R uptures massives de la coiffe des rotateurs Ruptures massives de la coiffe des rotateurs M a s s i ve te a r s o f t h e rota tor cuff Évaluation clinique et objectifs du traitement médical Clinical assessment and objectives of the medical treatment of massive tears of the rotator cuff IP T. Thomas* Points forts La définition d’une rupture massive de la coiffe des rotateurs est délicate. La plus logique étant anatomoclinique, on peut proposer l’existence d’une rupture complète de deux tendons (hors biceps). Cette rupture intéressera donc le plus souvent le supra- et l’infraspinatus. La stratégie thérapeutique est fondée sur un diagnostic lésionnel permettant d’expliquer au patient les thérapeu­ tiques et leur mise en œuvre, du traitement médical au traitement chirurgical palliatif (de la ténotomie du biceps à des gestes de transposition tendinomusculaire complexes). Les objectifs du traitement médical sont symptomatiques : soulager le patient et récupérer une épaule souple en passif, puis si possible en actif. Le traitement médical et rééducatif a pour objectif un niveau de douleur acceptable et une récupération fonctionnelle compatible avec une vie normale. Mots-clés : Rupture massive de la coiffe des rotateurs – Stratégie – Traitement médical – Traitement chirurgical. Keywords: Massive tear of the rotator cuff – Strategy – Medical treatment – Surgical treatment. L a définition d’une rupture massive de la coiffe des rotateurs est difficile. Si la société américaine des chirurgiens de l’épaule la définit par un diamètre de rupture supérieur ou égal à 5 cm (1), la pertinence d’un critère peropératoire est faible en pratique clinique. Il est plus logique d’utiliser une définition anatomoclinique, et on peut proposer, en l’absence de consensus, l’existence d’une rupture complète de deux tendons (hors biceps). Elle intéressera le plus souvent le supra- et l’infra­ spinatus. Plutôt qu’un critère lésionnel, on pourrait retenir un critère de stratégie thérapeutique en considérant les ruptures massives comme des ruptures irréparables par technique de réinsertion. Mais ce critère varie indiscutablement selon les équipes chirurgicales et l’amélioration constante des techniques opératoires. * Équipe Inserm E0366, service de rhumatologie, hôpital Bellevue, Saint-Étienne. 18 LR-NSup-329-0207.indd 18 Présentation clinique Une rupture massive de la coiffe des rotateurs peut avoir différentes présentations. Le premier type est un début aigu, traumatique, l’examen clinique ne révélant aucun signe évocateur d’une lésion chronique, en particulier pas d’atrophie musculaire. Le deuxième type est un déclenchement aigu sur une pathologie chronique, et on rencontre deux situations : une rupture de petite taille gênant le patient, avec un retentissement fonctionnel plus ou moins important s’aggravant brutalement à la suite d’un effort violent ou d’un traumatisme ; une rupture déjà massive installée insidieusement, notamment chez des patients ayant sollicité leurs épaules dans leur activité professionnelle, se décompensant brutalement à la suite d’un événement aigu. Dans ces situations, l’examen clinique va révéler des symptômes rendant compte de l’épisode aigu : douleur intense, épaule pseudo-paralytique évoquant la brutale aggravation de la rupture, ecchymose brachiale évoquant une rupture de la longue portion du biceps. Il va s’y associer des signes de chronicité, notamment l’existence d’une atrophie musculaire bien visible de la loge infraépineuse, plus difficile à mettre en évidence au niveau de la loge supraépineuse. Des signes sur les radiographies simples peuvent également évoquer une pathologie chronique, en particulier la réduction de l’espace sous-acromial à moins de 7 mm. Le troisième mode de présentation est purement chronique, non traumatique, avec l’apparition insidieuse de symptômes le plus souvent chez des patients âgés, peu actifs, sollicitant de manière limitée leurs épaules. Il peut également s’agir d’une histoire ancienne aiguë au cours d’un traumatisme ou d’un effort violent, dont le patient a progressivement récupéré, mais dont il garde un certain retentissement algofonctionnel. Différentes étapes de l’examen clinique Évaluer le retentissement algofonctionnel Il faut évaluer avec précision l’état fonctionnel qui conditionnera la prise en charge. Divers scores fonctionnels existent. On peut utiliser les différents items du score de Constant, validé par la Société européenne de chirurgie de l’épaule et du coude, en appréciant : – le retentissement sur les gestes quotidiens. Cela est important, les patients pouvant être gênés ou dans l’impossibilité de réaliser des gestes tels que porter la main à la bouche au cours de l’alimentation, se peigner, s’habiller ; La Lettre du Rhumatologue - Supplément au n° 329 - février 2007 19/02/07 12:24:18 – le retentissement sur les activités de loisirs et professionnelles ; – le retentissement sur le sommeil, souvent présent initialement ; – le niveau auquel le patient juge confortable l’utilisation de sa main, niveau qui ne dépasse souvent pas la xyphoïde dans le cadre de ces ruptures massives symptomatiques. Être vigilant à l’inspection Sur un patient torse nu, on apprécie l’éventuelle déformation du galbe de l’épaule pouvant traduire un épanchement intra-articulaire, surtout visible à la face antérieure de l’épaule, effaçant le sillon deltopectoral. Elle peut également correspondre, dans les formes évoluées, à la saillie de la tête humérale subluxée en avant et en haut. Dans les formes très évoluées, il peut s’y associer des lésions du deltoïde. Dès l’inspection, on peut constater une éventuelle rupture de la longue portion du biceps avec le chef latéral rétracté à la partie distale et antérieure du bras. On recherche une amyotrophie de la loge infraépineuse alors que l’amyotrophie du supraépineux s’apprécie davantage par une manœuvre palpatoire. Figure. Le signe du clairon : la patiente doit mettre son épaule en rotation interne pour permettre une élévation antérieure assurant le geste main-bouche. Éliminer une histoire neurologique L’association d’une impotence de l’épaule et d’une atrophie musculaire doit faire éliminer une cause neurologique, avec, de la proximité vers la distalité : une atteinte radiculaire par compression cervicale ; une atteinte plexulaire par compression tumorale de l’apex ou un syndrome de Parsonage-Turner ; une atteinte nerveuse périphérique (neuropathie suprascapulaire). Le contexte et les signes cliniques orientent vers ces diagnostics. Mesurer les amplitudes articulaires L’étape suivante s’intéresse à la mobilité articulaire, en passif, sur un patient en décubitus, puis en actif. Les amplitudes sont évaluées dans les trois plans, en élévation antérieure dans le plan de la scapula, en rotation externe coude au corps et à 90° d’élévation RE1 et RE2, et en rotation interne main dans le dos. L’analyse précise de la mobilité passive est importante, car la perte de quelques degrés peut participer à la chronicité des douleurs, et c’est un élément à corriger dans la prise en charge. L’évaluation de la mobilité active est importante dans l’appréciation du retentissement fonctionnel, mais ne préjuge pas de la taille de la rupture, la majorité des patients conservant une bonne élévation antérieure. On note souvent une faiblesse de la rotation externe active, témoignant de l’extension postérieure de la rupture. rotateurs externes aura en effet un impact fonctionnel majeur et limitera les possibilités de réparation chirurgicale (2, 3). Le testing se fait en RE1 contre résistance. Il explore essentiellement l’infra­ épineux. Si un déficit est objectivé, l’évaluation de la force en RE2 contre résistance permettra une évaluation du teres minor (4). L’intégrité de celui-ci permet de conserver une rotation externe active et autorise la réalisation de gestes simples de la vie quotidienne tels que l’action de porter la main à la bouche. En l’absence complète de rotateur externe, le patient ne peut plus réaliser ce geste en dehors d’une manœuvre compensatoire, en réalisant une élévation antérieure avec mise en rotation interne de l’épaule (signe du clairon) [figure]. D’autres signes peuvent être recherchés, notamment le signe du rappel automatique ou signe du portillon : le fait de lâcher la main et l’avant-bras amené en RE1 complète de manière passive s’accompagne d’un retour automatique de la main, qui vient frapper l’abdomen, la contraction spontanée des rotateurs internes n’étant plus contre-balancée par celle des rotateurs externes. L’évaluation des groupes tendinomusculaires de la coiffe des rotateurs repose sur des manœuvres de force contre résistance. I Évaluation du biceps C’est un élément clé dans la stratégie, car la persistance d’une longue portion du biceps intacte peut être source de douleurs intenses et conduire à un geste palliatif de ténotomie ou de ténodèse (5). Cette rupture peut être visible spontanément ou recherchée de manière palpatoire, particulièrement chez les sujets âgés, dont le galbe musculaire est difficile à apprécier, en réalisant une flexion contrariée de l’avant-bras sur le bras. I Analyse des rotateurs externes Cette analyse est très importante pour la stratégie thérapeutique. L’éventuelle extension d’une rupture du supraépineux vers les I Ne pas oublier la coiffe antérieure Les ruptures massives peuvent en effet s’étendre vers l’avant. Une atteinte de la coiffe antérieure peut s’associer à des lésions Tester le complexe tendinomusculaire de la coiffe des rotateurs La Lettre du Rhumatologue - Supplément au n° 329 - février 2007 LR-NSup-329-0207.indd 21 Ruptures massives de la coiffe des rotateurs 21 19/02/07 12:24:23 R uptures massives de la coiffe des rotateurs Ruptures massives de la coiffe des rotateurs M a s s i ve te a r s o f t h e rota tor cuff de la longue portion du biceps, subluxée ou luxée en avant de la petite tubérosité. Le signe le plus utilisé est le belly-press test, qui correspond à une rotation interne contrariée, le patient cherchant à plaquer sa main sur l’abdomen coude fléchi à 90°, le bras en légère élévation antérieure. D’autres signes permettent d’explorer cette coiffe antérieure, notamment la mise en évidence d’une rotation externe passive excessive ainsi que le lift-off test de Gerber, rendu difficile par les douleurs importantes en rotation interne main dans le dos. I Recherche d’une lésion du supraépineux L’examen clinique se terminera par cette recherche, utilisant le signe de Jobe, avec une élévation antérieure contre résistance à 90° dans le plan de la scapula, l’épaule en rotation interne, les pouces vers le bas. Demander des radiographies standard Les radiographies simples sont indispensables. Il faut particulièrement rechercher une réduction de l’espace sous-acromial. Suivant les situations et les objectifs, l’examen clinique pourra être complété par une échographie, une arthro-tomodensitométrie ou une IRM. Objectifs du traitement médical Les résultats du traitement médical sont indépendants de la sévérité des douleurs initiales (6, 7), la durée d’évolution des symptômes, la mobilité articulaire et le niveau de force préthérapeutiques étant, eux, des facteurs pronostiques (6, 7). C’est l’un des problèmes de la stratégie, car ce sont aussi des facteurs pronostiques du traitement chirurgical (2, 3). Pour préciser cette prise en charge, des travaux ont cherché à comprendre les mécanismes de la douleur, plainte principale dans ces ruptures, qui est multifactorielle. On note au premier plan la bursite sousacromiale, souvent associée, et considérée comme symptomatique lorsqu’elle est identifiée en imagerie (8, 9). D’autres éléments participent aux douleurs, dont la raideur articulaire. La persistance d’une sollicitation musculaire inadaptée, avec la contraction de muscles dont la structure tendineuse est rompue, est associée aux douleurs (10). Le développement de compensations musculaires peut donc jouer à la fois sur la récupération des mobilités et sur la réduction des phénomènes douloureux. Enfin, l’altération de la biomécanique de l’épaule, consécutive à la rupture, n’est pas un élément important, car les patients ayant une rupture asymptomatique ont la même perturbation que ceux ayant des douleurs (11, 12). La prise en charge médicale spécifique de ces ruptures, a fortiori massives, ne reposant sur aucune évaluation expérimentale, ne peut être considérée comme très différente de celle des tendinopathies. Le rationnel de ce traitement “non réparateur” repose plus sur la prévalence importante des ruptures asymptomatiques, jusqu’à 30 % après 60 ans (13), témoin de capacités fonctionnelles d’adaptation, que sur un processus de réparation spontanée jamais observé (14). Les objectifs du traitement médical sont 22 LR-NSup-329-0207.indd 22 donc symptomatiques, avec la nécessité de soulager le patient et de récupérer une épaule souple en passif, puis si possible en actif. Soulager le patient Le traitement des douleurs repose sur les AINS et les antalgiques ainsi que sur la réalisation d’injections intrabursales ou intra-articulaires de corticostéroïdes. Cette technique est mal évaluée (15), et malgré de nombreuses études, la taille réduite des effectifs, la faible qualité méthodologique et l’hétérogénéité des résultats ne permettent aucune conclusion (16). La pratique clinique suggère son intérêt, au moins à court terme, car elle permet de soulager plus rapidement le malade, et d’effectuer une rééducation dans de bonnes conditions. Des travaux ont montré la supériorité des injections réalisées sous contrôle radio- ou échographique (17, 18). Récupérer une épaule souple Le deuxième élément clé du traitement médical, la rééducation, n’est pas mieux évalué, et deux méta-analyses concluent à l’existence de preuves faibles, ne permettant pas de différencier la prise en charge des ruptures, a fortiori massives, des tendinopathies (19, 20). En pratique, il est recommandé de la poursuivre pendant 3 à 6 mois, avec l’objectif de récupérer les amplitudes articulaires nécessitant le recours, parfois, à une balnéothérapie, toujours à des exercices simples d’autorééducation, et à des conseils d’économie articulaire. Conclusion La stratégie thérapeutique de ces ruptures massives doit être fondée sur un diagnostic lésionnel permettant d’emblée d’expliquer au patient les possibilités thérapeutiques et leur mise en œuvre en fonction de son évolution, du simple traitement médical au traitement chirurgical palliatif (de la simple ténotomie du biceps à des gestes de transposition tendinomusculaire complexes). Le traitement médical et rééducatif est simple à mettre en œuvre et doit avoir pour objectif un niveau de douleur acceptable et surtout une récupération fonctionnelle de l’épaule compatible avec une vie normale en fonction des besoins et du niveau d’activité, qui n’est pas nécessairement déclinant avec l’âge. ■ Références bibliographiques 1. Green A. Chronic massive rotator cuff tears: evaluation and management. J Am Acad Orthop Surg 2003;11:321-31. 2. Cofield RH, Parvizi J, Hoffmeyer PJ et al. Surgical repair of chronic rotator cuff tears. A prospective long-term study. J Bone Joint Surg Am 2001;83:71-7. 3. Goutallier D, Postel JM, Gleyze P et al. Influence of cuff muscle fatty degeneration on anatomic and functional outcomes after simple suture of full-thickness tears. J Shoulder Elbow Surg 2003;12:550-4. 4. Walch G, Boulahia A, Calderone S, Robinson AH. The ‘dropping’ and ‘hornblower’s’ signs in evaluation of rotator cuff tears. J Bone Joint Surg Br 1998;80:624-8. 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