le rétablissement dans la schizophrénie - E

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UNIVERSITÉ PARIS VIII – SAINT-DENIS
U.F.R. de Psychologie
École Doctorale : Langage, Cognition, Interaction
LE RÉTABLISSEMENT DANS LA SCHIZOPHRÉNIE
L’EXPÉRIENCE DES SUJETS AU CŒUR D’UN NOUVEAU
PARADIGME ÉVOLUTIF
TOME I
Thèse en vue de l’obtention du Doctorat de Psychologie Clinique
Présentée par Marie KOENIG
Dirigée par Monsieur le Professeur Alain BLANCHET
Co-dirigée par Madame Marie-Carmen CASTILLO
Soutenue publiquement le 7 novembre 2013
Membres du Jury :
Monsieur le Professeur Arnaud PLAGNOL (Université Paris VIII)
Monsieur le Professeur Bernard PACHOUD (Université Paris VII)
Monsieur le Professeur Conrad LECOMTE (Université du Québec, Montréal)
Monsieur le Docteur Jean-Hervé BOULEAU (Hôpital René Dubos, Pontoise)
L’espérance est destinée à ouvrir ce que le système voudrait fermer.
C’est croire qu’il est toujours possible de déployer
une ligne de sens dans une situation d’absurdité.
Paul Ricœur.
2
REMERCIEMENTS
Le chemin traversé au fil de ces quatre dernières années fut émaillé de découvertes profondes,
de moments de doute et peut-être d’égarement, mais aussi de rencontres bouleversantes et
fondatrices, tant sur le plan professionnel que personnel.
Aussi je souhaiterais exprimer du fond du cœur toute ma gratitude à mes professeurs, mes
collègues, mes amis et ma famille qui n’ont eu de cesse de m’accompagner, à leur manière,
tout au long de ce parcours de la reconnaissance.
Mes remerciements vont en premier lieu aux patients, dont la rencontre vient dévoiler chaque
jour davantage le sens de mon métier et au-delà. Je souhaiterais rendre un hommage tout
particulier aux personnes qui ont accepté, pour cette recherche, de partager avec tant de
générosité et d’authenticité leurs expériences.
Ce travail leur est entièrement dédié.
Je remercie vivement Monsieur le Professeur Alain Blanchet, Directeur de cette thèse, pour sa
grande disponibilité, son précieux soutien, et le sage contenu de ses propos qui m’ont guidée
tout au long de l’élaboration de ce travail.
Ma reconnaissance envers Madame Marie-Carmen Castillo, co-Directrice de cette thèse, va
bien au-delà des mots, car il est difficile de décrire la valeur de ce que représente pour un
étudiant, non tant la découverte du savoir, que celle du désir de savoir. Madame Castillo,
outre sa confiance et son soutien indéfectible qu’elle me témoigne depuis maintenant plus de
six années, m’a transmis cette passion pour la clinique et la recherche sans laquelle cette thèse
n’existerait pas. Pour tout cela et pour son encadrement constant et bienveillant, je la remercie
profondément.
Je remercie grandement Monsieur le Professeur Arnaud Plagnol pour sa confiance, son écoute
permanente et ses précieux conseils qui n’ont cessé d’éclairer mon parcours depuis les années
de licence.
3
Je remercie également Madame le Professeur Michèle Montreuil, Directrice du Laboratoire de
Psychopathologie et de Neuropsychologie, pour son soutien constant et la confiance qu’elle
m’a accordée, en me permettant notamment de réaliser un cours aux étudiants de Master
autour du rétablissement.
La rencontre avec Monsieur le Professeur Bernard Pachoud, bien que plus récente, a orienté
de manière décisive ce travail de thèse et plus globalement, mon cheminement intellectuel.
Outre un enrichissement de ma pensée attachée au rétablissement, les échanges avec
Monsieur Pachoud ont contribué à mon intérêt pour la philosophie de Paul Ricœur. Son
invitation au congrès de phénoménologie à Nice restera pour moi un moment fort, notamment
car elle me permit de réaliser d’autres rencontres fondatrices.
Je tiens ainsi à remercier Messieurs les Professeurs Philippe Cabestan et Jean-Claude Gens
ainsi que Messieurs les Docteurs Georges Charbonneau et Nicolas Dewez pour leur soutien
chaleureux, leur générosité dans la transmission de leurs savoirs (mais aussi d’ouvrages !)
ainsi que leur invitation enrichissante au séminaire de l’école Française de Daseinsanalyse.
Mes remerciements dépassent les frontières du monde universitaire pour s’acheminer vers le
monde hospitalier, constituant en quelque sorte ma « seconde vie » depuis quatre années.
Je souhaiterais exprimer à Monsieur le Docteur Jean-Hervé Bouleau, psychiatre et chef du
pôle de psychiatrie de Pontoise, ma profonde gratitude. Monsieur Bouleau m’a accordée sa
confiance alors que je n’étais qu’une jeune stagiaire : de cette confiance est né mon premier et
actuel poste de psychologue. Sa créativité, sa détermination à sans cesse faire évoluer la
qualité des soins et l’accueil des patients, ainsi que nos échanges si précieux, contribuent
chaque jour un peu plus à m’épanouir dans mon métier, avec autant de désir d’engagement
que de sentiment de liberté.
Je remercie vivement l’ensemble des médecins psychiatres qui ont participé à l’élaboration de
ce travail par l’orientation des sujets de ma recherche et la passation d’échelles cliniques : les
Docteurs Marie-Claire Asmar, Thierry Bérard, Christine Berton, Jean-Hervé Bouleau,
Delphine Gabison, Elisabeth Gross, Vincent Schaer, Bernard Seletti, sans oublier les
précieuses contributions de ma collègue psychologue Peggy Le Borgne.
4
Il va m’être difficile de citer l’ensemble de mes chers collègues et amis de l’hôpital de jour
mais je souhaiterais ici leur rendre un hommage tout particulier en commençant par leur dire
que leur travail, dont j’ai initialement pu être observatrice en tant que stagiaire, a été la source
d’inspiration de cette thèse. Au-delà de mon métier de psychologue, j’ai appris à leurs côtés
toute la richesse d’un travail fondé sur le partage de valeurs humaines. Leur détermination à
faire évoluer nos pratiques au regard du rétablissement (les menant parfois jusqu’à l’autre
bout de la France !) mais aussi leur soutien indéfectible durant ces quatre années (et leur
patience !) font que ce travail est également le leur.
Merci à Madame Brigitte Voyard, psychanalyste, pour sa précieuse contribution au projet
« pairs-aidants ».
À Madame Sabine Martin, pour sa présence inestimable.
Les liens d’amitié se dévoilent autant qu’ils se renforcent dans les moments précieux d’une
vie. Je remercie du fond du cœur tous mes amis pour leur réconfort, leur soutien à toute
épreuve et ces moments de « parenthèse » pleins de rires et de douceur.
Merci à Emmanuel qui, depuis son exil Outre-Atlantique - pour l’amour de la recherche ! -,
m’a apporté son aide et son précieux soutien.
À Nicolas, pour sa présence, son ouverture et son soutien inestimables.
À Elsa, Flore, Marie-Claire, sachez que votre amitié, aussi profonde que délicate, ne cesse de
m’apprendre chaque jour ce que peut être le courage d’être.
À mes amies de toujours, Adelise et Claire.
À mes parents, mon frère Paul et ma belle-sœur Florence, pour leur amour et leur soutien
inconditionnel, sans oublier leurs précieuses contributions à la mise en forme et à la relecture
de cette thèse.
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RÉSUMÉ
Ce travail de thèse porte sur les enjeux théorico-cliniques du rétablissement dans la
schizophrénie. Ce concept est né de récentes études internationales attestant d’une évolution
favorable pour la majorité des patients. Cette évolution ne renvoie pas seulement à une
diminution des déficits du trouble (rémission, rétablissement clinique), mais aussi – voire
surtout – à la modification du vécu des personnes (rétablissement expérientiel).
Notre recherche interroge, tant du point de vue épistémologique, psychopathologique, que
thérapeutique, les points de convergence et de divergence entre ces différentes modalités
évolutives. La passation d’échelles cliniques hétéro et auto-évaluatives auprès de 26 sujets
atteints de schizophrénie atteste d’une disjonction entre la rémission symptomatique, la
rémission fonctionnelle et le rétablissement expérientiel. Ce résultat soutient l’originalité de la
conception expérientielle du rétablissement.
Le cœur de notre recherche concerne ainsi la mise en lumière du vécu de ces mêmes 26 sujets
par la réalisation d’entretiens de recherche. L’analyse descriptive des entretiens nous conduit
à proposer une modélisation dynamique du rétablissement composée de trois grands
processus psychologiques : la conscience du trouble, l’acceptation du trouble et la
reconnaissance de soi. La notion « d’identité narrative » apparaît articuler ces différentes
composantes de telle sorte que le rétablissement expérientiel se comprend comme un
processus de redéfinition d’un sens historisé de soi. Les implications théorico-cliniques de ces
différents résultats seront discutées ainsi que le statut paradigmatique du rétablissement dans
le champ de la santé mentale.
Mots clés : schizophrénie – rétablissement – paradigme – vécu expérientiel – identité narrative
– psychothérapie – reconnaissance de soi
6
ABSTRACT
Recovery on schizophrenia: the self-experience of subjects as a new paradigm
This thesis focuses on the clinical and theoretical aspects of recovery in schizophrenia.
Several lines of evidence from recent studies suggest that a majority of patient diagnosed with
schizophrenia achieve full or partial recovery during life time. This progress is characterized
by a decrease of the deficits observed in this disorder (remission, clinical recovery), but also –
even specifically – changes in self-experience of the disease (self-experience recovery).
Our study examines, from epistemological, psychopathological, as well as therapeutic point of
view, the convergent and divergent points between these different progressive aspects. Hetero
and auto-evaluation clinical scaling performed on 26 subjects with schizophrenia showed a
divergence in the recovering progress between the symptomatic remission, the functional
remission and the self-experience recovery. This result supports the originality of the selfexperience approach of recovery.
The core of our study is to highlight individual life experience from these 26 subjects using
interviews. Following descriptive analysis of the interviews we are proposing a dynamic
model of the recovery in three psychological processes: consciousness of the disorder,
acceptance of the disorder and self-recognition. The concept of “narrative identity” seems to
articulate these different components and self-experience recovery is understood as the
process that redefines the historical meaning of the self. The theoretical and clinical
implications of our results will be discussed below as well as the paradigmatic statute of the
self-experience recovery in the field of mental health.
Key words: schizophrenia – recovery – paradigm – lived experience – narrative identity –
psychotherapy – self-recognition
7
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION .................................................................................................................. 14
PREMIÈRE PARTIE :
MUTATIONS THÉORICO-CLINIQUES ET RENOUVELLEMENT DES CONCEPTIONS
ÉVOLUTIVES DE LA SCHIZOPHRÉNIE : DE LA DÉMENCE PRÉCOCE AU
RÉTABLISSEMENT
PRÉAMBULE : LES CONCEPTUALISATIONS ÉVOLUTIVES DE LA
SCHIZOPHRÉNIE - RUPTURES ET CONTINUITÉS I. Descriptions évolutives de la schizophrénie : recoupements et mutations au fil du
temps ........................................................................................................................................ 20
I.1 Modalités évolutives et formes terminales ............................................................. 20
I.2 Descriptions évolutives : données épidémiologiques ............................................. 22
I.2.1. Avant l’ère pharmacothérapeutique ................................................................ 22
I.2.2. Depuis l’ère pharmacothérapeutique .............................................................. 23
I.2.3. Inversion de la trajectoire évolutive globale et stabilisation des formes
mineures ................................................................................................................... 25
II. Les modalités de l’évolution favorable : un siècle de latence ..................................... 27
CHAPITRE I – LES GRANDES THÉORIES DE LA DÉTERIORATION
I. Un malade aliéné à son organisme................................................................................ 32
I.1 Démence précoce et dégénérescence ...................................................................... 32
I.2 Rayonnement de la théorie de la dégénérescence ................................................... 33
I.3 Prolongements actuels ............................................................................................ 34
II. Un malade aliéné à sa psyché ...................................................................................... 35
II.1 La théorie de la dissociation ou l’impossible restitution ad integrum ................... 35
II.2 L’Organo-dynamisme et la « déchéance progressive » ......................................... 38
III. Un malade aliéné à son histoire précoce .................................................................... 40
III.1 La subjectivité mise en question .......................................................................... 41
III.1.1. Une organisation pré-Œdipienne ................................................................. 41
III.1.2. La forclusion du Nom-du-Père ..................................................................... 42
III.1.3. La dépersonnation ........................................................................................ 43
III.2 La structure psychotique : quelles possibilités thérapeutiques ? .......................... 44
IV. Synthèse sur les grandes théories de la détérioration ................................................. 45
CHAPITRE II – LA DÉTÉRIORATION MISE EN QUESTION
I. Les évolutions théoriques : un patient-sujet et son potentiel de liberté ........................ 50
I.1 Multifactorialité et ouverture des perspectives évolutives...................................... 50
I.1.1. L’hétérogénéité clinique : prémisse d’une démarche intégrative ................... 50
8
I.1.2. L’approche intégrative dans la schizophrénie : l’exemple du modèle
vulnérabilité-stress ................................................................................................... 50
I.2 La phénoménologie : la compréhension de l’expérience vécue ............................. 54
I.2.1. L’attitude phénoménologique ......................................................................... 55
I.2.2. Implications épistémologiques : une attitude préthéorique ............................ 57
I.2.3. Implications cliniques : l’être-au-monde ou l’être différent ........................... 58
II. Les évolutions sociétales : un patient-citoyen et sa place dans la communauté.......... 60
II.1 L’institution psychiatrique en question ................................................................. 61
II.1.1. L’ère de la désinstitutionalisation .................................................................. 61
II.1.2. Le courant de « l’antipsychiatrie » et la psychothérapie institutionnelle ...... 63
II.1.3. Le mouvement de la psychiatrie communautaire .......................................... 64
II.2 Le statut de « malade » en question ....................................................................... 65
II.2.1. La reconnaissance de la « voix des usagers » ................................................ 66
II.2.2. Santé mentale et handicap psychique ............................................................ 67
II.2.3. Le droit des malades à être informés ............................................................. 70
III. Les évolutions cliniques : un patient-acteur de son projet de soin et de son
projet de vie .............................................................................................................................. 72
III.1 L’enjeu de la réinsertion : de la réadaptation à la réhabilitation psychosociale ... 74
III.1.1. Le modèle de la réadaptation psychiatrique ................................................. 74
III.1.2. Du « savoir-faire » au « savoir-être » ........................................................... 76
III.2 La considération du retentissement fonctionnel des psychoses : une pratique
psychosociale .................................................................................................................. 77
III.2.1. Retentissement et rémission fonctionnelle : de nouvelles conceptualisations
.................................................................................................................................. 78
III.2.2. Évolution des psychothérapies : vers une approche psychosociale ............. 78
III.3 De la réhabilitation… au rétablissement ? ........................................................... 81
CHAPITRE III – LE RÉTABLISSEMENT DANS LA SCHIZOPHRÉNIE
I. Le concept de rétablissement : de nouveaux enjeux théorico-cliniques ....................... 86
I.1 Une définition plurielle ........................................................................................... 86
I.2 Deux perspectives du rétablissement ...................................................................... 87
I.2.1. La conception « objective » : être rétabli(e) ................................................... 87
I.2.2. La conception « subjective » : être en rétablissement .................................... 90
I.3 Une conception médicale versus expérientielle ...................................................... 92
II. Vers une compréhension expérientielle du rétablissement.......................................... 93
II.1 Rétablissement et études qualitatives .................................................................... 94
II.2 Les composantes du rétablissement expérientiel ................................................... 96
II.2.1. L’espoir .......................................................................................................... 96
II.2.2. La redéfinition identitaire .............................................................................. 97
II.2.3. L’acceptation de la maladie ........................................................................... 98
II.2.4. L’auto-détermination ..................................................................................... 98
II.2.5. Le contrôle des symptômes ........................................................................... 99
II.2.6. L’engagement dans des activités signifiantes .............................................. 100
II.2.7. Le soutien par autrui .................................................................................... 100
II.3 Rétablissement et modèles de compréhension .................................................... 101
II.4 Un processus de redéfinition de soi ? .................................................................. 102
9
DEUXIÈME PARTIE :
CONFRONTATION EMPIRIQUE : ÉTUDE CLINIQUE DESCRIPTIVE
CHAPITRE I – PROBLÉMATISATION
CHAPITRE II – MÉTHODOLOGIE
I. Population de notre étude............................................................................................ 108
I.1 Recrutement .......................................................................................................... 108
I.2 Déontologie ........................................................................................................... 109
I.3 Données cliniques et socio-démographiques ........................................................ 109
II. Procédure de recueil de données ............................................................................... 110
II.1 Les échelles cliniques .......................................................................................... 110
II.1.1. L’évaluation de la rémission symptomatique : l’échelle PANSS................. 111
II.1.2. L’évaluation de la rémission fonctionnelle : l’échelle ERFS ...................... 111
II.1.3. L’évaluation du rétablissement expérientiel : les échelles RAS et STORI ... 112
II.2 L’entretien semi-directif ...................................................................................... 114
II.2.1. L’entretien : objectif général ....................................................................... 115
II.2.2. Le guide et ses thèmes particuliers .............................................................. 115
III. Traitement des données ............................................................................................ 117
III.1 Analyse statistique des échelles de rémission et de rétablissement ................... 117
III.2 Analyse de contenu des entretiens ..................................................................... 118
CHAPITRE III – ANALYSE DES ÉCHELLES CLINIQUES DE RÉMISSION ET DE
RÉTABLISSEMENT
I. Résultats des analyses statistiques .............................................................................. 121
I.1 Étude du rapport entre la rémission symptomatique et la rémission fonctionnelle
...................................................................................................................................... 121
I.2 Étude du rapport entre l’échelle numérique de rétablissement et l’échelle
catégorielle de rétablissement ....................................................................................... 122
I.3 Étude du rapport entre les échelles de rémission et les échelles de rétablissement
...................................................................................................................................... 124
II. Synthèse des résultats ................................................................................................ 127
III. Discussion des résultats ............................................................................................ 128
III.1 L’indépendance entre la rémission symptomatique et la rémission fonctionnelle
...................................................................................................................................... 128
III.2 La disjonction entre la rémission symptomatique et le rétablissement expérientiel
...................................................................................................................................... 129
III.3 La disjonction entre la rémission fonctionnelle et le rétablissement expérientiel
...................................................................................................................................... 130
III.4 La disjonction entre le rétablissement clinique et le rétablissement expérientiel
...................................................................................................................................... 132
10
CHAPITRE IV – ANALYSE DESCRIPTIVE DES ENTRETIENS SEMI-DIRECTIFS
DE RECHERCHE
I. Analyse de contenu du Thème 1 ................................................................................. 135
I.1 Première classe de discours .................................................................................. 135
I.1.1. Analyse descriptive ....................................................................................... 135
I.1.2. Synthèse ........................................................................................................ 138
I.2 Seconde classe de discours ................................................................................... 138
I.2.1. Analyse descriptive ....................................................................................... 139
I.2.2. Synthèse ........................................................................................................ 144
I.3 Troisième classe de discours ................................................................................. 144
I.3.1. Analyse descriptive ....................................................................................... 144
I.3.2. Synthèse ........................................................................................................ 146
I.4 Quatrième classe de discours ................................................................................ 147
I.4.1. Analyse descriptive ....................................................................................... 147
I.4.2. Synthèse ........................................................................................................ 148
I.5 Conclusion du premier thème ............................................................................... 149
II. Analyse de contenu du Thème 2................................................................................ 149
II.1 Première classe de discours ................................................................................. 150
II.1.1. Analyse descriptive...................................................................................... 150
II.1.2. Synthèse ....................................................................................................... 152
II.2 Seconde classe de discours .................................................................................. 153
II.2.1. Analyse descriptive...................................................................................... 153
II.2.2. Synthèse ....................................................................................................... 155
II.3 Troisième classe de discours ............................................................................... 155
II.3.1. Analyse descriptive...................................................................................... 155
II.3.2. Synthèse ....................................................................................................... 158
II.4 Conclusion du second thème ............................................................................... 159
III. Analyse de contenu du Thème 3 .............................................................................. 160
III.1 Première classe de discours ................................................................................ 160
III.1.1. Analyse descriptive .................................................................................... 160
III.1.2. Synthèse ..................................................................................................... 164
III.2 Seconde classe de discours ................................................................................. 165
III.2.1. Analyse descriptive .................................................................................... 166
III.2.2. Synthèse ..................................................................................................... 169
III.3 Conclusion du troisième thème .......................................................................... 170
IV. Analyse de contenu du Thème 4 .............................................................................. 171
IV.1 Première classe de discours................................................................................ 171
IV.1.1. Analyse descriptive .................................................................................... 171
IV.1.2. Synthèse ..................................................................................................... 175
IV.2 Seconde classe de discours ................................................................................ 175
IV.2.1. Analyse descriptive .................................................................................... 176
IV.2.2. Synthèse ..................................................................................................... 178
IV.3 Troisième classe de discours .............................................................................. 179
IV.3.1. Analyse descriptive .................................................................................... 179
IV.3.2. Synthèse ..................................................................................................... 182
IV.4 Conclusion du quatrième thème ......................................................................... 183
11
TROISIÈME PARTIE – DISCUSSION
LE RÉTABLISSEMENT : UN PROCESSUS DE REDÉFINITION IDENTITAIRE
CHAPITRE I – UN NOUVEL ÉCLAIRAGE DU RÉTABLISSEMENT : VERS UN
MODÈLE DE COMPRÉHENSION EXPÉRIENTIEL
I. Première étape : conscience du trouble et rupture du sentiment de continuité de soi 188
I.1 Définition .............................................................................................................. 188
I.2 Étude de cas : Monsieur R .................................................................................... 189
I.3 Conclusion : aspirations à « vivre sans » la schizophrénie ................................... 192
II. Seconde étape : lutte contre le trouble et réappropriation de soi ............................... 192
II.1 Définition ............................................................................................................. 192
II.2 Etude de cas : Mademoiselle C............................................................................ 194
II.3 Conclusion : aspirations à « vivre avec » la schizophrénie ................................. 200
III. Troisième étape : acceptation du trouble et transformation identitaire .................... 202
III.1 Définition ........................................................................................................... 202
III.2 Etude de cas : Monsieur L .................................................................................. 203
III.3 Conclusion : aspirations à « vivre grâce » à la schizophrénie ............................ 209
CHAPITRE II – RÉTABLISSEMENT DU SOI
L’IDENTITÉ NARRATIVE
ET
RESTAURATION
DE
I. Le rétablissement du soi : un parcours de reconnaissance ........................................ 212
I.1 De la conscience à l’acceptation du trouble .......................................................... 212
I.1.1. Conscience du trouble et conscience de soi figée ......................................... 213
I.1.2. Vers une conscience de soi historisée ........................................................... 214
I.1.3. L’acceptation du trouble : « transmuer le hasard en destin »........................ 215
I.2 De l’acceptation du trouble à la (re)connaissance de soi ...................................... 215
I.3 (Re)connaissance de soi et réalisation personnelle ............................................... 216
II. La reconnaissance de soi : le récit comme solution de « médiation » ....................... 217
II.1 Expérience de soi et identité narrative ................................................................. 218
II.1.1. Le soi : un phénomène réflexif et relationnel .............................................. 218
II.1.2. L’identité narrative, garante du maintien de soi .......................................... 219
II.2 Troubles de l’identité narrative et « affaiblissement du soi » dans la schizophrénie
...................................................................................................................................... 220
II.2.1. Identité narrative et symptômes cliniques ................................................... 220
II.2.2. Identité narrative et souffrances existentielles ............................................. 222
II.3 Restauration de l’identité narrative et rétablissement du soi dans la schizophrénie
...................................................................................................................................... 223
II.3.1. Métacognition et développement du « pouvoir d’agir ».............................. 224
II.3.2. Narration et développement du « pouvoir d’être » ...................................... 225
II.3.3. Du « pouvoir d’agir » au « pouvoir d’être soi » .......................................... 227
III. Rétablissement du soi et psychothérapie .................................................................. 229
III.1 Empathie et reconnaissance ............................................................................... 229
III.2 Narration et co-construction de soi .................................................................... 230
III.2.1. Narration et processus « d’externalisation » .............................................. 232
12
III.2.2. Narration et réappropriation de soi : devenir « narrActeur » ..................... 233
III.3 Rétablissement et psychothérapie : une approche intégrative ............................ 234
CHAPITRE III – LE RÉTABLISSEMENT EXPÉRIENTIEL : UN PARADIGME EN
DEVENIR
I. Ruptures et conflits avec les modèles de soins (pré)existants .................................... 238
I.1 Sur le plan psychopathologique ............................................................................ 238
I.2 Sur le plan éthique ................................................................................................ 240
I.3 Sur le plan épistémologique .................................................................................. 241
II. Démarche thérapeutique et démarche expérientielle : quelle adéquation ?............... 242
II.1 La transmission d’une expertise médicale : l’exemple de la psychoéducation ... 243
II.2 Identification et singularisation ........................................................................... 244
II.3 La transmission d’une expertise subjective : la pratique des « pairs aidants » ... 246
III. Vers un paradigme centré sur l’expérience des sujets : quelles transformations ? .. 247
III.1 Favoriser le décloisonnement des savoirs et des pratiques ................................ 248
III.2 Considérer le sujet en tant qu’expert .................................................................. 249
III.3 Se centrer sur les valeurs des personnes soignées .............................................. 250
III.4 Travailler sur notre propre regard de professionnel ........................................... 251
CONCLUSION ..................................................................................................................... 253
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ........................................................................... 256
13
INTRODUCTION
« C’est après que j’ai compris, grâce à la schizophrénie, mon système de pensée. Je
comprends nettement mieux le monde, son articulation, son fonctionnement » (Monsieur L).
Le vécu des sujets atteints de schizophrénie nous enseigne autant qu’il nous confond. Il vient
bousculer l’ensemble de nos repères théorico-cliniques, au point de les faire parfois advenir
en notre conscience au statut de préjugé.
Mais est-on réellement en mesure d’entendre la parole des sujets ? D’accepter de modifier nos
représentations à la lumière de leur savoir expérientiel ?
En effet, penser à un rétablissement possible dans la schizophrénie comporte le risque pour
nos sociétés, notamment occidentales, d’abolir le moyen métaphorique par excellence auquel
nous avons recours pour signifier l’innommable. C’est-à-dire, aux-côtés de la mort, la folie
(Garrabé, 1992). Car quoi de plus rassurant, pour délimiter la folie et la maintenir hors de soi,
que de penser son irrévocabilité et, par là-même, son incurabilité ?
La schizophrénie vient depuis plus d’un siècle alimenter nos fantasmes, comme elle continue
aujourd’hui à nous en protéger. Toute forme de désignation s’avère (du moins un peu)
nécessaire, car une vie dénuée de frontières défensives serait sans doute intolérable. Désigner
l’autre est bien un moyen de se prémunir de l’autre en soi.
Mais cet autre que constitue le « schizophrène » nous signifie de manière grandissante son
refus de continuer à assurer cette parade contre l’étranger : « Je suis différent de la maladie,
car je ne suis pas non plus différent des gens » (Monsieur D).
Ainsi le concept de rétablissement vient-il nous interpeller, chercheurs et professionnels de
santé, non plus par une dénonciation de « l’internement » comme ce fut le cas avec le courant
de l’antipsychiatrie, mais par une revendication d’un droit à la citoyenneté et à l’exercice de
choix de vie (empowerment).
14
Les messages évoluent, à l’image des transformations théorico-cliniques qui ont traversé ces
dernières décennies le champ psychiatrique. Sans doute retrouve-t-on néanmoins, au cœur de
ces mouvements, un appel invariant - si ce n’est essentiel - celui d’une existence sensée et
authentique, dont le témoignage se trouve souvent bien éloigné de nos représentations
communes et descriptions savantes.
Car c’est précisément l’inadéquation entre savoirs « experts » et savoirs « expérientiels » que
le paradigme du rétablissement (recovery) vient mettre à jour. Contre l’irréversibilité de la
maladie schizophrénique, ce concept postule la possibilité d’un devenir favorable des sujets
qui en sont atteints (Pachoud, 2012).
Ces constats soulèvent deux grandes questions autour desquelles nos réflexions et notre
travail de recherche s’orienteront : comment comprendre le développement, la persistance,
voire le renforcement de ce hiatus dans le champ de la santé mentale ? Dans quelle mesure et
à quelle(s) fin(s) peut-on contribuer à le réduire ?
Le chemin est certes déjà engagé et nous devons reconnaître l’ensemble des avancées qui, tant
sur un plan théorique, clinique, que sociétal ont contribué au passage du statut de « dément »
inéluctablement déficitaire, à celui de « schizophrène » aliéné à sa pathologie, pour évoluer
ensuite vers celui de « patient » acteur de sa prise en charge. Mais cette évolution s’avère
réductrice, tout du moins insuffisante, si l’on considère que le sujet ne se résume pas à son
trouble, que son vécu ne peut être seulement appréhendé au travers le prisme de nos
connaissances sémiologiques et statistiques ; autrement dit, que son existence se déploie bien
au-delà d’une condition de « malade ».
Ainsi la médicalisation de la folie, parce qu’elle contribue autant à démystifier la
schizophrénie pour soulager et mieux comprendre le sujet, comme elle peut - à l’extrême - le
maintenir dans une logique déterministe, se doit de faire l’objet d’une critique nuancée. Avant
toute chose, il s’agira de repérer les écueils liés à un raisonnement psychopathologique causal,
raisonnement traversant l’ensemble des théorisations classiques, et dont le risque réside en
une prétention à la « prédictibilité ».
15
En effet, l’accompagnement thérapeutique nous semble avoir de sens que si l’on adhère au
postulat d’une imprévisibilité existentielle, pour les sujets même réputés de « malades
chroniques ».
Dans une plus large perspective, nous nous attacherons à identifier, au travers la passation
d’échelles cliniques, les points de rupture comme les points de convergence entre la
conception médicale, clinique, dite encore « scientifique » du rétablissement dans la
schizophrénie et sa conception expérientielle, processuelle, subjective. Avec cette démarche,
nous interrogerons les modalités de construction de connaissances scientifiques et
d’accompagnement thérapeutique du rétablissement expérientiel et finalement, son assise
paradigmatique dans le champ de la santé mentale.
Mais pour mieux comprendre ce qui favorise le déploiement de ce processus, il s’agit bien de
tenter de le découvrir de l’intérieur, de se situer au plus proche du vécu des personnes qui en
font l’expérience. Ainsi le cœur de notre thèse concernera une approche exploratoire et
qualitative du rétablissement par le recueil et l’accueil de l’expertise personnelle de sujets
atteints de schizophrénie.
Dans la lignée de recherches phénoménologiques, notamment celles du Professeur Larry
Davidson à Yale, nous nous attacherons à décrire l’expérience vécue des sujets et ainsi à
mettre en lumière ce qui – dans leur quotidien – contribue à renforcer le sens de leur existence
et à les éconduire d’une identité de malade.
Il s’agira, à partir de cette démarche expérientielle, d’affiner et de prolonger les modèles
construits à propos du rétablissement (e.g., Andresen et al., 2003) par l’identification de
processus psychologiques présidant à son déploiement. Le sentiment de transformation
personnelle inhérent à ce cheminement (illustré de manière si percutante par les propos de
Monsieur L) questionne les fondements mêmes du sentiment d’existence et ses remaniements
chez les sujets dont le trouble semble paradigmatiquement celui de l’identité.
16
Comprendre comment le sujet atteint de schizophrénie parvient-il à se vivre autre que
l’effigie véhiculée par le délire, mais aussi différent de l’avatar que constitue la « maladie »,
tout en se reconnaissant soi, à travers ses expériences, nous mènera à convoquer la précieuse
pensée du philosophe Paul Ricœur.
La notion « d’identité narrative » (ibid., 1985, 1990), en métaphorisant le travail de synthèse
identitaire dynamique entre les changements et la permanence temporelle, nous sera d’un
recours considérable pour penser le développement du « pouvoir d’agir » et du « pouvoir
d’être » des sujets – et ses modalités d’accompagnement psychothérapeutique.
C’est ainsi par la convocation d’horizons de pensées variés (psychologie, phénoménologie,
philosophie, psychanalyse) de démarches (théorico-clinique, épistémologique) et méthodes de
recherches (hypothético-déductives et exploratoire, inductive) croisées, que nous aborderons
le thème du rétablissement dans la schizophrénie.
Car le décloisonnement est sans doute ce vers quoi notre posture de psychologue comme de
chercheuse souhaiterait tendre, à l’image de ce que nous apprennent au quotidien les sujets
atteints de schizophrénie. En venant brouiller nos certitudes et bouleverser nos idéologies,
c’est bien de la liberté dont leur rencontre nous parle.
17
PREMIÈRE PARTIE
MUTATIONS THÉORICO-CLINIQUES ET RENOUVELLEMENT DES
CONCEPTIONS ÉVOLUTIVES DE LA SCHIZOPHRÉNIE :
DE LA DÉMENCE PRÉCOCE AU RÉTABLISSEMENT
18
PRÉAMBULE : LES CONCEPTUALISATIONS ÉVOLUTIVES DE LA
SCHIZOPHRÉNIE - RUPTURES ET CONTINUITÉS
Le verdict du passé est toujours le verdict d’un oracle.
Vous ne le comprendrez que si vous êtes les architectes
de l’avenir, les connaisseurs du présent.
Friedrich Nietzsche.
Dans le champ de la recherche sur l’évolution de la schizophrénie, il est désormais établi que
la majorité des patients connaissent une évolution favorable de leur trouble.
Ce constat figure notamment dans le rapport final des études internationales sur la
schizophrénie menées par l’OMS en 2007 (Hopper et al., 2007). Ces données
épidémiologiques sont soutenues aujourd’hui par onze études longitudinales internationales
(Ciompi et al., 2010). Déjà dans les années 1970, l’étude princeps Suisse sur le devenir à long
terme des patients atteints de schizophrénie (Ciompi et Müller, 1976), connue sous le nom
d’ « Enquête de Lausanne », attestait d’une évolution favorable pour la majorité des patients
(guérison ou état terminal léger).
La conception classique d’une détérioration progressive et inéluctable associée à la
schizophrénie s’en trouve donc remise en cause. Si d’après l’historien et psychiatre Jean
Garrabé (1992, p. 8), « le XXe siècle est, du point de vue de l’histoire culturelle de la folie, le
siècle de la schizophrénie », le XXIe siècle pourrait être alors celui de la rupture définitive
avec la théorie de la dégénérescence.
Nous nous trouvons ainsi dans un mouvement de déconstruction des conceptions classiques
favorisant un renouvellement des modèles évolutifs et des dispositifs thérapeutiques du
trouble. L’expansion internationale des travaux portant sur le concept de rétablissement
représente un marqueur fort de cette rupture théorico-clinique. Ce concept anglo-saxon, porté
par des mouvements d’usagers, peut être considéré comme un paradigme évolutif en devenir.
En effet, il signe un tournant tant d’un point de vue épistémologique, psychopathologique,
qu’éthique.
19
Si les points de ruptures conceptuels créent une dynamique épistémologique, nous verrons
que les points de continuité permettent d’asseoir la validité et la pertinence des théories
émergentes en leur conférant une consistance diachronique. Ainsi, au sein des descriptions
classiques, nous relèverons le large emploi des concepts de rémission et de guérison qui n’ont
pourtant été modélisés que partiellement et récemment. Nous rattacherons ce constat à
certaines réticences qui trouvent leur source au sein des théories déterministes classiques.
Leur persistance permet, en partie au moins, d’éclairer les résistances auxquelles se heurtent
les modèles de l’évolution favorable du trouble et en particulier la notion de rétablissement.
La définition de ces nouvelles conceptualisations évolutives constitue une gageure où
viennent se confronter théorie et clinique et soulève des questions épistémologiques et
philosophiques essentielles sur lesquelles il conviendra de nous arrêter.
I. Descriptions évolutives de la schizophrénie : recoupements et mutations au fil du
temps
Certaines théorisations connaissent, au cours de leur histoire, des périodes d’éclipse et de
résurgence. Si ces conceptualisations sont susceptibles de profondes modifications à travers le
temps, certaines demeurent sensiblement proches de leurs descriptions originelles. Les
conceptualisations en psychopathologie sont des abstractions sensées rendre compte de
réalités cliniques. Dès lors, tenter de mieux comprendre la continuité conceptuelle des profils
évolutifs de la schizophrénie ne peut se réaliser sans une mise en perspective de données
épidémiologiques.
I.1 Modalités évolutives et formes terminales
Nous devons au fils d’Eugène Bleuler, Manfred Bleuler, les premières études statistiques sur
le devenir à long terme des patients atteints de schizophrénie. A partir de ces études
catamnestiques, M. Bleuler va distinguer trois formes évolutives du trouble : les formes à
début aigu, les formes à évolution progressive et enfin les formes à évolution cyclique.
Une partie de cette distinction reste aujourd’hui en vigueur en ce qu’elle contribue à
caractériser le mode d’entrée du trouble, lui-même ayant une valeur pronostique. Ainsi, les
20
formes à début insidieux (i.e., à évolution progressive) connaissant une évolution moins
favorable que celles à début brutal (Grivois et Grosso, 1998).
Déjà Henri Ey (1955, p. 303) relevait que « les formes à début progressif sont les plus
démentielles, les formes à début aigu ou à évolution cyclique sont les plus favorables ». C’est
même sur la base de ce mode d’expression prodromique que l’on continue à caractériser les
grandes modalités évolutives.
Ainsi, la forme à début aigu est caractérisée par une phase prodromique brève, des symptômes
essentiellement productifs lors de la phase active du trouble, puis une stabilisation voire une
rémission relativement rapide et fréquente en cas de traitement précoce.
La forme à début insidieux quant à elle est déterminée par une phase prodromique lente et
insidieuse, une symptomatologie évolutive davantage négative et une stabilisation plus
tardive, après en moyenne 10 à 15 ans d’évolution (Llorca, 2004).
En ce qui concerne l’évolution terminale de la schizophrénie, M. Bleuler puis Ey isolaient
quatre destins possibles : l’état démentiel, les états de déficit, le simple déficit puis enfin la
guérison (ou la rémission). La distinction conceptuelle entre la guérison et la rémission
demeure floue, que ce soit dans les écrits de M. Bleuler ou ceux de H. Ey. Toutes deux font
référence à une régression des symptômes du trouble. Dans les cas de guérisons, l’évolution
semble affranchie du risque de récidive, contrairement aux rémissions dans la mesure où ces
dernières demeurent « plus ou moins longues ou plus ou moins complètes » (Ey, 1955, p.
300).
Les formes pronostiques définies dans les nosographies actuelles s’avèrent plus souples et
nuancées qu’elles ne le sont au sein des descriptions classiques. Elles se centrent davantage
sur la description de profils évolutifs plutôt que sur la définition de formes terminales à
proprement parler. A titre d’exemple, outre un mode d’évolution chronique continue, le
DSM-IV retient un mode évolutif épisodique avec symptômes résiduels inter-épisodes, un
mode épisodique sans symptômes résiduels intercurrents, un mode évolutif à épisode unique
en rémission partielle et un mode évolutif à épisode unique en rémission complète.
Ce mode de classification révèle une appréhension dynamique des modalités évolutives du
trouble. Cette « neutralité » prédictive présente l’avantage de ne pas figer l’évolution à partir
d’un mode d’appréhension synchronique et permet ainsi de maintenir ouvert le champ des
21
possibles évolutifs. Néanmoins, ce positionnement prudent peut paradoxalement faire
obstacle au renouvellement des conceptions évolutives du trouble en restant silencieux sur
une évolution favorable continue, voire définitive.
Notons en effet la réserve du DSM-IV-TR quant aux possibilités d’une rémission
complète dans la schizophrénie : « une rémission complète (c’est-à-dire un retour complet à
un fonctionnement pré-morbide), n’est probablement pas courante dans ce trouble »). La
classification internationale (CIM 10), bien que moins récente, apparaît paradoxalement plus
nuancée et ainsi moins pessimiste : « L’évolution des troubles schizophréniques peut être
continue, épisodique avec survenue d’un déficit progressif ou stable, ou bien elle peut
comporter un ou plusieurs épisodes suivis d’une rémission complète ou incomplète ».
La retenue du DSM apparaît également à travers l’emploi exclusif du terme de rémission dans
le chapitre dédié aux schizophrénies, contrastant dès lors avec l’emploi du terme de guérison,
dans le chapitre des troubles de l’humeur par exemple. Nous tenterons un peu plus loin dans
nos réflexions d’apporter des éléments de compréhension à cette empreinte quelque peu
sceptique dont la nosographie américaine ne semble pas être la seule révélatrice.
I.2 Descriptions évolutives : données épidémiologiques
Les données catamnestiques concernant l’évolution du trouble schizophrénique sont
naturellement indissociables de leurs contextes épistémologiques et thérapeutiques. Elles en
sont même le reflet. L’évolution de ces données peut ainsi tenir à la diversité des méthodes et
des critères d’évaluation employés. De même, elle traduit des avancées thérapeutiques et
notamment l’introduction de la pharmacothérapie des troubles psychotiques qui vient
bouleverser incontestablement le pronostic évolutif de la schizophrénie. Notre présentation
diachronique des données épidémiologiques tient compte de cet évènement majeur et se
décline ainsi en deux temps.
I.2.1. Avant l’ère pharmacothérapeutique
Nous nous baserons principalement sur les études statistiques de Manfred Bleuler (1946, in.
EY, 1955) pour présenter les données classiques relatives à l’évolution du trouble
schizophrénique. Ce dernier réalise de 1941 à 1946 une étude longitudinale sur une cohorte de
22
439 cas, étude sur laquelle s’étayera Henri Ey pour affiner ses descriptions cliniques et
évolutives du trouble.
Nous présentons les résultats détaillés de cette étude en Annexe I (p. 277, Tome II, Profils
évolutifs de la schizophrénie de 1941 à 1946).
Nous retiendrons les principaux résultats relatifs à l’évolution des schizophrénies, toutes
formes cliniques confondues1 :
-
20% des patients évoluent vers un état démentiel ;
-
50 à 55 % des patients évoluent vers une forme de déficit (« simple déficit » ou « états
de déficit », selon la distinction opérée par Ey) ;
-
25 à 30 % des patients évoluent vers une guérison durable.
La forme cyclique du trouble est alors mentionnée comme étant de meilleur pronostic que la
forme continue.
Les résultats d’une étude longitudinale réalisée par Henri Ey (1958) sur une cohorte de 170
cas et sur une durée moyenne de 24 ans recoupent sensiblement ces différentes données. Cette
étude fait état d’un taux d’environ 25% de rémissions, et d’un taux de 37% de formes
paradémentielles (i.e., constituées des états démentiels et des états de déficits plus sévères).
I.2.2. Depuis l’ère pharmacothérapeutique
En se basant sur les mêmes critères d’évaluation, Henri Ey (1958) reproduit une étude
statistique peu après les bouleversements thérapeutiques engendrés par la découverte des
médicaments neuroleptiques dans les années 50. Ainsi, sur une cohorte de 82 cas et sur une
durée moyenne de 12 ans, la prévalence totale de la rémission (toutes formes cliniques
confondues) s’élève à 51%, soit près du double du taux établi avant l’ère
pharmacothérapeutique. Quant au taux des formes paradémentielles, ce dernier chute à 25 %.
Outre cette diminution des formes dites « kraepeliniennes », Henri Ey relève plus globalement
une diminution de moitié du taux d’institutionnalisation de patients appartenant au groupe des
Schizophrénies. « Nous retrouvons là le fait que dans un service moyen d’hôpital
1
Nous nous attacherons à spécifier les distinctions évolutives tenant compte des formes cliniques du trouble lors
de la présentation des facteurs pronostiques, au sein du chapitre suivant.
23
psychiatrique une profonde modification s’est opérée dans le nombre, le mouvement et la
structure du groupe des Schizophrènes » (p. 384).
Concernant les données épidémiologiques récentes, nous nous référerons à deux
études réalisées à partir de larges cohortes de patients : le rapport final de l’OMS publié en
2007 déjà mentionné, ainsi qu’une étude publiée en 2011 établissant plusieurs trajectoires
évolutives du trouble à partir d’une cohorte de 2300 patients.
Nous présenterons les résultats statistiques détaillés de ces deux études en Annexe II (p. 279,
Tome II, profils évolutifs de la schizophrénie en 2007) et en Annexe III (p. 281, Tome II,
recoupement de quatre trajectoires évolutives de la schizophrénie en 2011).
L’étude de l’OMS spécifie la « terminaison » de la maladie en prenant en compte différentes
dimensions relatives à l’état symptomatique final, le handicap résiduel, l’évolution au cours
des deux dernières années, le mode de vie et l’emploi.
-
Ainsi, 48% des patients de la cohorte incidence et 53% de la cohorte prévalence
peuvent être considérés comme étant en rémission symptomatique (i.e., ne présentaient
plus aucun symptôme psychotique ou n’étaient éventuellement atteints que des
symptômes résiduels ne provoquant pas de handicap).
-
51% (cohorte incidence) à 60% (cohorte prévalence) des patients peuvent être
considérés en rémission fonctionnelle (i.e., ne présentant pas de handicap fonctionnel)
dans la mesure où ils ne montrent aucun handicap ou un handicap léger selon les
critères de la GAF-handicap2.
Dans une perspective plus holistique (i.e., en tentant de nous rapprocher des typologies
établies par Manfred Bleuler), nous pouvons relever les résultats suivants :
-
31% (cohorte incidence) à 37% (cohorte prévalence) des patients sont considérés
comme rétablis, c’est-à-dire présentant une rémission complète dans ses versants
symptomatiques et fonctionnels.
-
62% (cohorte prévalence) à 68% (cohorte incidence) des patients sont évalués très
améliorés ou améliorés par les investigateurs (i.e., les symptômes psychotiques et le
handicap n’ont été proéminents que les 5 à 8 premières années de la maladie).
2
GAF : Global Assessment of Functioning scale : échelle d’évaluation du fonctionnement global du DSM IV.
24
L’étude longitudinale de Levine et de ses collaborateurs (2011) révèle sensiblement les
mêmes résultats. En tenant compte du nombre moyen d’hospitalisations et de l’âge des sujets,
les résultats montrent que la majorité des patients suivent une trajectoire évolutive favorable,
infléchissement qui débuterait en moyenne autour de 23 ans. Les auteurs déterminent quatre
profils évolutifs selon l’âge de la première décompensation des patients et l’âge auquel
débuterait l’inclinaison favorable de leur évolution.
Nous retiendrons les résultats suivants :
-
Environ 70% des patients connaissent une évolution favorable à un âge dit
« classique » (i.e., 23 ans) ou à un âge dit « précoce » (i.e., 21 ans).
-
Inversement, 30% des patients en moyenne connaissent soit une évolution favorable
tardive (i.e., 29 ans) ou dite « retardée » (i.e., le cours de la maladie suit une
amélioration lente car cyclique à partir de 20 ans).
I.2.3. Inversion de la trajectoire évolutive globale et stabilisation des formes
mineures
Cette mise en perspective des données épidémiologiques classiques et contemporaines révèle
des bouleversements majeurs dans la définition de l’évolution du trouble schizophrénique.
Comme déjà spécifié, l’introduction de la pharmacothérapie constitue un point de rupture
incontestable dans l’histoire de la psychiatrie. Ce tournant thérapeutique participe ainsi à
éclairer grandement ces évolutions catamnestiques.
Rappelons tout d’abord la multiplication par deux du taux de rémission depuis l’ère
pharmacothérapeutique (25% selon l’étude de M. Bleuler vs. 51% selon l’étude de Ey). Les
données épidémiologiques récentes évoquent une relative stabilité de ce taux depuis les
années 50 jusqu’à récemment (compris dans les différentes études entre 48% à 53%).
Néanmoins, cette apparente concordance ne peut prétendre se faire le juste reflet des avancées
pronostiques de ces dernières décennies. En effet, nous pouvons émettre l’hypothèse d’une
évaluation contemporaine plus rigoureuse car plus fine de la rémission comprise dans ses
dimensions symptomatiques et fonctionnelles. Les données ainsi présentées ne peuvent tenir
compte des évolutions méthodologiques que nous invoquons.
25
Revenons, dans cette optique, à la diminution particulièrement signifiante du taux de formes
paradémentielles (37% vs. 25%) relevée et attribuée par Ey aux avancées thérapeutiques des
années 50. La littérature contemporaine pourrait suggérer une relative homogénéité
quantitative des détériorations évolutives. Néanmoins, là encore, ces données échouent à
rendre compte d’évolutions davantage qualitatives que nous ne pouvons que supposer.
Alors que les données récentes font état de manière relativement consensuelle d’une
trajectoire évolutive favorable pour environ 70% des patients, elles caractérisent le pendant
inverse de cette proportion (soit 30%) d’évolution favorable, tardive ou retardée (Levine et
al., 2011). Par conséquent, cette évolution péjorée n’est aujourd’hui plus considérée comme
inéluctable. De même, cette propension peut traduire la persistance de symptômes et/ou de
handicaps consécutifs au trouble ne s’apparentant guère aux formes paradémentielles ou
démentielles classiquement décrites. En effet, les formes dites « déficitaires » qui se
rapprocheraient le plus de ces descriptions classiques du trouble sont aujourd’hui observées
dans 20% des cas (versus. 25% dans l’étude de H. Ey, 1955).
Enfin, de manière surprenante, le taux dit de patients rétablis semble représenter la forme
évolutive la plus stable au fil des années. En effet, les descriptions classiques font état de 25 à
30 % de guérisons stables, proportion que l’on peut rapprocher des 31 à 37% de
rétablissements complets relevés dans les récentes études internationales.
Nous retiendrons plus globalement ce fort contraste résultant du croisement des données
épidémiologiques classiques et contemporaines : la trajectoire évolutive moyenne de la
schizophrénie semble s’être inversée au fil de ce dernier siècle. D’une pente naturelle vers un
certain déclin décrite par Ey et corroborée par les statistiques de son temps (70% d’évolution
démentielle ou déficitaire), nous évoluons vers la détermination d’une pente favorable pour
ce même taux de patients. Si le « noyau central » semble aujourd’hui suivre une tendance
inverse de celle décrite au début du XXème siècle, les formes évolutives « mineures » (i.e.,
guérisons et évolutions déficitaires) apparaissent elles davantage stables.
Nous sommes à présent en mesure de nous demander si les conceptualisations de l’évolution
du trouble ont suivi cette même progression épidémiologique au fil de l’histoire de la
schizophrénie.
26
II. Les modalités de l’évolution favorable : un siècle de latence
L'homme de l'avenir est celui qui aura la mémoire la plus longue.
Friedrich Nietzsche.
La question de l’évolution du trouble schizophrénique est immanente dans l’histoire de la
psychiatrie. Aussi, le dynamisme théorique du début du XXème siècle est-il en grande partie
mû par les équivoques relatives à la nature évolutive du trouble. La vivacité de ces débats
contribue à éclairer la diversité des conceptualisations évolutives classiques. Notons en effet
l’apparition quasi-synchrone de notions aussi hétérogènes que celles de démence, de déficit
inéluctable, de rémission, ou bien encore de guérison.
Au sein des descriptions classiques, la relative opacité des critères associés aux notions de
guérison et de rémission ne contrarie par leur large emploi qui contraste avec les réticences
contemporaines propres à l’usage de ces notions dans le champ de la schizophrénie.
Outre l’absence du terme de guérison dans les descriptions actuelles du trouble, conférant à
cette dénomination un caractère presque « tabou » (Bottéro, 2008), notons la reconnaissance
fort tardive de la rémission de la schizophrénie au sein de la communauté scientifique.
Admise il y a vingt ans dans le champ des pathologies mentales, la rémission renvoie alors en
premier lieu à une forme d’évolution possible des troubles d’anxieux et des troubles de
l’humeur (Lasser et al., 2007).
La première définition consensuelle de la rémission et de ses critères opérationnels appliquée
à la schizophrénie apparaît en 2005. Comprise dans son acception symptomatique, la
rémission actuelle se rapproche de sa description originelle. Il s’agit d’un « état dans lequel
les patients expérimentent l’amélioration d’un ensemble de signes et de symptômes. De
même, aucune manifestation pathologique n’interfère significativement avec le comportement
et est inférieure au seuil typiquement utilisé pour justifier initialement le diagnostic de
schizophrénie » (Andreasen et al., 2005, p.441).
27
La rémission symptomatique est évaluée sur deux axes :
-
un axe clinique : pour parler de rémission, un niveau de score « faible, minime ou nul »
doit être observé sur 8 items de l’échelle PANSS3, correspondant aux différentes
dimensions cliniques de la schizophrénie (dimension psychotique productive avec
distorsion de la réalité, dimension de désorganisation et négative).
-
un axe temporel : ce niveau de score doit s’observer sur une durée d’au moins 6 mois.
Nous devons aux associations d’usagers le regain d’intérêt scientifique porté à l’évolution
favorable de la schizophrénie. Andreasen et al. (ibid.) explique en effet comment la création
du groupe d’experts ayant abouti à la définition de la rémission est issue des mouvements
d’usagers, revendiquant une évolution bien plus favorable que celle classiquement décrite.
Au-delà de la rémission, cette impulsion est à l’origine d’une réflexion scientifique et clinique
récente quant au rétablissement dans la schizophrénie.
Nous avons associé la conception dimensionnelle et opérationnelle du rétablissement à la
phase la plus « aboutie » de l’évolution clinique favorable du trouble (Koenig et al., 2011).
Par conséquent, cette modalité évolutive serait la plus proche de la conception médicale de la
guérison. L’accent porte sur les critères de stabilisation de la maladie (rémission
symptomatique, absence de réhospitalisation) mais aussi de réinsertion socio-professionnelle
(reprise d’une activité de travail ou de formation, autonomie, restauration de relations
sociales…) (Pachoud, 2012).
Dans cette optique, cette modalité évolutive tendrait à se rapprocher des véritables guérisons,
dont la description première par Bleuler fut approfondie par Ey : « une telle éventualité se
produit parfois, et nous connaissons certainement, tous, des guérisons même tardives,
spectaculaires » (1955, p. 300).
Nous pouvons enfin constater l’étonnante proximité de la conception processuelle du
rétablissement avec une modalité évolutive du trouble isolée par Ey. Ce lent mouvement
progressif d’amélioration constituerait la forme de guérison la plus fréquente
de la
schizophrénie. Tout comme le processus de rétablissement, cette modalité caractérise déjà
3
P1 : idées délirantes ; G9 : contenu inhabituel de la pensée ; P3 : hallucinations ; P2 : désorganisation
conceptuelle ; G5 : maniérisme, troubles de la posture ; N1 : émoussement affectif ; N4 : repli social ; N6 :
manque de spontanéité et diminution du flux verbal.
28
chez l’auteur le fonctionnement social des personnes que l’évolution propre de la maladie
dans la mesure où elle n’exclut pas la persistance de manifestations symptomatiques :« […]
sans doute persiste t-il presque toujours ce je ne sais quoi qui est le « cachet » de la marque
schizophrénique (une tendance aux soliloques, des attitudes hallucinatoires, certains
entêtements, certaines bizarreries, des caprices ou des goûts étranges etc.), mais les malades,
comme s’ils sortaient d’un long tunnel, s’habituent de nouveau au jour, à la coexistence avec
autrui, à une certaine forme d’activité, à condition que le milieu auquel ils sont à nouveau
réadaptés soit assez ouaté pour ménager leur fragilité » (1955, p. 300).
Ainsi, il est particulièrement intéressant de constater le décalage existant entre le devenir
épidémiologique et le devenir conceptuel des modalités évolutives de la schizophrénie.
Alors que l’histoire n’a eu de cesse de nous renseigner d’une amélioration progressive du
pronostic évolutif du trouble, les théorisations n’apparaissent guère avoir suivi cette même
trajectoire. La résurgence récente des notions de rémission et de rétablissement dans la
littérature signe l’idée de conceptualisations « dormantes », c’est-à-dire existantes mais non
problématisées ni méthodologisées durant près d’un siècle. Aujourd’hui même, ces notions
demeurent controversées malgré l’inversion attestée de la trajectoire évolutive du trouble d’un
déclin vers une amélioration.
Nous le verrons, les auteurs classiques soulignaient déjà l’omnipotence de la théorie de la
démence précoce et ses regrettables impacts sur la dynamique épistémologique et
thérapeutique de la schizophrénie. Le chapitre qui suit traitera ainsi de la nature
épistémologique et psychopathologique de ces réticences à travers leur mise en perspective
historique.
29
CHAPITRE I - LES GRANDES THÉORIES DE LA DÉTÉRIORATION
Les "maladies mentales", formes rigides d'une triple fatalité étiologique,
pathogénique et évolutive décevaient par avance tout effort et
permettaient même aux plus entreprenants thérapeutes, après qu'ils
eussent renoncé, d'abriter leur inaction sous le couvert d'une
décourageante et jugée inéluctable nécessité.
Henri Ey.
Le champ de la psychopathologie ne peut se comprendre qu’en référence à une inscription
historique. Traversé par des mouvements d’idées parfois antinomiques, il est constitué de
théories et de modèles variant selon les époques et venant interroger d’un point de vue
épistémologique la méthode de compréhension des troubles psychiques.
La confrontation de la perspective naturaliste (méthode objectivante et empiriste) avec celle
des sciences humaines (méthode subjectivante) a largement contribué à cloisonner les
modèles et démarches scientifiques. Ce dualisme a sans doute participé à laisser en marge les
questions liées au devenir des personnes atteintes de schizophrénie au profit de modélisations
explicatives.
La nosologie de la schizophrénie est née de deux principales théories : l’une Kraepelinienne
dans une perspective biologique et l’autre Bleulérienne, dans une perspective davantage
psychodynamique. Quelle que soit la place accordée aux facteurs biologiques ou
psychologiques, le mécanisme ou le processus à l’œuvre dans la genèse de la schizophrénie
constitue une énigme scientifique focalisant la pensée des théoriciens classiques. Au-delà de
la schizophrénie, cette dialectique constitue le point d’ancrage mais aussi le fil rouge de
l’épistémologie et de l’évolution conceptuelle des troubles psychiques : « L’évolution du
concept de la démence précoce constitue une bonne partie de l’évolution de la psychiatrie
théorique en général » (Bleuler, 1910, In. Garrabé, 1992).
30
Force est de constater malgré ce dynamisme théorique, la persistance des conceptions
évolutives déterministes, tel le postulat d’une dégénérescence irréversible, accompagnant un
intérêt quasi-indéfectible pour la question de l’étiologie.
En effet, parmi l’ensemble des interrogations qui ont parcouru ce champ, celle portant sur la
causalité des troubles psychiques a toujours occupé une place importante dans la construction
des démarches passées. L’idée de cause et de causalité apparaissent, en se référant au modèle
médical issu du XIXe siècle, comme une rationalité nécessaire à la cohérence du champ de la
connaissance. Schweitzer et Puig-Verges (2005) rappellent en effet que « la démarche propre
à la psychiatrie s’est structurée autour du développement d’un discours portant sur la
recherche de la cause, comme présupposée, et en référence à la causalité comprise dans le
sens de l’enchaînement de perspectives et de finalités explicatives » (p. 324).
Le principe de causalité mène au réductionnisme théorique lorsqu’il tend à établir une
conception explicative linéaire : un trouble psychopathologique est alors considéré comme la
conséquence directe d’un déterminant fondamental. L’écueil de ce raisonnement causal réside
notamment dans sa prétention à la prédictibilité et entache ainsi l’idée d’un dynamisme
évolutif.
Les théorisations classiques, dans leur abord nosographique ou psychopathologique, se
rejoignent dans la recherche d’un processus fondamental de la schizophrénie. Ainsi, la
définition des modalités évolutives est contrainte par les théories explicatives, démarche
tendant à entretenir une confusion entre le diagnostic (processus psychopathologique) et le
pronostic (évolution).
31
I. Un malade aliéné à son organisme
Les distinctions les plus profondes au début
n'empêchent pas la maladie d'imprimer à la démence
terminale son même sceau uniforme.
Emile Kraepelin.
L’idée d’une détérioration irréversible d’étiologie organique façonna les conceptions les plus
classiques de la schizophrénie. Elle laissera en outre une empreinte durable sur notre
compréhension plus contemporaine du trouble.
I.1 Démence précoce et dégénérescence
L’entité nosologique isolée en 1899 par Emile Kraepelin sous le nom de « démence précoce »
fut dès l’origine considérée comme relevant d’une étiologie organique. L’hypothèse d’un
processus morbide cérébral, lié à une éventuelle auto-intoxication était alors invoquée.
En conservant l’expression introduite par Bénédicte Augustin Morel en 1860, Emile
Kraepelin insistait au sein de la cinquième édition de son traité sur des aspects fondamentaux
de la maladie tels que la détérioration des fonctions intellectuelles, le début dans le jeune âge
et le déficit quasiment inéluctable. Ainsi, dans une perspective diagnostique, l’hétérogénéité
des manifestations cliniques de la maladie était reléguée au second plan au profit d’une
centration exclusive sur les conditions d’apparition, d’évolution et de terminaison. Plus
encore, l’état d’affaiblissement intellectuel global et acquis constituait le critère
pathognomonique du trouble schizophrénique. Kraepelin en faisait un unificateur nosologique
puissant permettant de regrouper des tableaux cliniques variés tels que l’hébéphrénie, la
catatonie et les délires paranoïdes.
Les principales objections faites à la conception Kraepelinienne concernent le raisonnement
médical qui confère une valeur diagnostique à l’évolution démentielle (Garrabé, 1992).
En effet, dès la diffusion de cette conception, des réticences se font jour quant au caractère
rétrospectif de ce critère diagnostique. Serbski, aliéniste moscovite (1902 in. Ibid.), souligna
32
ainsi l’absurdité de ce raisonnement médical. Le diagnostic de démence précoce ne pouvait
être en effet que rétrospectivement établi, alors que dans la démarche médicale, le diagnostic
d’une maladie doit être aussi précoce que possible pour justement en prévoir le pronostic.
En outre, ce trait évolutif sensé être caractéristique de la démence précoce s’avérait loin d’être
constant. Kraepelin le reconnaissait lui-même en soulignant qu’au moins 13% des formes
catatoniques et 8% des formes hébéphréniques « guérissaient ». Serbski ironisa ce constat en
qualifiant de « démence sans démence » la conception Kraepelinienne.
I.2 Rayonnement de la théorie de la dégénérescence
La théorie de la démence précoce, trouvant ses racines dans le cadre plus général de la théorie
de la dégénérescence, a longtemps constitué une référence dans la psychopathologie de la
schizophrénie, notamment en France (Saoud et d’Amato, 2006).
Classiquement, et dans une perspective épistémologique, Schweitzer et Puig-Verges (2005)
comprennent le succès durable de la théorie de la dégénérescence en raison de la validité
médicale qu’elle conféra à la discipline psychiatrique. C’est parce qu’elle constitue « la
première théorie étiologique globale de la folie », qu’elle aurait ainsi fonctionné pratiquement
« comme un dogme jusqu’à la première guerre mondiale ». Outre son fort potentiel explicatif,
la théorie de la dégénérescence reflète une conception ontologique de la maladie mentale
considérée comme une entité naturelle et autonome.
Elle permet ainsi d’asseoir une appréhension naturaliste des troubles mentaux subordonnée à
l’idéologie scientifique dominante : la théorie de l’évolutionnisme.
S’imposant dans presque tous les domaines de la science à la fin du XIXe Siècle, cette
dernière influença largement les conceptions de la psychopathologie (Wallon, 1951). C’est
ainsi que Valentin Magnan adapta la théorie de la dégénérescence de Morel au Darwinisme en
la renversant : si toute chose ou tout être sont le résultat d’une évolution, ne pourrait-on
concevoir un processus inverse d’involution, et ce que nous y observons de défectueux ne
serait-il pas le résultat de cette involution ? La pathologie serait de ce fait une régression, et la
dégénérescence, « l’état pathologique de l’être qui, comparativement à ses générateurs les
plus immédiats, est constitutionnellement amoindri dans sa résistance psychophysique et ne
33
réalise qu’incomplètement les conditions biologiques de la lutte héréditaire pour la vie »
(Magnan, 1895 in. Haupert et al., 2004).
Ainsi, dans son conformisme à la thèse évolutionniste, la thèse de la dégénérescence véhicule
une conception anthropologique hautement influente, au-delà d’une simple étiologie
héréditaire. Comme nous le verrons par la suite, l’idée d’une involution a largement nourri la
théorie libidinale de Freud et, plus largement, les modèles structuralistes qui imprègnent
encore aujourd’hui nos idées sur la nature et les « stigmates » de la maladie mentale (ibid.).
Pour Lieberman (Lieberman et al., 2008), si la théorie de la dégénérescence fut à l’époque
corroborée par l’absence de thérapeutique efficace dans le traitement des psychoses, elle s’est
trouvée récemment réactualisée par les recherches neurodéveloppementales.
I.3 Prolongements actuels
Une littérature de plus en plus importante est en effet consacrée au rôle que pourrait jouer un
processus démentiel dans l’évolution du trouble schizophrénique, ces études plaidant ainsi
pour une étiologie dégénérative (Azorin et al., 2006).
Le renouvellement de ces hypothèses s’inscrit dans la pleine expansion du modèle
neurobiologique, constituant aujourd’hui le paradigme dominant dans le champ de la
recherche en psychopathologie (Virole, 2005). Cette tendance à la « biologisation » de la
maladie psychique, assortie d’un recours exclusif à des méthodes expérimentales, comporte
des effets pervers. En effet, elle tend d’une part à négliger l’importance d’autres facteurs
étiopathogéniques (psychosociaux notamment, ibid.). D’autre part, selon Berner (1999), elle
conduit à un retour sur la question de l’étiologie avec le risque, comme nous l’avons vu, de
contraindre le regard porté sur la question de l’évolution du trouble.
La schizophrénie est de ce fait encore aujourd’hui fréquemment caractérisée par une évolution
péjorée. Dans un récent article, Ciompi et ses collaborateurs (2010), évoquent leur profonde
inquiétude quant à la persistance sur le terrain de cette conception déterministe. Alors que
plus d’un siècle les sépare, leurs objections rejoignent celles de Serbski en invoquant
l’absurdité d’une pratique courante qui consisterait à annuler rétrospectivement un diagnostic
34
de schizophrénie en cas d’évolution favorable du trouble. En effet, il n’est pas rare d’entendre
encore sur le terrain qu’un patient en rémission est un patient pour lequel le diagnostic de
schizophrénie est vraisemblablement erroné.
II. Un malade aliéné à sa psyché
Ces gens mènent parfois des années une lutte désespérée avec
leur maladie avant d’être domptés par la paralysie affective
ou par un état hallucinatoire chronique.
Eugène Bleuler.
L’explication organogénétique de la schizophrénie se trouva dès le début du XXème siècle en
conflit avec une tendance davantage psychogénétique, héritière de la pensée Bleulérienne.
II.1 La théorie de la dissociation ou l’impossible restitution ad integrum
En effet, Eugène Bleuler (1911), forma le néologisme « schizophrénie » pour marquer son
opposition à la théorie Kraepelinienne.
Bleuler présenta officiellement sa nouvelle conception du trouble à l’assemblée annuelle de
l’Association Allemande de psychiatrie de 1908 dans un exposé intitulé : « le pronostic de la
démence précoce (groupe des schizophrénies) ». Le point de rupture avec son illustre
devancier concerne alors la conception évolutive même du trouble (Baud, 2003).
Statistiques à l’appui, Eugène Bleuler démontre que le pronostic de la démence précoce quelle que soit la forme clinique considérée - s’avère beaucoup moins péjoratif que ne
l’implique son appartenance au groupe des démences. L’évolution peut se faire soit
chroniquement, soit par poussée et inclut la possibilité même de guérisons durables.
L’irrémédiable affaiblissement démentiel ne contraint alors plus le diagnostic.
La démarche Bleulérienne se fonde entre autre sur la nécessité de repenser une
conceptualisation du trouble à même d’expliquer l’hétérogénéité des profils évolutifs
observés. Tout en conservant, sans grand bouleversement, la sémiologie classique de la
35
démence précoce, Bleuler en propose toutefois une interprétation psychopathologique fort
différente. En effet, il substitue au mécanisme d’une destruction organique irréversible celui
d’un processus dynamique et fonctionnel : la dissociation de la vie psychique (Spaltung).
Bleuler ne rejette pour autant pas l’hypothèse étiologique organiciste dans la mesure où les
facteurs psychiques déterminent selon lui davantage l’évolution de la maladie (expression et
intensité symptomatique) que sa cause. La caractérisation de ces facteurs biologiques reste
secondaire dans son œuvre.
Au-delà d’une description des signes objectifs d’une maladie, il révèle l’existence de liens
dynamiques entre certains symptômes fondamentaux4 et les fonctions qu’ils occupent les uns
par rapport aux autres dans l’évolution de la maladie. La dimension négative ou déficitaire est
considérée comme caractéristique de la dissociation de la vie psychique5. La dimension
positive marquée par le délire et les hallucinations est elle comprise comme secondaire de par
son caractère contingent.
Il propose en outre de diviser la dementia praecox en quatre sous-groupes (la forme
paranoïde, la catatonie, l’hébéphrénie et la schizophrénie simple) et justifie ainsi
l’introduction au pluriel du concept de schizophrénie. Notons que les classifications
diagnostiques actuelles ont globalement conservé, malgré quelques remaniements, ces grands
sous-types de la schizophrénie. A titre d’exemple, l’appellation « type désorganisé » a
remplacé celle de « l’hébéphrénie » et la mention « schizophrénie indifférenciée », celle de la
« schizophrénie simple » dans le DSM IV-TR. Soulignons néanmoins l’apparition dans cette
nosographie d’un type « résiduel » signant la reconnaissance d’une possible et fréquente
amélioration symptomatique. De même, la compréhension bidimensionnelle de la
symptomatologie (positive vs. négative) demeure aujourd’hui prépondérante et les échelles de
symptomatologie clinique les plus fréquemment employées, telle la PANSS (Positive and
Negative Syndrom Scale, Kay et al., 1987) se fondent sur ce système diagnostique.
4
5
Les symptômes considérés comme primaires ou encore « quatre A » sont la perte des Associations, l’Autisme,
les troubles Affectifs et l’Ambivalence.
Ainsi se justifie le choix du vocable forgé à partir des racines grecques schizo (fendre, partager) et phrénie
(esprit)
36
La conception Bleulérienne demeure ainsi une référence psychopathologique fondamentale,
en ce qu’elle représente la première théorie fonctionnelle des maladies mentales.
Toutefois, la rupture engagée par Bleuler avec la théorie organique démentielle
s’accompagne-t-elle d’un bouleversement notable des conceptions évolutives du trouble ?
Tout d’abord, Bleuler persiste à conserver le critère diagnostique de l’évolution terminale.
Selon lui, des maladies dont les terminaisons diffèrent ne sauraient appartenir à un même
groupe psychopathologique. Néanmoins, il contourne l’idée d’un diagnostic rétrospectif en
soutenant la possibilité d’une identification rapide (comprise comme quasi « intuitive ») du
trouble des émotions et des associations, ce dernier persistant quelle que soit l’évolution du
trouble. Il caractérise ainsi son groupe des schizophrénies par une impossible restitution ad
integrum, c’est-à-dire un impossible retour à l’état antérieur au déclenchement de la maladie.
Bleuler introduit dès lors la distinction entre la guérison « apparente » des symptômes et la
guérison du mécanisme psychopathologique fondamental qu’est la dissociation.
Il suggère que dans les cas de rémissions, « ce qu’il semble se passer, c’est que les reliquats
psychiques du processus qui a achevé sa course deviennent détachés de la personnalité. C’est
ainsi que les idées délirantes ne peuvent en aucune façon être corrigées chez de très nombreux
cas dits « guéris » ; le patient les a seulement « oubliées » ; qu’on le questionne directement à
leur propos, ou que survienne une nouvelle attaque, il les invoque à nouveau avec la même
conviction […] » (Bleuler, 1908, In., Bottéro, 2008).
L’altération des associations de pensée peut ainsi subsister détachée d’une personnalité avec
laquelle elle coexiste et donner lieu ainsi à une « apparente » guérison.
Bleuler (ibidem.) ajoute que « plus le patient se trouve soumis à des stimulations externes et
se montre capable de les tolérer, plus cette scission s’opèrera tôt ». La reprise d’une activité
est considérée comme favorisant la mise à l’écart des associations délirantes.
Ainsi, en s’opposant à une conception organique démentielle, Bleuler rompt avec le
paradigme d’une détérioration inéluctable de la schizophrénie. Il évoque les possibilités de
rémissions, voire de guérisons du trouble (sans en préciser la distinction conceptuelle), toutes
deux faisant référence à un cloisonnement psychique des associations délirantes.
37
Néanmoins, l’impossible guérison du processus psychopathologique fondamental demeure le
critère diagnostic privilégié. Les symptômes primaires (i.e., dimension négative ou déficitaire)
seraient toujours visibles contrairement aux symptômes secondaires (i.e., dimension positive)
plus ou moins présents à la personnalité du sujet, ces derniers étant des tentatives d’adaptation
aux troubles primaires. Nous voyons alors apparaître dans la conception Bleulérienne les
prémisses du paradigme structuraliste et de la théorie psychanalytique considérant le délire
comme une tentative de guérison, de réinvestissement libidinal de la réalité extérieure
(Garrabé, 1992). Réciproquement, l'influence exercée par les idées freudiennes et par
certaines hypothèses psychanalytiques a joué un rôle important dans cette élaboration
théorique.
Finalement, non seulement Bleuler réfute les possibilités d’une guérison totale, mais qui plus
est, il invoque l’aspect « illusoire » de la rémission des symptômes positifs du trouble, bien
que cette dernière soit considérée comme signant une trajectoire d’évolution favorable.
L’impossible restitution ad integrum signe alors l’irréversibilité du processus fonctionnel
fondamental et par là même, des supposés mécanismes biologiques pathogènes.
II.2 L’Organo-dynamisme et la « déchéance progressive »
Henri Ey sera l’héritier de la pensée Bleulérienne en France. Tout en développant sa propre
conception organo-dynamique de la schizophrénie, il n’aura de cesse de prôner son adhésion
aux thèses de Bleuler, voire de les défendre auprès de ses contradicteurs.
L’évolution de sa pensée reflète l'influence des idées de Jackson et l'importance qu'il
accordera désormais aux facteurs psychiques, interposés en quelque sorte entre les symptômes
et le processus morbide : « C'est donc d'un processus schizophrénique qu'il faut parler avec ce
qu'il comporte précisément d'organicité à sa base et de psychogenèse dans le déterminisme de
ses symptômes » (Ey, 1934, In. Baud, 2003).
Henri Ey consacre une partie importante de son œuvre aux descriptions évolutives du trouble.
Outre les études longitudinales mentionnées précédemment, l’on doit à Henri Ey un important
travail d’élaboration sémantique permettant ainsi de pallier le flou conceptuel caractérisant les
modalités descriptives de ses prédécesseurs.
38
Dans la continuité de la pensée Bleulérienne, Ey s’attache à déconstruire l’idée d’une
évolution démentielle en plaçant l’interprétation psychodynamique au cœur de ses
descriptions évolutives : « l’évolution dynamique du processus schizophrénique est bien loin
de se réduire à une sorte de destruction pure et simple. Elle constitue, contre la catastrophe
schizophrénique, une tentative pour s’adapter encore à une forme d’existence ». (1955, p.
299.)
Notons que le processus schizophrénique est là encore caractérisé par une forme de
régression. Cette détérioration progressive s’avère toutefois réversible, cette nuance justifiant
le passage de la notion de « démence » à celle de « déficit ».
Alors que la démence « comporte une analyse qualitative qui met en évidence l’incapacité
foncière et irréversible de résoudre les problèmes de l’existence », le déficit renvoie à « une
sorte de déchéance progressive de la totalité de l’être psychique qui, dans la totalité de ses
aptitudes
affectives
comme
intellectuelles,
subit
une
sorte
de
régression,
d’amoindrissement ». Le malade serait alors davantage en proie à une détérioration
quantitative que qualitative de son fonctionnement, distinction psychopathologique essentielle
sur laquelle nous reviendrons.
En s’étayant sur cette distinction conceptuelle, Henri Ey (1955) introduit ainsi la notion de
chronicité qu’il substitue à l’état démentiel : « quelques-uns des travaux de ces trente
dernières années postulant que l’évolution démentielle représente la forme vraie de la
chronicité schizophrénique » (p. 293). Il caractérise dès lors la pente naturelle de la
schizophrénie vers un certain déclin (p. 300).
Ces considérations l’amènent à exclure par définition les psychoses aiguës et transitoires (i.e.,
les cas en rémission de leur première poussée ne connaissant pas de récidives) ainsi que celles
qui n’altèrent pas profondément la personnalité.
Si la notion de déficit vient modérer le caractère inéluctable de la détérioration décrite dans la
conception démentielle, elle révèle la persistance d’un raisonnement où l’étiopathogénie est
pensée en référence à cette même détérioration. La déchéance progressive demeure la
tendance naturelle, la trajectoire ontologique du processus schizophrénique alors même que
cette marche vers la chronicité est décrite comme possiblement, voire fréquemment
39
remédiable (25% de rémissions et 30% de patients ne présentant pas de déficits avant l’ère
pharmacothérapeutique).
La théorie organo-dynamique conçoit la maladie mentale comme une régression parce qu’elle
est retour à des activités inférieures qui sont sous l’étroite dépendance de l’organisme
(Wallon, 1951). Nous percevons ainsi, au cœur de la pensée de l’auteur, l’inspiration
évolutionniste de la théorie de la dégénérescence. Henri Ey (1978) admettra lui-même ce
parallèle tout en déplorant les dérives qui lui sont associées : « le terme de dégénérescence,
pour autant qu’il implique dans sa généralité l’idée d’un contre-sens du projet normatif, serait
parfaitement adéquat s’il n’était pas surdéterminé par un contexte péjoratif de ségrégation »
(in. Haupert et al, 2004)
III. Un malade aliéné à son histoire précoce
Je vois dans la psychanalyse, une révélation de l’archaïque,
une manifestation du toujours antérieur. […]
On pourrait reprendre toute l’œuvre théorique de Freud du point
de vue de ses implications temporelles. On verrait alors que le
thème de l’antérieur est sa propre hantise.
Paul Ricœur.
La psychanalyse a constitué, au début du XXème siècle, le mouvement qui insistait le plus sur
l’importance majeure du développement individuel de chaque sujet dans la compréhension et
dans le traitement de sa pathologie. En s’inscrivant dans une démarche à la fois clinique,
éthiopathogénique et thérapeutique, elle imposa une réflexion psychodynamique dans le
champ de la psychiatrie et contribua ainsi à enrichir les conceptualisations classiques de la
schizophrénie (comme nous l’avons vu avec la théorie de la dissociation ou la théorie
organo-dynamique).
Si la psychanalyse marque son originalité en s’opposant à la doctrine de la dégénérescence,
elle porte en elle une conception anthropologique où le devenir du sujet est en partie
conditionné aux modes de relations établies lors des toutes premières années de sa vie.
40
III.1 La subjectivité mise en question
A travers les conceptions classiques (Freudienne, Lacanienne), comme plus contemporaines
(e.g. Racamier), la psychanalyse soulève la question de la constitution du Sujet dans la
psychose.
III.1.1. Une organisation pré-Œdipienne
Assez vite avec son fondateur Sigmund Freud, l’intérêt porté à l’histoire du sujet a concerné
son développement précoce. Ce souci s’est accompagné d’une importance cruciale accordée à
certaines constantes : les notions de stades libidinaux, de fixations et de régressions
permettent de discerner dans cette histoire des conflits qui se retrouvent d’un sujet à l’autre et
qui tendent à tirer leur importance et leur valeur significative de leur universalité (LantériLaura, 2002). La situation œdipienne en constitue probablement le meilleur exemple.
Avançant la thèse d’une « vocation civilisatrice du complexe », on retrouve chez Freud
(1913) la volonté d’inscrire le modèle du développement libidinal dans une théorie générale
phylogénétique.
En 1911, Freud contre Bleuler privilégie la notion de paranoïa à celle de schizophrénie. Dès
lors, il fait de la paranoïa un modèle structural de la psychose en général.
Le mécanisme de la paranoïa découlerait d’un processus pathologique provoquant le retrait de
l’investissement libidinal de l’objet. La libido retournerait dans le moi qui se retrouverait dans
une situation auto-érotique. En résulte un désinvestissement de la réalité extérieure par le
mécanisme de déni. La schizophrénie ne constituait alors qu’une version clinique de ce
processus pathologique. Ainsi, la théorie psychanalytique de la schizophrénie ne se comprend,
à ses fondements, que par les concepts de détachement de la libido et de régression à l’autoérotisme (Dalle et Weill, 1999).
Dans sa seconde théorie de l’appareil psychique, Freud (1923) explicite sa conceptualisation
de la psychose en référence à la notion de complexe d’Œdipe6, prérequis structurant de
l’instance morale. L’impossible accès à l’épreuve Œdipienne signe dès lors l’impossible accès
6
Le complexe d’Oedipe peut être défini comme « l’ensemble organisé des désirs amoureux et hostiles que
l’enfant éprouve à l’égard de ses parents ». (Laplanche et Pontalis, 1967)
41
à la subjectivité et par là-même, aux relations proprement intersubjectives, c’est-à-dire
différenciées.
Dans cette perspective étiologique, les prolongements théoriques de la thèse Freudienne
concerneront naturellement les modes de relations parents-enfants et s’attacheront plus
particulièrement à définir le rôle des parents dans la genèse de la schizophrénie.
A titre d’exemples, Fromm-Reichmann (1948) parlera de mère schizophrénogène et Searles
(1959) postulera l’existence « d’un effort continu – largement ou totalement inconscient – de
la ou des personnes importantes de l’entourage de l’individu schizophrène pour le rendre fou
». De tels facteurs étiopathogéniques, outre leurs impacts négatifs et regrettables sur le plan
thérapeutique, ont rapidement pris la force d’un caractère causal (Schweitzer et Puig-Verges,
2005).
III.1.2. La forclusion du Nom-du-Père
Tout comme Freud, Lacan (1956) constituera son modèle de la psychose essentiellement à
partir de l’étude du trouble paranoïaque. Dans sa théorisation (Séminaire III), Lacan accentue
la notion de rejet (verwerfung) de Freud et propose la traduction par forclusion. Elle consiste
en un rejet primordial d’un signifiant fondamental hors de l’univers symbolique du sujet (In.
Laplanche et Pontalis, 1967).
Lacan reformule ainsi la vision Freudienne du complexe d’Œdipe en ajoutant au père réel, la
fonction paternelle symbolique : « la fonction paternelle dresse un obstacle à la jouissance
dans le rapport mère-enfant. Elle porte une barre sur le désir de la mère en s’opposant à
l’instauration d’une complétude imaginaire réunissant celle-ci et son enfant » (Maleval,
2000). La théorie Lacanienne postule ainsi que l’accès à cette représentation symbolique
détermine la constitution du sujet : le sujet n’advient que lorsqu’il est séparé du désir de la
mère. En découle une théorie centrée sur la « causalité psychique » (Lacan, 1946) dans la
mesure où la pathologie est uniquement déterminée par la manière dont chaque sujet aborde
ou non certains conflits psychiques.
42
III.1.3. La dépersonnation
Ainsi, selon la compréhension psychanalytique des psychoses, c’est le concept même de
subjectivité qui est mis en question. Le Moi ayant subi d’importantes fixations ou régressions
à un niveau archaïque du développement libidinal se préorganise selon le mode psychotique :
la relation d’objet dite fusionnelle, symbiotique, caractérise l’état d’indifférenciation de la
personne avec son environnement.
Selon Racamier (1965), les symptômes psychotiques dans la schizophrénie sont les témoins
d’une angoisse d’anéantissement (p. 674). L’auteur propose néanmoins de comprendre le
trouble fondamental de la schizophrénie à la lumière du concept de Soi et de ce qu’il nomme
le processus de dépersonnation, dont dériveraient l’ensemble des symptômes psychotiques.
Le Soi (en tant que fonction du Moi), se dissolvant dans la psychose schizophrénique, le sujet
cesserait d’éprouver sa personne et celle d’autrui comme des entités vivantes, séparées et
organisées. En résulterait une absence d’image de base d’autrui et de soi-même, de trame et
d’assise de sa relation vécue avec le monde vivant qui l’entoure (ibid.).
Toutefois, l’expression clinique peut constituer des tentatives de restauration de la
permanence à soi, sous une forme plus ou moins efficiente et couteuse pour le sujet.
Ainsi, selon Racamier (1965), le délire (comme symptôme de la schizophrénie) assure une
fonction de reconstitution d’un monde, d’une personne et d’un objet, face à l’angoisse
d’anéantissement engendrée par la dépersonnation. De ce fait, la solution que constitue la
voie du délire est qualifiée par l’auteur de dyspersonnation (ibid.). Nous retrouvons ici la
fameuse thèse de Freud (1911) établie à propos du cas du président Schreber selon laquelle le
délire représente une tentative d’auto-guérison.
Dans cette optique, bien davantage qu’un effondrement du sens, nous comprenons les
symptômes psychotiques comme des solutions (certes provisoires et instables) adoptées par le
sujet pour maintenir un sens de soi. Plus encore, cette perspective fonctionnelle nous semble
porter en elle l’idée essentielle (qui guidera nos propos à venir) selon laquelle les troubles du
soi demeurent dynamiques, évolutifs et susceptibles de réaménagements signifiants.
43
III.2 La structure psychotique : quelles possibilités thérapeutiques ?
La métapsychologie, qu’elle soit Freudienne ou Lacanienne, concerne incontestablement
l’histoire singulière en tant qu’elle adopte le point de vue dynamique, mais elle comporte
aussi des points de vue topique et économique (en quelque sorte « typiques ») qui, quant à
eux, relèvent d’un registre structural (Lantéri-Laura, 2002).
Ainsi, les premières théories psychanalytiques de la schizophrénie sont-elles nées d’une
double transposition. D’une part, nous avons vu que c’est principalement par leur apport
théorique au fonctionnement de la psychose paranoïaque qu’il faut aborder avec Freud, puis
Lacan, ce qui serait transposable à la schizophrénie (Dalle et Weill, 1999). Cette transposition
puise son sens dans une logique structurale venant privilégier l’analyse psychopathologique
d’une organisation psychique (en l’occurrence psychotique) à la caractérisation d’une entité
pathologique. Notons d’autre part que la théorisation du fonctionnement psychotique a été
constituée en référence à la théorie libidinale des troubles névrotiques de Freud.
Dans cette optique, la psychose est définie comme résultant d’une régression à un stade
libidinal (narcissisme primaire) se situant en-deçà de l’organisation psychique du névrotique.
La notion de régression nous rappelle, comme dans la perspective organo-dynamique de Ey,
l’influence de la thèse évolutionniste et son adaptation à la psychopathologie comprise alors
comme un « contre-sens du projet normatif » (1978 in. Hauper et al., 2004).
La psychose représenterait de ce fait l’organisation psychique la moins évoluée de l’espèce
humaine. Plus encore, l’idée d’une organisation archaïque du psychotique vient mettre en
doute la notion même de sujet et dès lors la possibilité d’accéder au processus transférentiel7
qui conditionne la relation psychothérapeutique. Nous comprenons ainsi pourquoi, à ses
fondements, la psychanalyse reste sceptique quant aux possibilités d’évolution favorable des
psychoses.
7
Le transfert désigne en psychanalyse le processus par lequel les désirs inconscients s’actualisent sur certains
objets dans le cadre d’un certain type de relation établi entre eux et éminemment dans le cadre de la relation
anaclytique. Le transfert est classiquement reconnu comme le terrain où se joue la problématique d’une cure
psychanalytique, son installation, ses modalités, son interprétation et sa résolution, caractérisant celle-ci
(Laplanche & Pontalis).
44
Si la psychanalyse freudienne a incontestablement bouleversé notre compréhension du
psychisme humain et de la psychopathologie, elle n’a guère approfondi – tout comme la
théorie lacanienne – les questions liées aux possibilités thérapeutiques et évolutives des
schizophrénies. Par la suite, d’autres auteurs majeurs contribueront néanmoins à repenser le
processus transférentiel dans la schizophrénie et à nuancer alors le radicalisme de certaines
conceptions classiques.
Ainsi se dessine t-il progressivement, à partir de Ferenczi puis Klein, un espace potentiel
psychothérapeutique adapté aux patients atteints de schizophrénie (Dalle et Weill, 1999). A
cette même époque, Sullivan (1961) développe la thèse selon laquelle la schizophrénie
n’émane pas d’un unique processus interne mais d’une réaction à des processus et évènements
intervenant d’un individu à son environnement. Cette ouverture de la psychanalyse à la
dimension sociale représente les prémisses d’un mouvement d’idées qui traversera si bien le
courant de l’antipsychiatrie et de la psychothérapie institutionnelle, pour s’épanouir
ultérieurement dans le développement des thérapies familiales.
IV. Synthèse sur les grandes théories de la détérioration
Il est plus aisé de penser les contraires que les degrés.
Friedrich Nietzsche.
Comme nous avons pu le souligner à travers l’étude des théories classiques les plus
influentes, les premières conceptualisations de la schizophrénie sont empreintes d’une vision
hautement fataliste concernant l’évolution du trouble et qui plus est, le devenir des personnes
qui en sont atteintes. Que ce soit à travers les concepts de dégénérescence, de dissociation ou
d’organisation (ou structure) psychotique, le malade tend à être confondu avec le désordre
psychique dont il est affecté. Autrement dit, la triple superposition entre le diagnostic de
schizophrénie, son pronostic et le devenir de la personne revient à conditionner l’existence du
sujet à l’évolution dite péjorée du trouble.
Tout au long de cette partie, nous avons eu le souci de comprendre l’empreinte déterministe
commune aux différentes théories classiques à la lumière du contexte scientifique et
idéologique dans lequel elles s’inscrivent. La précarité des moyens thérapeutiques alors
45
disponibles représente, dans cette optique, une voie d’explication majeure mais non
suffisante.
Dans une perspective épistémologique, les premières théories de la schizophrénie ont permis,
nous l’avons vu, d’asseoir de grands champs disciplinaires naissants au début du XXe siècle.
D’un côté, la psychiatrie, dont l’objet d’étude, les troubles mentaux, requière la recherche de
traits essentiels qui permettent de les grouper en familles distinctes et ainsi de les différencier
du psychisme « normal ». De l’autre côté, la psychopathologie et son influente psychanalyse
pour lesquels il importe davantage d’appréhender les manifestations des troubles dans leurs
liens psychodynamiques et au sein d’une méta-organisation psychique. L’on peut d’ailleurs
considérer ce dernier champ comme le précurseur de notre discipline qu’est la psychologie.
L’une et l’autre de ces voies, aussi riches et complémentaires soient-elles alors, se sont
pourtant développées avec le souci prégnant de mieux se différencier et d’affirmer leur
légitimité scientifique. Nous l’avons vu avec Schweitzer et Puig-Verges (2005), cette
préoccupation a fortement contribué à marquer la grande opposition organo- versus psychogenèse. La prépondérance du raisonnement causal a des effets regrettables non seulement
parce qu’il créé du réductionnisme, voire du radicalisme théorique, mais aussi parce qu’il tend
à laisser en marge les questions liées à l’évolution des troubles et à leur impact sur la
personne.
Dans une perspective davantage anthropologique enfin, nous avons souligné la tendance de
l’ensemble des théoriciens à ramener la psychopathologie à une forme, soit d’organogenèse
(théorie de la dégénérescence), soit de psychogenèse (théories psychodynamiques),
« renversée ». Nous comprenons alors que l’idée d’une involution ait été peu propice au
développement d’un discours portant sur les possibilités d’évolution favorable du trouble.
Comme toute tendance scientifique forte, les premières théories de la schizophrénie n’ont
guère été éclipsées par les avancées théorico-cliniques et elles continuent indéniablement à
marquer nos conceptions actuelles du trouble. Néanmoins, comme nous le verrons dans le
chapitre suivant, de profondes mutations tant sur le plan théorique, clinique que sociétal ont
contribué au renouvellement des conceptualisations évolutives et ainsi à la constitution
46
progressive du paradigme du rétablissement. Aussi, l’évolution d’un champ de connaissance
ne se fait-elle pas sous une forme purement linéaire et chronologique. Elle se fonde sur le
dynamisme propre à tous les éléments de ce champ, aussi anciens soient-ils.
De ce fait, la constitution des théories contemporaines requiert une relecture toujours plus
minutieuse et éclairée des œuvres classiques afin de mieux saisir, en leur sein même, les
points de ruptures ayant permis leur renouvellement.
47
CHAPITRE II : LA DÉTÉRIORATION MISE EN QUESTION
La tendance destructrice du processus schizophrénique n’est
pas fatale, ou plutôt elle ne l’est que dans les abstractions des
psychiatres qui, en décrivant une schizophrénie “ pure”,
en ont fait une sorte de mal absolu.
Henri Ey.
Tout au long du XXème siècle, la diversification des connaissances dans les domaines
scientifiques et les mutations sociales, culturelles, idéologiques qui les accompagnent vont
conduire à une appréhension de la psychopathologie caractérisée par la complexité. La
gageure de cette complexité va consister à intégrer en un ensemble unifié et cohérent des
dimensions jusqu’alors cloisonnées, au risque de perdre en compréhension ce que l’on va
gagner en extension. Pour ce qui concerne l’évolution de la schizophrénie, ce mouvement
signe l’abandon de la prédictibilité et de ses regrettables impacts au plan thérapeutique au
profit de l’imprévisibilité constituant un prérequis du paradigme du rétablissement.
Nous avons mis en exergue au sein du chapitre précédent l’empreinte déterministe, tant
scientifique qu’anthropologique, commune à l’ensemble des théorisations classiques.
Nous pouvons toutefois identifier au sein même de ces théories des points de rupture en
germe ayant préfiguré cette voie de la complexité.
Progressivement à partir des années 1970, notamment avec le modèle biopsychosocial de
Zubin et Spring (1977), nous verrons que les conceptualisations multifactorielles du trouble
vont s’imposer dans le champ de la recherche sur la schizophrénie. Cette approche plus
intégrative contribue à modifier profondément les rapports envisagés entre le diagnostic et le
pronostic évolutif du trouble en conférant au sujet aux prises avec sa maladie un potentiel
d’évolution non déterminé. Aussi les modèles de soins suivront-ils cette même évolution en
favorisant le rôle actif du patient dans ses soins.
La thèse d’une irréversibilité du processus schizophrénique bascule progressivement au rang
des idéologies désuètes, « prétextes » au défaitisme thérapeutique, comme nous le signifie
Henri Ey (1955).
48
Par ailleurs, la phénoménologie qui va irriguer les méthodes d’investigation et de
compréhension des troubles psychiques positionnera les témoignages des patients sur leur
expérience singulière au cœur de la démarche scientifique. Elle représente de ce fait la
méthode inspiratrice des études sur le processus de rétablissement dans la schizophrénie.
Dans une perspective davantage philosophique, elle introduit dans le champ de la psychiatrie
une réflexion autour des rapports entre l’être et le devenir (essence et existence) et contribue
ainsi à récuser la superposition du devenir de la personne à la nature de son trouble.
La contestation d’un « destin schizophrénique » fut également portée par les mouvements
sociaux qui, du courant de l’antipsychiatrie au rassemblement des « ex-usagers et survivants
de la psychiatrie », se sont déployés autour d’une préoccupation commune : celle de conférer
au patient un statut de citoyen.
Nous allons à présent expliciter ces avancées qui, tant sur un plan théorique, clinique que
sociétal, ont contribué dans la seconde moitié du XXe siècle au renversement de la conception
du « malade schizophrène » aliéné à son trouble, à celle du « sujet atteint de schizophrénie »
expert de son vécu.
49
I. Les évolutions théoriques : un patient-sujet et son potentiel de liberté
Transmis avec fatalité, susceptibles de peser à l'occasion
lourdement sur la destinée, les traits héréditaires n'épuisent point la
personne humaine. Il reste toujours une marge, marge plus ou moins
large, nous le voulons bien, mais qui à vrai dire existe toujours.
La personne humaine est appelée à pétrir de ses mains ce
qui a pu lui être imposé en dehors d'elle, et de se donner, de
s'affirmer d'une manière qui lui est propre.
Eugène Minkowski.
I.1 Multifactorialité et ouverture des perspectives évolutives
L’approche multifactorielle de la schizophrénie, en desserrant l’étau étiologique dans lequel
était prise la trajectoire du trouble, apporte un nouveau souffle à ses conceptions évolutives.
De l’hétérogénéité clinique préfigurée au sein des conceptions classiques aux modèles
intégratifs plus contemporains apparaissent l’ouverture et la variabilité pronostique.
I.1.1. L’hétérogénéité clinique : prémisse d’une démarche intégrative
Nous l’avons vu, la conception Bleulérienne de la schizophrénie présente un degré de
complexité contrastant avec l’argument étiologique unique et purement organique de
Kraepelin. La théorie fonctionnelle de la dissociation permet le passage d’une conception
explicative linéaire à un modèle étiopathogénique multifactoriel où les déterminants de la
maladie et les déterminants symptomatiques sont distingués. Si le mode d’articulation
dynamique de ces différentes dimensions fait défaut dans la théorie Bleulérienne, nous
pouvons néanmoins voir en cette dernière les prémisses des modèles de compréhension
plurifactoriels actuels. L’introduction au pluriel de cette entité nosologique signe une
ouverture à des explications causales et ainsi à des perspectives évolutives plus nuancées.
Bleuler contribue alors de manière fondamentale au dépassement de la simple description
sémiologique en portant une attention toute particulière aux facteurs (intra-)psychiques,
relevant du sujet dans sa singularité et intervenant, au moins, sur le mode d’expression et
l’intensité symptomatique du trouble.
50
L’hétérogénéité clinique de la schizophrénie implique une hétérogénéité évolutive venant
pour la première fois introduire une rupture avec l’idée d’un « destin » schizophrénique.
Le devenir des malades n’est plus uniquement déterminé par un mécanisme morbide
autonome et écrasant in fine toutes les potentialités (défensives) de la personne : « La maladie
peut évoluer temporellement et qualitativement sans guère de règles : progression continue,
stabilisation, poussées, rémissions sont possibles à tout moment » (Bleuler, In. Garrabé,
1992). Le concept de rémission, largement employé dans les écrits de Bleuler puis de Ey, en
est la plus franche illustration.
L’avant-gardisme de la conception Bleulérienne explique sans doute les controverses qu’elle a
suscitées. La complexité de son modèle et ainsi l’imprécision qui lui est liée, lui ont valu de
connaître nombre d’oppositions émanant en particulier de la communauté scientifique
française. Plus généralement, nous noterons qu'en Europe, en dépit de différences parfois
marquées selon les traditions nationales, la notion kraepelinienne de la démence précoce a
longtemps dominé. Aux Etats-Unis, la conception bleulérienne s'est imposée, sous l'influence
de la position dominante de la pensée psychanalytique (Baud, 2003).
Plus tard en France, la grande œuvre de Henri Ey contribuera néanmoins à diffuser une
culture
psychopathologique
plus
intégrative.
En
effet,
les
références
cliniques,
anthropologiques, sociologiques et philosophiques sont nombreuses dans le déploiement de sa
pensée. Nous l’avons vu, la valeur de sa conception générale élaborée pendant plusieurs
décennies consiste essentiellement dans sa capacité de synthèse des points de vue
organogénétiques et psychogénétiques. Cette pensée décloisonnée est notamment le reflet de
sa culture phénoménologique (de Boucaud, 2008). Cette culture, de par sa perspective
expérientielle, contribuera comme nous allons le voir, à modifier le regard alors sombre porté
sur l’évolution de la schizophrénie. Ainsi, ces précurseurs ont-ils contribué à la décentration
d’une recherche unitaire de facteurs étiopathogéniques et étiologiques au profit d’une
appréhension intégrée et plus complexe du trouble.
51
I.1.2. L’approche intégrative dans la schizophrénie : l’exemple du modèle
vulnérabilité-stress
La compréhension contemporaine de la schizophrénie s’appuie sur une perspective biopsycho-sociale. Cette conceptualisation multifactorielle du trouble s’est principalement
développée à partir du modèle vulnérabilité-stress conçu par Zubin et Spring (1977) puis
enrichi par des auteurs de la réhabilitation tels qu’Anthony et Liberman (1986). Ce modèle
constitue en effet la base théorique des interventions de réhabilitation que nous expliciterons
un peu plus loin. Selon ce modèle, trois composantes essentielles peuvent interagir et
influencer de façon circulaire le développement de la maladie : la vulnérabilité
neuropsychologique, le stress environnemental et les facteurs de protection que constituent les
traitements.
La vulnérabilité neuropsychologique découlerait d’une prédisposition génétique ou d’une
constitution cérébrale créant un dysfonctionnement du circuit fronto-temporo-limbique.
Elle rendrait ainsi les sujets atteints de schizophrénie plus sensibles à des stresseurs
environnementaux tels que la consommation de drogues, l’expression de fortes émotions par
l’entourage ou bien encore, la précarité du soutien social.
Les traitements pharmacothérapeutiques et psychosociaux (que nous développerons par la
suite) sont ici considérés comme des facteurs de protection en ce qu’ils contribuent non
seulement à la diminution des symptômes du trouble mais aussi à la compensation du
handicap qu’il génère (Barbès-Morin et Lalonde, 2006).
Les différents termes de ce modèle sont représentés au sein du schéma ci-après.
52
Vulnérabilité neurobiologique
- Génétique
- Imagerie cérébrale
 Dilatation des
ventricules
 Hypofrontalité
- Neurotransmetteurs
 Dopamine
 Drogues
Stresseurs socio-environnementaux
- Emotions exprimées
- Evènements de la vie
quotidienne
- Tensions au travail, aux
études
- Baisse du soutien social
SCHIZOPHRÉNIE
Symptômes résiduels
-
-
Symptômes négatifs
Détérioration du
fonctionnement
 Troubles de
l’attention
 Trouble de
l’anticipation
 Troubles de la
mémoire
Handicap, invalidité






Traitements
(Facteurs de protection)
Antipsychotiques
Psychoéducation (famille et
patients)
Psychothérapie
Entraînement aux habiletés
sociales et de
communication (coping)
Programme de réadaptation
individualisé
Soutien social continu
Modèle vulnérabilité-stress de la schizophrénie (Zubin et Spring, 1977)
Considérant que le trouble schizophrénique est le produit de plusieurs facteurs interagissant
de manière circulaire, ce modèle de compréhension échappe à une conception explicative et
thérapeutique linéaire. Par la valorisation de facteurs de protection, il véhicule une conception
moins fataliste du patient qui aurait la capacité de ne pas se soumettre passivement à une
situation, mais de chercher des solutions pour s’adapter à des événements de vie sources de
stress. La collaboration du patient aux interventions thérapeutiques est ici considérée comme
favorisant le développement de ses propres ressources.
53
Nous voyons ici transparaître la volonté de positionner le patient comme acteur de sa prise en
charge, ce qui constitue le mot d’ordre du modèle de la réhabilitation psychosociale. La
reconnaissance de ressources présentes chez le patient contraste par ailleurs avec une
conception largement axée sur le déficit véhiculée par les théories classiques.
Cette conception multifactorielle de la schizophrénie contribue ainsi à l’ouverture de
perspectives thérapeutiques et évolutives.
Si les thérapeutiques sont conçues dans ce modèle comme pouvant impacter le cours évolutif
du trouble, elles sont néanmoins essentiellement perçues sous l’angle de la compensation d’un
handicap, compensation visant à aider le patient à mieux « vivre avec » sa vulnérabilité. En
effet, cette vulnérabilité fait la part belle à l’héritage génétique ainsi qu’aux
dysfonctionnements neurologiques. Le stress environnemental ne serait alors que le
« révélateur » de ce dysfonctionnement, essentiellement acquis, permanent et irréversible.
Nous verrons par la suite que le paradigme du rétablissement tend à rompre avec cette
conception compensatrice, qui certes marque un tournant dans la conception du patient et de
sa possible qualité de vie « avec la schizophrénie », mais qui demeure toutefois
essentiellement centrée sur le soin apporté aux conséquences du trouble au détriment d’une
prise en charge davantage centrée sur la personne.
I.2 La phénoménologie : la compréhension de l’expérience vécue
La phénoménologie, notamment avec des auteurs majeurs dans le champ de la schizophrénie
tels que Minkowski ou Binswanger, redonne au schizophrène sa place de sujet dans
l’humanité. Nous dirons avec Mahieu (2000) que ces auteurs s’inscrivent dans « l'illustre
lignée d'humanistes à côté de Bergson, Ey ou Sartre, c'est à dire ceux pour qui il existe une
complétude de l'individu, une unité du sujet, qu'elle s'exprime sous le mode de "sa liberté",
"sa conscience", "son harmonie avec la vie", opposée à cette autre lignée, non moins illustre
qui comporte Marx, Freud, Lacan, entre autres, pour qui l'individu est aliéné dans ses
structures économiques, sociales, psychiques ou langagières, et en perpétuel conflit ».
La pensée phénoménologique offre un cadre de pensée philosophique (Husserl, 1900) fondant
une nouvelle conception du rapport entre le sujet et sa maladie. En effet, la méthode de
54
compréhension propre à la démarche phénoménologique permet de nous situer au plus proche
du vécu du patient et contribue ainsi à la constitution de savoirs dynamiques et opérants pour
la pratique clinique. Les recherches sur le processus de rétablissement, comme nous le
verrons dans le chapitre suivant, s’inscrivent dans cette démarche dans la mesure où elles se
constituent à partir de l’expérience dont témoignent les sujets.
Au-delà de ces implications épistémologiques, le courant phénoménologique ouvre à de
nouvelles implications psychopathologiques liées à une conception anthropologique en
rupture avec celle des modèles précédemment étudiés. En effet, elle soutient une conception
des rapports entre être et devenir venant mettre à mal l’idée d’un déterminisme évolutif.
C’est pourquoi, pour la phénoménologie, les concepts de la physique et plus généralement des
sciences de la nature (comme ceux de causes et d’effets, de force, d’énergie etc.) employées
dans les théorisations psychopathologiques telle que la psychanalyse sont par principe
inadéquats pour décrire les conduites d’un être qui est avant tout un existant (Binswanger,
1947).
Puisque tout sujet porte en lui un potentiel d’actualisation, il se constitue dans le devenir, à
travers ses expériences de vie. Ces dernières ne conditionnent pas tant un destin, qu’une
manière d’être-au-monde (Heidegger, 1927) en perpétuelle construction.
Dans ce cadre, la maladie psychique constitue un aléa de l’existence qui vient entraver ce
mouvement sans pour autant l’abolir. Ainsi, le devenir du sujet n’est plus contraint par ses
déficits psychiques ou organiques mais demeure potentiellement réactualisable.
I.2.1. L’attitude phénoménologique
Il est inévitable pour le phénoménologue de commencer par une sorte
“d’époché sceptique radicale” qui mette en question l’universum de
toutes ses convictions antérieures, qui prohibe d’avance tout usage de
ces mêmes convictions dans le jugement, toute prise de position à
l’égard de leur validité ou de leur invalidité.
Edmund Husserl.
55
Nous nous intéresserons aux fondamentaux de la pensée phénoménologique initiés par
Dilthey et Husserl en ce qu’ils posent les bases d’une attitude philosophique qui sera aisément
transposable à la clinique.
Dans un article publié en 18948, Dilthey dénonce la transposition de la méthode naturaliste
dans le champ des sciences humaines à une époque, rappelons-le, où la psychiatrie
« savante » relevait d’un discours objectivant. Il introduit ainsi la distinction devenue célèbre
entre le registre explicatif, d’essence critique et objectivante, propre aux sciences de la nature,
et le registre compréhensif, propre aux sciences humaines, qui lui relève d’une appréhension
subjective (Jonckheere, 2009).
Autrement dit, toujours selon Dilthey, il est possible d’expliquer (erklären, comprendre
quelque chose de l’extérieur) la nature mais non la vie psychique qui fait davantage l’objet
d’une attitude compréhensive (verstehen, comprendre quelque chose de l’intérieur).
Dans la nature, la cohérence est attribuée aux phénomènes à travers des concepts abstraits,
alors que dans le monde de l’esprit, la cohérence est comprise en fonction du vécu.
Pour avoir accès à l’expérience vécue, il s’agit alors de pénétrer toujours plus profondément
dans la vérité historique du sujet en évitant toute hypothèse qui supposerait des faits situés audelà du donné (i.e., les concepts, les théories, les jugements universels qui sont considérés
comme des dérivés d’expérience vécue).
Ainsi, la psychologie et la psychiatrie requièrent-elles une nouvelle méthode.
La phénoménologie de Husserl s’inscrit pleinement dans la pensée de Dilthey. Aussi lui rendil hommage dans son dernier ouvrage : « […] seule une recherche radicale, orientée vers les
sources phénoménologiques de la constitution des idées de nature, de corps propre, d’âme et
des différentes idées de l’ego et de la personne, peut ici fournir les explications décisives et,
en même temps, donner leur fécondité et leur droit aux motifs, pleinement valables, de toutes
les recherches de ce genre » (Husserl, 1913).
L’œuvre de Husserl consistera à mener cette « recherche radicale », par un principe
méthodologique rigoureux : le retour aux choses mêmes (ibid., 1900). En d’autres termes, la
phénoménologie husserlienne se distingue par son souci de l’apparaître, c’est-à-dire des
8
Ideen über eine beschreidende und zergliedende Psychologie.
56
phénomènes au sens étymologique du terme, et par sa volonté de privilégier la description de
la manière dont, en tant que vécus, ils se donnent à la conscience.
L’on voit définie ici la structure fondamentale de la méthodologie phénoménologique que
constitue la suspension de tout jugement ou épochè. Cette méthode vise à saisir la vie
intentionnelle de l’homme dans ses modes et ses processus de constitution, en mettant hors
circuit toute théorie de la réalité antérieure à celle-ci.
Husserl distingue deux moments dans la réduction phénoménologique : le moment eidétique
et le moment transcendantal.
Par réduction eidétique, il faut entendre cette forme de réduction qui, se dégageant du
jugement de réalité que l’on porte sur la chose, permet d’en faire varier imaginairement les
traits et de découvrir par là même ceux qui, ne pouvant varier, en constituent l’essence (ou
eidos). Cette méthode est dite des « variations imaginaires ».
Par réduction transcendantale, il faut entendre l’étape la plus radicale, celle qui va tenter de
mettre hors jeu tout jugement d’existence sur le monde, y compris les vérités scientifiques (en
référence du doute des sceptiques, cette étape est fréquemment nommée époché) : cette étape
dévoile le monde en tant que son sens est produit, constitué par le sujet (Naudin et al., 1998).
La pensée de Husserl essaimera progressivement le champ psychiatrique avec notamment les
travaux de Henri Ey, comme nous l’avons vu précédemment, mais aussi grâce à Karl Jaspers
qui s’appliqua à développer une psychopathologie compréhensive. Mais ce sont sans doute
avec les travaux de Binswanger et de Minkowski que la méthode phénoménologique et son
application à la psychopathologie sera véritablement fondée. Nous étudierons les
contributions de ces auteurs après avoir mis en lumière les implications épistémologiques de
la méthode phénoménologique.
I.2.2. Implications épistémologiques : une attitude préthéorique
La phénoménologie ne se prétend pas une théorie psychopathologique. De même, elle ne
propose aucune technique particulière à appliquer dans un but diagnostique ou
psychothérapeutique. Elle est une attitude (Naudin et al., 1998).
57
Sur le plan de la philosophie pure, cette attitude a été définie par Husserl (1900), son
fondateur, comme retour aux choses-mêmes. Ce mot d’ordre cristallise tout l’esprit de la
phénoménologie en tant qu’attitude « préthéorique » par la description de l’expérience.
Aussi, Tatossian (1996) insiste-t-il sur la fonction épistémologique de la phénoménologie en
psychiatrie. C’est parce qu’elle s’en tient à l’expérience vécue que la phénoménologie permet
d’ouvrir un dialogue entre des tendances scientifiques a priori opposées. En effet, si ces
dernières peuvent diverger quant à leur présupposés théoriques, elles se rejoignent dans la
nature même des données à recueillir, essentiellement cliniques (Naudin et al., 1998).
L’attitude phénoménologique est ainsi hautement précieuse en ce qu’elle tend à se dégager
d’une démarche de recherche guidée par des exigences de validations théoriques. Elle
échappe de ce fait à une forme de réductionnisme scientifique inhérent, nous l’avons vu, à la
prépondérance du raisonnement causal où l’unité et le cloisonnement sont souvent de mise.
Dans cette optique, définir l'observation et la description comme préalables à la recherche
clinique invite le chercheur (et le clinicien) à se défaire des pensées a priori relatives à son
objet d'étude. Mettre les vérités évidentes entre parenthèses, y compris les vérités dites
scientifiques, permet de nous interroger sur nos jugements eux-mêmes et constitue le cœur
même de l’attitude phénoménologique.
I.2.3. Implications cliniques : l’être-au-monde ou l’être différent
Ce n'est plus "être malade" qui sert en premier lieu de porte
d'entrée à nos investigations, mais "être différemment".
Eugène Minkowski.
Le schizophrène jusqu’alors considéré « insensé » est ainsi progressivement compris dans sa
différence, à travers ses expériences. Cette démarche de compréhension porte en elle de
nouvelles possibilités psychothérapeutiques.
Binswanger définit en effet les différentes maladies psychiques comme autant de modalités
d’existence. Fortement influencé par l’œuvre de Heidegger Etre et Temps (1927), il fonde ses
travaux sur la conception anthropologique de l’Homme en tant que Dasein, « être-au58
monde », « être-là » ou « existant » qui désigne un être transcendant dont l’existence excède
les besoins et les pulsions. Minkowski (1933), tout comme Binswanger, oppose l’être malade
à l’être différent et se dégage ainsi d’une conception déficitaire : « mettons maintenant à la
place d’un “moins” un “différemment” » (p. 233).
Dès lors, comment qualifier cette expérience ?
Pour Minkowski (1927), il s’agit d’une perte de contact vital avec la réalité et pour
Binswanger (1960) d’une perte de la confiance transcendantale.
Le sujet schizophrène vit une altération des dimensions constitutives de l’être, telle qu’une
altération du temps vécu. Ainsi, les phénoménologues comprennent-ils la schizophrénie
comme une faille dans la constitution de soi, du monde et d’Autrui. Elle relève d’une mise en
échec de la synthèse identitaire et temporelle par une disjonction entre l’expérience de soi et
l’expérience vécue. Cette rupture du sentiment de continuité de soi, nous le verrons, est
particulièrement saillante dans les témoignages des patients. Sa restauration constitue
d’ailleurs l’un des postulats qui guidera notre compréhension du paradigme du rétablissement.
Puisque la perte n’est pas un manque, un défaut, il est possible de rétablir le contact entre ces
deux champs d’expérience.
Ainsi, le processus fondamental de schizophrénie est-il potentiellement réversible
(Jonckheere, 2009) par l’intégration des expériences vécues à l’identité du sujet. Cette
conception dynamique se libère d’une vision déficitaire et sous-tend dès lors l’idée d’une
curabilité de la schizophrénie. Par là-même, elle remet au cœur de la démarche clinique le
potentiel d’influence des théories des cliniciens dans leur relation avec les patients.
En effet, selon Minkowski (1927, p. 270) : « la notion de curabilité peut avoir par elle-même
une valeur curative » car, dit-il « elle embrasse non seulement les symptômes du malade mais
encore notre attitude à son égard et contient ainsi une indication sur la conduite que nous
devons tenir vis-à-vis de lui, en tant que psychiatres-thérapeutes, en tant que
psychothérapeutes avant tout ».
Le clinicien reconquiert ainsi une place dans l’espace thérapeutique de la schizophrénie : « on
est allé jusqu’à dire que la schizophrénie, en raison de l’extension qu’elle prenait, devenait le
59
synonyme de folie. Ceci est exact, avec la réserve toutefois que “fou” veut dire fou et rien de
plus, tandis que “schizophrène” veut dire : susceptible d’être compris et d’être guidé par
nous » (ibid., p. 273).
II. Les évolutions sociétales : un patient-citoyen et sa place dans la communauté
Songe un instant à tous ceux auxquels a été refusée cette bienheureuse ressemblance
avec leurs semblables. À tous ceux qui se donnaient beaucoup de mal pour
se comporter correctement, pour qu’on ne dise pas plus de mal d’eux que
leurs concitoyens, mais auxquels rien ne réussissait, pour qui tout allait de
travers à cause d’une infirmité invisible. Et qui, pour finir, pour cette
anomalie imméritée, ont vu s’abattre sur eux le châtiment de la solitude et
dès lors n’ont plus fait aucun effort pour dissimuler cette infirmité.
Czeslaw Milosz.
Au fil du chapitre précédent, nous avons mis en lumière les facteurs théoriques ayant
contribué à ouvrir les perspectives évolutives de la schizophrénie et à considérer le potentiel
de croissance du sujet. Ce mouvement progressif et continu vers la désaliénation n’est pas
l’apanage du seul champ scientifique et de ses évolutions ; il est le reflet de mutations
transversales dans des champs variés bien qu’intimement liés.
En effet, durant la seconde moitié du XXe siècle, des facteurs tant sociaux, humanitaires,
scientifiques, qu’économiques contribuent au passage d’une politique « asilaire » à un grand
mouvement de « désinstitutionalisation ».
Nombre de penseurs issus de divers champs théoriques développent une réflexion, non
seulement à visée thérapeutique, mais aussi éthique et anthropologique, sur la place et la
fonction de l’institution psychiatrique. Plus encore, c’est le statut même de « malade mental »
que viennent interroger ces courants de pensée.
Plus tard, les associations de défense des droits des patients en psychiatrie prendront le relais
de cette lutte pour la reconnaissance du patient en tant que personne (Caria, 2007). Comme
nous allons le voir, leurs revendications impacteront progressivement tant le champ
scientifique que le champ clinique. A une échelle internationale, le développement croissant
de la perspective du rétablissement est la plus vive illustration de la place grandissante
accordée aux usagers en psychiatrie.
60
En France, des textes de lois viendront renforcer les droits des usagers et ainsi soutenir cette
exigence d’un système de soin centré sur une meilleure coopération avec le patient et son
entourage.
Ainsi, parallèlement à une profonde réorganisation du système de soins psychiatriques – par
transfert progressif des lieux de soins et des professionnels de l’hôpital vers la cité – le statut
des personnes vivant avec des troubles psychiques se transforme : du malade aliéné par sa
pathologie à celle de citoyen acteur de sa santé.
II.1 L’institution psychiatrique en question
Les années de l’après-guerre voient l’éclosion de pratiques nouvelles se proposant de
remanier la psychiatrie, de la psychothérapie institutionnelle à la politique de secteur,
l’antipsychiatrie représentant la pointe extrême de ce mouvement. Selon Vanier (2004), cette
contestation de l’institution asilaire trouve sa source aussi bien dans les discours en faveur des
droits de l’Homme dans le contexte de la Libération, dans les travaux contemporains comme
ceux de Michel Foucault, que dans les possibilités qu’ouvre la découverte des premiers
neuroleptiques.
II.1.1. L’ère de la désinstitutionalisation
La découverte des traitements neuroleptiques (la chlorpromazine) en 1952 par Delay et
Deniker signe l’avènement de l’ère biochimique de la schizophrénie (Garrabé, 1992).
Constituant une véritable révolution thérapeutique, elle contribua à modifier profondément la
qualité de vie et le devenir des patients schizophrènes pour lesquels, rappelons-le, il n’existait
jusqu’alors que peu de solutions thérapeutiques.
De par leurs propriétés antipsychotiques, les neuroleptiques agissent sur les symptômes les
plus sévères et bruyants. Leur diffusion rapide dans les services hospitaliers permit dès lors la
diminution voire l’abrogation de certaines techniques thérapeutiques tels que les camisoles de
force, les électrochocs et les cures de Sackel (Besançon et Jolivet, 2009).
En outre, le soulagement symptomatique ouvrit l’accès des patients à la psychothérapie. Plus
tard, l’apparition de neuroleptiques « atypiques » concourra à réduire considérablement les
aspects iatrogènes (effets secondaires) des traitements (Favrod et al., 2012).
61
A la même période, entre 1950 et 1960, sous l’impulsion notamment du « Groupe de Sèvres »
(comptant un certain nombre de psychiatres dont Georges Daumézon, Lucien Bonnafé et
Henri Ey), s’amorça le processus de désinstitutionalisation (diminution du recours à
l’hospitalisation et des durées de séjour) au bénéfice des soins ambulatoires avec
développement de structures de soins dans la communauté9 (Dugravier et al., 2009). Des
modalités de soins plus légères et alternatives à l’hospitalisation (suivi à domicile,
hospitalisation à domicile, famille d’accueil) se multiplient. De même, le développement de
l’accès au logement (appartement associatif, foyer d’hébergement spécialisé) et au travail
(Roelandt, 2005) initie la prise en charge sociale des patients. La politique de secteur
10
(1960) vient instituer cette réorganisation des lieux de soins. Le patient sera désormais traité
dans son cadre de vie (Dugravier et al., 2009). Depuis lors, deux tiers des patients suivis par
le service public le sont hors de l’hôpital (Besançon et Jolivet, 2009).
Néanmoins, cette désinstitutionalisation s’est parfois faite de manière autoritaire. La mise en
place de cette nouvelle orientation s’est heurtée à des contraintes économiques,
organisationnelles et politiques. La carence de lieux thérapeutiques extrahospitaliers 11 est
souvent venue mettre à mal la continuité des soins pour un certain nombre de patients. Les
familles, alors fréquemment démunies et esseulées face au manque de suivi thérapeutique de
leur proche, dénoncent, pour reprendre l’expression de l’association UNAFAM 12, un système
« d’externement abusif » (Gasser, in. Besançon et Jolivet, 2009).
La révolution thérapeutique que constituèrent la découverte des neuroleptiques puis le
mouvement de désinstitutionalisation, en interrogeant le rôle de la psychiatrie dans la société,
va contribuer au développement du courant de l’antipsychiatrie à partir des années 1960
(Saïas, 2009).
9
10
11
12
Tels que les centres médico-psychologiques (CMP) et les centres d’accueil thérapeutiques à temps partiel
(CATTP).
La politique de sectorisation initiée par Lucien Bonnafé (1959) et officialisée par la circulaire du 15 mars
1960 consiste à diviser chaque département en un certain nombre de secteurs géographiques sur la base d’une
population moyenne de 70 000 habitants par secteur.
Cette inadéquation entre la politique de santé extrahospitalière et les moyens qui permettraient de la déployer
de manière efficiente reste plus que jamais d’actualité. En effet, outre l’appauvrissement général des moyens
en faveur des soins psychiatriques, on note une répartition paradoxale de ces moyens à l’intérieur même du
système de santé : 75% des postes de personnels soignants et des budgets sont en faveur de l’hôpital alors
que, rappelons-le, 75% des patients sont suivis en médecine ambulatoire, hors des murs de l’institution
(Besançon et Jolivet, 2009).
Union Nationale des Amis et Familles de Malades psychiques.
62
II.1.2. Le courant de « l’antipsychiatrie » et la psychothérapie institutionnelle
L’antipsychiatrie, portée entre autre par Laing et Cooper (à qui l’on doit ce terme) en
Angleterre, Basaglia en Italie, et Foucault et Oury en France, vient contester l’organisation
classique des soins. Le système psychiatrique est accusé de négliger le discours des malades
et ce davantage depuis la découverte et l’utilisation massive des neuroleptiques. Ainsi, les
premières revendications « antipsychiatriques » se développent à partir de témoignages de
sujets ayant fait l’expérience de l’hospitalisation psychiatrique. Cette démarche se doit d’être
mise à l’honneur dans l’histoire de la psychiatrie, Di Vittorio (2008) allant même jusqu’à
l’associer à un devoir de mémoire : « le premier aspect de l’antipsychiatrie, celui qu’il ne
faudrait jamais oublier, c’est le témoignage de ceux qui ont joué leur vie à l’intérieur de
l’appareil psychiatrique » (p. 314).
L’antipsychiatrie se constitue en référence à de multiples influences théoriques (psychanalyse,
systémie, philosophie existentialiste, phénoménologie, sociologie...). Nous retrouvons au sein
de ces courants de pensée une démarche de déconstruction du statut de « malade mental » et,
par là-même, de l’entité « folie » ainsi qu’une approche fondée sur le refus de
l’incompréhensibilité de l’expérience schizophrénique (ibid.).
Ainsi, la posture philosophique du courant antipsychiatrique, notamment avec Michel
Foucault (1961), tente de dégager la folie de sa désignation négative.
Au-delà d’une dénonciation de l’internement, la démarche de l’antipsychiatrie consiste plus
globalement en une contestation de la norme médicale érigée en éthique « qui valait aussi
bien pour la santé que pour la morale et pour l’ordre social et politique » (Fédida, 1968, In.
Vanier, 2004). Selon Di Vittorio (2008), l’opacité du « phénomène antipsychiatrie » est
imputable à la transposition des contestations des usagers sur un registre théorique,
essentiellement philosophique et teinté d’idéologie politique, ce qui cantonnera la
revendication des usagers à une position militante. Ainsi, le message princeps du mouvement
antipsychiatrique, à savoir le témoignage des usagers, sera occulté.
Quoi qu’il en soit, le courant antipsychiatrique aura indéniablement contribué à faire évoluer à
travers le monde l’organisation des soins psychiatriques. Comme nous le verrons par la suite,
le paradigme du rétablissement s’est constitué en référence à ces mêmes influences
expérientielles. En réinscrivant le vécu des sujets souffrant de troubles psychiques au centre
63
des préoccupations thérapeutiques, ce concept contribue non seulement à répondre au devoir
de mémoire évoqué précédemment, mais aussi à impulser une nouvelle éthique des soins
psychiatriques. L’enjeu serait ainsi d’échapper à l’écueil d’une conception dichotomique et
cloisonnée opposant les perspectives théorique, expérientielle et médicale.
L’antipsychiatrie a fabriqué de nouvelles institutions alternatives à la psychiatrie conçue
comme un système autoritariste et hiérarchique dépersonnalisant les patients et par la-même
source de leurs troubles et de leur violence. A titre d’exemple, la clinique de La Borde à CourCheverny créée par Oury en 1953 a pour objectif de devenir un lieu de vie dans lequel les
patients se voient considérés sur un pied d’égalité avec les soignants qui les ont en charge.
Ainsi, le soin est étendu à toute l’institution (Oury, 2001).
Ces tentatives thérapeutiques ont notamment laissé en héritage la nécessité de rendre la
relation soignant-soigné moins asymétrique et moins paternaliste (Petitjean, 2011).
II.1.3. Le mouvement de la psychiatrie communautaire
Le mouvement de la psychiatrie communautaire s’est constitué dans les suites du processus
de désinstitutionalisation.
Ce mouvement émerge aux Etats-Unis dans les années 60 dans un climat de réforme sociale
marqué notamment par l’augmentation de la précarité et la création de structures
communautaires (Dugravier et al., 2009). Il répond alors à la nécessité d’envisager une
politique de santé à destination des populations socialement vulnérables. De ce fait, ce
mouvement constitue les prémisses d’une meilleure intégration de l’environnement dans la
mise en œuvre des politiques de santé. Il signe le passage d’un modèle de santé purement
médical à un modèle intégrant les dimensions sociales et politiques (Saïas, 2009).
En France, comme dans d’autres pays européens, la diffusion de ce modèle est plus récente et
sa formalisation moins homogène. En effet, si les modèles et valeurs communautaires sont à
la base de la politique de sectorisation, l’ouverture des structures et des professionnels sur la
communauté demeure inaboutie. Selon Saïas (2009), le secteur se trouve en difficulté pour
remplir efficacement sa mission communautaire, notamment parce qu’il reste attaché à une
culture médicale traditionnelle pour laquelle la participation des usagers au développement
des communautés ne constituait pas une priorité. Dugravier et ses collaborateurs (2009)
64
invoquent par ailleurs la dominance en Europe d’une culture psychopathologique davantage
centrée sur l’individu, au détriment de l’étude de facteurs socio-environnementaux.
Le mouvement communautaire actuel œuvre à la création de nouveaux partenariats pour la
santé afin de favoriser une appréhension différente des phénomènes psychosociaux, en
passant de l’individu à la communauté, de la psychopathologie à la promotion de la santé
mentale, du modèle médical au modèle participatif (Saïas, 2009).
Dès lors, la psychiatrie communautaire véhicule des valeurs qui viennent bouleverser
profondément le modèle de santé traditionnel. Ces dernières peuvent être définies comme tel :
la reconnaissance de la communauté comme lieu d’action et support des interventions, la
conception positive de la santé, la prise en compte des individus dans leur contexte,
l’empowerment comme outil et objectif et l’intérêt porté sur les actions collaboratives avec les
populations. La considération de l’expertise des « citoyens-usagers-acteurs » (ibid.) constitue
l’orientation centrale de ce système de valeurs.
Nous verrons dans la partie suivante que les pratiques de réadaptation psychosociale,
constituant pour ainsi dire le premier « corrélat clinique et thérapeutique » de cette
organisation communautaire des soins, s’étaye pour une large partie sur cette exigence d’un
partenariat avec le patient et son entourage. Le paradigme du rétablissement viendra par la
suite redessiner les contours de cette orientation de soin en réaffirmant le passage d’un travail
sur un « patient » à une collaboration avec un « usager-expert ».
II.2 Le statut de « malade » en question
Tendre vers une « psychiatrie citoyenne » (Roelandt, 2005), outre une réorganisation du
système de soin, appelle à une transformation du statut même de la personne soignée. Si les
courants présentés précédemment ont favorisé un profond remaniement du statut social des
malades, les associations de défense des droits des patients en psychiatrie, vers la fin du XXe
siècle, ont pris le relais de cette lutte pour la reconnaissance des droits des usagers.
65
II.2.1. La reconnaissance de la « voix des usagers »
En 1978, Judi Chamberlin se définissant comme « usager/survivant » de la psychiatrie lance
un appel à ses pairs dans un ouvrage intitulé On Your Own pour qu’ils se rassemblent et
parlent d’une seule voix. Dès lors, les témoignages de personnes ayant fait l’expérience de
soins psychiatriques se multiplient, d’abord aux Etats-Unis. Ainsi, la voix des usagers,
rassemblée en réseaux associatifs de plus en plus nombreux13, parvint-elle progressivement à
impacter la communauté scientifique et professionnelle.
« Rien sur nous, sans nous »14, tel est le mot d’ordre de ces mouvements d’usagers se
mobilisant afin de défendre une réappropriation de leur pouvoir et ainsi une volonté de
s’extraire d’une logique de dépendance, d’invalidité et de chronicité (Le Cardinal et al.,
2008). Au cœur de ces revendications, nous retrouvons un appel au principe d’autodétermination, principe qui fait encore écho à la notion d’empowerment évoquée
précédemment.
La considération de la voix des usagers est progressivement rendue manifeste dans de
multiples domaines :
-
Dans le champ de la recherche tout d’abord, dans la mesure où les témoignages de
personnes ayant elles-mêmes récupéré de leur maladie sont en grande partie à l’origine de
l’intérêt scientifique porté aux conceptualisations de l’évolution favorable des troubles
psychiatriques. A titre d’exemple, Andreasen et ses collaborateurs (2005) expliquent
clairement comment le groupe de travail ayant abouti à la définition de la rémission est né
suite à la pression des usagers des soins psychiatriques. Par ailleurs, les recherches
conçues à partir de l’expertise des usagers tendent à se multiplier. Dans cette optique, les
recherches-actions dites « participatives » remplacent la notion de « sujet de recherche »
par celle de « participant », soulignant le rôle actif, voire proactif, de l’usager à chaque
étape du processus (Greacen et Jouet, 2012).
13
14
Citons en France l’association UNAFAM créée en 1963 (Union Nationale des Amis et Familles de Malades
psychiques) ou l’association des anciens patients de psychiatrie FNAPSY créée en 1992.
« Nothing about us without us »
66
-
Sur le terrain ensuite, avec la création de réseaux de santé communautaire crées par et
pour les usagers, tels que les Groupes d’Entraide Mutuelle (GEM) en France que nous réévoquerons un peu plus loin.
-
Au cœur même des pratiques cliniques, dont les orientations récentes se préoccupent de
donner au patient les moyens d’être acteur de sa santé et à son entourage d’être partenaire
du projet de soin.
-
Par des mesures législatives enfin, actant la reconnaissance des droits des usagers tant en
termes de compensation sociale que d’accès aux informations médicales les concernant.
Nous allons développer ce dernier point dans la partie qui suit et tenter de mieux
comprendre l’impact de certaines réformes sur le système de soins psychiatriques et les
personnes qui en bénéficient.
II.2.2. Santé mentale et handicap psychique
La psychiatrie contemporaine ne peut ainsi se satisfaire d’un fonctionnement en vase clos. Le
modèle de la psychiatrie communautaire, émergeant en France, illustre la nécessité de
repenser une organisation sanitaire en lien étroit avec le champ social.
Les liens entre psychiatrie et secteurs médicaux-sociaux et sociaux sont pensés autour des
concepts de santé mentale et de souffrance psychique (Bouleau, 2011).
La notion de Santé mentale est apparue au décours de la seconde guerre mondiale, définie par
l'OMS comme un état de bien-être physique, mental et social avec une vision positive
puisqu'il s'agit de permettre à un individu de se réaliser et de contribuer à la vie de la
communauté. La santé mentale ne se définit donc plus par l'absence de maladie et introduit
par sa définition positive la notion d'un droit et donc d'une compensation d'un handicap social
(ibid.).
La loi sur le handicap de 1975 contribue en partie à promouvoir ce droit en favorisant le
logement et la vie des patients dans les appartements en ville grâce à l’allocation adulte
handicapé
(AAH).
C’est
ainsi
qu’elle
permit
l’accélération
du
processus
de
désinstitutionalisation. En outre, elle fut à l’initiative du terme « médico-social », définissant
une double participation du médical et du social dans les buts d’une institution ou d’un
67
service en faveur d’une population donnée. Néanmoins, la définition de ce nouveau champ
n’a pas permis la mise en réseau souhaitée des services et des institutions ; certains
considèrent même qu’elle a contribué à renforcer le cloisonnement entre les secteurs médicosociaux et sociaux d’une part et médicaux de l’autre (Besançon et Jolivet, 2009).
Dans les années 2001-2002, une demande croissante de reconnaissance de la notion de
« handicap psychique » pour les personnes souffrant de maladie psychique se manifeste au
sein des associations d’usagers (FNAPSY et UNAFAM). Ces dernières en voient le bienfondé dans l’octroi d’aides matérielles et l’ouverture de l’accès à des services auxquels les
patients ne peuvent avoir droit sans être reconnus comme personnes handicapées (ibid.). Les
actions menées par ces mouvements aboutirent à la loi dite « pour l’égalité des droits et des
chances » du 11 février 2005 qui reconnait l’existence d’un « handicap psychique ». Pour la
première fois, les troubles cognitifs ou psychiques sont reconnus comme pouvant constituer
une cause de handicap au même titre que les handicaps sensoriels et moteurs.
Ainsi, les notions de santé mentale et de handicap psychique permettent-elles de mettre
l’accent sur les conséquences sociales de la maladie. Elles s’inscrivent dans la lignée des
évolutions théoriques précédemment étudiées qui, en ce décentrant des préoccupations
étiologiques, tendent à mieux considérer la complexité des interactions entre la personne et
son environnement. De ce fait, nous pouvons considérer que ces évolutions sociétales
viennent réaffirmer la compréhension bio-psycho-sociale du trouble schizophrénique.
Le handicap psychique est différencié du handicap mental selon plusieurs critères.
Contrairement au handicap mental qui est associé à une déficience intellectuelle stable, le
handicap psychique peut engendrer une difficulté variable à mobiliser les ressources
intellectuelles qui cependant ne sont pas considérées comme déficientes. En outre, le handicap
mental résulte souvent de pathologies identifiables (anomalie génétique, accident cérébral
etc.), alors que le handicap psychique est secondaire à la maladie psychique d’étiologie
multiple et variable selon les individus. Le handicap psychique est fréquemment qualifié de
handicap « invisible ». Considéré comme suivant une évolution de longue durée (chronique),
ses répercussions concernent essentiellement les habiletés dites « psychosociales » de la
personne.
68
La notion de handicap psychique comporte une certaine ambivalence dans son rapport à la
détérioration et ainsi au déterminisme évolutif.
D’un côté, sa définition marque une volonté de se distinguer de l’aspect irréversible des autres
handicaps (ce qui n’est pas sans soulever des questionnements éthiques dans la mesure où il
s’agit, pour ainsi dire, de « sauvegarder » un handicap au détriment d’un autre15…). Aussi, la
différenciation établie avec une atteinte intellectuelle atteste d’un parti pris à l’encontre d’une
conception démentielle, ou bien encore dégénérative, des pathologies psychiques telles que la
schizophrénie.
D’un autre côté, le seul terme de « handicap » nous semble véhiculer une empreinte
déterministe mettant à mal l’idée d’un dynamisme évolutif et paraissant ainsi s’opposer (à
priori) aux conceptions positives de l’évolution du trouble telles que la rémission ou le
rétablissement. Nous pouvons dès lors nous interroger sur le potentiel « stigmatisant » de
cette notion. A ce titre, selon Besançon et Jolivet (2009, p. 56) : « passer de l’état de malade à
celui de handicapé n’est pas un progrès, c’est un aveu d’impuissance et de renoncement
devant la maladie ».
En outre, dans ses aspects pervers, cette mesure comporterait le risque (pour les patients
comme pour les professionnels les accompagnants) d’une conformité nécessaire à ce statut
défini par la loi afin de pouvoir justifier d’aides et de droits. Les critiques formulées
concernent ainsi plus généralement les risques de normalisation liées aux notions de « santé
mentale », de « souffrance psychosociale ».
Rappelons, pour mieux comprendre ces écueils, que selon la classification des handicaps de
Wood16 (1980), le handicap est la conséquence sociale d’une déficience ou d’une incapacité et
ne constitue pas un caractère propre à l’individu. Si la souffrance psychique a des
répercussions sur le fonctionnement social des personnes ; les phénomènes de stigmatisation,
voire d’exclusion, renforçant ce dysfonctionnement et ainsi la souffrance subjective, sont
également le reflet de « l’état de santé » d’une société.
15
16
Cette question éthique fut soulevée lors de la soutenance d’habilitation à diriger des recherches (HDR) de
Monsieur le Pr. Bernard Pachoud le 10 Novembre 2012
Auteur d’une méthode descriptive maladie-handicap retenue pour l’élaboration de la Classification
Internationale du Fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF, l’OMS).
69
Puisque le handicap psychique est en parti défini par des habiletés adaptatives, le risque serait
de réduire la souffrance individuelle à un indicateur de dysfonctionnement social qu’il
conviendrait alors d’effacer ou de compenser (Bouleau, 2011).
Tenir compte de ces écueils possibles, c’est penser, de manière renouvelée, l’évolution
psychique dans sa singularité afin de créer une dynamique centrée sur le projet de soin de la
personne et non à partir de critères de fonctionnement prédéfinis. Autrement dit, l’éthique
propre à la pratique clinique nous rappelle que les constructions normatives collectives ne
doivent pas occulter le processus de normativité individuelle (Canguilhem, 1966).
Les conséquences de cette loi de 2005 pour les « personnes en situation de handicap » furent
importantes, malgré les controverses qu’elle a suscitées et les réserves liées aux risques de
dérives que nous avons évoqués. Outre la possibilité d’une reconnaissance inédite, tant sur le
plan des aides sociales, financières, qu’humaines, cette loi a suscité la création des Groupes
d’Entraide Mutuelle (GEM), dispositifs gérés et animés par les personnes elles-mêmes
(Besançon et Jolivet, 2009). Ces derniers viennent amender la considération nouvelle de
l’expertise thérapeutique des usagers.
II.2.3. Le droit des malades à être informés
L’importance majeure accordée à l’information au patient en psychiatrie a été soulignée dans
de multiples conférences de consensus et guides de bonnes pratiques cliniques (Beaufils et al.
2001). Si les obligations légales concernant l’information faite aux patients ne sont pas
nouvelles, elles ont été renforcées par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades.
Cette dernière insiste sur la nécessité de garantir le secret médical, sans l’opposer au patient
dans les informations sur sa santé (Palazzolo, 2003) : « Les mineurs ou majeurs sous tutelle
ont le droit de recevoir eux-mêmes une information et de participer à la prise de décision les
concernant, d’une manière adaptée soit à leur degré de maturité s’agissant des mineurs, soit à
leurs facultés de discernement s’agissant des majeurs sous tutelle » (Art. L. 1111-2).
En découle notamment l’obligation d’annoncer au patient le diagnostic de la maladie dont il
est atteint.
70
En actant d’une nécessaire considération de la personne malade comme un partenaire de santé
(Castel, 2005), cette mesure traduit ainsi une modification de la relation thérapeutique. En
effet, la communication de l’information médicale est une forme de partage du savoir qui tend
à diminuer le caractère asymétrique de la relation patient-soignant (Petitjean et Beaufils,
1999). Cette modification de la relation thérapeutique comporte un enjeu de taille dans le
champ de la santé mentale, tant les habitudes soignantes vis-à-vis d’une personne longtemps
considérée aliénée, donc hors du champ de la citoyenneté, restent prégnantes au quotidien
(Daumerie et al., 2009).
Les difficultés à reconsidérer la personne atteinte de schizophrénie comme un partenaire de
soin peuvent être illustrées par les réticences connues des praticiens à annoncer ce diagnostic
en particulier.
Outre l’argument d’une fiabilité relative du diagnostic, la réticence des psychiatres à cette
annonce, ressortirait, selon Parizot (1999), d’une « volonté de protéger le patient d’un tel
diagnostic ». Il s’agirait ainsi de le préserver d’une étiquette diagnostique, qui plus est
stigmatisante, au nom de la liberté du sujet. Se pose enfin la question du « discernement » des
patients, c’est-à-dire de leur capacité à saisir le sens de cette annonce et à donner un « vrai
consentement », compte-tenu de leur potentielle absence de conscience des troubles. Le
manque d’insight demeure en effet une caractéristique couramment associée aux troubles
psychotiques en général et à la schizophrénie en particulier.
Néanmoins, les résultats d’un certain nombre d’études qualitatives viennent modérer ces
inquiétudes. L’annonce diagnostique améliorerait la qualité de vie des patients, leur
implication dans les processus de soin et par là-même, l’observance du traitement, l’alliance
thérapeutique et une meilleure prévention des rechutes (Castillo et al., 2008).
Les questionnements éthiques relatifs à l’information faite au patient en psychiatrie nous
semblent davantage concerner la manière que le fait même de délivrer cette information.
Dans cette optique, un travail de mise en sens de la maladie et d’exploration des
représentations subjectives apparaît indissociable de tout processus d’information. La
démarche de psychoéducation, bien pensée, s’inscrit en référence à cette exigence en ce
qu’elle considère l’information quant à la maladie comme un levier thérapeutique qu’il s’agit
de déployer à mesure du parcours psychique et des ressources du sujet.
71
III. Les évolutions cliniques : un patient-acteur de son projet de soin et de son
projet de vie
Dans un modèle véritablement coopératif, on peut imaginer une symétrie du
savoir et du pouvoir profanes et professionnels, chacun étant reconnu,
transmis, ajusté, afin de construire en commun la décision thérapeutique.
Ce n’est possible que par un rééquilibrage de la relation thérapeutique au
sens où, sur plusieurs plans, le profane apprend au professionnel et le
professionnel accepte d’apprendre du profane.
Pierre Lascoumes.
Les différentes évolutions évoquées précédemment nous amènent à considérer la réinsertion
et l’autonomie du patient atteint d’un trouble psychique comme les principaux enjeux de la
psychiatrie de la fin du XXème siècle. Le déplacement des modes de traitement de l’hôpital
vers la cité conduisent à des réaménagements progressifs du statut des malades davantage
considérés dans leurs droits et leur citoyenneté. Cette exigence éthique, parallèlement à son
émergence sur le plan sociétal, va naturellement essaimer les modalités de prises en charge
thérapeutiques et contribuer ainsi à renouveler les pratiques psychothérapeutiques.
L’environnement, qu’il soit familial ou social, devient l’un des pivots de la scène
thérapeutique (De Luca, 2009).
Dès lors, la clinique de la schizophrénie va graduellement se développer avec le souci de
mieux considérer le retentissement psychosocial de la maladie sur la personne afin
d’améliorer son fonctionnement dans la vie quotidienne. La relation soignant-soigné
s’élargit : « au psychiatre s’associent les autres travailleurs de la santé mentale (infirmiers
psychiatriques, assistantes sociales, psychologues ou éducateurs spécialisés) et aussi les
travailleurs sociaux de la communauté, les médecins généralistes, finalement tous ceux qui
rentrent en contact avec le malade et, en particulier, ses proches » (Hochmann, 1971 in.
Dugravier, 2009).
Dans cette même optique, notons que le statut des familles des patients évolue
considérablement. En effet, nombreuses et variées furent les considérations théoriques qui ont
soutenu le rôle de la famille dans l’éclosion, le développement et l’entretien du trouble
schizophrénique, chez un ou plusieurs de ses membres (De Clercq et Peuskens, 1999).
72
Ainsi, l’entourage des patients a longtemps été tenu à l’écart des traitements, l’hospitalisation
représentant l’occasion pour le patient d’être éloigné de son environnement familial considéré
comme pathogène (Blondeau et al. 2006).
Aujourd’hui, la famille est considérée comme une source précieuse d’informations pour
l’équipe soignante pour ce qui a trait à l’évolution des symptômes, à la réponse à la
médication et à l’observance médicamenteuse (Collette et al. 2004, In. Blondeau et al. 2006).
La famille est désormais considérée comme « alliée plutôt qu’interférente ou coupable »
(Boucher et Lalonde, 1982). Certains ont même avancé l’idée de la considérer comme cothérapeute (Winefield, 1996). Il s’agit dès lors, notamment avec les dispositifs
psychoéducatifs, d’offrir à la famille suffisamment d’informations pour que ses membres
puissent comprendre la maladie et accompagner le patient dans ses soins. Aujourd’hui, il
existe un consensus dans la littérature pour souligner les bénéfices thérapeutiques d’une
alliance précoce avec l’entourage familial (De Luca, 2009).
Par ailleurs, le regard porté sur la place des patients atteints de schizophrénie dans la prise en
charge du trouble se trouve naturellement modifié. Les sujets tendent à ne plus être considérés
comme des « malades » dépourvus de tout discernement, mais comme des sujets acteurs de
leurs soins (Noiseux et Ricard, 2008).
Dès lors, nous exposerons au sein de ce chapitre un changement d’orientation clinique et
psychothérapeutique global dans le suivi thérapeutique de la schizophrénie.
Le modèle de la réhabilitation psychosociale est l’un des marqueurs forts de ces nouvelles
orientations en ce qu’il tend à favoriser le rôle actif du patient dans son projet de soin et sa
réinsertion dans les domaines socio-professionnels (Barbès-Morin et Lalonde, 2006).
En outre, l’intérêt grandissant porté au retentissement fonctionnel du trouble sur la personne
va progressivement modifier le statut de ces pratiques réhabilitatives. Il ne s’agit plus tant de
tendre vers la diminution des déficits induits par la maladie que de se centrer sur leur impact
subjectif. Nous passons ainsi du traitement de la maladie et de ses conséquences à la
considération de la personne dans sa globalité.
73
Ceci implique de reconsidérer la réadaptation et la réhabilitation, non comme une finalité,
mais comme leviers thérapeutiques favorisant le processus de rétablissement expérientiel.
III.1 L’enjeu de la réinsertion : de la réadaptation à la réhabilitation
psychosociale
Depuis ces trente dernières années, l’intérêt croissant pour les concepts de réadaptation et de
réhabilitation bouleverse la compréhension de la schizophrénie et ses modalités de prise en
charge. Le terme de réhabilitation psychosociale s’est substitué progressivement dans la
psychiatrie française à celui de réadaptation (Durand, 2012). Avant de mieux comprendre
l’évolution que traduit cette succession sémantique, il convient de définir le cadre conceptuel
dans lequel s’intègrent ces notions.
III.1.1. Le modèle de la réadaptation psychiatrique
Anthony et de Liberman (1986), en s’appuyant sur la classification du handicap de Wood
(OMS, 1976) et sur des concepts d’abord introduits en santé physique, créent un modèle
conceptuel de la réadaptation psychiatrique.
Ils divisent en différents niveaux les impacts d’une maladie psychique et les interventions à
mettre en œuvre à chacune de ces étapes.
Niveau d’atteinte
Intervention
Compétence à acquérir
Objectif recherché
Pathologie et
déficit
Traitement
Un savoir
Contrôler les causes et les
symptômes de la maladie
Invalidité
Réadaptation
Un « savoir-faire »
Handicap
Réhabilitation
Un « savoir-être »
Développer de nouvelles
habiletés (coping)
Redonner les moyens d’agir en
tenant compte des déficits et des
capacités
Redonner à la personne sa dignité
et le pouvoir
d’agir (empowerment)
Favoriser la réinsertion sociale
Modèle d’intervention de la réadaptation psychiatrique selon Anthony et Liberman (1986)17
17
D’après G. Barbès-Morin, P. Lalonde, Annales Médico Psychologiques 164 (2006) 529–536
74
-
Les deux premiers niveaux d’impact de la maladie mentale sont la pathologie et le déficit.
Notons que pour ces auteurs, la pathologie est le résultat d’une anomalie ou d’une lésion
cérébrale et le déficit (symptômes de la pathologie) est l’expression directe de cette
anomalie. Les traitements recommandés à ce niveau d’impact sont l’hospitalisation, la
pharmacothérapie et la thérapie cognitivo-comportementale afin de contrôler les causes et
les symptômes de la maladie.
-
Le second niveau d’impact de la pathologie mentale grave serait l’invalidité. C’est à ce
niveau là qu’interviendrait la réadaptation qui viserait ainsi à développer de nouvelles
habiletés (coping) et à redonner à la personne des moyens d’agir en tenant compte de ses
déficits et de ses capacités. Les interventions réadaptatives reposeraient d’une part sur le
développement des habiletés personnelles et d’autre part, sur le développement d’un
soutien environnemental.
-
Le troisième et dernier niveau d’impact d’une maladie mentale serait le handicap et c’est
ici qu’interviendrait le processus de réhabilitation dans le but de redonner à la personne
sa dignité et le pouvoir d’agir (empowerment) ainsi que de favoriser la réinsertion sociale.
Barbès-Morins et Lalonde (2006) rappellent que le handicap est une création sociale qui
émane du regard que les autres portent sur les incapacités et les différences, mais aussi de
la perception dévalorisée que la personne porte sur elle-même. Selon ces auteurs, pour
favoriser la réhabilitation il faudrait donc agir sur trois différents niveaux : les attitudes et
valeurs des soignants, la personne en la valorisant dans ses réussites, et la société en
contribuant à diminuer les préjugés.
Le modèle de la réadaptation psychiatrique s’étaye directement sur la conception intégrée et
multifactorielle
du
modèle
vulnérabilité-stress
(Zubin
et
Spring,
1977)
présenté
précédemment. En effet, en mettant en lumière les facteurs qui contribuent aux variations du
pronostic, cette conception présente l’avantage d’être aisément transposable sur le plan
pratique et donc clinique. Ainsi, il permet la prise en compte de facteurs de protection (prise
en charge, développement des compétences, soutien social, programmes de réinsertion,
médication psychotrope) qui peuvent atténuer ou neutraliser les effets délétères du stress sur
la vulnérabilité, et ainsi limiter le handicap psychique (Giraud-Baro, 2007).
75
III.1.2. Du « savoir-faire » au « savoir-être »
La réhabilitation psychosociale désigne tout autant un objectif à atteindre que le processus
favorisant cette finalité (Barbès-Morin et Lalonde, 2006). Ce processus met en œuvre une
variabilité de traitements et comprend ainsi des interventions de réadaptation et de
réhabilitation (Giraud-Baro, 2007).
Lalonde (2007) précise les modalités d’interventions sous-tendues par ces processus à la
lumière des notions de « savoir-faire » et de « savoir-être ». La réadaptation vise le
développement d’un « savoir-faire » afin de pallier un déficit alors que la réhabilitation
s’inscrit dans l’émergence d’un « savoir-être » dans l’objectif d’une réinsertion sociale. Le
processus de réhabilitation prendrait ainsi davantage en considération le handicap sous l’angle
de l’interaction entre la personne et son environnement, dimension qui ne relève pas
nécessairement des composantes de la psychiatrie (Durand, 2012).
La valorisation du processus de réhabilitation, au point d’observer dans le langage sa
substitution à celui de réadaptation, nous semble traduire une évolution signifiante des
préoccupations thérapeutiques : du traitement des déficits et symptômes de la maladie à la
considération de leur retentissement sur le fonctionnement de la personne. La réduction des
incapacités et la création de nouvelles habiletés n’ont de sens que parce qu’elles contribuent à
diminuer le handicap de la personne et ainsi à favoriser sa place de citoyen dans la société. En
d’autres termes, le développement d’un savoir-faire est au service de celui d’un savoir-être.
Dans cette optique, rappelons que le processus de réhabilitation ne relève pas nécessairement
du registre des soins psychiatriques dans la mesure où la diminution du handicap d’une
personne nécessite de travailler sur les valeurs et capacités d’accueil d’une société. A ce titre,
il existe différentes modalités d’interventions communautaires telles que des mesures
individualisées de soutien à l’emploi (Blondeau et al., 2006), dispositifs faisant en majorité
intervenir des travailleurs sociaux.
A une autre échelle, le travail avec l’entourage des patients s’inscrit dans cette même
perspective dans la mesure où il s’agit de favoriser le potentiel étayant et sécurisant de
l’environnement proche du patient.
76
Les dispositifs thérapeutiques qui découlent de la réhabilitation psychosociale visent ainsi à
prendre en compte le handicap psychique du sujet tout en favorisant son potentiel d’action
(empowerment) et ses capacités à faire face à la maladie (coping).
L’établissement d’une alliance thérapeutique fondée sur la participation active et l’implication
de la personne et de son entourage dans le projet de soin constitue la pierre angulaire de la
clinique de la réhabilitation (Barbès-Morin et Lalonde, 2006).
Le processus de réhabilitation est favorisé par des traitements tant pharmacothérapeutiques
que psychothérapeutiques. Nous allons voir au sein de la partie suivante que cette dernière
dimension se développe dans le champ des psychoses dans l’objectif de mieux considérer le
retentissement fonctionnel du trouble.
III.2 La considération du retentissement fonctionnel des psychoses : une pratique
psychosociale
L’enjeu que représente la réinsertion des sujets atteints de schizophrénie dans la société
s’accompagne d’une modification des préoccupations thérapeutiques : du traitement de la
maladie à la considération de ses répercussions sur la vie quotidienne de la personne.
La stabilisation et la rémission des symptômes tendent à ne plus être considérées comme les
seuls objectifs thérapeutiques : ces derniers s’étendent à l’amélioration du fonctionnement de
la personne.
Avant d’approfondir les évolutions thérapeutiques induites par ce déplacement d’intérêt, il
convient de préciser la signification de cette expression que constitue le « retentissement
fonctionnel » ainsi que des nouvelles conceptualisations qui l’accompagnent.
77
III.2.1. Retentissement
et
rémission
fonctionnelle :
de
nouvelles
conceptualisations
Le retentissement fonctionnel peut être apprécié selon quatre dimensions principales
(Pachoud, 2009) :
-
la qualité de vie subjective,
-
l’insertion professionnelle,
-
la qualité des relations et de l’insertion sociale,
-
l’autonomie.
L’opérationnalisation de concepts tels que la « rémission fonctionnelle »
2009) ou la « rémission psychosociale »
19
18
(Llorca et al.,
(Barak et al., 2010) s’inscrit dans ces nouveaux
champs de recherche. Elle répond au besoin d’établir des évaluations plus « écologiques » en
vue d’améliorer les dimensions en jeu dans la réinsertion des patients dans leur
environnement (Koenig et al., 2011a). A titre d’exemple, Llorca et ses collaborateurs (2009)
déterminent 5 indicateurs de fonctionnement social essentiels dans l’évaluation de la
rémission fonctionnelle : les activités de la vie quotidienne, les relations sociales, la qualité de
la réadaptation, la santé et les traitements. Notons néanmoins que ces indicateurs sont associés
à une pratique hétéro-évaluative et que, d’autre part, ils ne tiennent pas compte d’une
dimension plus subjective représentée par la qualité de vie.
Parallèlement à l’introduction de ces concepts et de ces pratiques évaluatives, les approches
psychothérapeutiques de la schizophrénie vont se développer et se diversifier avec le souci de
mieux considérer les capacités du patient à s’adapter aux contraintes du quotidien, de la
maladie et de la vie en société. Le développement des « habiletés psychosociales » va ainsi
progressivement constituer l’enjeu des nouvelles thérapies des psychoses.
III.2.2. Évolution des psychothérapies : vers une approche psychosociale
Historiquement, la psychothérapie des psychoses est liée aux questions autour de la possibilité
du transfert puis des aménagements de la cure psychanalytique (De Luca, 2009). Le nouvel
enjeu que constituent la réinsertion et la resocialisation des sujets va progressivement
18
19
The Functional Remission of General Schizophrenia [FROGS] Scale: Llorca et coll., 2009.
The Psychosocial Remission in Schizophrenia [PSRS] Scale: Barak, Bleich, Aizenberg, 2010.
78
contribuer à renouveler les pratiques psychothérapeutiques (psychothérapies familiales,
cognitives et comportementales).
La psychothérapie s’est orientée, pour commencer, vers le premier milieu d’insertion des
sujets, à savoir l’environnement familial. Parallèlement à la modification du statut des
familles des patients atteints de psychose, les objectifs des thérapies familiales vont
progressivement s’infléchir. Il ne s’agira plus tant de se centrer sur des éventuels
dysfonctionnements communicationnels20 ou émotionnels21, que de soutenir les familles, de
lutter contre l’isolement social et l’état de « surcharge émotionnelle » (Réveillère, 2001) qui
les menace. Dans cette optique, les thérapies familiales évoluent notamment dans une visée
psychoéducationnelle (De Luca, 2009).
Nous l’avons vu, la réhabilitation vise à favoriser la réinsertion au-delà des liens familiaux.
Les pratiques psychothérapeutiques qui en découlent s’étayent essentiellement sur l’approche
cognitivo-comportementale. Ainsi, cette méthode thérapeutique peut-elle être considérée
comme l’inspiratrice de la clinique réhabilitative, malgré la prétention de cette dernière à
l’éclectisme théorique (Giraud-Baro, 2007).
La part belle accordée à l’obédience cognitivo-comportementale dans le champ des psychoses
à partir des années 80 peut être comprise à partir d’un double mouvement.
Notons d’une part l’émergence de nouveaux objectifs thérapeutiques depuis l’introduction des
neuroleptiques tels que le traitement des symptômes résiduels, des troubles cognitifs, la
prévention des rechutes et la résolution des problèmes de la vie quotidienne du patient dans le
but de favoriser son autonomie.
Evoquons d’autre part les enjeux que constituent, à la fin du XXème siècle, l’évaluation et la
nécessité de penser les psychothérapies dans une confrontation à des critères objectivables,
quantifiables et reproductibles sur un grand nombre de patients. Fondée sur une méthode
expérimentale, l’approche cognitivo-comportementale répond dès lors en partie aux exigences
de cette nouvelle médecine « basée sur les faits » (Evidence-Based Medicine).
20
21
E.g. la théorie du double lien de l’école Palo-Alto (Bateson et al., 1956)
E.g. la théorie du haut niveau d’expression émotionnelle (Bentsen et al., 1998).
79
Issues du modèle cognitif utilisé par Beck dans le traitement des états dépressifs et des
troubles anxieux (Cottraux, 2004), les thérapies cognitivo-comportementales se sont
initialement développées dans le champ des psychoses dans le but de traiter les symptômes
positifs persistants du trouble. En effet, 20 à 50% des patients continuent à présenter des
symptômes psychotiques malgré une bonne observance médicamenteuse (Favrod, 2004).
Progressivement, et parallèlement à l’émergence du courant de la réhabilitation, les objectifs
de cette approche se sont modifiés pour davantage considérer le retentissement des
symptômes sur l’adaptation sociale des sujets (Lecomte et Leclerc, 2004). Il s’agit dès lors,
non plus tant de diminuer les symptômes du trouble à proprement parler, que de favoriser la
compréhension et l’adaptation des patients aux manifestations persistantes, source de
souffrance. Dans cette optique, les processus psychotiques sont travaillés dans leur impact sur
les « habiletés psychosociales » de la personne. Il s’agit d’ailleurs du sens même de ce
concept puisque ces habiletés correspondent aux « capacités de réponses spécifiques
nécessaires pour réaliser des performances sociales » (Bellack et Mueser ,1993 in. De Luca,
2009).
Les
thérapies
psychosociales
de
la
schizophrénie,
notamment
les
programmes
psychoéducatifs et l’entraînement des habiletés sociales, sont aujourd’hui recommandées au
niveau international par de multiples guides de bonnes pratiques cliniques et de consensus
d’experts. A titre d’exemple, la conférence de consensus de 2003 à Paris souligne que ces
stratégies « doivent être mises en place dès la phase initiale de la maladie pour le patient et
son entourage » et qu’ « il faut favoriser la recherche et l’évaluation dans ce domaine »
(Vianin, 2007).
Bien qu’ayant été diffusées assez tardivement en France, ces thérapies font de plus en plus
partie des programmes de soins psychiatriques.
Le modèle de la réhabilitation et les présupposés théorico-cliniques qu’ils sous-tendent
introduisent ainsi un changement de regard important sur la personne atteinte de psychose et
son entourage. Il nous semble en effet que les interventions psychosociales et les pratiques
thérapeutiques qui en découlent ont créé une nouvelle dynamique des soins et ont ainsi
contribué à rétablir la psychothérapie comme traitement crédible des psychoses.
80
Par ailleurs, les modalités thérapeutiques inhérentes à ces approches s’accompagnent d’une
nécessaire modification des représentations soignantes en ce qu’elles impliquent notamment
la reconnaissance de ressources chez le patient et son entourage.
En outre, ces stratégies thérapeutiques s’étayent sur le postulat selon lequel les processus
psychotiques constituent une variation quantitative des phénomènes cognitifs normaux
(Favrod, 2004). Cette conception qui, comme nous le verrons, est centrale dans le paradigme
du rétablissement, conduit à une nouvelle compréhension de la personne souffrant de
psychose. Les techniques de réhabilitation supposent dès lors de travailler dans une
considération renouvelée d’un continuum entre le normal et le pathologique.
Aussi le modèle clinique de la réhabilitation contribue t-il, en accord avec ses principes, à la
déstigmatisation de la personne atteinte de schizophrénie comme de son entourage familial.
III.3 De la réhabilitation… au rétablissement ?
Le modèle de la réhabilitation s’inscrit dans le contexte sociétal précédemment décrit visant à
mieux considérer le handicap induit par la pathologie psychotique afin de favoriser la
réinsertion de la personne dans les domaines socio-professionnels. Cet enjeu thérapeutique
s’accompagne d’une préoccupation nouvelle pour les concepts de « qualité de vie »,
« d’habiletés psychosociales », de « savoir-faire »…, des concepts visant somme toute à
mieux considérer les répercussions du trouble psychique sur la vie quotidienne de la personne.
Néanmoins, penser les répercussions pour la personne en référence unique à la qualité de son
adaptation sociale nous semble comporter des risques non négligeables.
Cela peut en effet revenir à se concentrer sur la compensation de déficits supposés entacher
les habiletés sociales au détriment de l’appréciation subjective de la personne. En d’autres
termes, l’écueil consisterait selon nous, là encore22, à substituer la qualité de l’adaptation à
des normes collectives au bien-être subjectif.
Rappelons que selon la modélisation d’Anthony et Liberman (1986), reprise et explicitée par
Lalonde (2007), le « savoir être » visé par la réhabilitation est intimement lié au
22
En référence aux risques énoncés page 22 inhérents au concept de « handicap psychique »
81
développement du « pouvoir d’agir » (empowerment) de la personne. Cette dimension
complexe ne peut selon nous être le seul reflet de « savoirs-faires » quantitativement
mesurables mais supposent la mise en jeu de dimensions subjectives qui se prêtent davantage
à une appréhension qualitative. Rappelons à ce titre que des échelles de rémission
fonctionnelle, tout comme certaines échelles de qualité de vie dites « subjective » se fondent
(paradoxalement) sur une pratique hétéro-évaluative.
Selon Lysaker et Lysaker (2011), on a tendance aujourd’hui à expliquer les difficultés
psychosociales chez les personnes atteintes de schizophrénie comme la conséquence de
processus biologiques (e.g. une insuffisance de la coordination de l’activité cérébrale) ou de
processus sociaux (e.g. la perte de l’estime de soi qui résulterait de la stigmatisation des
maladies mentales). Ces postulats, bien qu’ayant grandement contribué à améliorer notre
compréhension contemporaine du handicap psychique, ne tiennent pas compte de la façon
dont l’individu a de vivre lui-même, d’interpréter et de répondre à sa maladie en tant que
personne.
Pour illustrer et approfondir cet écueil, Pachoud (2009) met en lumière une conception
implicite de la psychiatrie contemporaine basée sur un mode d’appréhension quantitatif des
troubles. Cette conception largement répandue se révèle être hautement réductrice dans la
mesure où les dimensions quantitativement mesurables (e.g., la symptomatologie, les déficits
cognitifs) ne s’avèrent selon de récentes études que très partiellement corrélées 23 à la qualité
du fonctionnement de la personne (ibid. ; Pachoud et al., 2009).
À ce titre, Levaux et Danion (2011) relèvent que les variables cognitives n’expliquent que 16
à 30% (selon les études analysées) de la variance en jeu dans le statut fonctionnel évalué de
un à trois ans et demi plus tard. Le pouvoir prédicteur de la cognition sur le statut fonctionnel
s’avère être ainsi relativement modéré.
Ces constats impliquent la considération d’autres paramètres impliquant la subjectivité,
l’histoire du sujet et une dimension sociale et relationnelle (Pachoud, 2012).
23
Selon la méta-analyse de Bernard Pachoud, seuls la symptomatologie négative et certains des troubles
cognitifs (i.e., les troubles des fonctions exécutives et de la mémoire verbale) constituent des facteurs prédictifs
de l’aptitude au travail.
82
Tenir compte du retentissement subjectif, c’est considérer que la capacité adaptative de la
personne est intrinsèquement singulière et dynamique et ne peut être pensée qu’en référence à
des déficits objectivement mesurables.
De même, cette posture implique de considérer l’amélioration des habiletés psychosociales au
service d’un processus allant au-delà de la réinsertion sociale : celui de la réalisation de la
personne, autrement dit, du rétablissement expérientiel.
Ainsi, comme le rappelle Giraud-Baro (2007), la réhabilitation psychosociale ne peut se
réduire à ses seuls objectifs, il s’agit essentiellement d’un processus qui tend à favoriser le
rétablissement individuel des patients.
Méthodes
But
70s : Traitements comportementaux
Contrôler les symptômes gênants
 stabilisation, rémission symptomatique
Favoriser l’insertion sociale
90s : travail sur les habiletés sociales
 réadaptation, réhabilitation
 rémission fonctionnelle
2000+ : approche centrée sur la personne
Favoriser la réalisation personnelle
 rétablissement expérientiel
Evolution des pratiques cliniques
D’après Lecomte et Leclerc, 2004
Le tableau ci-dessus illustre l’évolution des pratiques cliniques dans le champ psychiatrique,
des traitements visant à réduire les symptômes et les déficits du trouble, à ceux tendant vers la
prise en compte du sujet dans sa globalité.
83
CHAPITRE III – LE RÉTABLISSEMENT DANS LA SCHIZOPHRÉNIE
Le « schizophrène » aliéné à sa pathologie devient progressivement un sujet susceptible d’être
compris et guidé dans la relation thérapeutique. La personne tend ainsi, depuis ces dernières
décennies, à être mieux considérée dans toute sa complexité biologique, sociale et
psychologique. La multifactorialité étiologique et l’hétérogénéité clinique ouvrent le pronostic
évolutif. Le champ de la recherche s’étend alors, pour s’enrichir, à l’étude de déterminants
évolutifs du trouble considérés indépendamment des facteurs prétendus causaux. En découle
une préoccupation nouvelle pour les conceptions de l’évolution du trouble et notamment la
prise de conscience, suscitée par la voix des usagers, d’une rémission possible dans la
schizophrénie. La distinction entre le diagnostic de schizophrénie et le pronostic d’une
détérioration inéluctable n’est plus contestable.
Cette amélioration pronostique, au-delà de la seule stabilisation des manifestations du trouble,
n’aurait sans doute pas été rendue possible sans la conjugaison d’avancées thérapeutiques,
tant sur le plan médicamenteux que psychothérapeutique. En un demi-siècle, ces dernières ont
grandement contribué à modifier la clinique de la schizophrénie et ses enjeux thérapeutiques :
il ne s’agit plus seulement de comprendre, voire d’interpréter les symptômes, mais de
composer avec une maladie impactant l’investissement social et relationnel des patients (De
Luca, 2009). La caractérisation du trouble schizophrénique se voit alors complétée par la prise
en compte de ses répercussions sur la vie quotidienne du patient, c’est-à-dire son
fonctionnement hors des murs de l’hôpital.
Les avancées sociétales, notamment l’expansion internationale des mouvements d’usagers,
ont permis de reconsidérer le statut des personnes atteintes de schizophrénie. L’exigence
d’une citoyenneté à part entière et d’un partenariat actif, dans les soins comme dans la
recherche (Nothing about us, without us), contribuent à modifier les modalités de soins. Déjà
depuis le courant de l’antipsychiatrie, les voix des « internés », et celles aujourd’hui des
« survivants de la psychiatrie » se rejoignent pour revendiquer leur droit à être entendues, audelà de leur condition de « malades », et ainsi à être pleinement intégrés dans la communauté
des humains.
84
Pourtant, force est de constater l’échec de nos sociétés occidentales contemporaines à
réintégrer les personnes qui ont été confrontées à un trouble psychique tel que la
schizophrénie (Greacen et Jouet, 2012). Ce constat est renforcé par des études comparatives
sur le devenir à long terme des personnes atteintes de schizophrénie montrant que le pronostic
est bien meilleur dans les pays en voie de développement (comme l’Inde ou le Sri-Lanka) que
dans les pays développés (Sartorius et al., 1977 ; Waxler et al., 1979 ; Hopper et Wanderling,
2000 ; Thara, 2004), voire que ce pronostic s’aggrave avec le développement d’une société
(Douki et al., 2007).
Ces résultats suggèrent que le facteur médical ne constitue pas le principal déterminant du
devenir social des personnes et amènent dès lors à envisager une disjonction entre l’évolution
du trouble et le devenir de la personne qui en est atteinte (Pachoud, 2012).
De même, ils imposent la considération nouvelle de dimensions subjectives et sociales pour
mieux comprendre les déterminants du devenir des personnes. Il s’agit ainsi non plus tant de
se centrer sur le trouble psychopathologique, que sur le vécu de la personne, à travers
notamment une démarche de recherche qualitative (Davidson, 2003). Ceci n’est pas sans nous
rappeler la démarche phénoménologique qui, nous le verrons, se trouve mise à l’honneur dans
les recherches sur le rétablissement. Favoriser la compréhension de la schizophrénie dans ses
répercussions subjectives nous semble aller de pair avec une attitude éthique (propre à la
démarche clinique) qui tendrait vers la considération de la souffrance singulière des sujets.
Le rétablissement, dans son acception processuelle, s’étaye sur le postulat de cette distinction
entre l’évolution du trouble et l’évolution de la personne ; il contribue par la-même à se
décentrer des facteurs médicaux classiques pour mieux considérer la personne dans sa
globalité et ses ressources personnelles. Néanmoins, comprendre les mutations induites par
cette conception nécessite de penser cette dernière en référence au modèle de soin avec lequel
elle prétend rompre. Il s’agit ainsi de mettre en perspective la conception expérientielle du
rétablissement avec la conception dite « clinique », plus traditionnelle, avant de nous centrer
sur les composantes clés de ce processus subjectif.
85
I. Le concept de rétablissement : de nouveaux enjeux théorico-cliniques
Le concept de rétablissement fait l’objet actuellement d’un engouement scientifique
international : en seulement quelques années, la littérature à son sujet, essentiellement anglosaxone, est devenue remarquablement prolifique24.
Véritable « révolution conceptuelle », le rétablissement représente aujourd’hui un
organisateur fondamental des pratiques cliniques aux Etats-Unis, au Canada, en Australie et
en Nouvelle-Zélande (Farkas, 2007). Ce changement de paradigme nécessite de repenser des
concepts qui, jusqu’à récemment, ont été largement tenus pour acquis : chronicité, déficit,
réhabilitation, handicap, réadaptation, insertion sociale, travail protégé etc. (Greacen et Jouet,
2012). En Europe, ce processus en est encore à ses balbutiements et en France, la notion de
rétablissement demeure peu connue.
En effet, le rétablissement se heurte à de nombreuses réticences auprès des scientifiques et
professionnels de santé de sorte que la vivacité des débats et controverses autour de ce
concept semblent être à la mesure de l’enthousiasme qu’il suscite.
Une position relativement consensuelle dans la littérature consiste à décliner le rétablissement
selon deux acceptions : une acception « objective », centrée sur des indicateurs cliniques ; et
une acceptation « subjective », centrée sur le vécu expérientiel des personnes (Pachoud,
2012). Ces deux conceptions sont historiquement liées à (et portées par) différents acteurs :
les scientifiques et professionnels de santé d’une part ; les usagers de l’autre.
I.1 Une définition plurielle
La définition du rétablissement constitue une gageure où viennent se confronter des postulats
théorico-cliniques bien distincts. Afin de mieux comprendre ces différentes perspectives,
arrêtons-nous un instant sur l’origine étymologique de ce terme.
Il est tout d’abord intéressant de constater que le rétablissement est une traduction du terme
anglo-saxon « recovery » (du verbe anglais to recover), lui-même provenant du français
24
Comme en témoignent les quelques 22 000 références obtenues sur le moteur de recherche Science-direct avec
les mots clés « recovery » et « schizophrenia » ; Ce résultat est presque deux fois plus conséquent que celui
obtenu avec les termes de rémission et de réhabilitation (« remission » et « schizophrenia » : environ 12 000
références ; « rehabilitation » et « schizophrenia » : environ 10 000 références)
86
« recouvrer ». Le rétablissement est ainsi le produit d’une double transposition, et aurait pu
être plus fidèlement (re-)traduit par le terme « recouvrement » (Joseph, 2012). Recouvrer,
c’est récupérer, rentrer en possession de ce que l’on avait perdu25, reconquérir pour ainsi dire.
Se pose ainsi la question de l’objet de cette reconquête : la santé certes, mais sous quels
aspects ? S’agit-il d’une récupération de son état antérieur à l’apparition de la maladie ?
D’une reconquête de sa vitalité, de son identité, de son statut social ou professionnel, ou plus
globalement de son rapport au monde ?
Ainsi, comprendre de quoi l’on se rétablit nécessite, avant toute chose, de mieux discerner ce
que l’on a prioritairement et fondamentalement perdu.
Le terme de « rétablissement » quant à lui, choisi pour traduction française, vient du latin
stabilire (faire se tenir solidement, affermir, soutenir, consolider), qui dérive de stare (se tenir
debout). Si la maladie nous couche, se rétablir c’est se remettre debout, retrouver une stabilité,
un équilibre (ibid.). En ce sens, le rétablissement n’est plus tant une question d’objet que de
détermination : quelles sont les caractéristiques de ce nouvel équilibre ? La stabilité retrouvée
est-elle la même que celle expérimentée avant la chute ? Finalement, il s’agit ici de
comprendre comment se relève-t-on de la chute provoquée par l’expérience de la maladie.
Les deux conceptions du rétablissement apportent des réponses fondamentalement différentes
aux questions que nous venons de soulever.
I.2 Deux perspectives du rétablissement
Afin de mieux comprendre les motifs de cette déclinaison, voire de cette opposition, nous
allons à présent nous pencher sur les significations accordées à ces deux conceptions.
I.2.1. La conception « objective » : être rétabli(e)
Cette acceptation du rétablissement repose sur les faits épidémiologiques précédemment
décrits attestant d’une évolution favorable pour la majorité des patients atteints de
25
Selon le dictionnaire Français Larousse.
87
schizophrénie et contredisant ainsi la conception classique d’une détérioration inéluctable
(Pachoud, 2012).
Le rétablissement est ici perçu en termes de « résultat » (recovery from schizophrenia,
Davidson et Roe, 2007). Il est associé à des dimensions cliniques quantitativement
mesurables, raison pour laquelle cette conception est encore dite « scientifique ».
Dans cette perspective, Liberman et ses collaborateurs (2002) définissent le rétablissement
selon trois axes :
-
un axe psychopathologique : une rémission symptomatique établie avec un score égal ou
inférieur à 4 (« modéré ») dans chacun des items relatifs aux symptômes positifs et
négatifs de l’échelle BPRS (Brief Psychiatric Rating Scale) ;
-
un axe fonctionnel : les critères retenus concernent le fonctionnement socio-professionnel
(par exemple, au minimum la moitié du temps consacré à une activité scolaire ou
professionnelle) ; l’autonomie (par exemple, être à même de gérer relativement seul sa
prise de médicaments et ses finances) ; les relations sociales et familiales (par exemple,
avoir des contacts sociaux au minimum une fois par semaine) ;
-
un axe temporel : le rétablissement implique que les critères précédents soient remplis
pendant au moins deux années consécutives.
Le rétablissement signifie ici que la personne est « relativement libre des manifestations
pathologiques tout en ayant la capacité de fonctionner dans la communauté » (Andreasen et
al., 2005, p. 442). Le patient tendrait à se rapprocher de son fonctionnement pré-morbide.
Précisons toutefois que le rétablissement ne s’apparente guère, dans cette perspective
médicale, à la guérison complète de la maladie, c’est-à-dire à la disparition des processus
pathogènes qui la sous-tendent. Il concerne davantage la diminution, voire la disparition, des
manifestations et répercussions de dysfonctionnements tenus pour latents. Ainsi, l’arrêt des
traitements médicamenteux et l’absence du risque de rechute, par exemple, ne constituent pas
des critères de rétablissement.
L’intérêt de cette conception du rétablissement en termes de « résultat » réside dans le
caractère opérationnel de sa définition. L’accent porte sur des dimensions attestant d’une
évolution favorable de la maladie et de ses répercussions fonctionnelles (Pachoud, 2012).
88
Ces dernières sont répertoriées dans la littérature comme suit (Liberman et al., 2002 ;
Silverstein et Bellack, 2008 ; Favrod et Maire, 2012) :
-
Peu de stress au niveau de la communication au sein de la famille et un soutien élevé
des membres de l’entourage
-
Un accès rapide aux traitements dès l’apparition des premiers symptômes
psychotiques (courte DUP : duration untreated psychosis)
-
Une bonne réponse initiale aux traitements
-
Une bonne adhésion aux traitements
-
Une bonne alliance thérapeutique avec l’équipe soignante
-
Un fonctionnement cognitif relativement préservé (attention, mémoire et fonctions
exécutives notamment)
-
De bonnes habiletés interpersonnelles
-
Un bon niveau de fonctionnement pré-morbide dans les domaines des relations
sociales, de la formation et du travail
-
Un accès à des soins continus et variés (traitements médicamenteux, psychothérapies
et thérapies psychosociales).
L’établissement de critères mesurables propres au rétablissement permet entre autres d’affiner
les profils évolutifs du trouble schizophrénique.
Dans une perspective méta-analytique, et en accord avec les récentes études longitudinales
présentées en première partir, deux grands types de résultats peuvent être retenus :
-
De 42 à 68% des patients atteints de schizophrénie peuvent être considérés comme
pleinement ou partiellement rétablis (amélioration significative dans chacune des
dimensions mesurées) (Davidson et Roe, 2007 ; Hopper et al., 2007 ; Levine et al.,
2011).
-
De 12 à 37 % des personnes peuvent être considérées comme en rétablissement
complet (fully recovered). (Torgalsbøenu, A.-K., 1999 ; Levine et al., 2011 ;
Silverstein et Bellack, 2008).
Soulignons le fait que cette conceptualisation du rétablissement se rapproche de celle de la
rémission dans ses acceptions symptomatiques et fonctionnelles. Le critère de temps de deux
ans, également souligné par l’APA (guidelines, 2004), signe l’importance d’une stabilité
89
clinique et fonctionnelle, contrastant avec le caractère dynamique voire fluctuant de la
rémission mis en évidence au sein de certaines études (Van Os et coll., 2006). Le
rétablissement en termes de résultat peut être apparenté à une « rémission stable », ce qui, en
retour, interroge la pertinence de distinguer ces deux concepts (Koenig et al., 2011b).
Pour conclure, le rétablissement peut représenter ici un concept évolutif porteur d’espoir pour
les patients, comme pour leur entourage ou les professionnels de santé puisqu’il signe une
amélioration durable du trouble. Au même titre que la rémission, il s’agit d’un concept
médical « loyal » (Leguay, 2005) dans la mesure où il constitue un objectif de santé réaliste.
Néanmoins, en restant centré sur l’idée d’une psychopathologie « dormante », le
rétablissement médical peut-être perçu comme une résignation, une sorte de pis-aller sonnant
le renoncement à l’idée de guérison. Ainsi, la conception expérientielle du rétablissement
s’est-elle développée pour s’affranchir de cette empreinte déterministe.
I.2.2. La conception « subjective » : être en rétablissement
Le rétablissement est historiquement lié à une conception processuelle, dite encore
« expérientielle ». Comme son nom l’indique, cette dernière caractérise le cheminement de la
personne vivant avec un trouble psychique.
Cette perspective du rétablissement fut initialement développée dans le cadre des
problématiques addictives par les mouvements d’usagers (tels que les mouvements des
alcooliques anonymes). Ces derniers se considéraient « en rétablissement » lorsqu’ils se
sentaient engagés dans une démarche active de reconstruction, quand bien même ils
continueraient à présenter des difficultés dans la gestion de leur addiction. Ces usagers
réclamaient ainsi le droit à être pleinement reconnus comme responsables de leur vie malgré
leurs difficultés persistantes (Davidson et al., 2007).
Nous comprenons bien le mouvement d’identification qui a pu s’opérer chez les usagers de
psychiatrie, ces derniers ayant à composer avec une maladie réputée « incurable », et qui plus
est, faisant l’objet de représentations hautement stigmatisantes. C’est ainsi que Judi
Chamberlin et Patricia Deegan deviendront les porte-paroles d’un mouvement d’usagers
clamant la possibilité de leur rétablissement et revendiquant leur droit à l’auto-détermination.
90
Cette conception (to be in recovery, Davidson et Roe, 2007) repose ainsi, non sur des données
épidémiologiques, mais sur l’expérience vécue du rétablissement, telle qu’elle est reportée
dans des témoignages qui attestent de sa possibilité et s’efforcent d’en dégager les ressorts
(Pachoud, 2012).
Dans cette optique, le rétablissement peut être défini comme un processus actif fondé sur
l’expérience subjective de la personne, ses efforts continus pour surmonter et dépasser les
limites imposées par le trouble mental et les conséquences qui lui sont associées (BarbèsMorin et Lalonde, 2006). Le rétablissement se comprend dès lors comme une posture, une
attitude, une démarche personnelle (Davidson, 2003), plutôt que comme un état. Il s’agit d’un
cheminement singulier (Provencher, 2002), basé sur le désir de la personne (Lalonde, 2007).
Il ne concerne pas tant une amélioration du trouble, qu’un changement de regard sur ses
répercussions pour la personne.
La définition du rétablissement proposée par Anthony (1993 in. Pachoud, 2012) illustre
particulièrement bien cette idée d’une « conversion de regard » porté sur la maladie : « un
processus profondément personnel et singulier de transformation de ses attitudes, de ses
valeurs, de ses sentiments, de ses buts, de ses compétences et de ses rôles. C’est une façon de
vivre une vie satisfaisante, prometteuse et utile, en dépit des limites causées par la maladie. Le
rétablissement implique l’élaboration d’un nouveau sens et d’un nouveau but à sa vie en
même temps que l’on dépasse les effets catastrophiques de la maladie mentale ».
Deegan (1993) précise que cette modification du regard ne concerne pas les seules
conséquences directes de la maladie sur la personne, mais aussi celles plus indirectes, liées
aux interventions soignantes comme aux représentations stigmatisantes portées par la société :
« la personne souffrant d’un trouble mental doit aussi se remettre de la stigmatisation dont
elle a si souvent été victime et qu’elle aura si souvent internalisée au plus profond de son être.
Elle doit se remettre des effets iatrogènes des traitements, du manque d’opportunités récentes
pour gérer sa propre vie, des effets secondaires négatifs du chômage et des rêves brisés »
(ibid., p. 527).
91
Il s’agirait ainsi pour les sujets de se remettre de la « double peine » dont ils souffrent, la
douleur singulière, propre à la maladie, à laquelle s’ajoute le regard négatif porté par autrui
sur cette maladie (Besançon et Jolivet, 2009).
Le rétablissement expérientiel n’est donc pas considéré en rapport à la présence ou l’absence
de symptômes mais se comprend au regard d’un autre axe qui implique de se tourner vers le
futur, de faire de nouveaux investissements dans le domaine du travail, des relations sociales
et familiales, des domaines artistiques ou spirituels (Huguelet, 2007).
I.3 Une conception médicale versus expérientielle
Les deux perspectives du rétablissement renvoient ainsi à des conceptions évolutives bien
distinctes. Leurs grandes oppositions pourraient être synthétisées et déclinées comme
suit (Koenig et al., 2012) :
-
Les facteurs favorisant le rétablissement renvoient d’un côté à des déterminants
symptomatiques ou fonctionnels ; de l’autre, à des dispositions subjectives.
-
L’évolution favorable est pensée soit comme un état impliquant le retour au
fonctionnement
pré-morbide ;
soit
comme
une
démarche
personnelle
de
transformation.
-
Les méthodologies employées diffèrent voire s’opposent en tout points d’une
conception à une autre (démarche quantitative/hétéroévaluative versus démarche
qualitative/autoévaluative).
-
Rappelons enfin que ces conceptions sont portées par des protagonistes différents : les
professionnels de santé d’une part (qui visent à un résultat thérapeutique), et les
patients et leur entourage d’autre part (davantage confrontés au vécu du trouble).
Ainsi, il apparaît que le rétablissement dimensionnel, médical est un modèle centré sur la
psychopathologie et son atténuation, alors que le rétablissement processuel, expérientiel se
conçoit davantage comme un modèle de santé, un modèle de « salutogenèse » (Favrod et al.,
2012).
92
Dans ce dernier, il ne s’agit pas tant d’atténuer des déficits, ni même d’accompagner le
développement de nouvelles habiletés pour pallier ces déficits, mais bien de s’étayer sur les
ressources déjà présentes en chaque sujet.
Dans ce cadre, les composantes associées au rétablissement subjectif ne constituent pas des
facteurs prédictifs d’une amélioration du trouble, mais bien des expériences, valeurs,
dispositions, susceptibles de « révéler » les ressources et le potentiel de croissance des
personnes. En ce sens, ce modèle soutient l’idée forte et porteuse d’espoir selon laquelle toute
personne peut connaître le chemin du rétablissement, quand bien même elle présenterait des
facteurs classiquement reconnus comme étant de « mauvais pronostic ». Davidson et Roe
(2007) soulignent à ce titre que nous ne pouvons parler « d’absence » de rétablissement, mais
plutôt de rétablissement « retardé » chez les personnes demeurant en grande souffrance.
Ainsi, la conception expérientielle sous-tend et prône une perspective d’accompagnement
bien singulière, se distinguant des modalités de prise en charge médicales classiques.
Nous passons en effet du cadre du traitement de la maladie schizophrénique à celui des soins
apportés à la santé mentale d’une personne (Vidon et Canet, 2004). La priorité n’est plus de
contenir la maladie, mais de soutenir un projet, en veillant à optimiser le recours aux
ressources de la personne et à respecter la singularité de sa démarche (Pachoud, 2012).
La question de la compatibilité de ces deux approches (médicale versus expérientielle), de
leurs modalités d’articulation, est une des orientations forte de notre étude.
II. Vers une compréhension expérientielle du rétablissement
On peut aussi bâtir quelque chose de beau avec les
pierres qui entravent le chemin.
Johanne-Wolfgang Goethe.
Si le processus de rétablissement est couramment associé à la perspective des usagers, c’est
qu’il est d’abord un modèle construit à partir du vécu des personnes, de l’expérience même du
rétablissement. Ainsi, se pose la question du type de savoir théorique, scientifique qui peut
93
être produit au sujet de ce processus. Comment décrire à l’extérieur ce qui ne peut être vécu
que de l’intérieur ? Les données subjectives ont-elles un intérêt scientifique valable ?
L’ensemble de ces questions fait écho à un débat épistémologique fort ancien (déjà évoqué
avec Dilthey) et bien connu de notre discipline : celui du rapport entre la démarche
quantitative (naturaliste, positiviste) et la démarche qualitative (des sciences humaines).
Le savoir expérientiel constitue un éclairage hautement précieux dans la mesure où il nous
guide vers une meilleure compréhension de ce que les personnes déploient elles-mêmes pour
composer au mieux avec la maladie au quotidien et ainsi pour avancer sur le chemin du
rétablissement. Il permet ainsi de nous rapprocher de la question du « comment », pour
favoriser des modalités d’accompagnement de ces personnes ; modalités étant elles-mêmes
susceptibles d’être approfondies, évaluées par d’autres types de recherches dans ce domaine,
notamment expérimentales.
II.1 Rétablissement et études qualitatives
Pourquoi ne me demandez-vous jamais comment je
fais moi-même pour m’aider ?
Témoignage cité dans John Strauss.
Depuis les années 1980, la dominance du paradigme neurobiologique des pathologies
psychiques a concouru à la valorisation de méthodes de recherches expérimentales, au
détriment, nous l’avons vu, d’un mode d’appréhension qualitatif de facteurs davantage
psychosociaux.
Il est courant d’attribuer l’idée d’une opposition irréductible entre la qualité et la quantité aux
sciences modernes, opposition qui semble factice dans la mesure où les mêmes aspects de la
réalité peuvent être décrits parallèlement dans les termes d’un langage qualitatif et dans ceux
d’un langage quantitatif (Bouveresse, 2001). Le savoir produit sera seulement de nature à
nous renseigner différemment sur le phénomène observé.
Au-delà de ce conflit fondamental subsistant entre les scientifiques, conflit ayant participé, à
travers l’histoire de la psychopathologie, à privilégier un mode de savoir au détriment d’un
94
autre, et ainsi, comme disait Rutherford (In. ibid., p. 70), à ne concevoir aujourd’hui le
qualitatif que comme du « pauvre quantitatif », il apparaît que la dévalorisation de cette
méthode s’est montrée particulièrement prégnante dans le champ de la recherche sur la
schizophrénie (Davidson, 2003 ; Lysaker et Lysaker, 2011). En effet, le postulat selon lequel
le manque de discernement et d’insight sont caractéristiques du trouble semble peu
compatible avec un quelconque intérêt porté aux données auto-évaluatives.
Nancy Andreasen, scientifique renommée dans la recherche expérimentale sur la
schizophrénie, dénonce elle-même, dans un article publié en 1998, cette carence d’études
psychopathologiques compréhensives. Elle en appelle dès lors à un retour aux recherches
cliniques descriptives qui, souligne-t-elle, sont historiquement liées à une culture de pensée
européenne.
Ce sont justement grâce aux études réalisées sur le rétablissement, et inspirées de la méthode
phénoménologique, que les recherches qualitatives tendent aujourd’hui à être réinvesties dans
le champ de la schizophrénie. Dans ce cadre, nous convoquerons de manière privilégiée les
travaux du Professeur Larry Davidson qui a mené durant vingt ans auprès de ces
personnes des recherches qualitatives dont les principaux résultats sont publiés dans son
ouvrage Living Outside Mental Illness (2003).
Pour Davidson, la méthode qualitative repose sur le postulat selon lequel il existe plusieurs
formes de savoirs à propos d’un même sujet. L’objet de ses travaux est ainsi le recueil de
savoirs expérientiels, à même de nous aider à comprendre comment certains patients souffrant
d’une schizophrénie grave réussissent à influencer le cours de leur maladie dans un sens
favorable. Davidson s’inscrit dans le cadre du courant phénoménologique, dont « l’héritage
intellectuel » (notamment d’Edmond Husserl et de John Strauss) offre selon lui « une
méthode rigoureuse pour la recherche psychologique » (2003, p.19). Rappelons en effet que
l’attitude phénoménologique tend à se défaire de tout présupposé théorique afin d’accéder à
l’expérience vécue des sujets, de retourner « aux choses-mêmes » (Husserl, 1900). Il s’agit
dès lors de tenter d’accéder à l’essence même du processus de rétablissement.
Davidson prône dans cette optique le recours aux entretiens semi-directifs, estimant que les
études de cas, d’une part, sont peu représentatives de l’expérience de la majorité des
95
personnes et, d’autre part, sont bien davantage le reflet des savoirs théoriques des cliniciens
que des expériences subjectives de la personne. Le récit constitue de plus, selon l’auteur, le
mode d’expression comme de description privilégié du rétablissement expérientiel (In.
Pachoud, 2012). L’activité narrative - en tant que manière de se représenter et de
communiquer à propos de soi et de ses expériences vécues (White et Epston, 1990) constituerait le « moteur interne » du rétablissement. Nos réflexions nous mèneront
progressivement à développer et à soutenir cette thèse.
Spécifions enfin que cette méthode de recherche clinique oriente une certaine éthique fondée
sur la participation active de la personne considérée dans son expertise. A ce titre, Davidson
(2003) en arrive même à considérer comme éthiquement discutable toute recherche sur la
schizophrénie qui ne traiterait pas les patients à l’égal de véritables partenaires.
II.2 Les composantes du rétablissement expérientiel
Puisque le rétablissement est d’abord une expérience profondément personnelle, singulière,
l’on ne peut « standardiser » son parcours ni même son mode d’accompagnement
(Provencher, 2002). La variabilité interindividuelle propre au processus de rétablissement
rend ainsi sa caractérisation difficile, comme en témoignent la pluralité des définitions et la
diversité des facteurs associés retrouvés dans la littérature (Pachoud, 2012). C’est d’ailleurs
pour appréhender les parcours des personnes dans toute leur singularité que Davidson (2003),
rappelons-le, préconise un mode d’appréhension qualitatif des données sur le rétablissement.
Un certain nombre de composantes intrinsèquement liées au processus de rétablissement sont
décrites au sein de ces études qualitatives. Leur compréhension est précieuse au regard de
notre projet de recherche.
II.2.1. L’espoir
L’espoir naît en relation avec un devenir ouvert, ambigu et incertain.
Patricia Deegan.
96
L’espoir est présenté dans l’ensemble des témoignages comme le facteur essentiel du
rétablissement, si ce n’est une dimension invariante. Patricia Deegan (2001), en témoignant
de son expérience de la schizophrénie, explique comment son parcours de rétablissement s’est
amorcé par la redécouverte de cette espérance, dont elle perçoit la perte comme l’élément
l’ayant justement précipitée dans la souffrance.
L’auteure associe en effet l’espoir à la possibilité de se projeter dans l’avenir et ainsi à une
disposition intérieure nécessaire au rassemblement de ses forces, sans laquelle la quête d’une
reconstruction ne pourrait s’amorcer. A titre d’illustration, l’auteure explique que
l’intériorisation de la pensée selon laquelle « un lendemain viendra » (ibid., p. 7) a constitué
une aide précieuse tout au long de son parcours, notamment dans les moments où l’anxiété,
l’inconfort et les symptômes étaient de retour.
Cette dimension est volontiers présentée dans la littérature dans ses aspects intersubjectifs.
Alors que la perte de l’espoir peut être renforcée par l’attitude de l’entourage de la personne,
notamment l’entourage soignant, le recouvrement de cette dimension peut à l’inverse être
suscité, soutenu par ce dernier. A ce titre, au sein d’une étude citée par Ciompi et ses
collaborateurs (2010), l’espoir porté par les équipes soignantes, la famille et les patients euxmêmes, s’est révélé être l’élément le plus important pour une évolution positive à court terme
parmi plus de 30 variantes significatives d’ordre biologique, psychopathologique, social et
contextuel. En soulignant l’impact des croyances des soignants sur celles des personnes
soignées, cette étude vient illustrer l’idée même du processus d’influence inhérent à toute
relation (psycho)thérapeutique.
II.2.2. La redéfinition identitaire
Je suis une personne, non une maladie.
Patricia Deegan.
La redéfinition identitaire ou redéfinition du « soi » (Davidson, 2003 ; Sells et al., 2004), se
trouve être une dimension signifiante du rétablissement. A ce titre, il constituerait moins un
facteur à proprement parler du rétablissement, que le mouvement présidant à cette expérience,
son essence même. Il s’agirait notamment, comme l’illustre la citation de Patricia Deegan, de
97
se redécouvrir en tant que personne et ainsi de ne considérer la maladie, la vulnérabilité, que
comme une partie de son identité.
A mesure de la complexité de la problématique identitaire dans la schizophrénie, ce processus
de reconstruction identitaire fait intervenir de multiples dimensions et peut être compris et
interprété à travers différents angles. A titre d’exemple, Favrod et Maire (2012) distinguent la
perte de l’identité (aliénation) inhérent au processus schizophrénique même, de la négation de
l’identité, davantage imputable aux représentations stigmatisantes intériorisées par la
personne. Nous retrouvons ici l’idée de la « double peine » (Besançon et Jolivet, 2009) à
laquelle la personne est confrontée. Le processus de redéfinition identitaire en tant que
différenciation du « statut de malade » impliquerait dans cette optique le détachement des
représentations stigmatisantes (Davidson, 2003).
II.2.3. L’acceptation de la maladie
En sachant ce que je ne peux pas faire, je m’ouvre aussi aux
possibilités liées à toutes les choses que je peux faire.
Patricia Deegan.
L’acceptation de la maladie est un processus souvent décrit comme constituant le « premier
stade » de la reconstruction identitaire (Davidson, 2003). Comme l’indique la citation de
Deegan (1988), l’aptitude à reconnaître ses incapacités irait de pair avec la possibilité de
découvrir l’empan de ses capacités, négligées ou méconnues (Pachoud, 2012). L’acceptation
de la maladie, dans cette optique, favoriserait le sentiment d’une modification identitaire
positive dans la mesure où il s’agirait de voir en ses limitations, une occasion de développer
ses ressources.
II.2.4. L’auto-détermination
Agir librement, c’est reprendre possession de soi.
Henri Bergson.
98
La restauration du pouvoir de décider et d’agir (empowerment) apparaît à la fois comme ce
qui est visé, comme l’expression même du rétablissement, mais aussi comme le moyen, le
moteur de cette démarche (Pachoud, 2012).
Il s’apparenterait à la restauration d’un sentiment de contrôle de sa vie, de responsabilité à
l’égard de sa propre personne, et ainsi d’aptitude à exercer des choix existentiels (Davidson,
2003). Dans la littérature, cette composantes est étudiée en interrelation avec les conditions
environnementales susceptibles soit de le limiter, soit au contraire de la favoriser. Dans cette
perspective, les questions relatives aux possibilités de développement de l’auto-détermination
(et ainsi, plus globalement, du rétablissement) font appel à une réflexion éthique (Pachoud,
2012).
II.2.5. Le contrôle des symptômes
J’appris à éviter certains types de situations et de sujets qui
m’entraînaient dans des idées délirantes.
Patricia Deegan.
Le « pouvoir d’agir » se traduirait également par l’aptitude à mieux contrôler les symptômes
du trouble. Pour ce faire, les témoignages de personnes en rétablissement évoquent le
développement de « stratégies » personnalisées, c’est-à-dire issues d’un savoir expérientiel
(Noiseux et Ricard, 2005) : « par une suite d’essais et d’erreurs, j’ai découvert les stratégies
d’autonomie qui m’allaient » (Deegan, 2001, p.6).
Pour ce qui concerne les symptômes psychotiques, et notamment les hallucinations auditives,
beaucoup de personnes en rétablissement témoignent non pas d’une attitude de lutte, mais
d’un mouvement d’acceptation de ces voix. Ainsi, et en adéquation avec « l’esprit » du
rétablissement expérientiel, le contrôle des symptômes n’est guère apparenté à leur
annihilation, mais plutôt à un changement de regard porté sur ces derniers, comme en
témoigne les propos de Debra Lampshire (cités dans l’ouvrage de Greacen et Jouet, 2012) :
« après une longue réflexion et d’intenses délibérations, j’ai songé à changer d’attitude vis-àvis des voix. Je les aborderais désormais comme des amies et leur offrirais l’amour, la
tendresse et le respect que je souhaitais pour moi-même ».
99
II.2.6. L’engagement dans des activités signifiantes
Celui qui a un pourquoi qui lui tient lieu de but, peut
vivre avec n’importe quel comment.
Friedrich Nietzsche.
Le « pouvoir d’agir », en tant que « moteur » du rétablissement, parallèlement à l’aptitude à
mieux gérer ses souffrances, désigne une ouverture à des projets doués de sens.
L’engagement dans l’action, est d’une part perçu dans ses possibilités offertes de restauration
d’un statut social et dès lors, d’un sentiment d’appartenance à une communauté. D’autre part,
il participe hautement au processus de redéfinition identitaire dans la mesure où il favorise
l’attribution d’un sens à son parcours existentiel. Cet engagement renforcerait alors en retour
le « pouvoir d’agir » et contribuerait au sentiment de réalisation personnelle.
II.2.7. Le soutien par autrui
Nous avons besoin de quelqu’un qui croit en nous lorsque
nous ne pouvons pas le faire nous-mêmes.
Témoignage cité dans L. Davidson.
Bien que le rétablissement soit décrit comme une démarche personnelle, il n’en demeure pas
moins un processus éminemment social. Nous avons en effet insisté sur l’impact de
l’environnement (social, familial comme thérapeutique) sur le développement des
composantes du rétablissement. Les témoignages évoquent fréquemment une ou plusieurs
rencontres « significatives », ces dernières ayant représenté un soutien important dans le
développement de leur parcours (Davidson, 2003). A ce titre, il apparaît que la rencontre avec
des personnes faisant l’expérience du rétablissement constitue une aide précieuse en ce
qu’elle contribue à transmettre l’espoir d’une vie « après la maladie » auprès des sujets encore
en grande souffrance (ibid.). C’est sur ce principe d’une identification positive que se base la
pratique des « pairs-aidants » (Le Cardinal et al., 2008).
Enfin, la dimension sociale du rétablissement nous semble inhérente au phénomène de
reconstruction identitaire présidant à son mouvement : ce derniers se déploie dans et par la
100
relation inter-subjective. Il s’agit d’un de nos postulats fort sur lequel nous reviendrons tout
au long de ce travail.
II.3 Rétablissement et modèles de compréhension
La dimension expérientielle du rétablissement interroge sa possible théorisation alors même
qu’il apparait indispensable d’approfondir nos connaissances à son sujet, tant il représente
aujourd’hui un enjeu thérapeutique fondamental.
Il existe plusieurs conceptualisations processuelles du rétablissement réalisées à partir de
données auto-évaluatives (comme le modèle d’Andresen, 2003) ou de données croisées issues
de l’expérience des personnes elles-mêmes, de leur entourage et de leurs soignants (comme le
modèle de Noiseux et Ricard, 2005). Ces modèles définissent différentes étapes clés du
processus (cinq ou sept selon les auteurs) afin d’appréhender le rétablissement dans une
perspective diachronique. Par souci de concision, nous nous limiterons à la présentation de ce
premier modèle en ce qu’il nous semble synthétiser les conceptualisations – qui se recoupent
– des différents auteurs ayant traité de ce sujet.
Ce modèle conçu par Andresen et ses collaborateurs (2003) et repris par Favrod et Scheder
(2004) propose une compréhension du rétablissement en cinq étapes. Ces étapes ne renvoient
pas à un cheminement linéaire, elles tendent davantage à représenter les jalons communs d’un
cheminement personnel.
La première étape « moratoire » serait caractérisée par le déni, la confusion, le désespoir et le
repli. L’importante souffrance engendrée par la profusion des symptômes psychotiques serait
vécue par les sujets comme « une descente aux enfers ».
La seconde étape de la « conscience », signerait l’avènement d’un espoir d’une vie meilleure
et une possibilité de rétablissement. A cette phase correspondrait également le développement
de l’insight.
La troisième étape de « préparation », consisterait à faire la difficile mais primordiale
distinction entre « être schizophrène » et « avoir la schizophrénie ». Il s’agirait ainsi pour le
sujet de pouvoir distinguer certaines manifestations psychiques qui sont imputables à la
schizophrénie et de pouvoir prendre conscience de ses propres valeurs, forces et faiblesses.
101
La quatrième étape serait celle d’une « reconstruction » d’une identité positive et d’objectifs
de vie. A cette étape, le sujet pourrait se définir clairement comme « acteur » de ses soins et
retrouverait ainsi un meilleur contrôle de sa vie.
Enfin, la dernière étape de « croissance » désigne un moment de l’évolution des sujets où ces
derniers sont à même de reconnaître leurs ressources, de gérer la maladie et de maintenir une
vision optimiste de l’avenir, quand bien même il pourrait subsister des manifestations
symptomatiques.
Au-delà de cette aptitude à contrôler ses symptômes, le sujet se sentirait transformé
positivement par la maladie, comme ci celle-ci lui avait appris quelque chose sur lui-même.
Les sujets vivant ce processus affirment se sentir différents de ce qu’ils étaient avant de
tomber malades (Andresen et al., 2003 ; Davidson, 2003 ; Favrod et Scheder, 2004 ; Lysaker
et Buck, 2006 ; Noiseux et Ricard, 2008). C’est pourquoi par exemple, le retour aux anciens
rôles sociaux ne constitue pas un critère de rétablissement.
Ce modèle en différentes étapes comporte l’avantage d’envisager plusieurs interventions
thérapeutiques et modalités relationnelles selon les « grands moments » du cheminement du
sujet. A titre d’exemple, Favrod et ses collaborateurs (2012) insistent sur l’importance de
transmettre un discours porteur d’espoir à la personne lorsque cette dernière accède au début
de la conscience, afin de l’aider à endosser un autre rôle que celui de malade (et ainsi de sortir
de la confusion entre un le diagnostic de schizophrénie et un pronostic « de vie »
catastrophique). Il s’agit dès lors d’inviter les soignants à travailler sur leurs propres
représentations, notamment à prendre du recul quant à leurs croyances nourries par leurs
habitudes professionnelles.
II.4 Un processus de redéfinition de soi ?
La théorisation du rétablissement expérientiel constitue, nous l’avons vu, un enjeu
scientifique relativement récent. Les modélisations existantes s’attachent à décrire les
mouvements expérientiels fréquemment associés à ce processus, voire à identifier son essence
même.
102
Dans cette optique, Davidson (2003) caractérise le rétablissement comme un processus de
sortie de l’identité de malade. Cette expérience repose sur une aptitude à redéfinir la maladie
comme un seul aspect de la pluralité de ses facettes identitaire (Davidson et Roe, 2007).
Autrement dit, il s’agit de se considérer comme une personne ayant une histoire riche et le
pouvoir d’influencer son propre devenir, indépendamment de l’évolution des symptômes du
trouble (Lysaker et Erickson, 2010).
Le rétablissement expérientiel se conçoit dès lors comme un processus de redéfinition d’un
sens de soi temporel, continu et complexe (Lysaker et Lysaker, 2011). Si les études
qualitatives ont jusqu’alors permis d’éclairer ce mouvement essentiel, peu, à notre
connaissance, se sont penchées sur les processus psychologiques à l’œuvre dans ce
cheminement identitaire. Une meilleure compréhension de l’articulation de ces processus
constituerait une source d’informations précieuse au regard du paradigme du rétablissement
dans la schizophrénie et de ses perspectives (psycho)thérapeutiques.
103
DEUXIÈME PARTIE
CONFRONTATION EMPIRIQUE :
ÉTUDE CLINIQUE DESCRIPTIVE
104
CHAPITRE I - PROBLÉMATISATION
Au fil de notre revue de la littérature, le rétablissement est apparu comme une nouvelle
conceptualisation venant bouleverser notre compréhension classique - comme plus
contemporaine - de la schizophrénie, et ce sur des plans croisés.
Alors que la schizophrénie demeure marquée du sceau de la détérioration inéluctable, il existe
aujourd’hui un consensus dans la communauté scientifique internationale selon lequel les
personnes connaissent en majorité une évolution favorable.
Cette évolution tend à être associée à des déterminants qui diffèrent des critères
symptomatiques couramment associés aux pratiques évaluatives du trouble.
L’intérêt récent porté aux facteurs plus subjectifs et fonctionnels constitue le point d’encrage
du paradigme du rétablissement expérientiel, mais aussi la potentielle ligne de clivage d’avec
la conception évolutive médicale et objective.
Le concept de rétablissement apparaît dès lors comme un formidable condensateur des débats
épistémologiques qui traversent le champ des sciences humaines : dans quelle mesure une
approche expérimentale de la psychopathologie est-elle conciliable avec une approche
subjective et expérientielle ?
Sur le plan clinique, il s’agit par là-même de s’interroger sur la coexistence de pratiques qui
seraient fondées sur la restitution de critères classiques « de bon fonctionnement »
(diminution des symptômes et du handicap) avec une approche davantage centrée sur les
remaniements existentiels de la personne qui vit avec un trouble psychique.
Prioritairement, la perspective expérientielle du rétablissement questionne son adéquation
avec une démarche de soins. Peut-on soutenir, si ce n’est favoriser, le développement de ce
processus dans le respect du principe éthique d’auto-détermination ? Comment comprendre le
déploiement de ce cheminement personnel afin de mieux l’accompagner ?
105
Ces questionnements nous amènent à penser la constitution de notre étude selon deux grands
axes :
-
Notre premier axe concerne la nature des liens existants entre les dimensions
symptomatique, fonctionnelle, et subjective du rétablissement. Une meilleure
connaissance des points de divergence comme de convergence entre ces différentes
dimensions nous permettrait de repenser les modalités de coexistence entre une
approche expérimentale et une approche expérientielle de la schizophrénie.
A la lumière des récentes recherches empiriques présentées au sein de notre revue de la
littérature, nous souhaitons, avec cette première étude, confronter à nos données
cliniques l’hypothèse selon laquelle il existe une disjonction entre l’évolution clinique
du trouble (symptomatologie) et ses impacts sur la dimension psychosociale
(répercussions fonctionnelles et identitaires).
Pour cela, nous allons avoir recours à la passation d’échelles d’évaluation de la
rémission symptomatique, de la rémission fonctionnelle et du rétablissement
expérientiel auprès de sujets atteints de schizophrénie. Nous présenterons ces échelles et
la population de notre étude plus en détail au sein de notre méthodologie.
Plus spécifiquement, nous nous attendons à observer une absence de convergence entre
les résultats obtenus à l’échelle de rémission symptomatique et ceux aux échelles de
rétablissement expérientiel. Nous pensons que l’échelle de rémission fonctionnelle peut
être plus prédictible du rétablissement expérientiel que celle de la rémission
symptomatique.
-
Notre second axe se situe au cœur du rétablissement expérientiel et vise à mieux
comprendre les processus psychologiques qui favorisent son déploiement. Ces éléments
contribueraient à éclairer les modalités d’accompagnement (psycho)thérapeutiques de
ce processus.
Notre revue de la littérature nous a amené à penser l’essence du rétablissement subjectif
comme un processus de reconstruction identitaire orientant le sentiment d’une sortie de
la condition de malade. Nous nous interrogeons dès lors sur l’expérience vécue de ces
106
remaniements et ainsi sur la manière dont ils s’expriment dans le discours des sujets. Il
s’agit, entre autre, d’affiner les modèles processuels du rétablissement tels que celui
d’Andresen et de ses collaborateurs (2003) à la lumière d’une compréhension de la
restauration d’un sens de soi historisé, complexe et nuancé.
Nos attentes concernant cette seconde partie de notre étude sont plus ouvertes du fait de
son caractère exploratoire.
Nous nous centrerons sur la description du vécu des sujets afin d’en extraire des
éléments de compréhension. Pour cela, nous allons réaliser (auprès des mêmes sujets de
notre première étude) des entretiens semi-directifs de recherche, organisés autour de
différents thèmes que nous présenterons dans la partie suivante.
107
CHAPITRE II - MÉTHODOLOGIE
I. Population de notre étude
La population de notre étude est composée de 26 sujets atteints de schizophrénie. Les
caractéristiques de notre échantillon ainsi que notre procédure de recrutement sont détaillées
ci-dessous.
I.1 Recrutement
Le recrutement des sujets de notre étude s’est effectué sur plusieurs terrains cliniques et au
sein de différentes structures (Centre Médico-Psychologique, Hôpital de jour, Clinique
psychiatrique etc.) Il s’agissait ainsi d’éviter, autant que faire ce peut, les biais de
recrutements liés aux modalités de prise en charge locales et spécifiques des patients.
Tous les sujets de notre étude nous ont été adressés par leur médecin psychiatre référent. Au
total, huit psychiatres répartis sur l’ensemble des structures évoquées ci-dessus ont été
sollicités pour le recrutement et l’évaluation clinique des sujets.
La consigne de recrutement fit appel à l’évaluation subjective des psychiatres : nous leur
avons demandés de nous orienter des patients atteints de schizophrénie considérés comme
suivant une évolution favorable de leur trouble. Il s’agissait ainsi, dans un premier temps, de
rencontrer des personnes évaluées comme « cliniquement améliorées », sans que cette
amélioration soit associée à des critères prédéfinis ou ne fasse l’objet d’une quelconque
évaluation standardisée. Ainsi, notre consigne, délibérément peu astreignante, nous semblait
favoriser le recrutement de sujets suivant des modalités évolutives variées. En effet, cette
évolution positive pouvait aussi bien concerner la symptomatologie du trouble que
« l’évolution psychosociale » des sujets. De même, l’évaluation des psychiatres tenant compte
du parcours du patient, l’évolution positive se comprenait dans cette optique dans une
perspective clinique longitudinale.
108
Les critères d’inclusion des sujets dans la population de notre étude peuvent être ainsi
résumés comme suit :
-
Diagnostic de schizophrénie, quelle que soit la forme clinique du trouble, porté selon
les critères du DSM IV-TR ;
-
Evolution favorable évaluée par le psychiatre référent ;
Nous n’avons pas défini de critères d’exclusion.
I.2 Déontologie
La participation des sujets à notre étude reposa sur leur consentement libre et éclairé. En effet,
tous ont été informés, préalablement au recueil de données, des modalités de notre étude et
ont lu et signé un formulaire de consentement éclairé autorisant l’enregistrement des données.
Un exemplaire de ce formulaire est présenté en Annexe IV (p. 284, Tome II).
Ces derniers ont été assurés du caractère anonyme de leur participation et de la confidentialité
associée aux données recueillies.
I.3 Données cliniques et socio-démographiques
Les données cliniques et socio-démographiques des sujets sont détaillées au sein du tableau 1
présenté page au sein de l’Annexe V (p. 286, Tome II). Globalement, l’échantillon est
composé de 15,4% de femmes (n = 4) et de 74,6 % d’homme (n = 22). L’âge moyen est de
35,4 ans.
La durée du trouble a été définie à partir des éléments anamnestiques recueillis pendant
l’entretien ainsi que dans le dossier médical des patients. Cette dernière s’élève en moyenne à
16,1 ans.
Tous les sujets étaient sous traitement médicamenteux au moment de notre rencontre.
La plupart bénéficiait ou avait bénéficié d’un suivi psychologique et/ou psychoéducatif.
Le niveau d’étude des sujets se situe entre la classe de seconde et trois années d’étude après le
bac.
109
II. Procédure de recueil de données
Comme exposé précédemment, nos outils évaluent le rétablissement clinique des sujets
(compris comme une amélioration significative des dimensions symptomatique et
fonctionnelle du trouble) ainsi que le processus de rétablissement expérientiel.
Dans cette optique, notre dispositif de recherche se compose d’échelles cliniques et
d’entretiens semi-directifs de recherche.
La procédure de recueil de données, identique pour les 26 sujets de notre étude, a été réalisée
par différents acteurs : médecins psychiatres et psychologues-chercheurs.
Cette dernière s’est déroulée en deux temps :
-
Réalisation de l’entretien semi-directif de recherche, suivie de la passation des deux
échelles auto-évaluatives de rétablissement. Nous avons préféré présenter les échelles
aux sujets dans les suites de l’entretien afin d’éviter que leurs verbalisations soient
orientées par les items des questionnaires.
-
Évaluation de la rémission symptomatique et fonctionnelle par les psychiatresréférents des sujets dans le mois qui suivait l’entretien de recherche. Les sujets,
informés que cette évaluation se tenait dans le cadre de notre recherche, demeuraient
dans la possibilité de la refuser.
Au préalable, l’ensemble des sujets de notre étude ont reçu la même consigne informant des
modalités de notre recherche. Le contenu de cette consigne est présenté en Annexe VI (p. 288,
Tome II).
II.1 Les échelles cliniques
Les échelles incluses dans notre procédure de recueil de données ont pour objectif d’évaluer
les modalités évolutives des sujets, définies précédemment au sein de notre revue de la
littérature.
110
II.1.1. L’évaluation de la rémission symptomatique : l’échelle PANSS
Conformément aux critères définis par Andreasen et ses collaborateurs (2005), la rémission
symptomatique a été évaluée par l’intermédiaire de l’échelle PANSS26, outil le plus
couramment employé pour l’évaluation de la symptomatologie de la schizophrénie.
Rappelons à ce titre que la rémission symptomatique peut être définie par un score « faible,
minime ou nul » (score ≤ 3, sachant que l’empan de cotation est défini de 1 à 7) à 8 items de
l’échelle correspondant aux dimensions positive, négative et de désorganisation du trouble.27
Les résultats à l’échelle PANSS donnent lieu à score global sur 112 (7x30, résultat numérique)
attestant de la présence ou de l’absence de la rémission symptomatique (résultat nominal). La
PANSS est une échelle hétéro-évaluative. Cette dernière est présentée en Annexe VII (p. 290,
Tome II).
II.1.2. L’évaluation de la rémission fonctionnelle : l’échelle ERFS
La répercussion fonctionnelle du trouble a été évaluée par l’intermédiaire de l’échelle de
rémission fonctionnelle de la schizophrénie (ERFS, version Française de l’échelle FROGS28)
créée par Llorca et ses collaborateurs (2004). Cette échelle a fait l’objet d’une validation
scientifique à partir d’un échantillon de 443 sujets (Llorca et al., 2009).
L’ERFS comprend 19 items, dont la cotation s’effectue de 0 à 5, évaluant cinq dimensions du
fonctionnement psychosocial (les activités de la vie quotidienne, les relations sociales, la
qualité de la réadaptation, la santé et les traitements).
Les résultats à cette échelle donnent lieu à un score global sur un total de 95 (19 x 5). Il
n’existe pas de cut-off pour cette échelle. Ainsi, l’ERFS quantifie la rémission fonctionnelle
dans ses aspects multidimensionnels (résultat numérique) mais ne donne pas lieu à un résultat
nominal (présence ou absence).
Tout comme la PANSS, l’ERFS s’inscrit dans une pratique hétéro-évaluative bien que
l’évaluation puisse tenir compte d’informations recueillies auprès des sujets et de leur
entourage. L’échelle est présentée en Annexe VIII (p. 293, Tome II).
26
Positive and Negative Syndrome Scale (Kay, Opler et Fiszbein, 1987) – Echelle d’évaluation de la
symptomatologie positive et négative.
27
P1 : idées délirantes ; G9 : contenu inhabituel de la pensée ; P3 : hallucinations ; P2 :
désorganisation conceptuelle ; G5 : maniérisme, troubles de la posture ; N1 : émoussement affectif
; N4 : repli social ; N6 : manque de spontanéité et diminution du flux verbal.
The “Functional Remission of General Schizophrenia” (FROGS) scale.
28
111
II.1.3. L’évaluation du rétablissement expérientiel : les échelles RAS et STORI
Nous avons choisi d’évaluer le rétablissement expérientiel à partir de deux outils : l’échelle
RAS (Recovery Assessment Scale, Giffort et al., 1995 ; Corrigan et al., 2004) ainsi que
l’échelle STORI (Stages Of Recovery Assessment, Andresen et al., 2006). Nous allons voir en
effet que ces échelles permettent d’évaluer sous deux angles différents et complémentaires le
processus de rétablissement. Ainsi, il nous est apparu particulièrement intéressant de croiser
ces outils afin de recueillir des données susceptibles d’offrir une vision la plus globale qui soit
de l’avancée dans le processus de rétablissement de chacun des sujets de notre étude.
Notons néanmoins que ces deux outils, contrairement à la PANSS et l’ERFS, s’intègrent dans
une pratique auto-évaluative. En outre, la RAS, tout comme la STORI, ont été construites à
partir de données issues de recherches qualitatives sur le rétablissement. Ces caractéristiques
rendent selon nous ces outils particulièrement à même d’appréhender le rétablissement dans
son versant expérientiel.
Précisons enfin que ces échelles ne sont pas spécifiques du rétablissement dans la
schizophrénie mais peuvent servir plus généralement une pratique auprès de personnes
souffrant de troubles psychiques sévères (serious mental illness).

L’échelle RAS (Recovery Assessment Scale)
L’échelle RAS est actuellement considérée comme l’instrument de mesure du rétablissement
personnel le plus fiable et valide (Cavelti et al., 2012).
Cette échelle se présente sous la forme de 41 items (empan de cotation de 1 à 5) construits sur
la base de données qualitatives et validées au sein d’une recherche-action participative
(Giffort et al., 1995).
Ces items évaluent cinq dimensions en jeu dans le rétablissement expérientiel, à savoir :
-
L’espoir, exemple : « je suis optimiste par rapport à mon avenir » (1 : pas du tout
d’accord - 5 : tout à fait d’accord) ;
-
Le « pouvoir d’agir », exemple : « je pense que je peux atteindre les buts que je me
suis fixé actuellement » ;
112
-
L’estime de soi, exemple : « si les gens me connaissaient vraiment, ils
m’apprécieraient » ;
-
La gestion de la maladie et des symptômes, exemple : « je peux agir s’il y a des
symptômes qui réapparaissent » ;
-
La capacité à demander de l’aide, exemple : « je sais qu’il y a des services de soins
qui peuvent m’aider ».
Les études de validation scientifique ont montré que les scores à cette échelle étaient
positivement corrélés à l’empowerment, la qualité de vie et l’estime de soi et corrélés
négativement ou de manière non significative à la symptomatologie du trouble (Corrigan et
al., 1999, 2004).
L’échelle RAS donne lieu à un score global sur 205 (41 x 5, score numérique). Il n’existe pas
de cut-off pour cette échelle, dans la mesure où elle vise, rappelons-le, l’évaluation du
rétablissement dans sa forme processuelle. L’échelle RAS est présentée en Annexe IX (p. 296,
Tome II).

L’échelle STORI (Stages of Recovery Instrument Scale)
La STORI a été développée par Andresen et ses collaborateurs (2006) dans le prolongement
de leur modèle processuel présenté au sein de notre revue de la littérature (Andresen et al.,
2003).
La STORI est composée de 50 items regroupés en 10 sections. Chaque groupe représente l’un
des quatre processus du rétablissement (il y a plus d’un groupe par processus, soit 2 ou 3
groupes par processus) :
-
L’espoir, exemple : « j’ai seulement récemment découvert que les gens avec une
maladie psychique peuvent aller mieux » ;
-
L’identité, exemple : « je pense que le fait d’avoir travaillé pour dépasser la maladie a
fait de moi une personne meilleure » ;
-
Le sens, exemple : « en devant faire face à la maladie, j’apprends beaucoup au sujet de
la vie » ;
-
La responsabilité, exemple : « je suis aux commandes de ma propre vie ».
113
Chaque item à l’intérieur d’une section représente une étape du processus du rétablissement.
Cette échelle ne donne pas lieu à un résultat numérique dans la mesure où les modalités de
construction des items ne permettent pas d’additionner les scores des items.
De la même manière, les différents processus ne sont pas évalués individuellement (par
exemple, il n’y a pas de score total « Espoir »).
Il s’agit d’une échelle catégorielle dans la mesure où les résultats obtenus permettent de situer
la personne à un stade du processus de rétablissement (i.e., « moratoire », « conscience »,
« préparation », « reconstruction », « croissance »).
Les études de validation montrent une difficulté de la STORI à discriminer les cinq stages du
processus mais mettent en lumière une adéquation toute particulière avec le vécu expérientiel
des usagers (Andresen et al., 2006 ; Weeks et al., 2010).
L’échelle STORI est présentée Annexe X (p. 300, Tome II).

La RAS et la STORI : deux auto-évaluations complémentaires du rétablissement
Nous avons choisi d’inclure les deux échelles présentées ci-dessus au sein de notre protocole
dans la mesure où elles permettent d’appréhender le rétablissement de manière distincte et
complémentaire. Alors que la RAS est centrée sur l’évaluation des dimensions en jeu dans le
rétablissement, la STORI permet de situer le patient à une étape du processus. Il s’agira dès
lors, lors du traitement de nos données, de croiser les scores numériques obtenus à la RAS
avec les données catégorielles (étapes) à la STORI afin de vérifier l’homogénéité des données
recueillies à ces deux échelles.
II.2 L’entretien semi-directif
Outre le recueil de données cliniques concernant la rémission et le rétablissement, notre
protocole de recherche se fonde, pour une partie importante, sur le recueil de données
qualitatives par la passation d’entretiens semi-directifs de recherche.
114
II.2.1. L’entretien : objectif général
L’objectif de nos entretiens de recherche était d’éclairer les processus de remaniements
identitaires des sujets à la lumière de leur vécu expérientiel.
Dans la lignée des études phénoménologiques de Davidson (2003), il s’agissait d’avoir accès
aux expériences des sujets afin de mieux comprendre ce qui les aide au quotidien.
En outre, les différents thèmes de notre guide d’entretien ont été pensés afin d’appréhender le
dynamisme propre au processus de reconstruction identitaire. Il s’agissait ainsi de favoriser
chez les sujets une compréhension distanciée de leur histoire et une reconstruction
rétrospective du sens (réflexivité) de leur évolution actuelle et des représentations associées à
leur devenir.
II.2.2. Le guide et ses thèmes particuliers
L’entretien semi-directif est organisé autour de 4 thèmes et de 28 questions.
Le guide d’entretien est présenté en Annexe XI (page 306, Tome II).
 Thème 1 : rapport aux troubles : perspective historique
Ce thème est centré sur l’histoire des troubles (e.g., « Quels ont été les premiers signes de la
maladie ? »), du parcours de soin (e.g., « Pouvez-vous me retracer votre parcours de soin ? »)
et de l’annonce diagnostique (e.g., « Quel diagnostic a été posé et à quel moment ? »).
Chacune de ces questions était suivie de relances visant à favoriser une implication subjective
ainsi qu’une activité réflexive (e.g., « Selon vous, quelles seraient les dimensions de votre vie
qui ont été les plus touchées par la maladie ? ; « Quel regard portez-vous sur votre parcours de
soin ? » ; « Que signifiait ce diagnostic pour vous ? »)
Il s’agissait par ce thème d’appréhender la dynamique du sens conféré par les sujets à leur
histoire.
115
 Thème 2 : rapport aux troubles : représentations actuelles
Notre second thème est davantage axé sur le vécu présent des sujets. La formulation de nos
questions invite à l’expression des représentations actuelles du trouble (e.g., « Que signifie
pour vous le terme de schizophrénie aujourd’hui ? » ; « Pensez-vous que l’on puisse guérir de
la schizophrénie » ?). Il s’agissait en outre de comprendre la place occupée par la maladie
dans les représentations actuelles de soi (e.g., « Vous considérez-vous comme malade ? » ;
« Quelle place prend le soin aujourd’hui dans votre vie ? » ; « Diriez-vous que vous avez
encore des symptômes du trouble, en souffrez-vous ? »). Nos relances ont été pensées afin
d’appréhender la manière dont les sujets composent avec les éventuels manifestations du
trouble au quotidien (e.g., « Si oui, pouvez-vous les contrôler ? »).
 Thème 3 : rapport à l’évolution favorable
Le troisième thème de notre guide d’entretien se rapporte explicitement à l’évolution
favorable du trouble. Rappelons en effet que tous les sujets de notre étude nous ont été
adressés par leur psychiatre référent, notamment sur la base de ce critère. Il s’agissait dès lors,
dans un premier temps, de confronter cette interprétation médicale à l’interprétation
subjective des personnes (e.g. « Selon votre médecin, vous connaissez actuellement une
évolution favorable de votre trouble, êtes-vous d’accord avec cela ? » ; « Pour vous, que
signifie cette évolution favorable ? »). En outre, nos relances visaient à approfondir cette
interprétation subjective et à appréhender leur expertise personnelle concernant cette
évolution favorable (e.g., « Pour vous, quels sont les éléments qui ont permis cette évolution
favorable ? » ; « Selon vous, quels sont les éléments qui ont fait obstacle à cette évolution
favorable ? » » ; « Y-a-t-il des personnes qui ont particulièrement contribué à votre mieux-être
aujourd’hui ? Pour quelles raisons ? »). Autrement dit, il s’agissait d’avoir accès aux propres
facteurs de rétablissement de la personne.

Thème 4 : rapport à soi : intégration du vécu expérientiel et projections dans l’avenir
Le quatrième et dernier thème de notre guide d’entretien a été élaboré afin de susciter un
retour réflexif à soi et à l’expérience du trouble.
116
Nous sommes ainsi partis de l’exploration du vécu quotidien (« Pouvez-vous me décrire votre
vie actuelle ? ») pour ensuite mieux comprendre quelle place tient l’expérience passée du
trouble dans les représentations actuelles de soi (e.g. « Selon vous, la maladie vous a-t-elle
modifié ? » ; « a-t-elle modifié la relation à votre entourage ? ») et à venir (« Comment voyezvous l’évolution de la maladie dans l’avenir ? » ; « Quels sont vos projets pour l’avenir ? »).
Par là-même, ces questions nous ont permis d’appréhender plus spécifiquement deux
dimensions fondamentales du rétablissement expérientiel : la redéfinition identitaire et
l’espoir. Enfin, nous avons terminé notre entretien par une question visant à favoriser les
capacités de décentration des sujets : « Auriez-vous des conseils à apporter aux personnes qui
vivent avec la schizophrénie ? »
III. Traitement des données
Le traitement de nos données cliniques s’organise en deux étapes :
-
La première consiste en une analyse statistique des échelles cliniques de rémission et
de rétablissement afin de mieux comprendre le rapport qu’entretiennent entre elles ces
différentes modalités évolutives.
-
La seconde étape est la plus importante et conséquente de notre étude. Elle s’organise
autour de la description du processus de rétablissement à partir de l’analyse de
contenu du discours des sujets.
III.1 Analyse statistique des échelles de rémission et de rétablissement
Les analyses statistiques ont essentiellement consisté à comparer les scores aux échelles de
rémission et de rétablissement :
-
deux échelles de rémission donnant lieu à un score catégoriel (PANSS : absence ou
présence de la rémission symptomatique) et à un score numérique (ERFS),
-
ainsi que deux échelles de rétablissement, également une catégorielle (STORI : 5
étapes) et une numérique (RAS).
Les comparaisons ont été réalisées à partir d’analyses de variance ANOVA permettant
d’établir l’existence d’un lien de convergence ou d’absence de convergence entre les échelles
catégorielles et les échelles numériques pour chaque dimension (rémission, rétablissement).
117
Nous avons également eu recours à des techniques de régression linéaire afin d’évaluer dans
quelle mesure une échelle pouvait être prédictible d’une autre.
III.2 Analyse de contenu des entretiens
Plus que toute autre méthodologie de recherche, l’entretien permet d’avoir accès aux
représentations subjectives des interviewés (Blanchet, 1991). L’analyse qualitative des
entretiens de recherche clinique requiert une grande rigueur afin de tendre vers une certaine
« standardisation » des données recueillies (Ghiglione et Blanchet, 1991). Il s’agit d’aller plus
loin que l’intuition clinique, qui à elle seule ne peut répertorier les figures rhétoriques d’un
discours, repérer les particularités d’un langage, spécifier les modes de raisonnement, mettre
en relief infailliblement la scansion et les ruptures d’un entretien (Chiland, 1997). Dans cette
perspective, l’on peut « inférer » de l’analyse d’un entretien des enseignements sur le sujet qui
dépassent la particularité de la rencontre : l’analyse tend à être « structurale » pour échapper à
la contingence de l’entretien (ibid.).
L’analyse de contenu est orientée par notre guide et ses trois thèmes : après avoir retranscrit
l’ensemble des entretiens, nous avons procédé au découpage du texte, puis au regroupement
thématique des énoncés. A partir de productions langagières singulières, nous avons ainsi
tenté de discriminer des « unités de sens », de mettre en évidence certaines ressemblances
dans l’expérience vécue du processus de rétablissement.
Néanmoins, nous n’omettons guère que toute analyse qualitative met en jeu le désir propre du
chercheur et, dans le cas de notre travail, son expérience clinique. Comme le rappelle
Devereux (1980), le contre-transfert du chercheur sur son matériau existe nécessairement.
C’est pourquoi, pour renforcer une analyse méthodique, nous avons eu recours au logiciel
d’analyse Iramuteq développé par Ratinaud (2009) et qui reproduit la méthode de
classification lexicale décrite par Reinert (Alceste : Analyse lexicale par Contexte d’un
Ensemble de Segments de Texte, 1986).
Cet outil apporte un éclairage sur les faits statistiques du corpus des entretiens. Le logiciel
repère en effet des classes de discours en fonction de la distribution du vocabulaire présent
dans ces unités. Le logiciel est fondé sur une analyse statistique distributionnelle. Autrement
dit, il relie les contextes qui ont des mots communs. Il donne ainsi une cohérence au corpus
118
analysé en effectuant des regroupements discursifs. Cette méthode repose sur le postulat
psycholinguistique selon lequel les structures sémantiques sont liées à la distribution des
mots dans le texte et que cette distribution n’est pas attribuable au hasard.
Cet outil a ainsi constitué une aide à la lecture et à la systématisation de nos données, leur
interprétation relevant ensuite de notre analyse propre et demandant des retours fréquents aux
énoncés du corpus général. Cependant, tendre vers une structuration des données qualitatives
ne signifie guère noyer leurs variations singulières. Nous illustrerons ainsi ces dernières à
travers l’analyse de cas particuliers.
119
CHAPITRE III - ANALYSE DES ÉCHELLES CLINIQUES
DE RÉMISSION ET DE RÉTABLISSEMENT
Dans cette première partie de notre étude, nous souhaitons étudier le lien existant entre
l’évolution symptomatique, l’évolution fonctionnelle et l’évolution expérientielle chez les
mêmes 26 sujets de notre échantillon.
Il s’agit, par là-même, de mieux comprendre les rapports existants entre - d’un côté le
rétablissement clinique, objectif, scientifique - et de l’autre le rétablissement expérientiel,
subjectif, personnel.
-
Le rétablissement clinique est sous-tendu par la présence de rémission symptomatique
attestée par la PANSS et un score élevé de rémission fonctionnelle évaluée par
l’intermédiaire de l’échelle ERFS.
-
L’avancée dans le processus de rétablissement est supposée être à la mesure des scores
obtenus à l’échelle RAS (un score élevé signant un processus avancé) et de l’étape
définie par l’échelle STORI (l’étape 5 étant la plus élevée).
Dans un premier temps, nous présenterons les résultats statistiques permettant d’attester d’une
convergence – ou d’une absence de convergence – entre les différentes échelles cliniques de
rémission et de rétablissement.
Nous réaliserons ensuite une brève synthèse des résultats de cette étude.
Nous discuterons enfin de ces différents résultats, à la lumière des attentes que nous avions
formulées, et des données de la littérature actuelle sur les rapports entre les différentes
modalités évolutives de la schizophrénie.
Ces réflexions seront mises en perspective avec les résultats de la partie qualitative de notre
étude au sein de la discussion générale de notre travail.
120
I. Résultats des analyses statistiques
Les rapports statistiques entre les résultats aux échelles de rémission et de rétablissement sont
présentés ci-dessous.
I.1 Étude du rapport entre la rémission symptomatique et la rémission
fonctionnelle
Nous n’observons pas de relation significative entre la rémission symptomatique (attestée par
les scores obtenus à la PANSS) et l’échelle numérique de rémission fonctionnelle (ERFS) :
F(1,24) = 1,08, p = 0,3 [Absence, m = 69,83, Présence, m = 71.15].
Ces résultats sont représentés au sein du graphique 1 ci-dessous.
80
75
70
65
55
60
Echelle de rémission fonctionnelle
85
90
Indépendance des rémissions symptomatique et fonctionnelle
présence
absence
Rémission symptomatique
Graphique 1 : Indépendance entre la rémission symptomatique attestée par la PANSS et les
scores obtenus à l’échelle de rémission fonctionnelle ERFS.
121
I.2 Étude du rapport entre l’échelle numérique de rétablissement et l’échelle
catégorielle de rétablissement
a.
Nous observons un effet de convergence significatif entre les scores obtenus à l’échelle
numérique de rétablissement (RAS) et les étapes définies par l’échelle catégorielle de
rétablissement (STORI) :
La régression linéaire montre un effet significatif (valeur estimée = 13.479, t = 5.377
p < 0.0001, R carré ajusté = 0.53)
Ces résultats sont représentés au sein du graphique 2 ci-dessous.
180
160
140
120
Echelle numérique de rétablissement
200
Convergence entre les échelles de rétablissement
1
2
3
4
5
Les cinq étapes du rétablissement
Graphique 2 : Convergence entre les scores obtenus à l’échelle numérique de rétablissement
RAS et les cinq étapes du rétablissement définies par l’échelle STORI.
122
Un effet des étapes de rétablissement réduites à trois catégories permettant un équilibrage
de l’échantillon : F(2,23) = 12.96, p = 0.0001 [Etape 1-2 : m = 132, Etape 3-4 : m =
148.9, Etape 5 : m = 174].
La comparaison par paire de Bonferroni montre que la différence est significative entre
les étapes 1-2 et 5 (p = 0,0001) entre les étapes 3-4 et 5 (p = 0,02) et non significative
entre les étapes 1-2 et 2-4.
Ces résultats sont représentés au sein du graphique 3 ci-dessous :
Différence entre 3 étapes de rétablissement
200
180
Echelle de rétablissement
b.
160
140
120
1
2
3
Etapes de rétablissement
Graphique 3 : Etapes de rétablissement à l’échelle STORI réduites à 3 catégories :
1 = [1-2] ; 2 = [3-4] ; 3 = [5]
123
I.3 Étude du rapport entre les échelles de rémission et les échelles de
rétablissement
Étude du rapport entre la rémission symptomatique et l’échelle numérique de
rétablissement.
Nous n’observons pas de relation significative entre la rémission symptomatique (attestée
par les scores obtenus à la PANSS) et les scores obtenus à l’échelle numérique de
rétablissement (RAS) : F(1.24) = 1.08, p = 0.3 [Absence, m = 148, Présence, m =
159.25].
Ces résultats sont représentés au sein du graphique 4 ci-dessous :
Disjonction entre la rémision et le rétablissement
200
Echelle numérique de rétablissement
a.
180
160
140
120
absence
présence
Rémission symptomatique
Graphique 4 : Disjonction entre la rémission symptomatique attestée par la PANSS et les
scores obtenus à l’échelle numérique de rétablissement RAS.
124
Étude du rapport entre la rémission fonctionnelle et l’échelle numérique de
rétablissement
Nous n’observons pas de relation significative entre l’échelle numérique de rémission
fonctionnelle (ERFS) et l’échelle numérique de rétablissement (RAS) : Adjusted Rsquared: 0.002562, F(1,24) = 1.064, p = 0.3125.
Ces résultats sont représentés au sein du graphique 5 ci-dessous :
Disjonction entre la rémision et le rétablissement
90
Echelle numérique de rémission fonctionnelle
b.
85
80
75
70
65
60
55
120
140
160
180
200
Echelle numérique de rétablissement
Graphique 5 : Disjonction entre les scores obtenus à l’échelle numérique de rémission
fonctionnelle ERFS et les scores obtenus à l’échelle numérique de rétablissement RAS.
125
Étude du rapport entre la rémission fonctionnelle et les étapes de rétablissement
Nous n’observons pas de relation significative entre et les scores obtenus à l’échelle
numérique de rémission fonctionnelle (ERFS) les étapes de rétablissement réduites à 3
catégories (STORI) : F(2,23) = 0.58, p = 0.6 [Etape 1-2 : m = 68, Etape 3-4 : m = 71.2,
Etape 5 : m = 72.1].
Ces résultats sont représentés au sein du graphique 6 ci-dessous :
Disjonction entre la rémission et le rétablissement
Echelle numérique de rémission fonctionnelle
c.
90
85
80
75
70
65
60
55
1
2
3
Trois étapes de rétablissement
Graphique 6 : Disjonction entre les scores obtenus à l’échelle numérique de rémission
fonctionnelle ERFS et les trois étapes de rétablissement (après réduction) de l’échelle
catégorielle STORI
126
II. Synthèse des résultats
A l’issue des analyses statistiques permettant d’étudier les rapports entre les scores obtenus
par les 26 sujets de notre étude aux échelles de rémission symptomatique, de rémission
fonctionnelle et de rétablissement expérientiel (numérique et catégoriel), nous retiendrons les
résultats ci-après :

Il existe une convergence entre les résultats obtenus aux deux échelles de
rétablissement : l’échelle numérique (RAS) et l’échelle catégorielle (STORI).
Les traitements statistiques permettent d’établir un équilibrage de l’échantillon en
réduisant les 5 étapes initiales de l’échelle STORI en 3 nouvelles étapes :
Etape 1 = [1-2] ; Etape 2 = [3-4] ; Etape 3 = [5].

Il n’y a pas de convergence entre la rémission symptomatique (attestée par la PANSS)
et les scores obtenus à l’échelle de rémission fonctionnelle (ERFS).
 La rémission symptomatique et la rémission fonctionnelle apparaissent indépendantes
au vu des résultats de notre étude.

Il n’y a pas de convergence entre la rémission symptomatique (attestée par la PANSS)
et les scores de rétablissement (RAS).
Il n’y a pas de convergence entre les scores de rémission fonctionnelle (ERFS) et les
scores de rétablissement (RAS)
Il n’y a pas de convergence entre les scores de rémission fonctionnelle (ERFS) et les
étapes réduites à trois catégories de rétablissement (STORI)
 Les résultats de notre étude vont ainsi dans le sens d’une disjonction entre la rémission
symptomatique, dans ses aspects symptomatique comme fonctionnelle, et le
rétablissement expérientiel.
Au total, aucune échelle n’apparaît prédictible d’une autre, excepté les deux échelles de
rétablissement.
127
III. Discussion des résultats
Nous allons à présent discuter des principales implications des résultats de cette première
partie de notre étude.
Notre discussion sera organisée autour de l’absence de relation observée entre les échelles
cliniques de rémission et de rétablissement. Ce constat nous donne en effet à penser, dans une
plus large perspective, la nature des liens existants entre les différentes modalités évolutives –
et thérapeutiques – de la schizophrénie.
Nous employons le terme « d’indépendance » pour caractériser l’absence de relation entre les
mesures d’une même dimension, à savoir celle de la rémission dans ses aspects
symptomatiques et fonctionnels, et le terme de « disjonction » dès lors qu’il s’agit de qualifier
l’absence de relation entre la rémission et le rétablissement.
En ce qui concerne la corrélation observée entre les scores de l’échelle numérique RAS et les
étapes de rétablissement définies par la STORI, ces résultats vont dans le sens des études de
validation des outils (Cavelti et al., 2012).
La redéfinition de trois étapes de rétablissement, après réduction statistique, constitue une
voie d’analyse intéressante pour la seconde partie de notre étude, davantage qualitative.
III.1 L’indépendance entre la rémission symptomatique et la rémission
fonctionnelle
La question des rapports entre l’évolution symptomatique et l’évolution fonctionnelle de la
schizophrénie a fait l’objet, ces vingt dernières années, d’une multitude de travaux, dont les
résultats apparaissent souvent divergents. Cette hétérogénéité nous semble tenir, dans une
large mesure, à l’évolution de notre compréhension des « répercussions fonctionnelles »
(functional outcomes) du trouble et des critères qui les sous-tendent.
Dans les suites de l’opérationnalisation du concept de rémission (Andreasen et al., 2005), bon
nombre de recherches viennent attester d’une corrélation entre l’amélioration des symptômes
du trouble et l’amélioration du fonctionnement du patient (Van Os et al., 2006 ; De Hert et al.,
128
2007 ; Bodén et al., 2009 ; Helldin et al., 2009). Cela n’a - a priori - rien d’étonnant, dans la
mesure où la gravité de la symptomatologie est nécessairement évaluée en référence à ses
répercussions « visibles » sur l’attitude du patient. Précisons en outre que la définition des
critères de rémission tient compte du bon fonctionnement global des sujets, et cela en dépit
parfois de la persistance de symptômes modérés (Andreasen et al., 2005).
Les résultats de notre recherche, montrant une indépendance entre la rémission
symptomatique et la rémission fonctionnelle, peuvent dès lors sembler en inadéquation avec
ce qui, en dehors des données scientifiques, relèverait du « bon sens clinique ».
Mais cela est sans compter les résultats (déjà évoqués au sein de notre revue de question) des
études venant infirmer cette nécessaire corrélation entre la rémission des symptômes et
l’amélioration du fonctionnement (Albert et al., 2011) ; lien causal s’avérant dès lors être un
préjugé (Pachoud, 2009).
La rémission symptomatique semble davantage refléter « l’évolution clinique globale » du
patient, et ainsi la gravité de la pathologie (ibid.), que des dimensions plus spécifiques, prises
en compte notamment par l’échelle de rémission fonctionnelle que nous avons employée
(ERFS, Llorca et al., 2009), telles que la réinsertion socio-professionnelle ou la qualité de la
vie relationnelle des sujets. Andreasen (2005) évoquait par ailleurs déjà la nécessité
d’approfondir nos connaissances relatives à l’évolution fonctionnelle du trouble en admettant
que cette dernière ne pouvait être uniquement rattachée à l’évolution des symptômes.
La conceptualisation de la « rémission fonctionnelle » (Harvey et Bellack, 2009) témoigne par
elle-même d’une volonté de se défaire de cet amalgame, bien que ce concept ne fasse pas
encore aujourd’hui l’objet d’une définition consensuelle internationale.
III.2 La disjonction entre la rémission symptomatique et le rétablissement
expérientiel
Nous l’avons montré à travers notre revue de la littérature, le rétablissement expérientiel
constitue une modalité évolutive de la schizophrénie centrée sur des déterminants subjectifs,
personnels, tels que l’espoir, l’autodétermination, la redéfinition d’un sens de soi.
129
L’absence de corrélation ici observée entre la rémission symptomatique et les résultats aux
échelles de rétablissement (la RAS comme la STORI) va dans le sens d’un grand nombre
d’études, essentiellement qualitatives, montrant que le processus de rétablissement peut se
déployer malgré la persistance des symptômes du trouble (Davidson, 2003 ; Resnick et al.,
2004 ; Davidson et al., 2007 ; Silverstein et Bellack, 2008). Nous avons vu en effet que - plus
que la disparition des symptômes - les personnes en rétablissement évoquent l’importance
d’un changement d’attitude vis-à-vis de ces symptômes. La seconde partie de notre étude,
centrée sur la description du vécu des personnes atteintes de schizophrénie, nous permettra
d’approfondir cette nuance qui se révèle d’une grande importance.
De manière plus proche de notre dispositif de recherche, Cavelti et ses collaborateurs (2011)
ont montré au sein d’une méta-analyse que l’échelle RAS n’était pas forcément corrélée aux
échelles symptomatiques (BPRS29), mesures réalisées auprès de larges échantillons de patients
et au niveau international (Etats-Unis, Australie, Japon).
Ces résultats confirment le caractère partiel de la rémission dans la mesure où cette dernière
exclut l’évaluation d’un bon nombre de dimensions individuelles (Trémine, 2007). Cette
absence de considération de facteurs subjectifs va de pair avec la pratique exclusivement
hétéro-évaluative associée à la rémission (cf. PANSS) et plus généralement, à l’évaluation
clinique du trouble.
L’évolution positive de la schizophrénie ne peut ainsi se résumer à l’amélioration
symptomatique attestée par un professionnel de santé. Ce constat représente l’argument fort
en faveur du paradigme du rétablissement expérientiel dans la schizophrénie.
III.3 La disjonction entre la rémission fonctionnelle et le rétablissement
expérientiel
La disjonction observée au sein de notre étude entre les scores de rémission fonctionnelle et
les résultats aux échelles de rétablissement expérientiel appelle une réflexion toute particulière
puisqu’elle apparaît, a priori, à l’encontre de nos attentes.
29
Brief Psychiatric Rating Scale
130
Nous soutenions en effet l’hypothèse selon laquelle l’évolution fonctionnelle pourrait, en
partie au moins, être davantage expliquée par des facteurs subjectifs que par le facteur
symptomatique.
Une piste d’analyse de nos résultats consisterait à envisager la rémission fonctionnelle, telle
qu’évaluée par l’ERFS, comme un concept trop éloigné de la réalité subjective des patients,
pourtant indissociable d’une juste compréhension de ce que recouvrent « les répercussions
fonctionnelles ». N’est-il pas question, à travers cette expression, de mieux considérer les
incidences du trouble sur le fonctionnement de la personne et, in fine, pour la personne ?
L’échelle ERFS de rémission fonctionnelle (Llorca et al., 2009) comporte, certes, certaines
dimensions renvoyant à la vie personnelle, telle que la qualité de l’adaptation ou de la vie
relationnelle, mais ces dernières nous semblent toujours constituées en référence à une vision
trop normative. Les critères de bon fonctionnement (e.g. présence d’une activité
professionnelle, d’une vie amoureuse) se réfèrent à un « idéal type » occultant tout élément
qui relèverait des représentations subjectives et des attentes personnelles des sujets. Cette
référence à la norme situe le « bon fonctionnement » du côté d’une récupération d’habiletés
socialement et culturellement définies.
En outre, bien qu’il soit spécifié dans la consigne de l’échelle ERFS que l’évaluation puisse
être réalisée en concertation avec le patient et son entourage, le clinicien demeure le principal
« décisionnaire ». La qualité du fonctionnement du sujet fait ici l’objet – et d’une manière
générale en ce qui concerne les échelles existantes30 – d’une hétéro-évaluation quantitative.
Ces modalités évaluatives contrastent ainsi avec celles propres au rétablissement expérientiel.
En effet, bien que les échelles RAS et STORI donnent lieu à une forme de quantification (score
ou étape), rappelons que leurs items ont été constitués sur la base d’études qualitatives. En
outre – et cet aspect nous semble primordial – ces échelles s’inscrivent dans une pratique
auto-évaluative.
Il semblerait dès lors, au vu de nos résultats, que le rétablissement expérientiel ne suive pas la
même trajectoire évolutive que la dimension fonctionnelle telle que définie par le concept de
« rémission ».
30
Citons, à titre d’exemple, l’échelle EGF d’évaluation du fonctionnement global du DSM IV (GAF : Global
Assessment of Functioning scale).
131
III.4 La disjonction entre le rétablissement clinique et le rétablissement
expérientiel
L’absence de relation observée entre les modalités évolutives symptomatique, fonctionnelle et
expérientielle de la schizophrénie situe nos propos en faveur d’une considération
multidimensionnelle de l’évolution du trouble.
Précisons que cette disjonction n’est pas synonyme d’opposition. Nos résultats font état d’une
absence de rapport de nécessité entre ces trois modalités évolutives, mais n’excluent pas
l’existence de liens contingents, d’intrications complexes, qu’il s’agirait de préciser dans des
recherches futures.
Cette relative autonomie vient asseoir la légitimité de chacune de ces modalités évolutives.
Puisque la rémission symptomatique ne suffit pas à elle seule à expliquer la rémission
fonctionnelle, il apparaît pertinent d’associer ces deux dimensions dans la définition du
rétablissement en termes de résultat (rétablissement médical, scientifique, Liberman et al.,
2002). De la même manière, puisque le rétablissement expérientiel n’est pas superposable à la
rémission symptomatique et à la rémission fonctionnelle (et ainsi au rétablissement médical),
il s’avère nécessaire de considérer l’existence, en propre, de la réalité que recouvre ce
concept. En ce sens, la considération du rétablissement expérientiel en tant que nouveau
paradigme évolutif apparaît tout à fait fondée.
La complémentarité ainsi supposée de ces trois dimensions nous amène logiquement à prôner
une attitude multiréférentielle, dont la pertinence n’est plus à démontrer dans le champ des
sciences humaines. Il s’agirait d’élargir notre champ de vision de la schizophrénie en
considérant l’atténuation du trouble et de ses conséquences visibles comme un plan
particulier, partiel, en arrière duquel demeure l’évolution plus globale de la personne.
Dans cette optique, Lieberman et ses collaborateurs (2008) préconisent la considération de
plusieurs « formes de rétablissements », où l’une ne serait pas pensée de manière
concurrentielle à l’autre.
Malgré le relatif consensus dont fait l’objet ce type de discours, force est de constater, dans ce
contexte actuel où le soin psychique demeure dominé par une approche quantitative, que les
déterminants subjectifs de l’évolution de la schizophrénie tendent à être éludés.
132
Il ne s’agit pas de négliger l’importance des pratiques évaluatives et des concepts
opérationnels, mais bien d’envisager leur plus grande ouverture aux variations singulières,
davantage appréhendées par une approche qualitative.
A titre d’exemple, il nous semble que les outils de mesure, concernant l’évolution de la
schizophrénie en particulier, pourraient s’enrichir de modalités de prise en compte du vécu
des personnes, en proposant un aspect auto-évaluatif. Les échelles d’évaluation de la
symptomatologie ou du retentissement fonctionnel gagneraient à se voir compléter selon des
regards croisés. Ainsi, la prise en compte du trouble ne serait pas dissociée de son impact sur
le vécu de la personne.
Ceci constitue une piste de réflexion permettant de favoriser la considération du paradigme du
rétablissement expérientiel dans nos pratiques cliniques et son adéquation avec une approche
dite « scientifique ».
L’assise paradigmatique du rétablissement dans le champ de la santé mentale requière ainsi
des transformations théorico-cliniques que nous approfondirons, enrichis du vécu expérientiel
des sujets de notre étude, au sein de la discussion générale.
133
CHAPITRE IV : ANALYSE DESCRIPTIVE DES ENTRETIENS
SEMI-DIRECTIFS DE RECHERCHE
Notre analyse de contenu des 26 entretiens semi-directifs de recherche s’appuie sur les classes
de discours isolées par la méthode Alceste.
Rappelons que cet outil nous aide à tendre vers une certaine « standardisation » de nos
données, mais ne peut à lui seul satisfaire notre analyse qualitative. C’est pourquoi, nous
privilégierons de fréquents retours aux énoncés des corpus des entretiens.
La présentation de nos résultats se décline selon les quatre thèmes de nos entretiens, puis des
différentes classes de discours définies en leur sein.
Afin d’alléger la lecture de ces résultats, l’ensemble des termes identifiés par le logiciel
comme étant les plus significatifs d’une classe de discours, ainsi que les khi 2 associés, sont
consultables en Annexe XII (p. 309, Tome II). Nous avons retenu pour notre analyse les
termes qui comportent un degré de significativité élevé (khi 2 ≥ 8). Ces mots sont indiqués en
gras dans le corps de notre texte. Nous illustrons leur contexte d’apparition par des citations
des sujets.
Nous faisons apparaître, au sein des tableaux de l’Annexe XII, les sujets les plus représentatifs
des classes de discours (le cas échéant). Cette variable sera discutée lorsqu’elle nous semble
mettre en lien de manière signifiante certaines descriptions avec une étape particulière du
processus du rétablissement (définie par les réponses à l’échelle STORI après réduction
statistique [i.e., trois catégories]).
134
I. Analyse de contenu du Thème 1
Rapport aux troubles : perspective historique
L’analyse Alceste de notre premier thème fait apparaître quatre classes de discours. Le corpus
comporte 816 UCE dont 584 ont été prises en compte dans l’analyse (71.57% des UCE
totales).
I.1 Première classe de discours
La première classe identifiée par le logiciel comprend 12.5% des UCE classées. Les mots les
plus significatifs la caractérisant et les Khi2 associés sont présentés dans le tableau 1 de
l’Annexe XII.
I.1.1. Analyse descriptive
Trois univers sémantiques se dégagent de cette classe de discours.
Le premier univers est centré sur la vie familiale : « mère », « maison », « grand-père »,
« marier », « père », « enfance », « femme », « enfant », « famille ».
La famille est tout d’abord évoquée comme l’espace d’éclosion de la maladie : « Ma première
crise, je sais que c’était en dormant, j’étais chez ma mère » ; « Je m’étais renfermé sur moimême, je ne bougeais pas de la maison » ; « J’ai cru que dans l’appartement de mon père on
découpait la dalle de béton du plafond pour la faire tomber sur nous ».
De ce fait, les relations familiales sont souvent associées à la première dimension impactée
par l’apparition des troubles : « Il y a la relation avec mon père qui s’est dégradée d’un coup
d’un seul » ; « Aujourd’hui, avec du recul, ce qui m’a le plus gêné, c’était le regard de ma
famille » ; « C’est vrai que c’est difficile d’élever un enfant quand on a des angoisses comme
ça ».
Les verbes d’action (« revenir », « venir », « appeler », « recevoir », « rapprocher »), très
présents au sein de cette classe de discours, témoignent d’une démarche active adoptée face à
135
l’avènement de la maladie. L’activité est presque systématiquement décrite en direction ou en
émanation de ce même entourage familial. La majorité des sujets de notre étude souligne ainsi
le rôle décisif de leur proche au moment de l’entrée dans la maladie.
La famille est à la fois présentée comme refuge (« Je n’étais vraiment pas bien, j’ai pris le
train pour aller voir ma famille la plus proche »), espace privilégié de parole (« J’ai appelé
mes parents et j’ai pleuré pendant 20 minutes »), mais aussi comme décisionnaire des
soins (« Ce sont mes parents qui m’ont fait hospitaliser »). L’entourage se substitue
fréquemment à la personne, alors envahie par les troubles, pour agir, parfois même de manière
autoritaire : « Ma compagne à l’époque, elle sentait que ça n’allait pas, elle appelait S.
(hôpital) et on venait me chercher » ; « Mon frère et mon père m’ont dit : “tu dois quitter la
maison et revenir dans l’appartement” ».
À l’inverse, certains sujets apparaissent douloureusement marqués par l’absence, le défaut
d’assistance ou les attitudes d’incompréhension voire de rejet de leurs proches : « Ma mère ne
m’ouvrait pas sa porte » ; « Ils ne supportaient pas de me voir comme ça, ma famille a
vraiment coupé tous les ponts pendant au moins une dizaine d’années » ; « Je suis
SDF pendant deux ans et demi et ma mère me dit : “je ne peux pas te recevoir, tu ne peux
pas rester à la maison” » ; « Mes parents ne sont pas du tout intervenus » ; « J’étais
tellement malade que ma famille me disait : “non, tu ne viens pas à la maison, parce que tu
nous racontes n’importe quoi” ».
Le second univers qui se dégage de cette classe de discours est centré sur le registre du
mortifère, de la violence, de la terreur et du désarroi : « suicide », « suicider », « mourir »,
« horrible », « violent », « agresser », « cauchemar ».
Ce registre caractérise le vécu de l’entrée dans la maladie. Le caractère hyperbolique des
termes employés témoigne de l’implication émotionnelle des sujets au moment de la
description de cette période de leur existence : « J’avais une vie cauchemardesque » ;
« J’osais plus sortir matin et soir, ça a vraiment été des années horribles ».
Notons que ces vécus de terreur sont particulièrement bien situés dans le temps et dans
l’espace, renvoyant ainsi à des souvenirs parfois décrits avec grande précision : « C’est ce
136
fameux canapé en cuir dans lequel j’ai vécu des moments horribles, tout seul, c’est là que ça
m’a vraiment le plus marqué ».
La souffrance et la peur sont telles qu’elles viennent bouleverser l’état de conscience des
sujets et créer ainsi une rupture dans leur existence : « J’avais comme des idées noires,
comme si je vivais un cauchemar » ; « On est dans un cauchemar, on se dit “ qu’est-ce qui se
passe ?” C’est effrayant ! ». Le vécu d’étrangeté à soi est alors associé à une angoisse de mort
imminente : « J’entendais des craquements dans ma tête, je suis allé voir ma mère et je lui ai
dit : « je vais mourir ! » ; « J’étais complètement à l’Ouest, j’avais l’impression de mourir
sans mourir parce que mon cœur s’est pas arrêté de battre » ; « On n’est plus maître de soi et
à tout moment on peut se suicider sans s’en rendre compte ».
L’état de mort simulé ou redouté en vient même parfois à être désiré, tant la souffrance liée à
la maladie – et à ses conséquences perçues sur le plan existentiel – devient intolérable : « J’ai
essayé de tout oublier par la mort, par le suicide » ; « À 21 ans, j’ai voulu mourir parce que
ma vie était ratée ».
Le mortifère des premiers temps de la maladie coexiste avec un climat d’agitation et de
violence. Ce champ lexical caractérise en premier lieu la brutalité du vécu des sujets : « Ça ne
marchait pas très bien et ça a commencé à devenir très violent, le fait que je n’aille pas vers
les autres ». La violence en acte (« J’étais très énervé, j’étais très violent, j’ai cassé des
tables et des meubles ») est néanmoins plus fréquemment évoquée en référence à un statut de
victime. Ce statut est soit associé à des éléments du réel (« Je me suis fait agresser par des
jeunes du quartier juste en bas de chez moi » ; « À l’époque mon père était violent avec
moi »), soit à des angoisses délirantes : « Tout mouvement inopportun ou nerveux de personne
étrangère me faisait croire qu’on aller m’agresser » ; « J’ai cru voir Einstein et sa femme au
bord de la fenêtre qui allaient m’agresser personnellement »).
Notons enfin que les souvenirs d’enfance sont fréquemment évoqués au sein de ce premier
thème de notre entretien. Ces derniers sont associés au contexte d’apparition des tout premiers
signes de la maladie : « J’avais des obsessions suicidaires dans la tête, à cette époque j’avais
peut-être trois-quatre ans, les premiers souvenirs d’enfant » ; « Pour moi, la maladie a
débuté dans la plus tendre enfance ». Certains sujets attribuent même certaines angoisses de
137
leur enfance à des formes de prémonitions, annonciatrices du trouble : « Je faisais certains
rêves prémonitoires avant 2002, c’était un cauchemar qui se répétait souvent pendant mon
enfance ».
I.1.2. Synthèse
Cette classe de discours et ses différents univers témoignent de l’impact brutal, voire
destructeur, de l’apparition de la maladie sur l’existence et les relations familiales des sujets.
En outre, elle caractérise la primauté du rôle de la famille à ce moment du parcours des
sujets ; son absence, son rejet ou son incompréhension sont de ce fait – le cas échéant –
particulièrement marquants et douloureux.
La remémoration de ces souvenirs témoigne ainsi du choc potentiellement traumatique
provoqué par les manifestations du trouble. Les verbalisations des sujets de notre étude autour
des premiers temps de la maladie dénotent une forte implication émotionnelle. Cet
engagement affectif coexiste néanmoins avec une aptitude de décentration et de
reconstruction historisée de leur trouble. Les souvenirs d’enfance nous semblent notamment
convoqués afin de resituer l’avènement de la maladie dans une continuité existentielle. En
effet, un certain nombre de sujets attribuent rétrospectivement les premiers signes du trouble à
la période de l’enfance.
Mettre en lien l’histoire des troubles avec l’histoire de vie nous semble participer à leur mise
en sens et ainsi à la restauration d’une trajectoire de vie continue.
I.2 Seconde classe de discours
La seconde classe identifiée par Alceste comprend 31.85% des UCE classées. Il s’agit de la
classe la plus conséquente de notre premier thème. Les mots les plus significatifs la
caractérisant et les Khi2 associés sont consultables au sein du tableau 2 en Annexe XII.
138
I.2.1. Analyse descriptive
Cette classe est centrée sur les circonstances de l’annonce diagnostique et retrace l’évolution
du vécu de cette annonce ainsi que du processus de l’accès à la conscience des troubles des
sujets.
Notons tout d’abord que la quasi-totalité des sujets de notre étude évoque le diagnostic de
schizophrénie (ou une de ses formes cliniques), comme en témoigne la fréquence
d’occurrence élevée de ce terme : « Elle m’a dit “c’est la schizophrénie” ; « On m’a dit
“schizophrénie paranoïde”, mais chaque cas est différent » ; « Le diagnostic posé est trouble
schizo-affectif ». Cette récurrence s’explique par les critères d’inclusion des sujets de notre
étude ainsi que la consigne de l’entretien (e.g. « Quel diagnostic a été posé ? ») mais dénote
tout de même une certaine aisance des sujets à communiquer ce terme.
Le médecin est placé en première ligne lorsqu’il s’agit d’évoquer les circonstances de cette
annonce (« La seule personne qui m’ait donné un diagnostic, c’était le médecin de S. ») alors
que le terme de « psychiatre » est davantage convoqué en référence à la délivrance
d’informations plus spécialisées : « Le diagnostic a été posé en 1993 par mon médecin
généraliste qui m’a conseillé d’aller voir un psychiatre qui a détecté que mon taux de
dopamine était fluctuant souvent en excès ».
Les termes « question » et « comprendre » sont employés par les sujets pour évoquer leur
besoin, souvent spontané, de mise en sens de leur souffrance : « Je me pose des questions :
“mais qu’est-ce qui m’arrive ? Ce n’est pas normal ” […] » ; « J’ai cherché à comprendre
qu’est-ce que c’était : “mais qu’est-ce que c’est, qu’est-ce que c’est comme maladie ?” ».
La délivrance du diagnostic est ainsi vécue, pour certains, comme un soulagement car elle
vient apporter des éléments de réponse à des questionnements angoissants : « J’ai été soulagé
et heureux qu’elle pose un terme à mes souffrances » ; « Ça m’a rassuré de savoir dans un
sens ce que j’ai. C’est important, on se fait plein d’idées des fois ». La mise en mot de la
maladie permet de conférer un sens aux manifestations les plus étranges des troubles : « Je
suis allé voir le psychiatre et je lui ai dit “ j’ai Dieu dans ma tête, je ne sais pas qui me parle
mais j’ai des voix dans ma tête, il me dit des trucs de fou !” Et quand on m’a parlé de
schizophrénie, ça voulait dire que j’étais malade ». L’identification de la souffrance confère
139
à cette dernière un caractère partageable et vient dès lors modérer un sentiment angoissant
d’altérité : « Ça m'a rassuré en quelque sorte, je me suis dit : "ça existe, vraiment, y a pas
qu'à moi que ça arrive quoi " » ; « on ne se sent plus seul, on se sent soutenu et compris par
quelqu’un ».
Néanmoins, huit sujets de notre étude expriment un sentiment d’insatisfaction quant à la
manière dont le diagnostic de schizophrénie leur a été annoncé. Soit est déploré le caractère
tardif de cette annonce (« C’était longtemps après la première hospitalisation, des années
après qu’on m’a parlé de schizophrénie, depuis 5 ans alors que cela fait 12 ans que je suis
suivie ».), soit le défaut d’information accompagnant ou faisant suite à cette dernière (« J’ai
mis très longtemps à savoir ce que c’était le diagnostic de schizophrénie, on est très mal
informé […] je veux dire, y’a pas un médecin qui m’ait dit : “dans la schizophrénie, c’est
clair…” »). Les sujets expriment à ce titre un vécu fréquent d’incompréhension : « Elle m’a
dit “c’est la schizophrénie”, je ne me suis pas tout de suite reconnu ne sachant pas ce qu’il y
avait derrière » ; « Je ne comprenais pas trop ce que ça voulait dire, j’avais une vague idée
mais pas trop précise »).
De manière isolée, les circonstances de cette annonce apparaissent même être associées à un
véritable choc psychologique : « Ils étaient autour de moi, ça m’a marqué, tous les jours je
me souviens de cette scène-là, tous les jours. Ce matin j’y ai repensé. Tous les jours je me
souviens de cette scène-là. C’était le truc : le mec sur son lit, assis sur son lit. Je me rappelle,
il a balancé des trucs comme ça, des trucs de psychiatre : “il a ça, ça, ça, ça”. Il a dit, ça
c’était à la fin, “une petite schizophrénie”, mais depuis les symptômes je ne les ai jamais
demandés au médecin ». Il est ainsi possible que la réticence exprimée par cette personne à
connaître davantage la maladie soit en partie liée aux circonstances regrettables de cette
annonce. Quoi qu’il en soit, la distance vécue avec le « monde médical » est ici rendue très
clairement visible. Cette difficile alliance semble pouvoir être majorée par l’emploi de termes
médicaux jugés parfois trop compliqués : « Je me souviens de ça, il avait dit
“schizophrénie”, mais les autres mots ils étaient compliqués, je ne me souviens pas trop ».
Pour pallier cette incompréhension, certains sujets évoquent une démarche personnelle de
recherche d’information quant à la maladie, parfois même en amont de l’annonce
diagnostique : « J'étais allé voir pourquoi déjà ma tête elle craquait, parce que ça me faisait
140
peur, j'ai fait des recherches sur internet, et je suis tombé sur schizophrène, j'ai vu à peu près
le topo, j'ai fait bon… faut pas chercher midi à 14 heures ! » ; « J’ai pris des livres depuis
mais tellement tard… j’aurais dû le faire plus tôt, mais en même temps personne ne m’avait
fait passé le message ».
D’autres préconisent un rapport davantage symétrique dans la relation thérapeutique et ainsi
un partage progressif du savoir : « Une fois je disais à mon médecin : “ imaginez, vous avez
une voiture et vous l’apportez toute votre vie chez votre garagiste, sans rien y connaître à la
mécanique, eh ben je crois que vous me demandez de faire pareil avec un psychiatre, confier
son mal-être ou sa maladie à des thérapeutes sans se mettre le nez dans un livre ou autre, on
n’arrivera pas du tout à se soigner” » ; « Je regrette d’ailleurs de ne pas avoir entendu mon
diagnostic plus souvent pour faire le point, on a besoin de savoir nous-mêmes, j’aurais aimé
qu’on m’explique au-fur-et-à-mesure vous voyez ».
Outre un défaut d’information, les sujets rapprochent fréquemment leur incompréhension,
leur désaccord initial quant au diagnostic, ou - plus globalement - leur vécu difficile de cette
annonce, à la méconnaissance commune et aux représentations stigmatisantes associées à la
schizophrénie : « On entend souvent une dénaturation du concept par les médias, c’est poussé
à l’extrême et moi j’avais cette vision là au départ, c’est pour ça que quand on m’a
diagnostiqué une schizophrénie, au départ, j’avais du mal à comprendre ». L’expression
« dédoublement de personnalité » est souvent associée par les sujets qui évoquent leur
adhésion initiale à cette représentation commune : « La schizophrénie, on pense tous que
c’est un dédoublement de la personnalité » ; « Tout ce qu’on raconte c’est la folie et un
dédoublement de personnalité, c’est un peu dur ce qu’on entend ». Le pronom impersonnel
« on » dénote une mise à distance de ces croyances, parfois plus précoce et spontanée :
« Malgré ce qu’on peut voir à la télé, j’avais vite compris que schizophrénie, y’avait pas que
des malades déjantés »
Il est intéressant de noter que le terme de « schizophrène » est majoritairement employé par
les sujets de notre étude en référence aux représentations péjoratives du trouble, alors que le
terme de « schizophrénie » est associé au diagnostic reçu (comme nous l’avons vu
précédemment) : « On voit des schizophrènes à la télé » ; « C’est un terme qui est très laid
aux oreilles de la société. Psychopathe, schizophrène, tout cela c’est des termes parfois pour
141
insulter quelqu’un ». Cette distinction semble dénoter chez nos sujets une volonté de se
différencier de ces représentations stigmatisantes, voire de se dégager d’un statut de malade,
sous-tendu par le terme « schizophrène ».
Une note revendicative est perceptible dans les propos des sujets de notre étude. Ces derniers
déplorent la médiatisation faussée de la schizophrénie, comme l’exprime de manière
percutante cette patiente en mettant à jour les biais de raisonnement à l’œuvre dans la
construction des préjugés : « Ce n’est pas un très joli mot, très mal utilisé. Il y a encore deux
jours, un gars a mis un coup de pied à quelqu’un dans le métro, le gars est passé sous le train
donc on a dit qu’il était schizophrène. Je suis désolée, on ne dit pas de quelqu’un qui ne
mange pas de chocolat, c’est parce qu’il est diabétique ».
Aux-côtés des représentations associées au registre de la violence, les sujets évoquent les
croyances liées à l’incurabilité de la schizophrénie : « Les gens ne savent pas ce que c’est
enfin j’avais eu l’occasion de rencontrer plus jeune des “ schizophrènes ” entre guillemet et
je m’étais dit “ ils sont foutus ” ». Ainsi, outre le sentiment de honte (« Je n’en parlais pas
aux autres parce que c’est un peu honteux »), le diagnostic de schizophrénie semble véhiculer
une conception évolutive pessimiste, voire alarmiste, susceptible d’être intériorisée par les
sujets : « On m’a dit a 15 ans que j’avais une schizophrénie, mais je ne savais pas ce que
c’était, pour moi, c’était catastrophique ».
Notons à ce titre le sentiment de réassurance évoqué par un sujet de notre étude suite à la
transmission, par son médecin, en parallèle à l’annonce diagnostique, de l’idée selon laquelle
un rétablissement est possible dans la schizophrénie : « Le médecin que j'avais il m'a dit le
fond des choses en me disant que le rétablissement, c'est moi qui peux réussir à le faire, et
c'est pas certaine personne qui peut le faire à ma place. Quand elle m’a dit ça, je me suis dit
c’est pas tellement grave en quelque sorte, ça m’a rassuré ».
L’évolution du regard porté sur le diagnostic et – plus globalement - de l’insight est mise en
lien avec l’accès à une meilleure connaissance du trouble : « Mon avis sur le diagnostic a
évolué, je me suis renseigné déjà, les médecins m’en ont parlé au centre et puis il y a eu des
groupes d’information sur la maladie et les symptômes » ; « Au début, je ne savais pas du
142
tout, mais quand j’ai commencé à faire PACT31, avec tous les symptômes qui sont décrits, je
me suis reconnu, j’ai retrouvé la parano etc., je me suis reconnu ». Cette reconnaissance de la
dimension pathologique est parfois davantage attribuée à un processus d’identification à
autrui : « Je voyais des gens qui avaient les mêmes symptômes que moi, donc c’est là que j’ai
pris conscience, que j’ai compris le diagnostic posé par les médecins ».
Les termes « maintenant », « recul », « fur-et-à-mesure », « évoluer », renvoient à la
dimension temporelle du cheminement psychique des sujets. Ces derniers témoignent d’une
aptitude à penser le passé à partir du présent : « À l’époque je ne savais pas que c’étaient les
premiers troubles, avec le recul, je sais maintenant ce qui m’est arrivé » ; « Maintenant, je
peux faire le lien entre certaines angoisses et certains évènements de ma vie et même pour
mes voix, entre certaines voix et certaines manières de fonctionner ».
L’évocation par les sujets, bien contextualisée, de leurs résistances psychiques passées dénote
un assouplissement de ce fonctionnement défensif : « J’ai mis très longtemps à savoir ce qui
était de l’ordre du pathologique et du normal, et ça c’est très très dur » ; « “ T’es parano ! ”
Tout le monde me le disait, et moi je pensais qu’ils étaient tous contre moi alors qu’ils étaient
simplement en train de me dire qu’il fallait que je me soigne pour le problème que j’avais ».
Cette modification psychique, bien scandée dans le temps, est renforcée par l’emploi du mot
« vrai » qui vient marquer une faculté de discernement aujourd’hui retrouvée : « C’est vrai,
ça c’est le problème de la schizophrénie : je discutais avec la Vierge Marie et Jésus Christ » ;
« J’allais plutôt mal et c’est vrai que le travail des infirmières m’allait plutôt bien
finalement ».
Néanmoins, cette évolution psychique est restituée au sein d’une dynamique de progression :
« J’ai mieux compris au-fur-et-à-mesure où j’ai été suivie ». Les expériences douloureuses
de la maladie (hospitalisations, rechutes) sont aujourd’hui perçues comme participant à un
mieux-être : « Ces hospitalisations étaient très très difficiles mais je dirais maintenant
qu’elles étaient justifiées, j’en avais vraiment besoin, ça partait dans tous les sens, je me suis
laissé déborder et j’arrivais plus rien à contrôler » ; « les rechutes m’ont permis de
31
Psychose Aider Comprendre Traiter (PACT) est un support d’information quant au trouble schizophrénique
crée par un laboratoire pharmaceutique et actuellement fréquemment employé par les services de soin dans le
cadre des programmes de psychoéducation.
143
comprendre la maladie, de connaître les symptômes » ; « avec le recul, je suis d’accord avec
le diagnostic établi, je l’ai accepté plus tard et peut-être qu’il me fallait toutes ces
hospitalisations pour que j’en prenne conscience ».
I.2.2. Synthèse
Pour conclure sur l’analyse de cette seconde classe de discours centrée sur l’annonce
diagnostique et l’évolution de son vécu, la majorité des sujets de notre étude rapporte avoir
été, relativement tôt, dans une attitude de questionnement et de recherche de mise en sens de
leurs troubles. La quête de connaissance s’inscrit dans la rencontre intersubjective et se
conçoit dès lors comme une quête de reconnaissance.
Les sujets témoignent d’une aptitude réflexive, d’une capacité à faire tenir dans une même
synthèse la manière dont ils ont vécu un évènement et la modification dans leur rapport actuel
à ce vécu. Le sens conféré aux différentes expériences douloureuses (rechutes,
hospitalisations) et leur participation à un processus de croissance (conscience du trouble,
acceptation du traitement etc.) nous semble renvoyer au phénomène d’acceptation des
troubles. En effet, le sens attribué aux évènements passés revêt, à posteriori, un caractère de
nécessité : ainsi, les expériences négatives de la maladie sont comprises dans leur
participation à une évolution aujourd’hui considérée comme favorable.
I.3 Troisième classe de discours
La troisième classe identifiée par Alceste comprend 28.42% des UCE classées. Les mots les
plus significatifs la caractérisant et les Khi2 associés sont présentés au sein du tableau 3 de
l’Annexe XII.
I.3.1. Analyse descriptive
Cette classe se caractérise par l’emploi de termes renvoyant à une inscription spatiotemporelle de la maladie et des soins.
L’occurrence élevée des termes « jour » ; « mois » ; « pendant » ; « semaine » ; « heure » ;
« minute », témoigne d’un récit chronologiquement ancré.
144
Cette temporalisation caractérise en premier lieu le parcours de soins des sujets.
L’hospitalisation représente fréquemment l’évènement ponctuant ce parcours et organisant
ainsi la chronologie du récit : « Tous les six mois, je passais trois mois d’hospitalisation, j’ai
eu à peu près une dizaine d’hospitalisations, puis j’ai débuté une prise en charge à l’hôpital
de jour il y a deux ans » ; « J’ai eu une hospitalisation en 2004 de plusieurs mois puis après
en sortant j’ai arrêté mes médicaments et là j’ai eu une deuxième hospitalisation en 2005 et
une troisième hospitalisation en 2009 ».
L’emploi marqué de prépositions temporelles (« pendant » ; « après » ; « depuis ») renforce
cet effet de chronologisation et ainsi d’historisation du récit : « J’ai eu un appartement
thérapeutique pendant un an, ça a été vraiment super » ; « Je n’ai pas repris mes
médicaments et six mois après je suis retourné à l’hôpital pour faire une hospitalisation de
trois mois et demi » ; « je me suis trouvé à parler tout seul dans un café, à débiter des paroles
incohérentes et la police est venue me chercher en fin de journée et m’a emmené à l’hôpital et
le lendemain, on m’a hospitalisé en hôpital psychiatrique pendant plusieurs journées » ;
« J’ai arrêté de travailler, j’ai démissionné, et trois jours après je suis rentré à l’hôpital
parce que je faisais des crises tous les jours ».
Le terme « jour » est fréquemment employé par les sujets de notre étude en référence à leur
vécu délirant passé. Ces derniers insistent dès lors sur la quotidienneté de la souffrance vécue
: « J’ai eu l’impression qu’on me suivait tous les jours » ; « Je faisais un délire par jour,
donc je construisais très très vite » ; « Tous les jours, je me prosternais à l’église et pendant
ces deux ans, j’errais dans les rues ». Cet effet de répétition peut suggérer une empreinte
traumatique du souvenir évoqué.
En outre, l’inscription de leur expérience dans le temps confère aux sujets une perception
dynamique et contrastée de leur évolution dans la maladie. Certaines périodes de mal-être, ou
à l’inverse, de mieux-être, sont caractérisées : « Ça s’est passé très vite donc c’était une
période où j’étais mal dans ma peau » ; « Ça a commencé en avril 86, j’étais dans
l’enseignement à l’époque et il y a eu des périodes plus ou moins fortes, des périodes où
j’étais plutôt stable pendant cinq-six ans » ; « Côté psychiatrique, j’y suis resté juste six
mois, après six mois, ça s’est un petit peu amélioré mais je dois dire que depuis trois ans,
145
quatre ans et demi exactement, ça va de mois en mois de mieux en mieux » ; « Je n’allais pas
super bien et là depuis un an et demi ça va mieux, on peut dire que je suis stable ».
Outre cet aspect temporel, la contextualisation du parcours de soins des sujets est renforcée
par l’emploi régulier de noms propres de lieux et de personnes : « J’ai été suivi par le docteur
C pendant un an à l’hôpital de S à l’annexe psychiatrique » ; « J’habitais Paris à l’époque,
j’ai été hospitalisé à l’hôpital de S, j’y ai séjourné deux mois je crois, presque trois mois » ;
« J’avais aussi une consultation en CMP une fois par mois avec le docteur T, ensuite j’avais
des injections deux fois par semaine avec des infirmières à domicile ».
I.3.2. Synthèse
Les sujets de notre étude témoignent d’une aptitude à raconter leur parcours dans la maladie et
les soins en le contextualisant avec grande précision32. Cet aspect peut suggérer une empreinte
traumatique. Néanmoins, la chronologisation et l’historisation du récit des sujets nous
semblent au service d’une intégration psychique de ces évènements.
Par exemple, la temporalisation marquée des hospitalisations, dans leur période comme dans
leur durée, s’accompagne d’une démarche de mise en sens du processus de décompensation,
s’étayant sur une conscientisation de leur répétition. Se dégage dès lors du discours des sujets
une capacité à transformer leurs expériences en une expertise personnalisée du processus de
rechute : « C’est un processus qui se met en forme… sur moi ça a duré à peu près six mois,
donc on commence à partir dans des délires les premiers temps, puis on les nourrit, on les
nourrit… ».
En outre, en ce qui concerne le vécu délirant, son inscription temporelle semble lui conférer
un caractère de réalité expérientielle : « le délire que je vivais tous les jours, je m’en souviens
très bien ». Il s’agirait en quelque sorte, en racontant de manière contextualisée le vécu
délirant, de se le réapproprier sous une forme distanciée.
Notons pour terminer que cette classe caractérise le discours des sujets appartenant à une
catégorie particulière de l’échelle STORI après réduction statistique (catégorie 2). Nous
32
Bien que cet aspect ait sans doute été suscité par la formulation de nos questions (e.g. « quand cela a-t-il
commencé ? » ; « pouvez-vous me retracer votre parcours de soin ? »)
146
pensons que ces sujets se caractérisent par une avancée dans le processus de conscience des
troubles, requérant leur historisation avec précision.
I.4 Quatrième classe de discours
La quatrième classe identifiée par Alceste comprend 27.23% des UCE classées. Les mots les
plus significatifs la caractérisant et les Khi2 associés sont consultables au sein du tableau 4 en
Annexe XII.
I.4.1. Analyse descriptive
Cette classe est centrée sur la description du vécu de l’entrée dans la maladie. Les premiers
signes du trouble sont variés. Certains sujets évoquent des signes non spécifiques de la
psychose : « Les premiers signes de la maladie étaient des pertes de mémoire » ; « Les
premiers signes de la maladie étaient un manque de sommeil, c’était très important, une
grosse fatigue morale » ; « Je ne me sentais pas comme tout le monde et quand je fumais, je
n’arrivais pas à m’arrêter, j’étais dans un cercle vicieux, on va dire la dépression ».
Plus fréquemment, le moment de rupture avec un état d’équilibre psychique est associé aux
manifestations positives du trouble : « Ça a commencé par de la parano et l’impression
qu’on parlait de moi à la télé, à la radio » ; J’entendais des voix qui tournaient dans ma tête
et je n’arrivais pas à faire la différence entre mes pensées et les vraies voix extérieures » ;
« Ça a commencé en 2000 : je voyais des gouttes multicolores qui descendaient des lampes,
des troubles de la vision ». Notons la capacité des sujets à bien situer dans le temps la période
d’entrée dans la maladie : « Les premiers signes, c’était vers 2002, 2003 et c’est à ce moment
là que j’ai commencé à perdre contact avec la réalité » ; « Cela a commencé autour de
l’adolescence, mais à ce moment là, je ne mettais pas le doigt dessus ». En outre, l’aspect
processuel de la décompensation est souvent mis en avant : « Ça a commencé petit-à-petit, en
2010, j’étais à l’armée ».
La description par les sujets de cette période de leur existence se caractérise, là encore, par
une forte implication subjective et affective. Les phénomènes délirants sont ainsi rapportés
dans la singularité de leur vécu : « J’entendais mon cœur battre de plus en plus lentement et
j’avais l’impression que j’étais entrain de mourir allongé sur mon canapé » ; « Je ne me
147
sentais pas comme tout le monde ». L’expression de la souffrance associée à ce moment de
leur existence semble condensée autour du mot « peur » : « J’étais prise par des peurs
inexpliquées qui me pétrifiaient » ; « Le signe le plus douloureux c’était la peur, cette
maladie elle se concentrait sur la peur ». Nous remarquons que les sujets évoquent comme
un phénomène particulièrement marquant et violent l’expérience de la dissociation : « À un
moment, j’avais peur de passer à l’acte, de les tuer, j’avais une peur de ne pas pouvoir
m’arrêter » ; « Je n’arrivais pas à faire réagir mon corps par la pensée, j’ai l’impression que
j’étais en deux parties : il y avait mes pensées et mon corps que je ne contrôlais plus ».
Les expériences délirantes et hallucinatoires sont restituées avec détail et interprétées dans
leur retentissement subjectif : « Je brodais autour de faits réels, j’interprétais des
conversations, je brodais, je brodais jusqu’à ce que ça devienne une bouffée délirante
terrorisante » ; « Entendre des voix, pour moi c’était symbolique, et derrière il y avait une
puissance qui me poussait à être réactif face à cette voix ».
Notons, d’une manière générale, l’emploi fréquent de modalisations (« je pense », « j’ai
l’impression ») traduisant un positionnement du sujet quant au contenu de son discours.
Cette implication dénote d’une part une distanciation avec les expériences pathologiques
passées : « Je pensais qu’on pouvait lire dans mes pensées et que je pouvais lire dans les
pensées des autres » ; « Lorsque mes voisins faisaient du bruit, je pensais que c’était dirigé
contre moi » et d’autre part une volonté d’y conférer un sens : « Je pense que c’est la drogue
qui a fait ça ».
I.4.2. Synthèse
Le discours des sujets autour de la période d’entrée dans la maladie se caractérise, là encore,
par un engagement subjectif et affectif notable. Ce positionnement va de pair avec une
aptitude de reconstruction personnalisée du processus de décompensation. Ce mouvement
d’appropriation du vécu expérientiel favorise une attitude de distanciation quand aux
phénomènes délirants et hallucinatoires. Les sujets semblent en effet éprouver le besoin
d’exposer de manière détaillée ces expériences, comme si leur récit participait à leur mise en
sens.
148
I.5 Conclusion du premier thème
L’analyse du premier thème de nos entretiens met en lumière différents moments inauguraux
de l’histoire des troubles des sujets tels que l’entrée dans la maladie, l’entrée dans un
processus de soins, l’annonce du diagnostic de schizophrénie, l’accès à la conscience des
troubles. Les sujets relatent des périodes de souffrance et de désespoir intenses. Nous
retrouvons ainsi une reconstruction rétrospective de la phase « moratoire » décrite par
Andresen et ses collaborateurs (2003).
Les modalités d’expression de ces souvenirs renvoient à un travail psychique d’intégration :
-
Les moments de ruptures existentielles sont décrits avec une implication émotionnelle
et subjective forte. La distanciation de ces évènements et ainsi la modération de leur
empreinte psychique traumatique requiert leur réappropriation subjective.
-
La contextualisation de ces souffrances, notamment des vécus délirants, leur confère
un caractère de réalité expérientielle.
-
D’une manière générale, la temporalisation marquée du récit de leur histoire témoigne
d’un travail de restauration d’une continuité existentielle. L’expérience du trouble est
perçue au service d’une expertise personnalisée, devenue « thérapeutique ».
Les évènements douloureux du trouble revêtent, à postériori, un caractère de nécessité.
L’historisation du vécu expérientiel est au service du processus d’acceptation du
trouble.
II. Analyse de contenu du Thème 2
Rapport aux troubles : représentations actuelles
L’analyse Alceste de notre second thème fait apparaître quatre classes de discours. Le corpus
comporte 816 UCE dont 584 ont été prises en compte dans l’analyse (71.57% des UCE
totales).
149
II.1 Première classe de discours
La première classe identifiée par le logiciel comprend 37.33% des UCE classées. Il s’agit de
la classe la plus conséquente de notre second thème. Les mots les plus significatifs la
caractérisant et les Khi2 associés sont présentés dans le tableau 5 de l’Annexe XII.
II.1.1. Analyse descriptive
Cette classe traite du rapport actuel des sujets à leurs symptômes psychotiques. Les termes
regroupés sont ainsi principalement employés par des personnes qui continuent à vivre ces
manifestations ou, du moins, qui sont en mesure et dans le désir d’en parler : « J’échange
avec des gens par le biais de la pensée. On arrive à lire dans mes pensées et les gens
échangent avec moi de pensée à pensée. Je me construis ça comme symptôme » ; « J’ai
toujours des bruits qui me perturbent, ça m’arrive de temps en temps, mais c’est beaucoup
moins, je n’ai plus ce sentiment de persécution direct comme avant ».
Bien que de moindre intensité, la permanence des troubles demeure associée, dans le discours
des sujets, à une source de souffrance qu’il s’agit dés lors d’apaiser, voire de faire disparaître :
« C’est tous les jours que la schizophrénie essaie de nous gagner en nous donnant des petites
idées délirantes dont il faut se débarrasser ». Cette entreprise requiert un travail psychique
éprouvant, coûteux et parfois intense et hésitant : « J’arrive à les contrôler mais cela
nécessite un travail constant du matin au soir » ; « Pour démolir un délire j’y travaille
toujours, c’est vraiment la partie la plus difficile pour moi » ; « J’essaye de travailler ça, de
me freiner, c’est une lutte quotidienne ».
L’apaisement est ainsi associé à la possibilité de contrôler ces manifestations : « Je suis plus
serein et maintenant ça a tendance à partir beaucoup plus qu’avant. Disons que maintenant
ce n’est pas énormément gênant. C’est léger, du fait de les contrôler ».
Les sujets évoquent la réflexivité comme faculté de discernement, de distinction entre les
phénomènes réels ou délirants : « J’arrive à discerner maintenant le soir quand j’ai des idées
un peu sombres, je sais que c’est des pensées et non des voix ». Le contrôle des symptômes va
ainsi de pair avec leur identification : « j’ai des stratégies pour les contrôler, c’est d’abord de
les repérer ». Il s’agit dès lors, pour le reconnaître, de construire une expertise personnelle du
150
symptôme, d’en délimiter les contours : « Les voix en général, c’est les amis, la famille, je les
reconnais très bien, j’ai un contrôle là-dessus » ; « Les idées délirantes c’est par exemple à
partir d’un détail, on entend un bruit, quelqu’un parler dans la rue, on se dit qu’on parle de
nous ou les choses qu’on entend en général se rapportent à nous ». L’immédiateté de
l’adhésion affective à un phénomène perceptif est ainsi mise en avant : « Dans l’imagination,
il faut fabriquer des éléments alors que dans l’hallucination, tout est donné : elle se déroule
comme dans un film qui est très clair, très précis et vous distinguez toutes les émotions ».
En outre, l’identification des symptômes s’accompagne d’une aptitude à les mettre en lien
avec certaines dispositions intérieures telles que la fatigue ou le stress : « Ça m’arrive dans
des situations où, toujours pareil, je suis intimidé » ; « il y a quelques temps, je disais à mon
médecin : “ quand je suis fatigué ou stressé, j’ai tendance à entendre des voix” ».
Cette capacité d’analyse des manifestations psychotiques s’accompagne d’une aptitude à les
anticiper, à les penser dans une dynamique d’évolution processuelle : « J’arrive aujourd’hui à
repérer les signes de rechute des idées délirantes, des voix qui reviennent » ; « J’arrive à
savoir quand ça va arriver, c’est-à-dire à voir les toutes premières prémisses, même si ça va
très vite ».
Le contrôle des symptômes est décrit comme une mise à distance : « J’arrive à contrôler
aujourd’hui les symptômes en essayant de me mettre dans une bulle » ou comme une
addiction contre laquelle il est toutefois possible de lutter : « En général, vous savez, c’est
comme une envie de fumer, une envie de manger, j’essaye de me freiner de la même façon, je
me bloque et après ça passe, les voix partent ».
Pour mieux s’en différencier, les symptômes tendent à être appréhendés comme des entités
propres, représentation s’étayant fréquemment sur le modèle médical : « Je me dis : “bon, ça
c’est de l’ordre du délire dû à la schizophrénie”, donc je le mets de côté, et du coup j’arrive à
me concentrer sur autre chose alors qu’avant c’était impossible ». La mise à distance est
rendue possible par une « personnification » de l’entité pathologique. Cette dernière,
dorénavant isolée, peut ainsi être « attaquée », par exemple par des adresses verbales : « Les
symptômes je les claque je sais pas si ça va durer mais dès qu’ils apparaissent, j’essaye
d’abonder puissamment, je les réduis pas à néant mais j’arrive à les faire devenir
151
ridicules » ; « Quand je sens que ça va arriver, je me dis :“attention là !”, donc je prends
mon traitement et je me dis “allez, casse-toi, je t’ai senti venir donc tu peux t’en aller ! ” ».
Plus généralement, la différenciation avec les symptômes offre la possibilité de s’y mesurer
personnellement : « Le travail psychologique que je fais me donne de la force pour les [les
voix] empêcher d’être présentes », même si les sujets évoquent parfois un recours à une aide
extérieure : « En ce moment, j’ai besoin d’être rassuré par les gens de mon entourage pour
des trucs, par exemple dès que je parle seul ».
II.1.2. Synthèse
Cette classe de discours met en lumière le vécu expérientiel des symptômes psychotiques
chez certains sujets de notre étude. Cette classe est représentative du discours des sujets
appartenant à la catégorie 2 du rétablissement définie par l’échelle STORI après réduction à
l’aide de nos traitements statistiques.
Le contrôle des symptômes est présenté comme une aptitude, source d’apaisement, vers
laquelle il est nécessaire de tendre. Globalement, les sujets évoquent une évolution positive de
leurs capacités propres à se maintenir dans le réel, bien que cela apparaisse encore coûteux.
En effet, le contrôle des manifestations psychotiques est évoqué à travers le registre de la
lutte. La métacognition est rapport réflexif à soi et aux troubles : elle vient ici favoriser une
différenciation d’avec les symptômes, permettre un sentiment d’ascendance vis-à-vis de ces
derniers et, dans le meilleur des cas, gagner une véritable « mise à distance » psychique et
affective.
Cette distanciation se manifeste parfois chez certains sujets par le besoin de s’adresser
verbalement à soi et aux manifestations du trouble, comme pour accentuer un cloisonnement
entre les ressources personnelles et les manifestations pathologiques, source de souffrance. Il
s’agit de faire vivre un dialogue intérieur qui favorise le maintien dans le réel.
152
II.2 Seconde classe de discours
La seconde classe identifiée par le logiciel comprend 26.71% des UCE classées. Les mots les
plus significatifs la caractérisant et les Khi2 associés sont présentés dans le tableau 6 de
l’Annexe XII.
II.2.1. Analyse descriptive
Cette classe de discours isolée par la méthode Alceste fait apparaître la manière dont certains
sujets de notre étude composent avec le trouble et ses répercussions au quotidien.
Plus que de symptômes psychotiques, les termes ici présents font écho à des souffrances
moins spécifiques, à des manifestations anxieuses, comme en témoigne la fréquence
d’occurrence élevée des termes « angoisse » ; « crise » ; « panique ».
Pour certains sujets, ces manifestations sont directement attribuées à la schizophrénie : « J’ai
encore des symptômes, le principal c’est des crises d’angoisse panique, ça c’est le fardeau de
la maladie ». D’autres, à l’inverse, les dissocient clairement de la schizophrénie (ou en tout
cas de la décompensation délirante) dans une dynamique de normalisation, source de
réassurance : « Tout le monde peut être stressé à des moments, avoir des angoisses, c’est pas
la maladie » ; « Quand j’ai une crise d’angoisse, je me dit que ça va passer, que c’est pas ce
qui va me faire réhospitaliser, mon psy m’a dit la même chose ». Ces manifestations peuvent
ainsi être attribuées à un fonctionnement personnel : « Je suis un homme pressé, il faut que
tout aille vite pour moi et donc cela m’angoisse ».
En outre, une grande partie des sujets évoque l’angoisse dans son lien avec les répercussions
du trouble sur le plan existentiel : « C’est des angoisses sur le fait de ne pas savoir ce que je
vais faire plus tard, des trucs comme ça, ça accompagne la maladie » ; « Avec la maladie, on
a du mal à être ouverts aux autres et ça, ça provoque des angoisses assez fortes » ; « On a
tout à faire : le ménage dans les relations amicales, dans les relations familiales, les factures
etc., tout ça avec parfois des crises de panique graves donc on est vraiment handicapé ».
Dans cette même perspective est exprimée une douleur morale pouvant aller jusqu’au
sentiment de désespoir : « Des fois je pleure, je reste à la maison, je n’ai plus envie de me
battre parce que j’en peux plus, j’en ai marre, je me dis voilà, j’ai trente ans et je n’ai pas
153
construit grand-chose » ; « Le matin, si je n’ai pas le moral c’est : “à quoi bon se lever ?” et
je reste jusqu’à midi, une heure… ».
La souffrance des sujets semble ici faire écho à la prise de conscience des conséquences de la
maladie sur leur projet d’existence et leur fonctionnement au quotidien. L’accès à un meilleur
insight est en souligné dans sa durée : « je me considère comme malade, j’ai mis du temps à
l’accepter mais maintenant c’est plus facile » ; « j’ai vraiment senti que j’avais un problème,
cela a mis du temps, cela a mis neuf mois ».
Les sujets expriment plus spécifiquement la conscience d’un nécessaire réajustement à de
nouvelles limites : « je suis obligée de me ménager, je ne peux pas marcher trop vite, je ne
dois pas me surmener, tant au niveau énergétique qu’au niveau mental ».
L’adaptation à cette vulnérabilité se traduit par le déploiement de ressources personnelles. Ces
dernières peuvent concerner des méthodes de gestion de l’angoisse (« je me mets en position
latérale de sécurité et je fais des exercices de respiration et j’attends que ça passe »), très
spécifiques lorsqu’elles sont décrites en lien avec un évènement particulier source de stress :
« “Bon, tu as une lettre de Marianne, il va falloir que tu l’ouvres quand même” : je fais ma
prière, je me mets à respirer plus normalement, puis je me dis : “bon bah tant pis si c’est une
très mauvais nouvelle, il va falloir l’assumer” ».
La tristesse peut être d’autre part mieux tolérée lorsqu’elle est acceptée dans son ressenti et
son expression : « Ça fait une semaine et demi que je me suis aperçue que quand ces choseslà m’arrivaient, j’étais dans une souffrance assez importante et que j’avais un besoin de
pleurer ».
Enfin, le processus d’adaptation aux retentissements du trouble est mis en lien avec les soins,
dans leur régularité et leur intégration à un rythme de vie quotidien : « Les soins, c’est une
injection tous les 14 jours et puis une prise hebdomadaire de médicaments, c’est assez rapide,
la piqûre je la mets sur le calendrier donc je n’oublie pas » ; « Je viens tous les jours à
l’hôpital de jour, on a des ateliers chaque semaine qui nous aident à mieux comprendre les
symptômes et mieux connaître les traitements » ; « Les soins c’est très important, je ne veux
pas les arrêter ». De la conscience d’une nécessité de ces soins semble naître un engagement
154
et ainsi un sentiment de responsabilité : « J’ai un traitement à côté, j’ai des choses à assumer,
des rendez-vous psy ».
II.2.2. Synthèse
Cette classe de discours témoigne du vécu des sujets dans leur rapport aux conséquences du
trouble, sur le plan existentiel et fonctionnel. Notons que cette classe est particulièrement
illustrative du discours des sujets se situant à la deuxième étape du processus de
rétablissement selon nos résultats statistiques.
La prise de conscience de nouvelles limites s’accompagne fréquemment de manifestations
anxio-dépressives. Ces dernières apparaissent parfois contraindre de manière durable le bon
fonctionnement des personnes et accentuer de ce fait leur handicap psychosocial. Ces
manifestations semblent néanmoins représenter la saine expression d’un processus de deuil,
nécessaire au déploiement d’une dynamique de réajustement existentiel. De cette prise de
conscience découle en effet chez les personnes une connaissance plus singulière de leurs
ressources ainsi qu’un engagement « responsable » dans un processus de soins.
II.3 Troisième classe de discours
La troisième classe de notre second thème identifiée par Alceste comprend 35.96% des UCE
classées. Les mots les plus significatifs la caractérisant et les Khi2 associés sont consultables
au sein du tableau 7 en Annexe XII.
II.3.1. Analyse descriptive
Cette classe est centrée sur les représentations des sujets concernant la maladie et la guérison.
Elle reflète des conceptions bien singulières et particulièrement variées des rapports entre
normal et pathologique (« guérir », « maladie », « vivre », « normal », « schizophrénie »).
Cette hétérogénéité semble assez signifiante du retentissement subjectif du trouble sur le vécu
des personnes et ainsi, de leur évolution sur le chemin du rétablissement.
Notons tout d’abord chez certains sujets, une attitude d’opposition franche à l’idée d’une
guérison concernant la schizophrénie : « Guérir non, j’ai toujours les traitements, chaque fois
155
que je les arrête, ça c’est sûr, c’est la rechute » ; « On ne peut pas en guérir, puisque guérir
ce serait sans apport médicamenteux ». Cette attitude s’appuie sur une conception médicale et
biologique de la guérison, excluant ainsi sa coexistence avec une prise de traitements : « En
schizophrénie, on ne parle pas de guérison, rémission oui mais pas guérison, à moins qu’on
ne trouve un remède miracle, une piqûre pour ne plus être schizophrène ».
Chez ces mêmes sujets, nous relevons une tendance à se situer dans leur évolution en rapport
à une norme socialement définie : « J’ai besoin d’être thymorégulé, psychorégulé, pour avoir
un comportement normal, du moins en société, sans dérapage » ; « Une vie normale c’est
être marié, avoir des enfants, j’ai pas une vie normale » ; « Guérir, ça voudrait dire ne pas
entendre de voix, ne pas avoir de visions, travailler en milieu normal, vivre comme tout le
monde ». La guérison de la maladie se conçoit ici comme son annihilation, dans ses
manifestations visibles comme dans ses répercussions psycho-affectives : « Je ne pense pas
qu’on puisse guérir parce que c’est traumatisant, si on a vécu quelque chose de dur, on ne
peut pas l’oublier. Guérir, ce serait oublier » ; « On ne guérit pas, on oublie ».
Cette représentation nourrit un désir de normalisation, une mise à distance protectrice de la
maladie, de son propre regard et du regard d’autrui : « Je fais tout pour me considérer comme
normal : je ne parle pas de ma maladie et je ne suis pas malade vis-à-vis des autres. Être
malade, c’est dans le regard des autres ».
Nous retrouvons chez d’autres sujets un discours plus nuancé, renvoyant à une perception
plus personnelle de la guérison, et ainsi de la maladie : « J’ai toujours un peu de séquelles, je
pense qu’on ne guérit pas totalement de cette maladie là ».
La modalisation « je pense » traduit une implication subjective plus marquée, cette dernière
révélant parfois une certaine ambivalence quant à l’état de guérison : « De ne pas partir dans
les délires ce serait ça en fait guérir de la schizophrénie je pense. Du coup, peut-être bien
que je suis guéri, mais oui et non parce que je prends toujours des traitements ». Les
représentations identitaires apparaissent également hésitantes, comme si elles s’élaboraient au
fil du discours des sujets : « Je n’ai pas envie d’utiliser ce mot de “malade”, il n’est peut-être
pas pour moi car je me dis : “persévérance”, “force”… et quand je dis “malade”, ça fait
maladie grave… mais d’un autre côté, il m’arrive de me dire : “en fait je suis quand même
malade” et ça m’aide aussi de temps en temps ». L’état « d’être malade » est ici tour à tour
156
ressenti comme angoissant et apaisant : angoissant de par son potentiel de stigmatisation
personnelle ; apaisant en ce qu’il acte une souffrance, vient conférer une forme de
reconnaissance.
Dans cette optique, l’adhésion à cet état représente chez certains sujets une avancée dans le
processus de conscience et d’acceptation des troubles : « maintenant oui, je me considère
comme malade » ; « Bien sûr je suis malade, ah totalement, c’est clair et net. Ça fout un peu
les boules de se le dire mais oui, je suis malade, j’ai accepté mon diagnostic, j’ai accepté de
me dire que je suis malade ».
La contrainte que véhiculent la maladie et les traitements ne s’oppose pas ici à un mieux-être,
même si ce dernier est associé à une forme de normalité : « Je me considère comme malade
parce que je suis obligé de prendre un traitement à vie, des neuroleptiques, mais en même
temps ça m’aide à vivre normalement » ; « Je ne pense pas qu’on puisse guérir de la
schizophrénie, mais avec un traitement adapté, je pense qu’on peut vivre avec sans avoir de
symptômes particuliers, être un peu moins angoissé, être plus dans la normale, plus relaxé,
moins tendu ». La norme apparaît en effet pensée en relation à des critères plus personnels :
« Aujourd’hui je vis normalement avec un traitement. Pour moi, vivre normalement, c’est
avoir des relations. Moi j’ai des relations avec mes collègues de travail ».
De manière encore plus marquée enfin, certains sujets de notre étude témoignent d’une
représentation très personnalisée de la guérison, de leur guérison. Ces derniers semblent
parvenir à faire tenir ensemble, de manière moins conflictuelle, la conscience d’une maladie
et celle d’un mieux-être : « Je prends mes traitements et tout mais je ne me considère pas
comme malade puisque mes symptômes ont diminué » ; « C’est à vie la schizophrénie mais je
peux dire que je suis guéri parce que j’ai plus les symptômes, j’ai plus rien de la maladie et je
me sens mieux quoi » ; « elle est toute petite aujourd’hui la maladie, et la santé elle est
immense ».
La possibilité d’une guérison semble parfois secondaire dans le cheminement psychique des
sujets ; ces derniers mettent davantage l’accent sur la perception subjective d’un mieux-être :
« Moi je vis avec, je ne pense pas que je sois guéri mais je l’accepte et sa se passe plutôt
bien ». La guérison est pour d’autres mentionnée en référence à des critères définis
personnellement : « Je me pense guéri, du moins de tout ce qui était en rapport avec ce qu’on
157
appelle “la schizophrénie” » ; « Si c’est une maladie qu’on ne peut pas guérir, elle est si
petite qu’on ne la voit pas chez moi, c’est ma forme de guérison peut-être ».
Quoi qu’il en soit, cette évolution psychique semble tenir à une décentration des
représentations identitaires entachées par la maladie : « Je ne me considère pas dans la vie
comme plus malade qu’un autre » ; « Je suis différent de la maladie parce que je ne suis pas
non plus différent des gens ». Les sujets expriment ainsi clairement une différenciation entre
leur personne et la maladie, pour autant évoquée : « Je ne me considère pas comme malade
aujourd’hui. La maladie fait partie de moi mais ce n’est pas moi » ; « J’aurai toujours la
maladie mais je ne la sens pas : je suis M [prénom] et la maladie, c’est la maladie ». Là
encore, ce qui importe davantage relève de ressentis subjectifs et de projections personnelles :
« Je ne me considère pas comme tout à fait malade. J’accepte les traitements pour aller
mieux, j’ai des projets importants… ».
II.3.2. Synthèse
Par la mise à jour des représentations subjectives quant à la maladie et sa guérison, cette
classe de discours témoigne de processus psychiques relevant de la conscience et de
l’acceptation du trouble. La pluralité des représentations évoquées semblent refléter
différentes avancées au sein de ces processus.
En ayant réalisé nous-mêmes des recoupements dans le discours des sujets, nous avons repéré
la manifestation de trois grandes attitudes au sein de cette classe, qui semblent en adéquation
avec les trois stades de l’échelle STORI, définis après réduction statistique.
La première se caractérise par une conception de la guérison opposée à celle de maladie. La
permanence d’un traitement, de manifestations du trouble et de la souffrance qui parfois les
accompagnent exclut ainsi la possibilité pour les sujets d’invoquer ce terme. Plus précisément,
il apparait que ces derniers se réfèrent à une conception normalisante de la guérison entrant en
conflit avec la chronicité sous-jacente à la conception médicale du trouble. Cette dernière est
mise en avant, comme pour protéger une conscience de la maladie récemment développée. En
résulte une certaine idéalisation d’un mieux-être excluant toute « trace » de la maladie
(symptomatique comme affective) et ainsi, une souffrance liée à la perception d’une distance
à cet idéal quelque peu figé.
158
La seconde attitude mise en lumière apparaît plus ouverte et nuancée. La guérison peut être
pensée, bien qu’avec ambivalence, et n’est ainsi pas exclue des possibles évolutifs. Pour
l’heure, le mot d’ordre « vivre avec » prédomine : il s’agit de mieux s’ajuster à une réalité
constituée par la permanence des traitements et parfois des symptômes. Les sujets n’aspirent
pas à annihiler la maladie, mais bien davantage à mieux composer avec cette dernière. L’état
« d’être malade » est clairement affirmé, comme s’il s’agissait de montrer et ainsi de faire
vivre un travail d’acceptation du trouble et de ses conséquences.
Enfin, la troisième grande attitude relevée dans cette classe nous semble refléter une avancée
importante dans le processus de rétablissement. A l’évocation de la guérison, les sujets
expriment leurs ressentis actuels plutôt que de faire appel à de quelconques projections
(idéalisées). Ce qui importe relève d’une désidentification de la maladie. Bien que la
schizophrénie tienne une place dans l’existence des sujets, elle est vécue comme
« silencieuse » et semble moins faire obstacle à un sentiment d’appartenance sociale. Les
sujets expriment ainsi une différenciation entre « être schizophrène » et « avoir une
schizophrénie » et ont, en ce sens, cheminé vers la sortie d’une identité de malade.
II.4 Conclusion du second thème
Ce second thème de nos entretiens caractérise le rapport au trouble des sujets de notre étude.
Son analyse nous permet d’identifier les jalons d’une différenciation des étapes du processus
de rétablissement, selon l’échelle STORI et après réduction statistique (de cinq à trois étapes).
-
Les sujets identifiés comme s’inscrivant à la première étape possèdent une conception
plutôt normalisante du trouble et de la guérison. L’écart entre leurs projections
idéalisées d’un mieux-être et la conscience des répercussions actuelles de la maladie
engendre une souffrance existentielle et identitaire.
-
La seconde étape du rétablissement renvoie à un processus de réajustement existentiel
tenant compte du trouble et ses conséquences. Les sujets avancent dans le deuil de
leurs projections et idéaux passés, non sans souffrance. Le sentiment d’être
« malade », « différent d’avant », coexiste néanmoins avec une démarche de
cloisonnement des manifestations de la maladie. Pour mieux composer avec, au
159
quotidien, il s’agit de lutter contre, de les mettre à distance. De cette volonté de
différenciation d’avec les symptômes, naît chez les sujets une meilleure
reconnaissance de leurs ressources.
-
Enfin, les sujets se situant à la troisième étape du rétablissement semblent s’être
décentrés de la condition de malade. Les symptômes, s’ils persistent, sont moins
douloureux au quotidien. Le mieux-être se décline davantage au présent et est identifié
en relation à des indicateurs subjectifs.
III. Analyse de contenu du Thème 3
Rapport à l’évolution favorable
L’analyse Alceste de notre troisième thème fait apparaître deux classes de discours. Le corpus
comporte 528 UCE dont 389 ont été prises en compte dans l’analyse (73.67% des UCE
totales).
III.1 Première classe de discours
La première classe identifiée par le logiciel comprend 60.15% des UCE classées. Il s’agit de
la classe la plus conséquente de notre troisième thème. Les mots les plus significatifs la
caractérisant et les Khi2 associés sont présentés dans le tableau 8 de l’Annexe XII.
III.1.1. Analyse descriptive
Cette classe de discours révèle le sens accordé par les sujets de notre étude à l’évolution
favorable attestée par leur médecin psychiatre.
Notons tout d’abord que la grande majorité des personnes rencontrées partage et fait sienne,
même si parfois avec nuance, cette appréciation : « Mon état actuel, on pourrait dire que je
suis tiré d’affaire, je le vois et je remercie Dieu tous les jours » ; « Elle est bonne l’évolution,
même si ce n’est pas terrible tous les jours ».
160
Cette évolution peut être pensée en référence à la diminution des symptômes (« On va
discuter pendant une heure de tout et de rien, et je ne vais plus être là à penser des trucs
bizarres, des trucs comme ça. Ça c’est une évolution positive »), ou à l’évolution de la
capacité à mieux les contrôler, quand bien même ils persisteraient (« J’ai encore des
angoisses, j’ai peur d’un déséquilibre financier, d’une facture imprévue, mais l’évolution
favorable c’est qu’aujourd’hui, j’ai des armes contre ça » ; « Je suis en coaching, en travail,
en auto-gestion, j’arrive à contrôler les angoisses assez vite, c’est cela l’évolution
favorable »).
En outre, l’évolution positive peut être attribuée à une amélioration du fonctionnement, soit
cognitif (« J’ai retrouvé un niveau de fonctionnement mental et intellectuel comme avant.
J’arrive à penser comme avant 2003 »), soit davantage social (« Je suis une évolution
favorable parce que je suis inséré » ; « Je suis plus ouvert, plus souriant, plus communicatif,
ça c’est favorable »).
De manière assez marquée, les critères associés à une évolution positive font écho aux
problématiques singulières des sujets. Les personnes mettent l’accent sur une modification
d’une partie de leur fonctionnement ou d’un système de défense psychique devenu trop
douloureux ou contraignant : « Le signe le plus important pour une évolution favorable, c’est
l’absence de pulsion suicidaire » ; « Cette évolution favorable signifie ne plus être collée au
téléphone pour appeler quelqu’un parce que j’ai une angoisse terrible ». Le mieux-être est
spécifié en référence aux souffrances vécues : « Retrouver une certaine sérénité de l’esprit,
après tout ce qu’on a traversé avant, c’est vraiment une libération, c’est une nouvelle
naissance. Ça c’est mon état actuel ».
Ainsi les sujets ressentent-ils fréquemment le besoin de se remémorer les difficultés de leur
parcours dans la maladie pour mieux apprécier le contraste avec leurs dispositions actuelles :
« Il y a une évolution c’est clair, surtout quand je me rappelle ce qui s’est passé avant ».
Parfois, ils semblent s’appuyer sur cette logique de comparaison de manière assez normative,
comme pour ne pas avoir à douter de leur mieux-être : « J’étais tombé vraiment bas, j’étais
sans emploi, j’étais sans logement, j’étais sans contact avec autrui… Aujourd’hui j’ai un
logement, j’ai un travail, j’ai une copine et ça c’est plutôt favorable ».
161
D’autres ont recours à une mise en perspective historique de leur évolution afin, au contraire,
de modérer une vision trop exigeante ou idéalisée : « Il est vrai que j’ai souvent des
impatiences, je voudrais que ça avance plus vite, mais quand je regarde le chemin parcouru,
je me dis qu’il y a effectivement une évolution favorable » ; « Il y a d’autres souffrances, de
relativiser c’est un peu chrétien, mais moi y a un truc qui m a vraiment aidé c’est quand
même de me rappeler le temps passé à l’hôpital ».
Certains sujets, enfin, s’appuient davantage sur leurs ressentis pour exprimer ce contraste :
« Je suis confiant parce que… dans ma vie tout va bien dans l’ensemble. Ça va comme c’est
tranquille, ça va comme d’ailleurs ça n’a jamais été. Avant, j’avais un emploi qui ne me
plaisait pas, aujourd’hui il me plaît. Ca fait quatre ans, quatre ans que ça va mieux. C’est
difficile de qualifier mon état actuel… Au quotidien je suis très bien… heureux presque…
Avant je me sentais oppressé, j’avais peur des regards et maintenant c’est le contraire, même
les regards je m’en fous ».
Le mieux-être, dans cette perspective, peut être relié au sentiment subjectif de s’être retrouvé,
dans son individualité : « Je suis redevenu moi-même. Aujourd’hui, c’est M [prénom], fatigué
de tout ce qu’il a vécu, mais je suis redevenu autonome : je suis maître de mes décisions, de
mes pensées, de mon état ».
Tout comme les critères associés à une évolution positive du trouble, les facteurs favorisant
son déploiement apparaissent très différents d’un sujet à l’autre. Nous pouvons néanmoins
repérer certaines invariantes au sein des verbalisations des personnes.
D’une part, les sujets font référence à des facteurs externes. L’entourage est ainsi mentionné
dans l’importance et la constance de sa contribution apportée : « C’est surtout ma femme, en
premier chef, qui a permis une évolution favorable, si je ne l’avais pas, je ne serais pas là où
je suis » ; « Mon ami que j’ai depuis trois ans m’a beaucoup aidé, il est à l’écoute » ; « J’ai
trouvé la personne qui vraiment me seconde : c’est mon amie bouddhique, ma sœur, mon
aide de camp. Elle me connaît très bien, elle s’occupe de moi ».
L’aide thérapeutique tient également une place importante dans le discours des sujets, qu’il
s’agisse de l’aide médicamenteuse ou de la relation intersubjective : « Ce qui favorise un
162
mieux-être ce sont les médicaments, et puis parler de la maladie avec son médecin ». Le suivi
est valorisé dans sa régularité et sa personnalisation : « Aujourd’hui, je pense que c’est les
infirmières des visites-à-domicile qui me connaissaient et qui me donnaient de bons conseils,
pour la vie quotidienne » ; « Les personnes qui ont contribué à une évolution favorable, je
dirais que ce sont celles qui m’ont suivi tout le temps : psychiatres, psychologues. Je dirais
que c’est le suivi qui fait une bonne différence ».
Le travail psychothérapeutique est fréquemment décrit par les sujets comme une ressource à
part entière : « Avant, c’était vraiment une tension que je ressentais et moi, depuis qu’on fait
se travail avec Mademoiselle L [psychologue], j’ai l’impression d’évacuer et puis de dénouer
les choses les unes après les autres » ; « La psychothérapie est un facteur favorisant je pense
parce que le travail qu’on fait permet de parler, mettre des mots sur ce qui m’est arrivé ».
Notons par ailleurs, le rôle crucial accordé par les sujets de notre étude à l’activité
professionnelle : « L’évolution de la maladie, c’est quand on a besoin de changement de
mode de vie, donc pour moi le changement a été fait, je suis vraiment bien dans mon travail
déjà, c’est la chose la plus importante » ; « Je ne vois pas ce qui pourrait faire obstacle à une
évolution favorable parce que, pour trouver du travail, je me suis toujours débrouillé » ;
« C’est vraiment le travail qui m’a aidé, ça permet d’avoir une occupation ».
Le travail est souvent décrit dans son potentiel d’ouverture à l’autre : « Je suis quelqu’un de
travailleur, ça aide beaucoup le travail, dès qu’on parle avec des gens, qu’on a la chance
d’avoir des collègues sympas, on apprécie vraiment d’échanger ». La relation, le dialogue
réinstaurent un sentiment d’appartenance fondamental : « Je me dis que je suis quand même
un peu comme tout le monde, c’est-à-dire que moi aussi je peux changer en bien, pouvoir
rencontrer des gens à qui je parle et qui me comprennent ». En outre, la relation sociale est
décrite comme le pivot du développement d’un sentiment de responsabilité, par les enjeux de
reconnaissances qu’elle suscite : « Je me sens utile parce que d’un état où j’étais
complètement végétatif, je deviens quelqu’un de responsable, d’utile, j’ai de la
reconnaissance par mes amis parce que je suis aussi une sorte de modèle vous voyez ».
D’autre part, certains sujets évoquent leur évolution favorable en mettant plus directement
l’accent sur des facteurs internes, des dispositions personnelles telles que la persévérance ou
163
la patience : « J’ai jamais arrêté mes traitements et si un jour j’ai failli abandonner, j’ai dit :
“non !”, c’est ça qui m’a aidé » ; « La patience serait le terme qui qualifierait mieux mon état
actuel » ; « Bien sûr que je suis une évolution favorable, parce que je fais en sorte de rester
positif. C’est comme un travail qu’on aurait fourni, après on en récolte les fruits ».
Le développement de leurs propres ressources est présenté comme le pendant d’une meilleure
connaissance de soi : « Je prends de la distance, parce que, en quelque sorte, je me connais.
C’est-à-dire que je connais mes capacités, mes potentiels ». Cette dernière est, pour certains,
intrinsèquement liée à l’expérience de la maladie : « J’ai un peu écouté les délires que j’avais
eus et il s’avère qu’ils m’ont été bien utiles pour connaître ma personnalité et m’on révélé ».
De cette idée d’une meilleure connaissance de soi, découle celle de l’acceptation, sorte de
philosophie de vie inhérente à la compréhension par les sujets de leur évolution personnelle :
« Il faut d’abord s’accepter soi, c’est vraiment ça que j’apprends, et puis d’être plus
humain » ; « Je pense que ce qui compte au-delà de tout, c’est d’apprendre à s’accepter, être
au plus proche de soi-même et de ses préoccupations ».
L’acceptation de soi est par là-même acceptation des épreuves vécues et capacité à en tirer des
enseignements personnels : « Il n’y a pas trente six choses qui favorisent une évolution
positive, il y en a une, c’est qu’il faut tirer des enseignements des échecs, ça aide
beaucoup » ; « Je ne sais pas s’il y a des obstacles à une évolution favorable. Je pense que
même les obstacles peuvent se transformer en rampe de lancement ».
La connaissance et l’acceptation de soi paraissent favoriser une capacité d’abstraction et de
décentration. L’expérience vécue, dans cette perspective, est partageable et perçue dans son
potentiel d’aide à autrui : « On s’observe beaucoup plus, on se connait beaucoup mieux, on a
des ressources donc on fait part aussi aux autres issues de notre propre expérience ».
III.1.2. Synthèse
Cette première classe de discours centrée sur le rapport à l’évolution favorable semble plutôt
représentative du discours des sujets appartenant à la troisième et dernière étape du
rétablissement selon l’échelle STORI et après réduction statistique.
164
La variabilité des critères et facteurs associés à cette évolution représente en elle-même un
élément clinique porteur de sens.
Nous remarquons en effet que l’évolution favorable est fréquemment pensée et évoquée par
les sujets en référence à leurs expériences vécues. La spécificité des éléments associés à ce
mieux-être est le reflet de la singularité des souffrances exprimées par les sujets. Ainsi, pour
qualifier cette évolution, les sujets s’appuient davantage sur les reliefs créés par leur histoire
personnelle que sur des critères médicaux (rémission). Nous pourrions ainsi dire que les sujets
semblent ici s’être approprié l’idée d’une évolution positive.
En ce qui concerne les facteurs associés à cette évolution, nous retrouvons à travers le
discours des sujets, certains éléments clés du rétablissement décrits dans la littérature.
Le soutien par autrui, qu’il s’agisse de l’entourage personnel du sujet ou d’un professionnel
de santé, est prioritairement évoqué. L’implication dans des relations intersubjectives est
présentée tant comme un indicateur de mieux-être qu’un ressort de cette évolution. Autrui
représente une figure de soutien mais aussi de reconnaissance : le développement de l’estime
de soi et du sentiment de responsabilité est évoqué comme un phénomène relationnel.
L’activité professionnelle est décrite dans cette même perspective : les sujets en font un
facteur privilégié de rétablissement en ce qu’elle est potentiel d’ouverture à l’autre.
La connaissance de soi apparaît sans doute être le facteur le plus fréquemment évoqué par les
sujets de notre étude. Elle conduit à se distancier de leur souffrance et ainsi de leur histoire
pour mieux l’accepter. Certains sujets évoquent même le potentiel de révélation personnelle
inhérente aux expériences du trouble. Dans cette optique, la connaissance et l’acceptation de
soi sont médiatisées par l’expérience de la maladie.
III.2 Seconde classe de discours
La seconde classe de notre troisième thème identifiée par Alceste comprend 39.85% des UCE
classées. Les mots les plus significatifs la caractérisant et les Khi2 associés sont consultables
au sein du tableau 9 en Annexe XII.
165
III.2.1. Analyse descriptive
Le discours des sujets représentés au sein de cette classe caractérise les moyens, mis en œuvre
au quotidien, favorisant une évolution positive. Le mieux-être est ici défini dans le rapport à
l’action, comme en témoigne la fréquence d’occurrence élevée des termes : « prendre »,
« arrêter », « commencer », « aller », « battre ».
Les personnes insistent ici sur l’adoption d’un nouveau rythme et d’une nouvelle hygiène de
vie : « Ce qui favorise l’évolution positive, c’est la rigueur dans la prise de traitements,
l’hygiène de vie » ; « Ne pas de coucher trop tard tous les soirs, ne pas boire d’alcool, ne pas
fumer de cannabis… ».
Cette modification existentielle implique ainsi, de manière privilégiée, la prise régulière du
traitement : « Je vais continuer à prendre le traitement, je l’ai intégré comme quelqu’un qui
est diabétique qui prend des médicaments de fonction ». Son intégration suppose la création
de nouveaux repères journaliers : la prise de traitements semble vécue, dans le meilleur des
cas, comme une habitude qui vient rythmer le quotidien sans le rompre : « Prendre le
traitement le soir, c’est devenu comme prendre ma douche le matin, me mettre à table le
midi, comme manger tous les jours, c’est devenu un truc qui fait partie de moi » ; « Je prends
mon traitement, c’est devenu quelque chose de normal, c’est comme prendre mon café le
matin ».
L’acceptation des traitements est ainsi associée à une prise de décision consciente, une
démarche active reflétant une volonté de ne plus rechuter : « Je prends mon traitement
maintenant. C’est bon quoi, je ne vais pas passer toute ma vie en standby, à rechuter ! » ;
« Les traitements, si je ne les prenais pas, je n’arriverais plus à contrôler les symptômes ».
L’arrêt du cannabis, du tabac, ou plus généralement, de toute forme d’addiction, tient
également une place importante dans le discours des sujets et semble représenter un indicateur
de réaménagement psychique : « En arrêtant de fumer, j’ai commencé à voir le monde d’un
autre œil, je voyais plus clairement les choses » ; « Ça fait 6-7 mois que j’ai arrêté le café le
matin, parce que ça n’allait pas du tout. Depuis, je suis moins énervé, moins angoissé » ;
« depuis, j’ai arrêté de fumer, et j’aimerais bien reprendre le sport ». Les sujets décrivent
une centration nouvelle sur leur personne, un réinvestissement de leur corps, une plus grande
166
attention portée à leur énergie de vie : « J’ai arrêté de fumer à 37 ans. C’est tous ces petits
trucs qui font qu’on prolonge la vie : prendre soin de soi, de son corps ».
Comme pour la prise de traitement, ces décisions sont décrites comme faisant suite à un acte
de conscientisation de problématiques passées : « Je n’avais pas le choix, c’était arrêter de
fumer ou repartir à l’hôpital » ; « Avant je ne pensais pas du tout à moi, à ma santé, donc j’ai
commencé à chuter, chuter, chuter… ».
Ces réaménagements psychiques et comportementaux demeurent néanmoins associés à un
sentiment d’inquiétude, comme s’ils étaient encore trop récents ou fragiles pour éloigner toute
menace de rechute : « Peut-être que ça fait partie des symptômes, mais vous savez, j’ai
toujours peur de retomber, il y a des moments où peut-être ça va revenir ou un truc comme
ça » ; « Ce qui peut faire obstacle, c’est la tentation. Par exemple, là, j’ai arrêté de fumer et
il y a tout le monde qui fume autour de moi : “ vas-y, vas-y, fume ! ”, alors que moi je ne peux
pas… Je pense que c’est le genre de truc qui pourrait me faire rechuter ».
En outre, l’expression de la nécessité d’un traitement s’accompagne chez certains d’une
évocation des effets secondaires, perçus parfois même comme un obstacle à la réalisation
d’une vie affective : « Avec les effets secondaires du Risperdal® sur la libido, je ne peux pas
envisager de retrouver quelqu’un. Le médecin m’a dit qu’il existait une autre molécule qui
n’avait pas cet effet là, mais je préfère pour l’instant en rester au Risperdal®. Si on change
de molécule, ça va prendre du temps, et je ne sait pas si ça conviendra, alors pour l’instant,
non ». Les contraintes du traitement sont ici préférées aux risques de bouleverser un équilibre
psychique.
Face à la permanence du danger que représente la maladie, les moyens d’actions déployés par
les sujets au quotidien sont perçus comme des stratégies de lutte : « C’est une volonté de
vivre, de se battre, de continuer tous les jours : on est à peine levés qu’il faut prendre son
traitement le midi, il faut prévoir, il faut adopter un rythme. Si je ne mange pas et que je
prends mon traitement, je vais avoir mal au ventre… C’est comme ça qu’on se bat contre la
schizophrénie ». Ainsi, les sujets insistent-ils sur les difficultés inhérentes à ces changements
existentiels, sur le coût psychique que ces réaménagements imposent au quotidien : « C’est
vraiment une lutte acharnée, c’est pas : “ voilà, j’ai pris mes traitements, tout va bien”,
167
non » ; « Je ne baisse pas les bras, je me bats tous les jours pour ne pas me laisser aller » ;
« Il n’y a pas une nuit où je n’ai pas pris mes médicaments, c’est la bataille, c’est le pot de fer
contre le pot de terre ».
Nous retrouvons ici le sentiment de devoir se mesurer à la maladie, de se battre pour ne pas
céder au négatif qu’elle engendre, tout en devant s’ajuster au rythme qu’elle impose :
« Prendre les médicaments, il y a des moments où c’est difficile et c’est là qu’il faut montrer
qui on est, dire : “ok, aujourd’hui ça ne va pas, mais demain ça ira mieux et pas d’alcool, pas
une goutte d’alcool” » ; « La maladie, c’est bon, ok, je l’ai vue, je la lâche, comme si c’était
une autre personne : je fais mon propre ménage des trucs négatifs, je vais arrêter de me
prendre la tête pour rien, de trop réfléchir ».
La rigueur dans son mode de vie, le recours à l’action, semblent ainsi représenter la meilleure
manière de répondre aux dangers de la maladie : « J’ai arrêté de fumer, depuis 2003 : rien !
Pas d’alcool, pas de cannabis, traitement. » ; « Quand je dois aller à l’hôpital, la veille je me
couche tôt pour être en forme pour la journée. Je suis très organisé » ; « Aller à la piscine et
faire du sport, faire des activités » ; « Ce soir là, je me suis dit : “allez T [prénom], si tu ne
sors pas, tu mourras avant de te faire agresser !”, et c’est comme ça que je suis allé en
boîte ».
La lutte contre les travers attribués au trouble requiert une reprise en main de sa propre
personne, un dialogue avec soi-même qui peut prendre une forme quasi-autoritaire : « Ce qui
m’a beaucoup aidé, c’est de replacer mes objectifs. J’écris beaucoup quand ça ne va pas. Je
me dis : “là, ça ne va pas, il faut arrêter ça, faut mettre de la distance et donc tu te recentres
sur toi et pour ta semaine tu as tel et tel objectif ».
Le rapport à l’action semble intimement lié au rapport au temps de la maladie. Les sujets
évoquent le sentiment d’une rupture, d’une suspension du cours normal de l’évolution
existentielle de telle sorte que sortir de la maladie serait également sortir du temps de la
maladie : « Ça a été terrible pour moi cette angoisse du temps, l’impression de ne pas
avancer, d’être entre parenthèses, d’être en suspens, comme si l’histoire de ma vie s’était
arrêtée et que j’étais dans un endroit intermédiaire : les soins » ; « À chaque rechute, il y a
un an et demi de ma vie qui a été en standby ». Les sujets semblent ainsi parfois mués par un
168
désir de revanche, sur le temps, sur la souffrance, sur les incompréhensions d’autrui… : « Ce
qui me permet d’aller de l’avant, c’est une forme de revanche contre l’ingratitude parce que
quand j’étais très mal, il y avait des gens qui ne m’adressaient plus du tout la parole ».
Néanmoins, nous retrouvons parfois la conscience d’un ajustement nécessaire à une certaine
réalité, modérant ainsi l’exigence que pourrait susciter cette dynamique de lutte : « Cette
après-midi, je vais ranger un peu la maison, puis je vais me reposer sur le fauteuil à essayer
de lire un peu et de me détendre, parce que j’ai fait cet effort ce matin de venir au rendezvous qui fait que l’après-midi, il faut que je décompresse » ; « Je n’ai pas encore parfaitement
adopté un bon rythme. L’essentiel est le fait d’accepter que ça prend du temps ».
III.2.2. Synthèse
Cette seconde classe de discours met en lumière un certain rapport à l’évolution dans la
maladie centré sur l’action et la lutte de manière quasi « militaire ». Notons que selon Alceste
et notre propre analyse, cette classe est particulièrement représentative du discours des sujets
se situant aux stades 1 et 2 du rétablissement de l’échelle STORI, après réduction statistique.
Ces sujets insistent ici sur les réaménagements quotidiens imposés par l’expérience de la
maladie : la prise de traitement, l’arrêt de toxiques, le maintien d’une bonne hygiène de vie
etc. Ces modifications psychiques sont toutefois associées à un sentiment d’inquiétude,
comme si ce nouvel équilibre contacté était encore trop récent ou fragile. La rechute demeure
une préoccupation nécessitant efforts constants et vigilance.
La maladie constitue ainsi une menace, presque un ennemi, qui doit être affronté dans une
guerre sans relâche. Les sujets décrivent dans cette optique le recours au quotidien à un
ensemble de « stratégies », certes coûteuses, mais qui semblent dans l’ensemble permettre le
développement d’un sentiment d’efficacité personnelle (Bandura, 1997). En effet, ces
dernières, orientées par l’action, permettent aux sujets de se mesurer à la difficulté. Le
maintien de certains comportements (prise de traitements) ou la rupture avec d’autres
(addictions) semblent renforcer un sentiment de contrôle interne. L’idée d’une lutte contre la
maladie et son potentiel négatif oriente une ligne de conduite et semble ainsi soutenir le
déploiement du « pouvoir d’agir ».
169
III.3 Conclusion du troisième thème
Pour conclure sur ce troisième thème, deux grandes attitudes apparaissent se dégager dans le
rapport à l’évolution favorable des sujets :
-
Une première grande attitude centrée sur l’action, représentative des sujets appartenant
aux stades 1 et 2 du rétablissement (après réduction statistique de l’échelle STORI).
Le maintien d’un équilibre fragile est soutenu par des stratégies de lutte contre les
manifestations et conséquences de la maladie. L’amélioration de la qualité de vie des
sujets requiert des réaménagements existentiels, notamment comportementaux, offrant
un sentiment de contrôle interne. Il s’agit de mesurer sa capacité à modifier le réel, de
réagir par le mouvement au sentiment de passivité imposé par la maladie. L’évaluation
favorable est ici développement d’un « pouvoir d’agir ».
-
Une seconde grande attitude centrée sur la dimension expérientielle, caractéristique
des sujets identifiés comme étant au stade le plus avancé du processus de
rétablissement (stade 3 après réduction statistique de l’échelle STORI). L’évolution
favorable est pensée en référence aux reliefs créés par l’histoire de la maladie. Les
facteurs associés à un mieux-être sont extraits des expériences du trouble. La
connaissance de soi, par exemple, s’appuie sur l’épreuve de la maladie, aujourd’hui
considérée comme dépassée. Un sentiment de sécurité interne est perceptible chez ces
sujets. La maladie ne représente plus une menace extérieure contre laquelle il faut
lutter, mais une facette de leur intimité psychique offrant un retour réflexif à soi.
L’évolution positive est ici davantage développement d’un « pouvoir d’être ».
170
IV. Analyse de contenu du Thème 4
Rapport à soi : intégration du vécu expérientiel et projections dans l’avenir
L’analyse Alceste de notre quatrième thème fait apparaître trois classes de discours. Le
corpus comporte 384 UCE dont 270 ont été prises en compte dans l’analyse (70.31% des
UCE totales).
IV.1 Première classe de discours
La première classe identifiée par le logiciel comprend 18.89% des UCE classées. Les mots les
plus significatifs la caractérisant et les Khi2 associés sont présentés dans le tableau 10 de
l’Annexe XII.
IV.1.1. Analyse descriptive
Au sein de cette classe de discours, les termes « laisser » ; « schizophrénie » ; « alcool »,
« rechute » ; « rester » coexistent avec les mots « révéler » ; « envie » ; « permettre » ;
« positif » ; « aider ».
Nous allons voir que la maladie est ainsi présentée sous l’angle d’une modification
existentielle positive.
Les réaménagements évoqués par les sujets concernent tout d’abord certaines habitudes de
vie. L’expérience de la maladie impose la modification d’attitudes qui renforceraient un malêtre : « En quelque sorte, la maladie m’a modifié, parce que ça m’a permis d’arrêter de
fumer. Pour moi, c’est comme si j’avais fait un pas que d’autres n’ont pas fait ».
En outre, cette expérience est vécue comme une ouverture à de nouveaux horizons, de
nouveaux champs d’intérêts : « Je fais du sport, je lis, j’essaye de réviser des cours. Je
prépare un BTS dans la comptabilité. La schizophrénie pour moi maintenant, c’est une autre
vie ». La dimension culturelle est fréquemment mise en avant par les sujets : « Tous les jours
j’ai cette envie de connaître, d’apprendre, de savoir et ça, ce ne l’était pas avant, ça a été
radical » ; « ça m’a permis de me cultiver. Ça me sert dans mes relations avec mes collègues
171
de savoir des choses que j’aurais pas pu apprendre si j’avais pas été malade ». Il ressort ainsi
des témoignages une curiosité intellectuelle, comme si l’expérience du trouble avait suscité un
désir de connaissance renouvelé.
En outre, les sujets décrivent une orientation vers des activités nouvelles, dotées de sens et
source d’enrichissement personnel : « J’ai de la chance de faire des choix qui me plaisent : la
danse par exemple, je suis le seul mec et ça, c’est la schizophrénie qui aide. Le dérèglement
mental nous permet de pouvoir faire les choses là où les autres se posent mille et une
questions et ne le font pas ». L’ouverture au monde, créée par l’expérience de la maladie,
conduit à une ouverture à des désirs singuliers, quand bien même ces derniers échapperaient à
une certaine conformité sociale : « Quand on fait des choses positives, on n’est pas toujours
dans l’autoroute que dessine la société. Ce décalage a été très bien accepté, grâce à la
schizophrénie, ça a vraiment été très positif ». L’expérience confère une assurance aux sujets
(« J’ai pris beaucoup d’assurance et ça se ressent. J’ai de moins en moins envie de rester
enfermé chez moi »), une aisance plus marquée à réaliser des choix en accord avec euxmêmes (« Je me pose moins de questions, si c’est positif, c’est positif, point. Je me remets
moins en question »).
Ainsi, l’expérience du trouble est-elle perçue comme source de réalisation personnelle :
« Aujourd’hui, j’ai réalisé des choses que j’avais envie de faire depuis longtemps ».
L’ouverture au monde est, par là-même, ouverture à soi : « Je comprends nettement mieux le
monde, son fonctionnement, son articulation. C’est après que j’ai compris, grâce à la
schizophrénie, mon système de pensée ».
L’occurrence élevée du terme « révélation » témoigne de ce mouvement : « La maladie m’a
révélé. Avant, je me laissais porter au gré du vent, je n’allais pas jusqu’au bout des choses ».
Dévoilement d’un pouvoir d’agir, la maladie est également évoquée dans son potentiel
d’ouverture à de nouvelles dispositions identitaires : « La maladie m’a modifié. Elle m’a fait
être plus tranquille. Si j’étais resté dans le même cas que j’étais, j’aurais été plus agité » ;
« Je suis devenu quelqu’un de peut-être plus gentil, plus généreux. Mon réseau social se
rétablit, vraiment, comme moi ».
172
Les sujets évoquent ainsi un phénomène de modification identitaire. Ce dernier est compris de
différentes manières possibles :
- Soit comme un enrichissement personnel : « La maladie n’a pas vraiment transformé le
noyau, c’est quelque chose qui s’est collé dessus, j’ai mûri aussi »
- Soit comme une révélation de dispositions intérieures occultées ou latentes : « La maladie
m’a modifié parce que des fois je me dis : “je ne me reconnais pas”. Mais ça reste dans le
positif donc je n’ai pas peur. Je m’affirme, je me révèle vraiment en tant que M » ; « Je
pense que c’est ma vraie personnalité qui revient, alors que je n’avais aucune
personnalité, j’avais aucune envie, je ne connaissais rien ».
- Soit davantage comme un phénomène de transformation : « Je suis mieux armé, même si je
suis plus fragilisé. Quelque part, c’est la maladie qui m’a aidé. La maladie rend plus
fort » ; « La première des choses que la maladie a changé dans mon existence c’est la
possibilité d’être intègre, vraiment ».
Quelles que soient les conceptions des sujets, l’expérience du trouble est perçue comme une
valeur ajoutée, un apport d’authenticité (cf., entre autre, la fréquence d’occurrence élevée du
terme « vraiment »).
Les sujets témoignent d’une aptitude à extraire des enseignements de leurs expériences
douloureuses, à conférer un sens à leurs souffrances : « il n’y a pas cette notion de bien ou de
mal, de positif ou de négatif parce que la souffrance, qui peut être très négative, peut être
bénéfique en même temps, parce qu’elle vous apprend des choses ».
Les épisodes de rechute, par exemple, peuvent être compris comme des évènements
participant à une évolution favorable : « Là, j’entame une période de ma vie où je suis très
bien quoi, où vraiment il y a eu un plus. Ça a été érigé à la suite de ces rechutes importantes,
disons que ça m’a aidé ». La rechute n’est pas seulement présentée sous l’angle de la perte,
mais aussi du potentiel gain consécutif à son rétablissement : « C’est à la sortie de ma
rechute que j’ai eu beaucoup moins peur de travailler ».
La maladie porte en elle un potentiel d’accès à un équilibre psychique plus favorable : « Il y a
un proverbe qui dit : “c’est un mal pour un bien”, c’est un mal malgré tout mais c’est un très
grand bien aussi parce que ça me permet vraiment de retrouver de bonnes structures ».
173
La part de négatif qu’elle contient suscite un autre rapport à soi qui, bien que douloureux,
participe à un processus de croissance : « La maladie m’a obligé à vraiment me recentrer sur
moi-même » ; « La maladie a à la fois révélé cette sensibilité, cette douleur aussi qu’il a fallu
dénouer grâce au travail psychologique, mais c’est aussi grâce à cette sensibilité qui fait
qu’aujourd’hui je suis meilleur qu’avant » ; « Ça aide, parce qu’on en a tellement vu quelque
part, surtout en soi. Vraiment, j’ai l’impression d’avoir vu des choses très intenses grâce à la
maladie » ; « La maladie m’a aidé, elle m’a forgé elle m’a mûri et je pense qu’elle m’a cassé
la gueule aussi elle m’a pas fait de cadeaux »
Certains sujets montrent même une capacité d’extraction d’un sens personnel dans le contenu
des symptômes : « La maladie m’a permis de révéler mon envie d’humanité unie, donc ça, ça
faisait partie du délire, mais qui m’est resté ». Les phénomènes psychotiques sont ici compris
comme l’expression d’une part de soi, inconsciente et potentiellement bienveillante : « Les
voix me protégeaient et m’encourageaient à quitter ce groupe. Je pense qu’il y avait la
schizophrénie et puis c’était moi-même qui peut-être essayais de me dire, mon fond
inconscient à mon fond conscient, que là, il faudrait peut-être quitter des amis aussi
dangereux pour ma santé ». Pour d’autres sujets enfin, cette modification identitaire positive
est davantage mise en lien avec le déploiement de ressources imposées par l’expérience du
trouble : « Je crois que c’est dans l’auto-gestion que cela a modifié ma relation avec les
autres. Ce n’est pas vraiment la maladie, c’est ce que j’ai mis en place pour la contrer. Par
exemple, je me mets moins en porte-à-faux avec les gens ».
Notons enfin que les sujets représentés au sein de cette classe de discours se montrent
confiants quant à l’avenir : « À l’avenir, je pense que ça va s’améliorer. Je serai plus serein
et en mesure de me lancer dans le monde du travail, mais peut-être pas dans n’importe quelle
structure bien entendu, un poste qui soit épanouissant ». Leur projection n’est plus centrée sur
l’évolution de la maladie : « Avoir une femme des enfants, mieux connaître le monde, je ne
vais pas m’arrêter de vivre parce que j ai été malade ! »
Prudente et tenant compte de nouveaux éléments de réalité, cette confiance est ouverture à
l’imprévisibilité existentielle : « Personne ne peut prévoir l’avenir, c’est ouvert. Je ne sais
pas de quoi demain sera fait, si ce sera positif ou négatif. Je vis mieux l’instant présent ».
174
IV.1.2. Synthèse
Cette classe de discours de notre quatrième thème d’entretien est particulièrement
représentative des sujets connaissant un processus de rétablissement avancé (étape 2 et 3
selon l’échelle STORI et après réduction statistique).
Les sujets décrivent une modification existentielle positive inhérente à l’expérience de la
maladie. Cette dernière oriente un nouveau rapport au monde et un nouveau rapport à soi
caractérisés par le désir de connaissance, d’ouverture, d’authenticité.
Cette amélioration apparaît comme un bénéfice direct de la maladie : cette dernière n’occulte
pas, mais vient au contraire révéler, transformer de nouvelles dispositions identitaires.
L’évolution positive n’est pas dissociée des expériences négatives : ces dernières tendent à
être acceptées et intégrées dans l’histoire de vie des sujets.
La souffrance contraint à un autre rapport à soi et participe à une connaissance renouvelée de
sa personne. La conscience d’une fragilité oriente vers un nouveau rythme et par là-même, à
une bienveillance accrue des sujets vis-à-vis d’eux-mêmes. L’expérience de la perte les mène
à développer une énergie de vie, un désir de réalisation personnelle s’éloignant de manière
assumée d’une certaine conformité sociale. En outre, la confrontation à la souffrance suscite
le déploiement de ressources jusqu’alors inconnues. Par exemple, l’expérience délirante n’est
pas rejetée mais au contraire envisagée comme une source de connaissance personnelle.
Ainsi, l’expérience du trouble est intégrée au processus de reconstruction identitaire : elle en
est même le moteur. Les sujets décrivent l’accès à un nouvel équilibre psychique, plus
satisfaisant que le précédent, mais se situant néanmoins dans le prolongement de leur histoire
et de leur personne.
IV.2 Seconde classe de discours
La seconde classe identifiée par le logiciel comprend 27.78% des UCE classées. Les mots les
plus significatifs la caractérisant et les Khi2 associés sont présentés dans le tableau 11 de
l’Annexe XII.
175
IV.2.1. Analyse descriptive
Le discours des sujets représentés au sein de cette seconde classe renvoie à un rapport à soi
centré sur le souci de l’avenir et le maintien d’un équilibre de vie fragile.
Le terme de « projet » est majoritairement associé au travail.
Cette projection est fréquemment évoquée de manière abstraite : « Pour l’instant, je n’ai pas
de projet particulier, déjà reprendre le boulot » ; « pour l’instant, mon projet pour l’avenir
est de travailler parce que j’en ai besoin » ; « à l’avenir, mes projets, c’est surtout le travail,
retrouver une activité ». Le travail est ainsi souvent associé à un repère existentiel sécurisant :
« c’est un projet, disons que c’est une sécurité pour moi. J’ai toujours pensé que c’est ce qui
m’a vraiment sorti d’affaire : le travail, ça m’équilibre, ça m’aide vraiment ».
Le projet professionnel est ainsi vécu comme initiatique, fondateur : « Je vais travailler dans
la comptabilité si tout se passe bien. Je ne vais pas aller trop loin dans le futur. Je vais déjà
réussir ça et ce sera pas mal » ; « C’est peut-être le projet que je mets au premier plan, c’est
de travailler un jour, ma situation professionnelle ».
Dans cette optique, l’activité professionnelle (lorsqu’elle est effective) est présentée comme
l’investissement premier, garantissant un équilibre de vie, quand bien même ce dernier ne
serait pas entièrement satisfaisant : « Je travaille, sinon le reste du temps, je me repose. Ca va
bien comme ça. Mais c’est vrai que c’est une vie assez basique. Je travaille, c’est tout, je
travaille » ; « Ma vie professionnelle, pour l’instant, c’est une reconversion dans
l’administratif, ça ne me plait pas vraiment mais je n’ai pas le choix et ça me permet quand
même de travailler ». La primauté de cette activité est telle que son interruption est fortement
redoutée : « Quand je serai à la retraite, que je ne travaillerai plus, mes parents seront peutêtre décédés, j’aurai plus de collègues. Je me pose des questions sur comment je vais vivre
ma retraite, des projets, qu’est-ce que je vais devenir ?... ». Nous comprenons dès lors que le
travail représente le principal garant d’une vie relationnelle et de projections existentielles.
En outre, le terme de projet peut être associé à une meilleure stabilisation clinique. La
diminution de la symptomatologie est, par conséquent, mise en avant : « J’ai pour projet de
continuer les soins en dehors de l’hôpital. J’aimerais bien qu’ils trouvent une pilule magique
qui ferait que je n’entende plus de voix, que je n’aie plus de visions ». La priorité est le
176
maintien d’un équilibre psychique qui demeure fragile voire précaire : « L’évolution de la
maladie, à l’avenir, peut-être avoir moins d’hallucinations, moins d’angoisses, après est-ce
que j’arriverai à avoir moins de médicaments, ça je ne sais pas. Pour l’instant, le traitement
me va ». Les sujets évoquent ainsi la centration sur des besoins fondamentaux : « À un
moment je me suis dit : “il faudrait peut-être que je réussisse à aller mieux !” D’abord la
santé, le travail, l’argent plus tard. »
Le souci de maintien d’un équilibre de vie nourrit parfois un désir d’immuabilité :
« J’aimerais bien rester, voilà, pas changer pour l’instant, j’ai rien à changer ».
A ce titre, l’autonomie peut représenter un projet trop ambitieux car trop risqué : « Vivre toute
seule, pour l’instant, je ne suis pas vraiment sûre, je ne sais pas, mais pourquoi pas plus tard,
dans deux, trois années à peu près ». Il apparaît en être de même pour la vie affective et
relationnelle : « Je n’ai pas de petite amie depuis trois ans et pour l’instant, ça ne me manque
pas, je n’ai pas cherché donc ça va encore, même si je sais que c’est désocialisant ».
Les sujets ne s’estiment pas prêts à s’investir dans ces domaines.
Néanmoins, l’isolement, les difficultés relationnelles et la solitude sont fréquemment
rapportés et déplorés par les sujets : « Ma vie sociale et relationnelle n’est pas très
importante, à part mes parents qui sont toujours là, et puis les activités au GEM » ; « Je vis
seul dans un F1, les journées sont longues quand je ne travaille pas à l’ESAT » ; « Je suis
seule chez moi, je suis beaucoup chez moi » ; « J’ai du mal à parler avec les gens. Je ne sais
pas pourquoi, peut-être que je suis timide un peu à cause de la maladie ».
Cet équilibre de vie fragile décrit par les sujets est comme un temps suspendu, un souffle
retenu, un espace de transition avant l’accès à une autre dimension : « Si vous voulez, au
niveau de ma vie, je suis quand même en suspens. Je vis seule et depuis ma pathologie, je ne
me suis pas remise en couple par exemple ».
La nouveauté dans cette optique est vécue comme potentiellement dangereuse : « Quand
quelque chose de nouveau se présente à moi, j’ai besoin d’un minimum de temps pour
cogiter, pour me dire : “oui, je suis capable d’y aller”, je ne dis pas oui sur le coup, avant, je
disais oui à tout ».
177
Les sujets expriment dès lors la perception douloureuse d’un écart entre leur fonctionnement
actuel et leur fonctionnement antérieur : « Aujourd’hui, je ne vois plus les choses comme
avant. Avant, je m’occupais d’aller faire les magasins toute seule. Maintenant, c’est ma mère
qui choisit mes vêtements ». Ils mettent ainsi l’accent sur les pertes engendrées par la
maladie : « La maladie m’a transformé en négatif. J’étais plus débrouillard quand j’étais
petit, même si aujourd’hui je vis seul » ; « Avant, je riais, je parlais moins seule. J’étais plus
avec les gens. Et puis j’ai eu du mal à rire, à apprendre, j’ai beaucoup grossi ».
Le trouble est vécu comme une perte de temps, notamment au regard de repères fonctionnels :
« On a perdu du temps, il faut se remettre en selle, je sors beaucoup moins maintenant » ;
« On peut dire que j’ai perdu mon temps dans le sens où je n’ai pas essayé d’aller passer mon
permis. J’avais mon travail, j’y allais mais bon, j’étais pas forcément bien là-bas ». Plus
qu’un temps suspendu, le temps de la maladie est décrit comme déstructurant : « Dans toutes
les années de la maladie et des grosses crises, je n’ai rien construit, j’étais à côté, donc j’ai
clairement perdu mon temps » ; « J’ai perdu du temps, je suis resté enfermé plus de 4 ans,
voire 5 ans à fumer des joins à fond. Quand je sors, j’ai l’impression que : “Woua !, c’est
plus le même monde !”, comme si j’étais tombé dans le coma ».
En outre, les sujets décrivent les symptômes psychotiques comme ayant occulté leur
personne : « J’ai rattrapé pas tout mais presque toutes mes facultés intellectuelles, ma
personnalité ressort que maintenant, avant elle était complètement occultée à cause des
délires ».
Dans cette perspective, l’amélioration est comprise comme récupération d’un état antérieur à
la maladie: « Je pense que j’ai encore beaucoup beaucoup de choses à rattraper. On va dire
que j’ai rattrapé dans le sens du comportement, mais au niveau de la situation, je suis encore
loin d’avoir rattrapé le temps perdu » ; « Plus je vais évoluer, plus je vais me retrouver
comme avant ».
IV.2.2. Synthèse
Selon nos propres recoupements, cette seconde classe de discours est particulièrement
représentative des sujets s’inscrivant au premier stade de rétablissement de l’échelle STORI,
178
après réduction statistique. Notons aussi la présence du discours de sujets s’inscrivant au
second stade.
Les projections vers une insertion professionnelle et une meilleure stabilisation clinique sont
contemporaines d’un sentiment d’insécurité prégnant. Le travail est surtout évoqué comme
garant d’un certain équilibre relationnel et ainsi psychique.
Les sujets se vivent dans un temps de transition, dominé par le souci du « maintien » et de la
« récupération ».
L’énergie déployée pour le maintien d’un équilibre existentiel fragile, voire précaire, place
clairement la question de la réalisation affective et personnelle au second plan des
préoccupations actuelles des sujets. La récupération projetée d’aptitudes fonctionnelles
(autonomie et insertion professionnelle) semble être leur principale source de motivation et
d’espoir. Néanmoins, ces aspirations coexistent avec une attitude de rejet du temps de la
maladie. Ce dernier n’est vécu que sous l’angle de la perte, de la déconstruction.
L’amélioration visée s’inscrit ainsi en opposition à l’état connu en plein cœur de la maladie.
IV.3 Troisième classe de discours
La troisième classe identifiée par le logiciel comprend 53.33% des UCE classées. Il s’agit de
la classe la plus conséquente de notre quatrième thème. Les mots les plus significatifs la
caractérisant et les Khi2 associés sont reportés au sein du tableau 12 de l’Annexe XII.
IV.3.1. Analyse descriptive
Cette dernière classe de discours de notre analyse Alceste est centrée sur les modifications
relationnelles engendrées par l’expérience de la maladie.
Dans la perspective d’une modification existentielle positive, certains sujets décrivent une
amélioration de leur rapport à l’autre : « La maladie a modifié mes relations avec mon
entourage familial, je m’entends beaucoup mieux avec mes parents, avec ma sœur,
énormément mieux » ; « La maladie a modifié mes relations à mon entourage. Par exemple,
je souffrais un peu de dépendance affective et aujourd’hui, je fais beaucoup plus attention ».
179
L’expérience du trouble confère une autonomie nouvelle dans les relations et un sentiment de
maturité affective nouvelle : « depuis la maladie, je sollicite moins l’entourage. J’arrive à
gérer beaucoup mieux et au contraire, c’est ma sœur qui vient vers moi, qui a besoin de
parler » ; « Grâce à tout ce que j’ai appris sur moi – il faut encore travailler la confiance en
soi – mais c’est de mieux en mieux, c’est moins grave qu’avant la maladie mes relations aux
autres ».
Les relations sont souvent décrites comme plus apaisées : « Elle a modifié ma relation avec
mon frère : je suis quelqu’un maintenant qui dit : “ bon, c’est pas grave”. Ca aurait été
avant, si par exemple il n’avait pas rangé sa chambre, je lui aurais cassé la gueule ».
Les rôles familiaux se réaménagent et les sujets décrivent l’adoption d’une posture plus
nuancée : « La maladie a modifié ma relation à mon entourage parce que comme je me
prenais pour le chef de famille, dès que j’ai été malade, j’ai abandonné toutes ces choseslà ».
L’ouverture à soi et au monde se traduit, dans la relation, par le sentiment d’un dévoilement,
d’une connaissance nouvelle de l’autre : « Avant, j’étais un adolescent à problèmes alors que
maintenant, je me sens adulte avec la soif de connaissance d’un enfant. J’apprends à
connaître mes parents, mon entourage ».
En outre, la qualité des relations sociales, depuis la maladie, est fréquemment associée par les
sujets aux représentations d’autrui quant à cette dernière. La compréhension de l’entourage
apparaît être un facteur déterminant : « L’évolution, c’est de pouvoir vivre une vie de couple
en expliquant ma maladie à quelqu’un qui serait compréhensif » ; « Ça n’a pas modifié ma
relation avec mon entourage, j’en ai parlé à un ami proche et il m’a dit que ça ne changeait
rien et ma famille était au courant de mes troubles, donc ils ont suivi l’évolution de la
maladie ».
À l’inverse, la stigmatisation impacte la qualité des relations aux autres : « Il y a des gens qui
n’oublieront jamais par quoi je suis passé et où je suis arrivé et pour qui je vais rester le mec
fou ». Ces représentations négatives peuvent nourrir une attitude de repli social : « C’est vrai
que les personnes qui ont été exclues du cursus normal ont un peu coupé les ponts avec les
relations sociales ». En outre, ces dernières peuvent marquer durablement les relations
180
familiales : « La maladie a modifié ma relation à mon entourage parce qu’ils m’ont vu péter
les plombs et ça c’est pas facile pour eux non plus » ; « Mon père a eu un peu de mal. Il a été
effrayé par les symptômes parce qu’il ne connaissait pas la maladie ».
Les sujets décrivent néanmoins une évolution positive de ces représentations : « Au début, les
gens avaient une image des médias, donc ils étaient en décalage par rapport à ce que je
vivais. Depuis, ils ont rencontré les médecins ». Une meilleure connaissance de la maladie est
associée à un facteur de destigmatisation. Les sujets peuvent d’ailleurs souhaiter accompagner
ce processus d’information quant à la maladie auprès de leur entourage : « J’espère, au
niveau de la famille, une meilleure compréhension peut-être de mes états. Il faut peut-être
que je leur dise : là c’est la maladie, là ça ne l’est pas ».
De plus, l’évolution des représentations d’autrui est associée par les personnes à l’évolution
de leurs propres représentations : « Les gens ne connaissent pas, donc ils se font une idée
fixe, mais après ça évolue, aussi moi puis les autres, ça a évolué ».
Les sujets s’impliquent ainsi dans ce processus de déstigmatisation en mettant en avant un
travail d’acceptation : « La maladie a modifié mes relations. C’est vrai qu’au début, j’étais
opprimé au niveau relationnel, alors que maintenant ça va mieux, j’assume » ; « J’arrive
dans mon décalage, qui est un décalage normal, naturel, de tout le monde – mais il a été
beaucoup plus accepté par la maladie –, de pouvoir me mettre au ban de la société tout en
faisant des choses positives ». La différence, moins douloureuse, peut même être pensée
comme un atout au service d’une réalisation personnelle.
Le travail d’acceptation peut également concerner l’amélioration et l’évolution positive :
« J’ai du mal à en parler, tout ce que je viens de dire, j’ai l’impression que ça fait prétentieux
par rapport à d’autres patients qui sont juste au début de leur traitement ». La résonnance
empathique dans la relation à l’autre, notamment l’entourage familial, est perçue comme
aidante. Les sujets expriment dans cette optique les bénéfices d’une intervention d’un tiers
professionnel : « J’ai demandé à Mme H de m’aider à expliquer à ma famille le mot
« rémission » parce que je n’arrivais pas à leur expliquer et ils ne me comprenaient pas ».
Enfin, les sujets expriment fréquemment le désir de partager leur expérience dans la relation à
leurs pairs : « Une des relations que j’avais au niveau amical, j’ai essayé de l’aider, c’est une
181
personne qui est schizophrène qui ne se fait pas soigner » ; « J’arrive même à aller voir mes
potes, de leur parler : “ça sert à rien de fumer !”, je leur explique, c’est de la prévention, je
peux faire ça aussi je pense parce que j’étais aussi au plus bas » ; « Puisque je connais la
maladie, je peux donner des informations, des astuces et des méthodes pour aider un autre
malade. Je le fais ici malgré moi, sans m’en rendre compte, naturellement je le fais ».
L’expérience de la maladie est ici au service de la relation d’aide.
IV.3.2. Synthèse
Les modifications inhérentes à l’expérience de la maladie se traduisent dans la relation à
l’autre, et notamment à l’entourage familial. Cette dernière classe de discours met ainsi en
lumière les réaménagements relationnels, principalement chez les sujets s’inscrivant à la
dernière étape du processus de rétablissement selon l’échelle STORI.
Les sujets vivant une transformation identitaire positive décrivent un rapport à l’autre
caractérisé par une plus grande maturité. Ils décrivent une perte des rôles familiaux et sociaux
antérieurs à la maladie les amenant à envisager ces derniers sous un jour nouveau.
L’expérience d’une altérité peut être vécue comme un atout au service d’une réalisation
personnelle mais aussi d’une relation d’aide à leurs pairs. Les sujets décrivent ainsi comme
une capacité à transformer positivement les stigmates du trouble.
L’estime de soi et l’acceptation du trouble, phénomènes en interrelation intime, s’établissent
ainsi sur l’expérience de la perte et de la recréation.
Cette aptitude des sujets apparaît néanmoins fortement dépendante du regard de leur proche
quant à la maladie. Elle est en partie déterminée par la capacité des sujets et de leur proche à
se défaire d’une représentation stigmatisante du trouble. En ce sens, nous pourrions dire que
l’acceptation du trouble est un phénomène psychosocial.
182
IV.4 Conclusion du quatrième thème
L’analyse du notre quatrième thème prolonge et précise les différenciations établies
précédemment entre certaines étapes du rétablissement. Ce thème éclaire particulièrement le
travail de reconstruction identitaire des sujets, notamment de ceux appartenant à la première
et à la dernière étape du rétablissement (selon l’échelle STORI après réduction statistique).
-
Les sujets identifiés comme s’inscrivant au premier stade du rétablissement évoquent un
sentiment de diminution personnelle depuis la maladie. Cette dernière est ainsi
uniquement perçue sous l’angle de la perte. Afin de restaurer une certaine continuité
identitaire, les sujets sont mués par le désir de récupération de leur état pré-morbide,
notamment d’aptitudes fonctionnelles.
En découle des préoccupations essentiellement centrées sur l’insertion professionnelle.
Le travail est perçu comme l’ultime repère permettant de retrouver un rapport à l’autre, à
la société et par conséquent, à leur personne. La structuration d’un équilibre interne est
prioritairement orientée par l’adaptation à une norme externe.
-
À l’inverse, les sujets s’inscrivant au dernier stade du processus de rétablissement
évoquent un sentiment de modification existentielle. Ce nouveau rapport au monde et à
soi prend appui sur l’expérience de la maladie.
Les sujets confèrent une place au négatif dans leur existence : la perte et le deuil
conduisent à la création d’un équilibre nouveau, caractérisé par le désir de connaissance,
d’ouverture, d’authenticité, de partage. L’épreuve de la maladie, l’expérience de l’altérité
profonde, voire du rejet ou de la stigmatisation conduisent les sujets à se référer à une
évaluation interne se détournant de critères normatifs. Cette réappropriation de soi
nécessite toutefois - pour se consolider – d’être confirmée par le regard de l’autre, en
l’occurrence l’entourage proche. L’acceptation est recréation d’une norme plus
singulière, reconnue dans la rencontre intersubjective.
183
TROISIÈME PARTIE - DISCUSSION
LE RÉTABLISSEMENT :
UN PROCESSUS DE REDÉFINITION IDENTITAIRE
184
Le discours de la maladie est presque toujours négatif, discours de la restriction,
du renoncement. Il rappelle ce que l’on ne doit pas faire.
Code de la vie, revu et appauvri. On est pris dans un étau. Le possible disparaît.
Mais la maladie réveille aussi une sensibilité qui s’était endormie.
Tout devient plus émouvant.
Cette caractéristique du vivant est négligée par
le discours clinique au seul objectif de la guérison.
C’est réduire cette expérience.
Alors que sans aucun doute, elle est l’expérience d’un autre pan de l’existence.
L’évidence fragile de qui je suis.
Claire Marin,
Hors de moi, 2008, p. 8.
Or guérir, recouvrer la santé, signifie plus qu’atteindre simplement l’état de la vie
normale ; ce n’est pas seulement une transformation, mais c’est infiniment plus ;
C’est une ascension, une élévation et un accroissement de finesse.
On sort de la maladie « avec une peau neuve », plus délicat,
avec un goût plus fin du plaisir, avec une langue plus exercée
pour apprécier toutes les bonnes choses, avec une sensibilité plus heureuse
et une seconde innocence plus dangereuse au milieu de la joie,
semblable à un enfant et cent fois plus affiné qu’on ne l’a jamais été.
Stefan Zweig,
Le combat avec les démons (Nietzsche), 1925, p. 180.
185
AVANT-PROPOS
Le concept de rétablissement des maladies psychiques vient transformer notre regard sur la
schizophrénie et le sujet qui en est atteint. Ses deux acceptions renvoient, d’un côté, à une
perspective médicale centrée sur l’évolution du trouble (rétablissement objectif) et de l’autre,
à une perspective expérientielle centrée sur le devenir de la personne (rétablissement subjectif,
Pachoud, 2012).
Notre étude clinique est venue explorer et confronter ces différents regards à la lumière du
vécu expérientiel de 26 sujets atteints de schizophrénie.
La discussion de nos résultats s’articulera autour de trois temps principaux :
Dans un premier temps, nous présenterons une nouvelle modélisation expérientielle centrée
sur les mécanismes psychologiques du rétablissement. Notre modèle vient redéfinir dans une
dynamique de compréhension, différentes étapes du processus qui n’avaient jusqu’alors été
théorisées que dans une perspective descriptive.
La notion de « soi » apparaît au cœur du processus et celle « d’identité narrative », articuler
ses différentes composantes : la conscience du trouble, l’acceptation du trouble et la
reconnaissance de soi. Il s’agira ainsi, dans un second temps, de définir les jalons d’une
redéfinition de soi dans la schizophrénie pour ensuite penser son déploiement dans la
rencontre psychothérapeutique.
A l’aune de ces éléments de compréhension, nous invoquerons dans un troisième et dernier
temps le statut « paradigmatique » du rétablissement, implicitement postulé jusqu’alors. Les
profondes modifications qu’il implique, des pratiques évaluatives comme thérapeutiques,
éthiques comme épistémologiques, seront discutées.
Ainsi, le rétablissement dans la schizophrénie se conçoit comme un processus de redéfinition
identitaire des sujets, mais aussi des méthodes et modèles théoriques régissant, jusqu’à
récemment, l’étude de ce trouble.
186
CHAPITRE I - UN NOUVEL ÉCLAIRAGE DU RÉTABLISSEMENT :
VERS UN MODÈLE DE COMPRÉHENSION EXPÉRIENTIEL
A l’issue de notre étude qualitative, nous proposons une nouvelle modélisation du
rétablissement qui vient prolonger et affiner les théories existantes, à travers une
compréhension globale et dynamique du processus.
La méthode d’analyse Alceste ainsi que notre propre regard clinique nous ont permis la mise
en exergue d’éléments signifiants au sein du contenu des entretiens des sujets. A partir de la
description de chaque classe de discours nous avons identifié certains processus psychiques,
remaniements identitaires, particulièrement représentatifs d’un stade de rétablissement.
Rappelons en effet que nos analyses statistiques nous ont conduit à réduire les 5 étapes de
l’échelle STORI en 3 étapes, compte-tenu des caractéristiques de notre échantillon
(différences significatives entre les étapes 1 et 2 ; les étapes 3 et 4 ; et l’étape 5).
Nous présenterons chacune de ces étapes en les croisant avec les modèles existants,
notamment celui d’Andresen (2005), puisque ce dernier représente la base conceptuelle de
l’échelle STORI. Si notre lecture entre ainsi logiquement en résonnance avec ce modèle, elle
marque son originalité par la mise en exergue d’une dynamique de compréhension des
processus psychologiques à l’œuvre dans le rétablissement. Chacune des étapes redéfinies
sera illustrée par une étude de cas considérée comme paradigmatique de ce moment de
l’évolution psychique.
187
I. Première étape : conscience du trouble et rupture du sentiment de continuité de soi
I.1 Définition
Les sujets s’inscrivant à la première étape du processus selon notre modèle (soit aux étapes 1
et 2 selon le modèle d’Andresen) expriment une attitude de rejet de la maladie et de ses
conséquences. Cette négation diffère, selon-nous, d’un simple déni de la maladie. En effet,
ces sujets témoignent fréquemment d’une bonne conscience des symptômes et du trouble
(sans omettre néanmoins que la conscience du trouble est un phénomène processuel).
Autrement dit, ils identifient les symptômes comme étant une source de souffrance, tendent à
les attribuer à l’existence d’une maladie et reconnaissent, le plus souvent, le diagnostic de
schizophrénie. En outre, les sujets évoquent les modifications existentielles et identitaires
imposées par le trouble mais semblent toutefois les refuser, demeurer dans l’incapacité de les
intégrer psychiquement.
C’est ainsi qu’ils sont mués par un désir de récupération de leur état de fonctionnement prémorbide, seul repère identitaire acceptable. La maladie est en effet uniquement perçue sous
l’angle de la perte, de la souffrance et de la destruction : perte de relations et d’un équilibre de
vie, destruction d’aptitudes cognitives et fonctionnelles, souffrances liées à la persistance
fréquente de symptômes, en somme : diminution du sentiment de soi.
Ainsi, le mieux-être est-il conçu à l’opposé de la maladie et de son lot de souffrances. Il ne
peut s’inscrire qu’en référence à l’idéal que représente le « soi d’avant ». La conception de la
guérison s’oppose à celle de la maladie.
Ce fonctionnement entretient une souffrance résultant de l’écart perçu entre cet « idéal type »
et leur sentiment de diminution personnelle. En découle fréquemment une oscillation entre
une certaine idéalisation de l’état pré-morbide, sonnant comme un déni transitoire, et un
sentiment de désespoir, une attitude de renoncement.
La reconnaissance de la maladie comporte ici le risque d’obérer la vision de la dynamique
évolutive du trouble. Cette vision statique des troubles peut s’accompagner d’une
surgénéralisation des expériences pathologiques et ainsi d’une confusion entre l’expérience de
188
la maladie et la maladie elle-même : le sujet ne se définit qu’à travers le prisme de la
schizophrénie.
Néanmoins, la conscience des troubles semble doucement orienter les sujets vers le
développement d’un « pouvoir d’agir ». L’identification des symptômes favorise une mise à
distance de ces derniers, et lorsque cela s’avère efficient, la restauration progressive d’un
sentiment de contrôle interne.
La conscience vient modifier le rapport au réel des sujets sur le plan de la gestion des
symptômes, mais encore peu sur le plan identitaire et existentiel. Les projections concernent
principalement la restauration d’une norme interne en adéquation avec la norme socialement
définie. Le travail est perçu, à ce titre, comme un repère privilégié permettant aux sujets de
retrouver un rapport à l’autre, à la société et par conséquent, à leur personne.
I.2 Étude de cas : Monsieur R33
* Présentation
Monsieur R est une personne de 40 ans, atteinte de schizophrénie paranoïde, rencontrée au
sein d’une clinique psychiatrique du Val d’Oise alors que son séjour était sur le point de se
terminer, après une durée de 4 mois. Monsieur R a quatre enfants et vient récemment de se
séparer de sa femme. Il possède un logement autonome et est actuellement en arrêt de travail
(ESAT) depuis son entrée à la clinique (il s’agissait de la quatrième hospitalisation de
Monsieur R).
Son médecin psychiatre nous a fait part d’une amélioration importante de sa symptomatologie
- et de sa capacité à l’évoquer -, les dernières semaines précédant notre rencontre.
Les scores aux échelles de rémission indiquent néanmoins une absence de rémission
symptomatique (persistance de manifestations négatives et anxio-dépressives essentiellement)
ainsi qu’un score « moyen » de rémission fonctionnelle (63/95).
33
Nous présentons la retranscription de l’entretien réalisé avec Monsieur R en Annexe XIII (p. 323, Tome II).
189
Les scores aux échelles de rétablissement se rejoignent : l’échelle STORI situe le sujet à
l’étape 2, « conscience » du processus (soit l’étape 1 de notre modèle après réduction
statistique).
Lors de notre entretien, le discours de Monsieur R est fluide et cohérent, ses réponses sont
néanmoins laconiques. Globalement, le sujet nous est apparu quelque peu déprimé bien que
coopérant.
* Vécu des symptômes : identification et mise à distance
Monsieur R rapporte souffrir de symptômes psychotiques depuis l’âge de 12 ans 34 :
« J’entendais des voix et je ne me sentais pas en sécurité ». Aujourd’hui, le sujet décrit la
persistance de ces manifestations, circonscrites néanmoins à certaines situations (« À chaque
fois que je vais chez ma mère, il y a des voix qui me disent de sauter dans le vide ») et bien
moins fréquentes et intenses (« Ça m’arrive encore, moins fréquemment, mais ça m’arrive
encore » ; « J’en souffre encore mais moins qu’avant »).
En outre, Monsieur R évoque une certaine aisance à identifier ces symptômes : « Des fois, je
souffre d’hallucinations, je vois des araignées et en fin de compte il n’y a rien ». Plus qu’un
phénomène de « contrôle », la conscience semble favoriser ici une mise à distance psychique
et affective : « Au début, j’y croyais, mais je me suis dit que ce n’était pas possible des
araignées qui sortent de ma peau. Si c’était réel, elles me toucheraient ». Le sujet témoigne
d’une aptitude à se confronter à l’épreuve du réel.
A l’avenir, Monsieur R nourrit l’espoir de connaître encore davantage une amélioration
symptomatique : « J’espère qu’avec les traitements, j’irai encore mieux, je n’aurais plus
d’hallucinations ».
34
Selon son psychiatre, le sujet aurait vraisemblablement souffert d’une forme de schizophrénie infantile. Ce
diagnostic est atypique et suscite des controverses. Néanmoins, toujours selon le praticien, le tableau clinique de
Monsieur R ne ressemblerait guère à une psychose infantile.
190
* Vécu du trouble : rupture existentielle et sentiment de diminution personnelle
Monsieur R invoque le statut de « malade » davantage en référence aux ruptures existentielles
consécutives à la maladie, qu’aux symptômes mêmes du trouble : « Ce qui reste c’est les
souvenirs de la maladie, mais aussi de mon divorce il y a cinq-six mois ». La souffrance la
plus importante semble concerner l’impact du trouble sur le plan familial : « J’ai construit
une autre vie maintenant, je suis séparé de mes enfants, je ne les vois plus comme avant ». En
ce sens, guérir, serait oublier, effacer les souffrances du passé, gommer toute empreinte
psychique laissée par la maladie, annuler le présent qu’elle a modifié, remonter le temps pour
ainsi dire : « On ne peut pas guérir parce que c’est traumatisant. Si on a vécu quelque chose
de dur, on ne peut pas l’oublier. Guérir, c’est oublier ».
Dans cette optique, la maladie est vécue comme une véritable rupture existentielle venant
définir « un avant » et « un après » : « Avant, j’étais plus heureux que maintenant. Avant, je
voyais mes enfants, je faisais du sport. Je faisais plein de choses avant. Maintenant je ne fais
plus rien ».
Ainsi, Monsieur R semble être dans une attitude de renoncement venant nourrir des affects
dépressifs. L’espoir d’une amélioration symptomatique coexiste avec une souffrance
existentielle perçue elle comme irréversible.
* Vécu de la relation thérapeutique : reconnaissance et ouverture des possibilités d’existence
Monsieur R évoque, avec pudeur mais authenticité, son investissement dans la relation
thérapeutique avec son médecin-psychiatre (qui nous a adressé le sujet). Cette rencontre
apparaît déterminante au regard de l’émergence d’un sentiment de reconnaissance et
d’appartenance, profondément mis à mal jusqu’à récemment : « Les gens que je vois, ils ne
comprennent pas, ils ne savent pas ce que j’ai vécu, ils ne comprennent pas comment je
réagis, comment je pense. C’est dur ça… Avec le Dr T., je me dis que je suis quand même un
peu comme tout le monde, c’est-à-dire que moi aussi je peux changer en bien, pouvoir
rencontrer des gens à qui je parle et qui me comprennent ».
191
La relation thérapeutique offre un espace intersubjectif commun et ouvre ainsi à des
possibilités d’existence.
I.3 Conclusion : aspirations à « vivre sans » la schizophrénie
Le premier stade de notre modélisation rejoint les étapes « moratoire » et surtout
« conscience » du modèle d’Andresen (2005). Les sujets de notre étude ont dépassé le
bouleversement identitaire engendré par la profusion des symptômes35 (notamment car la
stabilisation constituait un de nos critère de recrutement).
Notre compréhension de cette étape l’associe néanmoins à un fréquent sentiment de rupture
identitaire entretenant un désir de récupération de leur état pré-morbide.
En effet, la conscience du trouble et de ses impacts sur le plan existentiel peut entraîner chez
les sujets une tendance à ne se définir qu’à travers l’unique prisme de la schizophrénie : en
découle la perception d’un « soi diminué » comparativement au « soi d’avant » le trouble.
Dans le cas de Monsieur R, ce sentiment entre particulièrement en résonnance avec son
histoire de vie puisque pour le sujet, sa récente séparation est imputable à la maladie.
Le pessimisme et la croyance en l’irréversibilité d’un mal-être peuvent être modérés par
l’émergence d’un « pouvoir d’agir » quant à la gestion des symptômes (identification
favorisant une mise à distance). Néanmoins, le désir de normalisation reste prégnant et vient
nourrir une projection idéalisée et ainsi douloureuse dont le mot d’ordre pourrait être : « vivre
sans » la maladie.
II. Seconde étape : lutte contre le trouble et réappropriation de soi
II.1 Définition
L’analyse qualitative des entretiens de recherche fait apparaître un mécanisme psychologique
fréquemment à l’œuvre dans le processus de restauration du sentiment de continuité de soi : il
35
Ainsi, une étape précédant cette dernière serait sans doute à modéliser pour rendre compte du processus
évolutif du rétablissement dans son entièreté.
192
s’agit d’un cloisonnement psychique des expériences psychotiques favorisant un retour aux
composantes identitaires. Les sujets évoquent en effet une forme de clivage entre le soi et la
schizophrénie, pouvant aller jusqu’au recours à une personnification de la maladie, pour
mieux s’en détacher.
Cette distanciation se manifeste parfois chez certains sujets par le besoin de s’adresser
verbalement à soi et aux manifestations du trouble, comme pour accentuer une différenciation
entre les manifestations pathologiques et les aptitudes personnelles. Il s’agit de faire vivre un
dialogue intérieur qui favorise le maintien dans le réel.
Ce mouvement de défusion semble ainsi au service d’un réajustement à la réalité : il ouvre à
une aptitude de décentration, de métacognition. L’historisation et la contextualisation de leur
parcours dans les soins ou de leurs vécus douloureux permettent leur réappropriation sous une
forme distanciée.
Les conséquences existentielles du trouble sont mieux appréhendées, au même titre que les
ressources sollicitées pour y faire face : il ne s’agit pas tant d’effacer toute trace de la maladie
que de mieux composer avec. Ainsi, les sujets avancent-ils dans le deuil de leurs projections
et idéaux passés, non sans souffrance. L’amélioration de la qualité de vie requiert des
réaménagements existentiels, notamment comportementaux, offrant un sentiment de contrôle
interne. Il s’agit de mesurer sa capacité à modifier le réel, de réagir par le mouvement au
sentiment de passivité imposé par la maladie.
Ainsi, c’est à ce stade de leurs remaniements psychiques (que l’on peut mettre en parallèle
avec les étapes de « préparation » et de « reconstruction » dans le modèle d’Andresen), que
les sujets semblent véritablement contacter le « pouvoir d’agir ».
En effet, ce mouvement de réappropriation de soi s’accompagne d’une plus grande aptitude à
contrôler des symptômes. Cette dernière s’effectue à travers le registre de la lutte, qu’elle soit
cognitive ou affective. Il s’agit de confronter ses ressources à la puissance destructrice du
trouble et, in fine, gagner un sentiment d’ascendance vis-à-vis de cette dernière. La victoire
consiste alors à passer d’un sentiment de diminution de soi à celui d’une diminution du
trouble.
193
II.2 Etude de cas : Mademoiselle C36
* Présentation
Mademoiselle C a 30 ans, elle est atteinte de schizophrénie (de type indifférencié aujourd’hui)
depuis 10 ans. Nous l’avons rencontrée au sein d’un service de post-cure de psychiatrie du
Val d’Oise alors que la patiente était sur le point de le quitter pour emménager dans un
appartement thérapeutique. Le parcours de soin de Mademoiselle C fut assez chaotique : ses
suivis en hôpital de jour, puis en foyer, étant ponctués de multiples rechutes anxio-délirantes.
Après avoir arrêté ses études de droit, Mademoiselle C a multiplié des missions
professionnelles en tant que vacataire, la plupart rapidement interrompues.
La patiente avait, au moment de notre rencontre, le projet de se réinvestir dans ses études.
En outre, Mademoiselle C réalise un travail psychothérapeutique depuis environ 5 ans.
En amont de notre rencontre avec Mademoiselle C, son médecin et ses infirmiers référents
nous décrivent « une bonne stabilisation de son état clinique », ainsi qu’une « bonne
conscience de ses troubles ».
Mademoiselle C est actuellement en rémission symptomatique selon l’échelle PANSS et
possède un bon niveau de fonctionnement selon l’échelle ERFS (75/95).
Les scores aux échelles de rétablissement se rejoignent : l’échelle STORI situe le sujet à
l’étape 4, « reconstruction » du processus (soit l’étape 2 de notre modèle après réduction
statistique) et l’échelle RAS indique un score de rétablissement de 145/205.
Mademoiselle C apparaît très investie lors de l’entretien de recherche et témoigne d’une
certaine aisance à évoquer ses troubles et son vécu.
36
Nous présentons la retranscription de l’entretien avec Mademoiselle C en Annexe XIV (p. 333, Tome II).
194
* Histoire des troubles : reconstruction et réappropriation
Mademoiselle C décrit avec précision la période d’entrée dans la maladie : « Les premiers
troubles ça a été en septembre 2001. Maintenant je peux dire vraiment ce que c’était, donc
des états psychotiques de psychose totale, une perte de la réalité et surtout des angoisses
énormes, des angoisses paniques, des souffrances psychiques etc. et à l’époque je ne savais
pas que c’étaient les premiers troubles ».
Elle témoigne d’une aptitude à reconstruire le fil de ses souffrances, à les contextualiser, ainsi
qu’à se reconnaître dans l’histoire de ses troubles : « Je venais de perdre mes parents, j’avais
pris un petit studio, j’étais seule au monde alors que pendant vingt ans j’avais vécu dans une
famille où y’avait tout le temps des gens, c’était une famille d’accueil donc y’avait tout le
temps plein d’enfants […]. A partir du moment où j’étais toute seule au début ça allait et puis
après j’ai commencé à rencontrer certaines personnes et puis à délirer par rapport à ces
personnes, je pensais qu’elles me voulaient du mal ».
Les phénomènes psychotiques passés sont également rapportés et décrits avec un engagement
affectif notable, comme pour faire vivre une lucidité aujourd’hui retrouvée : « C’était
vraiment la peur, quoi…peur d’être observée, peur qu’il y ait des micros dans ma piaule,
peur qu’on m’espionne, peur qu’on me suive…de ce que je me rappelle c’est vraiment ça
[…]. J’allais même plus me laver ni prendre ma douche parce que j’avais peur qu’on me
regarde pendant que je me lave ».
* Réajustements identitaires : désengagement délirant et mise à l’épreuve de soi
Malgré l’amélioration de sa symptomatologie, Mademoiselle C évoque actuellement la
persistance de phénomènes interprétatifs et anxieux source de handicap : « Je compare ça à
une angoisse de mort. Et quand ça m’arrive je ne peux pas marcher, je ne peux pas courir, je
ne peux pas écouter la radio, je ne peux pas regarder la télévision, je ne peux rien faire ».
L’expérience du trouble confère une aptitude à identifier les signes avant-coureurs de ces
manifestations douloureuses, afin de les « combattre » au plus vite : « Ça fait un bout de
195
temps que ça traîne mais maintenant j’arrive à savoir quand elle va arriver, c'est-à-dire que
les toutes premières prémisses – ça va très vite – mais quand je sens que ça va arriver, je me
dis “attention, là !” Donc je prends mon traitement et je me dis “allez casse-toi, je t’ai senti
venir donc tu peux t’en aller !”»
La métacognition est décrite par Mademoiselle C comme la ressource majeure face aux
symptômes, le délire altérant – à l’inverse – toute réflexivité : « J’ai eu des états psychotiques
et je ne m’en suis jamais rendue compte pendant toutes ces années. Je n’avais pas accès à
mes pensées : “Tu penses à quoi ? – ben je ne sais pas… ” […]. L’accès à la pensée, à la
réflexion, ça change tout ».
L’accès au doute, la métaréflexivité offre une capacité à se décentrer des manifestations
délirantes, à les conduire et les maintenir hors de soi : « Déjà ce qui est important c’est
d’installer un doute et après quand le doute est mis, de balayer tout ça […] de positiver en se
disant que c’est des conneries, en mettant une barrière, en se disant : “tu ne vas me prendre
la tête, le petit diable et le petit ange, tu ne vas pas me prendre la tête avec ça !” ».
Se construit ainsi un rapport d’altérité au trouble et à soi se manifestant à travers un dialogue
intérieur. Ce dernier permet le contrôle des symptômes ainsi que leur mise en sens de manière
immédiate ou rétrospective : « Le délire je peux prendre du recul là-dessus, je peux me dire :
“c’est du délire” mais soit ça peut être sur le moment, je sais à quoi je pense, je sais
pourquoi je délire et là je me dis “arrête”, ou soit j’ai une crise et c’est deux-trois jours après
que je vais réussir à mettre des mots dessus et que du coup je vais calmer cette angoisse en
me disant : “de toute façon c’était un délire, laisse tomber” ».
Plus qu’une réelle suspension des symptômes, Mademoiselle C décrit un désengagement de
l’activité délirante : « Je me sens observée, bon ben je me dis : “vous n’avez qu’à
m’observer”, ça c’est assez simple, je souris et je dis “ben observez-moi !”. Si j’ai
l’impression qu’on m’écoute, je dis « ben écoutez-moi ! ». Ça c’est des techniques ». Il s’agit
en quelque sorte de « narguer » l’adversaire, de lui montrer que ses attaques n’ont plus de
prise, ni cognitive, ni affective. Ces « stratégies » personnalisées de lutte sont sécurisantes et
associées à un sentiment d’efficacité : « Même s’il m’est arrivé des choses, ça ne m’arrivera
plus parce que je n’y crois pas. S’il se passe encore des choses un peu bizarres, le secret de
196
tout ça c’est de se dire : “non, tu ne passeras pas la barrière” ». La conscience protège, telle
une forteresse, dresse des obstacles infranchissables.
Cette démonstration, au-delà du registre de la lutte, fait écho à un registre quasi « scolaire »
où il s’agit de mesurer et de témoigner de ses compétences : « Les croyances mystiques ou
religieuses ou interprétatives, ça c’est acquis, c’est balayé. J’ai quand même réussi à faire le
tri là-dessus ».
Dans cette lutte sans relâche, le soin constitue un allié précieux, notamment le travail de la
psychothérapie : « Le soin occupe 80%. Et la thérapie est très importante parce que c’est tous
les jours que la schizophrénie essaie de nous gagner en nous donnant des petites idées
délirantes ». Ainsi, la guerre contre les symptômes s’étend à l’entité « schizophrénie », perçue
comme un adversaire peu scrupuleux, voire cruel.
En réponse à cette défiance, un mode d’action réfléchi et stratégique s’impose : il s’agit, pour
ne pas céder sous les coups de la schizophrénie, de mieux cerner l’ennemi pour ainsi mieux le
contourner : « Je sais que la schizophrénie c’est quelque chose qui monte, qui redescend, qui
monte, qui redescend, c’est l’ultra sensibilité. C’est tous les jours qu’il faut se battre, chaque
minute quand quelqu'un nous parle, on est à peine levés qu’il faut prendre son traitement, le
midi il faut prévoir. Il faut adopter un rythme. C’est comme ça qu’on gagne face à la
schizophrénie ».
Ainsi, tendre vers la victoire impose des réajustements existentiels qui ne peuvent, en tout état
de cause, faire fi de l’ennemi.
* Réajustements existentiels : pertes et bénéfices
Mademoiselle C décrit en effet les pertes consécutives à l’entrée dans la maladie, touchant
l’ensemble des dimensions de son existence : « On est vraiment seul, personne ne vient nous
voir. On n’a plus d’amis, on n’a plus de famille, on est replié. On n’a plus de vie privée. La
vie professionnelle aussi parce qu'on ne peut pas aller travailler avec de tels troubles
psychiques, c’est trop intense ». Le sujet exprime une conscience douloureuse des
197
modifications existentielles engendrées par le trouble : « Des fois, je reste à la maison, je n’ai
plus l’envie de me battre parce que j’en peux plus, j’en ai marre, je me dis : “voilà, j’ai
trente ans, je n’ai pas réussi à construire ma vie professionnelle” » Les bilans de vie prennent
un goût amer.
En outre, même après plusieurs années, le trouble impose des réaménagements importants,
concernant par exemple le rythme au quotidien : « Il faut accepter de se dire : “si tu prends
ton traitement, il est dix heures et demie, tu prends ton traitement et tu vas te coucher sinon
demain tu ne te réveilles pas”, s’imposer un rythme, c’est comme les malades du sida, comme
les diabétiques ». Les contraintes de la schizophrénie sont mises en parallèle avec celles d’une
maladie somatique. Cette comparaison nous semble porteuse de sens : elle éclaire la
représentation (fantasmée ?) d’une pathologie qui épargnerait les capacités psychiques,
laissant ainsi ces dernières suffisamment indemnes pour lutter contre.
La prise de conscience élargie des impacts du trouble s’accompagne d’une aisance à évoquer
le statut de malade, voire d’un besoin de le revendiquer : « Bien sûr je suis malade, ah
totalement, c’est clair et net. Ca fout un peu les boules de se le dire mais oui, je suis malade,
j’ai accepté mon diagnostic, j’ai accepté de me dire que je suis malade ». Cette forme
d’acceptation nous semble faire écho à un désir d’appartenance à une communauté, celle des
« malades », comme l’illustre l’évocation fréquente par Mademoiselle C de ses pairs, et son
affiliation, par le « on » : « Quand on est schizophrène on passe tous par ces étapes et ça c’est
des choses dont on ne parle pas en général ».
Le monde de « la maladie » offre l’accès à un socle commun alors suffisamment consistant
pour rivaliser avec celui de la psychose. Autrement dit, les repères identificatoires que confère
le statut de « malade » viennent modérer un sentiment d’étrangeté à soi et à l’autre.
Aussi, le discours de Mademoiselle C témoigne-t-il, aux côtés d’un mouvement de lutte
contre les symptômes, d’une avancée dans le processus d’acceptation du trouble et ainsi
d’ajustement à ce dernier. La prise de conscience de ses limites, s’accompagne d’une
meilleure reconnaissance de ses ressources et évolutions positives.
198
Tout d’abord, l’endurance et les efforts fournis au cœur de la bataille viennent révéler une soif
de vie, une détermination sans précédent : « C’est quelque chose d’intérieur, c’est une volonté
de vivre, une volonté de se battre, continuer tous les jours… Je ne pensais pas que j’aurais pu
me relever comme je me suis relevée ».
Les souvenirs des souffrances passées peuvent ensuite être appréciés dans leur aide fournie à
la mise en sens des souffrances présentes. Autrement dit, le vécu expérientiel est au service
d’une identification des évènements déclencheurs des symptômes : « Il y a tout le temps un
élément déclencheur, ça n’arrive pas comme ça. Avant, je n’arrivais pas à trouver : « mais
pourquoi, qu’est-ce qui s’est passé ? ». Maintenant, avec l’expérience, j’arrive à savoir ce qui
l’a déclenché et des fois c’est des petites choses bénignes, par exemple une fois ça a été,
j’étais avec ma sœur, on parlait, on parlait et on a parlé du passé, de dix ans avant quand
j’étais chez ma maman. Donc voilà, crise d’angoisse ».
En outre, ce meilleur réajustement à la réalité des limites créées par le trouble oriente
Mademoiselle C vers une conception plus dynamique du handicap : « J’ai la possibilité de
relire aujourd’hui, parce que pendant toutes ces années, je ne pouvais pas lire, c’était
impossible. Relire pour moi ça été épanouissant parce que j’ai beaucoup bossé et surtout
l’écriture c’est quelque chose que j’adore ». Les évolutions au quotidien sont reconnues dans
leur valeur subjective et apparaissent source d’espoir.
Ces remaniements viennent enfin modérer une certaine exigence et par là même, le
phénomène de « lutte cognitive » : « Même quand je suis dans mon lit et que je n’ai pas accès
à ma pensée je sais qu’inconsciemment ça travaille pour que ça s’en aille ». L’acceptation
sonne comme une meilleure reconnaissance de la souffrance, une autorisation à la vivre, à
mieux la tolérer, et ainsi, à la laisser passer… : « Dernièrement, ça fait une semaine et demie,
je me suis aperçue que quand ces choses-là m’arrivaient, j’avais un besoin de pleurer. J’étais
dans une souffrance assez importante. Je pleure et je me dégage, je n’ai pas ces sensations
terribles, ça passe ».
La reconnaissance de ses difficultés va de pair avec l’émergence d’une certaine bienveillance,
comme en témoigne l’idée d’une centration nouvelle sur sa personne : « Je suis beaucoup
199
plus sage aujourd'hui, beaucoup plus gentille avec moi-même, je m’écoute. Je m’écoute, je me
dorlote un peu ».
* Projections dans l’avenir : maintien d’un équilibre de vie fragile
Les réajustements existentiels orientent ainsi vers l’adoption d’un équilibre de vie perçu
comme plus « sage » : « En fait, je ne fais pas d’excès comme j’ai pu le faire avant, je me
ménage beaucoup plus. Je fais attention ».
Cet équilibre, récemment contacté (« c’est d’autant mieux depuis six mois, mais disons que
cela fait un an que je connais cette évolution favorable »), est néanmoins associé à une
certaine fragilité, un sentiment d’insécurité : « L’évolution de ma maladie, je ne sais pas si
j’aurai des rechutes, je m’y attends aussi, j’ai toujours ces peurs qui me pétrifient, tout
dépendra de ma vie, de mon vécu, de ce que j’aurai à affronter dans les années qui viennent,
donc tout dépendra de ma façon de gérer tout ça ». La rechute demeure source d’inquiétude,
l’avenir incertain, les ressources personnelles questionnées dans leurs capacités à affronter
l’inconnu… Ce qui pourrait faire écho à un manque d’assurance peut aussi être interprété
comme un meilleur ajustement au réel, une plus grande conscience de l’incertitude
existentielle.
Néanmoins, l’anxiété semble tenir une place conséquente dans ce rapport au monde remodelé
par la conscience. Il s’agit de ne pas trop prendre de risque, de préserver, de maintenir, de
sauvegarder les capacités de contrôle récemment retrouvées : « Si vous voulez au niveau de
ma vie je suis quand même en suspens ». Par exemple, Mademoiselle C ne se dit pas prête
aujourd’hui à s’investir affectivement : « J’ai peur d’une déception amoureuse et de ce
qu’elle pourrait provoquer chez moi ». Le développement des capacités d’autonomie demeure
prioritaire : « Ce serait plutôt de devenir de plus en plus autonome, de lire un peu plus, de
comprendre un peu mieux les choses ».
II.3 Conclusion : aspirations à « vivre avec » la schizophrénie
La seconde étape de notre modèle rejoint les stades 3 et 4 du modèle d’Andresen (soit les
étapes « préparation » et « reconstruction »). Selon les auteurs, ces dernières renvoient d’une
200
part à l’aptitude à différencier les composantes de la maladie des composantes de la
personnalité et d’autre part à la consolidation du « pouvoir d’agir », notamment dans le
sentiment d’être acteur de sa prise en charge.
Nos analyses nous permettent de comprendre que ces deux composantes se déploient autour
d’une activité métacognitive, faisant apparaître la recherche de contrôle comme centrale.
Précisons néanmoins que cette tendance marquée à la maîtrise peut témoigner du
fonctionnement de personnalité de Mademoiselle C (défenses obsessionnelles) ou en tout cas
entrer en résonnance avec son organisation psychique défensive. Néanmoins, nous avons pu
observer le recours à ce mécanisme de contrôle (de manière plus ou moins marquée) chez bon
nombre de sujets s’inscrivant à cette étape du processus.
En effet, à ce moment de leur parcours psychique où les sujets témoignent d’une conscience
élargie du trouble, se dire « malade » semble permettre de faire vivre une activité psychique
réflexive garantissant le maintien de soi. La métacognition constitue l’arme maîtresse contre
le trouble dans le sens où elle permet le doute et favorise ainsi un désengagement de l’activité
délirante. Le « pouvoir d’agir » concerne ici prioritairement l’aptitude à contrôler les
symptômes.
Ce meilleur ajustement à la réalité s’accompagne en outre de remaniements identitaires et
existentiels profonds. Le travail de deuil des projections passées et, de manière consécutive, la
prise de conscience de pertes (travail, relations affectives) sont douloureux. L’adaptation
quotidienne aux contraintes imposées par le trouble (prise de traitement, respect d’une
hygiène de vie etc.) est éprouvante. Mais ce mouvement de réajustement offre aussi une plus
grande conscience des ressources des sujets : la lutte contre le trouble révèle une intensité et
une force de vie, la remémoration des temps de « crise » permet, par contraste, une
reconnaissance des évolutions fines comme des avancées signifiantes.
Dans ce temps intermédiaire, le but est ainsi de maintenir un équilibre fragile où le soi, par
l’action et le contrôle, tend dorénavant à dominer la schizophrénie, sans toutefois écarter tout
risque de rechute. Mais la lutte, si efficiente soit-elle contre les symptômes du trouble, ne peut
concerner ses impacts existentiels. L’adaptation à un équilibre de vie nouveau conduit
doucement les sujets à préférer apprivoiser l’ennemi, plutôt que de s’y opposer. Finalement, il
s’agit de favoriser la lutte contre les symptômes pour mieux vivre avec la schizophrénie.
201
III. Troisième étape : acceptation du trouble et transformation identitaire
III.1 Définition
L’ajustement aux modifications existentielles créées par la schizophrénie semble
progressivement mener les sujets vers la création d’une norme personnelle nouvelle. Cette
dernière ne s’établit plus en fonction de repères identitaires pré-morbides, ni même de
représentations associées au statut de « malade », mais s’appuie sur l’expérience vécue du
trouble. Les sujets en extraient un sens dans leur construction identitaire.
Les expériences du trouble sont ici comprises comme faisant partie intégrante de la trajectoire
évolutive et ainsi, du développement du soi. Elles révèlent un nouveau rapport au monde et à
soi caractérisé par l’ouverture.
Cette dynamique, ce mouvement vers la réalisation personnelle, sont rendus possible par un
sentiment accru de solidité interne. La schizophrénie représente moins une menace extérieure
contre laquelle il faut lutter, qu’une part de l’identité des sujets, façonnée mais aussi renforcée
par des expériences de vie douloureuses. En tant que valeur ajoutée, l’expérience du trouble
ouvre à la connaissance, plus authentique, de leurs aspirations personnelles, à la
compréhension de souffrances intimes et ainsi à leur acceptation. Dans cette perspective, la
réflexivité ne permet pas tant de se « maintenir » que de continuer à « grandir ».
Les symptômes du trouble, lorsqu’ils persistent, semblent vécus avec davantage de fluidité au
quotidien. Leur mise à distance est rendue plus aisée. Leur contenu est parfois même compris
comme révélateur de dispositions intérieures.
Les sujets semblent tournés vers l’avenir, tout en déclinant leur mieux-être au présent. Ce
dernier apparaît être moins idéalisé, c’est-à-dire moins rentrer en conflit avec ce qui relève du
négatif de l’existence. Par exemple, les limites imposées par le trouble peuvent revêtir un
sens : celui d’une existence nouvelle où l’on ne peut faire fi de soi, de son équilibre et de ses
aspirations. Mieux connues et assumées, ces aspirations orientent davantage des choix de vie,
même éloignées de repères socialement définis. Cette assurance nouvelle requiert cependant,
ou du moins se nourrit, d’une reconnaissance par les proches.
202
Dans cette optique, et forts d’expériences enrichissantes, certains sujets manifestent une
volonté de témoigner de leur parcours auprès de leurs pairs.
III.2 Etude de cas : Monsieur L37
* Présentation
Monsieur L a 36 ans. Il est atteint de schizophrénie paranoïde depuis l’âge de 16 ans. Nous
l’avons rencontré au sein d’un centre médico-psychologique du Val d’Oise, où il se rend
régulièrement pour des rendez-vous avec son médecin psychiatre. En outre, au moment de
notre rencontre, Monsieur L venait tout juste de débuter un suivi psychologique.
Monsieur L, ainsi que son psychiatre, nous décrivent un parcours dans la maladie long et
chaotique. Le sujet a connu de multiples hospitalisations, fréquenté de nombreux lieux de
soins (hôpital de jour, appartements thérapeutiques) et expérimenté différents traitements,
avant de bénéficier d’une formule médicamenteuse source de soulagement, il y a quelques
années. Auparavant, la persistance et l’intensité des manifestations du trouble ont conduit les
médecins à employer le terme de « schizophrénie résistante ».
D’un niveau d’étude correspondant au baccalauréat, Monsieur L a interrompu plusieurs
contrats de travail dans le commerce suite à des rechutes. Au moment de notre rencontre,
Monsieur L est à la recherche d’un emploi à temps partiel. Il désire s’orienter vers un autre
milieu professionnel, davantage dans le relationnel. Nous saurons, quelques temps après, qu’il
trouvera un emploi à temps partiel, puis à temps plein, en tant qu’assistant de vie scolaire
auprès d’enfants souffrant d’autisme.
Le psychiatre de Monsieur L nous oriente le sujet en évoquant une amélioration sensible de
son état général ainsi que de bonnes capacités d’autonomie. En ce qui concerne les
évaluations cliniques, l’échelle PANSS indique une absence de rémission symptomatique, du
fait de scores positifs aux items : « comportements hallucinatoires » et « contenus de pensée
37
Nous présentons la retranscription de l’entretien avec Monsieur L en Annexe XV (p. 352, Tome II).
203
inhabituels ». Le discours de Monsieur L confirme la persistance de symptômes psychotiques
et se trouve ainsi en adéquation avec l’évaluation de son psychiatre.
L’échelle ERFS indique néanmoins un très bon niveau de fonctionnement (90/95).
Les scores aux échelles de rétablissement se rejoignent : l’échelle STORI situe le sujet à
l’étape la plus évoluée du processus, « croissance » (soit l’étape 3 de notre modèle après
réduction statistique) et l’échelle RAS indique un score de rétablissement de 194/205.
* Récit des souffrances : historisation et reconnaissance
Lors de notre entretien, Monsieur L créée une place importante dans son discours au récit de
ses souffrances passées. Il rapporte son vécu au plein cœur de la maladie et ainsi son intense
sentiment de rupture avec le monde : « J’ai eu une grave rechute de deux ans où je suis resté
sans assistance, délirant, limite de l’autisme. Je n’avais plus de lien avec l’extérieur, je vivais
une histoire qui prenait le pas sur le réel, je ne faisais rien à part me nourrir, dormir ».
Outre une historisation de son parcours de soin, le récit de Monsieur L met en lumière une
démarche centrale de mise en sens ; il ne s’agit pas tant de rapporter des évènements de vie
que de comprendre leur survenue : « La première hospitalisation était liée à l’abandon des
médicaments conseillé par un médecin généraliste. La deuxième, je ne l’ai pas acceptée parce
que comme j’ai été laissé pendant ces deux ans délirant, le monde s’était écroulé ».
Monsieur L évoque ainsi ses dispositions intérieures passées : « J’ai préféré par facilité me
culpabiliser me disant : “c’est de ta faute, tu t’es rendu fou parce que tu ne faisais rien,
t’étais pas actif, t’étais pas occupé” ». La dissociation, le repli, le sentiment de culpabilité
prêtent une vie psychique, bien que très douloureuse, au soi passé. Ils confèrent une humanité
aux plus vifs instants de folie, attestent d’une reconnaissance de soi aux moments où ses
fondements mêmes sont menacés.
* Récit du vécu psychotique : distanciation et mise en sens
Monsieur L rapporte avec richesse et précision ses expériences psychotiques et leur
envahissement psychique : « J’avais l’impression qu’on parlait de moi à la télé. Canal Plus
204
seulement au début, puis ça s’est élargi à toutes les télés, toutes les radios, c’était national.
On parlait de moi. C’était une autre forme de discours, c’était entre la pensée et la voix, mais
moi je le prenais comme si c’était de la voix ». Le phénomène de « concernement » (décrit par
Grivois, 2012), ainsi que les hallucinations intra-psychiques sont rapportés dans la singularité
de leur vécu, tout en marquant leur mise à distance.
L’activité délirante est décrite dans ses mécanismes de construction de sens : « J’avais une
caméra qu’on m’avait greffé dans le cerveau et on pouvait voir à travers mes yeux ce que je
vivais, entendre ce que je disais. Le président m’avait choisi par hasard, donc tous les jours il
fallait que je prouve le bien-fondé de m’avoir choisi moi. Je devais accomplir des choses
extraordinaires, il fallait que ça soit très bien parce que ça passait en boucle sur les télés, les
radios etc. ».
La thématique mégalomaniaque est aussi rapportée dans ses aspects douloureux, ceux mettant
à jour un inaccomplissement, une faille dans la protection de la désillusion : « Alors c’était
pas souvent transcendant donc je m’en voulais beaucoup, j’essayais de rectifier le tir et je
disais : “mais attendez, ne partez pas !”. Ce mouvement signait peut-être les prémisses d’un
désengagement délirant. Aujourd’hui, cette distanciation est rendue visible par la
manifestation d’une forme d’autodérision : « Il y avait une certaine mission, mais bon, plus
ou moins suivie parce que les chefs d’état m’écoutaient, puis ils partaient ailleurs (rire) ».
Cette capacité de mise à distance concerne également les phénomènes psychotiques qui
perdurent aujourd’hui. Ces derniers sont décrits autour du terme « échange » : « Parfois,
j’échange avec les gens par le biais de la pensée, c’est les amis, c’est la famille, enfin, je me
construis
ça ».
Le
contenu
rapporté
semble
bien
moins
douloureux
qu’auparavant : « généralement, ça reste assez rose ». En outre, leur fréquence et leur
retentissement sont décrits aujourd’hui comme moindre : « Disons que maintenant, ce n’est
pas énormément gênant, ça reste léger, c’est des courts instants, ça dure pas trop longtemps,
deux, trois minutes, parfois un peu plus longtemps mais ça gêne pas le bon déroulement des
choses en général ». Les situations favorisant la manifestation de ces manifestations sont
clairement identifiées : « Ça m’arrive dans des situations toujours pareilles, quand je suis
intimidé ».
205
Monsieur L décrit une capacité de contrôle de ses symptômes qui semble efficiente : « Vous
savez, c’est comme une envie de fumer, une envie de manger, je me freine de la même façon,
je me bloque et après ça passe ». Nous relevons ainsi une forme de « normalisation » du
phénomène à travers sa mise en parallèle avec des comportements quotidiens. En outre,
l’hallucination est décrite comme une tentation, un désir auquel on peut résister. Y céder
semble être néanmoins relativement toléré, comme si le sujet s’y autorisait ponctuellement :
« Des fois j’échange, basta, j’échange ». A d’autres moments, toujours bien identifiés,
l’absence de contrôle est vécue comme plus douloureuse : « Il y a des moments où c’est plus
fort que moi, c’est des moments où je rentre du sport, je suis fatigué donc là forcément ça va
agir ».
D’une manière générale, nous pourrions dire que les symptômes sont aujourd’hui mieux
acceptés par Monsieur L dans son quotidien, même s’il tend à vouloir encore les réduire : « Je
vais le travailler avec Mademoiselle L (psychologue) donc là j’y fais très attention en ce
moment et ça a tendance à disparaître complètement ».
En outre, Monsieur L témoigne d’une aptitude à extraire un sens dans le contenu de ses
délires passés : « Ce qui m’a beaucoup aidé, dans ces délires, c’est le fond humain
d’universalité, de paix dans le monde, d’humanisme. La mise à distance des symptômes ouvre
à leur compréhension, voire à leur interprétation : « Les voix me disaient : “il faut que tu
partes du groupe, on ne veut plus de toi”. À l’époque, ces amis consommaient beaucoup de
stupéfiants, d’alcool et c’est peut-être moi qui essayais de me dire, mon fond inconscient à
mon fond conscient, qu’il faudrait quitter ces amis aussi dangereux pour ma santé. »
Les phénomènes psychotiques sont vécus comme des messages inconscients, potentiellement
bienveillants, qu’il peut ainsi s’avérer juste d’entendre et de considérer. Pour Monsieur L, ces
derniers ne viennent plus attaquer le soi, mais au contraire le révéler : « J’ai un peu écouté les
délires que j’avais eus et il s’avère qu’en fait ils m’ont été bien utiles pour connaître ma
personnalité, et m’ont révélé ». D’une manière générale, le trouble laisse une empreinte
signifiante participant à la constitution de soi : « La maladie m’a permis de révéler mon envie
d’humanité unie, donc ça, ça faisait partie du délire, mais qui m’est resté, et du coup ça
m’aide beaucoup ».
206
* Représentations de soi : modification et révélation
Monsieur L témoigne ainsi d’un sentiment de transformation identitaire s’appuyant
directement sur les expériences du trouble : « Par rapport à la personne que j'étais avant, ça
a été radical, après la première rechute je suis devenu sérieux, et la deuxième fois, je suis
peut-être devenu philosophe ».
La maladie, d’une part, protège : « Il s’avère d’abord que la maladie m’a aussi tiré de
mauvaises situations : elle m’a permis de m’éloigner de ce groupe d’amis qui fumaient et qui
buvaient, sans grand conflit » ; « J’avais ce goût pour l’alcool qui n’a vraiment pas duré ».
L’expérience de souffrances mène à une meilleure conscience des dangers et guide vers une
aptitude à mieux s’aider soi-même (par la demande d’aide à autrui par exemple) :
« Aujourd’hui j’ai l’idée de me protéger plus, de demander de l’aide, c’est ce que je ne faisais
pas avant […] ». L’ajustement à la réalité est, dans cette optique, perçu dans une dynamique
de protection : « […] et puis d’être beaucoup plus pragmatique, peut-être de mieux connaître
les choses au lieu d’y porter un jugement ».
Ainsi, la maladie, d’autre part, enseigne : « Il n’y a pas trente six choses qui favorisent une
évolution positive, il y en a une, c’est qu’il faut tirer des enseignements des expériences
négatives, ça aide beaucoup ».
Pour Monsieur L, apprendre, se protéger, s’inscrit dans un double mouvement : il s’agit bien
sûr d’éviter les souffrances de la maladie, mais aussi, assez clairement, de contourner les
pièges de l’existence auxquelles tout être humain est confronté. Le sujet témoigne ainsi d’une
philosophie de vie qui dépasse la seule « gestion » de la maladie : « être mieux armé, pas que
pour la maladie, pour bien vivre ».
La maladie, enfin - et surtout d’ailleurs - révèle : « C’est après que j’ai compris, grâce à la
schizophrénie, mon système de pensée. Je comprends nettement mieux le monde, son
articulation, son fonctionnement ».
La modification existentielle évoquée par Monsieur L est ouverture. Ainsi décrit-il, par
exemple, un désir d’apprentissage et de connaissance renouvelé : « Tous les jours j’ai cette
envie de connaître, d’apprendre, de savoir, et ça, ça a été radical, ce qui ne l’était pas
207
avant ». Les expériences douloureuses contraignent à un rapport au monde plus vivant et
authentique. Cette soif de vie coexiste avec une certaine paisibilité : « mon état actuel…
disons… peut-être plus serein, serein oui ».
* Redéfinition de soi : altérité et identité
La connaissance de soi, bénéfice direct de l’expérience du trouble, guide le sujet vers de
nouvelles aspirations personnelles et professionnelles : « La danse, ça fait trois ans que j'en
fais, ça marche très très bien... quelque chose qui est difficile puisque je suis le seul homme.
Grâce à la maladie, je me pose beaucoup moins ces questions là ».
L’intégration du vécu expérientiel de la maladie modifie le soi pour le rendre plus intègre :
« Grâce à la schizophrénie, j'apprends tous les jours à être en accord avec moi-même, chose
que j’avais du mal à faire parce que je faisais beaucoup de concessions. Il confère une liberté
dans l’écart aux normes et permet d’assumer pleinement ses choix de vie : « Quand on fait
des choses positives on n'est pas non plus toujours dans l'autoroute que dessine la société et
là-dessus, ce décalage a été très bien accepté grâce à la maladie ». Se rapprocher de soi, c’est
également faire l’expérience de l’altérité, apprendre à mieux la tolérer : « Ce n’est pas parce
que l’humanité va partir dans un sens que je vais partir dans le même sens. Je fais des choses
qui me plaisent ».
La réalisation personnelle ne constitue toutefois pas une affaire strictement privée.
L’insertion professionnelle, à titre d’exemple, demeure évidemment soumise au regard de la
société : « Ce qu’il y a de plus dur, c’est de gérer toutes ces années passées dans la maladie
que je ne peux pas justifier auprès d’un employeur. Auprès des gens à responsabilités,
quelque part, il ne vaut mieux pas dire qu’on est schizophrène ».
Ainsi, Monsieur L attribue-t-il une part importante de ses souffrances aux attitudes
d’incompréhension, voire de stigmatisation par autrui : « Les gens m’ont beaucoup plus
découragé que la maladie ».
La non-reconnaissance des souffrances est, à ce titre, vécue comme une double peine. Ainsi,
Monsieur L évoque t-il ses démarches pour obtenir la compréhension de ses proches, une
208
confirmation précieuse, à travers leur regard, de son vécu intérieur : « Avec les amis et les
proches, en ce moment, je parle de ces deux ans de délire, j'en parle avec mes parents, ça fait
déjà pas mal de temps que je ramène ça sur le tapis, alors pas forcément la schizophrénie
mais tout ce que ça a entraîné comme maux et comme douleur ». Néanmoins, le sujet
parvient-il, au cours de notre rencontre, à évoquer le possible deuil de cette reconnaissance :
« Il faudrait peut-être que je passe à autre chose maintenant, oui ce serait le moment ».
Monsieur L fait l’expérience d’une autre forme de reconnaissance par des rencontres
particulièrement signifiantes et source de valorisation : « Au théâtre, ceux que je connais un
peu mieux le savent et je pense que ça a été très bien accepté ; ma prof de danse, c’est elle qui
me raccompagne à chaque fois en voiture, elle me dit que je m’en sors très bien et vraiment
elle le dit de manière spontanée, on sent que ce n’est pas un rendu ». L’acceptation du trouble
est nourrie par les témoignages de reconnaissance d’autrui.
C’est ainsi que l’ouverture à l’autre constitue le principal vecteur de rétablissement : « Une
des techniques essentielles, c’est de s’imposer des choses à faire avec les autres [...].
Susceptible d’offrir confirmation dans son identité, la relation intersubjective permet
également de réhabiliter l’expérience de la schizophrénie dans le champ des souffrances
humaines : « […] et puis, on s’aperçoit très vite que l’écart n’est quand même pas grand
entre les personnes atteintes de schizophrénie et les personnes normales, que finalement elles
aussi ont vécu des choses difficiles ».
III.3 Conclusion : aspirations à « vivre grâce » à la schizophrénie
Cette troisième étape de notre modélisation renvoie au dernier stade du modèle d’Andresen
(2003) dénommé « croissance ». Au-delà d’une aptitude à reconnaître leurs ressources, à gérer
la maladie et à maintenir une vision optimiste de l’avenir (ibid.), les sujets témoignent ici
d’une intégration du vécu expérientiel du trouble à leur identité.
Ainsi, les différentes étapes du processus de rétablissement sont-elles reconnues et mises en
sens dans une reconstruction historisée. Ce mouvement d’intégration vient rétablir la
trajectoire existentielle de la personne sous une forme cohérente et continue. La schizophrénie
fait partie de soi, plus encore, elle l’enrichit. Le dépassement des épreuves et expériences
209
négatives consolide la reconnaissance de soi ; l’acceptation du trouble et des impacts
existentiels – parallèlement – renforce son ajustement au réel.
Cette dernière étape du processus de rétablissement ouvre à l’accomplissement. Au quotidien,
il ne s’agit plus essentiellement de mieux composer avec le trouble, mais de tendre vers une
meilleure réalisation de ses aspirations personnelles. Se rapprocher de soi confère une
aptitude à mieux tolérer ses différences, tout en réhabilitant son vécu dans la communauté des
Hommes. L’acceptation du trouble est sortie de la condition de malade.
210
CHAPITRE II – RÉTABLISSEMENT DU SOI
ET RESTAURATION DE L’IDENTITÉ NARRATIVE
Les trois étapes du modèle de rétablissement qui viennent d’être déclinées s’inscrivent dans
une continuité dynamique et non-linéaire. Les processus identifiés en leur sein ne s’excluent
pas mutuellement, voire se retrouvent en chacune d’elles38, mais souvent sous une forme ou
une intensité différente.
Ce second chapitre vient dérouler la trame qui soutient et articule ces différentes étapes.
« L’identité narrative », notion empruntée à la philosophie Ricœurienne (1985, 1990), nous
semble dans cette optique constituer le fil directeur du rétablissement. En favorisant la
reconnaissance de soi dans l’expérience du trouble, l’activité narrative vient nourrir un sens
de soi continu, cohérent et complexe. Si la fonction de « synthèse de l’hétérogène » soutenue
par la narration peut être considérée comme particulièrement mise à mal dans la
schizophrénie, c’est par elle-même qu’une restauration de soi peut être postulée.
Finalement, nous présenterons une pratique de psychothérapie intégrative centrée sur la
restauration de l’expérience de soi dans la schizophrénie.
38
Comme en témoignent les fréquents recoupements des catégories de rétablissement (C1 – C2 – C3) dans les
différentes classes de discours isolées par Alceste.
211
I. Le rétablissement du soi : un parcours de reconnaissance39
Comprendre, se souvenir, reconnaître le passé et se reconnaître soi-même dans ce passé,
voilà le grand travail du “devenir-conscient”.
Paul Ricœur.
Les grands moments du processus de rétablissement que nous venons de définir, puis
d’illustrer, mettent en lumière les jalons d’un processus de redéfinition identitaire tendant vers
la réalisation de soi.
De la conscience à l’acceptation du trouble, le sentiment de reconnaissance nous semble
essentiel : reconnaissance de la maladie, de ses impacts sur le plan existentiel et identitaire,
mais aussi d’un « pouvoir d’agir », de ressources nouvelles déployées dans l’épreuve ; et
finalement (re)connaissance d’un soi plus harmonieux, provenant d’un passé unique et
évoluant vers un certain nombre de futurs possibles.
Autrement dit, les modalités de reconnaissance du trouble sur le plan existentiel déterminent
l’étendue de la (re)connaissance de soi.
I.1 De la conscience à l’acceptation du trouble
Il existe aujourd’hui un consensus dans la littérature internationale considérant la conscience
des troubles dans la psychose comme un phénomène complexe, continu et multidimensionnel
(Amador et David, 2004 ; Castillo et Plagnol, 2008 ; Raffard et al., 2008). Notre analyse
qualitative met en lumière des avancées différentes au sein de ce processus bien que les sujets
de notre étude témoignent, dans l’ensemble, d’un bon niveau de conscience des troubles40.
Les subtilités et nuances identifiées se rapportent à l’étendue de cette conscience.
En effet, certains sujets semblent davantage identifier les impacts fonctionnels, relationnels,
identitaires, en somme – existentiels – de la schizophrénie, que d’autres. Cette conscience
39
40
Notre titre fait référence à l’une des dernières œuvres du philosophe Paul Ricœur (2004) : « parcours de la
reconnaissance ».
Ainsi la conscience du trouble représente-t-elle sans doute un facteur déterminant l’évolution positive selon
les médecins-psychiatres que nous avons sollicités pour le recrutement des sujets de notre étude.
212
« élargie » signe un meilleur ajustement au réel et conditionne, par là-même, des
remaniements existentiels fondamentaux.
I.1.1. Conscience du trouble et conscience de soi figée
Néanmoins, l’ouverture à la conscience des troubles peut conduire à une rupture du sentiment
de continuité de soi. Autrement dit, le désengagement délirant est susceptible de mener le
sujet à un sentiment de vide identitaire qu’il s’agirait dès lors de compenser.
Une telle souffrance existentielle peut conduire certains sujets à refuser la représentation de la
maladie et à préférer celle du « soi d’avant », seul repère identitaire projeté car tolérable.
Cliniquement, cette attitude défensive peut éclairer les fluctuations si fréquemment observées
de l’insight. Selon nous, elle signe moins un « déni » à proprement parler des troubles, qu’une
tentative de restauration du sentiment de continuité de soi.
Afin de sortir de cette projection idéalisée tout en favorisant un maintien de soi, nous avons
vu que certains sujets avaient tendance à ne se définir qu’à travers le prisme de la
schizophrénie. Dans cette perspective, « l’avatar » de la maladie peut représenter une
« couche de sens » suffisamment consistante pour rivaliser avec le monde de la psychose. A
titre d’illustration, nous pourrions évoquer certains sujets qui, tout en expérimentant une
amélioration clinique, s’accusent de leurs comportements pathologiques passés (tels que la
dangerosité pour soi ou autrui) qu’ils intériorisent désormais comme des composantes
identitaires. La reconnaissance des expériences pathologiques et leur possible mise à distance
peuvent donc coexister avec une tendance à se réduire à ces mêmes expériences.
Cette confusion identitaire, temporelle (le sujet se définit aujourd’hui par des comportements
passés) pourrait être à l’origine de sentiments de culpabilité et de honte et ainsi, d’affects
dépressifs. Ce trouble de la conscience de soi pourrait alors éclairer l’association entre un
insight élevé et une faible estime de soi et/ou un vécu dépressif, fréquemment soulignée dans
la littérature (Bouvet et al., 2010) et observée dans nos pratiques cliniques.
A ce titre, Recasens et ses collaborateurs (2002) identifient une forte association entre la
présence d’affects dépressifs et anxieux et une préoccupation excessive de l’image de soi chez
une population de 46 patients atteints de schizophrénie. Cette conscience de soi perturbée est
plus nettement corrélée aux symptômes anxio-dépressifs que la conscience du trouble.
213
Dans ce même registre, de récentes recherches (Lysaker et al., 2007) tentent de mieux
comprendre cette conscience douloureuse du trouble à la lumière d’une conscience de soi
biaisée par des représentations stigmatisantes de la schizophrénie. Ces travaux nous
permettent ainsi de comprendre que cette confusion entre les expériences de la maladie et le
vécu expérientiel peut être accentuée par l’internalisation de représentations sociales
stigmatisantes.
I.1.2. Vers une conscience de soi historisée
Aucune réalité, plus que l’histoire, est essentielle pour
la conscience que nous prenons de nous-mêmes.
Karl Jaspers.
Cette représentation de soi figée révèle une difficulté des sujets, à un moment de leur parcours
psychique, à intégrer le temps vécu de la maladie.
Ainsi, « devenir conscient » (Ricœur, 2000), c’est tendre vers la restitution de l’évènement de
la maladie dans une perspective historisée, s’ouvrir à la reconnaissance de soi dans des
souffrances passées.
Rappelons, dans cette optique, le discours des sujets autour de l’histoire de leur trouble. Ce
dernier se caractérise par un engagement subjectif et émotionnel riche. Ceci contraste avec le
discours de type alexithymique, fréquemment associé dans la littérature à un vécu traumatique
qui demeurerait actif (Charaoui et al., 2001). L’expression de la souffrance témoigne de sa
reconnaissance et ainsi de sa possible mise à distance. Elle semble intégrée par une partie des
sujets comme constitutive de leur histoire et ainsi de leur identité. Chez certains, la souffrance
du jeune adulte peut même se reconnaître en celle du jeune enfant. La contextualisation et la
chronologisation marquées de leur parcours témoigne de ce travail de restauration d’un soi
historisé. Ceci nous semble faire écho au travail de mémoire évoqué par Ricœur (2000),
permettant la constitution d’un récit biographique qui soit à la fois cohérent et acceptable.
214
I.1.3. L’acceptation du trouble : « transmuer le hasard en destin »
Ainsi, les sujets de notre étude manifestent une capacité à raconter, non les évènements en soi,
mais leur personne vivant ces évènements. En évoquant leurs propres résistances psychiques,
ils mettent en sens leur attitude passée (non acceptation, déni…) qui contraste avec celle du
présent (distance, analyse…). Le récit permet en quelque sorte une réappropriation de
l’expérience passée et une différenciation d’avec le vécu actuel. Autrement dit, certains sujets
de notre étude expriment une capacité à faire une place en soi à ce qu’ils ont été.
En outre, le sens conféré aux différentes expériences douloureuses (rechutes, hospitalisations
etc.) et leur participation à un processus de croissance (conscience du trouble, acceptation du
traitement etc.) montre une véritable capacité à transformer la contingence en nécessité, à
transmuer le hasard en destin, pour reprendre les termes de Ricœur (1983).
Cette aptitude renvoie au phénomène d’acceptation qui constitue, selon nous, un processus
qui va au-delà de celui de la conscience des troubles.
La conscience, telle que définie précédemment, relève d’une aptitude de décentration des
expériences pathologiques, présentes ou passées, et de leur attribution à un trouble psychique.
Le phénomène d’acceptation implique davantage une perception historisée des troubles : il
met en jeu la capacité à articuler différents évènements afin de les resituer dans une continuité
temporelle et identitaire. L’insight, couramment associé à un processus psychique plus global,
ne peut ainsi, selon-nous, être dissocié de ce phénomène d’acceptation.
Ainsi considéré, l’insight ne désigne pas la seule conscience des troubles, mais aussi une
conscience dynamique de soi (Koenig et al., 2012).
I.2 De l’acceptation du trouble à la (re)connaissance de soi
Grandir vers une conscience et une acceptation du trouble, c’est ainsi se reconnaître soi à
travers son histoire. C’est reconnaître ses souffrances, de manière prioritaire, comme
l’illustrent les témoignages si touchants des sujets de notre étude autour des périodes les plus
douloureuses de leur existence. C’est aussi, paradoxalement, accepter d’avoir traversé des
moments d’absence totale à soi, porter un regard de compréhension plutôt que de
culpabilisation, par exemple, autour des expériences délirantes.
215
« La reconnaissance de soi par soi, dans son identité profonde » (Ricœur, 2004) exige ainsi un
travail de mémoire, de construction d’un récit biographique qui soit à la fois cohérent et
acceptable. Un travail de deuil aussi, car le récit d’une vie ne saurait s’harmoniser sans
intégrer ses pertes : deuils des objets perdus en chemin (« soi d’avant ») et des idéaux
auxquels il aura fallu renoncer (désir de « récupération »). Et c’est sur ce double travail de
mémoire et de résignation que se greffe, selon Ricœur (ibid.) le sentiment d’estime de soi, un
sentiment qui exprime l’assentiment moral de l’identité.
Enfin, ce sentiment nous semble également prendre appui sur la reconnaissance de ressources
nouvelles, de valeurs révélées par le dépassement de l’épreuve de la maladie, ces dernières
invitant le sujet à se (re)découvrir autrement.
I.3 (Re)connaissance de soi et réalisation personnelle
L’individu se définit dans sa référence par rapport à lui-même […]
L’enjeu est ici la reconnaissance de soi par soi
dans son identité profonde.
Paul Ricœur.
En effet, la question de la valeur personnelle « qu’est-ce que je vaux ? » se pose le plus
souvent dans la crise, sous l’apostrophe négative du « je ne vaux rien ». C’est parce que la
critique extérieure dévalue le sujet ou refuse de lui accorder une valeur (exclusion, maladie,
situation de handicap), que l’auto-évaluation peut lui apparaître comme un dernier recours,
l’ultime rempart à un processus agressif venant de l’extérieur (Marin, 2005).
Face à l’épreuve de l’altérité profonde, du jugement, voire de la stigmatisation, le sujet est
sommé de redéfinir ce qui lui est propre sans pouvoir se réfugier derrière les valeurs et les
repères communs (sphère sociale, professionnelle, communautaire…). C’est ainsi que selon
Marin (ibid.), le sujet face à l’épreuve de la « désaffiliation » sociale vit une véritable époché
existentielle, expérience de mise à nu dont il pourrait tirer partie.
Nous avons vu en effet, notamment à travers le cas de Monsieur L, que ce phénomène de
scission entre l’identité intime et l’identité sociale peut conduire le sujet à se référer davantage
à ses aspirations personnelles, à se découvrir, pour reprendre les mots du sujet, plus intègre.
216
Cette exigence fait écho à une certaine « urgence de vie » perceptible dans les propos de
plusieurs sujets de notre étude. Ce qui peut dès lors raisonner en termes de « revanche
personnelle » n’est ni une simple démonstration, ni une tentative de compensation du négatif,
mais bien l’expression d’une authenticité nouvelle fondée sur une évaluation interne se
détournant de critères normatifs (ibid.). Le sujet trouve en lui des éléments de maintien ou de
reconstruction de soi, de sa singularité. Cette (re)connaissance de soi définit de nouveau
repères identitaires, fondements d’un chemin vers l’accomplissement, et soutient dès lors un
sentiment de transformation personnelle.
Néanmoins, la (re)connaissance de soi ne va pas sans (re)connaissance par autrui (Ricœur,
2004). En ce sens, l’estime de soi est une expérience singulière qui se déploie dans la relation
à l’autre. La notion de « soi », en garantissant un lien dynamique entre identité et altérité,
soutient ces deux facettes de la reconnaissance.
II. La reconnaissance de soi : le récit comme solution de « médiation »
La fiction narrative est une dimension irréductible de la compréhension
de soi. Une vie examinée est une vie racontée.
Paul Ricœur.
Le rétablissement expérientiel, s’il est un parcours de reconnaissance, s’inscrit alors dans une
démarche de témoignage. Témoignage dont la forme est nécessairement celle d’un futur
antérieur, qui rassemble le passé, le présent, et tient compte des horizons d’avenir.
La narration est cette activité qui témoigne de soi, autant qu’elle le constitue. C’est à travers le
récit de son identité et son adresse à l’autre que l’expérience de soi peut être altérée tout en
étant maintenue dans une certaine cohérence.
Si l’ensemble des théories psychopathologiques s’accordent sur l’existence d’un trouble
majeur de l’expérience de soi dans la schizophrénie, nous avons vu que la voie du
rétablissement se déploie à mesure de la restauration de cette même expérience fondamentale.
217
La notion d’identité narrative (Ricœur, 1985, 1990), en permettant la reconnaissance de soi
dans ses changements incessants, éclaire de manière essentielle les remaniements identitaires
constitutifs du rétablissement expérientiel.
II.1 Expérience de soi et identité narrative
Le rétablissement, en tant que phénomène expérientiel, place au centre de notre intérêt la
notion de soi.
Le soi est cette instance permettant la continuité de l’être dans sa conjugaison avec le monde
(Charbonneau, 2005). En effet, selon la perspective phénoménologique, si toute conscience
est « conscience de quelque chose », intentionnalité, la conscience de soi est fortement
entrelacée avec le monde, elle s’inscrit nécessairement dans un espace intersubjectif.
L’identité narrative (Ricœur, 1985, 1990), en assurant un travail de synthèse dynamique et
dialectique entre les changements et la permanence temporelle, accorde les pôles réflexif et
relationnel du soi et soutient dès lors le sentiment d’existence.
II.1.1. Le soi : un phénomène réflexif et relationnel
Le concept de soi, à la croisée de réflexions tant philosophiques que psychologiques,
constitue (probablement depuis Descartes), une puissante énigme ontologique. Ainsi, ce sont
les questions autour de l’essence même de l’être que le soi semble condenser.
Dans le champ de la psychanalyse, l’on attribue classiquement au courant de la Self
Psychology (Kohut, 1971) les premières études sur le soi en tant qu’entité distincte. Par la
suite, sa différenciation et ses interrelations avec une instance psychique, en particulier le
Moi, fera l’objet d’une littérature prolifique. Dans cette perspective, c’est autour de la
dimension holistique et primitive du Soi que les travaux semblent s’accorder. C’est « la
fonction par laquelle un être humain est capable de s’éprouver comme une entité individuelle,
différenciée, unifiée, réelle et permanente » (Racamier, 1965, p. 662).
En tant qu’entité expérientielle et fonctionnelle, nous pourrions dire que le soi assure le
sentiment d’existence.
218
Exister, c’est d’abord avoir le sentiment de pouvoir agir sur soi-même et par soi-même dans le
monde. L’expérience vécue, en ce sens, se réfère à la subjectivation et à la conscience de la
singularité de ses actes. Elle fait intervenir un rapport préréflexif et réflexif à son identité.
Mais exister, c’est également dans son sens littéral (du latin ex-sistere, être à l’extérieur), se
tenir hors de soi, quitter une position fixe, se mettre en mouvement. Toute existence prend
place dans l’épaisseur du temps, dans un processus constant de changement (Bovet, 2010).
L’être humain n’est pas, au sens statique, mais existe, dans le temps et dans le monde ; il n’est
pas pure intériorité, mais, comme le propose Merleau-Ponty (1945), il se définit
essentiellement par les relations qu’il entretient avec le monde et ses semblables.
Cette articulation dialectique et complexe entre permanence et changement, identité et altérité,
est rendue possible, selon le philosophe Paul Ricœur (1985, 1990), par l’identité narrative.
II.1.2. L’identité narrative, garante du maintien de soi
La perspective de Ricœur (1990) est de penser l’identité humaine comme un équilibre
permanent et dynamique entre deux pôles :
-
Le pôle de la mêmeté : pôle des identités dites de rôle, de caractère, que l’on peut
référer à un « quoi ». Ce pôle fait référence à ce qui en chacun de nous tend à rester
constant, ou du moins à être raisonnablement prédictible (tel que l’âge, les
caractéristiques physiques ou bien le caractère).
-
Le pôle de l’ipséité, c’est-à-dire le pôle de la pure continuité de soi qui s’approche de
la question du « qui ». L’ipse rejoint le Soi éthique. Il assume la permanence de soi,
l’imprévisible, par la promesse qui engage un pacte rhétorique avec autrui et par
conséquent, la fidélité maintenue dans la parole donnée.
Par ce que Ricœur (ibid.) nomme la « mise en intrigue », l’être humain atteste lui-même du
maintien de cette promesse, il est son propre témoin. Et c’est par la narrativité de soi que ce
manifeste ce témoignage : le sujet met son histoire en intrigue pour lui assurer le maintien
d’une unité, d’une cohérence.
219
« C’est dans l’histoire racontée, avec ses caractères d’unité, d’articulation interne et de
complétude, conférés par l’opération de mise en intrigue, que le personnage conserve tout au
long de l’histoire, une identité corrélative de l’histoire elle-même » (Ricœur, 1990, p. 170).
L’identité narrative permet l’intégration du temps et donc de l’histoire dans les procédures
d’identification du sujet : elle est cette instance médiatrice entre les pôles idem et ipse. La
narrativité assure ce travail de « synthèse de l’hétérogène » nécessaire au maintien de soi en
composant une histoire avec des éléments multiples qu’elle relie par des liens de causalité, de
motivation (rationnelle ou émotionnelle) ou de contingence.
Autrement dit, l’identité narrative implique la possibilité de se vivre soi-même comme un
autre (Ricœur, 1990) en se rendant le témoin de sa propre existence.
II.2 Troubles de l’identité narrative et « affaiblissement du soi » dans la
schizophrénie
Avec cet éclairage théorique, nous comprenons les troubles de l’identité narrative comme
constitutifs de l’expérience schizophrénique et - de manière qui concentre davantage notre
intérêt - des souffrances qui en résultent.
II.2.1. Identité narrative et symptômes cliniques
On se coupe du monde et on se méfie de tout, parce que tout
s’organise autour de nous […] Quand on est dans une
hallucination, on peut entendre tout le monde qui vous dit que
vous avez tord, on est persuadé que ça a lieu.
Monsieur V
Tout d’abord, à la lumière de cette hypothèse d’une perturbation fondamentale de l’identité
narrative, les symptômes de la schizophrénie peuvent être compris comme l’expression d’une
recherche d’adéquation entre différence (ipséité) et identité (mêmeté) (Pringuey et al., 2011).
Le délire paranoïde peut apparaître comme une tentative désespérée du patient d’avoir enfin
un rôle permettant un ancrage dans le monde, d’être enfin le « même » en donnant une
220
dimension énorme au rôle épousé. Le délire prend un caractère envahissant lorsque le rôle
n’est plus contrebalancé par une ipséité capable de donner le signe d’un excès d’engagement
et d’un nécessaire désengagement (Charbonneau, 2005). Les symptômes négatifs du trouble
signeraient au contraire une impossibilité à engager un investissement concret dans une
identité de rôle (Charbonneau, 1999, in. Landazuri, 2006).
Ainsi, les formes négatives constitueraient les manifestations d’une « ipséité mise à nu », pour
reprendre l’expression de Tatossian (1996, in. Ibid.), alors que les formes positives, davantage
un rabattement de l’idem sur l’ipse (« je suis, je m’auto-appartiens en tant que je suis
délirant »).
Dans une perspective proche de la théorie Ricœurienne, le courant de la psychologie
dialogique (ou théorie dialogique du Soi) suggère que l’expérience schizophrénique peut
résulter de perturbations graves du dialogue entre différentes facettes identitaires. A ce titre,
trois formes de dialogues pourraient être identifiées chez les sujets : le dialogue
« monologique » ferait écho à la forme paranoïde du trouble, le dialogue « stérile », à la forme
déficitaire et enfin le dialogue « cacophonique », à la forme hébéphrénique (Lysaker et
Erickson, 2010). Ces hypothèses sont corroborées par de récentes études montrant que la
cohérence du récit personnel dans la schizophrénie est corrélée au pronostic évolutif,
indépendamment d’autres facteurs comme l’espoir et l’estime de soi (Raffard et al., 2010 ;
Saaverda et al., 2009, in. Lysaker et Erickson, 2010).
Bien davantage qu’une réification des capacités narratives, les symptômes psychotiques
représentent des solutions adoptées par les sujets pour maintenir un sens de soi, bien que ces
dernières demeurent provisoires et instables. Soulignons en effet que le délire ne constitue
jamais un véritable récit au sens Ricœurien, mais sa tentative de production ; s’il se tient par
le patient à la façon d’une « histoire réelle », le « récit » délirant manque précisément de
« nœuds d’intrigue » : il paraît toujours saturé de significations et n’engage finalement aucun
horizon (Landazuri, 2006).
221
II.2.2. Identité narrative et souffrances existentielles
Ça a été terrible pour moi cette angoisse du temps,
l’impression de ne pas avancer, d’être entre parenthèses, d’être en suspens,
comme si l’histoire de ma vie s’était arrêtée.
Madame L.
Au-delà de l’expression symptomatique du trouble, les troubles de l’identité narrative nous
semblent éclairer, de manière plus fondamentale, le sentiment d’affaiblissement du soi tel que
décrit dans la littérature (Lysaker et Erickson, 2010) et identifié au sein de notre analyse
qualitative. En effet, nombreux sont les sujets de notre étude à exprimer leurs souffrances en
lien avec les modifications identitaires et existentielles engendrées par le trouble, et non
seulement avec la persistance d’éventuels symptômes.
Ce constat est renforcé par les résultats aux échelles de notre étude clinique attestant d’une
disjonction entre la rémission et le rétablissement expérientiel : les troubles du sentiment de
soi peuvent perdurer malgré une diminution importante des symptômes.
Rappelons que l’expérience de soi est fréquemment vécue comme diminuée par les sujets lors
de l’accès à la conscience des troubles. Refusant l’expérience du trouble, ces derniers peuvent
avoir tendance à entretenir une vision idéalisée du soi « d’avant » la maladie. Le soi ne peut
se vivre qu’en référence à une trajectoire existentielle suspendue ; le sujet se demande ainsi
d’épouser comme un rôle avorté ; il ressent le besoin de revisiter, de prolonger ce que la
maladie a interrompu. Ainsi, le repli social et le sentiment d’étrangeté à soi ne sont pas les
seuls reflets d’une expérience psychotique, mais aussi d’une impossible reconnaissance de soi
dans l’expérience passée de la maladie.
Dans une perspective clinique, nous pourrions évoquer la fréquence des affects dépressifs
dans la schizophrénie (et du risque suicidaire, comme l’évoque la description par les sujets de
leurs souffrances passées) et leur impact sur la qualité de vie ; impact pouvant se montrer bien
plus conséquent que celui des symptômes psychotiques à proprement parler41 (Smith et al.,
2002).
41
Notons à ce titre que les symptômes dépressifs ne contraignent pas la rémission symptomatique de la
schizophrénie selon la définition d’Andreasen et ses collaborateurs (2005).
222
La fréquente confusion des sujets avec le rôle de « malade » constitue une voie d’explication
de ce sentiment d’impuissance voire de désespoir. C’est comme si les sujets compensaient le
vide identitaire créée par le désengagement de l’activité délirante (rabattement de l’idem
« malade » sur une ipséité mise à nue).
L’ensemble de ces manifestations évoquent une grande difficulté des sujets à construire une
appréhension cohérente, continue et nuancée de soi, en même temps qu’elles signent une
tentative de restauration de cette expérience historisée de soi.
Certains auteurs voient en la schizophrénie une pathologie signant la destruction même de
l’identité narrative (Landazuri, 2006). Notre travail de recherche et notre expérience clinique
nous amènent à concevoir davantage les troubles de l’identité narrative comme dynamiques,
évolutifs et susceptibles de réaménagements signifiants.
II.3 Restauration de l’identité narrative et rétablissement du soi dans la
schizophrénie
Les sujets de notre étude montrent une aptitude (plus ou moins marquée) à retisser le fil de
leur histoire, à penser leur évolution actuelle au regard de leur expériences passées, à
envisager différentes perspectives d’avenir.
Nous postulons ainsi que les processus de rétablissement précédemment identifiés attestent
d’une restauration (plus ou moins avancée) de l’identité narrative des sujets. En outre, la
démarche de témoignage provoquée par notre dispositif de recherche vient non seulement
faire apparaître la capacité de « mise en intrigue » des sujets, mais aussi la déployer dans
l’espace même de notre rencontre. La (re)connaissance de soi des sujets est ainsi soutenue par
l’activité narrative et probablement renforcée par le jeu de nos relances au cours de
l’entretien.
Nous allons à présent mettre en perspective cette conception narrative du soi avec les notions
de « pouvoir d’agir » et de « pouvoir d’être », fréquemment associées au rétablissement dans
la littérature actuelle.
223
Nous verrons que la restauration d’une conception historisée de soi convoque des processus
(méta)cognitifs et émotionnels de telle sorte que ces derniers nous semblent en interrelation
intime avec l’activité narrative et son potentiel de mise en intrigue. Ces considérations nous
mèneront ainsi à envisager la psychothérapie orientée par le rétablissement du soi dans une
perspective intégrative.
II.3.1. Métacognition et développement du « pouvoir d’agir »
La restauration progressive de l’identité narrative est notamment rendue visible à travers le
développement du « pouvoir d’agir » des sujets.
Nous l’avons vu, ce dernier se nourrit d’une restauration d’un sentiment de contrôle interne.
Le développement de capacités de mise à distance et/ou de contrôle des manifestations
psychotiques représentent un exemple paradigmatique de cette aptitude dans la schizophrénie.
Ce processus de « défusion » entre le soi et l’expérience psychotique, entre la mêmeté
(identité de rôle conférée par le délire) et l’ipséité met en jeu, de manière éminente, l’activité
métacognitive des sujets.
La métacognition, en favorisant les capacités de décentration, amène les sujets à se
représenter leurs propres expériences internes (telles que les pensées et les émotions) ainsi
qu’à les relier entres-elles (Lysaker et Erickson, 2010). En d’autre termes, l’activité
métacognitive rend possible le dialogue entre différentes expériences (immédiates) de soi.
Rappelons dans cette optique, la tendance fréquemment identifiée des sujets, pour favoriser
leur « pouvoir d’agir », à faire vivre un dialogue intérieur en s’adressant à soi et au trouble ou
a ses manifestations.
Néanmoins, nous avons vu que cette activité métacognitive, dénuée de consistance
diachronique, comporte le risque de figer le sujet dans une dynamique de lutte :
- lutte contre le trouble et ses conséquences existentielles, en ce qui concerne les sujets
identifiés au premier stade de notre modèle, afin de préserver le désir idéalisé d’une
récupération d’un « soi d’avant » ;
- lutte contre les symptômes, en ce qui concerne les sujets identifiés au second stade, afin de
maintenir le sentiment d’un soi redevenu « capable », c’est-à-dire à même de se mesurer à
la maladie et à ses manifestations quotidiennes.
224
Le dialogue interne, la métacognition, en tentant de faire vivre une différenciation entre le soi
et la schizophrénie favorisent l’émergence d’une énergie nouvelle, ouvre des horizons.
En cela, le sujet peut se reconnaître transitoirement plus intègre, aspirer à vivre ou se sentir
« comme avant ». Mais le défaut de connexion temporelle entre ces différentes facettes de soi
(soi d’avant – soi malade – soi capable…) entraîne la persistance d’un sentiment de rupture et
d’incohérence identitaire et ainsi de diminution de soi. Face à cette confusion, afin de
maintenir une certaine permanence à soi, le sujet pourrait alors avoir tendance, à l’inverse, à
s’identifier au rôle de « malade ».
Ces différentes attitudes de distanciation de la schizophrénie, ou au contraire, d’identification
au trouble, occupent une fonction défensive (Koenig et al., 2012). Elles protègent le soi d’une
nouvelle fusion avec l’expérience psychotique. Elles signent dès lors une restauration partielle
de l’identité narrative.
II.3.2. Narration et développement du « pouvoir d’être »
C’est l’identité de l’histoire qui fait l’identité du personnage.
Paul Ricœur.
Le « pouvoir d’agir », s’il signe une avancée dans le processus de rétablissement, ne peut se
consolider que s’il s’inscrit dans une perception historisée de soi. Rappelons en effet que les
sujets entretenant une représentation dichotomique entre l’expérience du soi et l’expérience
du trouble demeurent dans une inquiétude quant aux perspectives évolutives, mettent en doute
leur aptitude à maintenir dans la durée un contrôle des manifestations du trouble.
La restauration de l’identité narrative, dans cette perspective, n’est pas seulement restauration
d’un dialogue entre différentes facettes de soi, mais aussi (re)connexion temporelle entre ces
dernières.
L’ordre de la temporalité fait en sorte que l’ipséité cesse de coïncider avec la mêmeté,
produisant un intervalle de sens. C’est cet entre-deux que vient occuper la notion d’identité
narrative (Couloubartis, 2013) et c’est dans la narration de son histoire qu’elle se déploie.
225
À travers elle, le sujet tend à se reconnaître à travers l’expérience du trouble et ainsi à évoluer
dans une conscience de soi davantage unifiée, un équilibre psychique plus solide, un
« pouvoir d’être ».
Nous avons pu remarquer la précision chronologique avec laquelle certains sujets de notre
étude (en l’occurrence ceux identifiés au second stade de notre modèle) rapportent l’histoire
de leur souffrance et de leur parcours de soin. Cette structuration des évènements dans le
temps signe un désir de réappropriation. Afin de reconnaître leur histoire dans une continuité
temporelle et identitaire, les sujets éprouvent le besoin de réordonner les évènements qui la
composent en les contextualisant. Il s’agit de la dimension épisodique du récit qui tire le
temps narratif du côté de la représentation linéaire : les épisodes se suivent l’un l’autre en
accord avec l’ordre irréversible du temps (Ricœur, 1983).
Dans la narration de ces évènements, l’implication émotionnelle de certains sujets est notable.
Cette dernière témoigne d’une identification nouvelle aux évènements vécus afin de les
intégrer et de les faire vivre, par la suite, sous une forme plus distanciée.
Citons dans cette optique les résultats d’une récente étude (Berna et al., 2011) montrant qu’en
dépit de troubles cognitifs (d’attribution de sens), les sujets atteints de schizophrénie
parviennent en majorité à intégrer positivement dans leur histoire de vie les souvenirs liés au
trouble en s’étayant sur des processus émotionnels préservés.
La restauration de l’identité narrative met ainsi en jeu, outre des processus cognitifs, des
processus émotionnels.
Cette implication subjective est particulièrement visible au sein du discours des sujets
identifiés à la troisième étape de notre modèle de rétablissement. Les sujets parviennent ici à
reconstruire l’histoire de leur trouble, non tant en contextualisant les évènements qui la
composent, qu’en leur attribuant un sens, une valeur expérientielle. La narration n’est plus ici
au service d’une structuration d’expériences de vie mais bien de leur réappropriation
identitaire. Par sa fonction de « synthèse de l’hétérogène », l’identité narrative peut même
bouleverser la chronologie au point de l’abolir (Couloubaritsis, 2013), l’essentiel étant de
construire une histoire où le soi demeure continu et cohérent, tout en laissant place à l’altérité
et ainsi au changement.
226
Il s’agit là de la dimension configurante du récit qui, en permettant de « lire la fin dans le
commencement et le commencement dans la fin » (Ricœur, 1983, p. 130) inverse l’effet de
contingence d’un évènement, au sens de ce qui aurait pu arriver autrement on ne pas arriver
du tout, et l’incorpore à l’effet de nécessité ou de probabilité.
Le phénomène d’acceptation du trouble identifié chez ces sujets témoigne de cet effet
d’inversion de la contingence. Nous pourrions dire que la mise en intrigue du récit vient
dévoiler le sens de l’histoire racontée : la vérité historique n’est autre que la vérité narrative.
S’il y a histoire, c’est parce qu’il y a genèse, devenir temporel et donc transformation, c’est-àdire ultimement, intégration par le soi de dimensions d’altérité résultant de diverses
identifications (Klimis, 2013).
Rappelons ainsi le sentiment de modification identitaire rapporté par les sujets se situant à la
troisième étape de notre modèle : l’expérience de la maladie modifie car elle révèle. Le soi,
ouvert au changement, se reconnaît néanmoins dans ses expériences passées.
La mise en intrigue rend ici possible une médiation entre le temps vécu ou historique et le
temps raconté ou représenté (Ricœur, 1983).
La passé est relié au présent mais aussi à l’avenir de telle sorte que le sujet se projette de
manière plus sécure dans le temps.
II.3.3. Du « pouvoir d’agir » au « pouvoir d’être soi »
Pas de soi sans un autre qui le convoque à la responsabilité.
Emmanuel Lévinas.
Le « pouvoir d’agir » et le « pouvoir d’être » soutiennent le déploiement et la connexion de
différentes facettes identitaires du sujet et ainsi, la restauration d’une ouverture et d’une
cohérence identitaire.
Si l’action apparaît comme fondamentale dans le processus de constitution identitaire, c’est
parce qu’elle intervient de manière primordiale dans les régulations de notre rapport à la
227
réalité. Le réel est ce qui est « modifiable par l’action et non modifiable par la pensée »
(Benassy, 1959, in. Racamier, 1965). Ainsi, le « pouvoir d’agir » constitue l’indicateur par
excellence qui vient moduler notre rapport à soi et au monde. C’est aussi ce qui amène
certains auteurs à préférer au cogito, ergo sum de Descartes, la formule alternative : « j’agis
donc je suis » (Jeannerod, 2007). Nous pouvons là tisser des liens avec la pensée
existentialiste considérant que l’action de l’homme forge son devenir : « l’Homme est ce qu’il
fait », pour reprendre les mots de Sartres.
La philosophie de Ricœur nous apporte un regard nuancé et riche de compréhension sur les
liens existant entre identité et action humaine. Pour le philosophe, l’Homme ne se définit pas
tant par ses actions que par son histoire : « L’identité personnelle est marquée par une
temporalité constitutive. La personne est son histoire » (2005, p. 125).
Ce n’est pas l’agir en tant que tel qui nous constitue, mais notre rapport à l’action.
Le récit, en tant que solution de médiation entre soi et les évènements, définit les termes de
cette relation et soutient notre sentiment de responsabilité. En effet, la quête de notre
accomplissement ne peut s’effectuer que lorsque nous sommes à même de revendiquer nos
actes sur un plan historique (De Dieu Moleka Liambi, 2005). Autrement dit, l’imputabilité de
nos actes se constitue dans leur narration. Ce sentiment de responsabilité, ce « pouvoir d’être
soi » (Descombes, 1991), renvoie pleinement au sens de l’auto-détermination.
Or ce courage d’être qui permet d’unir mémoire, deuil et estime de soi, de rattacher un passé
accepté à un futur espéré (Bottéro, 2001), se déploie fondamentalement dans la relation à
autrui, par le projet que Ricœur appelle la promesse. La parole tenue, la persévérance et la
fidélité à la parole donnée assurent le sentiment de permanence à soi dans le temps.
La dimension-idem peut être totalement affectée (dans le cas de la schizophrénie, le Moi dit
« désagrégé »), le fait qu’Autrui compte sur le Soi est ce qui permet à ce dernier de se
maintenir malgré tout, afin de « répondre de la confiance que l’autre met dans ma
fidélité » (Ricœur, 1990, p. 149). Nous retrouvons ici pleinement le sens de l’alliance
thérapeutique : l’engagement mutuel dans une relation est ce qui détermine les fondements
d’une restauration de soi.
228
Puisque ce sont justement les forces unificatrices de ce « pouvoir d’être soi » qui sont
touchées dans la maladie psychique, ce sont elles que doit prioritairement restaurer
l’intervention thérapeutique.
III. Rétablissement du soi et psychothérapie
Le postulat d’un rôle essentiel de la narration dans le rétablissement de la schizophrénie nous
amène à convoquer, dans une perspective applicative, l’approche récemment développée de la
psychothérapie narrative. Bien qu’elle s’inscrive dans un certain courant de pensée (i.e., le
constructivisme), cette approche ne saurait constituer un modèle de psychothérapie
« compartimenté » et « concurrentiel » d’autres démarches cliniques.
Nous concevons avant tout la relation thérapeutique comme un espace privilégié de rencontre
où viennent se déployer engagement mutuel et co-construction d’un récit de vie.
La rencontre thérapeutique soutient le développement du « soi » dans son besoin de cohésion
et d’harmonie (Kohut in. Ricœur, 2008). Le thérapeute ouvre non seulement un intervalle
dynamique de sens entre le sujet et son histoire, mais qui plus est, il vient répondre au besoin
fondamental du soi par sa résonnance empathique.
Finalement, nous concevons la psychothérapie orientée par le paradigme du rétablissement
comme une approche globale du sujet centrée sur l’expérience de soi. Nous proposons d’en
développer certains principes.
III.1 Empathie et reconnaissance
Rappelons que le soi ne peut être défini comme un appareil psychique constitué de plusieurs
instances mais une vie psychique indivisible caractérisée par le besoin de cohésion (Racamier,
1965 ; Kohut, 1971). Ce besoin apparaît non seulement comme primitif (davantage que la
libido sexualisée, dans une perspective psychanalytique) mais qui plus est permanent. Toute
la vie, le soi sera à la recherche d’un « objet-soi prêt à répondre » à ce besoin de cohésion.
Dans cette perspective, l’empathie constitue, bien avant l’insight, la structure de base entre
« l’objet » et « l’objet-soi » (Ricœur, 2008).
229
Or, c’est justement car le sujet atteint de schizophrénie souffre d’un manque fondamental de
cohésion du soi, que le potentiel thérapeutique de la rencontre avec ce dernier réside - avant
tout - en la résonance empathique qu’elle peut créer.
Le thérapeute doit pouvoir trouver en lui les ressources nécessaires pour offrir une écoute
profonde et un accueil inconditionnel de l’expérience du sujet, si éloignée de ses repères
psychiques soit-elle. Cette posture thérapeutique, loin de se résumer à une attitude purement
émotionnelle, nous semble aussi essentielle que délicate. Elle fait appel à la capacité du
thérapeute à pénétrer le sens ressenti de l’expérience du sujet, sans se confondre avec cette
dernière. Aussi Rogers (2007) écrit-il à ce sujet : « c’est parce que le thérapeute ne vit pas
l’expérience psychotique, qu’il doit l’assimiler en y pénétrant graduellement. Ceci nécessite
une empathie qui conduit à la perte du sens de soi et à la perte du sens de réalité – c'est-à-dire
la perte de l’ego » (p.83).
C’est cela que nous entendons, avant tout travail d’élaboration et d’interprétation, par
reconnaissance. La reformulation de l’expérience vécue et la résonance émotionnelle
englobent toutes les modalités de l’aide première qu’un soi peut apporter à un autre dans la
quête de son intégration et de son individuation (Ricœur, 2008) (en suscitant notamment le
développement de ressources émotionnelles chez le sujet).
La reconnaissance empathique atteste d’une compréhensibilité de l’expérience vécue du sujet
atteint de schizophrénie et replace ainsi cette dernière dans le champ de l’expérience humaine.
Nous allons voir à présent que le processus narratif, en ouvrant à une reconfiguration
dynamique de l’histoire du sujet, favorise le processus de redéfinition identitaire de sorte que
la « perpétuation du même » devienne progressivement « maintien de soi ».
III.2 Narration et co-construction de soi
Chaque création change, altère, éclaire, approfondit, confirme,
exalte, recrée ou crée d’avance toutes les autres.
Maurice Merleau-Ponty.
230
L’approche narrative42 (créée par les deux psychologues australiens Michael White et David
Epston en 1990) s’inscrit dans le mouvement clinique dit « post-moderne ». Ce dernier ouvre
la psychologie à une approche plus globale, tenant compte de l’influence de la culture et de
l’environnement spécifique des individus.
Cette approche soutient que la narration, en transformant la manière du sujet de se situer par
rapport à une histoire, a le pouvoir de modifier sa relation aux autres et à soi-même.
Ainsi, la thérapie narrative se trouve fortement influencée par le paradigme du
constructivisme social selon lequel la construction du monde et de soi-même se situe à
l’intérieur des différentes formes de relations (Shotter, 1984). Le discours est représentatif
d’un acte (« acte de parole »), mais aussi d’une construction qui ne renvoie pas directement à
la réalité, mais la constitue. Nous pouvons ici tisser des liens avec la pensée
phénoménologique qui, rappelons-le, postule « l’entrelacement » de la conscience avec le
monde. Plus spécifiquement encore, nous retrouvons là la fonction de médiation du récit entre
soi et le monde décrite par Ricœur (1983, 1990)
Au regard de ces postulats théoriques, nous pourrions synthétiser les principes de la thérapie
narrative comme suit :
-
La façon dont un patient raconte sa propre existence affecte la façon dont il la vit (Bruner,
2002).
-
Le récit construit l’identité du personnage en construisant celle de l’histoire racontée
(Ricœur, 1990).
A l’intérieur de « conversations thérapeutiques », patient et thérapeute vont œuvrer à la codéconstruction de certaines histoires supposées maintenir le problème, puis à la coreconstruction (« réécriture du scénario ») de nouvelles histoires participant à l’enrichissement
du sens de soi (Mori et Rouan, 2011).
42
Nous parlons d’approche et non de théorie narrative car cela implique bien l’impossibilité de se référer à une
théorie unique (Mori & Rouan, 2011).
231
III.2.1. Narration et processus « d’externalisation »
Le processus « d’externalisation » est une des démarches clés de l’approche narrative. Elle
vient favoriser une différenciation entre « l’évènementiel » tels que les symptômes du trouble
(les pensées, émotions et cognitions qui y sont associées) et « l’expérientiel », c’est-à-dire
l’expérience de soi (ibid.). Cette démarche vise à conférer du pouvoir au patient qui
commence à percevoir son problème comme une entité séparée de son identité. Dans une
perspective phénoménologique, cette démarche vient progressivement rétablir un intervalle de
sens entre mêmeté et ipséité.
Nous retrouvons, à travers cette démarche, le processus essentiel de « défusion » entre le soi
et le trouble, décrite au sein de notre modélisation du rétablissement. A titre d’exemple, les
conversations thérapeutiques pourraient progressivement mener le sujet atteint de
schizophrénie à ne plus seulement s’identifier avec l’avatar que peut constituer le délire, les
représentations stigmatisantes associées au trouble ou bien même la vision médicale de la
maladie.
Le récit ouvre au déploiement des représentations de soi tant de manière immédiate que
davantage historisée.
Dans le premier cas, il s’agirait par exemple d’aider le sujet à conscientiser les expériences
psychotiques et à se les représenter comme occupant une partie seulement de leur espace
psychique.
Selon nous, le thérapeute peut modérer la dynamique de lutte fréquemment associée à ce
mouvement de désidentification des symptômes, comme chez Mademoiselle C par exemple,
afin de guider le sujet vers une acceptation de ces expériences. Il s’agit d’aider le sujet à
devenir progressivement en conscience avec ces expériences tout en réussissant à les laisser
aller et venir sans en être mis à mal. Cette démarche fait écho à l’approche thérapeutique dite
de pleine conscience (Mindfulness therapy), constituant la « troisième vague » des thérapies
cognitivo-comportementales, et récemment appliquée à la gestion des symptômes
psychotiques persistants (Bardy-Linder et al., 2012).
232
À ce titre, nous employons fréquemment dans notre pratique clinique la métaphore du ciel et
des nuages. Le soi, tel le ciel, est toujours présent à notre conscience, même si transitoirement
occulté par les nuages. Ces derniers, tels les symptômes, circulent, pour à nouveau nous
laisser apprécier le bleu du ciel (et ô combien le soleil après la pluie est délicieux !).
Dans une perspective historisée, le thérapeute peut guider le sujet vers une appréciation plus
riche de soi (e.g. « le soi qui aime la musique » ; « le soi jeune enfant » ; « le soi qui entend
des voix » ; « le soi amical » ; « le soi qui était hospitalisé » ; « le soi qui a des projets » etc.)
afin de lui permettre de se désidentifier d’une unique représentation identitaire, source de
souffrance (e.g. « le soi malade »). En reliant certaines de ces représentations entres-elles, le
sujet peut progressivement être dans une conscience davantage cohérente et unifiée de soi.
Chez Monsieur L, par exemple, rappelons que la découverte de passions et loisirs (danse,
théâtre, lecture) est directement associée à l’expérience de la maladie.
En créant une distance avec des histoires douloureuses, le processus d’externalisation favorise
ainsi la reconnaissance et la réappropriation d’expériences reflétant pour le sujet des valeurs
identitaires davantage stables.
III.2.2. Narration et réappropriation de soi : devenir « narrActeur »
En racontant l’histoire, le patient peut être un conteur dont il est l’objet « spectateur » et
passer à une histoire dans laquelle il devient le narrateur « narrActeur » (Mori et Rouan,
2011). Nous l’avons vu, se rendre témoin de soi-même, c’est par là-même se rendre
responsable du sens de son existence : « En faisant le récit d’une vie dont je ne suis pas
l’auteur quant à l’existence, je m’en fais le coauteur quant au sens » (Ricœur, 1990, p. 197).
Se rendre l’auteur d’une action, c’est se voir comme le personnage du récit : « La thèse ici
soutenue sera que l’identité du personnage se comprend par transfert sur lui de l’opération de
mise en intrigue d’abord appliquée à l’action racontée ; le personnage est lui-même mis en
intrigue » (Ricœur, 1990, p. 170)
La thérapie narrative, dans cette perspective, ne favorise pas seulement la différenciation entre
soi et l’évènement problématique mais bien la mise en sens de cet évènement permettant son
intégration dans une continuité temporelle, historique et ainsi, identitaire : « la personne,
233
comprise comme personnage du récit, n’est pas une entité distincte de ses « expériences ».
Bien au contraire : elle partage le régime de l’identité dynamique propre à l’histoire
racontée » (ibid., p. 175)
Nous retrouvons là le processus d’acceptation des expériences du trouble, tel que décrit au
sein de notre modélisation. Ce dernier se déploie à travers la relecture d’évènements de vie
oubliés ou occultés par certaines « histoires dominantes » (Mori et Rouan, 2011). Par
exemple, doucement, le thérapeute pourra guider le sujet vers le développement d’une attitude
nouvelle quant à ses symptômes. Ces derniers ne définissent pas le sujet, au même titre qu’ils
ne définissent pas seulement une maladie. Ils peuvent être reconnus comme participant à la
reconstruction d’un équilibre psychique meilleur.
Ainsi, certains sujets de notre étude, rappelons-le, apprennent à percevoir avec l’expérience
les manifestations psychotiques comme des appels à se recentrer davantage sur leur personne,
à modifier certaines habitudes de vie. D’autres voient en leurs symptômes des indices
inconscients porteurs de sens quant à leur histoire et leurs aspirations personnelles. Dans cette
optique, l’acceptation du trouble n’est pas seulement capacité à vivre en « faisant fi » des
symptômes (différenciation), mais bien compréhension de ces derniers dans leur potentiel de
protection (mécanisme de défense), voire de croissance.
Le processus de la thérapie narrative nous semble ainsi composé de ce double mouvement qui
consiste en une extériorisation d’un évènement problématique (1), permettant sa codéconstruction et sa co-reconstruction en un sens qui favorise enfin sa réintégration
historique, et ainsi sa reconnaissance sur le plan identitaire (2).
III.3 Rétablissement et psychothérapie : une approche intégrative
L’expression
« intégrative »
que
nous
employons
pour
caractériser
l’approche
psychothérapeutique centrée sur le rétablissement dans la schizophrénie revêt une double
signification.
D’une part, l’intégration fait référence au mouvement essentiel du processus de
rétablissement tel que nous le concevons.
234
La reconnaissance de soi est un processus de déploiement puis d’intégration de différentes
facettes identitaires conduisant le sujet au sentiment d’un maintien nouveau de sa personne.
D’une manière générale, ce mouvement fait écho à la perspective holistique du courant des
psychothérapies intégratives où il s’agit d’accompagner le sujet vers l’harmonisation de
différents aspects de sa personnalité (Erskine et Trautmann, 1997). L’intégration tend vers la
cohésion de soi.
D’autre part, l’intégration se rapporte à l’aspect multiréférentiel de l’approche thérapeutique
orientée par les modalités décrites du rétablissement du soi. Nous comprenons la restauration
de l’identité narrative à la lumière de différents champs de compréhensions, si bien
phénoménologique, que psychodynamique et cognitif.
Nous partageons ainsi le postulat selon lequel chacune de ces perspectives apporte une
explication valable au fonctionnement psychologique et chacune se trouve mise en valeur
lorsqu’on l’intègre sélectivement aux autres (ibid.).
Au même titre que le rétablissement expérientiel mobilise des processus psychiques variés
(conscients comme inconscients), le thérapeute peut avoir recours à des modalités
d’accompagnement faisant écho à différentes approches psychothérapeutiques.
Par exemple, Lysaker et Erickson (2010) distinguent deux perspectives thérapeutiques
complémentaires selon le niveau d’intervention du thérapeute :
- La perspective métacognitive : cette dernière encourage le développement du soi en ciblant
les atomes de l’expérience que constituent un soi, comme les pensées et les émotions
- La perspective narrative : cette dernière favorise le développement d’une représentation
macroscopique d’une vie à l’intérieur de laquelle le soi demeure continu et cohérent.
Nous avons vu que ces deux approches sont intimement liées dans le processus de
restauration de l’identité narrative de sorte que le développement de l’une encourage le
déploiement de l’autre. En effet, d’une part les ressources métacognitives sont essentielles
pour produire, partager, et réviser un récit personnel riche et complexe (ibid.), d’autre part
l’espace narratif, en favorisant une perception historisée de soi, permet d’associer l’activité
métacognitive à une dimension temporelle et de la rendre ainsi plus efficiente.
235
À titre d’exemple, il apparaît nécessairement plus aisé d’identifier le lien entre certaines
émotions et cognitions lorsque l’on reconnait les répétitions de cette association.
Autrement dit, le récit favorise la distanciation à soi et inversement.
Ainsi, non seulement ces angles d’approches nous apparaissent complémentaires, mais qui
plus est, difficilement dissociables. Un travail axé sur la restauration de l’identité narrative
met en jeu une approche immédiate comme historisée du soi, la prédominance de l’une ou de
l’autre de ces perspectives étant fonction, au moment de la rencontre, de la demande et du
parcours psychique du sujet.
Spécifions en outre que nous concevons la psychothérapie orientée par le paradigme du
rétablissement avant tout comme une approche centrée sur l’expérience du sujet.
Au-delà même de tout référentiel théorique, cette « éthique » place au cœur du processus
thérapeutique la posture du thérapeute. L’acceptation inconditionnelle de l’expérience du
sujet impose, dans le champ de la schizophrénie, une conversion du regard porté sur la
maladie et la personne qui en souffre.
236
CHAPITRE III – LE RÉTABLISSEMENT EXPÉRIENTIEL :
UN PARADIGME EN DEVENIR
Le rétablissement expérientiel apparaît comme un cheminement au fil duquel le sujet modifie
son rapport au trouble, à son histoire, aux autres, à son identité, à son existence.
Cette métamorphose, si elle reflète le vécu intérieur de nombreux sujets, concerne aussi
nécessairement le regard porté, le discours tenu, les théories construites, à leur égard.
L’expérience vécue, lorsqu’elle est racontée, non seulement se transforme, mais vient aussi
transformer les représentations de la personne qui la reçoit et qui sait l’entendre. Ce
phénomène d’altération réciproque et incessante, propre à l’interrelation, concerne l’intimité
d’une rencontre comme elle préside aux modalités de construction des pensées collectives.
Pourtant, force est de constater la persistance de profonds hiatus dans le champ de la santé
mentale entre savoirs professionnels et savoirs profanes, conceptions « naturalistes » et
« humanistes ». Le caractère presque « radical » de l’opposition entre les deux acceptations du
rétablissement (objectif vs. subjectif) en est la meilleure des illustrations. L’encrage de ces
divergences nous semble nuire aux transformations des représentations sociales de la maladie
psychique (en particulier de la schizophrénie) et a fortiori, à l’émergence d’un nouveau
paradigme dans la politique de santé mentale en France.
En effet, ce changement de paradigme, dont le XXIe siècle pourrait voir le jour, suppose une
modification des représentations savantes des professionnels eux-mêmes, quelles que soient
les orientations dont ils se réclament (Desmons, 2006).
Lantéri-Laura (1998) définit le paradigme comme « un ensemble de conceptions admises par
tous pendant une certaine période, ensemble à l’intérieur duquel peuvent s’affronter des
théories qui, sans cet ensemble, resteraient inconcevables les unes comme les autres ».
Ainsi, l’enjeu n’apparaît pas tant celui d’une homégénéisation des courants de pensées qui
traversent le champ de la santé mentale (« conformisation » dont le risque premier est
d’ailleurs celui de l’idéologie), mais bien celui de la construction d’un cadre qui garantirait la
237
cohérence d’un ensemble, c’est-à-dire qui pourrait accueillir et faire coexister différents
éclairages théoriques et pratiques cliniques.
C’est dans cette double fonction de « réforme » et « d’organisation » des pratiques et des
savoirs que le rétablissement, au-delà d’un cheminement personnel, nous semble pouvoir être
pensé. Nous proposons dès lors, au terme de notre travail, de réfléchir aux modalités
d’articulation théorico-cliniques qui favoriseraient l’assise du rétablissement en tant que
nouveau paradigme dans le champ de la santé mentale.
I. Ruptures et conflits avec les modèles de soins (pré)existants
Avec le rétablissement expérientiel, il ne s’agit plus (seulement ?) de penser l’évolution de la
maladie psychique, ni même l’adaptation de la personne à des normes sociales, mais bien son
devenir sur le plan existentiel (Pachoud, 2012).
Cette nouvelle perspective vient entrer en conflit avec les conceptions de la maladie
psychique qui prédominent actuellement en France au point de créer de véritables points de
ruptures sur les plans psychopathologiques, éthiques comme épistémologiques.
I.1 Sur le plan psychopathologique
Quelle perte causée par l’expérience de la schizophrénie est considérée comme fondamentale
pour le rétablissement expérientiel ? Quels sont alors les éléments recouvrés ? Comment se
caractérise l’équilibre retrouvé ?
Nous voici en mesure d’apporter des éléments de réponses aux questions soulevées au sein de
notre revue de la littérature. Par là-même, il s’agit d’approfondir la conception des rapports
entre normal et pathologique sous-tendue par le paradigme du rétablissement.
La conception expérientielle du rétablissement se distingue d’une conception médicale
classique selon laquelle la santé exclut la maladie et réciproquement. En effet, nous avons vu
que la conception objective du rétablissement se fonde sur des facteurs d’amélioration établis
à l’inverse des critères diagnostiques de schizophrénie (Koenig et al., 2011b). Dans cette
238
perspective, le rétablissement serait en quelque sorte un diagnostic de « non schizophrénie »
et pourrait ainsi être associé à la reconquête d’une normalité. Cette conception est le fruit
d’une transition du pathologique vers le normal et se centre ainsi sur la description de la
psychopathologie pour établir, de manière inversée, un modèle de santé.
Dans la conception expérientielle du rétablissement, la perte concernerait davantage un
rapport à soi et au monde signifiants. L’individu en rétablissement se comprend dans son
rapport à un nouvel équilibre existentiel reconstruit au décours de et par l’expérience de la
maladie.
Cette perspective rejoint la thèse de Canguilhem (1966) sur les rapports entre normal et
pathologique. Ces derniers ne sont pas perçus comme des pôles opposés mais compris en
référence au processus de normativité inhérent à chaque individu ; processus capable de créer
en permanence les conditions de son adaptation aux changements du milieu, que ce dernier
soit biologique ou psychique. Vivre n’est pas seulement se maintenir, se conserver, c’est
constamment s’adapter aux nouvelles exigences créées par de nouveaux contextes.
Ainsi, la maladie est définie comme la perte d’une créativité normative qui permet à un
individu de chuter, puis de se relever, et la santé comme le recouvrement de cette dynamique
de réajustement, de rééquilibration. Autrement dit, à côté d’une valeur négative, le
pathologique revêt une signification positive, celle d’une réorganisation des relations existant
entre le vivant et son milieu (Bottéro, 2001).
En ce sens, le rétablissement peut être pensée comme la reconquête de ce processus normatif
qui permet au sujet de créer de nouvelles conditions d’existence douées de sens.
Sur le plan de l’analyse existentielle, il nous semble que l’on trouve une démarche analogue,
qui consiste à relativiser cette opposition du normal et du pathologique, au profit d’une
normativité inhérente au sujet.
S’il n’y a pas de différence d’essence entre le normal et le pathologique, l’opposition se
déplace ainsi en direction de différentes modalités d’un même être-au-monde, comme nous
l’avons vu avec Minkowski, selon qu’elles sont authentiques ou inauthentiques, propres ou
impropres. C’est sur ce terrain que se cristallise l’enjeu « thérapeutique » de la thèse
239
Heideggérienne
(Jollivet,
2011),
que
l’on
peut
rapprocher
du
rétablissement
expérientiel visant à recouvrer l’accès à une existence en propre ou authentique.
La (re)connaissance de soi suppose de retrouver un potentiel d’actualisation de l’être, la
possibilité de se constituer à nouveau dans le devenir, dans le projet, pour reprendre le
vocabulaire Heideggérien.
Dans la perspective existentielle, la norme perd son statut de moyenne statistique pour se
muer en projet singulier.
Les résultats de la première partie de notre étude, en attestant d’une disjonction entre
rémission symptomatique, rémission fonctionnelle et rétablissement expérientiel, soutiennent
l’originalité d’une visée « normative » en rapport à une conception que l’on pourrait qualifier
de « normalisante ». Les échelles de rétablissement témoignent d’une adaptation des
personnes à une norme subjective ; tandis que les échelles de rémission renseignent de la
qualité de l’adaptation des sujets à une norme davantage définie médicalement et socialement.
I.2 Sur le plan éthique
Ces divergences dans les conceptions psychopathologiques font incontestablement écho à des
questionnements d’ordre éthique.
En effet, la quête d’une vie authentique, la recherche d’un accomplissement personnel,
définissent l’éthique, du moins dans sa conception téléologique (Pachoud, 2012). Pour le dire
avec Ricœur (1990, p. 203), « la vie bonne est l’objet même de la visée éthique ».
Le principe d’autodétermination s’inscrit au cœur de cette exigence éthique car c’est au sujet
que revient le choix des valeurs qui définissent une vie dotée de sens et celui des moyens
adoptés pour y tendre. Ni la médecine, ni la psychologie n’ont de légitimité à fixer les normes
d’une vie accomplie (Pachoud, 2012).
Dans le champ de la santé mentale, cette exigence d’autodétermination rencontre
nécessairement des limites, dans la mesure où elle vient entrer en conflit avec d’autres
240
principes inhérents à la perspective thérapeutique, tel que celui de la protection des personnes
(ibid.). En effet, si l’on considère que la maladie psychique peut abolir les capacités de
discernement d’un sujet, cette quête de la vie bonne lui appartient-elle toujours ?
L’éthique propre au rétablissement expérientiel vient dés lors interroger sa possible
articulation avec une éthique qui relèverait du domaine des soins.
I.3 Sur le plan épistémologique
Enfin, les conflits mis en exergue par la perspective du rétablissement peuvent être déclinés
sur le plan épistémologique.
En effet, la démarche existentielle du rétablissement place les valeurs des sujets au centre des
préoccupations scientifiques et thérapeutiques et rompt ainsi avec une approche de la
psychiatrie « fondée sur les faits » (Evidence Based Medecine), actuellement prédominante,
dont le principal objet d’étude serait la maladie.
Les facteurs subjectifs de rétablissement ne peuvent être appréhendés avec la même logique
statistique sur laquelle repose cette perspective dite « scientifique » de la maladie psychique.
A ce titre, la plupart des sujets de notre étude - et notamment ceux témoignant d’une avancée
importante dans le processus de rétablissement - ne présentent pas les facteurs classiquement
associés à un « bon pronostic ». Rappelons le diagnostic de « schizophrénie résistante » reçu
par Monsieur L, ainsi que son histoire si chaotique ponctuée d’une longue période aiguë de
troubles sans traitement (i.e., « je suis resté deux ans délirant »).
Ce constat mène au cœur de la difficulté propre à l’évaluation : comment juger de l’extérieur
d’éléments intimes, singuliers, irréductibles à une norme ? En effet, sans oublier que
l’évaluation s’inscrit dans une prétention positive d’aider, d’améliorer et de soulager ; cettedernière peut également réduire l’individu selon des critères prédéfinis, voire constituer un
frein à son développement (Marin, 2005). En outre, l’évaluation se heurte à la difficulté de
rendre compte d’une continuité évolutive, d’une « durée subjective » (Bergson, 1938) qui est
éminemment celle du rétablissement.
241
Ainsi, le passage au premier plan des valeurs des personnes place nécessairement l’autoévaluation au centre de toute démarche thérapeutique et – a fortiori – scientifique.
L’exigence d’une auto-détermination dans les choix de vie sur le plan individuel comme sur
le plan collectif (« Nothing about us without us ») rejoint la revendication d’une expertise
inaliénable du sujet.
II. Démarche thérapeutique et démarche expérientielle : quelle adéquation ?
Si le processus de rétablissement est prioritairement l’affaire des personnes concernées
(Pachoud, 2012), est-il conciliable avec une démarche de soins ? Autrement dit, s’il existe
tant de points de ruptures entre les perspectives médicale et expérientielle, dans quelle mesure
cette dernière peut-elle prétendre à définir un nouveau modèle de soins ? Le rétablissement
expérientiel ne serait-il pas prioritairement, si ce n’est uniquement, le paradigme des usagers
et de leurs rassemblements associatifs ?
Contre l’idée d’une opposition irréductible entre démarche de soin et démarche expérientielle,
savoir « profane » et savoir « expert », nous postulons que les professionnels de santé comme
les institutions peuvent – voire doivent – soutenir le processus de rétablissement.
Etayons nos propos à la lumière du vécu expérientiel des sujets de notre étude et soulignons,
en premier lieu, la mise en exergue par ces derniers d’un soulagement symptomatique comme
facteur incontournable d’un mieux-être. En dehors d’elle, le déséquilibre psychique est tel que
les sujets sont en difficulté pour déployer les ressources nécessaires à l’atteinte d’un nouvel
équilibre. A l’évidence, la diminution des manifestations du trouble supporte l’évolution de la
personne et réciproquement.
Mais notre réflexion principale rejoint la dimension ontologiquement relationnelle du
processus de rétablissement tel qu’explicité précédemment. La médiation de l’autre est
requise sur le trajet de la conscience du trouble à la (re)connaissance de soi. Nous ne
reviendrons pas sur les bénéfices argués à ce sujet du travail de la psychothérapie
individuelle. Notons cependant que si cet espace de rencontre peut favoriser le développement
de ce cheminement, il est loin d’en constituer l’unique ressort.
242
Si la reconnaissance se déploie à travers différentes formes de relations (familiales, amicales,
professionnelles etc.), l’accompagnement et les dispositifs thérapeutiques, en favorisant la
médiation entre le sujet et sa maladie, constituent par là-même une voie de médiation
fondamentale entre le sujet et autrui.
II.1 La transmission d’une expertise médicale : l’exemple de la psychoéducation
Ainsi nous pouvons questionner, par exemple, les formes d’accompagnement thérapeutique
centrées sur la transmission d’une expertise médicale : ces dernières entrent-elles en
concurrence avec l’expertise des sujets ou contribuent-elles au contraire à la révéler ?
Rappelons que la majorité des sujets de notre étude rapporte avoir été, relativement tôt, dans
une attitude de questionnement et de recherche de mise en sens de leurs troubles. Ceci va dans
le sens de récentes études qualitatives (Castillo et al., 2006) selon lesquelles nombreuses sont
les personnes atteintes de schizophrénie à adopter une démarche active de recherche
d’information quant à la maladie, en amont même de l’annonce diagnostique. Néanmoins,
cette même étude souligne l’importance de la relation thérapeutique comme cadre de la
transmission d’informations dans la mesure où les recherches personnelles apparaissent ne
pas nourrir les connaissances des sujets.
La quête de connaissance s’inscrit dans la rencontre intersubjective et se conçoit dès lors
comme une quête de reconnaissance de soi par autrui dans une relation de mutualité
interactive. Le sentiment de réassurance à l’entente du diagnostic de schizophrénie, évoqué
par la majorité des sujets de notre étude, semble s’inscrire dans ce cadre. L’information
constitue une représentation qui permet d’associer un sens figuré à une réalité vécue. Elle est
« prédication » (Ledoux et Cioltea, 2010) dans la mesure où elle inscrit cette expérience vécue
dans une certaine forme de généralité et de culture rendue familière, tout en se distinguant des
représentations stigmatisantes.
Rappelons à ce titre les illustres propos d’Eugène Minkowski (1927) qui soulignent le
potentiel d’influence de nos conceptualisations en psychiatrie dans la relation thérapeutique
« […] “fou” veut dire fou et rien de plus, tandis que “schizophrène” veut dire : susceptible
243
d’être compris et d’être guidé par nous » p. 268). Si la médicalisation de la folie nous ouvre à
sa démystification, il apparaît en être de même pour le sujet (et son entourage).
Ainsi, les informations quant à la maladie sont avant tout des représentations métaphoriques.
Elles permettent au sujet une véritable assimilation du trouble comme évènement afin de
pouvoir réintégrer cette cassure de vie dans une narration (Kohl et Pringuey, 2005). En outre,
la transmission de ces informations constitue une porte d’entrée dans un processus
thérapeutique qui va bien au-delà d’une démarche éducative. L’enjeu est ici l’authenticité
d’une alliance thérapeutique, basée sur la co-construction d’un socle de significations
communes.
La psychoéducation peut dans cette optique constituer une modalité d’accompagnement de
l’annonce diagnostique qui favoriserait la co-création d’un monde commun, au-delà de la
relation duelle médecin-patient, pour s’étendre à celle d’un groupe. Cette technique
thérapeutique est orientée par des présupposés théoriques qui doivent être transmis de manière
intelligible mais aussi avec parcimonie, souplesse et nuance.
En effet, il apparaît fondamental que les modèles explicatifs ne soient pas vécus comme des
savoirs « concurrents » (idéologie) à toute autre forme de connaissance (et de préjugés). Le
risque est de susciter une adhésion réactionnelle et plaquée aux principes énoncés et ainsi
d’éloigner le sujet d’une possibilité d’appropriation subjective dynamique.
La psychoéducation doit donc pouvoir accueillir, pour s’en nourrir, toutes formes
d’expériences singulières en veillant à ce qu’aucun discours commun ne s’impose. Il s’agit de
faire coexister un travail d’élaboration permettant l’identification avec celui d’un travail
d’ouverture permettant la rencontre de l’altérité (Ledoux et Cioltea, 2010).
II.2 Identification et singularisation
Je suis allé voir le psychiatre et je lui ai dit : “j’ai Dieu dans ma tête, il me dit
des trucs de fou ! Et quand on m’a parlé de schizophrénie, ça voulait dire que
j’étais malade. Ça me rassure en quelque sorte parce que je me dis "ça existe,
vraiment, y a pas qu'à moi que ça arrive…”.
Monsieur N.
244
Pour reprendre les termes de Ricœur (2004), cette attitude se situe dans une dialectique
dynamique entre mutualité et dissymétrie : mutualité, en ce que la centration sur l’expérience
subjective conduit à un rapport de proximité ; et dissymétrie, en ce que la transmission
d’informations sur les troubles psychiques instaure un rapport distancié.
Selon Bégout (2005, In. Ledoux et Cioltea, 2010), il ne peut y avoir d’existence autonome et
d’appropriation singularisante (individuation) sans une normalisation interne permettant
l’assise d’une vie quotidienne. Tout détournement créatif des normes instituées requiert
d’abord une adaptation au monde qui implique une certaine forme de normalisation.
Notre modélisation expérientielle illustre cette trajectoire développementale inscrivant
« normalisation » et « normativité » dans une continuité évolutive. Les trois étapes du
processus renvoient à des rapports différents entretenus par les sujets à l’entité « maladie ».
Les sujets se situant à la première étape évoquent une telle identification au trouble (fusion)
que l’expérience de soi apparaît figée au stade pré-morbide. Pour les sujets s’inscrivant à la
seconde étape, la « maladie » métaphorise leur souffrance (extériorisation) et oriente ainsi une
démarche de lutte pour recouvrer un sentiment de soi « sain ». Enfin, les sujets se situant à la
troisième et dernière étape de notre modèle se distancient des représentations médicales pour
se rapprocher de leur expérience vécue (appropriation).
Si la transmission d’information médicale invite le sujet à créer un rapport distancié à sa
souffrance, cette démarche comporte à l’extrême le risque d’entretenir un rapport distancié à
soi (et de nourrir ainsi les souffrances identitaires évoquées précédemment). De manière
parallèle, l’attitude thérapeutique doit également pouvoir encourager l’identification à un
savoir davantage expérientiel.
Dans cette optique, les expériences vécues du trouble, dénuées de représentations médicales,
pourraient constituer des supports identificatoires favorisant le processus d’individuation des
sujets. C’est dans cette perspective que s’inscrit la pratique récemment développée des
« pairs-aidants ».
245
II.3 La transmission d’une expertise subjective : la pratique des « pairs aidants »
Le pair-aidant fait référence à une personne vivant ou ayant vécu un problème de santé
mentale. A partir de son expérience de la maladie et de la compréhension de son propre
processus de rétablissement, il aide ses pairs à surmonter les obstacles et à identifier ce qui les
aide à se rétablir (Lagueux et al., 2008).
L’intégration d’usagers-experts dans les services de santé mentale a été initiée dans les années
1990 dans les pays anglo-saxons ; elle commence aujourd’hui à s’introduire en France43
comme dans d’autres pays européens, principalement dans des dispositifs de soins
communautaires. Cette pratique thérapeutique se base sur la philosophie de l’entraide
mutuelle.
En se positionnant comme le témoin éclairé du rétablissement, le pair-aidant peut favoriser, à
travers ses témoignages, un sentiment de reconnaissance, une résonnance empathique, et ainsi
une identification positive chez les sujets. La transmission d’un espoir d’une « vie après la
maladie » constitue notamment un des bénéfices clé de ces interventions (Davidson, 2003).
Cette pratique novatrice est sujette à controverses, notamment car elle vient interroger la
frontière entre le statut de soignant et celui de soigné et ainsi la configuration asymétrique de
la relation thérapeutique. D’une manière générale, la question de la professionnalisation de
l’entraide mutuelle soulève le risque de « confusion des rôles » au sein des équipes soignantes
(Martin et Franck, 2013).
La complexité des questionnements thérapeutiques, institutionnels et éthiques que ce
dispositif soulève invite à penser son introduction dans les services de santé mentale avec
prudence et discernement. Néanmoins, des résultats probants issus de ce type d’expérience
sont maintenant validés par plusieurs études (Davidson et al., 2006 ; Le Cardinal et al., 2008).
L’accent est porté sur l’efficience de l’intervention des travailleurs-pairs auprès des personnes
jeunes qui entrent dans la maladie psychique, et en particulier chez celles repérées comme
ayant au départ une mauvaise alliance thérapeutique. D’une manière générale, ces expériences
43
Citons l’expérience pilote créée par le Pr. Le Cardinal avec le centre collaborateur de l’OMS à Lille qui a
menée, en fin 2012, à l’embauche de 30 pairs-aidants sur les sites de Lille, Paris et Marseille ; mais aussi
l’expérience locale de l’hôpital de jour François Villon à Cergy-Pontoise organisée autour de la co-animation de
groupes de paroles par des soignants et pairs-aidants.
246
mettent en lumière la pertinence de l’intervention des pairs-aidant issue de leur expertise
spécifique et complémentaire de celle des soignants.
Soulignons enfin que cette pratique, si elle favorise l’accompagnement du processus de
rétablissement des sujets soignés, vient « confirmer » le propre parcours des pairs-aidants.
Rappelons en effet que les sujets de notre étude s’inscrivant à un stade avancé du processus
témoignent d’un désir de partager leurs expériences auprès de leurs pairs.
III. Vers un paradigme centré sur l’expérience des sujets : quelles transformations ?
Si la démarche de rétablissement n’est pas incompatible avec les pratiques de soins, elle les
questionne profondément.
La visée éthique est définie par Ricœur (1990, p. 202) comme la visée de la « vie bonne »
avec et pour autrui dans des institutions justes.
Ce parcours de sens est ainsi jalonné par trois composantes : le soi, autrui, l’institution.
Nous avons insisté sur la place de la reconnaissance par (et d’)autrui, de la sollicitude, dans le
processus de déploiement dialogique et ainsi du rétablissement de soi.
Au terme de notre travail, nous voudrions émettre quelques pistes de réflexion concernant le
troisième volet du parcours éthique définit par Ricœur, à savoir la structure du vivre-ensemble
qui va au-delà de la relation intersubjective pour s’étendre au sein d’une communauté
historique : « la structure dialogique reste incomplète hors de la référence à des institutions
justes » (Ibid., p. 202).
Le regard sociétal porté sur la maladie psychique, la place qui lui est accordée au sein de la
communauté orientent hautement l’attitude du sujet sur sa propre condition et ainsi sur son
parcours de rétablissement. Transposé à notre objet d’étude, c’est donc de la
« déstigmatisation » de la maladie psychique, de la qualité d’accueil des personnes atteintes
de schizophrénie dont il est question à travers cette expression du « vivre ensemble ».
247
Mais cette réflexion autour des conditions politico-sociales favorables au respect et à
l’insertion des sujets interroge en premier lieu notre propre regard d’expert à leur égard et par
là-même, le potentiel « destigmatisant » de nos modèles de soins : dans quelle mesure ces
derniers favorisent-ils l’acceptation et la reconnaissance du sujet souffrant ? Sont-ils en
mesure de respecter les valeurs et ressources des personnes, de transmettre l’espoir d’une
évolution possible au-delà de la condition de « malade » ?
Dans cette optique, le concept de rétablissement peut être invoqué dans son potentiel de
réorganisation des pratiques et des savoirs.
En tant que paradigme dans le champ de la santé mentale le rétablissement oriente une
approche globale du sujet centrée sur son expérience, ses ressources, ses aspirations et ses
valeurs. Dès lors, quelles modifications théorico-cliniques cette éthique inhérente au
rétablissement impose-t-elle ?
Nous proposons quelques pistes de réflexions, non exhaustives, permettant d’envisager
l’assise paradigmatique du rétablissement en France, à la lumière notamment de pratiques et
modèles de soins internationaux.
III.1 Favoriser le décloisonnement des savoirs et des pratiques
Le système de soins psychiatrique français fait actuellement l’objet d’une critique vive et
presque unanime auprès des différents acteurs concernés. Au-delà du manque de moyens
financiers et humains, c’est l’organisation même des pratiques et leur articulation avec les
savoirs qui sont remisent en question.
La profonde diversité des approches de soins, les multiples hiatus traversant les discours
savants, conduisent certains auteurs à parler de « balkanisation théorique de la psychiatrie »
(Hardy-Baylé et Bronnec, 2003). Les patients sont les plus directement concernés par ces
dérives, confrontés tout au long de leur parcours de soin à des pratiques quelque peu
incohérentes - si ce n’est franchement paradoxales -.
Mais n’oublions pas que la « crise » porte en elle un potentiel d’évolution, pour ne pas dire de
« révolution » (Besançon et Jolivet, 2009).
248
La problématique inhérente à la définition d’un nouveau paradigme dans le champ de la santé
mentale pourrait ainsi se décliner comme suit : comment penser un modèle de soin qui
viendrait garantir la cohérence d’un ensemble (pour reprendre les termes de Lantéri-Laura),
sans tomber dans l’écueil idéologique d’un système hégémonique ?
Pour Hardy-Baylé et Bronnec (2003), il s’agirait de créer une « théorie des pratiques »
organisée autour du projet de soins des patients. Dans cette perspective, la mise en réseau
devient incontournable car elle permettrait de formuler des hypothèses de soins issues de la
complémentarité des pratiques en créant un lieu d’échange entre praticiens et théoriciens
(Bouleau, 2011).
Mais l’éthique du rétablissement, invitant à ne pas dépersonnaliser le trouble psychique et à
considérer ainsi la personne dans la globalité de son expérience vécue, nous amène à penser
ce mouvement de décloisonnement dans une plus large perspective. Au côté du discours
« savant », il s’agirait finalement de favoriser la considération de l’expertise des sujets ; la
mise en perspective de la voix des « spécialistes » comme des « non spécialistes » (tels que
l’entourage de la personne, les associations d’usagers et finalement tout acteur concerné par
les questions de santé mentale).
Le paradigme se comprend ici en termes de posture plutôt qu’en termes de corpus de
connaissances (ibid.). L’expérience des sujets est au cœur de la démarche thérapeutique et non
(seulement) sa maladie.
III.2 Considérer le sujet en tant qu’expert
Penser l’accompagnement thérapeutique du rétablissement revient ainsi à réfléchir aux
modalités d’articulation du regard « expert » et du regard « profane ».
Nous l’avons vu, la démarche d’évaluation devient un problème lorsqu’elle tend à oublier la
singularité du sujet sur lequel elle s’exerce, à renforcer un système de relation de pouvoir et
de dépendance (Marin, 2005).
En ce sens, l’auto-évaluation apparaît comme une forme de collaboration entre le sujet et le
chercheur, le sujet et le professionnel de santé. Cette forme d’évaluation se construit sur la
249
base d’une considération nouvelle du sujet souffrant et incite en miroir ce dernier à porter une
attention approfondie à soi.
Dans le domaine de la recherche, pour le dire avec Davidson (2003), ce principe revient à
considérer le sujet dans son expertise et ainsi comme un véritable partenaire. Autrement dit, le
sujet participe à l’élaboration d’un savoir sur lui, sur ce qui le constitue.
Cette garantie éthique, déployée dans le domaine des soins, consiste à soumettre également
les interventions thérapeutiques aux personnes et groupes de personnes concernées. Ce
mouvement de réciprocité tend vers la définition d’un dispositif de modification psychique
consentie (Sironi, 2003) et constitue, à nos yeux, la condition même du développement du
« pouvoir d’agir » des sujets.
III.3 Se centrer sur les valeurs des personnes soignées
La considération accrue de la « voix » des usagers dans les pratiques de soins psychiatriques
fait aujourd’hui l’objet d’une réflexion renouvelée et oriente la définition de nouveaux cadres
de références, tel que celui de la « médecine fondée sur les valeurs » (Values-Based
Medecine) développée depuis vingt ans au Royaume-Uni par le psychiatre et philosophe
K.W.B. Fulford (2012).
Ce cadre conceptuel voit en l’intervention des valeurs en psychiatrie, non une marque
d’immaturité scientifique, mais bien au contraire le reflet des avancées d’une discipline
complexe concernée par la totalité de l’expérience humaine (Plagnol, 2013).
La démarche de soin centrée sur les valeurs (VBM) ne prétend pas s’opposer à celle centrée
sur les faits (EBM) mais se veut la complémenter. Elle vise à répondre à la complexité
croissante des valeurs pertinentes dans une décision de soins par la formulation de certains
principes pratiques et théoriques. Ces derniers constituent des orientations précieuses
lorsqu’apparaissent des conflits de valeurs, comme nous le rencontrons presque
quotidiennement dans nos pratiques professionnelles.
A titre d’exemple, le principe théorique dénommé person-centered practice en appelle, en cas
de conflit, à s’informer en priorité de la perspective de la personne ou du groupe de personnes
250
concernées par une décision. Les valeurs partagées par la collectivité, même opérationnelles,
ne peuvent se substituer aux valeurs effectives d’un individu.
Cependant, si les valeurs de la personne soignée sont déterminantes, les valeurs d’autres
personnes (membres de la famille, cliniciens, tout autre membre de l’équipe impliqué), voire
celles de l’environnement socio-culturel, sont tout aussi importantes à prendre en compte
(Plagnol, 2013). Nous avons en effet insisté, à la lumière de l’expérience vécue des sujets, sur
le caractère éminemment social de l’acceptation du trouble, de la reconnaissance de soi.
Ainsi Fulford (2012) considère qu’il n’y a pas d’unique perspective correcte : la
pluridisciplinarité est essentielle à l’expression d’une diversité de valeurs. Cette diversité ne
doit pas être réduite par consensus, mais explorée par dissensus, c’est-à-dire par un processus
qui fonde la décision en confrontant et équilibrant les multiples perspectives, sans les
hiérarchiser arbitrairement.
III.4 Travailler sur notre propre regard de professionnel
Le fait même d’aborder le malade comme un individu “pouvant guérir”
influe, sans même que nous nous en rendions toujours nettement compte,
sur toute notre attitude à son égard.
Eugène Minkowski.
La définition d’un nouveau paradigme dans le champ de la santé mentale fondé sur le respect
des perspectives des usagers requiert ainsi, prioritairement, de faire évoluer nos propres
représentations « savantes ». De la qualité de notre accueil des sujets atteints d’une maladie
psychique dépend la tolérance de la société à leur égard.
La compréhension du rétablissement expérientiel place éminemment l’expérience
schizophrénique dans un continuum singulier entre le pôle de la normalité et celui de la
pathologie.
251
Ce dynamisme inhérent au processus de rétablissement risque malheureusement d’échapper
au regard des professionnels de santé, confrontés quotidiennement aux cas les plus
problématiques et aux expériences les plus douloureuses. Ainsi en est-il particulièrement des
soignants qui exercent dans les secteurs de soins d’urgence ou d’hospitalisation fermée. Par
exemple, la confrontation aux répétitions des décompensations chez un même sujet peut
tendre au renforcement d’un sentiment d’impuissance thérapeutique, voire à une appréhension
déterministe du trouble. La théorie de Cohen (1984, « l’illusion des cliniciens ») illustre cette
tendance des soignants (qui n’est autre qu’un raisonnement humain !) à généraliser leurs
observations réalisées à partir d’un échantillon de patients à toute une population portant le
même diagnostic.
Dans cette perspective, le décloisonnement évoqué précédemment nous semble devoir
concerner les professionnels d’un même secteur de soin en privilégiant, par exemple, la
communication entre les services intra et extra hospitaliers. En outre, les échanges avec les
réseaux associatifs d’usagers apparaît, dans cette même optique, riche d’enseignements. Il
s’agirait d’élargir notre perception du trouble psychique au contact de personnes ne se
définissant plus seulement à travers le prisme de la maladie.
« Si l’on continue de penser que les personnes atteintes de schizophrénie ne peuvent se
rétablir, alors nos patients ne se rétabliront jamais » (Bottéro, 2008).
Ces propos nous rappellent que si le processus de rétablissement constitue prioritairement une
démarche personnelle, son déploiement apparaît nécessairement s’inscrire dans la rencontre
intersubjective et a fortiori, pouvoir être soutenu dans la relation thérapeutique.
L’espoir d’un rétablissement possible, dans le respect du temps psychique du sujet, n’est pas
une perception réconfortante d’un monde, mais bien la construction de celui-ci.
252
CONCLUSION
L’Homme qui parle pose un sens. C’est sa manière verbale d’œuvrer (Ricœur, 1955, p. 218).
Nous avons tenté de décrire et de mieux comprendre la parole des sujets atteints de
schizophrénie qui – au quotidien – œuvrent à la (re)conquête de leur existence et de la relation
à l’autre.
Notre étude, essentiellement exploratoire, appelle à la réalisation d’autres recherches
qualitatives, sans doute auprès d’un échantillon plus vaste voire diversifié de sujets. L’enjeu
pourrait être celui d’une étude comparative à l’échelle internationale afin de mieux
comprendre l’impact de la dimension culturelle sur le devenir des personnes atteintes de
schizophrénie. Rappelons en effet les résultats de récentes recherches, lourds de sens, selon
lesquels la qualité de l’insertion des personnes diminue avec le développement de la société
dans laquelle elles vivent (Douki et al., 2007).
Si cette étude, comme d’autres (Sartorius et al., 1977 ; Waxler et al., 1979 ; Hopper et
Wanderling, 2000 ; Thara, 2004), nous renseignent depuis maintenant plusieurs décennies de
la nécessité de considérer d’autres déterminants impliqués dans l’évolution des personnes que
le facteur médical (Pachoud, 2009) ; elles n’ont guère étaient complétées, à notre
connaissance, par des recherches davantage qualitatives. Ces dernières viendraient éclairer les
dimensions subjectives et relationnelles en jeu dans le « rétablissement » des personnes vivant
dans les pays en voie de développement. Il s’agirait par là-même de mieux comprendre encore
comment nos pratiques et nos modèles de soins pourraient évoluer au plus proche du
paradigme expérientiel du rétablissement, et ainsi contribuer grandement à la destigmatisation
sociétale de la schizophrénie.
Dans une perspective plus locale, la spécificité du contexte des soins psychiatriques en France
devrait être davantage explorée ; car n’oublions pas que le concept de rétablissement est né
d’une culture anglo-saxone. La question est bien celle de la transposition de ce paradigme
dans des contextes où les sensibilités politiques, économiques et culturelles divergent
incontestablement (Pachoud, 2012). Cependant, sans doute retrouve-t-on dans ces cultures
253
une volonté (plus ou moins accouchée) de se démarquer d’une logique devenue prégnante
tentant de substituer « le modèle fort d’un psychisme individuel, à celui faible de
l’individualisme » (Louys, 2002, in. Bouleau, 2011).
Dans cette optique, il nous semble nécessaire de nous prémunir de dérives idéologiques
pouvant imprégner le concept même de rétablissement. Nous rejoignons Bernard Pachoud
(2012) à ce sujet, par la critique de certains courants qui, au prétexte de vouloir « positiver »
la psychopathologie, s’appuient sur une logique désubjectivante par la définition de critères
de « bien-être », démarche pouvant alors sonner comme une sorte d’injonction au bonheur. La
valorisation des ressources des sujets sous-tendue par ce paradigme ne devrait – en aucun cas
– s’accompagner d’une banalisation de leurs souffrances, voire d’une normalisation de ce que
représente la vie bonne.
L’éthique propre au rétablissement, transposée à la recherche scientifique, rend ainsi délicate
la démarche de théorisation de ce processus et impose une attention toute particulière portée à
l’équilibre dialectique entre généralisation et singularisation.
Nous espérons, à travers la présentation de notre modélisation expérientielle, être parvenus à
nous approcher de cette éthique. Nous avons tenus en effet à mettre en valeur la continuité des
différentes étapes définies ainsi que leur évidente non-linéarité. Avec la mise en exergue de
processus psychologiques traversant les grands moments du parcours du sujet, nous avons
privilégié une compréhension de la dynamique subjective à une appréhension dimensionnelle,
catégorielle.
D’un point de vue épistémologique, nous avons préconisé un recours élargi à l’autoévaluation, démarche qui, dans une plus large perspective, contribuerait à mieux rendre
compte des valeurs, des désirs et des ressentis des sujets, concernant si bien leur
symptomatologie que la qualité de leur fonctionnement psychosocial.
Enfin, le rétablissement de la schizophrénie, dans sa qualité de paradigme comme dans son
pouvoir de reconnaissance singulière d’une démarche existentielle, apparaît prioritairement
conditionné à notre capacité propre à accueillir, à accepter le vécu des personnes.
254
La schizophrénie n’est pas qu’une déficience, un manque : elle est surtout une manière d'êtreau-monde. Ce postulat mène à appréhender les troubles psychiques, non seulement comme
des modalités d’existences, mais qui plus est, comme des expériences qui portent en elles un
potentiel d’actualisation de l’être. La schizophrénie est dès lors pensée comme un évènement
dynamique qui survient et participe de et à l’histoire personnelle du sujet.
Sur le plan de la rencontre thérapeutique, ce postulat sous-tend une conversion du regard
porté sur la schizophrénie et le sujet qui en est atteint : elle suppose une ouverture
inconditionnelle à l’autre dans son potentiel de croissance et de mobilité existentielle.
Mais cette ouverture est également reconnaissance de cette dimension d’universalité attachée
à l’expérience schizophrénique, des ressources de vivre et de souffrir-avec des sujets,
constituant finalement un appel à mieux comprendre et tolérer notre propre vulnérabilité.
255
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274
UNIVERSITÉ PARIS VIII – SAINT-DENIS
U.F.R. de Psychologie
École Doctorale : Langage, Cognition, Interaction
LE RÉTABLISSEMENT DANS LA SCHIZOPHRÉNIE
L’EXPÉRIENCE DES SUJETS AU CŒUR D’UN NOUVEAU
PARADIGME ÉVOLUTIF
TOME II : ANNEXES
Thèse en vue de l’obtention du Doctorat de Psychologie Clinique
Présentée par Marie KOENIG
Dirigée par Monsieur le Professeur Alain BLANCHET
Co-dirigée par Madame Marie-Carmen CASTILLO
Soutenue publiquement le 7 novembre 2013
Membres du Jury :
Monsieur le Professeur Arnaud PLAGNOL (Université Paris VIII)
Monsieur le Professeur Bernard PACHOUD (Université Paris VII)
Monsieur le Professeur Conrad LECOMTE (Université du Québec, Montréal)
Monsieur le Docteur Jean-Hervé BOULEAU (Hôpital René Dubos, Pontoise)
275
TABLE DES MATIÈRES DES ANNEXES
ANNEXE I .......................................................................................................................................... 277
PROFILS ÉVOLUTIFS DE LA SCHIZOPHRÉNIE (1941 – 1946)
ANNEXE II ......................................................................................................................................... 279
PROFILS ÉVOLUTIFS DE LA SCHIZOPHRÉNIE (2007)
ANNEXE III ....................................................................................................................................... 281
RECOUPEMENT DE QUATRE TRAJECTOIRES
ÉVOLUTIVES DE LA SCHIZOPHRÉNIE (2011)
ANNEXE IV ....................................................................................................................................... 284
FORMULAIRE DE CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ
ANNEXE V......................................................................................................................................... 286
DONNÉES SOCIO-DÉMOGRAPHIQUES RELATIVES AUX SUJETS DE NOTRE ÉTUDE
ANNEXE VI ....................................................................................................................................... 288
CONSIGNE DÉLIVRÉE AUX SUJETS DE NOTRE ÉTUDE
ANNEXE VII ...................................................................................................................................... 290
ÉCHELLE PANSS
(Échelle clinique des symptômes positifs et négatifs)
ANNEXE VIII..................................................................................................................................... 293
ÉCHELLE ERFS
(Echelle de rémission fonctionnelle de la schizophrénie)
ANNEXE IX ....................................................................................................................................... 296
ÉCHELLE RAS
(Échelle de mesure processuelle du rétablissement)
ANNEXE X......................................................................................................................................... 300
ÉCHELLE STORI
(Échelle de mesure processuelle du rétablissement)
ANNEXE XI ....................................................................................................................................... 306
GUIDE D’ENTRETIEN SEMI-DIRECTIF DE RECHERCHE
ANNEXE XII ...................................................................................................................................... 309
TERMES REPRÉSENTATIFS DES CLASSES DE DISCOURS ISOLÉES PAR IRAMUTEQ
ANNEXE XIII..................................................................................................................................... 323
ENTRETIEN SEMI-DIRECTIF AVEC MONSIEUR R
ANNEXE XIV .................................................................................................................................... 333
ENTRETIEN SEMI-DIRECTIF AVEC MADEMOISELLE C
ANNEXE XV ...................................................................................................................................... 352
ENTRETIEN SEMI-DIRECTIF AVEC MONSIEUR D
276
ANNEXE I
PROFILS ÉVOLUTIFS DE LA SCHIZOPHRÉNIE
(1941 – 1946)
277
Statistiques concernant l’évolution des schizophrénies
à partir de l’étude de 439 cas
Manfred Bleuler (1941-1946)
Répartition des 439 cas en sept trajectoires évolutives :
1) Psychoses à début aigu aboutissant progressivement à la démence : 5 à 15%
2) Psychoses à évolution progressive aboutissant à la démence : 10 à 20%
3) Psychoses à début aigu aboutissant à un simple déficit : 5%
4) Psychoses à évolution progressive aboutissant à un simple déficit : 5 à 20%
5) Psychoses à évolution cyclique évoluant vers la démence : moins de 5%
6) Psychoses à évolution cyclique évoluant vers les états de déficit : 30 à 40%
7) Psychoses à évolution cyclique évoluant vers une guérison durable : 25 à 35%
In. H. Ey (1955).
278
ANNEXE II
PROFILS ÉVOLUTIFS DE LA SCHIZOPHRÉNIE (2007)
279
Profils d’évolution selon la typologie de M. Bleuler
Recovery from schizophrenia. A report from the WHO Collaborative Project.
Etude réalisée à partir d’une cohorte d’incidence de 502 cas pour un suivi moyen de 15 ans et
sur une cohorte de prévalence de 142 pour un suivi moyen de 26 ans.
Profil évolutif
Cohorte
incidence (%)
Cohorte
prévalence (%)
1. Aigu – par accès – favorable
29,4
17,7
2. Insidieux – continu – défavorable
14,4
31,9
3. Aigu – par accès – défavorable
4,8
1,4
4. Insidieux – continu – favorable
10,4
14,9
5. Insidieux – par accès – favorable
22,6
26,2
6. Aigu – continu – défavorable
9,1
2,9
7. Insidieux – par accès – défavorable
4,0
1,5
5,3
3,5
Total « Terminaison défavorable »
32,3
37.7
Total « Terminaison favorable »
67,7
62,3
8. Aigu – continu – favorable
In. K. Hopper et al. (2007).
280
ANNEXE III
RECOUPEMENT DE QUATRE TRAJECTOIRES
ÉVOLUTIVES DE LA SCHIZOPHRÉNIE (2011)
281
Étude statistique réalisée à partir d’une cohorte de 2290 patients en fonction de
leur âge et du nombre de jours d’hospitalisation.
-
Trajectoire I : « évolution typique, classique » : 56, 9%
Trajectoire recoupant les sujets qui décompensent en moyenne à 20,9 ans et dont le cours de
la maladie se caractérise par une détérioration jusqu’à environ 23 ans, suivi d’une
amélioration progressive
- Trajectoire II : « décompensation précoce et amélioration précoce » : 15,5%
Trajectoire recoupant les sujets qui décompensent précocement (première hospitalisation en
moyenne à 17,1 ans) et dont le cours de la maladie se caractérise par une détérioration jusqu’à
environ 21 ans, suivi d’une amélioration progressive
282
-
Trajectoire III : « décompensation tardive et amélioration tardive » : 15, 02%
Trajectoire recoupant les sujets qui décompensent tardivement (en moyenne à 22,7 ans) et
dont le cours de la maladie se détériore sur une longue durée (jusqu’à environ 29 ans), suivi
d’une amélioration progressive
-
Trajectoire IV : « décompensation précoce et amélioration lente : maladie
résistante » : 12, 49%
Trajectoire recoupant les sujets qui décompensent précocement (en moyenne à 18 ans), puis
dont le cours de la maladie suit une amélioration lente car cyclique à partir de 20 ans.
SYNTHÈSE
-
Environ 70% des patients connaissent une évolution favorable à un âge dit
« classique » (i.e., 23 ans) ou à un âge dit « précoce » (i.e., 21 ans).
-
Inversement, 30% des patients en moyenne connaissent soit une évolution favorable
tardive (i.e., 29 ans) ou dite « retardée » (i.e., le cours de la maladie suit une
amélioration lente car cyclique à partir de 20 ans).
In. S. Levine et al. (2011)
283
ANNEXE IV
FORMULAIRE DE CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ
284
Marie KOENIG
Equipe de Recherche sur la pratique clinique
Laboratoire de Psychopathologie et de Neuropsychologie
Université Paris 8
Tel : 01 49 40 64 69
Je soussigné(e)……………………………………………….accepte de participer à l’étude
sur « le vécu des sujets atteints d’un trouble psychique » qui a comme objectif d’améliorer les
connaissances sur l’évolution du trouble.
J’accepte de répondre à des questions sur ce thème et que cet entretien soit enregistré pour
permettre le recueil des données. Cet entretien restera confidentiel et préservera mon
anonymat ainsi que le secret professionnel. Les données ne seront utilisées que dans le strict
cadre de ce travail de recherche.
La cassette de cet enregistrement sera stockée au sein de l’université Paris 8 et je pourrai à
tout moment demander la destruction de cet enregistrement.
Fait à…………
Le…………….
SIGNATURE
285
ANNEXE V
DONNÉES SOCIO-DÉMOGRAPHIQUES RELATIVES AUX SUJETS DE
NOTRE ÉTUDE
286
Sujets de notre étude
Sujet
Sexe
Age
Durée de la maladie
1
Homme
36 ans
20 ans
2
Homme
30 ans
12 ans
3
Homme
44 ans
28 ans
4
Homme
39 ans
16 ans
5
Homme
38 ans
20 ans
6
Homme
42 ans
23 ans
7
Homme
41 ans
20 ans
8
Homme
34 ans
15 ans
9
Femme
34 ans
18 ans
10
Femme
30 ans
10 ans
11
Homme
30 ans
11 ans
12
Homme
34 ans
12 ans
13
Femme
35 ans
15 ans
14
Homme
30 ans
12 ans
15
Homme
26 ans
7 ans
16
Homme
40 ans
28 ans
17
Homme
25 ans
8 ans
18
Homme
33 ans
12 ans
19
Homme
47 ans
26 ans
20
Femme
47 ans
24 ans
21
Homme
23 ans
5 ans
22
Homme
35 ans
14 ans
23
Homme
23 ans
4 ans
24
Homme
27 ans
5 ans
25
Homme
45 ans
25 ans
26
Homme
52 ans
30 ans
287
ANNEXE VI
CONSIGNE DÉLIVRÉE AUX SUJETS DE NOTRE ÉTUDE
288
Voici la consigne délivrée aux 26 sujets de notre étude :
« Bonjour, je me présente, je suis psychologue et je réalise par ailleurs un travail de thèse sur
le vécu et le devenir des personnes qui vivent avec un trouble psychique. Dans ce cadre, je
suis intéressée par rencontrer des personnes acceptant de témoigner de leur parcours et de leur
vécu actuel. C’est pourquoi votre psychiatre vous a sollicité pour que nous nous rencontrions
aujourd’hui et je vous remercie d’avoir accepté. Je vais maintenant vous expliquer la manière
dont se déroule cette recherche. Vous serez ensuite libre d’accepter ou de refuser d’y
participer. »
Nous avons dès lors informés les sujets de notre procédure de recueil de données (entretien
enregistré d’une durée d’environ 45 minutes, suivi de la passation de deux échelles pour une
durée approximative de 15 minutes).
Seulement après que les sujets aient confirmé leur consentement à participer à notre étude,
nous leur avons délivrés toutes les informations présentées précédemment relatives à la
déontologie (secret professionnel et anonymat). En outre, nous avons proposé à l’ensemble
des sujets de les rencontrer à nouveau à l’issue de notre recherche, s’ils le désiraient, pour leur
faire part des principaux résultats de notre étude. Enfin, nous les avons informés que toujours
dans le cadre de notre recherche, leur psychiatre serait amené à recueillir quelques
informations supplémentaires (passation de la PANSS et de l’ERFS) à leur prochain rendezvous afin de compléter notre recueil de données.
289
ANNEXE VII
ÉCHELLE PANSS
(Échelle clinique des symptômes positifs et négatifs)
290
POSITIVE AND NEGATIVE SYNDROME SCALE
PANSS
KAY S.R., OPLER L.A. et FISZBEIN A.
Traduction française : J.P. Lépine
NOM :
PRENOM :
SEXE :
AGE :
DATE :
EXAMINATEUR :
CONSIGNES
Absence
Minime
Légère
Moyenne
Mod.Sévère
Sévère
Extrême
Entourer la cotation appropriée à chaque dimension, à la suite de l'entretien
clinique spécifique. Se reporter au Manuel de Cotation pour la définition des
items, la description des différents degrés et la procédure de cotation
Echelle positive
P 1 Idées délirantes.
P 2 Désorganisation conceptuelle.
P 3 Activité hallucinatoire.
P 4 Excitation.
P 5 Idées de grandeur.
P 6 Méfiance/Persécution.
P 7 Hostilité.
1234567
1234567
1234567
1234567
1234567
1234567
1234567
Echelle négative
N 1 Emoussement de l'expression des émotions
N 2 Retrait affectif.
N 3 Mauvais contact.
1234567
1234567
1234567
291
N 4 Repli social passif/apathique.
N 5 Difficultés d'abstraction.
N 6 Absence de spontanéité et de fluidité dans la conversation.
N 7 Pensée stéréotypée.
1234567
1234567
1234567
1234567
Echelle psychopathologique générale
G 1 Préoccupations somatiques.
G 2 Anxiété
G 3 Sentiments de culpabilité.
G 4 Tension
G 5 Maniérisme et troubles de la posture.
G 6 Dépression.
G 7 Ralentissement psychomoteur.
G 8 Manque de coopération.
G 9 Contenu inhabituel de la pensée.
G 10 Désorientation.
G 11 Manque d'attention.
G 12 Manque de jugement et de prise de conscience de
la maladie.
G 13 Trouble de la volition.
G 14 Mauvais contrôle pulsionnel.
G 15 Préoccupation excessive de soi (tendances
autistiques).
G 16 Evitement social actif.
1234567
1234567
1234567
1234567
1234567
1234567
1234567
1234567
1234567
1234567
1234567
1234567
1234567
1234567
1234567
1234567
292
ANNEXE VIII
ÉCHELLE ERFS
(Echelle de rémission fonctionnelle de la schizophrénie)
293
ERFS : Échelle de Rémission Fonctionnelle de la Schizophrénie
(Llorca et al., 2004)
Se référer, pour la passation, à la notice d’utilisation présentée avec le protocole.
Prendre en compte les facteurs limitants (financiers, contraintes matérielles), les nécessités,
habitudes, infrastructures et goût du patient, son niveau socio-culturel et ses habitudes
antérieures, les mesures de protection dont il fait l’objet ou son cadre de vie.
Les évaluations vont de 1 (ne fait, ne fonctionne, ne s'adapte ou ne gère pas, ne se prend pas en
charge, retentissement majeur) à 5 (fait, fonctionne ou gère parfaitement, s'adapte toujours, se prend
totalement en charge,aucun retentissement).
Cocher la case correspondante pour le patient :
1=ne fait pas, 2=fait partiellement, 3=fait une part significative, 4=fait presque tout, 5=fait
parfaitement.
Scores
1
2
3
4
5
Soin porté à l’hygiène et l’apparence : présentation, hygiène corporelle et
vesti-mentaire. A évaluer par rapport aux habitudes antérieures et au milieu
socio-culturel.
Activités personnelles : implication dans des centres d’intérêts (sport, lecture,
activité manuelle, animaux de compagnie …), capacité à organiser son temps
libre.
Activités ménagères : entretien du logement (ménage, vaisselle, linge,
propreté, sortie des poubelles..), rangement, état du mobilier.
Qualité de l’adaptation au stress et aux problèmes imprévus : capacités
d’adaptation, contrôle émotionnel, stratégies de « coping ».
Communication et information : utilisation des moyens usuels d’information
(journaux, télévision, radio…) et de communication (téléphone, courriers,
courriels…). Tenir compte de l’accès possible, notamment pour des raisons
économiques.
Alimentation : capacité à assurer ses repas (approvisionnement, organisation)
et/ou à respecter les horaires des repas (familiaux ou du lieu de vie).
Réseau social de nécessité (commerces, services, voisins …) : relations
nécessaires au maintien d’une insertion sociale harmonieuse.
Respect des rythmes biologiques : d’une manière générale les rythmes de
vie (veille/sommeil, fréquence alimentaire,…).
294
Gestion de sa maladie et de son traitement : connaissance de sa maladie,
de ses déterminants, de son traitement, des prodromes d’une récidive et de
l’observance.
Gestion administrative, financière : organisation des dépenses usuelles,
règlement des factures, réponse au courrier, démarches administratives,
connaissance de ses droits, gestion du patrimoine.
Affirmation de soi dans les relations sociales : capacité à affirmer son
individualité en société.
Participation à la vie civique et/ou associative : se tenir au courant de la vie
politique, participer à un vote, faire partie d’une association….
Études ou travail : poursuite ou reprise des études (scolaires ou
universitaires), d’une formation ou d’un reclassement professionnel. Recherche
ou reprise d’un travail, insertion professionnelle.
Famille, amis : fréquence des contacts et qualité des échanges.
Vie sentimentale et sexuelle : souhait et réalisation d’une relation
sentimentale. Caractère satisfaisant de l’activité sexuelle.
Prise en charge de sa santé : mise en œuvre des stratégies nécessaires pour
se maintenir en bonne santé.
Maîtrise des comportements agressifs, violents et/ou anti-sociaux :
Comportements agressifs et/ou non respect de la loi et des règles de vie
collective.
Empathie et assistance à autrui
Capacité à gérer les effets secondaires du traitement : capacités à
connaître, identifier et faire face aux effets secondaires du traitement.
295
ANNEXE IX
ÉCHELLE RAS
(Échelle de mesure processuelle du rétablissement)
296
RAS : Recovery Assessment Scale
Je vais vous lire des phrases qui correspondent aux ressentis de certaines personnes à propos
d’eux-mêmes et de leur vie. Merci de les écouter attentivement et de m’indiquer la réponse
qui décrit le mieux votre degré d’accord ou de désaccord avec ces propositions.
Pas du
tout
d’accord
En
désaccord
1. J’ai envie de réussir
1
2
3
4
5
2. J’ai mes propres stratégies
pour aller bien et le rester
1
2
3
4
5
3. J’ai des buts dans ma vie
que je veux atteindre
1
2
3
4
5
4. Je pense que je peux
atteindre les buts que je me
suis fixé actuellement
1
2
3
4
5
5. J’ai un but dans ma vie
1
2
3
4
5
6. Même quand je ne prends
pas soin de moi, d’autres
peuvent le faire
1
2
3
4
5
7. Je comprends comment
contrôler les symptômes de
ma maladie
1
2
3
4
5
8. Je peux prendre les choses
en main si la maladie vient à
réapparaître.
1
2
3
4
5
9. Je peux identifier ce qui
déclenche les symptômes de
ma maladie
1
2
3
4
5
10. Je peux m’aider à aller
mieux
1
2
3
4
5
11. La peur ne m’empêche
pas de vivre comme je le
désire
1
2
3
4
5
12. Je sais qu’il y a des
services de soins qui peuvent
m’aider
1
2
3
4
5
J’hésite D’accord
Tout à fait
d’accord
297
13. Je peux agir s’il y a des
symptômes qui réapparaissent
1
2
3
4
5
14. Je peux faire face à ce qui
arrive dans ma vie
1
2
3
4
5
15. J’apprécie qui je suis
1
2
3
4
5
1
2
3
4
5
1
2
3
4
5
18. Même si mes symptômes
venaient à s’aggraver, je sais
que je peux y faire face
1
2
3
4
5
19. Si je poursuis mes efforts,
je vais continuer à aller bien
1
2
3
4
5
20. Je sais qui je vais devenir
1
2
3
4
5
21. Les choses n’arrivent pas
par hasard
1
2
3
4
5
22. Quelque chose de bien va
finalement se produire
1
2
3
4
5
23. Je suis la personne la plus
responsable de mon mieuxêtre
1
2
3
4
5
24. Je suis optimiste par
rapport à mon avenir
1
2
3
4
5
25. Je continue à avoir de
nouveaux intérêts
1
2
3
4
5
26. C’est important de
s’amuser
1
2
3
4
5
27. Faire face à la maladie
psychique n’est plus mon
souci principal
1
2
3
4
5
28. Mes symptômes ne me
gênent de moins en moins
dans ma vie
1
2
3
4
5
16. Si les gens me
connaissaient vraiment, ils
m’apprécieraient
17. Je suis une meilleure
personne que celle que j’étais
avant ma maladie
298
29. Mes symptômes semblent
poser des problèmes pour des
périodes de plus en plus
courtes
1
2
3
4
5
30. Je sais quand demander
de l’aide
1
2
3
4
5
31. Je suis capable de
demander de l’aide
1
2
3
4
5
32. Je demande de l’aide
lorsque j’en ai besoin
1
2
3
4
5
33. Etre capable de travailler
est important pour moi
1
2
3
4
5
34.Je sais ce qui m’aide à me
sentir mieux
1
2
3
4
5
35. Je peux apprendre de mes
erreurs
1
2
3
4
5
36. Je suis capable de faire
face au stress
1
2
3
4
5
37. Il y a des gens sur qui je
peux compter
1
2
3
4
5
1
2
3
4
5
39. Même lorsque je ne crois
pas en moi, d’autres me font
confiance
1
2
3
4
5
40. C’est important d’avoir
des amis de différents
horizons
1
2
3
4
5
41. C’est important d’avoir
de bonnes habitudes pour
entretenir ma santé
1
2
3
4
5
38. 38. Je peux identifier les
signaux d’alarme de ma
maladie
299
ANNEXE X
ÉCHELLE STORI
(Échelle de mesure processuelle du rétablissement)
300
“STORI”
Stages of Recovery Instrument (Andresen, Caputi & Oades, 2006)
(trad. P. Golay & J. Favrod, 2009)1
Le questionnaire suivant porte sur vos sentiments à propos de votre vie et de vous-même
depuis la maladie. Certaines questions concernent les fois où vous ne vous sentez pas trop
bien. D’autres questions portent sur les moments où vous vous sentez très bien dans votre vie.
Si vous trouvez certaines des questions dérangeantes et que vous avez envie d’en parler à
quelqu’un, n’hésitez pas à faire une pause et à en parler à un ami. N’hésitez pas non plus à
contacter l’équipe soignante.
---
Les questions sont présentées par groupe de cinq.
Lisez tout d’abord l’ensemble des cinq questions du groupe avant de répondre à chacune
d’entre elles.
Entourez le chiffre de 0 à 5 pour indiquer dans quelle mesure chacune des propositions est
vraie pour vous. Passez ensuite au groupe suivant.
Lorsque vous choisissez votre réponse, pensez à comment vous vous sentez maintenant et non
pas à comment vous vous sentiez dans le passé.
Par exemple :
Question #43 : « je commence à en apprendre davantage sur la maladie psychique et sur
comment je peux m’aider moi-même ».
Question #44 : « je suis maintenant raisonnablement confiant en ce qui concerne la gestion de
la maladie ».
Si vous êtes raisonnablement confiant en ce qui concerne la gestion de la maladie, vous
choisirez un score plus haut à la question #44 que celui que la question #43 qui dit que vous
commencez seulement à en apprendre davantage sur la maladie psychique.
---
1
Un grand merci à Jérome Favrod pour nos correspondances autour de la traduction et de la validation de cette
échelle.
301
Les questions portent sur comment vous vous sentez globalement dans votre vie ces jours.
Essayez de ne pas laisser les choses qui en ce moment précis pourraient influencer votre
humeur modifier votre réponse.
Lisez toutes les questions du groupe 1 puis répondez ensuite à chacune d’entre-elles.
Entourez le chiffre de 0 à 5 qui indique dans quelle mesure chaque proposition est vraie pour
vous actuellement.
Puis passez au groupe 2 et ainsi de suite.
Quand vous choisissez votre réponse, pensez à comment vous vous sentez actuellement et non
pas à comment vous avez pu vous sentir dans le passé.
Pas du tout vrai
actuellement
Groupe 1
1. Je ne pense pas que les gens qui ont une
maladie psychique puissent aller mieux.
2. J’ai seulement récemment découvert que
les gens qui ont une maladie psychique
peuvent aller mieux.
3. Je commence à apprendre comment je peux
faire des choses pour moi pour aller mieux.
4. Je travaille dur pour rester bien et cela en
vaudra la peine.
5. J’ai maintenant un sentiment de « paix
intérieure » au sujet de la vie avec la
maladie.
0
1
2
0
1
2
0
1
2
3
4
5
0
1
2
3
4
5
0
1
2
3
4
5
3
3
4
4
Pas du tout vrai
actuellement
Groupe 2
6. Je sens que ma vie a été ruinée par cette
maladie.
7. Je commence seulement à réaliser que ma
vie n’a pas à être affreuse pour toujours.
8. J’ai récemment commencé à apprendre des
gens qui vivent bien malgré une sérieuse
maladie.
9. Je commence à être raisonnablement
confiant à propos de remettre ma vie sur les
rails.
10. Ma vie est vraiment bonne maintenant et le
futur s’annonce lumineux.
Complètement vrai
actuellement
5
5
Complètement vrai
actuellement
0
1
2
3
0
1
2
0
1
2
3
4
5
0
1
2
3
4
5
0
1
2
3
4
5
3
4
4
5
5
302
Pas du tout vrai
actuellement
Groupe 3
11. Je me sens actuellement comme si je
n’étais qu’une personne malade.
12. Parce que les autres ont confiance en moi
je commence tout juste à penser que peutêtre je peux aller mieux.
13. Je commence seulement à réaliser que la
maladie ne change pas qui je suis en tant
que personne.
14. Je commence actuellement à accepter la
maladie comme une partie du tout qui fait
ma personne.
15. Je suis heureux d’être la personne que je
suis.
0
1
2
0
1
2
0
1
2
3
4
5
0
1
2
3
4
5
0
1
2
3
4
5
3
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5
5
Complètement vrai
actuellement
0
1
2
0
1
2
0
1
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4
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1
2
3
4
5
0
1
2
3
4
5
3
3
4
4
Pas du tout vrai
actuellement
Groupe 5
21. Je ne serai jamais la personne que je
pensais que je serais.
22. j’ai tout juste commencé à accepter la
maladie comme une partie de ma vie avec
laquelle je vais devoir apprendre à vivre.
23. Je commence à reconnaître où sont mes
forces et mes faiblesses.
24. Je commence à sentir que j’apporte une
contribution de valeur à la vie.
25. J’accomplis des choses qui valent la peine
et qui sont satisfaisantes dans ma vie.
3
Pas du tout vrai
actuellement
Groupe 4
16. J’ai l’impression de ne plus savoir qui je
suis.
17. j’ai récemment commencé à reconnaître
qu’une partie de moi n’est pas affectée par
la maladie.
18. Je commence juste à réaliser que je peux
toujours être une personne de valeur.
19. J’apprends de nouvelles choses sur moimême alors que je travaille à mon
rétablissement.
20. Je pense que le fait d’avoir travaillé pour
dépasser la maladie a fait de moi une
personne meilleure.
Complètement vrai
actuellement
5
5
Complètement vrai
actuellement
0
1
2
3
0
1
2
0
1
2
3
4
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2
3
4
5
0
1
2
3
4
5
3
4
4
5
5
303
Pas du tout vrai
actuellement
Groupe 6
26. Je suis en colère que cela me soit arrivé à
moi.
27. Je commence tout juste à me demander si
des choses positives pourraient arriver de
ce qui m’arrive.
28. Je commence à réfléchir à quelles sont
mes qualités particulières.
29. En devant faire face à la maladie,
j’apprends beaucoup au sujet de la vie.
30. En surmontant la maladie, j’ai acquis de
nouvelles valeurs dans la vie.
0
1
2
0
1
2
0
1
2
3
4
5
0
1
2
3
4
5
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1
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4
5
3
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5
Complètement vrai
actuellement
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3
4
5
0
1
2
3
4
5
3
3
4
4
Pas du tout vrai
actuellement
Groupe 8
36. Je ne peux rien faire à propos de ma
situation.
37. Je commence à penser que je pourrais faire
quelque chose pour m’aider.
38. Je commence à me sentir plus confiant au
sujet d’apprendre à vivre avec la maladie.
39. Je travaille ces jours sur des choses de la
vie qui sont personnellement importantes
pour moi.
40. J’ai des projets importants qui me donnent
une raison d’être.
3
Pas du tout vrai
actuellement
Groupe 7
31. Ma vie me semble totalement inutile
actuellement.
32. Je commence tout juste à penser que je
peux peut-être faire quelque chose de ma
vie.
33. J’essaye de penser à des moyens
d’apporter une contribution dans la vie.
34. Je travaille ces jours sur des choses de la
vie qui sont personnellement importantes
pour moi.
35. J’ai des projets importants qui me donnent
une raison d’être.
Complètement vrai
actuellement
5
5
Complètement vrai
actuellement
0
1
2
3
0
1
2
0
1
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4
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2
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4
5
0
1
2
3
4
5
3
4
4
5
5
304
Pas du tout vrai
actuellement
Groupe 9
41. Les autres savent mieux que moi ce qui est
bon pour moi.
42. J’aimerais commencer à apprendre à
m’occuper de moi correctement.
43. Je commence à apprendre davantage sur la
maladie psychique et sur comment je peux
m’aider moi-même.
44. Je commence à me sentir raisonnablement
confiant en ce qui concerne la gestion de la
maladie.
45. Maintenant je peux bien gérer la maladie.
0
1
2
0
1
2
0
1
2
3
4
5
0
1
2
3
4
5
0
1
2
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4
5
3
3
4
4
Pas du tout vrai
actuellement
Groupe 10
46. Il ne me semble pas que j’ai actuellement
un quelconque contrôle sur ma vie.
47. J’aimerais commencer à apprendre à gérer
la maladie.
48. Je commence seulement à travailler pour
remettre ma vie sur les rails.
49. Je commence à me sentir responsable de
ma propre vie.
50. Je suis aux commandes de ma propre vie.
Complètement vrai
actuellement
5
5
Complètement vrai
actuellement
0
1
2
3
0
1
2
0
1
2
3
4
5
0
1
2
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4
5
0
1
2
3
4
5
3
4
4
5
5
305
ANNEXE XI
GUIDE D’ENTRETIEN SEMI-DIRECTIF DE RECHERCHE
306
THÈME 1 – HISTOIRE DES TROUBLES
Q1 - Quels ont été les premiers signes de la maladie ?
Q2 - Quand cela a-t-il commencé ?
Q3 - Quel était le signe de la maladie qui vous gênait le plus ?
Q4 - Selon vous, quelles seraient les dimensions de votre vie qui ont été les plus touchées par
la maladie?
Q5 - Avez-vous déjà été hospitalisé en psychiatrie ? Si oui, quand pour la première fois ?
Q6 - Par la suite, avez-vous vécu d’autres hospitalisations ? Pour quelles raisons ? Etaientelles selon vous justifiées ?
Q7 - Quel diagnostic a été posé et à quel moment ?
Q8 - Etiez-vous d’accord avec le diagnostic établi ? Que cela signifiait-il pour vous ?
Q9 - Votre avis sur ce diagnostic a-t-il évolué au fur et à mesure de votre parcours ? et
pourquoi ?
Q10 - Pouvez-vous me retracer votre parcours de soin ? (les institutions fréquentées et qui suit
aujourd’hui le patient)
Q 11 - Quel regard portez-vous sur ce parcours ? (avez-vous été satisfait des soins prodigués,
ou qu’est-ce qui selon-vous a manqué ?...)
THÈME 2 - VÉCU ACTUEL DES TROUBLES
Q 12 - Que signifie pour vous le terme de schizophrénie aujourd’hui ?
Q 13 - Vous considérez-vous comme malade ?
Q 14 - Pensez-vous que l’on puisse guérir de la schizophrénie ? Pour quelles raisons ? Que
cela signifierait-il ?
Q 15 - Quelle place le soin prend-il aujourd’hui dans votre vie ? Comment s’organise t-il ?
(traitement etc.)
Q 16 - Diriez-vous que vous avez encore des symptômes aujourd’hui ?
Si oui :
307
- En souffrez-vous ?
- Pouvez-vous les contrôler ? Si oui, comment ?
Si non : à quoi cela est dû ?
THÈME 3 - VÉCU DE L’EVOLUTION FAVORABLE
Q 17- Selon votre médecin, vous connaissez actuellement une évolution favorable de votre
trouble, êtes-vous d’accord avec cela ?
Q 18 - A votre avis, quels sont les éléments qui lui permettent de penser cela ?
Q 19 - Pour vous, que signifie cette évolution favorable ?
Q 20 - Quel terme pourrait le mieux décrire votre état actuel ? Pourquoi ?
Q 21 - Pour vous, quels sont les éléments qui permettent une évolution favorable ?
Q 22 - Selon vous, quels éléments peuvent faire obstacle à une évolution favorable ?
Q 23 – Y-a-t-il des personnes qui ont particulièrement contribué à votre mieux-être
aujourd’hui ? Pour quelles raisons ?
THÈME 4 - RAPPORT AU TROUBLE ET PROJECTIONS DANS L’AVENIR
Q 24 - Pouvez-vous me décrire votre vie actuelle ? (comment s’organisent vos journées ?)
Q 25 - Selon-vous, la maladie vous a-t-elle modifié ?
A-t-elle modifié votre relation avec votre entourage ?
A-t-elle modifié votre relation aux autres en général ?
Q 26 - Comment voyez-vous l’évolution de la maladie dans l’avenir ?
Q 27 - Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Q 28 - Auriez-vous des conseils à apporter aux personnes qui vivent avec la schizophrénie ?
308
ANNEXE XII
TERMES REPRÉSENTATIFS DES CLASSES DE DISCOURS ISOLÉES
PAR IRAMUTEQ
309
CLASSES DE DISCOURS
Pour chacun des thèmes de notre entretien, nous avons regroupé les corpus de texte du
discours des 26 sujets de notre échantillon.
Pour chaque thème, Alceste a procédé à un découpage du corpus en différentes classes de
discours que nous présenterons ci-dessous. Nous renseignerons les termes les plus
significatifs avec les khi 2 associés (khi 2 ≥ 8).
-
Les termes indiqués en noir correspondent aux formes nominales (ex : mère = 69.16)
-
Les termes indiqués en bleu correspondent aux pronoms, adjectifs et formes
adverbiales (ex : ma = 32.32)
-
Les sujets représentatifs de chaque classe de discours (le cas échéant) sont indiqués en
rouge. La numérotation des sujets nous permet en outre de repérer leur appartenance à
une des trois catégories de rétablissement (définie par les réponses à l’échelle STORI
après réduction statistique) (ex : S3, C1 = 94.15).
310
Thème 1 - Rapport aux troubles : perspective historique
L’analyse Alceste de notre premier thème fait apparaître quatre classes de discours. Le corpus
comporte 816 UCE dont 584 ont été prises en compte dans l’analyse (71.57% des UCE
totales).
CLASSE 1
Formes
Khi2
Formes
Khi2
Mère
69.16
Horrible
16.26
Suicide
49.59
Ouvrir
16.26
Bretagne
48.77
Enfance
14.38
Revenir
35.61
Femme
14.38
Maison
31.76
Téléphone
14.38
Venir
29.69
Recevoir
13.08
Téléphoner
28.19
Violent
10.4
Acheter
28.19
Enfant
10.4
suicider
27.81
Agresser
10.4
Grand-père
27.81
Epoque
9.59
SDF
27.81
Appartement
9.53
Trois-quart
27.81
Vie
8.79
Marier
27.81
Famille
8.64
Père
26.63
Parent
8.32
Rue
24.52
Cauchemar
8.16
Appeler
23.88
Ma
32.32
Porte
22.49
Ouvrir
22.49
An
17.7
Tableau 1 : Termes représentatifs de la classe 1 du thème 1
(73 unités de contexte élémentaire [UCE] [12.5% UCE]).
311
CLASSE 2
Formes
Khi2
Formes
Khi2
Diagnostic
67.67
Fur-et-à-mesure
10.79
Schizophrénie
63.24
Diagnostiquer
10.79
Médecin
53.88
Mot
10.35
Poser
33.53
Psychiatre
9.8
Symptôme
26.81
Raconter
9.47
Donner
25.47
Trouver
9.29
Comprendre
25.05
Exister
8.62
Schizophrène
19.17
Rassurer
8.62
Question
19.17
Paranoïde
8.62
Trouble
18.5
Accord
8.56
Livre
15.16
Recul
8.23
Vrai
12.11
Savoir
8.86
Psychique
11.57
On
8.67
Terme
10.79
Maintenant
8.32
Compliqué
10.79
Tableau 2: Termes représentatifs de la classe 2 du thème 1
(186 unités de contexte élémentaire [UCE] [31.85% UCE]).
312
CLASSE 3
Formes
Khi2
Formes
Khi2
Hôpital
108.09
École
13.91
Jour
73.85
Paris
13.91
Mois
61.37
Injection
13.91
Rester
38.63
Sortir
13.62
Travailler
22.08
Manger
13.3
Psychiatrique
20.63
Infirmier
13.06
Super
17.84
Endroit
12.7
Semaine
17.73
Sortie
12.7
Aller
17.03
Pendant
30.36
Période
16.43
Après
17.39
Retourner
15.71
Depuis
16.40
Heure
15.37
* S26 – C2
12.0
Minute
15.27
* S12 – C2
8.64
Suivre
15.07
* S9 – C1
8.64
Hospitaliser
15.07
Tableau 3 : Termes représentatifs de la classe 3 du thème 1
(166 unités de contexte élémentaire [UCE] [28.42% UCE]).
313
CLASSE 4
Formes
Khi2
Formes
Khi2
Signe
60.03
Gênant
16.2
Peur
41.58
Maladie
15.92
Entendre
31.45
Parano
14.87
Commencer
28.53
Toucher
14.87
Voix
26.36
Passer
13.77
Moment
25.54
Penser
11.85
Impression
24.23
Gêner
11.79
Monde
23.89
Radio
10.77
Hallucination
22.1
Autour
11.79
Dépression
21.58
Dehors
11.63
Délire
19.47
* S7 – C3
11.23
Petit
18.19
* S23 – C2
7.52
Pensée
16.57
Tableau 4 : Termes représentatifs de la classe 4 du thème 1 (159 unités de contexte
élémentaire [UCE] [27.23% UCE]).
314
Thème 2 - Rapport aux troubles : représentations actuelles
L’analyse Alceste de notre second thème fait apparaître trois classes de discours. Le corpus
comporte 365 UCE dont 292 ont été prises en compte dans l’analyse (80.00 % des UCE
totales).
CLASSE 1
Formes
Khi2
Donner
17.58
Arriver
16.64
Contrôler
13.81
Entendre
12.31
Essayer
12.28
Partir
12.28
Gens
10.96
Bruit
10.28
Travailler
9.76
Famille
8.54
Concentrer
8.54
* S25 – C2
9.12
Tableau 5 : Termes représentatifs de la classe 1 du thème 2 (109 unités de contexte
élémentaire [UCE] [37.33% UCE]).
315
CLASSE 2
Formes
Khi2
Angoisse
25.72
Crise
19.68
Panique
16.81
Marcher
15.53
Semaine
15.53
Hôpital
15.53
Mettre
14.88
Rendez-vous
13.96
Important
13.96
Respirer
13.96
Lettre
13.96
Midi
13.96
Passer
13.79
Prendre
11.46
Docteur
11.13
Pleurer
11.13
*S10-C2
27.8
*S20-C2
16.73
*S12-C2
9.8
Tableau 6 : Termes représentatifs de la classe 2 du thème 2 (78 unités de contexte
élémentaire [UCE] [26.71% UCE]).
316
CLASSE 3
Formes
Khi2
Formes
Khi2
Guérir
47.79
Cas
10.91
Malade
38.62
Rapport
10.91
Maladie
30.41
Guérison
9.49
Considérer
26.19
Accepter
8.72
Penser
19.99
Mais
11.5
Vivre
19.4
Pouvoir
10.2
Normal
14.65
Mieux
9.91
Sûr
14.65
Peut-être
9.91
Traitement
12.96
Aujourd’hui
9.53
Vie
12.56
*S7 – C3
13.13
Schizophrénie
12.22
*S26 – C2
8.72
Tableau 7 : Termes représentatifs de la classe 3 du thème 2 (105 unités de contexte
élémentaire [UCE] [35.96% UCE]).
317
Thème 3 - Rapport à l’évolution favorable
CLASSE 1
Formes
Khi2
Évolution
20.55
Parler
19.99
Favorable
19.46
Penser
12.19
Travail
11.4
Connaître
11.05
Etat
10.33
Aide
9.62
Trouver
9.62
Ami
8.91
Vraiment
8.22
* S 24 – C3
9.5
* S 21 – C3
8.8
Tableau 8 : Termes représentatifs de la classe 1 du thème 3 (234 unités de
contexte élémentaire [UCE] [60.15% UCE]).
318
CLASSE 2
Formes
Khi2
Prendre
53.55
Arrêter
33.45
Fumer
25.19
Commencer
20.3
Aller
14.99
Effet
13.91
Temps
13.63
Matin
12.75
Mois
12.33
Truc
11.33
Battre
10.76
Soin
10.76
Médicament
9.95
An
9.88
Secondaire
9.2
Boire
9.2
* S 3 – C1
28.99
* S 23 – C2
16.96
Tableau 9 : Termes représentatifs de la classe 2 du thème 3 (155 unités de contexte
élémentaire [UCE] [39.85% UCE]).
319
Thème 4 – Rapport à soi : intégration du vécu expérientiel et projections
dans l’avenir
CLASSE 1
Formes
Khi2
Laisser
26.35
Rester
26.14
Schizophrénie
21.88
Révéler
21.88
Alcool
17.43
Monde
14.88
Envie
13.87
Rechute
12.95
Permettre
12.75
Vraiment
12.18
Positif
11.46
Aider
10.89
* S 1 – C3
10.4
Tableau 10 : Termes représentatifs de la classe 1 du thème 4 (51 unités de contexte
élémentaire [UCE] [18.89% UCE]).
320
CLASSE 2
Formes
Khi2
Projet
35.9
Instant
24.71
Sortir
21.59
Aller
21.17
Besoin
16.69
Seul
15.35
Activité
13.96
Côté
13.25
Cause
12.02
Aimer
10.68
Avenir
9.47
Mois
9.44
Reprendre
9.44
Tableau 11 : Termes représentatifs de la classe 2 du thème 4 (75 unités de contexte
élémentaire [UCE] [27.78% UCE]).
321
CLASSE 3
Formes
Khi2
Relation
22.0
Modifier
20.65
Arriver
17.56
Niveau
15.07
Gens
14.26
Entourage
12.92
Parler
11.95
Connaître
11.95
Maladie
11.61
Malade
10.21
Apprendre
9.27
Normal
8.15
Tableau 12 : Termes représentatifs de la classe 3 du thème 4 (144 unités de
contexte élémentaire [UCE] [53.33% UCE]).
322
ANNEXE XIII
ENTRETIEN SEMI-DIRECTIF AVEC MONSIEUR R
323
Tout d’abord je vais vous demander quels ont été les premiers signes de la maladie ?
J’entendais des voix et je ne me sentais pas en sécurité, quoi.
Vous pouvez me parler des voix que vous entendiez ?
Quand je suis en hauteur y’a des voix qui me disent de sauter, ça m’arrivait souvent chez ma
mère comme elle habite au septième étage. Ça m’arrivait à chaque fois que j’allais la voir. A
chaque fois que je vais chez ma mère, y’a des voix qui me disent de sauter dans le vide.
Elles n’étaient présentes qu’à ce moment-là ?
Non, chaque fois que je suis en hauteur, ça me le fait.
Et c’est des voix qui vous poussaient à vous faire du mal ?
Oui.
D’accord. Quand cela a-t-il commencé ?
J’avais à peu près douze ans.
Quel était le signe de la maladie qui vous gênait le plus ?
C’était ces voix qui me gênaient et puis la vision : quand je voyais, je voyais petit.
C'est-à-dire ? Est-ce que vous pouvez m’expliquer ?
Quand je regardais quelqu'un, une personne, ben je la voyais en petit.
Vous la voyiez plus petite qu’elle n’était en réalité ?
Les téléphones, tout…
324
Donc pas forcément juste des personnes…
Exactement.
Et ça aussi lorsque vous aviez douze ans ?
Non, ça fait dix ans à peu près. Ça m’arrive encore. Moins souvent mais ça m’arrive encore.
Donc ce type de perturbation qui était vraiment importante : le fait d’entendre de voix,
de voir des choses un petit peu bizarres, la réalité se transformer. Est-ce qu’il y avait
d’autres choses présentes à votre avis liées à la maladie ?
Je ne vois pas.
Quels étaient les domaines de votre vie les plus touchés par la maladie, par ces signes
que vous me décrivez…
C’est surtout familial.
Là en ce moment vous êtes à la clinique, est-ce que vous avez déjà été hospitalisé en
psychiatrie ?
Oui, trois fois. J’étais à S. et une fois avant aussi l’année dernière et puis il y a trois ans.
C’était lié à quoi ces hospitalisations ?
Je me suis renfermé sur moi-même, je ne bougeais pas de la maison, je n’étais pas bien.
Et qui alors a remarqué…
Ma sœur. Elle m’a fait hospitaliser
C’est elle qui vous a fait hospitaliser. Est-ce que vous à ce moment-là vous étiez
d’accord ?
325
Au début, je ne voulais pas y aller mais après on m’a dit que c’était pour mon bien.
Et avant ces hospitalisations, est-ce que vous aviez déjà consulté un médecin ou un
psychologue ?
Je voyais un psychologue à P. et je ne parlais pas de mes voix. Quand je voyais petit, ça je lui
ai dit mais c’est tout.
Et vous n’aviez pas de traitement ?
Non, c’est à l'hôpital qu’ils m’ont donné un traitement. Depuis que j’ai connu le Dr T. je me
sens mieux qu’avant.
Ça fait combien de temps que vous êtes ici ?
Depuis septembre.
Est-ce que vous avez eu connaissance du nom de la maladie, du diagnostic ?
Non.
Quel regard vous portez aujourd'hui sur votre parcours de soin ?
Cette hospitalisation-là m’a fait beaucoup de bien quand même. Je faisais des rêves, j’avais
des hallucinations et j’en fais plus. Je ne me sentais pas en sécurité et là je me sens plus en
sécurité qu’avant.
C’est lié à quoi, comment vous comprenez cette amélioration ?
Je ne sais pas peut-être que c’est le traitement que le Dr C. me donne.
Est-ce qu’aujourd'hui vous vous considérez comme malade ?
Oui, quand même un peu oui.
326
Pourquoi ?
Parce que des fois je ne me sens pas bien encore.
Qu’est-ce qui est encore présent ?
Ce qui reste, c’est des souvenirs de la maladie, mon divorce aussi, y’a à peu près cinq-six
mois.
C’est ça qui est douloureux encore, quand vous vous souvenez des événements tristes de
votre vie.
Oui…
Est-ce que vous souffrez encore de ce que vous me disiez tout à l’heure : entendre des
voix qui vous poussent à faire des choses, voir la réalité…
Ça j’en souffre encore mais moins qu’avant. Des fois je souffre d’hallucinations, je vois des
araignées et en fin de compte il n’y a rien. Je sais qu’il n’y a rien mais je les vois. Je les vois.
Je n’aime pas les araignées.
Vous savez quand vous les voyez que ça n’existe pas ?
Je sais que ça n’existe pas mais je les vois.
Et du coup le fait de vous dire « ça ce n’est pas la réalité », est-ce que c’est un petit peu
rassurant ?
Oui c’est vrai.
Est-ce que ça a été toujours possible de vous dire que ça n’existait pas ?
327
C’est ce que je me dis. Au début, tout au début j’y croyais mais après je me suis dit que ce
n’était pas possible, ce n’est pas possible des araignées qui sortent de ma peau. Je me disais
dans ma tête ce n’est pas possible, il n’y a rien.
Qu’est-ce qui fait que vous avez réussi à vous dire que ce n’était pas vrai ?
Elles me toucheraient…mais ça ne vient pas sur moi.
C’est votre raisonnement en fait : « si elles existaient vraiment elles viendraient sur
moi ».
Exactement.
On parle là de l’évolution favorable ; est-ce que vous pensez que l’on peut guérir d’un
trouble psychique tel que vous en souffrez ?
Non je ne crois pas parce que c’est traumatisant. Si on a vécu quelque chose de dur, on ne
peut pas l’oublier.
Pour vous guérir c’est oublier ?
Oui.
Donc c’est tellement dur qu’on ne peut pas oublier donc on ne peut pas guérir.
Voilà.
Quelle place prend le soin aujourd'hui dans votre vie ?
Ça se passe très bien depuis que j’ai rencontré le Dr T.
Vous vous voyez souvent ? Comment ça se passe ?
Bien. Il me pose des questions, je réponds.
328
Vous voyez peut-être des psychologues, des infirmiers…
Non, juste le Dr T.
Mis à part les hallucinations dont vous me parlez, voir des araignées qui n’existent pas,
est-ce que vous souffrez d’autres symptômes ?
Ben j’ai du mal avec mon ventre, je me suis fait opérer trois fois mais j’ai toujours mal au
ventre, je ne sais pas d’où ça vient.
Vous pensez que c’est lié à la maladie psychique ?
Ben on m’a dit que c’était dans la tête, ils ont fait des radios, ils n’ont rien trouvé.
Et c’est quoi comme douleur ?
Oh ça me fait mal, grave.
Est-ce que ça peut passer en faisant des choses ?
Non, j’ai essayé mais ça ne passe pas.
Vous n’avez pas de petit truc…
Non, pas pour le ventre, pour les araignées, oui.
Comme je vous le disais tout à l’heure, selon votre médecin, le Dr T., vous connaissez
actuellement une évolution favorable de vos difficultés. Déjà, êtes-vous d’accord avec
cela ?
Oui.
A votre avis, quels sont les éléments qui lui permettent de penser cela ?
329
Ben je ne sais pas… Peut-être qu’il a vu les moments difficiles…
Si je comprends bien, votre médecin pense que vous allez mieux aujourd’hui compte
tenu de ce que vous avez vécu de difficile. Et alors pour vous, ça veut dire quoi aller
mieux ?
C'est-à-dire moins d’hallucinations, j’ai construit une autre vie maintenant. Depuis que je me
suis séparé de mes enfants, je ne les vois plus comme avant, il faut que je trouve un petit
studio pour que je puisse les voir.
Vous avez combien d’enfants ?
Quatre.
Maintenant vous auriez envie après ce temps à la clinique de pouvoir trouver un petit
studio pour les accueillir.
Oui, voilà. C’est ça.
Si vous deviez employer un mot pour qualifier votre évolution actuelle, ce serait lequel ?
La patience.
C'est-à-dire qu’aujourd'hui vous êtes patient ?
Par rapport à avant, oui.
Qu’est-ce qui a permis votre mieux-être aujourd'hui ?
Je me dis que je suis quand même un peu comme tout le monde, c'est-à-dire que moi aussi je
peux changer en bien, pouvoir rencontrer des gens à qui je parle et qui me comprennent. Les
gens que je vois ils ne comprennent pas, ils ne savent pas ce que j’ai vécu, ils ne comprennent
pas comment je réagis, comment je pense. C’est dur ça.
330
Et là depuis peu vous sentez que c’est possible.
Oui.
Et être un peu comme tout le monde, qu’est-ce que cela voudrait dire ?
Etre en sécurité.
Donc ne plus avoir ce que vous me disiez à propos de la maladie : le sentiment d’être en
danger…
Oui.
Et qu’est-ce qui favorise cela, on en a déjà un peu parlé, est-ce que vous avez d’autres
idées ?
Non je ne vois pas.
Est-ce qu’il y a des personnes qui ont particulièrement contribué à votre mieux-être ?
Ma sœur. Elle m’a aidé à faire toutes les démarches et à me faire soigner. Elle et puis mon
assistante sociale, c’est elle qui m’a conseillé le Dr T.
Selon vous est-ce que la maladie vous a modifié ?
Un peu quand même. Avant j’étais plus heureux que maintenant. Avant je voyais mes enfants,
je faisais du sport. Je faisais plein de choses avant, maintenant je ne fais plus rien. Depuis ma
séparation, je ne me sens pas bien.
La maladie a-t-elle modifié vos relations avec votre entourage ?
Un peu quand même. Je parle mieux, je m’entends mieux avec mes sœurs, avec mes enfants.
Je m’entends mieux avec eux maintenant qu’avant. C’est récent, hein.
Comment vous expliquez cela alors ?
331
Je ne sais pas.
Et avec les autres, c’est pareil ? Vous diriez que c’est mieux maintenant ?
Mais j’ai du mal à être avec les gens. J’ai du mal à parler avec les gens, je ne sais pas
pourquoi. Peut-être je suis timide un peu ou je ne sais pas…
Ce n’est peut-être pas lié à la maladie…Pourtant vous disiez que vous en aviez besoin ?
C’est ça oui.
Comment voyez-vous l’évolution de la maladie dans l’avenir ?
J’espère qu’avec les traitements j’irai mieux, ne plus avoir d’hallucination, ne plus avoir mal
au ventre.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Trouver un petit travail et trouver un studio pour que je puisse voir mes enfants et on verra
après.
C’est des beaux projets…et enfin je vous demanderai : est-ce que vous auriez des
conseils à apporter aux gens qui comme vous traversent l’épreuve d’une maladie
psychique ?
Oui, d’être patients.
Voyez-vous d’autres choses à ajouter ?
C’est important de se sentir en sécurité parce que quand on ne se sent pas en sécurité, on n’est
pas bien. Quand on est avec des gens avec qui on peut en parler, c’est mieux.
Je vous remercie.
332
ANNEXE XIV
ENTRETIEN SEMI-DIRECTIF AVEC MADEMOISELLE C
333
Alors la première question que je vais vous poser c’est : quels ont été les premiers signes
de la maladie ?
Les premiers signes de la maladie…ça remonte à un bout de temps et en fait j’écris beaucoup
de textes par rapport à ça etc., j’ai aussi mon étude personnelle quant à ça et c’est vrai qu’en
fait le problème de la maladie mentale, notamment la schizophrénie personne ne sait ce que
c’est, on n’en parle pas, comme je dis souvent quand on a une angine ou du diabète, on sait
comment se soigner, on sait ce que c’est, « j’ai une angine, je vais voir le toubib etc. » et le
problème des troubles psychiques c’est qu’on n’en parle jamais, ce qui fait que quand on est
confronté à ça, du coup on sait pas du tout qu’en fait c’est une maladie mentale donc le
problème des premiers troubles c’est qu’à la base on sait pas que c’est vraiment des troubles
psychiques. En gros, ce qui nous arrive, on ne comprend rien. Moi j’ai dix ans d’expérience
derrière moi ; les premiers troubles ça a été…donc maintenant je peux dire vraiment ce que
c’était, donc des états psychotiques de psychose totale, une perte de la réalité et surtout des
angoisses énormes, des angoisses paniques, des souffrances psychiques etc. et à l’époque je
ne savais pas que c’étaient les premiers troubles.
Pour que je comprenne bien, quand vous parlez « d’état psychotique total », qu’est-ce
que vous entendez ?
Euh ben avec le recul je sais maintenant ce qui m’est arrivé mais le problème c’est que ça
vient pas du jour au lendemain, c’est un processus qui se met en forme sur... moi ça a duré à
peu près six mois, donc on commence à partir dans des délires les premiers temps et puis on
les nourrit, on les nourrit, on les nourrit sans se rendre compte qu’on est en train de tomber ;
on commence à avoir très très peur, on est effrayé tout le temps…
Et quel contenu de ces délires ?
Je me souviens plus exactement mais c’est des angoisses très fortes j’ai un peu fait abstraction
de tout ça, mais je sais que j’avais très très très peur. Tout le temps. J’étais vraiment effrayée
effrayée.
Mais de quelqu'un en particulier ?
334
Non, je…je ne pourrais même pas dire exactement ce qui m’est arrivé mais je sais que j’étais
dans des phases délirantes, mais voilà c’est un truc qui vient pas du jour au lendemain comme
ça, qui vous assomme, c’est petit à petit.
Et ça se manifestait comment chez vous ?
Vraiment moi, tout ce dont je me souviens – ça a commencé, ma première hospit’ c’était en
2001 – c’était vraiment la peur, quoi…peur d’être observée, peur qu’il y ait des micros dans
ma piaule, peur qu’on m’espionne, peur qu’on me suive…de ce que je me rappelle c’est
vraiment ça.
Ah oui, vous aviez l’impression qu’on vous observait…
Oui, oui, oui.
Effectivement ça doit être très effrayant…
Ah oui, mais à un point vraiment…c’était très très très dur…très très très dur….j’aillais même
plus me laver ni prendre ma douche parce que j’avais peur qu’on me regarde pendant que je
me lave…
Eventuellement y’avait des caméras chez vous, des choses comme ça…
Oui, voilà, c’est vraiment les signes précurseurs de la schizophrénie, en général ça commence
comme ça.
Et donc le signe de la maladie qui vous gênait le plus à ce moment-là ?
L’angoisse, la peur. Je suis arrivée à l'hôpital psy, j’étais dans un tel état de terreur, je me
souviens très bien que la première nuit que j’ai passée en hôpital psy, j’ai demandé à
l’infirmière de rester avec moi dans la chambre parce que sinon je ne pouvais pas dormir toute
seule, je flippais trop. Je lui ai demandé de rester à côté de moi…enfin voilà, quoi.
A l’époque, vous viviez seule ?
335
Oui, je vivais seule.
Du coup vous n’aviez personne à qui parler un peu de ces peurs ?
Oui puis alors voilà, ben ça c’est aussi un peu le nœud de tout ça c’est que j’étais vraiment
très très seule. Je venais de perdre mes parents, j’avais pris un petit studio, j’étais seule au
monde alors que pendant vingt ans j’avais vécu dans une famille où y’avait tout le temps des
gens, puisque mes parents ce n’étaient pas mes vrais parents, c’était une famille d’accueil
donc y’avait tout le temps plein d’enfants. J’ai vécu avec plein d’enfants, mes frères et sœurs
on était 7, des fois on était une dizaine et paf du jour au lendemain je me suis retrouvée dans
un petit studio toute seule, je faisais des études de droit, donc je me souviens qu’au début
j’étais très sérieuse dans mes études, j’avais ma petite table dans mon studio, j’écrivais des
fiches etc., et à partir du moment où j’étais toute seule au début ça allait et puis après j’ai
commencé à rencontrer certaines personnes et puis il y a eu aussi un délire par rapport à ces
personnes, je pensais qu’elles me voulaient du mal. Ça c’est aussi les symptômes typiques de
la schizophrénie.
Et selon vous quelles seraient les dimensions de votre vie qui ont été le plus touchées par
la maladie ?
Ma vie privée, oui, en effet…toutes les dimensions, ça je l’avais écrit dans mon cahier,
l’environnement social. On est vraiment seul, personne ne vient nous voir. On n’a plus
d’amis, on n’a plus de famille on est replié. On n’a plus de vie privée. La vie professionnelle
aussi parce qu'on ne peut pas aller travailler avec de tels troubles psychiques, c’est trop
intense. Moi je sais qu’à l’époque j’étais animatrice je me souviens d’avoir fait une semaine
de colonies de vacances je suis rentrée chez moi, j’étais dans un état…c’était assez horrible.
Tourtes les dimensions sont touchées.
Vos études par exemple…
Ça non j’ai réussi à avoir mes examens. Ça c’était un peu parce que j’ai toujours été quelqu'un
de brillante depuis toute petite. J’ai toujours aimé les études. J’ai réussi à avoir ma Maîtrise de
Droit quand même. Je me souviens que je bossais à l'hôpital, j’avais mes cahiers, je bossais
336
jusque tard le soir. Ça ça a toujours été quelque chose de moteur chez moi, d’ailleurs quand
j’ai arrêté d’étudier, je me suis aussi ramassée…ça ça a été préservé.
Donc la première hospitalisation en 2001 si je comprends bien. Ensuite, avez-vous eu
d’autres hospitalisations ?
Pratiquement toutes les années. Disons que j’ai eu trois grosses hospitalisations. La première
en 2001, c’était la première donc forcément ça a duré plus de six mois et après tous les ans
j’avais minimum trois semaines d’hospitalisation parce que je n’avais pas pris mon
traitement. En fait quand j’analyse tout ça, je remarque que pendant au moins quatre-cinq ans
je n’étais pas angoissée, je n’avais plus ces angoisses paniques, ces crises d’angoisse. Je
n’avais pas ces symptômes. Quand ça m’arrivait, quand j’avais une crise d’angoisse, j’étais
tellement en panique que j’allais tout de suite me faire hospitaliser, deux-trois semaines…ça
pouvait être deux fois trois semaines dans l’année.
Donc c’est vous qui étiez à l’initiative…
Oui, oui. C’est moi qui me présentais à l’accueil et qui me faisais hospitaliser.
Et toujours pour les mêmes raisons…
Au début, 2002, 2003, 2004 je n’avais pas vraiment d’étape psychotique comme j’en avais eu
avant et comme j’en ai eu après. C’était vraiment une réaction à l’angoisse. Donc les
hospitalisations étaient courtes, je reprenais un traitement et ça allait.
Vous semblez faire la distinction entre ces années et ensuite où vous avez eu une rechute
avec des éléments psychotiques…
Oui, une rechute assez terrible. Ça a commencé à partir de 2006-2007. Disons eue j’ai eu une
relation amoureuse avec quelqu'un à qui je tenais beaucoup. Cette personne était assez
instable, alcoolique et je prenais vachement soin de lui. Par exemple je ne dormais pas la nuit
parce que des fois il s’étouffait et que j’avais peur. J’étais tout le temps présente et je ne
pensais pas du tout à moi donc j’ai commencé à chuter, chuter, chuter peut-être parce qu'à
l’époque le traitement ne me convenait plus. J’ai pris du Risperdal jusqu’en 2005-2006, je ne
337
sais pas si vous connaissez ce neuroleptique. C’est vrai qu’on dit qu’à partir d’un certain
moment le traitement ne convient plus donc voilà le traitement ne me convenait plus du tout.
J’étais un peu dans une impasse, je ne voyais plus mes amis parce que j’étais avec cet
homme-là, c’était compliqué. Le truc aussi dont je parle beaucoup dans mes textes c’est qu’il
n’y a pas assez de prévention psy. On attend trop longtemps avant de se faire hospitaliser,
donc après, forcément c’est pire.
Vous semblez dire qu’à ce moment-là ce n’était pas tellement des angoisses, mais plus
des contenus…
Si, les angoisses ont repris en 2006-2007, à peu près six-sept mois après être sortie avec cet
homme-là. C’étaient des épisodes psychotiques et des angoisses très très très fortes que je
n’avais jamais connues. L’impression d’être observée, bon j’expliquais l’autre fois dans un
groupe que quand on est schizophrène, on a certaines paranos qui reviennent, ça c’est
obligatoire mais quand on se fait soigner et qu’on fait une psychothérapie, il y a des choses
qui sont acquises, par exemple le fait de se sentir observé, c’est quelque chose qui est acquis
donc si cela m’arrive – mais bon cela ne m’arrive plus – je me sens observée, bon ben je me
dis : « vous n’avez qu’à m’observer », ça c’est assez simple, je souris et je dis « ben observezmoi ». Si j’ai l’impression qu’on m’écoute, je dis « ben écoutez-moi ». Ça c’est des
techniques.
Vous avez souffert d’hallucinations ?
Non, non.
Donc c’est plus ce que vous dites : la parano et l’angoisse.
Oui la parano et l’angoisse, des épisodes psychotiques et des angoisses paniques. Ces
angoisses, je les ai encore en fait. Elles ont recommencé vraiment en 200-2007 et elles ne
m’ont pas lâchée jusque maintenant. A un moment donné, j’ai attendu trop longtemps avant
de me faire hospitaliser, deux ans pratiquement…voyez dans quel état je pouvais être. Quand
je me suis fait hospitaliser, c’était tout le temps, 24/24. J’étais tout le temps tout le temps
angoissée, terrifiée, peureuse…
338
Pour que je comprenne bien, est-ce que vous pouvez me décrire un peu ces angoisses ?
Oui, c’est marrant parce que les gens qui ne connaissent pas ça ne savent pas du tout ce que ça
peut faire. Moi je décris cela comme si j’avais une énorme araignée ou une bête ou je ne sais
pas quoi qui se collait sur moi et m’empêchait de respirer, qui me fait un étau. Moi je compare
ça à une angoisse de mort. Et quand ça m’arrive je ne peux pas marcher, je ne peux pas courir,
je ne peux pas écouter la radio, je ne peux pas regarder la télévision, je ne peux rien faire. La
seule chose que je peux faire c’est prendre tout de suite un traitement, un anxiolytique,
m’allonger et respirer, respirer à fond. Ça fait un bout de temps que ça traîne mais maintenant
j’arrive à savoir quand elle va arriver, c'est-à-dire que les toutes premières prémisses – ça va
très vite – mais quand je sens que ça va arriver, je me dis « attention, là » donc je prends mon
traitement et je me dis « allez casse-toi, je t’ai senti venir donc tu peux t’en aller ». Le plus
dur pendant toutes ces années c’est que je ne prenais pas assez soin de moi. Je me mettais
dans des situations pas possibles, j’allais à Paris et donc j’avais ces angoisses dans la rue. Et
quand on a ces angoisses dans la rue, c’est hyper dur, ça fait mal parce qu'on se dit : « avant
de rentrer chez moi j’en ai pour une heure et demie, deux heures », donc on se dit qu’on va
souffrir pendant une heure et demie, deux heures. En fait je pourrais comparer ça à un avantgoût de l’épilepsie. Si je me laisse aller, si je prends pas sur moi et si je cède à la panique, j’ai
l’impression que je vais faire une crise épileptique, donc en fait le plus dur dans ces angoisses
ça a été de ne plus céder à la panique, de s’armer de sang-froid et de se dire « ça va se calmer,
ça va se calmer ».
Je vois que vous avez une stratégie, celle de prendre un anxiolytique et vous arrivez à
vous parler…
Quand ça m’arrive ce genre d’angoisse panique, j’arrive plus à ma parler, le cerveau il n’y a
plus rien. Je me mets en position latérale de sécurité dans mon lit et je fais des exercices de
respiration, voilà, j’attends que ça se passe. Ça passe. Dernièrement, ça fait une semaine et
demie, je me suis aperçue que quand ces choses-là m’arrivaient, j’avais un besoin de pleurer.
J’étais dans une souffrance assez importante et que finalement il y avait un élément
déclencheur. Il y a tout le temps un élément déclencheur, ça n’arrive pas comme ça. Avant, je
n’arrivais pas à trouver : « mais pourquoi, qu’est-ce qui s’est passé ? ». Maintenant j’arrive à
savoir ce qui l’a déclenché et des fois c’est des petites choses bénignes, par exemple une fois
ça a été, j’étais avec ma sœur, on parlait, on parlait et on a parlé du passé, de dix ans avant
339
quand j’étais chez ma maman. Donc voilà, crise d’angoisse. Ça peut être des choses bénignes,
des choses à la con et ça explose. Maintenant j’ai remarqué que quand ça m’arrivait,
intérieurement je souffre et j’ai besoin de faire une crise de larmes. Comme j’ai beaucoup de
mal à pleurer, je prends sur moi et j’attends que ça passe. Depuis une semaine et demie, je
pleure, et je me dégage, je n’ai pas ces sensations terribles. J’ai compris que finalement quand
ça m’arrivait j’avais besoin de pleurer et comme j’avais beaucoup de mal à pleurer,
finalement j’ai compris que c’était ça. C’est un long boulot.
Oui, je vois que vous avez beaucoup cheminé…alors en termes de diagnostic, quel
diagnostic a été posé ?
Schizophrénie, bien sûr. Est-ce que j’ai tout de suite été diagnostiquée schizophrène, je ne
pense pas, cela a pris du temps et là le diagnostic est posé, je suis schizophrène paranoïde,
donc paranoïde, ça veut dire que je ne suis pas complètement dans une phase de la maladie
qui est dure, irrémédiable etc. Un schizophrène paranoïde, c’est quelqu'un qui peut se
débrouiller complètement tout seul, qui peut faire sa vie de A à Z, qui peut prendre tout ça en
main, qui est capable de se faire la cuisine, de prendre soin de son intérieur, de prendre soin
de soi, qui est capable de parler, quelqu'un de normal du moment où il prend son traitement et
qu’il continue à être suivi. Quelqu'un qui peut se débrouiller, qui ne va pas se retrouver à Paris
du jour au lendemain en disant qu’est-ce que je fais là ? ».
Vous vous souvenez du moment où a été posé ce diagnostic ?
Schizophrénie paranoïde, je dirais trois-quatre ans.
Et est-ce que vous étiez d’accord avec ce diagnostic ?
Au début, non : « non mais ça va pas ou quoi ? J’ai rien de schizophrène, je suis pas du tout
schizophrène, tout va bien ».
Qu’est-ce que ça signifiait pour vous la schizophrénie ?
La schizophrénie on pense tous que c’est un dédoublement de la personnalité et finalement
j’ai bossé là-dessus et ça n’a rien à voir avec tout ça. C’est plein de choses. C’est maintenant
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que j’ai compris en bossant là-dessus – parce que j’ai vachement bossé – que le schizophrène
est quelqu'un qui perd tout contact avec la réalité. A partir du moment où j’ai compris cette
définition, j’ai compris que j’étais schizophrène. J’ai compris qu’il y a des fois où j’ai perdu
totalement contact avec la réalité, donc j’accepte le diagnostic.
J’entends que votre avis a évolué sur la question…
Oui, parce qu'en plus je ne bossais pas là-dessus, c’est seulement depuis quelques temps que
je m’intéresse à ces phénomènes psys, que je bouquine, que je regarde des DVD. J’écris aussi
des chroniques, je participe à des groupes de parole etc. C’est vrai que par exemple le fait de
me dire que j’ai eu des états psychotiques et je ne m’en suis jamais rendue compte pendant
toutes ces années. C'est-à-dire que des fois je pouvais partir dans des délires, ce que j’ai
appelé des états psychotiques, des délires. Et comme je n’avais pas accès à ce que je pensais,
c’est ça aussi le trouble du schizophrène, je ne sais pas si on vous a déjà dit ça, on ne sait pas
à quoi on pense. « Tu penses à quoi ? – ben je ne sais pas…et toi à quoi tu penses ? – oui moi
je sais à quoi je pense, et toi ? – moi je n’ai aucune idée de ce que je suis en train de penser,
vraiment ». C’est ce que j’appelle l’accès à la pensée, à la réflexion, ça change tout.
C’est intéressant parce que c’est ce qui expliquerait que du coup vous étiez dans le délire
parce que vous n’étiez pas en mesure de savoir ce à quoi vous pensiez ?
Exactement. Je ne savais pas que j’étais en train de délirer, je ne me sentais pas bien, mais je
ne savais pas que j’étais en train de délirer, je ne savais pas sur quoi, je ne savais pas
pourquoi.
Par exemple si au moment où vous vous sentiez observée, on vous avait demandé à quoi
vous pensiez, vous auriez dit : « je pense qu’on est en train de m’observer »…
Ah non non, c’est beaucoup plus compliqué que cela. Le fait de sentir observé, oui on peut
commencer à délirer. Ma première crise a beaucoup été axée là-dessus. Je ne peux pas vous
donner d’exemple…
Ce que je cherche à comprendre c’est que vous vous sentez observée, ok, mais peut-être
que cela va provoquer une pensée : « pourquoi on m’observe, qu’est-ce que j’ai de
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particulier, est-ce que je suis quelqu'un de particulier, » ou pas du tout, ça ne provoque
pas ce genre de pensée ?
Bien sûr, ça provoque ce genre de pensée : « qui je suis, pourquoi, qu’est-ce qui se passe » ?
Et vous y répondez à ce genre de question ? On peut se dire, je ne sais pas : « on
m’observe parce que je suis quelqu'un d’extraordinaire »…
Oui, carrément, on est en plein délire, on sait très bien que le fait de s’expliquer, de délirer,
quelques fois ça nourrit et c’est aussi des excuses, des tremplins pour ne pas passer au suicide
ou pour ne pas sauter par une fenêtre…il y a différentes phases de la maladie aussi. A partir
de 2006-2007 j’ai commencé vraiment à faire des psychoses et je ne savais pas du tout que
j’étais en train de délirer et je ne savais pas du tout à quoi je pensais. Avec le temps, aussi
avec le traitement, parce que j’ai pris beaucoup de traitements, il a fallu trouver un traitement,
une fois j’étais à l’arrêt de bus et je me suis rendue compte à quoi je pensais et là je me suis
dit : « mais je suis en train de psychoter, n’importe quoi » et je me suis rendue compte :
« mais c’est grave, je suis grave » et justement j’avais rendez-vous avec ma psy, je lui fais :
« vous auriez pu me le dire que j’avais des états délirants comme ça, complètement barrée,
pourquoi vous me l’avez pas dit avant ? » et ma psy elle m’a regardée, elle a rigolé : « de
toute façon je vous l’ai pas dit avant parce que vous ne m’auriez pas crue et que c’est quelque
chose qu’il a fallu que vous trouviez toute seule ». Donc le délire je peux prendre recul làdessus, je peux me dire : « c’est du délire » mais soit ça peut être sur le moment, je sais à quoi
je pense, je sais pourquoi je délire et là je me dis « arrête », ou soit j’ai une crise et c’est deuxtrois jours après que je vais réussir à mettre des mots dessus et que du coup je vais calmer
cette angoisse en me disant : « de toute façon c’était un délire, laisse tomber ». Il y a quelque
chose de très important là-dedans c’est qu’il faut toujours ramener le doute face à des
croyances, maintenant ça c’est complètement acquis, les croyances mystiques ou religieuses
ou interprétatives, ça c’est acquis, c’est balayé. J’ai quand même fait le tri là-dessus, on ne va
pas me prendre la tête avec Satan ou des choses pareilles…quand on est schizophrène on
passe tous par cette étape et ça c’est quelque chose dont on ne parle pas en général . C’est des
choses qu’on garde pour soi. Déjà ce qui est important c’est d’installer un doute et après
quand le doute est mis, de balayer tout ça et même si on a vraiment pu le croire et même s’il
aurait pu arriver des choses bizarres, ou exceptionnelles etc., le truc c’est de positiver en se
disant que c’est des conneries, en mettant une barrière, en se disant « de toute façon ça c’est
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des conneries, donc tu ne vas me prendre la tête, le petit diable et le petit ange, tu ne vas pas
me prendre la tête avec ça ». Même s’il m’est arrivé des choses, ça ne m’arrivera plus parce
que je n’y crois pas. Donc si ça a pu arriver et que ça pourrait encore arriver parce qu’il se
passe quand même des fois des choses un peu bizarres, exceptionnelles, le secret de tout ça
c’est de se dire : « non, tu ne passeras pas la barrière ».
Vous arrivez à vous protéger en fait, c’est ça que vous expliquez…
Exactement. C’est clair il faut se protéger.
Et vous expliquez que cette protection vous est venue au fur et à mesure en travaillant
sur les choses…
En travaillant, en écrivant parce que j’adore écrire, en ayant la possibilité de relire parce que
pendant toutes ces années, je ne pouvais pas lire, c’était impossible. Relire pour moi ça été
épanouissant parce que j’ai beaucoup bossé et surtout l’écriture c’est quelque chose
d’important.
Est-ce que vous pourriez me retracer brièvement votre parcours de soin, les
hospitalisations quasiment une par an depuis 2001…
Oui.
Est-ce que vous êtes allée à l’hôpital de jour ?
En 2008 ça faisait à peu près deux ans que ça n’allait plus, j’ai été hospitalisée trois-quatre
mois. Finalement en réfléchissant c’est peu vu l’état dans lequel j’étais. J’ai donc intégré le
foyer de S. et voilà, la renaissance, ils m’ont rétablie. J’ai passé deux ans et demi au foyer.
J’en avais besoin, on me l’avait proposé depuis un bout de temps, j’avais toujours dit « non
mais ça va pas, je ne vais pas aller vivre dans un foyer » et là je n’avais plus vraiment le choix
parce que je n’avais plus d’appartement, je n’avais plus rien et donc j’ai accepté d’aller au
foyer et voilà, ça m’a guérie…je ne suis pas guérie mais ils m’ont beaucoup aidée, d’être
suivie du matin au soir, de reprendre un rythme, de retrouver goût à des choses. Ils m’ont
remise sur pied, après j’ai trouvé un appartement et là je vais être chez moi bientôt.
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Donc un regard plutôt positif sur votre parcours de soin…
Oui, tout à fait l’essentiel est d’accepter que ça prend du temps, surtout le fait d’attendre,
d’attendre avant de se faire hospitaliser, forcément l’hospitalisation va être plus longue et
puis pour se remettre en place, ça prend du temps.
Et aujourd'hui, est-ce que vous vous considérez comme malade ?
Oui bien sûr, ah oui, totalement. C’est clair et net. Ça fout un peu les boules de se le dire mais
oui, je suis malade. J’ai accepté mon diagnostic, j’ai accepté de me dire que je suis malade,
que je vais peut-être devoir prendre mon traitement à vie, ça c’est dur à accepter aussi, que
j’ai besoin de mon traitement, que c’est ce qui a fait que je peux faire toutes ces choses
aujourd'hui et que je me sens évoluer. Je pense que ça va aller de mieux en mieux si je
continue. Il faut accepter de se dire qu’on va avoir une prise de sang par mois alors que moi
personne n’arrive à me piquer, on me charcute tout le temps parce que je prends du Leponex.
Il faut accepter de se dire « si tu prends ton traitement, il est dix heures et demie, tu prends ton
traitement et tu vas te coucher sinon demain tu ne te réveilles pas », s’imposer un rythme,
c’est comme les malades du sida, comme les diabétiques. En plus il faut s’accepter soi-même,
c’est quand même dur de se voir à 30 ans…et puis ce qui a été très dur c’est l’entourage, ma
famille, leur faire comprendre que je suis vraiment malade. Le fait de m’être soignée, d’avoir
trouvé ce traitement, ma famille m’accepte maintenant, j’ai réintégré un peu ce lien familial.
Vous voulez dire qu’avant, ils pensaient que vous n’étiez pas vraiment malade ?
Si je pense qu’ils pensaient que j’étais totalement malade mais que justement je ne me
soignais pas du tout. J’étais tellement malade que « non tu ne viens pas à la maison parce que
ce que tu nous racontes c’est n’importe quoi ». Ils ne supportaient pas de me voir comme ça,
ils me connaissent depuis toute petite donc de me voir comme ça c’était inimaginable. Ma
famille a vraiment coupé tous les ponts pendant une bonne dizaine d’années. Maintenant j’ai
de bonnes relations avec eux, surtout ma sœur et ma sœur me dit : « tu sais, si tu retombes
dans l’état où tu étais avant, ce sera fini, ce ne sera plus la peine ». C’est un peu hard mais
c’est vrai que maintenant des fois quand je commence à retomber je me dis « tu as vu tout ce
que ta sœur a fait pour toi, donc tu te dois, du fait de tout ce qu’elle a fait pour toi de pas te
laisser retomber comme ça, c’est trop facile de déprimer ». Bon je m’accorde des jours des
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fois, je pleure je reste à la maison, mais quand je n’ai plus l’envie de me battre parce que j’en
peux plus, j’en ai marre, je me dis « voilà, j’ai trente ans, je n’ai pas réussi à construire ma vie
professionnelle » parce que pour moi ça c’est important, bon ben je me dis « pense à tes
nièces, pense à ta sœur, ils croient en toi » et quand quelqu'un croit en nous, ça nous motive
pour se dire : « non je ne vais pas retourner à l'hôpital. Ça fait dix ans que je fais cette
psychothérapie. Bon j’ai une crise d’angoisse, il faut qu’elle passe, ça va passer » mais non je
ne me ferai pas réhospitaliser, mon psy m’a dit pareil. Je suis cohérente et des fois je me dis
que je vais retourner à l'hôpital parce que j’ai peur.
Alors vous y avez répondu un peu mais je vous pose la question : pensez-vous que l’on
puisse guérir de la schizophrénie ?
Franchement…guérison…en schizophrénie on ne parle pas de guérison, on parle de rémission
mais guérir non.
Pourquoi ?
Moi je pourrais dire que je suis guérie, je suis en pleine rémission. Je sais que la
schizophrénie c’est quelque chose qui monte, qui redescend, qui monte, qui redescend, c’est
l’ultra sensibilité, c’est tous les jours qu’il faut se battre, chaque minute quand quelqu'un nous
parle, quand quelqu'un dit quelque chose de désagréable. Guérir, non. J’espère un jour que je
serai guérie mais je préfère le terme de rémission « je vais bien, je suis en rémission je suis
guérie entre guillemets, mais j’ai un traitement à côté, j’ai des choses à assumer, j’ai des
rendez-vous psys. Sans suivi et sans traitement c’est impossible. La guérison c’est de la
rémission mais je sais très bien que je peux – je n’espère pas – mais il se peut que dans ma vie
je retombe.
On retombe mais on remonte après, on se relève, ce que vous décrivez très bien, vous
vous relevez à chaque fois…
Oui quand on a la volonté. Je ne pensais pas que j’aurais pu me relever comme je me suis
relevée. C’est quelque chose d’intérieur, c’est une volonté de vivre, personnellement je n’ai
pas d’idées suicidaires, au contraire je veux vivre. C’est une volonté de vivre, une volonté de
se battre, continuer tous les jours…mais guérison, à moins qu’on trouve un remède miracle,
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une piqûre pour ne plus être schizophrène…je pense qu’on a des avancées à faire au niveau
médicamenteux. On a encore beaucoup de progrès à faire. Il y a des médicaments qui sont
magiques mais à côté de ça il y a des effets indésirables et puis ma prise d’un traitement ce
n’est pas génial. On est à peine levés qu’il faut prendre son traitement, le midi il faut prévoir.
Il faut adopter un rythme, si je ne mange pas et que je prends mon traitement je vais avoir mal
au ventre. C’est comme ça qu’on gagne face à la schizophrénie. C’est bête à dire mais c’est
comme ça qu’on gagne. Moi je ne l’ai pas encore parfaitement adopté ce rythme.
Et quelle place prend le soin aujourd'hui pour vous dans votre vie ?
80%. Et la thérapie est très importante parce que c’est tous les jours que la schizophrénie
essaie de nous gagner en nous donnant des petites idées délirantes ou des petites idées sur nos
amis dont il faut se débarrasser tous les jours donc le rendez-vous hebdomadaire c’est
justement pour se débarrasser de tout ça. Ce qui m’a beaucoup aidée c’est de replacer mes
objectifs, j’écris beaucoup. Donc quand ça va pas, j’écris, je me dis « là ça ne va pas, ça il faut
arrêter, ça il faut mettre de la distance, et donc tu te recentres sur toi et pour ta semaine, tu as
tel et tel objectif ». Si je mets trois semaines à faire ces objectifs, ce n’est pas grave, au moins
j’ai recalculé mes objectifs et je les ai atteints. Ça peut être faire ses comptes, aller chercher
tel document administratif, passer à la banque, faire des courses, des petits objectifs mais
toujours à un moment donné se dire : « ah non, là je m’éparpille », parce que c’est aussi la
schizophrénie, la dispersion. Je me recentre : « je fais ça et ça, après je fais ça et quand j’aurai
fait ça, je pourrai passer à autre chose ». Nous on a tendance à se disperser. J’ai toujours une
fiche bristol sur moi avec des repères sur ce qui me reste à faire, comme ça je barre, je barre,
je déchire ma fiche et j’en fais une autre.
Diriez-vous que vous avez encore des symptômes ?
Ah oui, j’ai encore des symptômes, le principal c’est l’angoisse, des crises d’angoisse
panique, ça c’est le fardeau de ma maladie. Je note pas d’ailleurs, je ne mets pas « tel jour j’ai
eu telle crise », j’essaie de faire abstraction et de mettre de côté.
Oui vous décriviez très bien vos stratégies de contrôle sur cette angoisse.
346
Oui quasi chaque fois. C’est une souffrance physique et psychique énorme. Quelques fois j’ai
pris mon traitement trop tard et donc quelquefois je suis obligée de souffrir. Quelquefois ça
peut durer une heure, quelquefois ça peut durer vingt minutes. Même quand je suis dans mon
lit et que je n’ai pas accès à ma pensée je sais qu’inconsciemment j’ai des stratégies
psychologiques, je sais qu’inconsciemment ça travaille pour que ça s’en aille et à partir du
moment où ça s’en va, je respire « ça y est c’est parti », vraiment comme un étau, « tu peux te
lever, c’est passé ».
Selon votre médecin vous connaissez une évolution positive de votre trouble, êtes-vous
d’accord avec cela ?
Oui, oui.
A votre avis quels sont les éléments qui lui permettent de penser cela ?
Ma façon de parler…et puis mon médecin – c’est le Dr C. – me connaît depuis dix ans. Quand
je suis arrivée dans son hôpital, pendant des années j’étais une personne qui ne parlait pas en
fait, donc je suivais mes cours etc., pourtant je n’avais pas de réseau social j’étais
pratiquement autodidacte, je n’allais pratiquement jamais à la fac, j’arrivais à trouver des
cours, j’apprenais toute seule mais je ne parlais pas, je ne décrochais jamais un mot, vraiment
pendant des années, je ne disais rien, rien, rien. C’est vrai que le Dr C. il a dû en faire des
efforts avec moi parce que quand j’étais hospitalisée, ben rien.
Et pour vous, qu’est-ce que signifie cette évolution favorable ?
… C’est être plus autonome dans la vie au quotidien. Mes angoisses, par exemple, je les ai
encore…mais l’évolution favorable c’est qu’aujourd'hui j’ai des armes contre cela. J’ai des
armes et je n’en avais pas avant.
En gros vous êtes confrontée aux mêmes choses mais vous savez mieux vivre avec
Exactement. J’arrive à contrer les angoisses assez vite, c’est cela l’évolution favorable.
Quel terme pourrait le mieux décrire votre état actuel ?
347
Je suis en…en coaching…en travail, en gestion, en autogestion. L’autogestion, oui.
Et pour vous quels sont les éléments qui permettent une évolution favorable, alors ?
Déjà se laver aussi, se maquiller, se coiffer, s’habiller, c’est très important. C’est tout simple
mais on est parfois dans…je ne sais pas comment on appelle cela en psychanalyse, quand on
est dans cette période où on n’a plus envie de se laver, où se traîner jusqu’au bain est un vrai
calvaire…déjà sentir bon, se coiffer, améliorer sont intérieur, se fixer des rendez-vous et les
tenir, c’est très important.
Voyez-vous d’autres choses ?
Il y a le contrôle et il y a aussi pouvoir se ressourcer, savoir se ressourcer. Parfois je profite
d’être installée sur un bureau comme celui-ci pour relâcher tous mes muscles, respirer. Etre
assise dans un bus…avant je ne pouvais pas le faire à l’extérieur, il fallait que je rentre
systématiquement, donc mes sorties étaient très courtes et puis progressivement j’ai appris à
le faire à d’autres endroits. Vraiment pour moi l’autogestion c’est la clé de tout.
Et qu’est-ce qui peut faire obstacle à une évolution favorable ?
Ce qui peut faire obstacle… J’ai essayé de travailler récemment. J’étais très contente de
travailler, donc je me suis un peu dépassée dans ma mission et j’ai tellement bien travaillé
qu’on a oublié que j’avais un handicap si vous voulez. On m’a remis le double sur le dos et là
j’ai dit stop et j’ai arrêté ma formation à cause de cela. J’étais contente d’avoir atteint mon
objectif et finalement on me remettait exactement le double sur le dos, du coup je ne l’avais
pas atteint du tout…j’aurais dû traîner la savate et puis ne pas aller si vite…
Si je résume ce que vous venez de me dire, l’obstacle à une évolution favorable serait
que l’entourage ne prenne pas en compte le trouble…
Oui, ne prenne pas en compte les efforts qu’il faut faire pour aller mieux. Il faut que les gens
prennent conscience des efforts qu’il y a derrière, que cela nécessite.
Y’a-t-il des personnes qui ont contribué à votre mieux-être aujourd'hui ?
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Oui, ma famille…, maintenant on a recréé des liens. Et puis il y a aussi le personnel soignant
qui vous parle, qui vous permet d’avoir des repères, de vous fixer des objectifs, de les
atteindre, de relativiser, qui vous permet de moins souffrir. Les infirmiers du foyer m’ont
beaucoup aidée. Et il y aussi ma psychologue, avec qui je peux discuter, à qui je peux confier
mes angoisses, la psychothérapie ça m’a vachement aidée, ne serait-ce qu’à lutter pour rester
dans la réalité.
D’accord. Pouvez-vous me décrire votre vie actuelle ?
Je suis au foyer post-cure pour le moment mais je vais bientôt avoir mon appartement alors
mon quotidien va certainement changer… Pour l’instant, en dehors des quelques missions que
j’ai eue au niveau du travail, ma vie actuelle elle s’organise beaucoup autour des rendez-vous,
chez ma psy, avec le médecin, et les groupes. Quand j’en ai trop dans la même journée, je ne
peux pas les assumer. J’ai un planning pour la semaine : et généralement il ne me faut pas
plus d’une activité par jour pour l’instant.
Ok…selon vous, la maladie vous a-t-elle modifiée ?
Oui la maladie m’a modifiée. Déjà physiquement j’ai pris énormément de poids, pour parler
juste physiquement. Je suis beaucoup plus sage aujourd'hui, beaucoup plus gentille avec moimême, je m’écoute. Je m’écoute, je me dorlote un peu.
Beaucoup plus sage, ça veut dire quoi ?
En fait je ne fais pas d’excès comme j’ai pu le faire avant. Je me ménage beaucoup plus. Je
fais attention. Je me connais beaucoup mieux aussi.
Et de manière plus générale, diriez-vous que la maladie a modifié votre relation aux
autres ?
Je crois que c’est dans l’autogestion que cela a modifié ma relation avec les autres, ce n’est
pas vraiment la maladie. C’est ce que j’ai mis en place pour la contrer. Par exemple je me
mets moins en porte-à-faux avec les gens, je suis moins en altercation, je ne vais pas alimenter
les frictions dans un bus par exemple. Avant c’est ce que je faisais, je partais au quart de tour.
349
Et cette attitude consistant à partir au quart de tour, c’était la maladie selon vous ?
Ah oui, oui.
Et comment voyez-vous l’évolution de la maladie dans l’avenir ?
Ça dépendra de ma vie, de mon vécu, de ce que j’aurai à affronter dans les années qui
viennent, en espérant que tout se passe relativement calmement. Je pense que je peux faire
une rechute, je pense que cela peut arriver. Si vous voulez au niveau de ma vie je suis quand
même en suspens parce que je n’ai pas terminé mes études et depuis ma pathologie j’ai peur
des émotions que je pourrais traverser au quotidien, je me suis demandé par exemple si toutes
ces émotions que je vis à travers une relation de couple ne peuvent pas me déstabiliser aussi.
J’ai peur d’une déception amoureuse par exemple et de ce qu’elle pourrait provoquer chez
moi.
C’est ce lien que vous faites avec une maladie qui vous empêche de vous projeter dans
une relation ?
Oui.
Et comment vous voyez l’évolution de cela dans l’avenir ?
Ben l’évolution c’est de pouvoir vivre une vie de couple en expliquant ma maladie à
quelqu'un qui serait compréhensif. L’évolution de ma maladie, je ne sais pas si j’aurai des
rechutes, je m’y attends aussi, j’ai toujours ces peurs qui me pétrifient, donc tout dépendra de
ma façon de gérer mon temps aussi, mon surmenage.
Cela fait combien de temps que vous êtes arrivée à cet équilibre, cette autogestion ?
C’est d’autant mieux depuis six mois, mais disons que cela fait un an.
Et vos projets pour l’avenir ?
350
Certainement terminer mes études un jour. Je n’ai pas laissé tomber, je me considère juste en
suspens un peu. Je sais que là ce serait trop tôt. La prochaine étape, c’est déjà l’appartement
thérapeutique. En fait ce serait de devenir de plus en plus autonome, de lire un peu plus, de
comprendre un peu mieux les choses, de pourquoi pas envisager une vie de couple ou une
relation amoureuse, voilà.
Alors j’ai une dernière question à vous poser : quels conseils auriez-vous à apporter à
une personne vivant avec la schizophrénie ?
D’être un petit peu exigeant envers soi-même, d’avoir une vie intérieure, comment dire,
d’avoir un regard sur soi qui soit subjectif, savoir où on en est, se parler, quoi. Se dire : « cette
semaine ça s’est bien passé, cette semaine ça s’est mal passé, pourquoi ? Qu’est-ce que je
pourrais faire pour que ça aille mieux ? En ce moment j’ai des impatiences, je peux prendre
un bain pour faire passer les impatiences. Là je me sens surmenée, la conversation que je
viens d’avoir avec ma collègue était trop stressante, je vais me retirer », vous voyez,
commencer à se prendre en main. Se prendre en main et ne pas avoir peur de faire marche
arrière, quand je dis exigeant envers soi-même, il faut aussi se dire : « là je me retire ». Il ne
s’agit pas de pousser comme un cheval de course. Il faut apprendre à se gérer, à se connaître.
D’accord, moi je n’ai plus de questions à vous poser, je vous remercie.
351
ANNEXE XV
ENTRETIEN SEMI-DIRECTIF AVEC MONSIEUR D
352
Tout d’abord, je vais vous demander quels ont été les premiers signes de la maladie
Les premiers signes de la maladie ont commencé par la paranoïa et l'impression qu'on parlait
de moi à la télé, pas toutes les chaînes, Canal Plus seulement. C'était entendre des voix, des
voix de mes amis, mais par une autre forme que le langage. Je les entendais me dire des
choses qui étaient vexantes, injurieuses. Ils voulaient me voir partir du groupe, que je les
fréquente plus. Je les entendais dans ma tête mais c'était pas la voix, c'est une forme de pensée
qui aurait été traduite à l'oral...c'est difficile à décrire. C'est difficile, c'est comme la télévision,
c'est pas vraiment la voix, ça masque la voix. C'était une autre forme de discours, c'était entre
la pensée et la voix mais moi je la prenais comme si c'était de la voix mais voilà, en émettant
une réserve. Pour moi c'était quand même décalé par rapport à la voix du courant, de
l'ordinaire. C'est un peu compliqué à expliquer mais bon c'est les premiers symptômes, et des
voix.
Qu'est-ce qu'ils vous disaient exactement ?
Alors eux ils me répétaient tout le temps « il faut que tu partes du groupe ; on veut plus de
toi ». C'était une mise à l'écart.
Et les voix, puisque vous semblez distinguer les deux...
C'est les voix qui me disaient ça. Les voix me disaient la même chose. J'ai pas de gros
problèmes de voix, mais je les entendais certaines fois, j'entendais une voix qui me parlait à
l'oreille et quelquefois fois qui, après, a pris des proportions plus importantes, mais au départ
c'étaient juste quelques mots, quelques phrases de cette mise à l'écart et du fait que j'étais pas
disons à la hauteur vis-à-vis de ce groupe et de ces personnes, voilà.
D'accord, donc en fait la voix que vous entendiez près de votre oreille et le groupe d'amis
étaient liés en fait ?
Oui, tout à fait.
D'accord, d'où votre sentiment peut-être un petit peu de paranoïa que vous expliquez...
353
De paranoïa, oui, c'est ça.
Vous avez parlé de propos injurieux aussi...ça allait jusqu'aux insultes ?
Rare, mais ça allait jusqu'aux insultes, oui. Alors par contre il faut dire une chose : c'est qu'à
l'époque, ces amis là consommaient quand même beaucoup de stupéfiants, d'alcool donc ça
amplifiait le phénomène et c'était toujours quand je consommais des stupéfiants que j'avais
plus de voix, qu'il y avait plus de ça, oui.
Du cannabis ?
Du cannabis oui et j'ai eu du mal d'ailleurs ; c'est après que j'ai compris, grâce à la
schizophrénie, mon système de pensée. Là c'est très grossi si vous voulez mais qui était peutêtre de quitter ces amis qui n'étaient pas de très bonne réputation et très bienveillants envers
moi parce qu'ils consommaient du cannabis et que dans ma maladie c'est particulièrement
destructeur et parce que l'alcool était là, mais ça allait avec une philosophie de vie et j'étais
très jeune et j'avais pas ce recul. Et ça a duré assez longtemps comme ça. Ça a bien duré un
an.
Ça veut dire quelque part que la voix vous protégeait en vous encourageant à quitter ce
groupe ?
Oui tout à fait. Je pense qu'il y avait la schizophrénie et puis c'était moi-même qui peut-être
essayais de me dire, mon fond inconscient à mon fond conscient que là il faudrait peut-être
quitter des amis aussi dangereux pour ma santé si vous voulez. Et je les ai pas revus d'ailleurs,
je les ai pas revus, j'ai préféré, voilà.
Et alors quand est-ce que tout ça a commencé ?
C'était...attendez...95, j'ai eu l'internement...on va dire 94, 1994, oui.
D'accord et en 95...
Hospitalisation de force, poussé par le médecin que j'ai trouvé très juste.
354
De force c'est-à-dire ?
Forcé si vous voulez, obligatoire...j'ai pas eu mon mot à dire mais je l'ai voulu, j'étais très très
content d'être mis à l'écart et voilà. Même si j'ai mis longtemps à comprendre que ces amis
n'étaient pas bien pour moi, j'ai quand même très bien accepté d'être soigné, même si j'ai mis
très longtemps à savoir ce qui était de l'ordre du pathologique et du normal et ça c'est très très
dur, ça.
Est-ce que cela a changé quelque chose dans votre existence ?
Alors ce que ça a changé si vous voulez, la première des choses, j'en parlais avec mon ami
aussi, qui lui s'en sort très bien avec sa maladie, c'est la possibilité si vous voulez d'être
intègre, alors c'est difficile à comprendre comment dans une maladie qui vous met au ban de
la société, quelque part, à de très hautes responsabilités, il vaut mieux pas dire qu'on a une
schizophrénie et qu'on est toujours schizophrène donc si vous voulez, malgré tout ça, ça m'a
rendu beaucoup plus intègre et j'ai appris à aimer les sciences humaines, sciences sociales et
ça c'est typique, c'est-à-dire que je me sens bien avec moi-même, j'ai pas forcément besoin de
la compagnie des autres à tout moment...ou des voies érigées par la société, j'arrive dans mon
décalage, qui est un décalage naturel, normal, de tout le monde mais il a été beaucoup plus
accepté de par la maladie, de pouvoir me mettre au ban tout en faisant des choses positives si
vous voulez, mais quand on fait des choses positives on n'est pas non plus toujours dans
l'autoroute que dessine la société et là-dessus, ce décalage a été très bien accepté grâce à la
maladie, donc voilà, donc après tout ce que ça comporte et voilà, donc là ça a vraiment été
très positif.
Quel diagnostic a été posé lors de cette hospitalisation ?
Au niveau des médecins ?
Oui...
Je ne sais pas du tout, je sais plus...
Alors quand est-ce que vous avez appris que cette maladie dont vous souffriez s'appelait
355
schizophrénie ?
Ah oui, bien entendu, schizophrénie. Le mot je l'ai entendu lors de ma...j'avais entendu des
voix, je suis allé sur Paris et y'a des jeunes qui m'ont plus ou moins tabassé, ils m'ont piqué
mon vêtement. J'étais très mal...je pense, toujours pareil, donc je suis...j'avais un rendez-vous
avec la psychiatre de l'hôpital donc un peu comme au CM.P., en annexe si vous voulez de
l'hôpital général qui là a parlé de schizophrénie, c'était la première fois que j'entendais le
terme.
Elle vous a dit : « votre maladie »...
« C’est la schizophrénie, oui ».
Est-ce que ce diagnostic a évolué, changé depuis toutes ces années ?
Non il est toujours diagnostiqué schizophrénie, oui.
Et vous, est-ce que vous étiez d'accord avec ça ?
Est-ce que j'étais d'accord avec ça ? Oui, oui, tout à fait.
Quand on vous a donné le mot, vous vous êtes reconnu ?
Ne sachant pas ce qu'il y avait derrière, non, mais je me souviens d'avoir été très content
qu'elle me dise ça, d'être soulagé, oui, d'avoir été soulagé. Je me souviens d'avoir été soulagé.
Soulagé parce que...?
Et heureux, heureux qu'elle pose un terme à mes souffrances, un mot sur mes souffrances et
qu'elle parle d'hospitalisation, j'étais très content, oui, je me souviens.
Et qu'est-ce que signifiait pour vous le terme « schizophrénie » à l'époque ?
Je me souviens pas, je ne peux pas vous dire, il y a tellement longtemps. J'ai mis très
356
longtemps à savoir ce que c'était que la maladie, on est très mal informé ; j'ai pris des livres
depuis mais tellement tard...tellement tard. J'aurais dû...j'aurais dû mais en même temps
personne ne m'avait passé le message, je veux dire y'a pas un médecin qui m'ait dit « dans la
schizophrénie c'est clair ». Si vous voulez quand on a un rapport avec le médecin, c'est un
rapport médicamenteux, j'avais jamais vu de psychologues, là je viens de voir Mademoiselle
L., on en est à notre quatrième entretien, et si vous voulez c'est tout nouveau cet aspect où on
met des mots, c'est ce que je cherchais depuis le début chez les psychiatres. Très rapidement je
me suis résigné, au vu du peu de mots déployés, du peu de psychologie, on va dire quelque
part, développé et du rapport médicamenteux, essentiellement médicamenteux, quoi.
Alors qu'est-ce qui finalement a contribué le plus à votre acceptation qu'il s'agissait de
la schizophrénie ?
...
Par exemple est-ce que c'est parce que vous avez constaté qu'avec les médicaments vous
étiez mieux ou...?
Oui, c'est ça, avec les médicaments j'étais mieux. Oui et puis plus tard j'ai appris les voix, les
délires,.
Donc la première hospitalisation en 95. Depuis vous avez connu d'autres hospitalisations
?
D'autres hospitalisations oui, j'ai eu une grave rechute de deux ans où je suis resté sans
assistance, délirant, limite de l'autisme. Je n'avais plus de lien avec l'extérieur, je vivais une
histoire qui prenait le pas sur le réel, je ne faisais rien à part me nourrir, dormir et la maladie
et donc après j'ai eu une hospitalisation. Je n’ai pas accepté, de fait. Alors la première
hospitalisation était liée à l'abandon des médicaments conseillés par un médecin généraliste.
La deuxième, j'ai pas accepté non plus le fait d'avoir été malade parce que comme j'ai été
laissé pendant ces deux ans délirant, le monde s'était écroulé. J'ai préféré par facilité me
culpabiliser, me disant : « oui c'est peut-être toi, peut-être parce que tu ne faisais rien, donc la
maladie, le mal a pu...ça peut rendre fou, tu as été rendu fou parce que tu ne faisais rien, t'étais
pas actif, t'étais pas occupé », donc voilà je me suis dit tout de suite : « c'est de ma faute, il va
falloir être plus positif », enfin c'est le danger. Finalement j'ai pas repris mes médicaments et
six mois après je suis retourné à l'hôpital pour faire une hospitalisation de trois mois et demi.
357
Donc en hospitalisation libre, c'est vous qui...
Ah non, la première fois, au bout des deux ans, je me suis battu avec mon père parce qu'il n'y
avait aucune issue et que, autant mes parents ne sont pas du tout intervenus, autant l'ami avec
lequel je vivais n'est pas intervenu non plus.
Donc qui vous a amené en psychiatrie ?
Mes parents. Ils m'ont amené, je n'ai pas montré d'hostilité.
Et l'autre hospitalisation c'était à peu près la même chose ?
Oui, ils m'ont amené, j'ai dit oui d'entrée.
Est-ce que vous voyez des différences entre ces deux hospitalisations ?
La toute première, je vous dis, je me suis culpabilisé, je me suis dit : « c'est de ta faute etc. ».
Alors en termes positifs, la première c'est là où j'ai peut-être appris à faire ce que j'avais envie
de faire, c'est-à-dire lire beaucoup, donc je m'y suis mis, j'ai lu beaucoup de romans et la
deuxième j'ai été très sociable avec les personnes du service, autant les infirmiers que les
soignés, ça a été très positif là-dessus, mais c'est pas à l'hôpital que ça a changé mon point de
vue mais lors de la deuxième, j'étais convaincu de l'utilité des médicaments, j'étais convaincu,
j'ai pu demander de l'aide à mes parents donc ils m'ont offert leur aide, là ça a été positif oui.
Et ensuite quel a été votre parcours de soins ?
Ensuite j'ai été suivi par le docteur C. pendant un an à l'hôpital de S., à l'annexe psychiatrique.
Et ensuite...vous avez toujours été suivi par le même médecin ?
Oui, oui, tout le temps...ah non, les deux premières hospitalisations j'étais à R., j'étais suivi à
N. Et ensuite j'ai été suivi par le docteur C., comme médecin référent.
Et il l'est toujours ?
358
Oui, il l'est toujours.
D'accord. Est-ce que vous-même avez repéré des moments d'aggravation ou
d'amélioration du trouble ?
Depuis quand ?
En général.
Alors y'a une phase où j'ai mes médicaments et ça va, alors par contre, il faut savoir que
lorsque j'ai été à l'hôpital pour la première fois, alors ça va être un peu compliqué parce que
c'était une schizophrénie aiguë, ils trouvaient pas le médicament donc je continuais à délirer
malgré les médicaments, alors beaucoup moins que la bouffée délirante que j'avais eue tout au
départ mais quand même très important ; j'étais toujours entre la fiction, la réalité, c'était très
confondu et ils arrivaient pas à trouver de traitement, et en fait là où ça a été, quelque part
c'est quand j'ai rencontré mon amie, E., enfin mon ex-amie, elle est arrivée au moment où là
ça a été. En fait j'avais beaucoup moins de troubles, j'ai eu des accès .de colère, pas beaucoup,
je m'en prenais aux meubles mais très très peu, mais sinon je vivais des scénarios. Une fois
que je l'ai rencontrée à la sortie de l'hôpital de jour, je vivais des scénarios de cauchemar : elle
se faisait agresser, c'était très dur. Malgré les médicaments j'étais délirant. Et en fait ce qui a
tout changé, j'ai fait une formation à l'école S. de Paris qui s'est passée plus ou moins bien, à
la fin mes idées m'ont submergé, c'était dur, donc c'est bien tombé, c'est tombé la dernière
semaine donc. Ensuite, une fois que j'ai travaillé, y'avait plus rien. Une fois que j'ai travaillé,
tout a été. J'ai eu beaucoup de chance. J'ai eu beaucoup de chance qu'il n'y ait pas eu de
troubles et comme content d'aller bien.
Et à quoi c'était dû alors ça selon vous ?
Les idées ? Ça je pense que c'est la maladie.
Parce que vous avez utilisé plusieurs fois le terme de délire, c'était toujours à peu près le
même contenu lors de ces phases ?
Non, jamais, non...ça n'a pas toujours été...c'est-à-dire...oui...non...
359
Par exemple lors de la première hospitalisation ?
C'est marrant que vous me parliez de délire parce que ça c'est quelque chose dont je n'ai
jamais parlé au psychiatre justement et oui, oui...parce que c'est pas la même science,
j'imagine, parce que parler de ses délires, c'est quelque chose que je n'ai jamais fait.
Enfin si ça vous gêne...
Non, non, pas du tout, au contraire parce que c'est quelque chose dont je voulais parler depuis
longtemps, j'avais fait une croix dessus donc c'est pas grave. Si vous voulez, la première
hospitalisation, bouffée délirante, je suis resté trois ans très malade, hôpital de jour, hôpital
général ; première hospitalisation en hôpital général qui a duré pratiquement un an, ensuite
hôpital de jour deux ans, alors le délire que je vivais c'est la télé, la radio, c'est classique : télé
et radio qui parlent de vous, d'abord Canal Plus puis ça s'est élargi à toutes les télés, toutes les
radios, c'était national. On parlait de moi. Le délire que je vivais tous les jours, je m'en
souviens très bien, c'est : j'avais une caméra ; on m'avait greffé quelque chose dans le cerveau
et on pouvait à travers mes yeux, ma voix, voir ce que je vivais, voir ce que je vivais, entendre
ce que je disais, et on m'avait choisi moi parce que par hasard et tous les jours je devais
prouver que j'étais quelqu'un...on va dire...extraordinaire. Quand j'utilise le mot
extraordinaire, justement sorti de l'ordinaire.
Oui, au sens étymologique...
Voilà et donc il fallait que je prouve le bien-fondé de m'avoir choisi moi donc je devais
accomplir des choses ou quand je m'adressais à des gens, il fallait que quand je m'adressais à
des gens, il fallait que ce soit très bien parce que ça passait en boucle sur les télés, la radio et
tout, donc il fallait que ce soit transcendant; Alors c'était pas souvent très transcendant donc je
m'en voulais beaucoup, donc j'essayais de rectifier le tir, donc je disais : « mais attendez, ne
partez pas », parce que je les entendais. Je les entendais dans ma tête, toujours, oui puisqu'ils
avaient pris possession de mon esprit, donc c'était dans ma tête. C'était dans ma tête.
Et donc qu'est-ce qu'ils disaient de vous à la radio, à la télé : ils commentaient ce que
vous disiez ou ils répétaient mot à mot ce que vous pensiez ou ce que vous disiez ?
360
C'est comme pour les matchs de foot (rire), alors il y avait une certaine chaîne, c'est pour ça
que ça m'a rappelé le Loft parce que c'était juste avant, sur une certaine chaîne et quand j'étais
à l'hôpital psychiatrique c'était un peu comme dans le Loft, puisque grâce à moi, on pouvait
voir sur cette chaîne. Un nombre d'initiés y avaient accès mais pas moi forcément. On pouvait
me voir dans l'hôpital, parler avec des gens etc., un petit peu comme dans le Loft de M6.
Vous étiez un personnage public en quelque sorte...
Plus que ça mais plutôt de l'ordre du cobaye.
Alors vous aviez une mission assez ardue si je comprends bien ?
C'était plus qu'une mission de distraction, d'amusement de la populace et du public que
vraiment une vraie mission salvatrice.
D'accord, je vois. Et la deuxième, c'était pareil ?
La deuxième, la grande crise que j'ai eue...alors après j'ai eu des petites crises quand j'étais
avec E. Elle travaillait, je ne travaillais pas, au départ ; j'avais peur qu'elle se fasse agresser
dans le train, y'avait ça qui revenait souvent : l'agression. Et puis la troisième, je discutais, les
deux ans j'ai discuté au loin, enfin elle était loin mais toujours avec la pensée, par télépathie,
j'avais une relation amoureuse platonique avec elle donc on s'échangeait des mots doux. La
religion, je croyais énormément en dieu, donc je discutais, bon c'est vrai, ça c'est le problème
de la schizophrénie mais je discutais avec la vierge Marie et avec Jésus-Christ. Je suis pas
croyant, tous les jours je me prosternais à l'église, vraiment, prosterné...j'en ai pas vu d'autre,
y'avait que moi d'ailleurs...pendant ces deux ans et j'errais dans les rues, alors je courais aussi
beaucoup, j'étais en tenue et j'errais dans les rues, matin, soir ; certaines fois à deux heures du
matin, ça me prenait, je parcourais deux trois villes dans la nuit et je revenais et je ne
connaissais pas la peur, parce que c'est pas quelque chose que je referais, par peur justement et
donc ça avait pris totalement mon esprit et j'échangeais. Alors il faut savoir que j'échangeais
avec cette fille, mais j'échangeais aussi avec des vedettes de télé, j'échangeais aussi...avec des
gens...le président, et ce qui m'a beaucoup aidé c'est ce fond humain d'universalité, de paix
dans le monde, d'humanisme. Cette idée d'aider auprès des chefs d'états, d'être porte-parole
pour dénoncer les violences humaines, l'incompréhension du monde, mais enfin bref, enfin
361
quelque chose qui dans la littérature d'aujourd'hui est plus communément admis : la fin des
génocides etc. donc voilà, oui, là pour le coup il y avait une certaine mission, mais bon plus
ou moins suivie parce que les chefs m'écoutaient puis ils partaient ailleurs (rires)...
Vos soignants pensent que vous connaissez une évolution favorable de ce trouble. Qu'en
pensez-vous ? Que pourriez-vous en dire ?
Des troubles, oui tout à fait. A l'heure d'aujourd’hui à part la télépathie que j'ai quelques
fois...enfin qui n'existe pas mais j'ai ça...
C'est-à-dire ?
J'échange avec des gens par le biais de la pensée. On arrive à lire dans mes pensées et les gens
échangent avec moi de pensée à pensée, enfin je me construis ça, mais...
Ca a toujours été. Même quand je travaillais, j'avais ces moments-là, c'est-à-dire en réunion
d'équipe, alors je sais pas si c'était la timidité, le trac, y'a des choses qui faisaient que j'arrivais
à échanger comme ça avec la pensée, alors c'était court, c'étaient de courts instants, ça durait
pas très longtemps, deux minutes, trois minutes, des fois un peu plus long mais ça gênait pas
le bon déroulement du tout. Je vivais ça en moi et puis j'arrivais à me reprendre, enfin j'y
faisais pas vraiment très attention mais ça m'arrive dans des situations toujours pareilles,
intimidé ou...ça m'arrive mais de moins en moins. Je travaille, je vais le travailler avec
Mademoiselle L et donc là j'y fais très attention en ce moment et ça a tendance à disparaître
complètement.
D'accord, donc ça veut dire que vous avez un contrôle quand même...
Oui oui, tout à fait. Au niveau des hallucinations sonores j'en ai : alors c'est un mot, une
phrase, pas plus.
Quel type de mot ?
Quel type de mot ? Alors en fait si vous voulez c'est des amis, des proches, la famille...je vais
pas dire qu'ils me veulent du mal mais qui ont un ressenti...enfin je veux dire qui m'adressent
quelque chose de pas très amical.
362
D'accord, donc ça reste quand même pas très sympathique...
Ca dépend, parfois c'est pas très sympathique. Alors le problème c'est que ça me prend dans
les moments où déjà je me dis : « ça a été dur, tout ça, les gens sont pas très compréhensifs »
et je vais entendre un mot qui va rajouter, donc forcément ça monte en épingle, un mot, une
phrase qui va être rajoutée déjà à ma frustration première, à mon mécontentement donc voilà,
et ça, ça a tendance à partir aussi. Je suis plus serein et maintenant ça a tendance à partir un
peu oui, quand même, beaucoup beaucoup plus qu'avant. Disons que maintenant ce n’est pas
énormément gênant, c'est léger, ça reste léger.
Et vous diriez dans les autres domaines de votre vie : professionnel, social, familial, estce que le fait d'être dans la voie du rétablissement change les relations que vous avez
avec ces personnes...
Oui oui tout à fait je m'entends mieux avec mes parents, beaucoup mieux, avec ma sœur
énormément mieux, voilà et puis j'ai un psy que je vois alors qu'avant après l'hôpital de jour,
j'avais arrêté de voir des médecins. Non, y'a énormément de mieux, d'ailleurs là j'entame une
période de ma vie où je suis très bien quoi, où vraiment y'a eu un plus, notamment ça a été
érigé à la suite de ces rechutes importantes, disons ça m'a aidé là-dessus, y'a eu un gros côté
positif, et finalement ça va de mieux en mieux.
Et au niveau professionnel ?
Au niveau professionnel je suis au chômage, alors c'est un peu paradoxal : j'ai jamais été
autant armé puisque j'ai beaucoup moins de troubles, je lis énormément, des choses qui des
fois sont difficiles. Je comprends nettement mieux le monde, son articulation, le
fonctionnement du monde et malgré tout, j'ai un peu peur de travailler, parce que non pas visà-vis du contact des autres, mais vis-à-vis de la marginalité dans laquelle je suis tombé à cause
de ces rechutes, des années de perdues, pas perdues mais bon des années que je ne peux pas
expliquer auprès d'un employeur et qui met dans une position difficile et je suis mieux armé
mais quelque part beaucoup plus fragilisé, ce qui est normal.
Et vous quel terme est-ce que vous utiliseriez pour caractériser votre état actuel ?
363
Mon état actuel...
Par rapport à la schizophrénie justement ?
Par rapport à la schizophrénie, mon état actuel...disons...peut-être plus serein, serein oui.
Mais vous le décririez comme quoi, comme par exemple une rémission, une guérison...?
En ce moment ? Une guérison, vous savez dans ma maladie c'est sous jacent...la guérison, non
y'a pas de guérison. Par contre, dans l'idée de me protéger plus, de demander de l'aide, donc
déjà c'est ce que je ne faisais pas avant et puis d'être beaucoup plus pragmatique, peut-être de
mieux connaître les choses au lieu d'y porter un jugement, donc je me cultive beaucoup plus.
Être mieux armé, pas que pour la maladie, pour bien vivre etc. mais être au mieux, oui.
Et selon vous quels sont les éléments qui favorisent justement une évolution positive telle
que vous la vivez ?
Y'en a pas 36 (rire). Non y'en a une si vous voulez, c'est qu'il faut, dans les évènements
positifs comme négatifs, il faut en tirer des enseignements, oui. Si, si, ça aide beaucoup. Y'en
a plein mais notamment y'en aurait une qui est, et que j'apprends tous les jours à être en
accord avec soi-même, quelque chose que j'avais du mal puisque je faisais beaucoup de
concessions, et c'est pas parce que l'humanité part dans un sens que je vais partir dans le
même sens et que je fais des choses qui me plaisent. J'accepte beaucoup mieux mon célibat,
finalement. Certainement après j'accepterai mieux, si je rencontre quelqu'un, le couple parce
qu'il faut d'abord s'accepter soi avant. C'est ça que j'apprends et puis d'être plus humain.
L'humanité compte beaucoup. La maladie m'a permis de révéler mon envie d'humanité unie
etc., donc ça ça, faisait partie du délire mais qui m'est resté et du coup, oui, du coup ça m'aide
beaucoup.
Donc ça, ça fait partie des éléments qui favorisent l'évolution, le fait de prendre du recul
comme vous l'avez dit et de mieux finalement connaître vos symptômes, vous pourriez le
dire comme ça ?
Oui, tout à fait, et puis, c'est vrai j'ai écouté les délires, j'ai un peu écouté les délires que j'avais
364
eus et il s'avère qu'en fait ils m'ont été bien utiles pour connaître ma personnalité et m'ont un
peu révélé, au départ, voilà.
Alors est-ce que vous diriez que la maladie vous a modifié ?
Oui.
Oui dans quel sens ?
Alors la maladie m'a modifié, moi c'est très facile : la première rechute que j'ai eue...il s'avère
d'abord que la maladie m'a aussi tiré de très bonne situation : ces copains qui fumaient, qui
buvaient, avec qui j'avais du mal à me détacher ; eux-mêmes avaient du mal à s'extirper du
groupe, que j'ai revus et qui sont malheureusement très portés sur l'alcool. Ça m'a permis de
m'éloigner sans vrai conflit si vous voulez, donc ça c'était positif; et puis la première rechute :
à la sortie de la première rechute, j'ai travaillé, j'ai pas eu peur de travailler, beaucoup moins
peur que d'autres personnes, j'ai été d'un courage important, je me suis un peu vengé dans le
travail, ça m'a apporté beaucoup de bonnes choses, moi qui justement avant ma maladie
trouvais pas ma place, qui étais pas forcément très travailleur, donc ça m'a permis là-dessus de
pas me poser de questions, j'ai jamais re-bu une goutte d'alcool depuis, jamais. J'aime pas ça
en même temps, mais à l'époque j'aimais beaucoup. Je sais que moi à l'époque, si j'étais resté
dans ce groupe-là, ç'aurait pas été terrible parce qu'on m'entraînait facilement ; j'avais ce goût
pour l'alcool qui n'a vraiment pas duré depuis, je bois jamais, mais qui m'est resté d'ailleurs
pour la cigarette, j'en ai gardé que la cigarette donc en tout cas j'ai arrêté de boire, j'ai eu des
loisirs on va dire moins épuisants que si j'avais été en boîte etc. donc beaucoup
plus
reposants, j'ai beaucoup travaillé, donc c'est positif, cette première remarque et la deuxième ça
a été si vous voulez l'envie...alors maintenant je lis énormément, je m'impose cette lecture,
tous les jours, y'a pas un jour où je déroge à la règle, enfin rare. Y'a eu quelques moments ces
derniers temps mais c'est assez rare et tous les jours j'ai cette envie de connaître, d'apprendre,
de savoir et ça, ça a été radical, ce qui l'était pas avant. Ça s'est fait du jour au lendemain,
c'est-à-dire qu'au sortir de la maladie, je me suis dit : « y'a ça mais bon »...aimer les
bibliothèques, oui, c'est très important les bibliothèques ! Le sport, je me suis pas trompé sur
le sport ; j'ai jeté mon dévolu sur la danse, ça fait trois ans que j'en fais, ça marche très très
bien, j'en fais quatre fois par semaine...quelque chose qui est difficile puisque je suis le seul
homme. Grâce à la maladie, je me pose beaucoup moins ces questions là, c'était aussi le cas
365
après la première, je me pose moins la question. Si c'est positif, c'est positif, point. Je ne
remets pas les choses en question, ce qui est positif reste positif, voilà.
D'accord. Est-ce qu'il y a eu des moments où vous êtes senti découragé...?
Par la maladie ? Les gens m'ont découragé beaucoup plus que la maladie, oui.
Vous pouvez m'en dire un peu plus ?
Si vous voulez, la première fois la maladie a été difficile à comprendre parce que mon
entourage était moins bien armé...pas très armé, mes parents et ces copains, je crois que ça les
a dépassés complètement. Je crois qu'ils ont été très dangereux parce qu’ils n’ont pas réussi à
comprendre du tout. Et à cause de leur intervention, je pense que ça a été difficile à accepter.
Maintenant découragé, j'ai jamais été découragé.
En fait y'a des personnes qui vous ont plutôt orienté vers le découragement et peut-être
d'autres vers des choses plus positives ?
Oui, ça par contre, oui, tout à fait.
Qui...qui vous a encouragé pour les choses plutôt positives ?
Pour les choses plutôt positives, disons la famille a été présente et puis là par exemple je fais
du théâtre, les gens sont très positifs, je fais de la danse, avec la prof de danse je m'entends
très bien, elle est très positive. Je vais vous dire, quand je lis un livre, puisque moi c'est mon
truc, en général c'est des essais, quand je lis un livre, la personne qui l'écrit m'apporte
beaucoup même si elle n’est pas là physiquement. Je veux dire y'a une masse de gens, de
chercheurs de très bonne volonté et justement c'est ceux-là qui justement m'ont permis...à
aucun moment, à aucun moment je me suis trouvé découragé je veux dire, j'en suis pas
responsable de cette maladie donc y'a pas de découragement et de remettre en question le fait
que...je serai heureux enfin, ça ça pose pas de problème, y'a...avec...mais les gens sont pas là
physiquement mais enfin...
C'est un soutien quand même...
366
Ouais ! C'est un très très bon soutien, puis bon vous savez dans le monde y'a quand même
d'autres choses.
Et aujourd’hui qu'est-ce que ça signifie le terme « schizophrénie » pour vous
aujourd’hui...
Alors schizophrénie, j'ai lu des bouquins...
Sans bouquin, vous, de votre expérience...
Ma schizophrénie disons. Alors « schizo » c'est l'esprit cassé ou je sais plus...la distance entre
l'esprit et l'action. Alors si j'en tiens la définition populaire en général c'est de dire quelque
chose et de faire autre chose, ce qui est pas ça, définition même que j'ai retrouvée chez des
grands professeurs et tout, comme quoi...je me suis penché sur la schizophrénie et bon...alors
par contre, oui, qu'est-ce que c'est que la schizophrénie ? Moi, à l'heure d'aujourd'hui parce
que ça a pris de multiples formes, c'est pas une seule forme, c'est d'entendre des choses qui
n'existent pas, c'est de voir, d'entendre des choses qui n'existent pas, qu'on lise dans mes
pensées, enfin je veux dire c'est tout un tas de choses que j'ai du mal à regrouper sous une
seule définition mais c'est d'échanger avec la pensée.
C'est comme ça que vous le décririez à quelqu'un par exemple qui vous demanderait...
Alors surtout la schizophrénie comme on voit, comme dans des films comme « un homme
d'exception », c'est un grand mouvement de paranoïa très très intense, avec hallucinations et
d'échanger avec les gens qui ne sont pas là, qui n'existent pas, dont on est sûr et convaincu de
l'existence. Surtout dans la schizophrénie, le plus dangereux, enfin pour moi, ce qui a été
dangereux, c'est le peu de prise de conscience de la maladie : « je ne suis pas malade, je refuse
de me médiquer » et surtout dans certaines crises aiguës et surtout : « je ne suis pas malade, ça
c'est du réel, je peux échanger avec des gens qui ne sont pas là physiquement ».
Et aujourd’hui est-ce que vous vous considérez comme malade ?
Oui, j'ai mes troubles, mais c'est difficile à diagnostiquer parce que je suis au chômage.
Malade...oui je me considère comme malade, maintenant je pense qu'il y a beaucoup de points
367
qui vont et qui peuvent être améliorés, oui, je pense.
D'accord. Est-ce que vous pensez qu'on peut guérir de la schizophrénie justement ?
Ça c'est médicamenteux, je vous dis c'est comme un diabétique, tant qu'ils n’ont pas inventé le
médicament qui...maintenant est-ce qu'on peut guérir ? Vivre avec, oui, oui tout à fait...
Si vous aviez à décrire comme ça rapidement votre parcours de soins, qu'est-ce que vous
diriez en fait ?
En fait bon alors là (rires) alors là il y a quelque chose à dire, vraiment, c'est important.
D'ailleurs, là j'en discutais avec Mademoiselle L, je lui ai pas dit mais je voulais lui dire,
comme quoi les interventions sont courtes quand même, c'est normal mais ça reste court,
c'est-à-dire qu'à l'heure actuelle, quelque part je préfèrerais une bonne juridiction qu'un bon
psychologue, pas dans tous les cas mais dans certains cas, oui.
C'est-à-dire ?
Qu'on puisse protéger les malades, qu'on puisse vraiment protéger les malades de leur
entourage. Moi j'ai vécu de graves violences, de graves maltraitances. Mes parents je leur ai
pas parlé pendant longtemps mais j'étais malade, c'était à eux de passer le cap sachant les
difficultés que j'avais. Je voyais pas de psychiatre, donc c'est normal que personne ne puisse
intervenir mais je trouve qu'au niveau juridiction, y'a pas une vraie prise de conscience, disons
de ce qu'on fait endurer de maltraitance aux personnes handicapées, maintenant...c'était quoi
au fait votre question ?
C'était ça, en fait...votre parcours de soin.
Par contre j'ai fait deux ans d'hôpital de jour qui ont été très déstabilisants, sachant qu'il n'y
avait rien à faire, que poterie...moi je vous dis poterie...ça m'a jamais passionné, voilà.
Je comprends...
Voilà, ça ça a été très dur. Par contre, je vous dis tout de suite, au niveau médical, le médecin,
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après mes rechutes, a pu m'arrêter sur un an, ça c'est bien, je veux dire, toutes les maladies ne
bénéficient pas d'un tel aménagement. J'ai eu un appartement thérapeutique pendant un an, ça
a été vraiment super bien, donc vraiment : parce que c'est la psychiatrie, et je pense que c'est
lié à la psychiatrie et pas à toutes les pathologies, là pour le coup y'a des choses très bonnes
mais c'est le manque de moyens je pense dans les établissements, mais y'a des choses très
positives mais y'a des choses comme l'hôpital de jour qui ont été très très dures, oui.
Et aujourd’hui, comment est-ce que vous décririez votre vie sociale et relationnelle ?
Ma vie sociale et relationnelle, j'ai des amis, je fais du théâtre, auprès de gens souvent à des
niveaux élevés socialement et ça se passe très bien parce que c'est ma qualité, c'est-à-dire que
j'arrive quand même à donner le change facilement. Au niveau social, disons, je fréquente les
bibliothèques tout le temps, surtout universitaires donc c'est du social aussi, ça m'apporte
énormément de satisfaction, et puis j'arrive à vivre sans dépendre des autres, c'est important.
Maintenant je suis au niveau social, j'habite un appartement où mes parents paient une partie
du loyer et me études donc c'est une contrepartie, j'ai une bonne entente avec mes parents. Je
n'ai pas de petite amie, une femme etc. depuis trois ans et pour l'instant ça ne me manque pas
énormément, donc ça va encore, j'ai pas cherché, maintenant je sais que c'est désocialisant,
que les gens comprennent mal et ben moi c'est pas ce que j'ai rencontré mais peut-être aussi
parce que j'arrive à donner le change. Quand je fais du théâtre, je pense qu'ils le savent, enfin
ceux que je connais un peu mieux le savent et je pense que ça a été très bien accepté, très très
bien accepté. A la danse, formidablement. Ma prof de danse c'est elle qui me raccompagne à
chaque fois en voiture, elle me dit que je m'en sors très très bien, que c'est très bien cet
investissement que j'ai eu grâce à la maladie, puisque ça a été radical, cet investissement
culturel, et vraiment elle le dit d'une manière spontanée, on sent pas que c'est un rendu.
Et alors, est-ce que vous vous considérez, alors le terme est peut-être un peu fort, comme
handicapé par cette maladie aujourd’hui ?
Aujourd’hui handicapé oui, avec les voix...handicapant, oui c'est handicapant.
Les symptômes qui vous restent vous gênent ?
Oui c'est handicapant, et surtout ce qui est pire, là on parlait de découragement, le pire de ce
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qu'il y a à gérer c'est toutes ces années passées dans la maladie. La maladie c'est quand même
dur à gérer parce qu'autant j'aime donner le change, et ça je m'en remercie, autant il est quand
même difficile d'avoir passé 20 ans dans la maladie et les problèmes de la maladie donc ça
pour le coup ça peut peut-être être dur, mais je pense que dans cinq, six ans, tout devrait
revenir à l'ordre, de toute façon c'est quelque chose que je ne maîtrise pas, qui n'est pas de
mon propre chef.
Et alors comment vous faites justement, quand vous entendez des voix ? Est-ce que vous
avez une stratégie pour les contrer, comment vous faites ?
C'est que je suis en train de voir avec Mademoiselle L. En général, vous savez, c'est comme
une envie de fumer, une envie de manger, je me freine de la même façon : je me bloque et
après ça passe. Alors y'a des moments c'est plus fort que moi, c'est dans des moments où
quand je rentre du sport, je suis là, je suis fatigué et là, forcément ça va agir.
Mais du coup, quand ça arrive, vous vous dites « bon c'est la maladie parce que je suis
énervé » ou sur le moment vous...
Non, non, j'y crois. C'est ça, c'est le problème : je peux dire avec vous que ça n'existe pas et y
croire, mais à force de dire, à force de voir des gens, de le répéter, et dieu sait que je le répète
en plus parce que je suis suivi par des infirmières, et je leur dis aussi. Enfin personnellement
là j’arrive dans un cas où je peux délirer, puis vraiment pas être convaincu que je l'ai dit mais
passer à autre chose mais sur le coup, ça me laisse quelques impressions, du coup je reste
dans une ambiance un peu après bizarre, parce que je l'ai dit, je l'ai pas dit...alors j'y pense pas
tout le temps mais ça reste quand même et ça c'est un peu dur.
Et le contenu de ces voix est toujours injurieux...?
Non, non du tout, j'échange, basta, j'échange.
Ah oui c'est pas non plus des insultes...
Non, non ça reste assez rose.
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Vous pouvez me donner un exemple ou deux...
Non j'en n'ai pas en tête..
Non parce que la question que je me pose c'est est-ce que cette voix par exemple vous
tutoie ?
Oui, c'est les amis, c'est la famille.
D'accord, donc vous reconnaissez très bien de quelle personne de votre famille il s'agit
quand vous entendez cette voix ?
Oui, tout à fait.
Alors comment est-ce que vous décririez rapidement votre vie familiale aujourd’hui
parce que vous m'avez dit que ça s'était apaisé...
Avec mes parents ça se passe bien, je veux dire, même ça se passe de mieux en mieux même
avec ma mère, voilà, ça se passe mieux. Avec ma sœur ça se passe mieux, j'ai fait beaucoup
d'efforts aussi, c'est moi qui ai commencé à faire des efforts donc j'ai des bonnes relations
même si ma sœur, n'ayant pas vécu cette maladie, étant mariée, moi célibataire alors ça
concerne tous les célibataires vis-à-vis de leur frère ou leur sœur en général, ils sont pas très
compréhensifs, un peu égoïstes mais en plus au niveau de la maladie, elle a jamais non plus
accepté mais ça se passe bien.
Vos parents et votre sœur connaissent le nom de votre maladie ?
Oui, elles sont assistantes sociales toutes les deux.
Mais c'est vous qui le leur avez dit ?
Non, c'est le médecin qui leur a dit, y'a longtemps, oui.
Et ça vous convenait qu'ils sachent le nom de votre maladie, parce que parfois il y a des
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patients que ça gêne...
Pas du tout au contraire, moi je vous le dis, je le dis au théâtre, mais peut-être que je le dis un
peu trop, c'est ce que je m'étais dit, peut-être que je ressasse en ce moment, un peu trop.
C'est-à-dire vous employez le terme « schizophrénie »...
Non, non pas du tout.
Quand vous dites « je ressasse »...
Oui parce que vous me dites « ça vous gêne qu'on sache ou pas... » donc moi avec les amis et
les proches en ce moment je parle de ces deux ans de délire, j'en parle avec mes parents mais
ça fait déjà pas mal de temps que je ramène ça sur le tapis, alors pas forcément la
schizophrénie mais tout ce que ça a entraîné comme maux et comme douleur. Il faudrait peutêtre que je passe à autre chose maintenant, oui ce serait le moment.
Alors justement, ça tombe bien parce que j'allais vous demander vos projets, qu'est-ce
que vous espérez pour l'avenir ?
Alors qu'est-ce j'espère pour l'avenir ? Alors maintenant, ce n'est plus au niveau de la maladie
que ça se passe, c'est au niveau psychologique, de m'accepter mieux, peut-être de faire la paix
définitivement avec moi-même. A ce niveau là, c'est pathologique donc j'y peux rien, mais ça
a créé quelques troubles, des fois je suis...pas séparé en deux, mais c'est difficile à certains
moments. Et puis un travail stable qui me plaît, je voudrais travailler dans une bibliothèque,
donc là y'a pas de surprise...ou culturel ou justement humain. Il me faut un investissement
humain, là oui. Et puis au niveau de la famille une meilleure compréhension, peut-être de
certains de mes états, il faut peut-être que je leur dise : « là c'est la maladie, là, ça ne l'est
pas ».
Oui parce que vous-même avez parfois du mal à repérer...
Oui, c'est là le problème.
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Parce que souvent au début on dit aux patients qu'ils sont fainéants, qu'ils font rien,
enfin avant de comprendre ce qu'est la maladie, y'a toute une...
Oui un peu comme les dépressifs...et ça j'ai rencontré des gens là-dessus et comme moi
j'arrive à donner le change en plus, les gens s'imaginent pas ce par quoi je suis passé et sont
pas très compréhensifs.
Donc vos projections dans l'avenir, c'est plutôt finalement être apaisé vis-à-vis de...
De la maladie. Oui puis avoir une femme, des enfants...Je ne vais pas m'arrêter de vivre parce
que j'ai été malade !
Certes, mais c'est là un projet précis, vouloir des enfants par exemple, il y en a qui en
veulent et d'autres qui n'en veulent pas...
Si si, j'aimerais bien, mais pas beaucoup hein, j'ai passé tellement de temps à l'hôpital (rires),
et en étant malade, un seul ça suffira (rires). Je ne sais pas ce que l'avenir me réserve, si ça se
trouve je vais rencontrer une fille qui a deux enfants, bon ce sera deux enfants et basta. Oui
avoir un couple, un travail mais en ces temps de crise c'est quand même difficile. J'aspire au
bonheur comme tout le monde, alors au bonheur autant matériel que familial. Mais surtout la
possibilité d'avoir un temps pour moi et faire ce que j'aime faire et voilà, comme tout le
monde.
Et est-ce que vous pensez que des personnes sont à même de vous aider pour réaliser ces
objectifs...
Des personnes, oui, Mademoiselle L est très bien...oui, une aide psychologique, une aide aussi
par l'allocation aussi, A.A.H. qui peut me permettre aussi de prévoir, de pouvoir m'organiser.
C'est difficile cette maladie parce qu'il y a des moments où on travaille mais y'a des moments
aussi où on ne peut pas...votre question ?
En fait la question était : est-ce que vous pensez que des personnes peuvent vous aider
dans vos projets d'avenir, donc si j'entends bien, c'est plutôt par le côté psychologique
que vous pensez...
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Oui, matériel aussi, oui, matériel, psychologique, humain.
Parce que vous avez tout de suite évoqué les soignants, Mademoiselle L ou d'autres, ce
sont des personnes qui pour vous sont les premières personnes ressource...
La famille et le travail du thérapeute. Les deux oui, les deux.
Vous êtes assez confiant...
Oui, oui, bien sûr, si moi je vais mieux je ne vais pas me dire que ça va moins bien, si moi je
vais mieux...
Oui, tant qu'à faire...(Rires) Si vous allez mieux, autant le reconnaître...
(Rires) Oui si je vais mieux c'est que ça va aller mieux...
Est-ce que vous auriez des conseils à apporter à une personne vivant avec la
schizophrénie ou qui vient de découvrir sa maladie ? Qu'est-ce que vous lui donneriez
comme conseil ?
Alors le conseil...les psychiatres se posent la question, à savoir : est-ce que les patients
doivent, est-ce que ça ne sort pas du cadre, parler de leur délire ou pas ? Il s'avère qu'il est
bien quand même, même si ça met du temps, que les patients arrivent à apprendre à parler de
leur délire. Pourquoi ? Parce que ça a le mérite d'être clair, ça a le mérite d'être dit et que ce
que chemin faisant, au bout d'un moment on va se dire : « mais bon c'est vrai que ça, c'est du
pathologique, ça c'est du normal ». Vraiment reconnaitre, reconnaître et puis accepter.
Reconnaître et accepter la maladie puis surtout prendre conscience qu'on est malade, ça c'est
vraiment le premier des cas, et puis surtout ne pas culpabiliser, c'est ça.
Oui, c'est-à-dire que vous diriez à la personne : « c'est une pathologie, y'a ces symptômes
là »...vous expliqueriez surtout ?
Oui, exactement, et puis de pouvoir dire à quelqu'un de sûr, de pouvoir lui exprimer ces
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délires, c'est-à-dire que si c'est une personne qui est en phase de délire de pouvoir dire :
« voilà, j'imagine que la télévision parle de moi, la radio... » même si c'est difficile, arriver à
ce que ça sorte, même un tout petit bout, pour pas que tout soit vécu intérieurement...parce
que c'est vrai que tout est dans la tête systématiquement.
Et c'est ce que vous disiez : du coup ça entraîne un repli, donc pour vous l'idée c'est :
même si c'est du délire, il faut parler, même délirer, finalement...
Tout à fait et moi, d'après les schizophrènes que j'ai rencontrés, j'en ai rencontré un paquet,
que ce soit à l'hôpital, hôpital de jour, dans l'entreprise adaptée. Moi si vous voulez, ce qui m'a
servi de guide, de leçon, c'est aussi d'être actif, essayer d'être actif tout le temps, essayer de
profiter du temps libre qu'on a, parce qu'on a un temps libre important, vraiment, et puis
rebondir sur l'avenir, ce qui est commun. Je pense que quelqu'un qui veut guérir vous dira ça,
c'est normal. Mais peut-être au-delà de tout ça, apprendre à s'accepter, être au plus proche de
soi-même et de ses préoccupations. En gros, que ce soit l'entreprise adaptée, au G.E.M. ou
ailleurs, j'ai rencontré surtout des gens qui avaient tendance à s'isoler. Il faut des passions, il
faut des activités. Même si la maladie est là, c'est pendant un temps. Alors moi j'avais trouvé
une bonne solution, c'est par exemple que j'ai depuis trois ans des activités chaque soir. Des
fois j'oublie ou des fois j'y vais pas, c'est assez rare mais ça me permet d'avoir une activité,
une impulsion de dynamisme en plus et de pouvoir vivre autre chose que la maladie. Très
rapidement comme on est dans son crâne, on vit les choses très seul, et comme je vous dis,
avec mes propres amis, en ce moment j'ai tendance à le faire aussi : à ressasser ; et c'est
vraiment le dernier des trucs qu'il faut faire, il faut s'ouvrir aux autres, alors c'est toujours
facile à dire mais c'est vrai que quand on est seul, qu'on a un handicap, qu'on est malade
comme moi, qu'en plus on a été victime de violence, c'est clair : on est sujet favori pour la
dépression.
Vous avez été « victime de violence », c'est-à-dire...ces jeunes...?
Pendant deux ans, avec E. mon amie où j'étais délirant, je n'ai pas eu d'assistance, je suis resté
délirant. Pour moi c'est comme si j'avais vécu des violences, enfin...enfin j'ai été laissé...
A l'abandon ?
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A l'abandon, oui c'est ça et en fait de pouvoir prendre du recul vis-à-vis de la maladie alors
moi je vous dis, c'est une technique qui n'est pas mal mais comme il peut être proposé dans un
GEM etc. de s'imposer des choses à faire avec les autres. Et puis on s'aperçoit très vite que
finalement l'écart n’est quand même pas grand entre les personnes atteintes de schizophrénie
et les personnes normales...que finalement eux aussi ont vécu des choses difficiles, même des
choses très difficiles. Après je vous dirai pas que relativiser c'est un peu chrétien mais c'est
aussi savoir qu'il y a d'autres souffrances. Mais alors moi y'a un truc qui m'a vachement aidé,
c'est quand même de me rappeler... parce qu'on culpabilise beaucoup, on se dit beaucoup dans
cette maladie, puisqu'on n'accepte pas le fait d'être malade, on se dit : « non, c'est moi, c'est
d'ordre psychologique, c'est moi qui vois pas la vie très positivement ». Il faut quand même se
rappeler le temps passé à l'hôpital, les souffrances que ça a été ; pour moi faut quand même
s'en rappeler quand même parce qu'on en dégage peut-être plus de positif après quand ça va
un peu mieux en se disant : « bon c'est vrai y'a quand même eu beaucoup de choses de faites,
y'a quand même des choses qui se sont passées ». On aurait tendance, d'ordre psychologique à
se dire « je ne suis pas malade, donc forcément c'est d'ordre psychologique, donc c'est un peu
de ma faute, quoi ».
Et quel regard vous portez sur ces phases, parce que que vous parlez d'une grande
souffrance finalement...lors de ces phases la souffrance c'était quoi : c'était induit par le
délire, c'était induit par l'hospitalisation ?
C'est des souffrances morales, comme on peut le vivre dans une dépression. C'est des
souffrances morales, oui. Mais comme les délires, comme y'a des hallucinations auditives et
visuelles...en plus, je pense que ce qui est typique dans cette maladie, c'est qu'on peut avoir
des souffrances physiques par les hallucinations.
Ah oui ?
Oui, ça m'est déjà arrivé.
Par exemple ?
Je vous dis, j'échange toujours par la pensée. Je vois cette personne, donc je la visualise. Si
elle peut faire un geste vers moi et que je suis obligé d'esquiver, je ne sens quand même pas
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le coup mais je sens une agression physique.
Une sensation corporelle ? C'est ça que vous décrivez ?
Oui une sensation corporelle, oui tout à fait, je le sens, oui.
Et vous disiez hallucinations visuelles ? Vous avez eu aussi des hallucinations visuelles ?
Je vous dis c'est toujours pareil : comme je parle par la pensée, enfin...j'échange, j'échange par
la pensée, donc je visualise la personne, je visualise même plusieurs personnes et là je leur
parle.
Et vous les voyez réellement ?
Euh...pas vraiment...
Parce que ça c'est « un homme d'exception », c'est un peu...
Oui mais ça c'est romancé je pense.
Voilà, je pense aussi...
Et on les voit...oui parce que lui, en échangeant par le même biais, c'est comme s'il était là,
c'est un peu comme la visio-conférence (rires)
C'est vrai, l'analogie est jolie, mais quand vous dites des hallucinations visuelles, c'est-àdire des personnes ? C'est pas que vous avez vu, je sais pas, un objet...
Non non jamais.
Ce sont toujours des personnes ?
Ah si : j'ai vu le diable quand j'étais vraiment dans ces délires.
Ah oui ?
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Oui, une fois, et d'ailleurs c'est le tournant, c'est vraiment quand je suis passé du délire
important à carrément plus de vie avec l'extérieur. Oui, y'a le diable qui est venu...ah oui,
tiens, je me souviens de ça, et c'est marrant parce que le chat s'était hérissé sur le coup au
moment où je l'avais imaginé. Ça a duré très peu de temps.
Comment vous avez reconnu que c'était le diable ?
Il est venu, je savais que c'était lui. C'est mon délire si vous voulez.
D'accord mais vous n'avez pas vu quelqu'un avec des cornes, des sabots fourchus...
Si, si, c'est ça qui est venu dans la pièce...oui, oui, qui est venu dans la pièce...mais c'est vrai
que ça peut faire peur. D'ailleurs c'est la seule chose vraiment visuelle que j'ai vue d'aussi
intense. Oui, je me souviens, le chat avait les poils hérissés à ce moment, alors ça a renforcé si
vous voulez, oui, forcément, puis je faisais beaucoup de nuits blanches.
Et donc je l'ai vu, le gros truc visuel. J'en ai eu d'autres, mais c'est toujours lié à dieu, au
diable, et je sais pas pourquoi dans cette maladie, y'a le côté mystique qui est là et vraiment
très très présent alors moi qui suis pas du tout croyant...
C'est d'autant peut-être plus troublant quand ça vous arrive et...
Oui, c'est très troublant. Ça va que j'ai quand même un équilibre intellectuel important, alors
je dis pas que les croyants ont tort etc. Pour moi, j'ai quand même un équilibre qui fait que j'ai
rejeté tout de suite ça une fois que j'allais mieux, cette croyance en dieu, enfin pour moi, dans
mon équilibre, ça allait mieux, et c'est vrai que j'ai quand même une force de caractère.
Oui...j'allais y venir parce qu'on sent que vous êtes une personne pleine de
ressources...d'où elle vous vient cette force ? Comme ça, vous diriez quoi ?
Oh j'ai pas de force, vous savez...non j'ai pas de force...
Enfin, si parce que vous vous imposez des horaires, une hygiène de vie etc.
Oui, c'est vrai. Oui, tout le monde me le dit. C'est marrant, je ne trouve pas.
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C'est parce que vous avez la volonté de vous en sortir parce que c'est votre caractère,
parce que...
Non, pas du tout, c'est la maladie qui a aidé. La maladie rend plus fort, la maladie a aidé puis
vraiment, oui, la force de caractère.
C'est intéressant ce que vous dites, parce que...
Oui la maladie m'a aidé. La maladie m'a aidé, je ne dis pas le contraire...
Elle vous a aidé à quoi ? A devenir quelqu'un ?
La première fois je me suis vengé...pas vengé, j'ai travaillé très fortement. Je n’ai jamais eu
d'excès, enfin j'avais des excès alimentaires, mais alimentaires seulement. Par rapport à la
personne que j'étais avant, ça a été radical, je veux dire, je suis devenu sérieux. Et la deuxième
fois, je suis peut-être devenu philosophe. Il y a eu vraiment des grands procédés et d'ailleurs
j'en discutais avec une infirmière, parce que j'ai parlé de ça aussi avec des infirmières, y'a un
des patients qui a dit : « j'étais un petit con et j'ai changé ». C'est un peu grossier, et c'est ce
qu'on dit aussi aux gens qui ont pris de la drogue, après ils s'en tirent meilleurs, c'est vrai. Moi
c'est plus que meilleur, ça m'a appris à être avec moi, de pas avoir peur d'être seul, je fais des
activités, je dois prendre le bus. Je n’ai pas de voiture, donc je prends le bus tard le soir et ça
m'a jamais posé de problème. Je peux vivre avec moi-même, tout seul à certains moments,
faire des choses tout seul ; au contraire, ça m'a vraiment renforcé là-dedans. Maintenant je
vais vous dire tout court : si j'ai une force particulière, c'est parce que quand je lis, d'abord,
parce que dans le monde ça se passe pas très très bien mais vraiment très mal, et on est de
vrais privilégiés donc là-dessus ça nous permet de relativiser, puis, surtout, moi c'est mes
passions qui me guident.
Qui vous tiennent...
Voilà, si je vais lire, en général...
Mais ces passions vous sont venues de la maladie, presque, je dirais...
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Alors ça c'est bizarre parce qu'au moment où j'étais soigné, je suis sorti de l'hôpital, je me suis
dirigé vers ça tout de suite, c'est-à-dire que la danse ça a pas été un choix explicite direct, mais
implicite, puis explicite. Le théâtre, je l'avais déjà quand j'étais très jeune, je m'y suis mis tout
de suite donc ça s'est imposé, j'ai pas eu à aller les chercher. Et là où la maladie a aidé, c'est
vrai que je pense que la maladie a aidé, c'est dans les choix qui ont été faits. J'aurais pu me
tromper et je ne me suis pas trompé du tout en fait dans ces choix. Ils ont été volontaires et en
fait super payants, oui, parce que j'aurais pu essayer le Hand et puis le Basket puis la
natation...j'ai jeté mon dévolu sur un truc qui a marché du feu de dieu. Peut-être que c'est une
mesure de survie qui est intervenue là, peut-être parce que je me suis écouté aussi mais je vais
vous dire, j'ai du répondant parce que je fais des choses qui me plaisent, j'ai la possibilité, j'ai
la chance de faire des choses qui me plaisent.
Oui, mais encore faut-il les trouver, les choses qui plaisent...
Oui puis la danse, je vous dis, je suis le seul mec, donc en même temps ça c'est la
schizophrénie qui aide. Elle m'avait déjà aidé dans la première partie, le dérèglement mental
nous permet de pouvoir faire des choses là où les autres se posent mille et une questions et ne
le font pas. Ça c'est vrai, ça aide, parce qu'on en a tellement vu quelque part, mais en soi. Moi
je vois les gens qui disent : « on n'a jamais le temps de faire les choses etc. » ou qui vraiment
sont très conventionnels. Vraiment, j'ai l'impression d'avoir vu des choses très intenses, grâce
à la maladie mais je vous dis, je fais des choses qui me plaisent.
Par contre y'a un manque de réalisme, je ne suis pas assez dans le réel et là, là c'est le défaut
de la maladie. Je fais les choses tellement de manière volontaire, qui se sont imposées à moi,
que je les fais de manière désintéressée, si vous voulez. Je les fais par envie, je ne les fais pas
par devoir. J'aurais dû y coller des diplômes, oui peut-être. Ça m'est tellement devenu
naturel...
OK je vous remercie, je n'ai plus de questions à vous poser, alors est-ce que peut-être
vous, vous en avez une ?
Non, non...
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