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XIe Symposium de rhumatologie
Lombalgie aiguë : repos au lit ou reprise rapide des activités ?
● E. Legrand*, M. Audran*
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■ 7 % des lombalgiques, en arrêt de travail depuis plus de
6 mois, sont responsables de 75 % des coûts d’indemnisation.
■ L’objectif du rhumatologue est la prévention de la chronicité (risque important après 6 semaines d’arrêt de travail).
■ Pas de supériorité du repos prolongé (plus de 2 jours) par
rapport au maintien des activités habituelles.
POURQUOI S’INTÉRESSER ENCORE À LA LOMBALGIE
AIGUË EN 1998 ?
Cette pathologie, remarquable par sa fréquence (60 à 90 % de la
population présentera au cours de sa vie au moins un épisode
lombalgique), ne guérit-elle pas rapidement, dans un délai de
quelques jours, et le plus souvent spontanément ?
Cette vision optimiste et rassurante de la lombalgie est en partie
fausse. Toutes les données épidémiologiques dont on dispose
depuis une vingtaine d’années montrent que l’invalidité liée à la
lombalgie ne cesse de s’accroître dans les pays industrialisés.
Cats-Baril et coll. (1) ont montré que l’invalidité lombalgique
avait augmenté aux États-Unis, entre les années 1960 et 1980,
quatorze fois plus vite que la population, et que le coût d’indemnisation de cette pathologie avait été majoré de plus de 2 500 %
entre 1957 et 1975 (alors que, durant la même période, le coût
d’indemnisation de l’invalidité en général n’avait augmenté que
de 347 %).
Les études épidémiologiques ont également mis en évidence que
le poids socio-économique de la lombalgie reposait sur une minorité de patients. C’est le mérite des auteurs canadiens (2) d’avoir
montré qu’environ 7 % des patients lombalgiques (dont l’arrêt de
travail est supérieur à six mois) sont responsables à eux seuls de
70 % des journées de travail perdues et d’environ 75 % des coûts
d’indemnisation. De plus, il est établi que les chances de reprise
de travail diminuent au fur et à mesure que la durée d’arrêt s’allonge ; si environ 30 % des patients reprennent le travail après un
an d’arrêt, les chances de reprise sont quasiment nulles après deux
années d’arrêt de travail continu.
DE LA LOMBALGIE AIGUË À LA LOMBALGIE CHRONIQUE
Il est clair que la réduction de l’invalidité lombalgique est un
objectif essentiel de santé publique. Pourtant, les chiffres dont on
* Service de rhumatologie, CHU, 1, avenue de l’Hôtel-Dieu, 49033 Angers
Cedex 01.
La Lettre du Rhumatologue - n° 242 - mai 1998
dispose semblent montrer que nos stratégies thérapeutiques sont
encore très peu efficaces pour la prévention du passage à la chronicité.
Depuis quelques années, des études ont été menées pour mieux
comprendre les facteurs de risque de passage à la chronicité (3,
4), c’est-à-dire les facteurs susceptibles, chez un individu, de favoriser le passage de la lombalgie aiguë à la lombalgie subaiguë puis
à la lombalgie chronique avec, comme corollaire, la poursuite d’un
arrêt de travail prolongé et la mise en jeu des systèmes d’indemnisation. Les informations dont on dispose sont encore parcellaires
en raison des difficultés méthodologiques rencontrées dans la mise
en place des études nécessairement longitudinales et prospectives.
On sait toutefois que si la présentation symptomatique initiale et la
sévérité des lésions anatomiques ne semblent influencer que très
partiellement l’évolution vers la chronicité, il n’en est pas de
même d’un certain nombre de facteurs particulièrement déterminants : les facteurs médico-légaux (accident de travail, litiges
financiers), les facteurs professionnels (inadaptation physique aux
contraintes professionnelles, insatisfaction au travail), les facteurs
socio-économiques (bas niveau éducatif et bas niveau de ressources) et les facteurs psychologiques, encore controversés (terrain dépressif, sensation d’être toujours malade).
Certaines études suggèrent également que le mode initial de
prise en charge de la lombalgie aiguë pourrait fortement
influencer le passage à la chronicité. L’importance du handicap
initial apprécié par le patient lui-même sur autoquestionnaire, la
durée initiale de l’arrêt de travail, et, de façon paradoxale, l’importante médicalisation du patient, ainsi que la précision du diagnostic lésionnel semblent associées à un risque plus élevé de
passage à la lombalgie chronique.
L’INDISPENSABLE ÉVALUATION DES TRAITEMENTS TRADITIONNELS
Le poids croissant de l’invalidité liée aux lombalgies communes
et les informations épidémiologiques nouvelles dont nous disposons doivent nous inciter à réfléchir sur la prise en charge initiale
des patients qui souffrent d’une lombalgie aiguë.
Parmi les thérapeutiques proposées à ces patients, le repos a longtemps été une arme essentielle du traitement. Parce qu’il s’avérait
indispensable pour soulager certains patients hyperalgiques,
parce qu’il semblait favoriser l’évolution favorable de certaines
sciatiques par conflit disco-radiculaire, nous avons pendant de
nombreuses années prescrit du repos à nos patients lombalgiques.
Les travaux de Nachemson n’avaient-ils pas renforcé cette
conviction en montrant que les pressions intradiscales étaient
minimales lors du repos au lit ?
Ces notions thérapeutiques classiques sont remises en cause par
un certain nombre d’essais cliniques récents, dont au minimum
quatre paraissent particulièrement pertinents, tant du point de vue
méthodologique qu’en raison de la nature des résultats thérapeutiques obtenus.
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Evans et coll. (5) ont réparti par randomisation 252 patients lombalgiques (aigus, en grande majorité) dans quatre groupes de traitement :
a. repos (4 jours au lit) ;
b. exercices physiques et éducation ;
c. exercices physiques, éducation et repos ;
d. groupe contrôle (médicaments antalgiques).
Les patients n’ont pas respecté les consignes et se sont tous reposés : en moyenne 9 jours dans les deux groupes comportant du
repos et 5 jours dans les deux autres groupes. Dans cette étude,
tous les patients se sont améliorés, et les différents traitements
prescrits n’ont pas semblé modifier l’évolution. Toutefois, chez
les patients appartenant au groupe “repos au lit”, le retour aux
activités normales était plus long (+ 42 %) et, chez les patients du
groupe exercice/éducation, la consommation d’antalgiques était
stoppée plus rapidement.
Deyo et coll. (6) ont évalué, chez 203 patients souffrant d’une
lombalgie aiguë ou chronique, avec ou sans irradiation sciatique,
la prescription de deux jours ou de sept jours de repos au lit. À la
troisième semaine, aucune différence n’est observée entre ces
deux groupes, hormis la durée d’absence au travail, plus longue
dans le groupe des patients auxquels on avait prescrit sept jours
de repos au lit. On remarque également, dans cette étude, que les
patients n’ont pas parfaitement respecté les consignes concernant
le repos : les patients du groupe “deux jours” se sont reposés un
peu plus (en moyenne 2,3 jours) ; les patients du groupe “sept
jours” se sont reposés en moyenne 3,9 jours.
Malmivaara et coll. (7) ont comparé trois options thérapeutiques
chez 186 patients souffrant d’une lombalgie évoluant en
moyenne depuis cinq jours : repos au lit pendant deux jours,
rééducation et exercices, maintien des activités ordinaires (en évitant le repos au lit). À la troisième et à la douzième semaine de
traitement, l’évolution s’est avérée meilleure dans le groupe qui
avait maintenu ses activités, tant en termes de durée et d’intensité de la douleur que de flexion lombaire, de capacité à travailler
et de durée de l’arrêt de travail.
Enfin, Indahl et coll. (8) ont réparti 975 patients lombalgiques, en
arrêt de travail depuis 8 à 12 semaines, dans deux groupes thérapeutiques : (a) traitement conventionnel ; (b) information répétée
du patient sur l’absence de lésion rachidienne sévère, le rôle des
muscles dans la genèse des douleurs et l’effet thérapeutique d’une
reprise d’activité modérée, privilégiant les efforts en extension.
Après 200 jours de suivi, 60 % des patients sont encore en arrêt de
travail dans le groupe “traitement conventionnel”, contre seulement 30 % dans le groupe “information et reprise des activités”.
VERS UNE NOUVELLE PRISE EN CHARGE DE LA LOMBALGIE ?
Il faut interpréter ces résultats avec beaucoup de prudence.
D’une part, il paraît clair que les patients les plus douloureux,
incapables de tenir debout, n’ont pas été inclus dans ces essais cliniques. D’autre part, les populations étudiées ne sont pas toujours
homogènes ; le caractère aigu ou subaigu de la lombalgie et l’inclusion ou non de patients souffrant d’une authentique sciatique
sont des facteurs susceptibles de modifier les résultats. Il ne faut
pas, enfin, sous-estimer l’influence des conditions socio-économiques du pays dans lequel ces études sont réalisées et l’influence
du statut des patients inclus (type de profession, assurances
sociales, possibilité d’indemnisation...). Il paraît ainsi possible
que des résultats obtenus, par exemple, aux États-Unis ne soient
pas transposables dans les pays européens, en raison des différences culturelles et sociales.
Les résultats de ces essais cliniques semblent cependant convergents. Ils montrent que la prescription d’un repos au lit “obligatoire” dans la lombalgie aiguë n’est pas utile, et que la reprise
rapide des activités de la vie quotidienne favoriserait la guérison
et limiterait la durée de l’arrêt de travail. Ils suggèrent également
que, dans la lombalgie subaiguë, l’information du patient et la
reprise des activités pourraient diminuer le risque de passage à la
chronicité.
CONCLUSION
Il existe indiscutablement des arguments scientifiques sérieux
pour inciter nos patients à la reprise rapide de leurs activités, au
décours d’une lombalgie aiguë. Mais cette stratégie thérapeutique
ne pourra s’avérer efficace que si elle est associée à d’autres
mesures :
1. un diagnostic initial de qualité, prenant en compte le contexte
social, professionnel et psychologique ;
2. l’abandon définitif de l’imagerie inutile (tomodensitométrie
dans la lombalgie commune) ;
3. l’information précise et rassurante du patient ;
4. enfin, l’utilisation optimale des antalgiques, préalable indis■
pensable à la reprise d’activité.
Bibliographie
1. Cats-Baril W.L., Frymoyer J.W. Identifying patients at risk of becoming disabled because of low-back pain. The Vermont Rehabilitation
Engineering Center predictive model. Spine 1991 ; 16 : 605-7.
2. Rossignol M., Suissa S., Abenhaim L. Working disability due to occupational back pain : three-year follow-up of 2 300 compensated workers in Quebec. J Occup Med 1988 ; 30 : 502-5.
3. Valat J.P., Goupille P., Vedere V. Lombalgies : facteurs de risque
exposant à la chronicité. Rev Rhum 1997 ; 64 : 203-8.
4. Rossignol M., Suissa S., Abenhaim L. The evolution of compensated
occupational spinal injuries. A three-year follow-up study. Spine 1992 ;
17 : 1043-7.
La Lettre du Rhumatologue - n° 242 - mai 1998
5.
Evans C., Gilbert J.R., Taylor W., Hildebrand A. A randomized
controlled trial of flexion exercises, education, and bed rest for patients
with acute low back pain. Physiotherapy Canada 1987 ; 39 : 96-101.
6. Deyo R.A., Diehl A.K., Rosenthal M. How many days of bed rest for
acute low back pain ? A randomized clinical trial. N Engl J Med 1986 ;
315 : 1064-70.
7. Malmivaara A., Hakkinen U., Aro T., Heinrichs J., Koskenniemi L.,
Kuosma E. et coll. The treatment of acute low back pain - bed rest, exercises, or ordinary activity ? N Engl J Med 1995 ; 332 : 351-5.
8. Indahl A., Velund L., Reikeraas O. Good prognosis for low back pain
when left untapered : a randomized clinical trial. Spine 1995 ; 20 : 473-7.
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