14 15 Atelier 5 Climat et biodiversité, des enjeux liés pour des solutions communes et complémentaires Vanessa Laubin Il faut reconnaître une dialectique entre l’impact social des changements climatiques et l’impact climatique des changements sociaux. Repenser la consommation d’énergie en fonction à la fois de l’habitat et de l’environnement est une nécessité. Par exemple, une étude montre que la consommation électrique d’un réfrigérateur peut passer du simple au triple en cas d’obsolescence, en incluant un risque sanitaire. Leur rénovation à grande échelle en France permettrait des économies substantielles et prouve d’ailleurs la caducité du tarif social de l’énergie, qui infuse jusqu’à 340 millions d’euros par an dans une consommation qui inclut des pertes colossales d’énergie participant à une pollution de l’environnement. Il en est de même dans le Tiers-Monde, dont l’énorme potentiel en énergies renouvelables doit être exploité au mieux dans une politique qui repenserait profondément les usages énergétiques domestiques. Cette priorité se traduit d’ailleurs dans certaines contributions nationales à la COP 21, et implique un besoin d’investissement par le prêt et le don qui doit être pensé en amont. Cet atelier a été organisé par la Fondation Albert Ier Prince de Monaco. Chris Bowler, directeur de recherche CNRS à l’Institut de Biologie de l’ENS et Paris Sciences et Lettres, Coordinateur Scientifique de Tara Oceans, et membre du Comité Scientifique de la Plateforme Océan et Climat Pierre-Edouard Guillain, président de la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité Alain Chabrolle, représentant de l’Association Orée et vice-président de la région Rhône-Alpes Modérateur Alexia Tye, Directrice administrative et financière de la Fondation Albert Ier Prince de Monaco Les enjeux de biodiversité sont intiment liés à ceux du climat. Nous devons agir sur les émissions de gaz à effet de serre pour limiter les effets du changement climatique sur l’environnement planétaire (niveau des océans, forces et fréquence des intempéries, sécheresse,…) mais aussi pour permettre à l’ensemble des espèces, y compris l’homme, qui forment le tissu vivant de la planète de s’adapter. Mais nous devons garder à l’esprit que pour que cette adaptation des espèces, et au-delà des écosystèmes, puisse se faire, il faut en préserver les mécanismes de réponse et d’adaptation et donc limiter les pressions qui s’exercent sur la biodiversité et peuvent altérer sa capacité à évoluer et à s’adapter à un environnement changeant rapidement. Chris Bowler Tout en soulignant que le climat relève de la science, et qu’il est un sujet très complexe, Chris Bowler ne peut qu’insister sur l’importance des interactions du monde politique et de la société civile, et notamment des fondations, avec les scientifiques, afin de mieux saisir les enjeux liés aux changements climatiques. Spécialiste des océans et de leur biodiversité, Chris Bowler a insisté sur l’importance de ceux-ci. Car, tout d’abord, les océans ont un rôle protecteur non négligeable. Ils sont une sorte de thermostat face au réchauffement climatique, puisqu’ils sont une pompe à carbone, dissolvant une part importante du dioxyde produit. On peut considérer que les océans ont absorbé jusqu’à 25% du CO2 produit par l’homme depuis la Révolution industrielle. C’est le plancton, qui représente 95% de la biomasse des océans qui est le principal composant de la pompe biologique à carbone et qui génère 50% de l’oxygène de la planète depuis 1 milliard d’années Qui plus est, les océans permettent la sédimentation de fossiles, donc de créer des formations géologiques essentielles, à l’origine d’ailleurs des énergies fossiles. Mais l’océan est menacé. L’augmentation du CO2 atmosphérique, de l’ordre d’un septième en plus en 30 ans, a pour conséquence une augmentation de la quantité de bicarbonate et acidifie les océans en en modifiant l’équilibre biochimique. Toutes les mesures de pH réalisées concordent dans ce sens. La baisse du pH pourrait altérer la calcification des organismes marins notamment, et donc limiter le phénomène de sédimentation évoqué plus haut. Corollairement l’oxygène se raréfie dans les océans et leur température augmente. L’élévation du niveau de la mer qui en découle, redoublé par la disparition de récifs coralliens et des mangroves, met en danger les cotes. Globalement donc, l’océan s’acidifie, perd sa teneur en sel et se réchauffe. L’affaiblissement conséquent en nutriments ferait entrer les océans dans un cercle vicieux, destructeur pour sa faune. Les organismes dans les océans devraient ainsi migrer toujours plus loin vers les pôles à la recherche de températures favorables. Cependant l’océan doit aussi être vu comme une solution : l’océan est une source d’alimentation, d’énergie renouvelable et de nouvelles technologies, comme par exemple la nanotechnologie. Chris Bowler érige donc comme recommandation de considérer comme indissociables les problématiques climatiques et océaniques. D’où la nécessité primordiale de les intégrer dans les négociations climatiques. Une seconde priorité doit être le développement équitable des ressources et services provenant des écosystèmes marins. La répartition doit être équitable dans l’accès aux ressources océaniques et à leurs bénéfices. Pour cela, il faut donc développer les connaissances scientifiques pour mieux évaluer les effets cumulatifs. Pierre-Édouard Guillain Trois faits sont importants pour comprendre les enjeux liés à la biodiversité : la biodiversité change et fait partie du système climat, pour cette raison, les sociétés humaines vont devoir s’y adapter. Tout d’abord la biodiversité change. Par nature, elle s’adapte en permanence, dans une perspective évolutionniste. Ce qui pose problème est l’accélération du rythme des changements climatiques et environnementaux liés à l’activité humaine, qui dépasse les capacités d’adaptation de la biodiversité. Certaines espèces, plus particulièrement sensibles à l’accélération de ces changements, en sont les premières victimes. 16 17 Atelier 6 Climat et citoyenneté, vers un mouvement mondial pour la justice climatique Dans un second temps, il est nécessaire de relever que la biodiversité fait partie du système climat. Et plus des points de basculement sont atteints an matière climatique, plus on complexifie cette adaptation. En effet la biomasse participe à la précipitation du carbone. Et la biomasse n’est rien sans la biodiversité, puisque la capacité à stocker du carbone se fait par l’écosystème dans sa globalité et sa diversité. Il faut comprendre par-là que le climat dépend de la biomasse, qui elle s’adapte à ses changements dans la mesure de ses capacités naturelles. Mais la technologie naturelle qui permet cet échange est un équilibre fragile et peine à suivre le rythme imposé par les activités humaines. Il faut donc changer notre perception de la biodiversité. C’est une dynamique du vivant très importante pour sa propre perpétuation. En conservant les espèces, on conserve le bricolage du vivant et de son évolution. Une conservation à tout prix n’est pas souhaitable pour autant, car elle biaiserait aussi la sélection naturelle. Ce qui est important de conserver c’est la capacité d’adaptation de l’écosystème, dont beaucoup de mécanismes nous sont encore inconnus. Ne rendons pas la tâche encore plus difficile au vivant. Ne rajoutons pas de contraintes Ne fragmentons pas des milieux, ne les surexploitons pas. La biodiversité est l’éternelle bénévole de l’homme, dont il dépend beaucoup. Pensons à la société que nous aurons demain si la biodiversité change trop : la mer pourrait devenir peuplée exclusivement de méduses. Alain Chabrolle L’association Orée a pour but de développer une réflexion commune sur les meilleures pratiques environnementales et mettre en œuvre des outils pratiques pour une gestion intégrée de l’environnement à l’échelle des territoires. Elle a érigé comme un de ses trois axes prioritaires de réflexion “Biodiversité et économie”. Elle organise des travaux prospectifs, de recherche et plus particulièrement relatifs à la filière du bâtiment. Derrière ces réflexions, une première série d’enjeux climatiques liés aux perturbations de la dynamique du climat. Une deuxième série d’enjeux est relative à la biodiversité, et l’érosion du tissu vivant planétaire. Un des chercheurs lié à Orée appelle à créer une « biodiversité » des activités économiques et sociales, qui prendrait donc en compte la biodiversité naturelle en prenant exemple sur elle. Lutter contre le changement climatique impose de repenser sa dépendance aux ressources fossiles, par conséquence des opportunités de nouvelles activités apparaissent. L’association Orée tâche donc de promouvoir la compatibilité entre la défense de la biodiversité et une économie prospère en guise de transition. Cette promotion passe par la mise en place d’outils d’aide à la décision, comme la labellisation par exemple. Cet atelier a été organisé par la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme, la Fondation After-FACT, la Fondation Un Monde par Tous, la Fondation Monde Solidaire, CCFD – Terre Solidaire. Txtex Etcheverry, co-fondateur d’Alternatiba Varinia Vinay-Forga, déléguée générale du Collectif Transition Citoyenne Kerim Didier Salifou, coordinateur national du Mouvement Alliance Paysanne du Togo (MAPTO) Modérateur Nicolas Krausz, Responsable de programme à la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme. On peut dresser une typologie des manières dont les fondations travaillent sur le sujet du climat. Il existe en effet : • Les « climate funders » (aux États-Unis principalement) qui financent des expertises et vont conseiller les États ou le secteur privé sur leur participation aux négociations internationales. • Des fondations réussissant à lier le climat à leur secteur de prédilection : agriculture, logement, énergies, etc. Exemple : fondation Carasso. • Des fondations s’intéressant aux changements climatiques par le prisme de la nécessité d’un changement systémique, d’où un engagement citoyen. Dans cette dernière catégorie, le mot d’ordre serait « changer le système pas le climat ». Et ceci par la création d’un mouvement citoyen pour la justice climatique, qui est en train d’émerger et de s’organiser en vue de la COP21 de Paris. L’implication des citoyens dans la lutte contre le changement climatique est décisive à plusieurs niveaux: • mobiliser les populations pour faire pression sur les gouvernements et les organisations internationales en vue d’obtenir un accord universel et juridiquement contraignant à Paris. • montrer que des solutions concrètes pour le climat sont déjà disponibles, à portée du quotidien de tous et esquissent une alternative systémique • défendre une approche de solidarité internationale qui place la justice et la question du modèle de développement au cœur de l’enjeu climatique Txetx Etcheverry Dans cette catégorie, Txetx Etcheverry, à travers son association Bizi! et les Alternatibas qu’elle organise est un modèle. Le dernier événement en date a été une traversée de la France à vélo. À chaque étape, des rencontres avec les citoyens, la presse, les élus locaux, des conférences, des événements ont été organisés presque spontanément, de façon décentralisée, preuve qu’un projet de réappropriation des problématiques climatiques est mobilisateur. Parti de ce constat, Txtetx Etcheverry nie toute crise du militantisme. Il suffit de proposer des perspectives mobilisatrices et de les inscrire dans la durée. À travers l’apothéose de cet événement à Paris, sur une place de la République bondée, la solution à cette inscription dans la durée est venue d’elle-même. En effet ce meeting a réuni des acteurs locaux et internationaux, dont des interlocuteurs rencontrés sur la route. Il préfigure ainsi ce qui est envisagé pour l’avenir : poser les bases d’un mouvement pour le climat à travers la rencontre d’acteurs présents à différentes échelles. Ces événements ont permis l’apparition d’une nouvelle génération de militants. Et plusieurs actions permettent de continuer à atteindre le tout à chacun, comme par exemple la rédaction d’un livret « alternativez-vous ». Il faut avant tout lier local et global pour donner sens à l’ensemble et encourager le renouveau d’une mobilisation citoyenne plus transversale. Alternatiba repose sur l’idée qu’il faut un socle massif, une mobilisation citoyenne large pour obtenir des avancées sur les problématiques climatiques, sans pour autant nier le rôle important des négociations étatiques. Aussi il faut que l’action citoyenne entoure la COP 21, sans que l’un ne puisse éclipser ou l’autre, mais bien plutôt dans le sens d’une émulation mutuelle.