SÉNAT PROPOSITION DE LOI N° 65

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N° 65
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009
Annexe au procès-verbal de la séance du 29 octobre 2008
PROPOSITION DE LOI
relative à l’aide active à mourir dans le respect des consciences et
des volontés,
PRÉSENTÉE
Par M. Alain FOUCHÉ,
Sénateur
(Renvoyée à la commission des Affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission
spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Ces dernières années, les cas de Vincent HUMBERT ou de
Chantal SÉBIRE, pour ne citer que ceux-là parmi bien d’autres, ont ravivé
le débat sur l’euthanasie.
Il est, en effet, manifeste qu’aujourd’hui, et malgré les avancées de
la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, le droit français
n’est pas adapté aux cas des personnes qui demandent lucidement une aide
active à mourir. Le moment est donc venu de préciser le champ des droits
de chacun sur sa fin de vie.
Quels que soient le lieu, les circonstances, les croyances
philosophiques ou religieuses, mourir est une épreuve difficile pour la
plupart des êtres humains, à plus forte raison, lorsque la mort
s’accompagne de souffrances qui atteignent un degré tel qu’elles détruisent
celui qui les subit au point d’enlever tout sens à sa fin de vie.
Alors que l’homme conduit sa vie dans la liberté, on est surpris de
constater que, parvenu aux limites du supportable, il n’a pas le droit
d’obtenir une réponse légale à sa demande de délivrance.
Contrairement aux dispositions pénales comme celles de l’Espagne
et de la Suisse, contrairement aux législations néerlandaise et belge, le
code pénal français ne fait aucune distinction entre la mort donnée à autrui
par compassion et celle infligée dans la plus noire intention, qualifiée à
juste titre d’assassinat et punie de la réclusion criminelle à perpétuité.
La loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des
malades et à la fin de vie, permet de prendre en charge une partie des
situations de souffrances et de détresse. Le droit de demander l’arrêt des
soins ou de refuser les soins est un droit acquis, même s’il n’est pas
toujours respecté. Cependant des situations d’extrême souffrance n’entrent
pas dans le champ d’application de la loi.
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Par ailleurs, il est incontestable que les soins palliatifs apportent
dans l’accompagnement des mourants une solution appréciable et humaine.
Cependant, même en espérant qu’ils puissent atteindre dans les années à
venir un développement suffisant pour répondre aux besoins du plus grand
nombre des malades, ils ne peuvent pas répondre à toutes les situations et
n’apportent pas de solution à ceux qui, atteints de maladies incurables et
invalidantes ou en situation pathologique irréversible, formulent le souhait
de voir s’arrêter une vie jugée par eux vide de sens.
Entre les soins palliatifs et la possibilité de fixer le terme d’une vie
devenue insupportable, il y a non pas contradiction mais souvent
complémentarité : tel qui accepte avec reconnaissance des soins palliatifs
peut bien, à partir d’un certain moment, souhaiter hâter une fin de vie qu’il
ne peut provoquer seul.
De très nombreuses voix ne cessent de s’élever pour demander que
soit reconnu un droit impossible à exercer dans les conditions actuelles de
la législation française, celui d’une aide active à mourir.
Pourtant, et cela a été dit plus haut, l’exemple de certains pays,
parmi nos voisins les plus proches, mérite d’être suivi. Même plus éloigné,
le cas de l’Oregon est tout aussi exemplaire. En 1997, l’Oregon a été le
premier Etat américain à autoriser les médecins à prendre des mesures
actives pour abréger la vie de leurs patients. La loi de l’Oregon sur la mort
dans la dignité permet à un patient atteint d’une maladie en phase
terminale, c’est-à-dire dont l’espérance de vie est inférieure à six mois,
d’obtenir que des médecins l’aident à mourir à condition :
- que ce patient soit un résident de l’Oregon âgé de 18 ans au
moins ;
- qu’un médecin accepte de l’aider ;
- que ce médecin et un médecin consultant confirment le
diagnostic de maladie en phase terminale ;
- qu’ils estiment que le patient est psychologiquement capable de
formuler une telle demande ;
- que le patient soit informé de toutes les situations alternatives,
telles que les soins palliatifs.
Aussi, la dépénalisation voulue par 9 Français sur 10 et 7 médecins
sur 10 aurait, d’une part, le mérite de consacrer un droit individuel, un
impératif de liberté, et d’autre part, permettrait de protéger les tiers
intervenants.
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Elle condamnerait, dès lors, tout acte d’aide à mourir qui ne serait
pas pratiqué à la demande exclusive et réitérée d’un patient, ni réalisé dans
le respect de conditions rigoureuses.
La présente proposition de loi ne vise en aucun cas à banaliser un
acte qui engagera toujours l’éthique et la responsabilité de ses acteurs. Elle
a pour but de remédier aux inégalités devant la mort et de fournir aux
tribunaux les outils juridiques appropriés.
Elle permet, enfin, de reconnaître à chacun le droit d’aborder la fin
de vie dans le respect des principes d’égalité et de liberté qui sont le
fondement de notre République.
Tel est le sens de la présente proposition de loi que nous vous
demandons, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter.
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PROPOSITION DE LOI
Article 1er
L’article L. 1110-2 du code de la santé publique est ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-2. – La personne malade a droit au respect de sa
liberté et de sa dignité. Elle peut bénéficier, dans les conditions prévues au
présent code, d’une aide active à mourir ».
Article 2
L’article L. 1110-9 du même code est complété par un alinéa ainsi
rédigé :
« Toute personne capable, en phase avancée ou terminale d’une
affection reconnue grave et incurable ou placée dans un état de dépendance
qu’elle estime incompatible avec sa dignité, peut demander à bénéficier,
dans les conditions prévues au présent titre, d’une assistance médicalisée
pour mourir. »
Article 3
Après l’article L. 1111-4-1 du même code, il est inséré un article
ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-4-1. – Les professionnels de santé ne sont pas tenus
d’apporter leur concours à la mise en œuvre d’une aide active à mourir. Le
refus du médecin de prêter son assistance à une aide active à mourir est
notifié sans délai à l’auteur de la demande. Dans ce cas, le médecin est tenu
de l’orienter immédiatement vers un autre praticien susceptible de déférer à
cette demande. »
Article 4
Après l’article L. 1111-10-1 du même code, il est inséré un article
ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-10-1. – Lorsqu’une personne, en phase avancée ou
terminale d’une affection grave et incurable, ou placée du fait de son état
de santé dans un état de dépendance qu’elle estime incompatible avec sa
dignité, demande à son médecin traitant le bénéfice d’une aide active à
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mourir, celui-ci saisit sans délai un confrère indépendant pour s’assurer de
la réalité de la situation dans laquelle se trouve la personne concernée.
« Les médecins ont la faculté de faire appel à tout autre membre du
corps médical susceptible de les éclairer, dans les conditions définies par
voie réglementaire. Ils vérifient le caractère libre, éclairé et réfléchi de la
demande présentée, lors d’un entretien au cours duquel ils informent
l’intéressé des possibilités qui lui sont offertes par les soins palliatifs et
l’accompagnement de fin de vie. Les médecins rendent leurs conclusions
sur l’état de l’intéressé dans un délai maximum de huit jours.
« Lorsque les médecins constatent la situation d’impasse dans
laquelle se trouve la personne, et le caractère libre, éclairé et réfléchi de sa
demande, l’intéressé doit, s’il persiste, confirmer sa volonté en présence de
sa personne de confiance.
« Le médecin traitant respecte cette volonté. L’acte d’aide active à
mourir pratiqué sous son contrôle ne peut avoir lieu avant l’expiration d’un
délai de quinze jours à compter de la date de confirmation de la demande.
Toutefois, ce délai peut être abrégé à la demande de l’intéressé si les
médecins précités estiment que cela est de nature à préserver la dignité de
celui-ci.
« L’intéressé peut à tout moment révoquer sa demande.
« Les conclusions médicales et la confirmation de la demande sont
versées au dossier médical. Dans un délai de quatre jours ouvrables à
compter du décès, le médecin qui a apporté son concours à l’aide active à
mourir, adresse à la commission régionale de contrôle prévue à
l’article L. 1111-14 un rapport exposant les conditions du décès. À ce
rapport sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en
application du présent article. »
Article 5
L’article L. 1111-11 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-11. – Toute personne majeure peut rédiger des
directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état
d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les souhaits de la
personne relatifs à sa fin de vie. Elles sont révocables à tout moment.
À condition qu’elles aient été établies moins de trois ans avant l’état
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d’inconscience de la personne, le médecin doit en tenir compte pour toute
décision la concernant.
« Dans ces directives, la personne indique ses souhaits en matière
de limitation ou d’arrêt de traitement. Elle peut également indiquer dans
quelles circonstances elle désire bénéficier d’une aide active à mourir telle
que régie par le présent code. Elle désigne dans ce document la personne de
confiance chargée de la représenter le moment venu.
« Les directives anticipées sont inscrites sur un registre national
automatisé tenu par la Commission nationale de contrôle des pratiques en
matière d’aide active à mourir. Toutefois, cet enregistrement ne constitue
pas une condition de validité du document.
« Les modalités de gestion du registre et la procédure de
communication des directives anticipées à la Commission susvisée ou au
médecin traitant qui en fait la demande sont définies par décret en Conseil
d’État. »
Article 6
Après l’article L. 1111-13-1 du même code, il est inséré un article
ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-13-1. – Lorsqu’une personne, en phase avancée ou
terminale d’une affection grave et incurable, se trouve dans l’incapacité
d’exprimer une demande libre et éclairée, elle peut néanmoins bénéficier
d’une aide active à mourir à la condition que cette volonté résulte de ses
directives anticipées établies dans les conditions mentionnées à
l’article L. 1111-11.
« La personne de confiance saisit de la demande le médecin traitant
qui la transmet sans délai à un confrère indépendant. Après avoir consulté
l’équipe médicale et les personnes qui assistent au quotidien l’intéressé, et
tout autre membre du corps médical susceptible de les éclairer dans les
conditions définies par voie réglementaire, les médecins établissent, dans
un délai de quinze jours au plus, un rapport déterminant si l’état de la
personne concernée justifie qu’il soit mis fin à ses jours.
« Lorsque le rapport conclut à la possibilité d’une aide active à
mourir, la personne de confiance doit confirmer sa demande en présence de
deux témoins n’ayant aucun intérêt matériel ou moral au décès de la
personne concernée. Le médecin traitant respecte cette volonté. L’acte
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d’aide active à mourir ne peut intervenir avant l’expiration d’un délai de
quinze jours à compter de la date de confirmation de la demande.
Toutefois, ce délai peut être abrégé à la demande de la personne de
confiance si les médecins précités estiment que cela est de nature à
préserver la dignité de la personne.
« Le rapport mentionné des médecins est versé au dossier médical
de l’intéressé.
« Dans un délai de quatre jours ouvrables à compter du décès, le
médecin qui a apporté son concours à l’aide active à mourir adresse à la
commission régionale de contrôle prévue à l’article L. 1111-14 un rapport
exposant les conditions dans lesquelles celui-ci s’est déroulé. À ce rapport
sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en
application du présent article, ainsi que les directives anticipées. »
Article 7
Après l’article L. 1111-13 du même code, il est inséré un article
ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-14. – Il est institué auprès du garde des Sceaux,
ministre de la justice, et du ministre chargé de la santé, un organisme
dénommé « Commission nationale de contrôle des pratiques en matière
d’aide active à mourir ».
« Il est institué dans chaque région une commission régionale
présidée par le préfet de région ou son représentant. Elle est chargée de
contrôler, chaque fois qu’elle est rendue destinataire d’un rapport d’aide
active à mourir, si les exigences légales ont été respectées. Lorsqu’elle
estime que ces exigences n’ont pas été respectées ou en cas de doute, elle
transmet le dossier à la Commission susvisée qui, après examen, dispose de
la faculté de le transmettre au Procureur de la République.
« Les règles relatives à la composition ainsi qu’à l’organisation et
au fonctionnement des Commissions susvisées sont définies par décret en
Conseil d’État. »
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Article 8
Après l’article L. 1111-13 du même code, il est inséré un article
ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-15. – Est réputée décédée de mort naturelle en ce qui
concerne les contrats où elle était partie la personne dont la mort résulte
d’une aide active à mourir mise en œuvre selon les conditions et procédures
prescrites par le code de la santé publique. Toute clause contraire est
réputée non écrite. »
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