien souvent des concepts et des outils nouveaux, depuis l’impédancemétrie jusqu’aux otoémissions. La lecture de la littérature non américaine (mais accessible car publiée dans des revues de langue anglaise) aurait évité à l’auteur certaines assertions fausses et lui aurait permis de dessiner un futur plus en conformité avec le développement des connaissances. ■ TANAKA (à monter) 4 La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 273 - mai 2002