Gériatrie Soins palliatifs Unité mobile et unité fixe Hôpital Sainte-Périne, AP-HP, seizième arrondissement de Paris. Spécialité : gériatrie. On y compte 670 lits de moyen et long séjours, dispersés dans plusieurs bâtiments. Nous franchissons l’enceinte d’un grand mur qui sépare les vieillards de la vie du quartier. A u quatrième étage, le Dr Jean-Marie Gomas nous attend. Il est coordinateur du Centre Jane-Gatineau, siège de l’unité mobile de soins palliatifs. Il n’existe pas de comparaison possible entre une unité fixe et une unité mobile de soins palliatifs. L’unité fixe est « un lieu d’accueil hyperspécialisé des malades les plus complexes : dans leurs symptômes douloureux, dans leurs conflits éthiques et/ou psychologiques et/ou dans leurs situations familiales, explique le Dr Gomas. Ce n’est surtout pas un mouroir. La preuve : les patients en fin de vie, mais “moins complexes”, ne font pas l’objet d’une orientation vers ce service très pointu. A présent, pouvons-nous qualifier l’unité mobile d’“équipe de prosélytes” ? Oui, en quelque sorte, dès lors que ce prosélytisme reste professionnel, humain, laïque, décentralisé et républicain ». C’est ainsi que l’“équipe volante” du Dr Gomas réunit des consultants qui apportent un soutien, une aide et/ou une expertise à l’équipe du service qui a demandé leur visite auprès d’un de ses patients. Pour simplifier, on pourrait dire que toute difficulté de stratégie avec un malade en fin de vie est une occasion pour que l’équipe du Dr Gomas travaille avec l’équipe désarmée devant des souffrances : celle du vieillard et la leur. « Nous contrôlons les symptômes de tous, réaffirmons le sens du soin et évacuons les difficultés stratégiques en nous fondant sur un arsenal de textes éthiques, déontologiques, du serment d’Hippocrate à la loi du 9 juin dernier, soit quelques siècles de cohérence dans l’accompagnement médical. » Pas de normalisation sinon celle de l’entourage Trop souvent, dès lors qu’il s’agit d’une personne âgée, notre approche des soins palliatifs s’encombre de poncifs, moralement dangereux. Pourtant, il faut éviter de brosser un “comportement type” face à la mort. Cependant, nous de- 24 vrions nous résoudre à penser que, s’il existe une palette d’attitudes récurrentes “révolte, déni, marchandage avec sa maladie, désespoir”, cellesci s’appliquent dans le désordre, en fonction des différentes étapes de l’agonie ou s’appliquent, Être soignant en palliatif Beaucoup de médecins s’enferment encore aujourd’hui dans la technicité : seuls importent les sondes gastriques et les scores de souffrance. Le Dr Gomas dénonce ce fait : « Aucune échelle ne pourra jamais mesurer le désir de vie d’un patient. Alors, je m’interroge sur les vraies valeurs : le sens de la vie, le sens de la mort, l’amour. Je suis en perpétuel questionnement ». Ce n’est pas l’épreuve qui lui a fait “faire du soin palliatif”, mais “la manière de métaboliser cette épreuve”, qui l’a amené à soigner autrement les patients en souffrance. Échelon individuel contre échelon collectif La toute dernière position du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) concernant l’euthanasie marque, selon le Dr Gomas à l’hôpital SaintePérine, une rupture avec toute la cohérence historique des textes d’éthique. Une première faille. « Il y a confusion entre échelon individuel et échelon collectif, tempête-t-il. Apparemment, on ne passe pas de l’un à l’autre sans y perdre son âme, avec celle du patient. » Chaque fin de vie est unique et singulière. Personne ne pourra établir des “critères d’exception” d’un “intolérable” qui restera toujours directement dépendant de la sollicitude et du regard de l’entourage. « Ouvrir cette voie conduira à une autre forme d’arbitraire encore plus dangereuse pour la liberté et la dignité des personnes », souligne le Dr J.-M. Gomas dont le nom est cité dans les annexes du rapport du CCNE concernant l’euthanasie, le 13/03/00), dans un communiqué de presse. pour l’observateur (et non pour le patient), de façon aléatoire. En effet, « toute la vie d’un patient conditionne son approche de la mort, synthétise le Dr Gomas. Et plusieurs facteurs peuvent caractériser sa vie : sa culture, son psychisme, ses relations, ses conflits parentaux, ses traces mnésiques, sa filiation familiale. Une personne de 95 ans n’accepte pas systématiquement plus volontiers qu’un jeune patient l’arrivée de sa fin de vie, rappelle le Dr Gomas. La peur n’a pas d’âge, en somme. Mieux, la jeunesse n’a pas le monopole de l’amertume face au point final. Même si l’entourage du patient ne comprend pas que l’on puisse être vieux, incontinent, sans plus un cheveu sur la tête ET avoir du désir pour la vie. C’est, en réalité, en fonction de sa propre appréhension de la vieillesse qu’il suppose la situation “intenable”, y compris pour un parent proche. Or, qui sait mieux que ce “patient décrépi” combien il tient à la vie, coûte que coûte, au point d’élaborer parfois un mécanisme subtil de défense psychique, la démence, au risque d’y sombrer pour de bon ? », poursuit le médecin. L’archétype de ses vingt ans Si, aux yeux du Dr Gomas, la vieillesse est très souvent difficile, il reproche au grand public de ne pas oser se demander pourquoi. Pour le praticien hospitalier, « il faut s’abstenir de toute langue de bois et se poser les vraies questions : Est-ce que ma vie n’existe que parce que je suis beau, désirant ? Faut-il, comme condition au bien-être, ressembler à l’archétype de ses vingt ans ? » Vingt années de pratique clinique laissent penser au Dr Gomas qu’une vieillesse bien vécue est possible. Même s’il convient que « vieillir, c’est souvent le handicap, qui est toujours un peu triste », mais il répète avec force « qu’on peut être vieux, incontinent, sans plus un cheveu et avoir encore du désir ». Fabienne Ausseré Euthanasie Le point de vue Jalmalv La question de l’euthanasie est désormais bel et bien posée. Le rapport “Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie” du CCNE (Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé) a été rendu public. Il a le mérite de soulever l’ambiguïté de situations complexes que l’infirmière est souvent seule à gérer. L e Pr René Schaerer, président de la Fédération Jalmalv (1) et oncologue au CHU de Grenoble, a salué « la position ferme prise contre l’acharnement thérapeutique » et « la référence faite au principe d’autonomie du patient » (2). Ce document reconnaît qu’il existe une pratique illicite, mais réelle, de l’euthanasie dans notre pays. Les juges ont, il est vrai, de la peine à lui donner une qualification. Il existe en outre une forte demande dans l’opinion en faveur du caractère légitime de l’euthanasie volontaire. « La question qui se pose dès lors est de savoir, d’une part, si l’exception d’euthanasie que propose le rapport du CCNE est de nature à régler ce qu’il nomme le décalage trop important entre les règles affirmées et la réalité vécue, dit le Pr Schaerer. Il s’agit, d’autre part, de savoir si elle répond aux attentes des partisans d’une législation ou d’une dépénalisation. » Pour Jalmalv, la question est à poser autrement. « La mort est un événement de la vie qui peut laisser de nombreuses séquelles auprès des soignants, dit Monique Roussel, cadre infirmier, membre du comité de rédaction de la revue de Jalmalv. Les deuils passés sous silence génèrent des troubles psychiques et physiques. Il faut du temps pour restaurer l’équilibre perdu. Il arrive que les infirmières aient tendance à banaliser ou à refuser de reconnaître l’importance de ce qu’elles vivent à ce propos. Le stress est pourtant énorme... Il serait souhaitable que les soignants paramédicaux et médicaux proposent des pistes de réflexion, créent des groupes de parole informels ouverts à tous et évaluent les besoins en formation avec ●●● 25 10 es “Ensemble, donnons du sens au soin” Cité des Sciences et de l’Industrie La Villette Paris 21-22 novembre 2000 Une formation complète pour une application immédiate au quotidien Matin LES CONFÉRENCES 1 conférence au choix Pré-programme Chaque journée est conçue en deux sessions distinctes et complémentaires : LE MATIN : la conférence plénière pour une formation scientifique “la recherche, l’actualité thérapeutique, les pratiques de soins...” et aussi “les nouvelles orientations de la profession...” LES ATELIERS DE FORMATION 2 ateliers au choix* L’APRÈS-MIDI : les ateliers pratiques sur les soins quotidiens. CANCÉROLOGIE RESPONSABILITÉ C R La recherche et l’actualité thérapeutique Les plaies cancéreuses Les soins palliatifs La prise en charge à domicile La qualité de vie et la douleur CA1 CA2 CA3 CA4 RA1 RA2 NEUROLOGIE N NA1 NA2 NA3 NA4 DOULEUR BA3 La douleur postopératoire BA4 Les dispositifs et le matériel Mardi 21 novembre RA3 RA4 La recherche et l’actualité thérapeutique La sclérose en plaques La maladie de Parkinson L’hygiène et la prise en charge des blessés médullaires (pansements, incontinence...) L’Alzheimer D L’évolution de la responsabilité est-elle compatible avec les risques nécessaires à la pratique soignante ? La surveillance du malade et le respect de ses libertés La gestion de l’écrit dans la pratique soignante Les droits de l’enfant L’information préalable et le consentement Mercredi 22 novembre Les différents axes de la chirurgie BA1 L’hygiène et la stérilisation BA2 L’anesthésie DA1 DA2 DA3 DA4 Les différentes perceptions de la douleur selon que l’on soit soignant ou soigné La douleur de l’enfant La douleur en rhumatologie La douleur dans le soin des plaies La douleur chez le brûlé PSYCHIATRIE P PA1 PA2 PA3 PA4 Les nouvelles orientations des soins Les soins dans l’urgence La précarité et l’exclusion Les violences subies par l’enfant Faire face à l’agression GÉRIATRIE ÉVOLUTION PROFESSIONNELLE G E BLOC B Après-midi GA1 GA2 GA3 GA4 La prise en charge de la personne âgée (à domicile, handicap, démence...) Les droits des personnes âgées La violence en institution La nutrition L’hygiène et la qualité de vie EA1 EA2 EA3 EA4 Comment le “social” a transformé la prise en charge du patient L’avenir de la profession libérale Vers une spécialisation des soins Pourquoi appartenir à un réseau ? Les nouvelles technologies au service des soignants ✁ BULLETIN D’INSCRIPTION M., Mme, Mlle : Adresse : Ville : A retourner à CDTM Éditions, 62-64, rue Jean-Jaurès, 92800 Puteaux Tél. : 01 41 45 80 00 - Fax : 01 41 45 80 45 Prénom : Tél. : Cochez par ordre de préférence de 1 à 4 les ateliers auxquels vous souhaitez assister. * Nous tenterons de respecter vos choix d’ateliers en fonction des impératifs horaires et du nombre limité de places. Mardi 21 novembre La conférence □C Cancérologie : □ N Neurologie : □B Bloc : □R Responsabilité : Mercredi 22 novembre □ G Gériatrie : □ D Douleur : □P Psychiatrie : □E Évolution professionnelle : Les ateliers □ CA1 □ CA2 □ NA1 □ NA2 □ BA1 □ BA2 □ RA1 □ RA2 □ CA3 □ NA3 □ BA3 □ RA3 □ CA4 □ NA4 □ BA4 □ RA4 □ GA1 □ DA1 □ PA1 □ EA1 □ GA3 □ DA3 □ PA3 □ EA3 □ GA4 □ DA4 □ PA4 □ EA4 □ GA2 □ DA2 □ PA2 □ EA2 Pratique : □ hospitalière □ libérale □ autres : Code postal : Fax : Droit d’inscription 1 jour 2 jours Établissement : 110 F (90 F) 200 F (160 F) Individuel : 60 F (50 F) 100 F (80 F) Je suis : abonné à Professions Santé infirmier-infirmière ou salarié APHP : 40 F (30 F) 60 F (50 F) Étudiant : 1 jour offert 60 F (50 F) Inscription avant le 30 juin 2000 : prix rouges MODE DE PAIEMENT ❑ par virement bancaire à réception de facture (réservé aux établissements, merci de nous adresser un bon de commande) ❑ par chèque (à l’ordre de CDTM Éditions) ❑ par carte Visa, No Eurocard Mastercard Signature : Date d’expiration : Gériatrie ●●● l’institution (3). » Elle rappelle le rôle que doit jouer, dans le cadre du projet de service, l’élaboration du plan de formation continue des agents hospitaliers. « Il est essentiel de créer des espaces de parole sur le lieu de travail, afin que les soignants verbalisent leur souffrance pour se décharger, pour se ressourcer, dit-elle. Il est important de les aider à se développer sur un plan personnel, guidés par des psychologues. C’est d’autant plus urgent que l’actuelle réflexion éthique, au niveau des services, va porter sur l’euthanasie, l’acharnement thérapeutique et le soulagement de la douleur. » « Il faut poursuivre l’effort entrepris de formation “à l’éthique et aux soins palliatifs”, selon le président de Jalmalv, mais aussi ouvrir des temps réguliers de réflexion en équipe sur la fin de vie des malades, et rappeler que l’euthanasie est un homicide », comme le fait le CCNE. Une part de l’opinion serait hantée par la peur de la démence. Or, « jamais, dans ce pays, la démence, en tout cas pas la démence seule ou la démence à son début, dit-il, ne constituera, pour une équipe gériatrique ou un médecin, l’argument suffisant d’une exception d’euthanasie ». Jalmalv reste opposée à la dépénalisation “du suicide médicalement assisté”. Celle-ci peut poser un problème insoluble. Quand la souffrance Qu’est ce que l’euthanasie ? Le mot euthanasie vient du grec (eu/thanatos) qui veut dire mort douce et sans souffrance. Ce mot a évolué en prenant des significations différentes selon la subjectivité de chacun. L’euthanasie consiste à « administrer volontairement à un malade, à un handicapé ou à un blessé incurable, dans le but d’abréger la durée de sa souffrance, une drogue ou un produit toxique qui met rapidement fin à sa vie, selon le Pr Schaerer, président de la Fédération Jalmalv. L’euthanasie est dite volontaire quand elle répond à la demande d’un patient et involontaire quand elle est réalisée sans qu’il l’ait demandée. Mais « l’arrêt de soins disproportionnés ou superflus et l’administration de médicaments qui soulagent, comme la morphine, n’ont rien à voir avec l’euthanasie », même « si un usage malencontreux a parfois désigné de tels actes comme une euthanasie “passive” ; même si, dans les situations que vivent les soignants, la distinction est parfois difficile à faire entre un acte volontaire qui tue et un acte de soin authentique ». 28 © Alix-Phanie Une formation nécessaire pousse en effet une personne à demander la mort, « aucun médecin, aucune équipe n’est apte à juger la souffrance d’une personne supérieure ou inférieure à celle d’une autre qui pousserait le même cri dans d’autres circonstances ». Mais reconnaître une parole comme légitime ne signifie pas l’exécuter à la lettre. « On sait, par exemple, qu’une demande de mort, même réitérée, précise le Pr Schaerer, n’est jamais tout à fait à sens unique et qu’elle exprime aussi, au même moment, le désir de vivre, d’être soulagé, d’être reconnu comme personne vivante. » Jalmalv propose qu’il n’y ait pas d’exception de l’euthanasie. « Si le malade exprime librement sa demande de mort à un médecin qui, de son côté, lui répond librement, les yeux dans les yeux, qu’il ne fera pas cet acte, l’un et l’autre restent ou redeviennent des sujets capables de chercher ensemble une issue, dit-il. L’issue ne réside pas dans une solution professionnelle ou technique, mais dans un engagement de fidélité réciproque à vivre le temps qui reste à vivre dans une relation de vérité. Les solutions techniques, dont les soins palliatifs font partie, sont utilisées alors, non comme des antidotes de la demande, mais comme des réponses aptes à soulager, chargées du seul sens que le malade et son médecin ont décidé de chercher ensemble. » M.B. (1) La Fédération Jalmalv regroupe une soixantaine d’associations régionales. Jalmalv (Jusqu’à la mort accompagner la vie), 132, rue du Faubourg-Saint-Denis, 75010 Paris. Tél. : 01 40 35 89 40. (2) “Pourquoi je dis non à l’exception euthanasique”, Pr René Schaerer, 7 mars 2000. (3) “Entre vie et mort”, Parigot C., Poulet J., Roussel M., revue de la fédération Jalmalv, mars 1999, n° 56, pp. 21-25. Maltraitance La fin des tabous ? Dix ans après la levée du tabou sur la maltraitance des enfants, le silence entourant celle infligée aux personnes âgées s’estompe. Un premier colloque national s’est tenu à Évry, sous l’égide du Conseil général de l’Essonne, fin 1999. L e Conseil général est engagé dans un vaste programme de formation de tous les personnels travaillant auprès des personnes âgées, ainsi que dans une campagne de sensibilisation. L’affiche a fait scandale. Elle représentait deux écuelles sur un sol carrelé. L’une destinée à “Rex”, l’autre à “Mamie”. Le numéro de téléphone de l’Association gérontologique de l’Essonne était indiqué sous les mots “Maltraitance des personnes âgées”. L’association a été submergée d’appels pendant des semaines. De son côté, l’Unesco a donné un large retentissement à ce thème en organisant le symposium “Maltraités et maltraitants en institutions gérontologiques” le 10 février 2000. « On ne compte plus les demandes de formation qui nous sont adressées sur ce thème », constate le Pr René Hugonot, président de l’association Alma (Allô maltraitance des personnes âgées). En 1990, il fut le premier en France à rompre la loi du silence, devant l’Académie de Médecine. Son intervention fit scandale. Le Pr Hugonot est aussi le fondateur d’Alma, créée fin 1994, au sein de la commission “Droits et libertés des personnes âgées” de la Fondation nationale de gérontologie à la suite d’expériences et d’enquêtes sur la maltraitance menées auprès des médecins, des soignants et des familles. Cette association a mis en place, en France, un réseau d’écoute de la maltraitance envers les personnes âgées. Que l’on soit la victime, un proche ou encore un soignant, que la situation concerne la famille ou une institution, il est possible de la contacter, notamment par téléphone, de parler des questions de maltraitance et d’envisager la marche à suivre. Alma compte aujourd’hui huit antennes en France. « Chaque antenne d’Alma est animée par des bénévoles, d’une part, c’est-à-dire des écoutants formés, et par divers types de professionnels, d’autre part, auxquels ces bénévoles peuvent se référer », explique Françoise Busby, responsable de l’association Alma. A travers ce dispositif, l’écoute offerte peut même être accompagnée d’une aide, d’un soutien psychologique en fonction de la détresse exprimée et d’un suivi. Le soignant face à sa vieillesse Récemment, Françoise Busby, intervenant auprès d’un groupe d’élèves aides-soignants, leur demandait s’ils avaient “déjà vu ou entendu des choses” qu’ils considéraient comme de la maltraitance (1). Cette question suffit à provoquer les témoignages de la quasi-totalité des participants. Certains font apparaître de la méchanceté pure et simple. Tous suscitent l’émotion des soignants. Ainsi, Amina a retenu de son stage en gériatrie le calvaire de « cette grand-mère qui avait trompé son mari et culpabilisait terriblement de ne pas lui avoir dit avant sa mort. L’équipe soignante lui rappelait constamment cette histoire, dit-elle. Elle en pleurait dès le matin. » D’autres cas cités sont aussi à la limite de la cruauté. Il faut cependant redire qu’il est difficile, pour deux soignants, d’aider 30 patients lorsque 60 % d’entre eux sont très dépendants pour réaliser tous les actes de la vie, même les besoins les plus simples. Ainsi, des questions d’effectifs et de temps peuvent empêcher d’accompagner aux toilettes les personnes qui marchent lentement. L’enseignement dispensé aux aides-soignantes spécifie qu’il faut trente minutes pour faire une toilette en écoutant et respectant la personne, notamment sa pudeur. Mais une étude rapporte la souffrance des patients et des soignants dès lors qu’il n’est possible de consacrer que trois à douze minutes par personne (2). En outre, la taille des chambres, en France, est beaucoup trop petite, en cas de chambre à deux lits ou plus, pour pouvoir respecter la pudeur en utilisant des rideaux ou des paravents (3). Zohra cite enfin l’exemple de la “salle des mixés”, où mangent ceux qui ne peuvent plus mâcher. « On mélange purée et dessert pour que cela aille plus vite, sous prétexte qu’ils ●●● 29 Gériatrie n’auraient plus de goût, dit-elle. Et quand ils n’en veulent pas, c’est tant pis, on ne leur propose rien d’autre. » Peut-on s’étonner, dès lors, que les études montrent que la moitié des personnes âgées en institution sont dénutries ? Encore des questions de temps ! « S’il faut faire manger 15 personnes sur 30, il est difficile de consacrer plus de 5 minutes à chacune ». Mais le manque de temps n’explique pas tout. Les quelques minutes consacrées, si elles sont de qualité, notamment accompagnées d’empathie, peuvent changer notablement le soin qui devient alors un échange. Même s’il est particulier chez les personnes séniles, il existe toujours. La formation est nécessaire. Car, en gériatrie surtout, la technicité seule est un leurre. Le soignant formé, auquel on a appris à réfléchir sur l’effet de la vieillesse sur sa propre personne, portera un regard tellement différent que son soin participera à son enrichissement personnel. Cela de telle façon que, si l’on interroge des soignants formés en gériatrie, venus souvent par hasard dans ce domaine, ils expriment leur volonté d’y rester. M.B. (1) “Un quotidien fait de petites violences ou de vraies horreurs”, de Pascale Krémer, Le Monde du 5 janvier 2000. (2) Pratiques de l’ergonomie à l’hôpital, de R. Villate et coll., Interéditions, 1993. (3) Voir à ce sujet les nouvelles normes concernant l’architecture des chambres au Québec dans Ergonomie hospitalière, théorie et pratique de Madeleine Estryn-Béhar, éd. Estem, 1996, p. 82 à 84 et p. 519 à 522. La violence et l’institution Aujourd’hui président d’Alma, le Pr Hugonot fut, en 1965, nommé chef de service de gériatrie aux hôpitaux de Grenoble. Il souligne les domaines et les choix déterminants pour réduire la violence exercée contre les personnes âgées. La prévention de la violence en établissement débute-t-elle dès le choix du site ? Pr René Hugonot : Bien sûr. Nous recommandons depuis longtemps de ne pas construire des établissements pour personnes âgées loin des villes. Beaucoup ont tout de même été construits dans des sites reculés. Cela convient peut-être aux familles, à qui cela donne l’occasion, lors d’une visite, de se promener à la campagne. Cependant, les personnes âgées profitent peu de l’environnement et se trouvent éloignées de leurs proches. Existe-t-il d’autres caractéristiques de taille ou d’organisation auxquelles il faut être attentif ? Pr R.H. : On bâtit souvent des établissements trop importants. Une chaîne française a construit des établissements d’une capacité de 120 personnes destinés à des patients souffrant de maladie d’Alzheimer. Ceux-ci sont nombreux, mais pas au point de remplir aisément une structure de cette importance. Cela conduit, de nouveau, à drainer des patients issus d’une zone géographique souvent trop large, alors que les enfants ne sont déjà pas “très chauds” pour ces visites obligées. 30 Ne trouvant pas assez d’Alzheimer, de tels établissements prennent en outre des sujets souffrant d’autres maladies, même s’ils sont atteints, par exemple, de délire paranoïaque. Or, des patients souffrant de maladie d’Alzheimer et vivant ensemble atteignent un bon degré de socialisation. Ils ne se rejettent pas les uns les autres. En revanche, des personnes souffrant de troubles psychologiques forts et anciens, font fréquemment l’objet d’un rejet important. Souvent, les personnes âgées à “cerveau clair” et leurs familles ne supportent pas les plus fragiles. L’institution elle-même est tentée de mettre les plus agités à part afin de les préserver de la “vindicte des autres”. Les erreurs de conception des institutions, ici en matière de taille d’établissements, font aussi partie de la maltraitance. Des erreurs sont-elles aussi faites en matière de ressources humaines ? Pr R.H. : N’importe qui peut devenir directeur de maison de retraite aujourd’hui ! Il existe pourtant des exigences importantes pour les directeurs de maisons de l’enfance... Heureusement, de plus en plus d’établissements exigent de leurs directeurs une formation préalable. Mais ils privilégient l’équilibre financier de ces établissements, et préfèrent un administrateur ayant suivi une formation en gestion ! Les autres compétences sont considérées comme secondaires... On voit même des établissements gériatriques éviter d’engager des médecins gériatres, afin d’embaucher à leur place un médecin sans formation en gérontologie et ayant un œil moins critique. Quant aux infirmières, on en engage le moins possible parce qu’elles coûtent cher. On préfère engager des aides-soignantes à leur place ou bien faire venir une infirmière libérale “en cas de besoin”. Cela suscite des glissements de tâches ! On découvre alors que celles des médecins sont faites par les infirmières. Les tâches des infirmières sont accomplies par des aides-soignantes, et les leurs sont effectuées par du personnel de service. Or, ce qui manque pour prévenir la maltraitance, c’est la formation. Les améliorations sensibles que l’on a pu observer depuis quinze ans en matière de maltraitance en institution sont directement liées à l’embauche de directeurs et de personnels compétents. Il faut y ajouter la mise en place d’un véritable travail en équipe dans les unités, permettant d’aborder les difficultés ou les cas de patients parfois rouspétants, grincheux, voire agressifs. Propos recueillis par Richard Belfer La famille souvent responsable S elon un bilan d’Alma, sur 3 000 dossiers, une moitié des appels concerne une situation de maltraitance ; l’autre moitié les conseils juridiques ou généraux. Les maltraitances financières (32 % des cas exposés) se traduisent par des utilisations de chéquiers, des héritages anticipés ou spoliations d’argent, de biens mobiliers et immobiliers, une vie aux crochets de l’aïeul. Les maltraitances psychologiques (30 % des cas) prennent diverses formes : paroles dévalorisantes, menaces de mettre à la porte ou de priver de visites ou de l’affection des petits-enfants, humiliations, infantilisations. Viennent ensuite les maltraitances physiques (14 %), les négligences actives (6 %) et passives (3 %), qui concernent l’aide à la vie quotidienne (lever, coucher, toilette, repas, marche...), les maltraitances civiques (3 %) et médicamenteuses (2,5 %). Les maltraitances exercées à domicile (70,5 %) sont plus souvent citées que les maltraitances en institutions (29,5 %), lesquelles augmentent depuis 1996. Trois victimes sur quatre sont des femmes (75 %), souvent veuves et vivant en famille. Quant aux hommes (25 %), ils sont mal- traités par la conjointe, un membre de la famille ou par une tierce personne, compagne “de quelque temps”. Parmi les maltraitants désignés, la famille reste la plus citée lors des appels (59 %), suivie des voisins (17 %), des soignants à domicile ou en institution (12 %) et d’autres protagonistes (12 %), tels que directeurs de maison de retraite, tuteurs, banquiers, élus... Permanence des huit antennes d’Alma Chacune des huit antennes d’Alma offre au moins deux demi-journées de permanence par semaine. Les appels proviennent en général de la région, voire d’une région voisine. Bordeaux : 05 56 01 02 18 Grenoble : 04 76 01 06 06 Limoges : 05 55 79 60 88 Mulhouse : 03 89 43 40 80 Montpellier : 04 67 04 28 50 Reims : 03 26 88 10 79 Saint-Étienne : 04 77 38 26 26 Strasbourg : 03 88 41 91 69 M.B. Briser le carcan de l’âge pour vivre harmonieusement en institution Pour Pascal Champvert, le carcan de l’âge n’existe pas seulement chez les personnes âgées. « Toute la société fonctionne en vase clos. L’école en est un exemple frappant. Ce sont des personnes qui ont le même âge et qui exercent les mêmes activités ». Afin de brasser les générations, une initiative intéressante a été prise dans la résidence de l’Abbaye à Saint-Maur et la résidence des Bords-de-Marne à Bonneuil. Une halte-garderie accueillant des enfants de 18 mois à 3 ans a été aménagée dans chacune des résidences. Des activités sont organisées, mettant en relation les personnes âgées et les jeunes enfants. Des échanges privilégiés se créent respectivement dans chaque lieu, permettant un éveil particulier tant chez les enfants que chez les adultes. 31